Après Beastars, Paru Itagaki propose un nouveau manga un brin déjanté, cette fois-ci sur un format court, puisque Ki-oon l'a publié en un seul volume.
Le concept est simple : Mako est une jeune femme qui souffre d'une misophobie un peu particulière : son nez se met à saigner abondamment lorsqu'elle touche quelque chose de sale, et ce depuis son enfance. Un problème qui l'empêche d'embrasser un homme ou de coucher avec, à son grand désespoir. Le récit nous la fait suivre dans sa quête de l'homme idéal, tel que l'a défini sa mère et à condition que son nez le supporte...
C'est un peu tordu, Itagaki est spécialiste de ce genre d'idées, mais elle nous livre une histoire relativement sobre, finalement, avec des situations certes un peu cocasses, mais pas si spectaculaires, si on excepte celle où l'on voit Mako entièrement nue, couverte de sang et portant par exemple un homme évanoui. Pas de créature fantastique, pas de déviance sexuelle particulière, tout juste voit-on Mako rencontrer un homme incapable d'aimer. Une autre affection qui existe réellement (je ne sais pas si celle dont souffre la jeune femme existe, par contre). Ce n'est pas palpitant, mais relativement sympathique. Itagaki a un style de dessin un peu particulier, le visage de Mako est très rond, avec d'énormes yeux un peu déstabilisants. Il y a un peu de folie dans la composition, certains regards, mais rien de bien méchant.
Ah oui, le titre ! Botabota ou potapota est, en japonais, l'onomatopée correspondant au bruit du clapotis de l'eau. Ici c'est le sang qui coule, donc l'association est vite faite.
A noter que le volume se clôt sur une histoire courte, plus ancienne, mettant en scène une prostituée et le Père Noël. Pas bien folichonne, ma foi.
Le secourisme n'est pas une notion récente, et même si les entreprises et les écoles encouragent les formations aux gestes qui sauvent depuis quelques années, cette BD de 1978 témoigne qu'une sensibilisation au grand public date déjà de cinq décennies.
Si elle apparaît datée au niveau des dessins, elle l'est encore plus au niveau des gestes proposés ici, même si les bases sont bonnes, et les quelques notions d'anatomie qui sont données sont exactes. Le premier tome est une suite de saynètes montrant différentes situations nécessitant l'intervention d'un sauveteur : perte de conscience, étouffement, saignement... C'est assez clair, même si on se rend vite compte que les Dr Debras et Duprat, médecins instructeurs à la Croix-Rouge française, maîtrisent assez mal le media bande dessinée. Ils peuvent cependant compter sur le savoir-faire et le dynamisme de Patrice Serres, dessinateur en vogue à l'époque, qui ajoute beaucoup d'énergie aux textes un peu rébarbatifs.
C'est à présent plus une curiosité qu'un véritable guide des premiers gestes, mais il est intéressant de voir que les bases du secourisme sont peu ou prou les mêmes.
Bon, j'ai lancé cette lecture par un hasard absolu. Je marchais dans ma bibliothèque de quartier, j'ai vu de la couleur, j'ai lu un titre qui m'a fait miroiter une aventure loufoque autour du genre (et sans doute quelques clichés mais après tout ils ne sont pas un mal en soi, si bien utilisés), ... Bref, je me suis dit que je pouvais toujours lire ce diptyque et voir de quoi il retournait.
Si j'insiste pour vous raconter le caractère "hasardeux" de ma lecture c'est pour vous affirmer qu'il ne s'agit pas là d'une série traitant du sujet queer d'une quelconque manière et qui m'aurait déçue dans sa représentation. Non : je ne m'attendais sincèrement pas à ce qu'il soit question d'homosexualité dans cette histoire, et ai été tout de même frappée au visage de bon vieux stéréotypes nocifs.
Le postulat, sans être révolutionnaire, était bon et aurait dû au moins rendre ma lecture agréable.
Une jeune idole qui ne décolle pas, fille d'une magical girl à la retraite, qui se voit offrir de devenir magical girl à son tour par une fée aux allures de yakuza et qui se révèle devenir un grand gaillard baraqué aux muscles virils lorsqu'elle se transforme, ça sonne débile mais intriguant. Une parodie des codes de la magical girl, des combats absurdement violents (sans être graphiques, on nous suggère la violence plus qu'autre chose), un scénario volontairement mauvais, ... Pas nécessairement la meilleure recette mais des œuvres parviennent parfois à créer de l'or avec des postulats plus bancals.
Ici, ça ne marche pas. Le scénario mal écrit, les enjeux qui n'ont jamais vraiment de poids, les apartés comiques qui devraient rajouter du rythme mais qui finissent par devenir brouhaha. Pas mauvais, j'aurais pu mettre un 2 s'il ne s'agissait que de ça. Une œuvre imparfaite mais tout de même divertissante.
Mais. MAIS ! Il ne s'agit pas que de ça. Au delà de quelques remarques déplacées sur le côté "travelo" de cette magical girl (je cite), parce qu'après tout cela a au moins le mérite de ne pas être présent tout du long (maigre consolation mais on prend ce qu'on a), le récit nous propose l'un de mes clichés préférés : la lesbienne harceleuse. Notre magical girl sera rapidement suivie dans ses aventures par sa meilleure amie qui nourrissait pour elle jusque là un amour secret. Mais le secret désormais révélé, on ne la retient plus : ses instincts bestiaux reprennent le dessus et elle essaiera à chaque instant d'embrasser sa belle, d'observer sa culotte ou encore de lui montrer sa collection de photos d'elle prises à son insu. Comme quoi, lorsque la protagoniste crie à sa meilleure amie qu'elle ne souhaite pas être violée après que celle-ci lui ait déclaré sa flamme, comment lui donner tort ? Les actions de l'intéressée parlent d'elles-mêmes et donnent raison au discours.
Bref, autant vous dire que cela m'a fait rapidement sortir du délire.
Peut-être que sans ce propos désastreux j'aurais pu un peu plus rentrer dans le délire. Peut-être. Mais nous vivons dans un monde où l'œuvre existe telle quelle, alors "prout".
Tout le sujet est dans le titre : l'album est une succession de génèses, de récits des origines du monde et de l'humanité, qui se termineront systématiquement de manière tragique ou déprimante (ou au mieux mystérieuse dans le cas du récit sur le secret de la mort).
Chaque génèse présentée se centre sur un nouveau sujet : la quête de l'héroïsme, les questionnements métaphysiques, les constructions sociales, ... Mais tous ces récits sont unis par cette même narration pessimiste teintée de comique, par ce même dessin minimaliste ne servant qu'à illustrer les paraboles qui nous sont racontées.
Intéressant, mais finalement assez oubliable. Je ne sais pas, je n'ai pas été transcendée par ma lecture. Mis à part le récit sur la mort et le philosophe et quelques jolies tournures de phrases par moment j'ai trouvé la lecture assez quelconque. Pas de grande prise de risque dans ces génèses, pas de discours novateurs non plus. J'ai vraiment eu l'impression d'avoir déjà/vu lu ce genre d'idées, ce genre de propos. Nul doute que Trondheim a placé ici ses pensées noires et pessimistes sur la nature humaine, et que les propos qu'il présente ici lui sont chers, mais je dois avouer qu'ils me paraissent également bien communs. Pas un mal en soi, mais si le but était de présenter une pensée originale, tenir un discours qui s'entend malgré tout très souvent n'est pas la meilleure manière.
L'album reste bon, hein, mais pas transcendant pour autant.
Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie.
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Ce tome contient un reportage complet et indépendant de tout autre, réalisé par l’auteur, par le prisme de sa sensibilité propre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comporte quarante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc.
L’association de Marseille Des livres comme des idées a proposé à Edmond Baudoin, une résidence dans le domaine du Capitaine Danjou. Il est là. Tout est propre, tirée au cordeau, à deux kilomètres de Puyloubier, un village des bouches du Bouches du Rhône, sous la montagne Sainte-Victoire. Petit-déjeuner 6 heures, déjeuner 12, dîner 18. Une chambre d’environ 12 mètres carrés, douche WC. Qu’est-ce qu’il fait là ? Invité 15 jours en juin 2023 dans un hôpital – une maison de repos – maison de retraite de la Légion étrangère. Vivre quinze jours avec des légionnaires anciens et nouveaux, faire leurs portraits, leur donner des cours de dessin, vivre avec eux. Et marcher sur les contreforts de Sainte-Victoire. Quand il commence la rédaction de ce livre, c’est le 1er novembre 2023. Des bombardements incessants tuent la population de Gaza. Une bande de terre de 41km et d’une largeur allant de 6 à 12km sur laquelle vivent environ 2 millions 300.000 habitants. Les pays occidentaux regardent ce massacre qui est un crime de masse, et laissent faire. Ce sera une honte de plus dans l’histoire des homo-sapiens. Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie.
L’auteur continue pour donner la parole à des humains, à des vieux. Qui sont tous plus jeunes que lui (sauf Berthold). Berthold, 87 ans, réfléchit : Le monde ne tourne pas bien, il marche sur la tête. Il continue : Et à son âge, il n’a pas la réponse à comment il faudrait faire pour qu’il puisse tourner bien. Il termine avec une pirouette : Si on creuse, on tombe sur l’Australie, est-ce que les Australiens marchent sur les pieds ? Berthold est dans son lit. Il ne sort plus de sa chambre. On a dit à l’auteur que c’était une légende pour ses co-légionnaires. Le seize juin 2023, des Légionnaires à la retraite écoutent de la musique. L’interprète joue de plusieurs instruments. Son nom : Delphine Ragonot. Le réfectoire du domaine du Capitaine Danjou est aussi une galerie où on peut voir des affiches de films sur la Légion. Baudoin est étonné qu’il y en ait eu autant. Il n’en a jamais vu autant. Si l’on l’a lu, on sait qu’il se tient à l’écart des militaires. Mais il est ici pour rencontrer des hommes et des femmes, des infirmières, du personnel d’entretien, faire leurs portraits et l’échanger avec une réponse à : Dites-moi ce que vous voulez sur la vie. Rencontrer encore une fois des êtres humains, Baudoin estime qu’il a de la chance. La réponse Khristophe, soixante ans, à la question : La vie c’est bringuer, baiser, bagarrer. Il y a un grand domaine vignoble autour du domaine. La Légion fait du vin, et en est fière. Christophe, toujours valide, travaille à la vigne. La réponse de Sergiou, vingt ans, moldave, blessé lors d’un saut en parachute : La vie, c’est comme Game, il faut jouer joli. La réponse de Vadis, quarante ans : Il cherche la rigueur, la propreté et la clarté.
Le lecteur jette un coup d’œil rapide à la couverture, et il se dit que cette fois-ci Edmond Baudoin est allé interroger des retraités, en plus que des hommes, pas sûr que ce soit très passionnant. Il commence sa lecture et tout de suite la perspective change : voilà ce bédéaste de quatre-vingt-deux en train de faire un séjour dans maison de retraite de la Légion étrangère. Mais qu’allait-il faire là-bas ? Certes, d’un côté il va à la rencontre de personnes qu’il ne connaît pas comme il en a pris l’habitude depuis des décennies, d’abord avec Troubs : des Mexicains à Ciudad Juarez dans Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), des Colombiens dans Le Goût de la Terre (2013), des Français, des Italiens et des immigrés clandestins dans Humains - La Roya est un fleuve (2018), des artistes indigènes dans Inuit (2023). Tout seul il est également allé à la rencontre des Grenoblois dans Grenoble en portrait(s) (2022), ou encore de Chinois dans Carnet chinois (20219). Ou encore des Gens de Clamecy (2017) avec Mireille Hannon. La démarche reste identique : poser une question à son interlocuteur, pour obtenir une réponse en échange d’un portrait réalisé par l’artiste. Comme d’habitude, le charme de Baudoin opère et les personnes lui répondent bien gentiment, avec une sincérité qui semble avérée.
De prime abord, le lecteur est tenté de se dire que le bédéaste ne se foule pas trop, qu’il reste dans ce qu’il sait faire, pour réaliser une bande dessinée à moindre coût. Il a bien sûr conservé sa forme très libre : la reproduction des portraits réalisés, de rares phylactères, des images juxtaposées, sans bordure, à peine une bande dessinée en apparence. Il réalise toujours des dessins dans un mélange de coups de pinceau épais et irréguliers, et de traits encrés, parfois comme griffés sous l’impulsion du moment, parfois tracés avec application, et peaufinés. Il ne lui reste plus qu’à indiquer le prénom de chacun de ses interlocuteurs, leur âge (avec cette bizarrerie que tout en étant le plus vieux, il reste le plus autonome), la réponse à la question, une information souvent très succincte sur la personne rencontrée (le plus souvent uniquement son métier), et quelques réflexions comme ça en passant (par exemple mentionner les bombardements sur Gaza). Et hop ! le tour est joué : une bande dessinée d’une quarantaine de pages, prête à être livrée et publiée.
Comme d’habitude, la magie narrative opère dès la première page. Ce phénomène si singulier se produit comme à chaque fois : le lecteur découvre une histoire, celle de l’humanisme de l’auteur qui lui permet d’établir un contact profond avec des êtres humains qu’il rencontre pour la première fois, et pour un laps de temps très court. Dans le même, il répète ce qu’il a déjà écrit dans un ouvrage précédent : Faire le portrait de quelqu’un, c‘est le regarder pendant près de vingt minutes dans les yeux, et elle, et lui le regarde pareillement dans le même temps, c’est beaucoup dans une vie. De fait chaque portrait est singulier : le dessin d’une tête, chaque fois incroyablement vivante, avec une personnalité unique, un tour de force. Il suffit que le lecteur s’arrête un peu pour considérer l’un de ces visages : un drôle d’assemblage de traits et de coups de pinceau, souvent disgracieux, sans chercher ni à faire joli, ni à plaire. Puis un mouvement de recul, et cet assemblage de lignes et de zones noires redevient un être humain animé de vie. Ces images incarnent littéralement la citation de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) : Ce dessin m'a pris cinq minutes, mais j'ai mis soixante ans pour y arriver. Le lecteur se délecte tout autant des paysages : la vue depuis le couloir de la résidence, l’atelier de céramique, une marche dans la nature, le château du Capitaine Danjou, et bien sûr des arbres (spécialité de l’artiste), y compris une récolte de branchages, d’écorces, de brindilles.
À la réflexion, l’admiration et le respect du lecteur pour l’auteur grandissent encore : non seulement Baudoin est sorti de sa zone de conforts en posant sa question à des militaires de carrière endurcis, mais en plus il a conservé toute sa capacité d’écoute. À quatre-vingt-deux ans, son esprit a conservé assez d’agilité pour ne pas être fossilisé sur des idées définitives, encore moins réactionnaires ou cyniques : il se montre capable de recevoir la parole d’autrui, de la retranscrire en l’état, et de faire preuve d’empathie. Il conclut même son ouvrage en écrivant qu’il a de la chance d’avoir, encore une fois, été en présence de l’humanité, avec son intelligence, avec sa complexité. Cet artiste est un véritable amoureux des êtres humains, quand bien même ils ont choisi un engagement qui lui répugne. Il n’y a qu’une seule fois où la réponse le met mal à l’aise. Kaiser (c’est un surnom) vingt-sept ans répond qu’il est d’origine allemande, que son grand-père a fait l’armée dans les SS, que son rêve était que son petit-fils suive son exemple. Il conclut en disant que c’est pour cela qu’il s’est engagé dans la Légion étrangère. En aparté, Baudoin se dit qu’il s’est trompé sur le lieu de son engagement. L’auteur explique qu’il est né en 1942, que quand il était jeune, ça lui semblait impossible que l’extrême droite puisse un jour, à nouveau, exister. Après ce portrait, il lui a fallu aller se laver en marchant dans la nature et jouer avec Cézanne.
Edmond Baudoin rencontre des personnes qui l’étonnent : profondément humaines, sans rapport avec ce qu’il pouvait imaginer de militaires de carrière. Cela l’amène à se faire des réflexions de différents ordres. Il y a bien sûr la réalité de la guerre, il évoque le massacre de Gaza, qui induit la nécessité de l’existence d’armées pour pouvoir se défendre, composée d’hommes comme ceux qu’il rencontre. Il relate également le fait qu’il donne des cours de dessins : lors de cette résidence, il a proposé le même cours aux résidents légionnaires et à des enfants dans une école de Puyloubier. Il a été étonné de la similitude des dessins réalisés à partir des propositions de branchages, d’écorces, de brindilles semblables. Ce trait d’union entre deux mondes lui a fait constater que le sentiment que l’on éprouve quand on regarde la nature est le même si on a les yeux neufs d’un enfant ou ceux d’un homme qui a vu mille nuits. Plus loin, il s’interroge : Depuis ou quand les armes, le pouvoir, la maîtrise ont fait bander les hommes ? Et pourquoi ? Parce qu’ils sont faibles ? C’est sexuel, sûr. Mais pourquoi cette sexualité de merde fascine beaucoup de femmes ? Quand est-ce qu’on en sortira ? Cela l’amène au fait qu’il a toujours préféré la compagnie des filles à celle des garçons, peut-être parce que les filles ne le mettaient pas en situation de compétition. Plus tard il a compris que si la plupart des filles n’avaient pas besoin de compétitions c’est parce qu’elles détenaient la vie. La possibilité de la récréer à l’intérieur de leur corps. […] Jusqu’au jour où il a vu la photo d’une femme de l’armée des États-Unis au-dessus d’hommes nus, des Irakiens qu’elle torturait en compagnie d’autres brutes. Cette femme a tué son rêve : celui que la femme pouvait être l’avenir de l’homme (Louis Aragon).
Une BD de plus de cet auteur ? Oui, de nouvelles rencontres pour continuer à dire la vie. Une maestria aussi bien graphique qu’empathique, pour rendre compte de ces êtres humains uniques, vivants, façonnés par leur vie si différente de celle de l’artiste, avec pour autant des rêves et des aspirations si proches. Le lecteur rend grâce à l’artiste de lui avoir fait rencontrer ces hommes et ces femmes, en toute sincérité, pour un moment vrai et honnête. Miraculeux.
Une trilogie imposante en termes de pagination, mais qui se lit relativement rapidement. D’abord parce que nombreuses sont les pages muettes (le premier album de plus de 400 pages l’est même totalement), mais aussi parce que le texte est globalement peu présent, et que l’intrigue n’est pas très fouillée.
Ce premier tome justement, est assez déroutant. Totalement muet, il bénéficie d’un dessin au trait nerveux, au rendu parfois proche de la gravure, mais qui n’est pas toujours très lisible (difficulté accentuée parfois par un découpage des cases qui m’a un temps laissé perplexe quant à l’ordre de leur lecture). En tout cas, par-delà ces difficultés de lecture, c’est d’emblée très noir, centré sur l’horrible occupation japonaise de la Corée durant la seconde guerre mondiale.
Les deux tomes suivant se déroulent durant la guerre de Corée quelques années plus tard (la fin du troisième boucle la boucle, puisque nous retrouvons le vieil homme croisé au début, dans une prison, l’ensemble se présentant donc comme une sorte de flash-back, de rêves/cauchemars éveillés, d’une génération sacrifiée par les conflits).
Ces deux derniers tomes sont davantage colorisés, il y a des dialogues, c’est un peu plus simple à suivre. Le dessin reste brouillon, pas inintéressant, mais le rendu « gravure » est moins présent.
Ça reste en tout cas violent et noir.
Reste que la narration est encore confuse, qu’on s’attache plus à la violence générale subie par les Coréens qu’aux personnages en particulier.
Toutefois, au milieu de la violence et d’une ambiance très noire, l’auteur parvient tout de même à glisser quelques notes d’espoir, un peu de poésie (les rapprochements furtifs entre soldats des deux Corée, le personnage du peintre/dessinateur, le gamin au lance-pierre – par ailleurs un peu soulant parfois, etc.).
Note réelle 2,5/5.
Gunnm est un monument du manga, un incontournable de la SF.
Aussi, je m'y suis plongé l'été dernier. Avec le regret de n'y trouver qu'une série ado d'action/SF avec ici ou là des thématiques intéressantes, mais traitées dans la plus grande confusion. Côté rythme, c'est également inégal : la frénésie de certains passages laisse place à des rajouts narratifs des plus artificiels, à des transitions souvent abruptes.
Il est plus intéressant de constater que malgré ces défauts, cette série est parvenue à imprégner un imaginaire collectif en usant de figures qu'elle a su transcender sinon incarner, notamment visuellement : le chasseur de primes, le motorball (variante des rollerball, speedball, Mécanique céleste, rugball de Cobra...), la décharge, la combattante "badass", la ville cyberpunk, etc.
Bien trop inégal, Gunnm ne mérite pas son aura. Mais ses qualités sont réelles.
Cette adaptation me permet de découvrir Krassinsky.
Le sujet est beau : le quotidien des Inuits, leur lutte pour la survie, leur organisation sociale et notamment la condition des femmes, leurs traditions et croyances, leur rapport à la nature et à la faune environnante.
Le style graphique l'est également : de tendres couleurs à l'aquarelle, un trait rond assez expressif, une économie de mots pour magnifier les cases amples et la mise en page dynamique.
Pour autant, la magie n'a pas opéré et la distance entre cette culture et la mienne est demeurée profonde. Le sujet du viol m'interpellait, mais je n'ai pu comprendre comment cet accommodement forcé de l'héroïne a pu dévier vers un banal refoulement (en 2025, il n'est plus possible pour le narrateur de prendre autant de distance avec cet événement, de s'en tenir aux agissements certes plausibles et vraisemblables de son héroïne-victime). Cette distance se retrouve également lors des chants chamaniques qui n'atteignent pas la poésie espérée.
Une jolie saga, un sujet rare, mais un regard absent proposant du descriptif quand de la vie et des destins étaient espérés.
Premier tome d'une série de divertissement et d'action sur les gardes du corps du Général de Gaulle, classée parmi les meilleures ventes du moment.
Du bel ouvrage au niveau des illustrations. L'on replonge parfaitement dans la France fantasmée de l'après-guerre, celle que le cinéma d'Audiard, Lautner, Sautet, etc., des "gueules" à la Blier, Belmondo, Ventura, Montand... ont cristallisée. Les décors, rues, voitures, aménagements des intérieurs, les personnages historiques, bref l'ensemble des éléments graphiques nous replonge dans les trente glorieuses.
Dorison sait de son côté maintenir le rythme, ajouter de l'humour, et cela malgré un projet qui ne vise pas particulièrement l'action pure (ce n'est pas du Largo Winch), plutôt le descriptif d'un quotidien, qui nous mènera néanmoins aux premières loges lors de l'attentat du petit Clamart.
L'inconvénient de cette BD par ailleurs de belle qualité, réside dans son positionnement historique : je ne suis nullement gêné par le fait que des éléments de pure fiction s'ajoutent très régulièrement (concernant le quotidien des gorilles, des relations entre eux, leur vie de famille, etc.), pas non plus par le point de vue sur la période et les personnalités (très gaulliste), davantage par le fait que celui-ci ne dit absolument pas son nom et se présente sous des atours historiques. Par ailleurs, les relents racistes du point de vue anti-algérien me gênent sensiblement, tandis que la torture de nos bons soldats français en Algérie est pour le moment oubliée.
BD agréable à lire, mais laissant un arrière-goût bien amer en bouche.
Retour chez Dargaud pour Trondheim, engendrant l'arrêt des Nouvelles aventures de Lapinot et le lancement de cette "Aventure de Lapinot dans une situation pas possible". Aucune véritable rupture néanmoins hormis ce changement d'éditeur.
Je ne sais si l'impulsion et l'inspiration s'étaient quelque peu taries dans les locaux de L'Association, je constate modestement que la qualité était moindre depuis que les aventures avaient perdu en formidable, davantage la faute selon moi à des scénarios souvent bien maigres, que l'auteur parvenait néanmoins à sublimer via des illustrations chaleureuses et sympathiques associées à un réel talent de dialoguiste.
Le scénario de ce premier tome est totalement rocambolesque et eut pu être écrit par l'inénarrable personnage de Richard. Peut-être un moyen pour l'auteur de personnifier une liberté éditoriale retrouvée, pour un résultat que L'Association aurait néanmoins sans doute validé, tant il s'inscrit dans une continuité.
C'est toujours très agréable à lire, un divertissement humaniste discourant sans véritable revendication ni accusation sur nos sociétés contemporaines.
Mon point de vue sur les Nouvelles aventures est encore d'actualité pour cette aventure-ci, pas de baisse de régime selon moi (manque d'objectivité, horizon d'attente préparé par l'avis de Tomdelapampa ?).
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Bota Bota
Après Beastars, Paru Itagaki propose un nouveau manga un brin déjanté, cette fois-ci sur un format court, puisque Ki-oon l'a publié en un seul volume. Le concept est simple : Mako est une jeune femme qui souffre d'une misophobie un peu particulière : son nez se met à saigner abondamment lorsqu'elle touche quelque chose de sale, et ce depuis son enfance. Un problème qui l'empêche d'embrasser un homme ou de coucher avec, à son grand désespoir. Le récit nous la fait suivre dans sa quête de l'homme idéal, tel que l'a défini sa mère et à condition que son nez le supporte... C'est un peu tordu, Itagaki est spécialiste de ce genre d'idées, mais elle nous livre une histoire relativement sobre, finalement, avec des situations certes un peu cocasses, mais pas si spectaculaires, si on excepte celle où l'on voit Mako entièrement nue, couverte de sang et portant par exemple un homme évanoui. Pas de créature fantastique, pas de déviance sexuelle particulière, tout juste voit-on Mako rencontrer un homme incapable d'aimer. Une autre affection qui existe réellement (je ne sais pas si celle dont souffre la jeune femme existe, par contre). Ce n'est pas palpitant, mais relativement sympathique. Itagaki a un style de dessin un peu particulier, le visage de Mako est très rond, avec d'énormes yeux un peu déstabilisants. Il y a un peu de folie dans la composition, certains regards, mais rien de bien méchant. Ah oui, le titre ! Botabota ou potapota est, en japonais, l'onomatopée correspondant au bruit du clapotis de l'eau. Ici c'est le sang qui coule, donc l'association est vite faite. A noter que le volume se clôt sur une histoire courte, plus ancienne, mettant en scène une prostituée et le Père Noël. Pas bien folichonne, ma foi.
Secourir
Le secourisme n'est pas une notion récente, et même si les entreprises et les écoles encouragent les formations aux gestes qui sauvent depuis quelques années, cette BD de 1978 témoigne qu'une sensibilisation au grand public date déjà de cinq décennies. Si elle apparaît datée au niveau des dessins, elle l'est encore plus au niveau des gestes proposés ici, même si les bases sont bonnes, et les quelques notions d'anatomie qui sont données sont exactes. Le premier tome est une suite de saynètes montrant différentes situations nécessitant l'intervention d'un sauveteur : perte de conscience, étouffement, saignement... C'est assez clair, même si on se rend vite compte que les Dr Debras et Duprat, médecins instructeurs à la Croix-Rouge française, maîtrisent assez mal le media bande dessinée. Ils peuvent cependant compter sur le savoir-faire et le dynamisme de Patrice Serres, dessinateur en vogue à l'époque, qui ajoute beaucoup d'énergie aux textes un peu rébarbatifs. C'est à présent plus une curiosité qu'un véritable guide des premiers gestes, mais il est intéressant de voir que les bases du secourisme sont peu ou prou les mêmes.
Magical Girl Boy
Bon, j'ai lancé cette lecture par un hasard absolu. Je marchais dans ma bibliothèque de quartier, j'ai vu de la couleur, j'ai lu un titre qui m'a fait miroiter une aventure loufoque autour du genre (et sans doute quelques clichés mais après tout ils ne sont pas un mal en soi, si bien utilisés), ... Bref, je me suis dit que je pouvais toujours lire ce diptyque et voir de quoi il retournait. Si j'insiste pour vous raconter le caractère "hasardeux" de ma lecture c'est pour vous affirmer qu'il ne s'agit pas là d'une série traitant du sujet queer d'une quelconque manière et qui m'aurait déçue dans sa représentation. Non : je ne m'attendais sincèrement pas à ce qu'il soit question d'homosexualité dans cette histoire, et ai été tout de même frappée au visage de bon vieux stéréotypes nocifs. Le postulat, sans être révolutionnaire, était bon et aurait dû au moins rendre ma lecture agréable. Une jeune idole qui ne décolle pas, fille d'une magical girl à la retraite, qui se voit offrir de devenir magical girl à son tour par une fée aux allures de yakuza et qui se révèle devenir un grand gaillard baraqué aux muscles virils lorsqu'elle se transforme, ça sonne débile mais intriguant. Une parodie des codes de la magical girl, des combats absurdement violents (sans être graphiques, on nous suggère la violence plus qu'autre chose), un scénario volontairement mauvais, ... Pas nécessairement la meilleure recette mais des œuvres parviennent parfois à créer de l'or avec des postulats plus bancals. Ici, ça ne marche pas. Le scénario mal écrit, les enjeux qui n'ont jamais vraiment de poids, les apartés comiques qui devraient rajouter du rythme mais qui finissent par devenir brouhaha. Pas mauvais, j'aurais pu mettre un 2 s'il ne s'agissait que de ça. Une œuvre imparfaite mais tout de même divertissante. Mais. MAIS ! Il ne s'agit pas que de ça. Au delà de quelques remarques déplacées sur le côté "travelo" de cette magical girl (je cite), parce qu'après tout cela a au moins le mérite de ne pas être présent tout du long (maigre consolation mais on prend ce qu'on a), le récit nous propose l'un de mes clichés préférés : la lesbienne harceleuse. Notre magical girl sera rapidement suivie dans ses aventures par sa meilleure amie qui nourrissait pour elle jusque là un amour secret. Mais le secret désormais révélé, on ne la retient plus : ses instincts bestiaux reprennent le dessus et elle essaiera à chaque instant d'embrasser sa belle, d'observer sa culotte ou encore de lui montrer sa collection de photos d'elle prises à son insu. Comme quoi, lorsque la protagoniste crie à sa meilleure amie qu'elle ne souhaite pas être violée après que celle-ci lui ait déclaré sa flamme, comment lui donner tort ? Les actions de l'intéressée parlent d'elles-mêmes et donnent raison au discours. Bref, autant vous dire que cela m'a fait rapidement sortir du délire. Peut-être que sans ce propos désastreux j'aurais pu un peu plus rentrer dans le délire. Peut-être. Mais nous vivons dans un monde où l'œuvre existe telle quelle, alors "prout".
Genèses Apocalyptiques
Tout le sujet est dans le titre : l'album est une succession de génèses, de récits des origines du monde et de l'humanité, qui se termineront systématiquement de manière tragique ou déprimante (ou au mieux mystérieuse dans le cas du récit sur le secret de la mort). Chaque génèse présentée se centre sur un nouveau sujet : la quête de l'héroïsme, les questionnements métaphysiques, les constructions sociales, ... Mais tous ces récits sont unis par cette même narration pessimiste teintée de comique, par ce même dessin minimaliste ne servant qu'à illustrer les paraboles qui nous sont racontées. Intéressant, mais finalement assez oubliable. Je ne sais pas, je n'ai pas été transcendée par ma lecture. Mis à part le récit sur la mort et le philosophe et quelques jolies tournures de phrases par moment j'ai trouvé la lecture assez quelconque. Pas de grande prise de risque dans ces génèses, pas de discours novateurs non plus. J'ai vraiment eu l'impression d'avoir déjà/vu lu ce genre d'idées, ce genre de propos. Nul doute que Trondheim a placé ici ses pensées noires et pessimistes sur la nature humaine, et que les propos qu'il présente ici lui sont chers, mais je dois avouer qu'ils me paraissent également bien communs. Pas un mal en soi, mais si le but était de présenter une pensée originale, tenir un discours qui s'entend malgré tout très souvent n'est pas la meilleure manière. L'album reste bon, hein, mais pas transcendant pour autant.
Le Repos des guerriers
Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie. - Ce tome contient un reportage complet et indépendant de tout autre, réalisé par l’auteur, par le prisme de sa sensibilité propre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comporte quarante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc. L’association de Marseille Des livres comme des idées a proposé à Edmond Baudoin, une résidence dans le domaine du Capitaine Danjou. Il est là. Tout est propre, tirée au cordeau, à deux kilomètres de Puyloubier, un village des bouches du Bouches du Rhône, sous la montagne Sainte-Victoire. Petit-déjeuner 6 heures, déjeuner 12, dîner 18. Une chambre d’environ 12 mètres carrés, douche WC. Qu’est-ce qu’il fait là ? Invité 15 jours en juin 2023 dans un hôpital – une maison de repos – maison de retraite de la Légion étrangère. Vivre quinze jours avec des légionnaires anciens et nouveaux, faire leurs portraits, leur donner des cours de dessin, vivre avec eux. Et marcher sur les contreforts de Sainte-Victoire. Quand il commence la rédaction de ce livre, c’est le 1er novembre 2023. Des bombardements incessants tuent la population de Gaza. Une bande de terre de 41km et d’une largeur allant de 6 à 12km sur laquelle vivent environ 2 millions 300.000 habitants. Les pays occidentaux regardent ce massacre qui est un crime de masse, et laissent faire. Ce sera une honte de plus dans l’histoire des homo-sapiens. Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie. L’auteur continue pour donner la parole à des humains, à des vieux. Qui sont tous plus jeunes que lui (sauf Berthold). Berthold, 87 ans, réfléchit : Le monde ne tourne pas bien, il marche sur la tête. Il continue : Et à son âge, il n’a pas la réponse à comment il faudrait faire pour qu’il puisse tourner bien. Il termine avec une pirouette : Si on creuse, on tombe sur l’Australie, est-ce que les Australiens marchent sur les pieds ? Berthold est dans son lit. Il ne sort plus de sa chambre. On a dit à l’auteur que c’était une légende pour ses co-légionnaires. Le seize juin 2023, des Légionnaires à la retraite écoutent de la musique. L’interprète joue de plusieurs instruments. Son nom : Delphine Ragonot. Le réfectoire du domaine du Capitaine Danjou est aussi une galerie où on peut voir des affiches de films sur la Légion. Baudoin est étonné qu’il y en ait eu autant. Il n’en a jamais vu autant. Si l’on l’a lu, on sait qu’il se tient à l’écart des militaires. Mais il est ici pour rencontrer des hommes et des femmes, des infirmières, du personnel d’entretien, faire leurs portraits et l’échanger avec une réponse à : Dites-moi ce que vous voulez sur la vie. Rencontrer encore une fois des êtres humains, Baudoin estime qu’il a de la chance. La réponse Khristophe, soixante ans, à la question : La vie c’est bringuer, baiser, bagarrer. Il y a un grand domaine vignoble autour du domaine. La Légion fait du vin, et en est fière. Christophe, toujours valide, travaille à la vigne. La réponse de Sergiou, vingt ans, moldave, blessé lors d’un saut en parachute : La vie, c’est comme Game, il faut jouer joli. La réponse de Vadis, quarante ans : Il cherche la rigueur, la propreté et la clarté. Le lecteur jette un coup d’œil rapide à la couverture, et il se dit que cette fois-ci Edmond Baudoin est allé interroger des retraités, en plus que des hommes, pas sûr que ce soit très passionnant. Il commence sa lecture et tout de suite la perspective change : voilà ce bédéaste de quatre-vingt-deux en train de faire un séjour dans maison de retraite de la Légion étrangère. Mais qu’allait-il faire là-bas ? Certes, d’un côté il va à la rencontre de personnes qu’il ne connaît pas comme il en a pris l’habitude depuis des décennies, d’abord avec Troubs : des Mexicains à Ciudad Juarez dans Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), des Colombiens dans Le Goût de la Terre (2013), des Français, des Italiens et des immigrés clandestins dans Humains - La Roya est un fleuve (2018), des artistes indigènes dans Inuit (2023). Tout seul il est également allé à la rencontre des Grenoblois dans Grenoble en portrait(s) (2022), ou encore de Chinois dans Carnet chinois (20219). Ou encore des Gens de Clamecy (2017) avec Mireille Hannon. La démarche reste identique : poser une question à son interlocuteur, pour obtenir une réponse en échange d’un portrait réalisé par l’artiste. Comme d’habitude, le charme de Baudoin opère et les personnes lui répondent bien gentiment, avec une sincérité qui semble avérée. De prime abord, le lecteur est tenté de se dire que le bédéaste ne se foule pas trop, qu’il reste dans ce qu’il sait faire, pour réaliser une bande dessinée à moindre coût. Il a bien sûr conservé sa forme très libre : la reproduction des portraits réalisés, de rares phylactères, des images juxtaposées, sans bordure, à peine une bande dessinée en apparence. Il réalise toujours des dessins dans un mélange de coups de pinceau épais et irréguliers, et de traits encrés, parfois comme griffés sous l’impulsion du moment, parfois tracés avec application, et peaufinés. Il ne lui reste plus qu’à indiquer le prénom de chacun de ses interlocuteurs, leur âge (avec cette bizarrerie que tout en étant le plus vieux, il reste le plus autonome), la réponse à la question, une information souvent très succincte sur la personne rencontrée (le plus souvent uniquement son métier), et quelques réflexions comme ça en passant (par exemple mentionner les bombardements sur Gaza). Et hop ! le tour est joué : une bande dessinée d’une quarantaine de pages, prête à être livrée et publiée. Comme d’habitude, la magie narrative opère dès la première page. Ce phénomène si singulier se produit comme à chaque fois : le lecteur découvre une histoire, celle de l’humanisme de l’auteur qui lui permet d’établir un contact profond avec des êtres humains qu’il rencontre pour la première fois, et pour un laps de temps très court. Dans le même, il répète ce qu’il a déjà écrit dans un ouvrage précédent : Faire le portrait de quelqu’un, c‘est le regarder pendant près de vingt minutes dans les yeux, et elle, et lui le regarde pareillement dans le même temps, c’est beaucoup dans une vie. De fait chaque portrait est singulier : le dessin d’une tête, chaque fois incroyablement vivante, avec une personnalité unique, un tour de force. Il suffit que le lecteur s’arrête un peu pour considérer l’un de ces visages : un drôle d’assemblage de traits et de coups de pinceau, souvent disgracieux, sans chercher ni à faire joli, ni à plaire. Puis un mouvement de recul, et cet assemblage de lignes et de zones noires redevient un être humain animé de vie. Ces images incarnent littéralement la citation de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) : Ce dessin m'a pris cinq minutes, mais j'ai mis soixante ans pour y arriver. Le lecteur se délecte tout autant des paysages : la vue depuis le couloir de la résidence, l’atelier de céramique, une marche dans la nature, le château du Capitaine Danjou, et bien sûr des arbres (spécialité de l’artiste), y compris une récolte de branchages, d’écorces, de brindilles. À la réflexion, l’admiration et le respect du lecteur pour l’auteur grandissent encore : non seulement Baudoin est sorti de sa zone de conforts en posant sa question à des militaires de carrière endurcis, mais en plus il a conservé toute sa capacité d’écoute. À quatre-vingt-deux ans, son esprit a conservé assez d’agilité pour ne pas être fossilisé sur des idées définitives, encore moins réactionnaires ou cyniques : il se montre capable de recevoir la parole d’autrui, de la retranscrire en l’état, et de faire preuve d’empathie. Il conclut même son ouvrage en écrivant qu’il a de la chance d’avoir, encore une fois, été en présence de l’humanité, avec son intelligence, avec sa complexité. Cet artiste est un véritable amoureux des êtres humains, quand bien même ils ont choisi un engagement qui lui répugne. Il n’y a qu’une seule fois où la réponse le met mal à l’aise. Kaiser (c’est un surnom) vingt-sept ans répond qu’il est d’origine allemande, que son grand-père a fait l’armée dans les SS, que son rêve était que son petit-fils suive son exemple. Il conclut en disant que c’est pour cela qu’il s’est engagé dans la Légion étrangère. En aparté, Baudoin se dit qu’il s’est trompé sur le lieu de son engagement. L’auteur explique qu’il est né en 1942, que quand il était jeune, ça lui semblait impossible que l’extrême droite puisse un jour, à nouveau, exister. Après ce portrait, il lui a fallu aller se laver en marchant dans la nature et jouer avec Cézanne. Edmond Baudoin rencontre des personnes qui l’étonnent : profondément humaines, sans rapport avec ce qu’il pouvait imaginer de militaires de carrière. Cela l’amène à se faire des réflexions de différents ordres. Il y a bien sûr la réalité de la guerre, il évoque le massacre de Gaza, qui induit la nécessité de l’existence d’armées pour pouvoir se défendre, composée d’hommes comme ceux qu’il rencontre. Il relate également le fait qu’il donne des cours de dessins : lors de cette résidence, il a proposé le même cours aux résidents légionnaires et à des enfants dans une école de Puyloubier. Il a été étonné de la similitude des dessins réalisés à partir des propositions de branchages, d’écorces, de brindilles semblables. Ce trait d’union entre deux mondes lui a fait constater que le sentiment que l’on éprouve quand on regarde la nature est le même si on a les yeux neufs d’un enfant ou ceux d’un homme qui a vu mille nuits. Plus loin, il s’interroge : Depuis ou quand les armes, le pouvoir, la maîtrise ont fait bander les hommes ? Et pourquoi ? Parce qu’ils sont faibles ? C’est sexuel, sûr. Mais pourquoi cette sexualité de merde fascine beaucoup de femmes ? Quand est-ce qu’on en sortira ? Cela l’amène au fait qu’il a toujours préféré la compagnie des filles à celle des garçons, peut-être parce que les filles ne le mettaient pas en situation de compétition. Plus tard il a compris que si la plupart des filles n’avaient pas besoin de compétitions c’est parce qu’elles détenaient la vie. La possibilité de la récréer à l’intérieur de leur corps. […] Jusqu’au jour où il a vu la photo d’une femme de l’armée des États-Unis au-dessus d’hommes nus, des Irakiens qu’elle torturait en compagnie d’autres brutes. Cette femme a tué son rêve : celui que la femme pouvait être l’avenir de l’homme (Louis Aragon). Une BD de plus de cet auteur ? Oui, de nouvelles rencontres pour continuer à dire la vie. Une maestria aussi bien graphique qu’empathique, pour rendre compte de ces êtres humains uniques, vivants, façonnés par leur vie si différente de celle de l’artiste, avec pour autant des rêves et des aspirations si proches. Le lecteur rend grâce à l’artiste de lui avoir fait rencontrer ces hommes et ces femmes, en toute sincérité, pour un moment vrai et honnête. Miraculeux.
Fleur
Une trilogie imposante en termes de pagination, mais qui se lit relativement rapidement. D’abord parce que nombreuses sont les pages muettes (le premier album de plus de 400 pages l’est même totalement), mais aussi parce que le texte est globalement peu présent, et que l’intrigue n’est pas très fouillée. Ce premier tome justement, est assez déroutant. Totalement muet, il bénéficie d’un dessin au trait nerveux, au rendu parfois proche de la gravure, mais qui n’est pas toujours très lisible (difficulté accentuée parfois par un découpage des cases qui m’a un temps laissé perplexe quant à l’ordre de leur lecture). En tout cas, par-delà ces difficultés de lecture, c’est d’emblée très noir, centré sur l’horrible occupation japonaise de la Corée durant la seconde guerre mondiale. Les deux tomes suivant se déroulent durant la guerre de Corée quelques années plus tard (la fin du troisième boucle la boucle, puisque nous retrouvons le vieil homme croisé au début, dans une prison, l’ensemble se présentant donc comme une sorte de flash-back, de rêves/cauchemars éveillés, d’une génération sacrifiée par les conflits). Ces deux derniers tomes sont davantage colorisés, il y a des dialogues, c’est un peu plus simple à suivre. Le dessin reste brouillon, pas inintéressant, mais le rendu « gravure » est moins présent. Ça reste en tout cas violent et noir. Reste que la narration est encore confuse, qu’on s’attache plus à la violence générale subie par les Coréens qu’aux personnages en particulier. Toutefois, au milieu de la violence et d’une ambiance très noire, l’auteur parvient tout de même à glisser quelques notes d’espoir, un peu de poésie (les rapprochements furtifs entre soldats des deux Corée, le personnage du peintre/dessinateur, le gamin au lance-pierre – par ailleurs un peu soulant parfois, etc.). Note réelle 2,5/5.
Gunnm
Gunnm est un monument du manga, un incontournable de la SF. Aussi, je m'y suis plongé l'été dernier. Avec le regret de n'y trouver qu'une série ado d'action/SF avec ici ou là des thématiques intéressantes, mais traitées dans la plus grande confusion. Côté rythme, c'est également inégal : la frénésie de certains passages laisse place à des rajouts narratifs des plus artificiels, à des transitions souvent abruptes. Il est plus intéressant de constater que malgré ces défauts, cette série est parvenue à imprégner un imaginaire collectif en usant de figures qu'elle a su transcender sinon incarner, notamment visuellement : le chasseur de primes, le motorball (variante des rollerball, speedball, Mécanique céleste, rugball de Cobra...), la décharge, la combattante "badass", la ville cyberpunk, etc. Bien trop inégal, Gunnm ne mérite pas son aura. Mais ses qualités sont réelles.
De pierre et d'os
Cette adaptation me permet de découvrir Krassinsky. Le sujet est beau : le quotidien des Inuits, leur lutte pour la survie, leur organisation sociale et notamment la condition des femmes, leurs traditions et croyances, leur rapport à la nature et à la faune environnante. Le style graphique l'est également : de tendres couleurs à l'aquarelle, un trait rond assez expressif, une économie de mots pour magnifier les cases amples et la mise en page dynamique. Pour autant, la magie n'a pas opéré et la distance entre cette culture et la mienne est demeurée profonde. Le sujet du viol m'interpellait, mais je n'ai pu comprendre comment cet accommodement forcé de l'héroïne a pu dévier vers un banal refoulement (en 2025, il n'est plus possible pour le narrateur de prendre autant de distance avec cet événement, de s'en tenir aux agissements certes plausibles et vraisemblables de son héroïne-victime). Cette distance se retrouve également lors des chants chamaniques qui n'atteignent pas la poésie espérée. Une jolie saga, un sujet rare, mais un regard absent proposant du descriptif quand de la vie et des destins étaient espérés.
Les Gorilles du Général
Premier tome d'une série de divertissement et d'action sur les gardes du corps du Général de Gaulle, classée parmi les meilleures ventes du moment. Du bel ouvrage au niveau des illustrations. L'on replonge parfaitement dans la France fantasmée de l'après-guerre, celle que le cinéma d'Audiard, Lautner, Sautet, etc., des "gueules" à la Blier, Belmondo, Ventura, Montand... ont cristallisée. Les décors, rues, voitures, aménagements des intérieurs, les personnages historiques, bref l'ensemble des éléments graphiques nous replonge dans les trente glorieuses. Dorison sait de son côté maintenir le rythme, ajouter de l'humour, et cela malgré un projet qui ne vise pas particulièrement l'action pure (ce n'est pas du Largo Winch), plutôt le descriptif d'un quotidien, qui nous mènera néanmoins aux premières loges lors de l'attentat du petit Clamart. L'inconvénient de cette BD par ailleurs de belle qualité, réside dans son positionnement historique : je ne suis nullement gêné par le fait que des éléments de pure fiction s'ajoutent très régulièrement (concernant le quotidien des gorilles, des relations entre eux, leur vie de famille, etc.), pas non plus par le point de vue sur la période et les personnalités (très gaulliste), davantage par le fait que celui-ci ne dit absolument pas son nom et se présente sous des atours historiques. Par ailleurs, les relents racistes du point de vue anti-algérien me gênent sensiblement, tandis que la torture de nos bons soldats français en Algérie est pour le moment oubliée. BD agréable à lire, mais laissant un arrière-goût bien amer en bouche.
Les Aventures de Lapinot
Retour chez Dargaud pour Trondheim, engendrant l'arrêt des Nouvelles aventures de Lapinot et le lancement de cette "Aventure de Lapinot dans une situation pas possible". Aucune véritable rupture néanmoins hormis ce changement d'éditeur. Je ne sais si l'impulsion et l'inspiration s'étaient quelque peu taries dans les locaux de L'Association, je constate modestement que la qualité était moindre depuis que les aventures avaient perdu en formidable, davantage la faute selon moi à des scénarios souvent bien maigres, que l'auteur parvenait néanmoins à sublimer via des illustrations chaleureuses et sympathiques associées à un réel talent de dialoguiste. Le scénario de ce premier tome est totalement rocambolesque et eut pu être écrit par l'inénarrable personnage de Richard. Peut-être un moyen pour l'auteur de personnifier une liberté éditoriale retrouvée, pour un résultat que L'Association aurait néanmoins sans doute validé, tant il s'inscrit dans une continuité. C'est toujours très agréable à lire, un divertissement humaniste discourant sans véritable revendication ni accusation sur nos sociétés contemporaines. Mon point de vue sur les Nouvelles aventures est encore d'actualité pour cette aventure-ci, pas de baisse de régime selon moi (manque d'objectivité, horizon d'attente préparé par l'avis de Tomdelapampa ?).