Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe.
Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre.
Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot).
Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc.
Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
C’est une histoire qui se déroule dans un lieu indéfini. Ou plutôt dans un enfer difficile à localiser. Situé le long du Styx (ce qui le relierait au monde grec antique, Charon est aussi évoqué en fin d’album), avec des décors et des ruines grandioses qui ont, elles, des allures plutôt médiévales.
Nous visitons cet espace en suivant l’héroïne, Héloïse (ici accompagné du seul autre personnage identifié, Hector), comme Dante usait de Virgile comme guide dans sa Divine Comédie.
Pour le moment l’intrigue garde une grande part de mystère, je ne sais pas trop où Snö (auteur que je découvre ici) veut nous amener, à la suite d’Héloïse, sa mission n’étant pas très claire.
La colorisation très sombre, les décors crépusculaires des ruines infernales (certaines cases m’ont fait penser à ce que Bec a pu représenter dans Sanctuaire), les monstres hideux et mystérieux qui hantent ces paysages désolés, tout relève davantage du fantastique que de la Fantasy, quand bien même elle serait « dark » (c’est en tout cas dans cette catégorie que j’aurais classé la série – sous réserve des développement ultérieurs).
C’est un tome introductif plutôt taiseux, qui se laisse lire. Mais j’attends la suite pour me faire une idée précise. Dans tous les sens du terme, il y a encore trop de zones d’ombre.
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici.
Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition.
D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée.
Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus.
Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération…
Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !
J'avais bien aimé la suite de cette série sur les nouveaux pères. Malheureusement je me suis senti bien moins impliqué dans la lecture proposée par les autrices. Pourtant la thématique de la parentalité est un sujet qui me touche beaucoup mais je suis resté extérieur à nombre des thématiques exposées.
Gwendoline Raisson utilise pourtant un angle d'attaque intéressant en soulignant que la maternité n'est pas toujours ( souvent ?) un long fleuve tranquille. Même si l'autrice balaye de nombreux sujets j 'ai trouvé le schéma répétitif. L'humour est présent via le graphisme de Magali Le Huche ( que j'apprécie beaucoup) mais là encore j'ai à peine souri.
Personnellement je le vois comme un rendez-vous manqué. Je reste sur la même note mais ici c'est un petit 3
Je suis passé à travers la polémique qui a secoué le monde littéraire et historique en 1996 à la suite des Révélations du Guardian sur la liste d'Orwell.
Hernandez replace à sa juste place cet "événement" en l'intégrant dans une biographie passionnée qui fourmille de détails signifiants. La part de la fameuse liste ne représente qu'une infime partie du récit. Cette liste tient plus du secret de polichinelle pour les noms cités. Elle n'a d'ailleurs eu aucune répercussion sur les uns ou les autres et est issue d'une discussion avec une amie appartenant à la cellule de propagande antisoviétique. Je ne dévoilerai pas la teneur des propos de Hernandez mais il montre comment certains média se sont jetés sur cette info sans prendre le temps du discernement, comme un vieux règlement de compte d'une cinquantaine d'année à solder.
Pour le reste, c'est à dire l'essentiel de la série Carlos Hernandez propose une biographie chronologique très détaillée qui met toujours en valeur les contextes sociétaux de l'époque qui expliquent le cheminement intellectuel et psychologique de l'auteur de "1984".
Comme je n'avais jamais lu de biographie de George Orwell cette série a été une mine d'informations, pour la plupart très intéressantes. Pourtant j'avais peur que l'auteur s'enlise dans des digressions qui alourdissent le récit. C'est d'autant plus vrai que la voix off est omniprésente puisque Hernandez a choisi de laisser son personnage muet! Une bio chronologique pas à pas et une voix off très présente sont deux paramètres qui peuvent rendre la lecture vite lassante. Ce n'est pas du tout le cas ici.
En effet Hernandez se met en scène à de très nombreux endroits comme présentateur décalé ou comme acteur de la création du récit. Cela donne beaucoup de rythme à la narration qui s'appuie sur les épisodes les plus signifiants du parcours de l'écrivain ( Birmanie, Guerre d'Espagne ...) expliquant ainsi son aversion pour le régime stalinien dès la fin des années 30.
En mêlant habilement l'intime et l'historique, Hernandez réussit très bien à dévoiler la logique , la cohérence et la complexité de l'homme Orwell.
Le graphisme est moderne ajoutant une touche d'humour , de doutes ou d'autodérision dans la narration. J'ai beaucoup aimé la recherche des détails dans les arrières plans. Hernandez travaille souvent avec une vision didactique sans être pesant. C'est du beau travail.
Une lecture très intéressante qui dépasse la simple biographie pour proposer un travail sur la vérité historique au niveau d'un artiste qui a eu une profonde empreinte sur l'après guerre.
Un autre one-shot de Tronchet sympathique à lire à défaut d'être extraordinaire.
L'album peut se diviser en deux parties, l'une qui montre la vie quotidienne de notre anti-héros humoriste et la deuxième où il va faire une quête pour découvrir un secret de famille. C'est pas mal même si j'ai trouvé qu'il y avait un peu des longueurs. On retrouve des thèmes chers à l'auteur comme le fait d'être angoissé à l'idée de se retrouver à une réunion de famille ou dans une soirée mondaine et aussi la gène lorsqu'on fait un bide en public. J'ai bien aimé aussi comment l'humoriste analyse l'humour et ce qui fait ce qui est drôle ou non. Pour moi ce sont les meilleurs moments de l'album avec l'incident qui va faire en sorte que notre humoriste sur de lui va finir par perdre tout confiance en lui-même.
J'ai un peu moins aimé lorsque l''humoriste va se lancer dans une quête pour savoir ce qui lui est arrivé dans son enfance lors d'une année dont il ne se souvient pas. Le scénario devient un peu plus convenu, les recherches sont quand même un peu trop faciles à mon gout et aussi les scènes émouvantes ne m'ont pas trop touché. Cette partie se laisse lire, mais elle fait en sorte que je ne mets pas cet album parmi les meilleurs de Tronchet alors que j'aime bien la première partie.
Un album qui s'adresse avant tout aux fans de Tronchet, les autres vont voir un intérêt limité dans cet album.
La partie rédactionnelle est vraiment bien faite avec Tronchet qui raconte sa vie et balance des anecdotes savoureuses. La partie BD est un peu moins bien, en partie parce que l'auteur va jusqu'à montrer des œuvres qu'il a fait enfant ! Ça a tout de même prit une bonne vingtaine de pages avant de trouver du contenu BD intéressant, une grande partie étant des illustrations de Raymond Calbuth ou de Jean-Claude Tergal, les deux personnages cultes de l'auteur. En dehors de ça, il y a l'histoire avec un auteur qui va à Fluide Glacial avec sa maman que je trouve un peu touchante et les gags en bonus avec un patron et un ouvrier qui m'ont fait sourire et qui possèdent l'humour un peu con qu'on retrouve dans certaines séries de Tronchet.
Donc voilà un album dont une bonne partie des bds m'ont tout de même paru au mieux moyenne. Un autre truc que je n'ai pas trop aimé c'est qu’on n’a pas de dates de publications. C'est clair qu'une bonne partie du matériel est paru dans Fluide Glacial, mais on ne sait pas quand !
Un album sur les usines-couvents au début du XXe siècle, on va y découvrir l'industrie de la soie dans la Drôme provençale.
Le contexte historique est bien retranscrit, même si j'aurais aimé en savoir beaucoup plus sur cette activité qui a depuis périclité en France.
Un récit très classique avec d'un côté les patrons et de l'autre le monde ouvrier, avec en toile de fond une romance entre le fils cadet du patron qui revient de prison (pour couvrir l'aîné), et Henriette une de ces jeunes filles exploitées par la famille Bouscaret. Des personnages stéréotypés mais sympathiques.
Une bonne critique de la société de ce début de XXe siècle, malgré son côté un peu caricatural.
Une lecture instructive.
Le dessin et les couleurs sont agréables à regarder. J'ai particulièrement apprécié les décors, un peu moins les personnages.
Une scénographie très basique.
Une lecture recommandable.
Dans un monde ravagé par les excès humains, la Terre est devenue un désert. Les survivants vivent reclus dans des villages fortifiés, dépendants des rares sources d'eau restantes. La forêt voisine, désormais toxique pour l'homme, est considérée comme interdite. Pourtant, certains continuent à vouloir la protéger. C'était le cas de la grand-mère de Ruby, disparue sans laisser de traces. Ruby décide alors de désobéir au conseil autoritaire de son village pour partir à sa recherche et percer les mystères de cette nature mutante.
Malheureusement, l'album aligne les stéréotypes sans subtilité, jusqu'à en devenir franchement agaçant.
Le point positif : le dessin des personnages, dynamiques et bien maîtrisés, même si certains traits se répètent. Les décors, eux, manquent de richesse et ne retiennent pas l'attention.
L'intrigue, quant à elle, semble construite en piochant dans tout ce que le genre post-apo peut offrir de plus convenu, sans rien y apporter. On pense évidemment à Nausicaä, mais aussi à une myriade d'autres récits écologistes déjà vus mille fois. Tout y est : les dirigeants bornés accrochés à leur pouvoir, l'héroïne rebelle et impulsive, la figure de la grand-mère visionnaire, le garçon mystérieux et potentiellement traître, les brutes qui veulent écraser la nature, et les nobles créatures de la forêt qui cherchent seulement à survivre.
Le tout repose sur des ficelles grossières, des retournements prévisibles et des comportements incohérents. La conclusion de l'affrontement final, notamment, se construit sur une fausse surprise qui ne tient pas une seconde dès qu'on y réfléchit. Ruby elle-même est souvent pénible : elle méprise ouvertement les siens et se montre agressive envers un jeune homme dont elle ignore tout, mais qu'elle soupçonne immédiatement des pires intentions. Tout cela sonne faux, forcé, artificiel.
Reste un récit qui peut vaguement divertir, mais son manque d'originalité et ses incohérences écrasent trop les quelques bons éléments pour vraiment convaincre.
On sert un roi lointain pour gagner une misère…
-
Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1995. Il a été réalisé par Hugo Pratt (1927-1995) pour le scénario et par Milo Manara pour les dessins, Christine Vernière pour les couleurs, Pomme Verte pour le lettrage. Avant d’être rassemblées en album, ces planches ont été publiées dans les numéros 179 à 184 de la revue (À suivre) entre décembre 1992 et mai 1993. L’album comprend cent-vingt-huit pages de bande dessinée. L’ouvrage s’ouvre avec un texte de Vincenzo Mollica évoquant la relation et la collaboration entre les deux auteurs., agrémenté d’une lettre de Pratt à Manara et de quelques croquis préalables de Pratt. Puis vient un texte de Michel Pierre qui apporte des éléments de contexte historique, en particulier sur le parcours de Tom Browne (le personnage principal du récit), sur l’armada de navires des Britanniques, sur la place de la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’impérialisme anglais, l’opposition entre les loges d’obédience britannique et celles plus révolutionnaires animées par des Français (Indépendance de la Croix du Sud), et enfin les promesses d’affranchissement et de liberté pour les esclaves noirs des riches plantations. Il s’agit de la deuxième collaboration de ce duo de créateurs, après Un été indien (1987), Alfred du meilleur album étranger au festival d'Angoulême 1987.
Quelque part en Argentine en 1890, une troupe de soldats se dirige vers un groupe de tentes précaires au beau milieu d’une grande prairie. Le cavalier de tête annonce qu’ils arrivent à la Tolderia de Namuncura. Le gradé remercie son sergent et annonce qu’il est temp d’œuvrer pour la patrie. Le chef de tribu indique aux Indiens que c’est la fin, que ceux qui veulent partir le fassent maintenant. Lui reste ici avec Paraun. Tous les autres partent. Le commandant du détachement ordonne que personne ne tire sans son ordre. Arrivé devant les tentes, il descend de cheval et s’annonce : il est le capitaine Chiclana. Il est accueilli tranquillement par Manuel, l’Indien qui est resté. Le capitaine lui annonce qu’il va devoir le suivre jusqu’au fort, ce qu’accepte son interlocuteur en précisant qu’il viendra seul. Ce dernier propose que le capitaine entre dans la tente, pour qu’ils prennent un maté, éventuellement manger un chien si les soldats en attrapent un.
À l’intérieur, Manuel présente un vieil homme assis en tailleur : Paraun, un vieux de cent ans qui a encore toutes ses dents. Il fait observer que Paraun est huinca, comme le capitaine, un blanc et chrétien. Chiclana demande à Hermosid de venir, de prendre note qu’aujourd’hui dans la Tolderia du cacique Namuncura, ils ont trouvé un vieillard de race blanche. Puis il retourne à l’extérieur pour discuter avec Manuel. Le soldat entame la conversation avec le vieillard en lui demandant son nom. Ce dernier répond : Tambour, Tom Browne, du 71e chasseurs écossais sous le commandement du général William Carr Beresford. Il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-1807, à l’époque il avait seize ans. À bord d’un navire militaire, deux gradés, un Anglais et un Écossais, observent la ville de Buenos Aires : pas de mouvement de troupes en vue. Ils sont ici pour combattre les Espagnols.
Deuxième collaboration entre Pratt & Manara : la scène d’ouverture plonge le lecteur dans un endroit non précisé, au milieu d’un troupe de soldats portant un uniforme spécifique, sans que le pays ne soit explicité. Il lui faut donc être attentif pour relever les bribes d’information qui lui permettront d’établir contexte. Le vieil homme indique qu’il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-07, et qu’il avait seize ans, qu’il en a maintenant cent. Le très jeune soldat évoque le temps des invasions anglaises, ce à quoi Tod Browne parle du Río de la Plata devant Buenos Aires. En fonction de sa culture, le lecteur identifie alors le contexte historique, ou il peut aller se renseigner. Il s’agit de la prise de Buenos Aires lors des invasions britanniques du Río de la Plata, opération débutée en 1806. Ainsi au clair sur le contexte historique, il se trouve à même de situer les personnages apparaissant au fur et à mesure, sans être présentés : Home Riggs Popham (1762-1820) amiral britannique, Rafael de Sobremonte (1754-1827) vice-roi du Río de la Plata, William Pitt (1759-1806) premier ministre du Royaume-Uni, William Carr Beresford (1768-1854) commandant de l’armée britannique, et certains dont il est simplement fait mention comme Jacques de Liniers (1753-1810) Français succédant à Sobremonte en tant que vice-roi du Río de la Plata.
S’il a pris soin de lire le texte introductif de Michel Pierre, bien lui en a pris car ainsi averti, le lecteur en vaut deux et se trouve à même de comprendre l’échange inattendu sur l’influence des différentes Loges maçonniques présentes dans cette région du monde. L’autre thème majeur développé dans cette introduction concerne la liberté potentielle des peuples autochtones, et il s’apprécie par lui-même au cours de la lecture. Le récit commence avec la découverte d’un centenaire en bon état de santé, et il a encore toutes ses dents. Le lecteur peut imaginer qu’il va découvrir toute sa vie à travers le dix-neuvième siècle, ou qu’il s’agit du premier tome de ce qui aurait pu être une série au long cours. Les décennies ayant passé depuis sa parution, il sait qu’il s’agit d’une histoire complète et indépendante et il comprend vite qu’elle est focalisée sur la fin de l’année 1806 et l’année 1807. Après dix pages d’entrée en matière en 1906, il se retrouve sur le navire amiral de la flotte britannique, en tant que témoin privilégié de la discussion entre amiraux, pour enfin sortir sur le pont et faire connaissance avec les personnages principaux : un tambour de l’armée Tom Browne, un matelot bossu Matthew Falcon et une prostituée Molly Malone. Comme dans Un été indien, l’aventure souffle sur l’intrigue : siège d’une capitale, voyages en mer, séjour dans la jungle, filles faciles dansant la gigue ou le reel, pratiques vaudous, amour impossible entre individus de classes sociales trop éloignées, violences faites aux femmes, duels entre hommes, bataille rangée, jugement expéditif, etc. Aussi bien le scénariste que le dessinateur s’en donnent à cœur joie dans ces péripéties souvent cruelles et adultes.
En fonction de son inclination, le lecteur ressent plus d’intérêt pour l’histoire d’amour, ou pour la reconstruction historique, ou encore pour la manière dont les forces systémiques façonnent et contraignent les individus, et broient certaines catégories, à commencer par les faibles, que ce soient les esclaves, les peuples indigènes ou les femmes. Comme dans Un été indien, Manara s’astreint à une réelle discipline pour donner à voir ces aventures, sans se reposer sur l’érotisme qu’il maîtrise et qui a fait sa renommée. Le lecteur se trouve à la fête à chaque page. Pour les environnements, que ce soient les navires ou les paysages : les magnifiques trois-mâts de la marine britannique ancrés dans le Río Plata, les salons intérieurs où les gradés s’installent confortablement dans des fauteuils élancés, ou dans les cales sommaires où se trouvent les prostituées, sur le pont avec les cordages et les réas, sur un large fleuve s’enfonçant dans la jungle avec des nuées d’oiseaux, une mangrove, une grange dans la jungle abritant une cérémonie de Candomblé, dans la riche propriété des Perdiel, dans la campagne argentine, dans les rues de Buenos Aires lors de l’attaque, au pied d’un gibet, et de retour dans la tente des Indiens. Pour les personnages : le trait fin et délicat de l’artiste fait des merveilles pour décrire dans le menu détail les tenues vestimentaires aussi bien les uniformes que les toilettes féminines, pour donner vie aux personnages, aussi bien dans les combats que lors des danses, pour les faire habiter chaque endroit avec un naturel remarquable.
Le lecteur constate également que le scénariste a densifié son propos. Il laisse régulièrement les dessins porter la narration : la cérémonie Candomblé et le massacre qui s’en suit, la danse des prostituées pour les matelots avec le joueur de cornemuse, le viol abject d’Aureliana Perdriel, la prise de Buenos Aires. Il a l’art et la manière de doser les dialogues dans les phylactères pour conserver la fluidité de la lecture. Au-delà des péripéties et des événements historiques, il met en scène comment les puissants de ce monde règnent sur les sous-fifres dans une société de classe, où les uns se partagent les richesses du monde, et les autres souffrent. Les Indiens évoquent effectivement les promesses de liberté faites par les uns et les autres, et les retours de bâton probables qui rendent cette promesse non seulement illusoire, mais aussi dangereuse. Il montre à quel point la vie n’est pas juste : que ce soit pour l’homme né bossu et considéré comme un sous homme, ou pour les femmes subissant la violence et la bestialité des hommes, pour les populations autochtones soumises au joug des colons. Il termine son récit avec l’iniquité de la justice des hommes renforçant encore l’injustice intrinsèque de chaque vie, en fonction des conditions de sa naissance, des aléas des rencontres, des grands mouvements sociétaux et historiques.
Après le souffle de l’aventure d’Un été indien, le lecteur retrouve avec un plaisir anticipé la narration visuelle exquise, pleine de saveurs et élégante de Manara, à la fois canalisée dans la structure d’une solide intrigue, à la fois aiguillonnée par les tribulations et les rebondissements. De son côté, Pratt cède à ses habitudes : un contexte historique précis et savant, mais guère explicité, un regard perçant sur la condition humaine, et la portion congrue du libre-arbitre. Des aventures de haute volée.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Adieu mon royaume
Voilà un album qui s’adresse avant tout aux lecteurs amateurs de récits contemplatifs, où une narration langoureuse pleine de poésie – un chouia littéraire – remplace l’action et les méandres d’une intrigue complexe. Pas de dialogue donc, une narration en voix off (chaque personnage au centre des différents chapitres nous raconte son histoire, ce qui le lie au « royaume »). Une intrigue qui est à la fois envoûtante, mais aussi obscure. Intrigante, sans forcément fournir toutes les clés. Mais rien de frustrant ici, car ce récit est agréable à suivre. Il l’est d’autant plus que le travail graphique de Marcel Shorjian (auteur que je découvre ici) est original et lui aussi captivant. Un trait stylisé, plutôt statique, chaque personnage étant comme l’incarnation d’une carte de Tarot (et les têtes de chapitre, donnant le nom du personnage qui en sera au cœur, sonnent comme les noms de cartes de Tarot). Et la colorisation (une bichromie différente pour chaque personnage/chapitre) est elle aussi agréable. Ce beau travail graphique est mis en valeur par le très bon travail éditorial (couverture épaisse avec dos toilé, papier épais, etc. Un chouette album, original, que j’ai pris plaisir à parcourir.
Abyss
C’est une histoire qui se déroule dans un lieu indéfini. Ou plutôt dans un enfer difficile à localiser. Situé le long du Styx (ce qui le relierait au monde grec antique, Charon est aussi évoqué en fin d’album), avec des décors et des ruines grandioses qui ont, elles, des allures plutôt médiévales. Nous visitons cet espace en suivant l’héroïne, Héloïse (ici accompagné du seul autre personnage identifié, Hector), comme Dante usait de Virgile comme guide dans sa Divine Comédie. Pour le moment l’intrigue garde une grande part de mystère, je ne sais pas trop où Snö (auteur que je découvre ici) veut nous amener, à la suite d’Héloïse, sa mission n’étant pas très claire. La colorisation très sombre, les décors crépusculaires des ruines infernales (certaines cases m’ont fait penser à ce que Bec a pu représenter dans Sanctuaire), les monstres hideux et mystérieux qui hantent ces paysages désolés, tout relève davantage du fantastique que de la Fantasy, quand bien même elle serait « dark » (c’est en tout cas dans cette catégorie que j’aurais classé la série – sous réserve des développement ultérieurs). C’est un tome introductif plutôt taiseux, qui se laisse lire. Mais j’attends la suite pour me faire une idée précise. Dans tous les sens du terme, il y a encore trop de zones d’ombre.
Rust River City
S’il y a bien une chose que j’aime par-dessus tout, c’est de me laisser embarquer dans une histoire que mes a priori, parfois pour d’obscures raisons, m’empêchaient d’empoigner. C’est le cas avec ce premier tome signé Joe Daly dont j’appréciais pourtant le travail jusqu’ici. Quand mon fournisseur de BD m’a fait l’article de Rust River City, il y avait une petite partie de mon cerveau qui se méfiait, sans réel motif. Il se trouve que l’occasion m’a été donnée de la lire dans le cadre de mon boulot, et je suis emballé, au point que j’envisage d’en faire l’acquisition. D’abord, il y a le dessin, ici indissociable des couleurs, audacieuses, crépusculaires. Il se dégage une ambiance forte qui confère à cette histoire finalement très terre à terre un petit quelque chose d’irréel, voire carrément hypnotique. Cette impression se confirme lorsque l’on referme ce premier volume. En effet, la fin laisse entendre que la suite ouvrira sur quelque chose d’autre, quelque chose de tout à fait différent. En tout cas, cela augure d’une suite truculente, et ma curiosité a été on-ne-peut-plus aiguisée. Pourtant, ce n’était pas gagné. Après quelques pages un peu plan-plan, je me suis laissé cuire à petit feu. Sans doute fallait-il ce temps d’adaptation car le ton est particulier. Et l’histoire l'est tout autant. Tout est baigné d’un esprit typiquement « indé ». Des références filmographiques n’ont cessé de me chatouiller, et non des moindres. On songe en effet au cinéma de Sean Baker (le film Tangerine notamment pour son atmosphère et ses dialogues), à des films tels que War Pony de Gina Gammell et Riley Keough, 90’ de Jonah Hill, ou bien encore au cultissime Big Lebowski qu’on ne présente plus. Les dialogues, dont les pavés de textes peuvent rebuter (ce qui a sans doute joué dans mon cas), sont bons, néanmoins très crus, voire vulgaires, mais souvent drôles. Le scénar prend son temps pour se déployer, mais c’est aussi ce qui permet de se sentir en intimité avec les personnages qui, pour certains, en deviennent même sympathiques. C’est le cas notamment du héros, Dean, un ouvrier vétéran du Viêt-Nam, que sa détestation pour les asiatiques rend pourtant très antipathique. Mais on finit par entrevoir son côté humain, touchant, mal assuré et même sensible… Même les ados, dont les aventures occupent de nombreuses scènes parallèles à celle de Dean, deviennent proches du lecteur alors que certains d’entre eux sont franchement cons. Le plus étonnant dans cette BD, c’est que l’histoire se déroule dans un contexte d’une affligeante banalité : ville sordide, contexte très actualisé (même si se déroulant à l’époque de la cassette vidéo) sur fond de marasme économique et de chômage, de racisme, de masculinisme en fin de règne, mais également de ce sentiment de perdition de la jeune génération… Bref ! C’est une lecture tout à fait singulière qui me fait patauger dans l’impatience. Vivement le tome 2 qui sera aussi la conclusion et promet de basculer vers un truc qui pourrait bien prendre un détour complètement fantastique. Un coup de cœur tout à fait inattendu !
Mères anonymes
J'avais bien aimé la suite de cette série sur les nouveaux pères. Malheureusement je me suis senti bien moins impliqué dans la lecture proposée par les autrices. Pourtant la thématique de la parentalité est un sujet qui me touche beaucoup mais je suis resté extérieur à nombre des thématiques exposées. Gwendoline Raisson utilise pourtant un angle d'attaque intéressant en soulignant que la maternité n'est pas toujours ( souvent ?) un long fleuve tranquille. Même si l'autrice balaye de nombreux sujets j 'ai trouvé le schéma répétitif. L'humour est présent via le graphisme de Magali Le Huche ( que j'apprécie beaucoup) mais là encore j'ai à peine souri. Personnellement je le vois comme un rendez-vous manqué. Je reste sur la même note mais ici c'est un petit 3
La liste d'Orwell
Je suis passé à travers la polémique qui a secoué le monde littéraire et historique en 1996 à la suite des Révélations du Guardian sur la liste d'Orwell. Hernandez replace à sa juste place cet "événement" en l'intégrant dans une biographie passionnée qui fourmille de détails signifiants. La part de la fameuse liste ne représente qu'une infime partie du récit. Cette liste tient plus du secret de polichinelle pour les noms cités. Elle n'a d'ailleurs eu aucune répercussion sur les uns ou les autres et est issue d'une discussion avec une amie appartenant à la cellule de propagande antisoviétique. Je ne dévoilerai pas la teneur des propos de Hernandez mais il montre comment certains média se sont jetés sur cette info sans prendre le temps du discernement, comme un vieux règlement de compte d'une cinquantaine d'année à solder. Pour le reste, c'est à dire l'essentiel de la série Carlos Hernandez propose une biographie chronologique très détaillée qui met toujours en valeur les contextes sociétaux de l'époque qui expliquent le cheminement intellectuel et psychologique de l'auteur de "1984". Comme je n'avais jamais lu de biographie de George Orwell cette série a été une mine d'informations, pour la plupart très intéressantes. Pourtant j'avais peur que l'auteur s'enlise dans des digressions qui alourdissent le récit. C'est d'autant plus vrai que la voix off est omniprésente puisque Hernandez a choisi de laisser son personnage muet! Une bio chronologique pas à pas et une voix off très présente sont deux paramètres qui peuvent rendre la lecture vite lassante. Ce n'est pas du tout le cas ici. En effet Hernandez se met en scène à de très nombreux endroits comme présentateur décalé ou comme acteur de la création du récit. Cela donne beaucoup de rythme à la narration qui s'appuie sur les épisodes les plus signifiants du parcours de l'écrivain ( Birmanie, Guerre d'Espagne ...) expliquant ainsi son aversion pour le régime stalinien dès la fin des années 30. En mêlant habilement l'intime et l'historique, Hernandez réussit très bien à dévoiler la logique , la cohérence et la complexité de l'homme Orwell. Le graphisme est moderne ajoutant une touche d'humour , de doutes ou d'autodérision dans la narration. J'ai beaucoup aimé la recherche des détails dans les arrières plans. Hernandez travaille souvent avec une vision didactique sans être pesant. C'est du beau travail. Une lecture très intéressante qui dépasse la simple biographie pour proposer un travail sur la vérité historique au niveau d'un artiste qui a eu une profonde empreinte sur l'après guerre.
L'Année fantôme
Un autre one-shot de Tronchet sympathique à lire à défaut d'être extraordinaire. L'album peut se diviser en deux parties, l'une qui montre la vie quotidienne de notre anti-héros humoriste et la deuxième où il va faire une quête pour découvrir un secret de famille. C'est pas mal même si j'ai trouvé qu'il y avait un peu des longueurs. On retrouve des thèmes chers à l'auteur comme le fait d'être angoissé à l'idée de se retrouver à une réunion de famille ou dans une soirée mondaine et aussi la gène lorsqu'on fait un bide en public. J'ai bien aimé aussi comment l'humoriste analyse l'humour et ce qui fait ce qui est drôle ou non. Pour moi ce sont les meilleurs moments de l'album avec l'incident qui va faire en sorte que notre humoriste sur de lui va finir par perdre tout confiance en lui-même. J'ai un peu moins aimé lorsque l''humoriste va se lancer dans une quête pour savoir ce qui lui est arrivé dans son enfance lors d'une année dont il ne se souvient pas. Le scénario devient un peu plus convenu, les recherches sont quand même un peu trop faciles à mon gout et aussi les scènes émouvantes ne m'ont pas trop touché. Cette partie se laisse lire, mais elle fait en sorte que je ne mets pas cet album parmi les meilleurs de Tronchet alors que j'aime bien la première partie.
Carnets intimes
Un album qui s'adresse avant tout aux fans de Tronchet, les autres vont voir un intérêt limité dans cet album. La partie rédactionnelle est vraiment bien faite avec Tronchet qui raconte sa vie et balance des anecdotes savoureuses. La partie BD est un peu moins bien, en partie parce que l'auteur va jusqu'à montrer des œuvres qu'il a fait enfant ! Ça a tout de même prit une bonne vingtaine de pages avant de trouver du contenu BD intéressant, une grande partie étant des illustrations de Raymond Calbuth ou de Jean-Claude Tergal, les deux personnages cultes de l'auteur. En dehors de ça, il y a l'histoire avec un auteur qui va à Fluide Glacial avec sa maman que je trouve un peu touchante et les gags en bonus avec un patron et un ouvrier qui m'ont fait sourire et qui possèdent l'humour un peu con qu'on retrouve dans certaines séries de Tronchet. Donc voilà un album dont une bonne partie des bds m'ont tout de même paru au mieux moyenne. Un autre truc que je n'ai pas trop aimé c'est qu’on n’a pas de dates de publications. C'est clair qu'une bonne partie du matériel est paru dans Fluide Glacial, mais on ne sait pas quand !
Fileuses de soie
Un album sur les usines-couvents au début du XXe siècle, on va y découvrir l'industrie de la soie dans la Drôme provençale. Le contexte historique est bien retranscrit, même si j'aurais aimé en savoir beaucoup plus sur cette activité qui a depuis périclité en France. Un récit très classique avec d'un côté les patrons et de l'autre le monde ouvrier, avec en toile de fond une romance entre le fils cadet du patron qui revient de prison (pour couvrir l'aîné), et Henriette une de ces jeunes filles exploitées par la famille Bouscaret. Des personnages stéréotypés mais sympathiques. Une bonne critique de la société de ce début de XXe siècle, malgré son côté un peu caricatural. Une lecture instructive. Le dessin et les couleurs sont agréables à regarder. J'ai particulièrement apprécié les décors, un peu moins les personnages. Une scénographie très basique. Une lecture recommandable.
Woods
Dans un monde ravagé par les excès humains, la Terre est devenue un désert. Les survivants vivent reclus dans des villages fortifiés, dépendants des rares sources d'eau restantes. La forêt voisine, désormais toxique pour l'homme, est considérée comme interdite. Pourtant, certains continuent à vouloir la protéger. C'était le cas de la grand-mère de Ruby, disparue sans laisser de traces. Ruby décide alors de désobéir au conseil autoritaire de son village pour partir à sa recherche et percer les mystères de cette nature mutante. Malheureusement, l'album aligne les stéréotypes sans subtilité, jusqu'à en devenir franchement agaçant. Le point positif : le dessin des personnages, dynamiques et bien maîtrisés, même si certains traits se répètent. Les décors, eux, manquent de richesse et ne retiennent pas l'attention. L'intrigue, quant à elle, semble construite en piochant dans tout ce que le genre post-apo peut offrir de plus convenu, sans rien y apporter. On pense évidemment à Nausicaä, mais aussi à une myriade d'autres récits écologistes déjà vus mille fois. Tout y est : les dirigeants bornés accrochés à leur pouvoir, l'héroïne rebelle et impulsive, la figure de la grand-mère visionnaire, le garçon mystérieux et potentiellement traître, les brutes qui veulent écraser la nature, et les nobles créatures de la forêt qui cherchent seulement à survivre. Le tout repose sur des ficelles grossières, des retournements prévisibles et des comportements incohérents. La conclusion de l'affrontement final, notamment, se construit sur une fausse surprise qui ne tient pas une seconde dès qu'on y réfléchit. Ruby elle-même est souvent pénible : elle méprise ouvertement les siens et se montre agressive envers un jeune homme dont elle ignore tout, mais qu'elle soupçonne immédiatement des pires intentions. Tout cela sonne faux, forcé, artificiel. Reste un récit qui peut vaguement divertir, mais son manque d'originalité et ses incohérences écrasent trop les quelques bons éléments pour vraiment convaincre.
El Gaucho
On sert un roi lointain pour gagner une misère… - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1995. Il a été réalisé par Hugo Pratt (1927-1995) pour le scénario et par Milo Manara pour les dessins, Christine Vernière pour les couleurs, Pomme Verte pour le lettrage. Avant d’être rassemblées en album, ces planches ont été publiées dans les numéros 179 à 184 de la revue (À suivre) entre décembre 1992 et mai 1993. L’album comprend cent-vingt-huit pages de bande dessinée. L’ouvrage s’ouvre avec un texte de Vincenzo Mollica évoquant la relation et la collaboration entre les deux auteurs., agrémenté d’une lettre de Pratt à Manara et de quelques croquis préalables de Pratt. Puis vient un texte de Michel Pierre qui apporte des éléments de contexte historique, en particulier sur le parcours de Tom Browne (le personnage principal du récit), sur l’armada de navires des Britanniques, sur la place de la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’impérialisme anglais, l’opposition entre les loges d’obédience britannique et celles plus révolutionnaires animées par des Français (Indépendance de la Croix du Sud), et enfin les promesses d’affranchissement et de liberté pour les esclaves noirs des riches plantations. Il s’agit de la deuxième collaboration de ce duo de créateurs, après Un été indien (1987), Alfred du meilleur album étranger au festival d'Angoulême 1987. Quelque part en Argentine en 1890, une troupe de soldats se dirige vers un groupe de tentes précaires au beau milieu d’une grande prairie. Le cavalier de tête annonce qu’ils arrivent à la Tolderia de Namuncura. Le gradé remercie son sergent et annonce qu’il est temp d’œuvrer pour la patrie. Le chef de tribu indique aux Indiens que c’est la fin, que ceux qui veulent partir le fassent maintenant. Lui reste ici avec Paraun. Tous les autres partent. Le commandant du détachement ordonne que personne ne tire sans son ordre. Arrivé devant les tentes, il descend de cheval et s’annonce : il est le capitaine Chiclana. Il est accueilli tranquillement par Manuel, l’Indien qui est resté. Le capitaine lui annonce qu’il va devoir le suivre jusqu’au fort, ce qu’accepte son interlocuteur en précisant qu’il viendra seul. Ce dernier propose que le capitaine entre dans la tente, pour qu’ils prennent un maté, éventuellement manger un chien si les soldats en attrapent un. À l’intérieur, Manuel présente un vieil homme assis en tailleur : Paraun, un vieux de cent ans qui a encore toutes ses dents. Il fait observer que Paraun est huinca, comme le capitaine, un blanc et chrétien. Chiclana demande à Hermosid de venir, de prendre note qu’aujourd’hui dans la Tolderia du cacique Namuncura, ils ont trouvé un vieillard de race blanche. Puis il retourne à l’extérieur pour discuter avec Manuel. Le soldat entame la conversation avec le vieillard en lui demandant son nom. Ce dernier répond : Tambour, Tom Browne, du 71e chasseurs écossais sous le commandement du général William Carr Beresford. Il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-1807, à l’époque il avait seize ans. À bord d’un navire militaire, deux gradés, un Anglais et un Écossais, observent la ville de Buenos Aires : pas de mouvement de troupes en vue. Ils sont ici pour combattre les Espagnols. Deuxième collaboration entre Pratt & Manara : la scène d’ouverture plonge le lecteur dans un endroit non précisé, au milieu d’un troupe de soldats portant un uniforme spécifique, sans que le pays ne soit explicité. Il lui faut donc être attentif pour relever les bribes d’information qui lui permettront d’établir contexte. Le vieil homme indique qu’il était tambour anglais pendant l’hiver 1806-07, et qu’il avait seize ans, qu’il en a maintenant cent. Le très jeune soldat évoque le temps des invasions anglaises, ce à quoi Tod Browne parle du Río de la Plata devant Buenos Aires. En fonction de sa culture, le lecteur identifie alors le contexte historique, ou il peut aller se renseigner. Il s’agit de la prise de Buenos Aires lors des invasions britanniques du Río de la Plata, opération débutée en 1806. Ainsi au clair sur le contexte historique, il se trouve à même de situer les personnages apparaissant au fur et à mesure, sans être présentés : Home Riggs Popham (1762-1820) amiral britannique, Rafael de Sobremonte (1754-1827) vice-roi du Río de la Plata, William Pitt (1759-1806) premier ministre du Royaume-Uni, William Carr Beresford (1768-1854) commandant de l’armée britannique, et certains dont il est simplement fait mention comme Jacques de Liniers (1753-1810) Français succédant à Sobremonte en tant que vice-roi du Río de la Plata. S’il a pris soin de lire le texte introductif de Michel Pierre, bien lui en a pris car ainsi averti, le lecteur en vaut deux et se trouve à même de comprendre l’échange inattendu sur l’influence des différentes Loges maçonniques présentes dans cette région du monde. L’autre thème majeur développé dans cette introduction concerne la liberté potentielle des peuples autochtones, et il s’apprécie par lui-même au cours de la lecture. Le récit commence avec la découverte d’un centenaire en bon état de santé, et il a encore toutes ses dents. Le lecteur peut imaginer qu’il va découvrir toute sa vie à travers le dix-neuvième siècle, ou qu’il s’agit du premier tome de ce qui aurait pu être une série au long cours. Les décennies ayant passé depuis sa parution, il sait qu’il s’agit d’une histoire complète et indépendante et il comprend vite qu’elle est focalisée sur la fin de l’année 1806 et l’année 1807. Après dix pages d’entrée en matière en 1906, il se retrouve sur le navire amiral de la flotte britannique, en tant que témoin privilégié de la discussion entre amiraux, pour enfin sortir sur le pont et faire connaissance avec les personnages principaux : un tambour de l’armée Tom Browne, un matelot bossu Matthew Falcon et une prostituée Molly Malone. Comme dans Un été indien, l’aventure souffle sur l’intrigue : siège d’une capitale, voyages en mer, séjour dans la jungle, filles faciles dansant la gigue ou le reel, pratiques vaudous, amour impossible entre individus de classes sociales trop éloignées, violences faites aux femmes, duels entre hommes, bataille rangée, jugement expéditif, etc. Aussi bien le scénariste que le dessinateur s’en donnent à cœur joie dans ces péripéties souvent cruelles et adultes. En fonction de son inclination, le lecteur ressent plus d’intérêt pour l’histoire d’amour, ou pour la reconstruction historique, ou encore pour la manière dont les forces systémiques façonnent et contraignent les individus, et broient certaines catégories, à commencer par les faibles, que ce soient les esclaves, les peuples indigènes ou les femmes. Comme dans Un été indien, Manara s’astreint à une réelle discipline pour donner à voir ces aventures, sans se reposer sur l’érotisme qu’il maîtrise et qui a fait sa renommée. Le lecteur se trouve à la fête à chaque page. Pour les environnements, que ce soient les navires ou les paysages : les magnifiques trois-mâts de la marine britannique ancrés dans le Río Plata, les salons intérieurs où les gradés s’installent confortablement dans des fauteuils élancés, ou dans les cales sommaires où se trouvent les prostituées, sur le pont avec les cordages et les réas, sur un large fleuve s’enfonçant dans la jungle avec des nuées d’oiseaux, une mangrove, une grange dans la jungle abritant une cérémonie de Candomblé, dans la riche propriété des Perdiel, dans la campagne argentine, dans les rues de Buenos Aires lors de l’attaque, au pied d’un gibet, et de retour dans la tente des Indiens. Pour les personnages : le trait fin et délicat de l’artiste fait des merveilles pour décrire dans le menu détail les tenues vestimentaires aussi bien les uniformes que les toilettes féminines, pour donner vie aux personnages, aussi bien dans les combats que lors des danses, pour les faire habiter chaque endroit avec un naturel remarquable. Le lecteur constate également que le scénariste a densifié son propos. Il laisse régulièrement les dessins porter la narration : la cérémonie Candomblé et le massacre qui s’en suit, la danse des prostituées pour les matelots avec le joueur de cornemuse, le viol abject d’Aureliana Perdriel, la prise de Buenos Aires. Il a l’art et la manière de doser les dialogues dans les phylactères pour conserver la fluidité de la lecture. Au-delà des péripéties et des événements historiques, il met en scène comment les puissants de ce monde règnent sur les sous-fifres dans une société de classe, où les uns se partagent les richesses du monde, et les autres souffrent. Les Indiens évoquent effectivement les promesses de liberté faites par les uns et les autres, et les retours de bâton probables qui rendent cette promesse non seulement illusoire, mais aussi dangereuse. Il montre à quel point la vie n’est pas juste : que ce soit pour l’homme né bossu et considéré comme un sous homme, ou pour les femmes subissant la violence et la bestialité des hommes, pour les populations autochtones soumises au joug des colons. Il termine son récit avec l’iniquité de la justice des hommes renforçant encore l’injustice intrinsèque de chaque vie, en fonction des conditions de sa naissance, des aléas des rencontres, des grands mouvements sociétaux et historiques. Après le souffle de l’aventure d’Un été indien, le lecteur retrouve avec un plaisir anticipé la narration visuelle exquise, pleine de saveurs et élégante de Manara, à la fois canalisée dans la structure d’une solide intrigue, à la fois aiguillonnée par les tribulations et les rebondissements. De son côté, Pratt cède à ses habitudes : un contexte historique précis et savant, mais guère explicité, un regard perçant sur la condition humaine, et la portion congrue du libre-arbitre. Des aventures de haute volée.