Les derniers avis (455 avis)

Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Matsuo Bashô - Le maître du haïku
Matsuo Bashô - Le maître du haïku

Un seul mot peut tout changer. Fascinant. - Ce tome contient une biographie du poète japonais Matsuo Bash? (1644-1694) en manga. L'histoire est initialement parue en 2012 au Japon, écrite et dessinée par la mangaka Naho Mizuki. le manga en lui-même comporte 100 pages, dont 12 en couleurs, suivies par 88 en noir & blanc. L'ouvrage comporte également une introduction de 3 pages rédigée par Bernard Chevilliat sur la vie et l'œuvre de Matsuo Bash?, une présentation des 8 personnages principaux : Matsuo Bash?, Yoshitada T?d?, Sanpû Sugiyama, Bokuseki Ôzawa, Yozaemon Matsuo, Sora Kawai, Kigin Kitamura, S?in Nishiyama. À la suite des 100 pages de manga se trouve un dossier pour mieux comprendre, avec un texte de 4 pages présentant les différentes formes de poésie avec Matsuo Bash?, ainsi que les principaux poètes, un autre texte de 4 pages sur le grand voyage de Bash?, son oeuvre, la culture populaire d'Edo, et 3 pages présentant 7 haïkus de Bash?, avec un bref commentaire explicatif pour chacun. Enfin, le lecteur trouve une carte du Japon matérialisant le voyage de la Sente étroite du Bout-du-Monde, et une biographie de 2 pages retraçant la vie de Matsuo Bash? en 17 dates. Chapitre 1 : l'enfant d'Iga. Au début de l'été 1689, Matsuo Bash? est en route vers le temple Risshakuji, avec son disciple Sora Kawai qui peine un peu à la montée des marches vers ledit temple. le poète marque une pause et observe la nature qui l'entoure dans cette montagne. Il note que ce paysage, cet air, tout semble disparaître comme aspiré par ces rochers. Il sort alors un papier et un pinceau et trace les caractères (les mores) pour noter ce qu'il vient de dire. Il reformule sa première version qu'il ne juge pas assez bien correspondre à ce qu'il ressent à la vue de ce paysage. Sora Kawai trouve les deux versions très bien. Bash? estime qu'il n'a pas encore réussi à trouver le mot juste pour exprimer parfaitement le caractère de ce paysage, de cet air. Finalement, il aboutit à : Quel paisible silence, il s'infiltre dans les rochers. le chant des cigales. le récit revient alors à l'enfance de Matsuo Bash? pour essayer de déterminer ce qui l'a amené à inventer cette nouvelle forme littéraire que l'on appelle Haïku, alors qu'elle n'existait pas à l'époque. Matsuo Bash? es né en 1644 dans la province d'Iga, région correspondant au bassin d'Ueno situé dans l'ouest de l'actuelle préfecture de Mie. Enfant, il appréciait le spectacle de la montagne, les arbres, les libellules. Il s'appelait Kinsaku, puis son nom changea pour Jinshi-Chirô, en effet dans le Japon d'Edo l'individu changeait de nom au cours de sa vie. Son père se montrait sévère avec lui n'acceptant pas qu'il fasse ainsi l'école buissonnière. Il oblige son fils à suivre les cours de calligraphie et à participer aux entraînements d'arts martiaux. Bien que la famille des Matsuo fut une famille de paysans, elle avait pu occuper un rang lui permettant d'avoir un nom de branche ainsi que le droit de porter le sabre, grâce à la famille Tôdô du domaine de Tsu. L'enfant Matsuo Bash? ne comprend pas la volonté de son père, car il préfère passer sa vie à contempler les splendeurs de la campagne et de la montagne. Son père lui demande de lui parler de leur beauté. L'enfant est vite à cours de mots. C'est la raison pour laquelle le père veut qu'il étudie. En classe de calligraphie, le jeune Matsuo Bash? mesure à quel point un mot peut tout changer dans l'expression et la transmission de ce qu'il a éprouvé, ressenti. Le manga commence donc par l'une des premières étapes dans le voyage qu'entama Matsuo Bash? en 1689, qui dura environ 156 jours et 2.300 kilomètres couverts pour la plupart à pied. L'autrice utilise cette séquence pour expliciter la démarche artistique du poète : exprimer la force d'un paysage, au travers d'un poème dans une forme courte et codifiée. Puis le récit prend une forme chronologique en revenant à l'enfance de Matsuo Bash?. du coup, toute cette biographie devient une illustration d'un destin tout tracé dont l'aboutissement est la création de la forme du haïku, ainsi que son enjeu. Dans un premier temps, le lecteur trouve cette approche simpliste : une prophétie auto-réalisatrice dont l'issue est déjà connue, mais d'un autre côté, c'est bien le seul regard qu'un auteur contemporain peut jeter sur le passé. Ensuite, 100 pages de manga, c'est assez court. S'il a lu l'introduction de Bernard Chevilliat, le lecteur peut avoir l'impression qu'il ne fait que retrouver en images ce qui est dit en 3 pages de texte. Il peut aussi se dire que l'approche de cette biographie est finalement de se rapprocher de l'esprit d'un haïku en étant plus évocateur que longuement descriptif. La narration visuelle de Naho Mizuki utilise de nombreuses conventions spécifiques des mangas de type Sh?jo, c'est-à-dire plutôt à destination d'un lectorat féminins. Elle détoure les visages et les silhouettes avec un trait très fin et délicat. Elle a tendance à utiliser une approche romantique pour les visages, à exagérer certaines expressions de visage en simplifiant la représentation des bouches et des yeux, à ajouter des effets de lumière de type romantique, à se focaliser sur les personnages en ne dessinant les décors que lorsqu'ils sont évoqués par un personnage, à utiliser l'équivalent de trames mécanographiées (des trames de points plus ou moins denses, pour le ciel bleu, pour les feuilles de plante, etc.). Au fil des pages, c'est une évidence qu'il s'agit d'un vrai manga, et le lecteur en vient à s'interroger sur le choix de l'éditeur de l'avoir publié dans le sens occidental, plutôt que dans le sens japonais, de droite à gauche. S'il est curieux, il peut rechercher les cases où un personnage manipule un objet. Elles ne sont pas si nombreuses que ça, mais effectivement, ils sont majoritairement gauchers, du fait de l'inversion des pages. de même, les vêtements ne se ferment pas dans le bon sens. La narration visuelle est donc essentiellement focalisée sur les personnages : ils sont souriants pour la plupart, ce qui les rend immédiatement sympathiques. Ils se comportent correctement, et il n'y a pas de conflit à proprement parler. Même le coup porté par le père de Bash? pour le punir d'avoir fait l'école buissonnière est représenté de manière très édulcorée. le lecteur en déduit que la mangaka a sciemment adopté un mode de dessin tout public. Cela ne l'empêche pas de s'investir pour respecter l'exactitude historique quand nécessaire : les vêtements d'époque, les constructions comme le temple dans la montagne, la maison de la famille Batsuo, la magnifique demeure des Tôdô, et bien sûr l'ermitage du bananier. Elle soigne également les paysages afin que le lecteur puisse ressentir ce qui inspire le poète : le paysage de montagne dans la région de Yamagata, le lieu-dit de Yoshino où s'était arrêté le moine Saigyô, la paysage de Matsuhima, l'impétuosité du fleuve Mogami. Effectivement, cette biographie élude toutes les aspérités de la vie du poète Matsuo Bash?, mais sans verser dans l'hagiographie. C'est l'accomplissement d'un destin déjà connu par le lecteur, raconté en 5 courts chapitres : 1. L'enfant d'Iga, 2 Vers la voie du haïkaï, 3. La vie à Edo, 4. L'ermitage du bananier, 5. La sente étroite du Bout-du-Monde. Il s'agit donc surtout d'un manga de vulgarisation accessible à tous les publics. le lecteur adulte peut en ressortir un peu frustré, à la fois par la brièveté de la pagination, à la fois par la faible densité des éléments historiques. D'un autre côté, en prenant du recul, il constate qu'il a suivi Mastuo Bash? durant ces étapes de formation essentielles dans son parcours de vie qu'il l'a mené à devenir le maître du haïku. Naho Mizuki aligne ces moments essentiels, dans une narration fluide, pas surchargée, mais finalement assez dense en termes d'éléments présentés. Et puis l'ouvrage n'est pas terminé. Étant un peu resté sur sa faim, le lecteur adulte jette un coup d'oeil aux textes qui suivent le manga, regroupés sous le titre générique de Pour mieux comprendre. le premier texte explique ce qu'est un haïku : son origine, l'histoire du renga, la composition d'un haïku, les kigos, les plus célèbres poètes japonais du XVIe et XVIIe siècle, les plus célèbres poètes de l'époque moderne. Avec ces explications, le lecteur comprend mieux certains passages du manga en particulier l'écriture de poèmes de type haïkaï en collectif évoluant en écriture solitaire de haïku, ainsi que sa forme très codifiée en tercet de dix-sept mores, au rythme harmonieux sur une structure 5-7-5. La page consacrée à La sente étroite du Bout-du-Monde, le grand voyage de Bash?, évoque la composition du recueil de haïkus à partir des notes de voyage de Bash?, ainsi que l'intention du voyage, et évoque rapidement Sora Kawai (1649-1710), le disciple de Bash?. le texte suivant présente 5 ouvrages de Matsuo Bash? en un bref paragraphe chacun, puis la culture populaire d'Edo (Voyager à l'ère d'Edo, Les villes étapes, le pèlerinage à Isé, Les cinq routes d'Edo, le pèlerinage de Shikoku). le texte suivant (en 3 pages) présente 7 des haikus les plus célèbres du poète, extraits de la sente étroite du Bout-du-Monde. Il en est donné deux traductions différentes, avec un paragraphe d'explication. Ainsi placé vers la fin d'ouvrage, cette présentation permet au lecteur de mesurer toute la richesse culturelle de ces courts poèmes, inaccessibles au lecteur occidental sans un commentaire et une interprétation, même si leur lecture seule est envoûtante. De prime abord, cet ouvrage est assez surprenant : un manga publié dans le sens occidental, sur un poète majeur du Japon, avec une narration visuelle tout public, et une biographie finalement succincte. Le manga emplit son office de passeur en présentant la figure historique de Matsuo Bash?, tout en paraissant une évocation trop rapide. Sous réserve de lire les autres éléments de l'ouvrage (les différents textes), cette frustration du lecteur disparaît car ils viennent complémenter le manga, et le tout forme un ouvrage de vulgarisation très accessible. Pour lire les haïkus de Matsuo Bash?, le lecteur peut ensuite se lancer dans L'intégrale des haïkus : Edition bilingue français-japonais, édition bilingue, comportant des commentaires pour chaque haïku afin de pouvoir mieux en apprécier les différentes saveurs, grâce à des explications culturelles.

21/04/2024 (modifier)
Par Antoine
Note: 2/5
Couverture de la série La Guerre des Gaules
La Guerre des Gaules

Oh la la la ! Mais quelle déception... Passionnée d'Antiquité et en particulier de la période romaine, je me suis jeté sur les deux auteurs à Angoulême cette année pour me faire dédicacer l'intégrale de cette bd. La dédicace au pinceau réalisée par Vincent Pompetti est superbe, nous y reviendrons. La bd est restée quelques temps dans ma pile à lire, je m'y suis attelé plein d'envie, la couverture est jolie, ma dédicace très belle, je savais que j'allais passer un bon moment. Le début a été difficile mais bon, l'entreprise est gigantesque donc j'ai laissé sa chance au produit mais je commençais à tiquer. Ma dédicace est fort jolie - je l'ai déjà dit - mais le dessin à l'intérieur de la bd est... bizarre. Les visages sont souvent catastrophiques. Les perspectives sont moyennes. C'est dommage, la Guerre des Gaules aurait pu être le théâtre de décors somptueux et de visages mieux réalisés. Et en fait, outre le dessin, le premier tome (l'intégrale se compose des deux tomes parus, cela a sans importance) n'est pas non plus desservi par un scénario des plus clairs. J'ai eu l'impression de lire un abécédaire des tribus gauloises pendant des dizaines et des dizaines de pages. Et quand on connaît un peu l'immense hétérogénéité des peuples gaulois, et bien, c'est long, c'est fastidieux et ça embrouille plus que cela n'explique. Le premier tome n'est pas bon, le scénario passe très souvent du coq à l'âne, on saute des évènements - ce qui peut se comprendre, condenser l'ensemble de la Guerre des Gaules en 120 pages n'est pas chose aisée - mais ici, j'ai eu l'impression que les auteurs souhaitaient tout dire, en peu de temps et sans se soucier de la cohérence de l'ensemble. Le lecteur que je suis en a eu marre. J'ai mis un temps considérable à finir ce premier tome, tellement je m'ennuyais et tellement le scénario sonnait creux. Le tome 2 est meilleur, le dessin s'améliore et le scénario est bien plus clair. On suit enfin l'avancée des troupes romaines en comprenant l'enchaînement des situations, on comprend un peu mieux qui étaient les Gaulois, leurs alliances avec César pour certains, leurs alliances entre eux pour d'autres, des fois les mêmes. On se prend enfin au jeu et l'émotion passe. Mais ce premier tome est tellement raté - à tel point que j'ai failli ne mettre qu'une étoile - que cela ne relève malheureusement pas l'ensemble. Quel dommage.

21/04/2024 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Mahar le lionceau ou l'enfance perdue des jeunes soldats de Daech
Mahar le lionceau ou l'enfance perdue des jeunes soldats de Daech

Il y aurait tellement à dire sur cet album qui rapporte un témoignage extraordinaire. Celui de Mahar un jeune enfant enlevé par Daech à l'âge de 10 ans pour l'enrôler bien malgré lui. La scénariste, une journaliste, à réussi à l'interviewer à plusieurs reprises après la chute de l'organisation islamique. Il est alors âgé d'une vingtaine d'années et livre avec un peu de recul un témoignage sur ce qu'il a vécu. L'actualité des dernières années est fortement marquée par ces conflits, on est abreuvé d'infos et d'images sur Daech, le terrorisme est malheureusement d'une récurrence quasi quotidienne dans les JT. Ces infos et ces images ont de quoi saper le moral. Mais là on est encore un cran au dessus. Des enfants... des enfants de 10 ans ! Kidnappés, arrachés à leur famille, endoctrinés, des privations de nourriture, des bourrages de crâne à coup de propagande nauséabonde, rabâchée encore et encore. Des enfances volées pour fabriquer des soldats de 13 ans prêts à tirer à la kalachnikov et même à commettre des attentats suicide. Voilà la triste réalité du monde qui nous entoure. Honnêtement on n'a pas envie d'y croire tellement c'est révoltant. Que certains adultes, aux nom d'idéaux discutables, se fassent la guerre c'est une chose, mais arracher des gosses insouciants et innocents à leur famille pour s'en servir comme soldats, c'est monstrueux. Cet album met en lumière cette facette de Daech. Les différents chapitres relatent les grandes étapes de l'histoire de Mahar : son enlèvement, son endoctrinement, sa formation de soldat, et sa contribution à la guerre. Mahar ne parait même pas forcément sympathique ou attachant. Mais c'est même pas la peine, c'est raconté avec les mots justes et c'est ça qui en fait un album "désagréable" à lire. Un album qui file un mauvais gout dans la bouche. Au final, j'aurais très vite oublié le nom des villages syriens attaqués, le nom de telle ou telle bataille en Irak, mais peu importe, l'important du propos n'est pas là. En fin de compte le seul reproche qu'on peut faire à ce récit c'est qu'il n'est peut être pas suffisamment poignant. Il manque un petit quelque chose, peut être parce que Mahar est anonymisé et qu'il n'est pas attachant ? Mais ce livre n'est pas vraiment émouvant malgré la dureté du propos, non il est plutôt effrayant et révoltant.

21/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Le Jardin de Minuit
Le Jardin de Minuit

Un conte fantastique tout public, agréable à lire (et à regarder, le dessin est simple et chouette). Le lecteur est rapidement pris par l’intrigue, et oublie aisément de se poser trop de questions. On accepte donc cette rencontre entre ce gamin et cette fille, dans une sorte de « jardin parallèle », plusieurs époques se rencontrant, êtres de chairs et fantômes se côtoyant. Le rythme est assez lent (une bonne partie de l’histoire est racontée sous forme épistolaire par le héros, en quarantaine médicale chez ses oncle et tante, qui écrit à son jeune frère resté chez leur parent). Mais on ne s’ennuie pas, c’est un album sympathique.

21/04/2024 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5
Couverture de la série Plop !
Plop !

Inattendu cet album chez Steinkis. Chez cet éditeur au catalogue "sérieux" (ceci écrit sans sous-entendu négatif), nous avons un album qui ressemble -à première vue- à une gentille petite chronique intimiste, sans vraie prise de tête. Un peu à l'image qu'on peut se faire -là encore de prime abord- du peuple québécois, souvent chaleureux, sympathique, près à sortir une bonne blague. L'humour n'est pas franchement présent dans Plop, mais comme je l'indiquais plus haut, c'est plutôt léger, sans réelle prise de tête, sur un sujet pourtant casse-gueule, celui du changement de sexe, ici subi, et partant, de l'identité sexuelle. Car au détour des réunions informelles de "plopés", on se rend compte qu'on peut préférer être une fille plutôt qu'un homme, parce qu'être une fille, ça peut être douloureux, régulièrement douloureux, mais aussi qu'on peut subir des comportements inappropriés, entendre des choses inacceptables, etc. Le scénariste Sébastien Fleuret n'en rajoute pourtant pas, se contentant d'évoquer ces sujets, et de permettre à son lectorat de réfléchir. Le dessin est assuré par Simon Vergnol, au style naïf, mais plutôt expressif, ce qui donne un album facile à lire, sans prise de tête, mais qui peut, à rebours, permettre de réfléchir un peu sur la condition féminine.

21/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Miroir de nos peines
Miroir de nos peines

Je ne connais pas le roman de Lemaitre, mais l’adaptation qu’en a fait De Metter (c’est le deuxième roman de Lemaitre qu’il adapte en BD) donne une lecture agréable. La narration est fluide, on passe d’un personnage à l’autre sans que la lecture n’en soit hachée, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent tous sur la fin. Et, comme d’habitude, son dessin particulier est bon, beau, et très plaisant. L’intrigue a pour cadre le printemps 1940, au moment de l’attaque allemande à l’Ouest, et lors de la débâcle qui s’en est suivi. Un cadre historique intéressant, car il permet de brosser des portraits assez vifs, à un moment révélateur des personnalités, du courage, de la lâcheté de chacun. Et, de fait, toute la palette y passe. Le personnage le plus intéressant n’est a priori pas le plus reluisant : mythomane, voleur, il usurpe identités et situations, et donne chair à des personnages hauts en couleurs (mention spéciale à son rôle de speaker de la radio, annonçant d’une voix affable et sûre d’elle la supériorité de l’armée française, au moment de la percée allemande des Ardennes). Les vrais salauds ne sont en tout cas pas ceux que l’on croit, et de tous les spécimens humains qui se retrouvent mis en avant ici, ce personnage est sans doute celui qui a fait le plus de « bien ». Une lecture que j’ai bien aimée.

21/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Batman - Le Culte (Enfer Blanc)
Batman - Le Culte (Enfer Blanc)

EN 1988, l'après Dark knight returns - Bruce Wayne se tape un méchant cauchemar dans lequel il rencontre le Joker une fois de trop. Batman massacre le Joker à la hache, mettant un point final à ses exactions. de retour dans le monde éveillé, Batman est attaché par les poignets à une canalisation dans les égouts. Il a été capturé par des sans abris et emmené pour être endoctriné par un fanatique religieux : Joseph Blackfire. Ce dernier possède la verve d'un télévangéliste et sa mentalité. Il prêche la foi en Dieu pour donner Gotham aux déshérités, aux laissés pour compte du système, à ceux qui n'ont pas pu prendre l'ascenseur social. L'objectif de Blackfire est de soumettre la volonté de Batman en appliquant des méthodes de secte : privation de nourriture, coupure d'avec ses proches, endoctrinement forcé, usage de stupéfiants pour briser sa résistance, etc. Entre 2 séances de lavage de cerveau, l'un des sbires de Blackfire raconte son histoire à Batman : comment Blackfire était déjà en activité quand les premiers colons sont arrivés en Amérique. Batman finit par être rongé par le doute quant à ses propres méthodes et leur efficacité relative pour changer la société en profondeur, et par le doute quant au fait que Blackfire a peut être raison sur les moyens à utiliser pour rendre la société plus juste. En tout état de cause, il a perdu son esprit combatif. Blackfire a réussi à organiser les sans abris en une force de frappe efficace en les galvanisant par des propos réactionnaires et bientôt Gotham tombe aux mains de ces miséreux. Même l'intervention de Robin n'arrive pas à sortir Batman de son abattement devant ses échecs. En 1986, The Dark Knight Returns (DKR en abrégé) de Frank Miller donne une vision intense, inédite et remarquable du personnage de Batman. Les fans sont comblés, les responsables des 2 séries mensuelles sont angoissés : qui va oser écrire les aventures mensuelles de Batman ? Quel que soit cet inconscient, il sera comparé à Frank Miller, et il est certain qu'il ne pourra pas faire aussi bien. Pour autant, il faut absolument profiter de ce renouveau d'engouement pour le personnage. C'est John Wagner et Alan Grant qui s'y collent sur "Detective comics" (en février 1988), et Jim Starlin sur "Batman" (en décembre 1987). Peu de temps après son arrivée sur la série mensuelle, Starlin a le droit de réaliser une minisérie en 4 épisodes intitulée "The Cult" initialement parue en 1988. L'influence de DKR est manifeste à la fois dans le scénario et les dessins. Batman a un aspect massif et très musculeux. Les pages regorgent d'extraits d'émissions de télévision (essentiellement des infos). La criminalité des rues est devenue plus cruelle et plus violente. Les méthodes de Batman se durcissent également. Mais bien sûr, Jim Starlin ne sait pas rédiger des dialogues aussi percutants que Miller et les illustrations de Bernie Wrightson n'ont pas l'impact visuel de celles de Miller. Pour autant "The Cult" n'est pas qu'une copie fadasse des aspects les plus saillants de DKR. Jim Starlin utilise une idée intéressante (à défaut d'être nouvelle) mettre Batman dans une posture où sa force de caractère a été anéantie. Comme toujours, ce qui donne toute sa saveur à cette histoire, c'est que le méchant est vraiment réussi. Starlin ne se contente pas de créer un homme de Dieu qui se vautre dans le luxe aux dépends de ses fidèles ; il lui donne la logique des télévangélistes, leur charisme et leur foi. Deacon Blackfire n'est pas dupe de du jeu qu'il joue, mais son cynisme n'est pas incompatible avec sa foi. Alors bien sûr certains passages à la manière de Frank Miller sonnent faux parce que seule la forme est reproduite, pas le fond. Mais d'un autre coté, le scénario place Batman dans une position désespérée où il est vraiment en danger avec une logique narrative solide. Cette histoire marque aussi le retour de Bernie Wrightson aux dessins pour une histoire longue. Cet illustrateur avait fortement marqué sa génération dans les années 1970 sur des titres d'horreur (essentiellement dans "House of Mystery" et "House of Secrets"), dans les premiers épisodes de la série Swamp Thing (réédités dans Roots of the Swamp Thing) et des planches d'illustration maniaque pour le livre de Mary Shelley (Frankenstein, or the Modern Prometheus). Il a donc effectué son retour à la fin des années 1980 avec cette histoire de Batman, puis une histoire de Superman (The Weird, rééditée dans Mystery in Space with Captain Comet 2) et une histoire du Punisher (P.O.V.). Autant être franc tout de suite, il n'est pas au meilleur de sa forme. Il a choisi un mode de dessins rapides, il a recours plusieurs fois au photocopiage pour éviter de redessiner des cases (une même case est reproduite une dizaine de fois sur la même page) et certaines mises en scène relèvent de l'infantilisme (Robin en train d'enfiler sa chaussure verte). Il a par contre de beaux restes pour ce qui est de la mise en page et du rendu des éléments les plus gothiques. Au final, les illustrations sont d'un niveau supérieur à la moyenne, mais très en deçà de ses travaux antérieurs. Bill Wray avait choisi une mise en couleurs audacieuse à base de couleurs primaires pétantes qui a heureusement été adoucie dans cette édition. Cette histoire de Batman sort de l'ordinaire et est divertissante. Elle permet d'assister à une apparition intéressante de Jason Todd dans l'habit de Robin. Mais elle laisse un petit goût amer quand on pense à ce qui aurait pu être si ces créateurs avaient été dans une meilleure forme.

21/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Gant de l'Infini - Le Défi de Thanos
Le Gant de l'Infini - Le Défi de Thanos

Un nouveau dieu omnipotent est né ! - Dans Rebirth of Thanos (épisodes 34 à 38 de la série Silver Surfer & les 2 épisodes Thanos quest), Thanos a acquis les 6 gemmes de l'infini. Il dispose maintenant d'un pouvoir qui fait de lui l'égal d'un dieu. Pas un dieu à la sauce Marvel, un dieu qui a tout pouvoir sur les composantes de l'univers : le temps, l'espace, le pouvoir, l'esprit, la réalité et l'âme. Il a aussi bien le pouvoir d'anéantir l'univers entier que de créer tout et n'importe quoi (même la vie) à son bon vouloir. Thanos est Dieu dans l'acceptation pleine et entière du terme, il est omnipotent dans le sens littéral du terme. Et il est amoureux de la personnification de la Mort. Quelque part dans l'espace, il réfléchit à ses actions. Mephisto (le Satan de l'univers Marvel, celui qui collecte les âmes des pêcheurs) est aux cotés de Thanos. Mais ses premiers jours en tant qu'être suprême commencent mal : la Mort le repousse pour différentes raisons. Il faut qu'il crée une action à la mesure de son amour. D'un simple claquement de doigt il met fin à la vie de la moitié des êtres vivants de l'univers. L'instant d'avant il y a avait 40 personnes devant vous sur le trottoir, l'instant d'après il n'y en a plus que 20 (si vous faîtes partie des survivants). Il en est de même partout dans l'univers, quelle que soit la planète considérée. Il s'occupe également de manière créative de Nebula, celle qui prétend être sa petite fille. Sur Terre les superhéros ne peuvent que constater bêtement la disparition de la moitié de la population humaine. Dans une chambre d'hôtel minable, 3 défunts se métamorphosent petit à petit en troll, en femme à la peau verte et en cocon. Jim Starlin revient chez Marvel, il prend les mêmes et il recommence. C'est le premier constat du fan qui ne peut être que déçu de la solution de facilité choisie : ramener à la vie Thanos, Adam Warlock, Pip et Gamora. Mais bon, tous les lecteurs ne sont pas forcément bloqués comme moi sur les travaux précédents et Starlin déroule une drôle d'histoire. Avec un tel ennemi, il est évident que les superhéros de la Terre ne font pas le poids. Thanos n'est pas le premier maître du monde venu. Il a déjà eu un avant goût de cette omnipotence en mettant une première fois la main sur un cube cosmique, et une deuxième fois en parasitant la gemme de l'âme de Warlock. En plus, c'est un stratège exceptionnel comme il l'a prouvé en récupérant les 6 gemmes en dépit de la volonté de leurs propriétaires. Un seul espoir : le plan indéchiffrable de Warlock, personnage inconnu des superhéros terriens. Du début jusqu'à la fin, Warlock manipule les interventions des superhéros dans l'ombre. du début jusqu'à la fin les superhéros vont au casse-pipe sans presqu'aucun espoir. Assaut après assaut, Thor, Namor, Iron Man, Firelord, Wolverine, Scarlet Witch, Drax, Hulk, Cloak, Quasar et Captain America se font massacrer. Et pourtant, Starlin renouvelle chaque combat pour des enjeux toujours plus colossaux, avec des tactiques échevelées. Malgré l'omnipotence de Thanos, Starlin arrive à faire croire au lecteur que les superhéros ont une infime chance de gagner. Il glisse un clin d'oeil à Les guerres secrètes avec le rôle de Doctor Doom. Il varie les stratégies et il varie la configuration des attaquants en convoquant les personnages les plus puissants de l'univers Marvel (oui il y a Galactus, mais pas seulement). On reconnaît là tout le savoir faire de Starlin qui réussit une fois encore à montrer la cohérence entre toutes ces entités nées de créateurs différentes dans des séries différentes. En termes de destruction, Starlin ne fait pas les choses à moitié car Thanos ne s'arrête pas à supprimer la moitié des êtres vivants, il a encore d'autres actions de destructions massives en réserve. Thanos est un nihiliste assez primaire : il aime la Mort donc il n'hésite pas à détruire la vie pour offrir à l'élue de son coeur un cadeau somptueux. Coté illustrations, les dessinateurs suivent tant bien que mal. George Perez dessine trois épisodes et demi, puis quitte le navire. Il déclarera plus tard qu'il n'avait pas réussi à s'investir dans un scénario qu'il trouvait trop mécanique. Cela ne l'empêche pas de réaliser un travail très professionnel avec une mise en page toujours aussi claire quel que soit le nombre de personnages. Perez a une vision vraiment intelligente de la mise en scène des combats et du choix des angles de vue. Tout est lisible, l'impact des coups est ressenti par le lecteur, ainsi que le sentiment d'impuissance et de désespoir grandissant des superhéros. Thanos est massif et majestueux de bout en bout. Warlock est mystérieux et indéchiffrable. Mephisto est ambigu et retors. Les scènes de destruction massive sont très impressionnantes qu'elles soient en sous-entendu (Thor qui survole les flots là où il y avait avant le Japon), ou explicites (Black Widow à bout de forces, témoin du décès d'une femme dans l'effondrement d'un immeuble). À partir de l'épisode 4, Ron Lim vient en renfort et il dessine tout seul les 2 derniers épisodes. Les illustrations perdent en détails et en réalisme (en particulier les visages manquent de finesse), mais elles gagnent en impact visuel brut. L'équipe de créateurs proposent une fin du monde inéluctable au cours de laquelle les superhéros déploient des trésors de ressource et d'inventivité en pure perte. Tout leur courage ne sert à rien. Mais ce récit laisse un goût étrange dans l'esprit. Arrivé au deuxième épisode, le lecteur chevronné sait pertinemment que le statu quo sera rétabli en fin d'histoire car les bouleversements sont trop importants. Malgré tout la mécanique implacable du scénario empêche de se désintéresser des péripéties. Mais quand même cette structure est vraiment déconcertante, toute l'intrigue repose sur la rouerie de Thanos et sur la variable inconnue que représente Warlock. Il tire les ficelles en coulisse du début jusqu'à la fin sans rien révéler. Il mène la danse, il programme les combats, il joue une partie d'échecs avec plusieurs coups d'avance, contre Thanos. le lecteur est simple spectateur et déchiffre la stratégie au fur et à mesure. Finalement Warlock écrit l'histoire que lit le lecteur, il est le scénariste. Et c'est là la plus déstabilisante des prises de position de Jim Starlin. Warlock est un deux ex machina du début à la fin, il est la matérialisation du scénariste au sein de l'histoire. Finalement, le vrai nihiliste n'est pas Thanos aveuglé par ses sentiments pour la mort, mais bel et bien Starlin qui n'a aucune illusion sur ce qu'il peut changer dans cet univers partagé, aucune illusion sur l'impermanence de l'impact de son récit. Pour Starlin, ce combat est dénué de toute signification, de tout but, de toute vérité compréhensible ou encore de toutes valeurs ; il n'est vraiment qu'un simple divertissement du moment, une illusion du changement, un frisson gratuit, mais en même temps un hymne à la création. Jim Starlin se joue du lecteur, aussi bien que Warlock se joue de Thanos. le vrai malaise nait de cette manipulation effectuée au grand jour avec la complicité du lecteur, une prise de position vraiment nihiliste. Jim Starlin a donné 2 suites à ce récit sous forme de crossovers de plus en plus démesurés : d'abord La guerre de l'infini, puis La croisade de l'infini.

21/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Julio Popper - Le Dernier Roi de Terre de Feu
Julio Popper - Le Dernier Roi de Terre de Feu

Décidément, l’Argentine, et plus précisément la Patagonie, attire les aventuriers européens ! J’avais lu il y a quelques temps Roi des Mapuche, qui retraçait le destin d’un Français parti se bâtir un royaume en terre de feu, au milieu du XIXème siècle. Ici, c’est encore un Européen (roumain lui), qui investit (dans tous les sens du terme !) les territoires du sud de l’Argentine, dans les années 1880. Ça commence comme une ruée vers l’or ordinaire, « à l’américaine ». Mais Popper n’est pas qu’un chercheur d’or. Il n’est pas non plus un conquistador. S’enrichir l’intéresse, certes, mais on sent en lisant le récit de Matz (éloigné ici de la majorité de ses productions habituelles, et qui s’est fortement documenté – voir l’abondante bibliographie en fin de volume), que l’essentiel est sans doute ailleurs pour lui. Il parle de nombreuses langues, a suivi des études variées (et il a bourlingué sur tous les continents) : c’est un ingénieur qui invente, c’est un géographe qui veut découvrir (il aurait voulu explorer l’Antarctique peu avant sa mort) : le souffle de l’aventure le fait avancer, même s’il n’est pas exempt de certains travers (il n’hésite pas à user de la violence pour défendre ses exploitations, il use de son entregent pour convaincre les autorités politiques argentines de soutenir ses investissements). Il lui manque sans doute le grain de folie qui l’aurait rendu plus charismatique. Il meurt jeune, avec encore des rêves plein la tête. Le récit est agréable, la narration fluide. Et j’ai bien aimé le dessin. C’est une lecture sympathique donc, qui en plus m’a fait découvrir un personnage atypique.

20/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Louise Michel - La Vierge Rouge
Louise Michel - La Vierge Rouge

De rouges œillets tout en fleur - Ce tome content une histoire complète indépendante de toute autre. Sa parution initiale en version originale date de 2016. Il a été réalisé par Mary M. Talbot (scénario) et Bryan Talbot (narration & dessins). Il s'agit d'une bande dessinée majoritairement en noir & blanc avec des nuances de gris, avec une utilisation ponctuelle de la couleur rouge, et parfois des lavis d'une autre couleur. Les époux Talbot ont réalisé trois autres ouvrages ensemble : Dotter of her Father's Eyes (2012), une biographie de de Lucia Joyce, la fille de James Joyce, Sally Heathcote: Suffragette (2014) sur le mouvement des suffragettes, et Rain (2019) sur la préservation d'une nappe tourbeuse dans le Yorkshire. le tome se termine avec 14 pages d'annotation rédigées par Mary M. Talbot, détaillant les sources historiques qu'elle a utilisées, en référençant chaque page. Trois phrases sont mises en exergue du récit : la définition du mot Utopie, une citation d'Oscar Wilde sur l'Utopie (une carte du monde qui ne comprend pas Utopie ne vaut pas la peine d'être regardée), et une citation de Samuel Beckett (A toujours essayé. A toujours échoué. Peu importe. Essayer encore. Échouer encore. Échouer mieux). À Calais en 1909, Franz Reichelt assiste au vol d'un avion à hélice, le pilote devant tenter la traverser de la Manche deux jours plus tard. Il pense à une panne d'avion, et a l'idée d'inventer une toile de tissu qui permettrait au pilote de ralentir sa chute. À 10h00 à la Gare de Lyon à Paris, le 22 janvier 1905, Charlotte Perkins Gilman descend du train alors que s'ébranle le cortège funéraire de Louise Michel. Monique, une jeune femme, l'attend avec une pancarte à son nom pour l'accueillir. Elle lui explique qu'il vaut mieux qu'elles aillent prendre un café en attendant que le cortège soit passé, et elle précise qu'il s'agit de celui de la vierge rouge de Montmartre. Charlotte se rend compte qu'elle a rencontré Michel à une occasion : à Londres, avec un centre d'intérêt commun la fiction utopique. Les deux femmes continuent d'évoquer la mémoire de Louise Michel, une anarchiste, sa place au cimetière de Levallois Perret, son idéal de vie sans rien posséder, sa dévotion aux autres, et bien sûr son rôle durant la Commune de Paris. En décembre 1870, elle parcourait Paris pour mendier de la nourriture pour les enfants pauvres de Montmartre. Lors de ce siège de Paris par les prussiens, elle était en colère contre les autorités publiques inefficaces et même incompétentes, et contre les profiteurs spéculant sur les denrées de première nécessité. Monique évoque les queues devant les magasins, la viande de chat et de rat pour les démunis, la viande exotique des animaux du zoo de Vincennes servie dans les restaurants de luxe, le rêve de révolution sociale dans les quartiers pauvres de Paris, les familles mettant en gage leurs biens y compris leurs outils de travail, et les violences faites aux plus faibles comme les enfants et les femmes. Dans l'auberge qu'elle fréquente, Louise Michel échange avec les habitants et les gardes nationaux, se met à rêver des applications pratiques de la science, de l'amélioration de la qualité de vie grâce aux découvertes scientifiques, et leurs applications. Elle est suivie dans son imagination par Albert Robidal un illustrateur qui dessine son idée de tuyaux distribuant la nourriture dans tous les foyers grâce à un réseau de canalisations reliées à une cuisine centrale. Le lecteur peut aussi bien être attiré par les auteurs s'il a déjà lu d'autres de leurs œuvres que par une biographie de Louise Michel et la couverture qui semble promettre une large place consacrée à la Commune de Paris (du 18 mars au 28 mai 1871). Il est un peu décontenancé par les deux pages d'introduction consacrée à Henry François Reichelt (1878-1912) inventeur d'un proto parachute. Les deux dernières pages du récit lui sont également consacrées. Ensuite, il découvre que le récit commence le jour de l'enterrement de Louise Michel, dont la vie va être commentée et retracée par Charlotte Perkins Gilman (1860-1935), une sociologue et écrivaine américaine, ayant eu une grande influence sur le féminisme. Elle va discuter tout d'abord avec Monique, puis avec sa mère et encore avec une autre femme. L'autrice a décidé de dérouler la biographie dans un ordre légèrement réarrangé, commençant par la Commune (1871), allant jusqu'à sa déportation et son arrivée en Nouvelle Calédonie en 1873, pour sauter en 1889 au pied de la Tour Eiffel, pour revenir à son enfance au cours des années 1830, pour reprendre un fil chronologique en retournant en Nouvelle Calédonie. le lecteur comprend bien l'intérêt d'un tel réarrangement pour éviter un effet de lecture trop linéaire, mais il n'est pas forcément entièrement convaincu de son intérêt, car un tel ordre recomposé ne fait pas apparaître de constat particulier par le biais de rapprochements. La première moitié de l'ouvrage est consacrée au rôle de Louise Michel pendant la Commune de Paris, son jugement étant évoqué en une page, la deuxième moitié couvrant le reste de sa vie. Mary M. Talbot à fort à faire car elle s'adresse à un lectorat anglo-saxon pas forcément familier de la Commune de Paris. Elle se sert du personnage de Monique pour exposer le contexte de cet épisode de l'Histoire de France, à gros traits car elle ne dispose pas d'une grande pagination. Il ne s'agit donc pas d'un ouvrage sur la Commune, comme peuvent l'être Les Damnés de la Commune de Raphaël Meyssan, ou le Cri du Peuple de Jean Vautrin & Jacques Tardi. Cette partie-là sert à montrer l'engagement de Michel pour le peuple, ainsi que certains de ses traits de caractère, à commencer par un fort altruisme et une forme de témérité assumée. le lecteur est vite entraîné dans cette période car les textes de phagocytent pas les images, et Bryan Talbot est un bédéaste accompli. La narration visuelle est prenante, à la fois pour la qualité de la reconstitution historique, à la fois grâce aux personnages vivants, animés par des émotions. Dès la première page, le lecteur peut apprécier la justesse de la représentation de l'avion. Les quais de la Gare de Lyon sont représentés de manière un peu simplifiée, mais le lecteur retrouve bien la verrière et l'architecture si caractéristique ; en revanche il est très étonné que le corbillard tiré par les chevaux défile sur le quai de la gare. Par la suite, il regarde avec curiosité la vue extérieure de la Gare de Lyon avec sa tour si reconnaissable, la montgolfière au-dessus de Paris, les moulins, le défilé sur les Champs Élysées, l'Hôtel de Ville de Paris, une galerie du Louvres reconverti en atelier pour artisans, la chaire de Saint Sulpice, le trois-mâts Virginie qui emmène Louise Michel en Calédonie, la basilique du Sacré Cœur en construction, la Tour Eiffel également en construction. L'artiste se montre out aussi précis pour dessiner des tenues vestimentaires authentiques aux différentes époques, que ce soient les robes des interlocutrices en train d'évoquer la mémoire de Louise Michel, ou les uniformes militaires. Il adopte une direction d'acteur de type naturaliste insufflant de la vie dans chaque personnage, qu'il soit en train de parler, en train d'agir, en train de se battre aux barricades, en train de se faire rouer de coup. Alors que le format est plus petit que celui d'un comics, la lecture des pages est fluide le dessinateur ayant adapté ses prises de vue, sans rien sacrifier en densité narrative. Il utilise aussi bien des cases avec bordures que sans bordure, une suite de case pour décrire une action, qu'un dessin en pleine page pour un moment particulièrement mémorable (ou atroce, comme les doubles pages consacrées aux morts lors de la semaine sanglante, du 21 au 28 mai 1871). le lecteur lit donc une vraie bande dessinée, et pas un texte académique illustré. Une fois passée l'étonnement que les auteurs ne respectent pas l'ordre chronologique, le lecteur apprécie le dispositif qui consiste à raconter la vie de Louise Michel, commentée par d'autres femmes ce qui permet d'apporter naturellement des éléments de contexte, des jugements de valeur, ainsi qu'une mise en perspective car les discussions se passent après sa mort. Par la force des choses (la pagination), la Commune de Paris n'est vue qu'au travers des actions de Louise Michel, avec quelques éléments de contexte, ce qui peut s'avérer frustrant à certains moments. D'un autre côté, cela permet au lecteur de découvrir deux autres phases de la vie de cette femme, sa déportation en Nouvelle Calédonie, ses activités après son retour en métropole. Les commentaires de Charlotte Perkins Gilman et des autres font ressortir en quoi son engagement et son comportement étaient similaires à celui des autres communards, et tranchaient avec la place réservée à la femme dans la société de l'époque. Il apparaît ainsi une fibre féministe. le titre complet de l'ouvrage mentionne la vision d'une utopie. Cela commence avec la conviction de Louise Michel que les découvertes scientifiques ne peuvent qu'apporter un progrès social. Les auteurs mentionnent Jules Verne, mais surtout Mary Shelley (1797-1851), Herbert George Wells (1866-1946), Edward Bellamy (1850-1898), et Albert Robidal (1848-1926) illustrateur, caricaturiste, graveur, journaliste et romancier français. Il y a donc en filigrane une évocation des romanciers ayant fantasmé un monde meilleur au travers de leurs écrits d'anticipation ou de leurs essais, tout comme la Commune de Pais était fondée sur une vision utopique de la société. Arrivé à la fin du récit, il ne reste plus au lecteur qu'à s'interroger sur le lien qui unit la vie de Louise Michel à cette étrange introduction et conclusion mettant en scène Henry François Reichelt, lui aussi le concepteur d'une invention révolutionnaire qui l'a testé sans filet, comme la Commune était sans filet. Les époux Talbot évoquent la vie de Louise Michel dans un bande dessinée dense, tout en étant très facile à lire. La narration visuelle est impeccable pour reconstituer les différentes époques et les différents lieux (de Paris à la Nouvelle Calédonie), pour une vraie bande dessinée, et pas un texte illustré. le lecteur sortira forcément frustré de sa lecture, que ce soit sur le déroulement de la Commune de Paris, ou sur la vie même de cette femme car il y a trop à dire pour la pagination.

20/04/2024 (modifier)