Série à l’univers singulier, volontairement déroutant, qui assume un scénario non linéaire et parfois confus sans que cela nuise réellement à la lecture. La narration se perd par moments, mais ce flottement fait partie intégrante de l’expérience : l’enjeu n’est pas la trajectoire globale, mais ce qui se construit autour des personnages et des thèmes.
La grande force de la série réside précisément dans ses protagonistes. Attachants, excessifs, profondément humains malgré le cadre loufoque, ils portent le récit bien plus que l’intrigue elle-même. L’humour est omniprésent, souvent frontal, mais soutenu par une vraie profondeur thématique et un travail de fond sur l’identité, la marginalité et le regard porté sur la norme.
Graphiquement et éditorialement, l’univers est très dense : abondance de contexte, contenus additionnels, enrichissements périphériques. On s’y laisse progressivement absorber. À noter que les séries dérivées prolongent et affinent cet univers avec une efficacité parfois supérieure à la série principale.
Fidji propose un récit solide et maîtrisé sur le doute, la fuite en avant et l’amitié masculine. Le road-trip sert de structure efficace pour faire émerger les tensions, les non-dits et une violence latente, contrebalancée par une réelle douceur. Le scénario progresse avec retenue et installe une atmosphère de plus en plus chargée émotionnellement.
Le personnage principal est profondément humain, parfois difficile à comprendre, ce qui renforce la crédibilité du récit. Le dessin, cru, précis et très dynamique, accompagne parfaitement cette ambivalence. La fin reconfigure la lecture de l’ensemble et donne une profondeur nouvelle aux pages précédentes.
Cette série propose une relecture sérieuse et appliquée de la légende arthurienne, avec un récit dense qui prend le temps de poser son univers et ses enjeux. Le scénario est solide, bien construit, mais peine à réellement captiver sur la durée. L’ensemble reste intéressant à suivre sans jamais atteindre un niveau d’implication émotionnelle marquant.
Le dessin se montre plaisant et maîtrisé, avec une recherche artistique évidente. Toutefois, malgré cette qualité formelle, il peine à installer une atmosphère forte ou véritablement immersive. L’univers est crédible, respectueux de la légende de Bretagne, mais reste plus illustratif que réellement habité.
Au final, il s’agit d’une bonne série, agréable et cohérente, qui séduira les amateurs de mythes arthuriens traités avec sérieux. Elle manque cependant d’un souffle ou d’une identité suffisamment forte pour s’imposer comme un cycle de bande dessinée majeur.
Très belle série, portée avant tout par une proposition graphique impressionnante. Le dessin est extrêmement précis, dense, presque foisonnant, avec une recherche manifeste sur les décors, les architectures, les palais décadents, les navires et surtout les démons. Les mises en scène sanglantes sont particulièrement réussies : le gore et l’hémoglobine ne sont jamais gratuits et servent pleinement l’atmosphère tragique et violente du récit. L’utilisation des couleurs et des nuances accompagne intelligemment les variations de ton et de rythme.
Le scénario reste relativement classique dans sa structure, mais l’intérêt se situe ailleurs. La construction des personnages, et en particulier d’Elric, apporte une vraie profondeur émotionnelle. On perçoit une forme d’humanité là où l’univers, le contexte et les choix imposés au héros ne laissent théoriquement aucune place à la compassion ou au doute. Cette tension permanente donne du poids au récit et renforce son aspect sombre et fataliste.
La série s’adresse clairement à un public amateur de fantasy dark : ambiance glauque, dessin envoûtant, thématiques sombres, violence assumée, hémoglobine et une part de nudité. Une œuvre exigeante mais visuellement marquante, dont la force principale réside dans sa direction artistique et sa capacité à rendre fascinant un univers profondément cruel.
En fin d’album, une mise au point d’un historien, et un entretien avec l’auteur permettent de mieux connaitre le contexte, l’histoire de la région, mais aussi le processus créatif de l’auteur. Cela complète très bien l’album.
Cela permet aussi de mieux comprendre le récit qui, je dois bien l’avouer, m’est resté parfois obscur.
En effet, la narration est un peu décousue, voire brouillonne. Et le traitement graphique (malgré ses belles qualités) ne fait qu’accentuer cette relative difficulté à suivre le récit, les protagonistes.
Graphiquement c’est très original, puisque l’auteur use de gravures pour le récit et la présentation des personnages. Le rendu est donc attrayant – mais aussi, je l’ai dit, parfois difficile à déchiffrer.
Reste que cet album m’a appris pas mal de chose sur porto Rico (je n’en connaissais pas grand-chose il faut dire), sur l’action des États-Unis dans ce qui, présenté parfois comme le futur 51ème État de l’Union, n’est en fait ni plus ni moins qu’une colonie. Et le contexte de la guerre froide dans lequel se déroule le récit ne fait qu’exacerber la violence et l’intransigeance du « soutien » américain au pouvoir portoricain face aux révoltés.
Un album intéressant, visuellement original et attractif, mais qui m’a quand même quelque peu laissé sur ma faim.
La lecture est parfois austère, mais elle n’est jamais ennuyeuse, bien au contraire !
Les près de 350 pages se lisent même assez rapidement (il n’y a le plus souvent que peu de texte par page). Car le sujet est intéressant, et traité intelligemment.
C’est une réflexion sur la solitude. Autour de quelques moments de la vie de l’auteure (d’une trentaine d’années), mais aussi en utilisant des citations d’auteurs divers et surtout des études de spécialistes (au passage, le long passage autour des expériences menées par un chercheur américain avec des singes fait froid dans le dos, avec ces tortures horribles et répétées qui dépassent le sadisme le plus noir – alors même qu’au final elles ont pu aboutir à plus d’empathie de la part des parents envers leurs enfants !).
L’étude de Kristen Radtke permet aussi en filigrane d’apercevoir une Amérique un rien schizophrène, avec un mythe du cow-boy solitaire et une folie des armes à feu qui transforment chaque habitant en un camp retranché.
Une lecture intéressante en tout cas. Qui entraîne une réflexion sur sa propre expérience, immanquablement.
Daniel Clowes est un auteur relativement clivant. Chez moi aussi il déclenche des réactions mitigées, et j’ai parfois du mal à me positionner. Et c’est encore le cas avec cet album.
Tout d’abord j’aime beaucoup son travail graphique. Classique, une ligne claire très agréable, colorée, mais au rendu très froid. Une froideur qui colle parfaitement avec l’atmosphère développée par Clowes au travers de ses personnages.
Car il n’a pas son pareil pour nous présenter des personnages froids, losers, et au travers d’eux exprimer le malaise de l’Amérique, loin de l’euphorie triomphante qu’elle aime donner d’elle-même.
Mais du coup on ne peut s’attacher aux personnages, qui ne sont même pas méchants. C’est juste qu’ils écartent d’emblée toute empathie, qu’ils nous laissent indifférents. Et du coup parfois l’ennuie pointe le bout de son museau.
Je n’ai pas détesté, mais j’en suis sorti sur ma faim.
Note réelle 2,5/5.
Maintenant l’incommensurable fleur du présent allait devoir s’ouvrir.
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Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre. Son édition originale date de 1994. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et par Mœbius pour les dessins. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc qui comprend soixante-neuf pages. Elle se termine avec une postface, un texte d’une page, rédigé par Diana Widmaier-Picasso. Dans celui-ci, elle évoque les circonstances dans lesquelles ce magnifique ouvrage lui a été offert, la dédicace que lui avait faite le scénariste (Pour Diana, avec une érection angélicale), les griffes de l’ange qui offrent autant de plaisir que de douleur, la communication artistique de ses deux créateurs, le parcours d’une belle jeune femme cherchant à se libérer par l’accomplissement de ses fantasmes les plus enfouis.
Une femme nue, recroquevillée sur elle-même gît à même le sol parmi des feuilles, au pied d’une foule indifférente, une corde passant sous elle. Une jeune femme se tient debout, les mains jointes, dans une belle robe de cérémonie. Une jeune femme se dévêtit totalement en ne gardant que son chapeau de deuil avec sa voilette, au pied de la croix de la tombe de son père qui vient d’être enterré. Les obsèques durèrent des heures : le cadavre de son père s’obstinait à sortir du cercueil pour aller danser avec ses veuves. Il fallut six gardiens pour venir à bout de sa résistance épileptique et sceller le couvercle. En guise de terre, ils remplirent la fosse avec les corps des veuves. Elle retournait seule en ville. Elle savait bien que la maison était abandonnée depuis un demi-siècle, il fallait pourtant qu’elle y dirige ses pas : de ses fenêtres ouvertes se dégageait l’appel d’une épaisse odeur de sperme.
La jeune femme s’est détournée de profil, ses longs cheveux flottant au vent derrière elle, alors qu’elle contemple une sorte de larve en suspension devant ses yeux. La fille éplorée par la mort de son père marche dans la rue et se dirige vers une maison. Elle n’utilisait pas de tampons ; cependant, au lieu de couler, le sang menstruel se cristallisait dans son vagin, formant peu à peu un diamant rouge… Devant la porte d’entrée l’attendait son père, murmurant avide, de lui donner ce joyau. Elle monte les marches du perron et se dirige vers lui alors qu’il tient son sexe en érection dans ses mains. La jeune femme s’incline devant la larve qui est devenu un long tentacule. La jeune femme en robe de deuil s’agenouille devant l’homme qi est peut-être son père. Elle retrousse ses jupes et elle dépose le caillot entre ses mains, tout en tenant son sexe de la main droite. Il s’éleva dans l’air pour se mutiler l’asperger d’une pluie sanglante. Il l’interpelle en l’appelant Griffes d’ange, et en lui disant qu’elle est désormais invulnérable. Elle peut maintenant explorer le passé, lui dit-il d’une voix qui ne jaillissait pas de sa gorge mais de la plaie ouverte comme une bouche entre ses cuisses. Passée la porte, un abîme s’ouvrit derrière elle qui avala le monde extérieur.
Quel album singulier ! Et ce n’est rien de le dire, même si un homme averti en vaut deux. Pour commencer sa forme : il s’ouvre avec un dessin en pleine page, la forme d’une jeune femme nue recroquevillée sur elle-même, à terre, sous le regard de badauds dont on ne voit que les pieds. Puis viennent soixante-huit pages conçues comme des doubles pages. Sur celle de gauche se trouve une seule case en haut à gauche consacrée à une jeune femme à la longue chevelure vêtue d’une tunique plus ou moins longue selon les pages, parfois d’un pantalon ou d’une robe, semblant contempler une créature ayant une forme de grosse larve en lévitation, parfois une forme de tentacules, parfois plusieurs larves animées d’un mouvement de vol autonome. À côté de cette case un texte de quelques lignes, à la longueur variable, évoquant la situation d’une femme, semblant toutefois sans rapport avec ce qui est dessiné dans la case. La page en vis-à-vis comporte une unique illustration en pleine page, en lien direct avec le texte sur la page de gauche. À une exception près (la femme se dirigeant vers la maison), il s’agit d’un dessin de nature érotique ou pornographique où la nudité est présente, pour partie ou en totalité, parfois des gros plans sur une zone érogène ou une partie génitale, allant jusqu’à la pénétration, avec quelques pratiques sortant de l’ordinaire, pouvant être qualifiées de sadomasochistes ou même de déviantes. Ces représentations peuvent être de nature réaliste, ou teintée d’exagération en particulier pour les pratiques qui font mal, ou encore de fantastique et même de science-fiction, la narration visuelle se faisant alors métaphorique.
Pour autant, le lecteur peut percevoir que le texte raconte une histoire avec une progression dramatique, une intrigue même. Tout commence par cette mention des obsèques qui durent des heures, celles du père de la jeune femme. Puis elle le retrouve dans cette maison isolée au milieu de la ville. Il s’en suit un mélange d’expériences sexuelles, et de cheminement spirituel. L’histoire évoque aussi bien des détails anatomiques (le sperme, les tétons, la chair, le corps, le sexe, la poitrine, le clitoris, le pénis), que des notions comme le rapport au père, à la mère, des expériences de transgression liées aux excréments, aux fluides corporels, à la douleur, une clef en forme d’infini, un arc-en-ciel d’albâtre, la perte d’identité, le recours à l’usage de masques, la mutilation symbolique, un acte rituel, la discipline et la méditation, un accouplement avec un ange, le piège de la pesanteur, etc. La femme traverse différents rites ou subit différentes initiations, reprenant parfois l’initiative, ayant évolué d’une manière ou d’une autre. Elle se trouve confrontée à des interdits, parfois des tabous, liés à sa féminité, au plaisir de la chair, au refoulé de nature psychanalytique. Elle entend une voix lui dire : Quand on perd l’espoir, on perd la peur. Elle déclare que : Au programme de son école n’était inscrite qu’une seule matière : apprendre à vivre… Il n’y avait qu’un professeur : elle-même. Jour après jour, on n’y méditait qu’une phrase : Aujourd’hui la discipline.
Dans le même temps, le lecteur peut également approcher sa lecture comme une suite d’illustrations, celles des pages de droite, au nombre de trente-cinq. Passé la première illustration, celle de l’ange déchu à terre et celle de la troisième, il compulse alors un recueil de dessins allant de l’érotisme à la pornographie, le plus souvent très explicites. Fellation, exhibitionnisme, domination, saphisme, mutilation, piercings extrêmes jusqu’à l’impossible, latex, soumission, humiliation, fétichisme, tentacules… et même une simple étreinte vraiment amoureuse. Le trait de plume de l’artiste est fin et précis avec une décontraction élégante, apportant une touche de vie dans ces poses. Les dessins sont précis et cliniques, sans aucune hypocrisie montrant explicitement chaque chose, d’un parcmètre à des jambes écartées dévoilant un sexe épilé, en passant par des giclées de sang, un fouet ou une paire de chaussures choisie avec soin. L’artiste se situe dans le concret, représentant tout avec le même degré de réalisme, y compris les éléments fantastiques.
Le lecteur approche alors chaque illustration comme un tableau se suffisant à lui-même. La fille éplorée se débarrassant de ses vêtements devant une tombe, la femme recevant des giclées de sang sur son opulente poitrine dénudée, la femme se cousant les lèvres du sexe, celle avec d’immenses aiguilles en guise de piercing des tétons, celle agenouillée, bâillonnée et ligotée en sous-vêtements, on encore celle dénudée lévitant à quelques centimètres au-dessus du sol. Le lecteur prête attention aux accessoires et aux détails, aussi bien ceux normaux, que ceux incongrus ou relevant du fantastique ou de la science-fiction. Des toiles accrochées au mur d’un couloir, les maillons d’une chaîne, une clef en forme d’infini, des masques à fermeture éclair, une tapisserie aux motifs incas, une statue d’art primitif du continent africain aux attributs généreux, un bureau de maîtresse devant un tableau, une serrure, des chaussures talons aiguilles… des sortes de larves flottant dans l’air. Comme un écho de celles se trouvant dans certaines petites cases de la page de gauche. D’ailleurs ces cases, à raison d’une par page de gauche, semblent former à elles seules leur propre trame narrative, qui rejoint l’histoire portée par les textes accompagnant les illustrations sur la page de droite.
Peut-être que le scénariste a écrit son texte à partir d’une collection d’images réalisées par l’artiste, et peut-être celles-ci ont-elles été réalisées à partir de thèmes du scénariste imposés comme autant de défi au dessinateur ? Quoi qu’il en soit, le texte forme lui aussi une narration, celle d’une suite de rituels et d’épreuve pour la femme, et aussi des pistes d’interprétation et de réflexion sur les situations. Jodorowsky s’en donne à cœur joie avec la récurrence de l’image du père, la figure paternelle à enterrer, à embrasser, comme prisme déformant du regard porté sur chaque homme, avec la figure maternelle de laquelle la fille doit s’émanciper pour devenir femme et autonome. Il met en scène d’autres symboles et métaphores telles celle du masque, des fluides corporels (sang, sperme, urine), la force de la pulsion sexuelle, la quête de l’identité, le poids du passé, le sceptre du pouvoir obscur comme image phallique, la voracité des hommes dépravés par le désir sexuel, jusqu’à la transfiguration du personnage féminin, se libérant du dernier piège, le plus antique la pesanteur. En cours de narration, le lecteur relève la maxime relative à l’espoir (Quand on perd l’espoir, on perd la peur), le passage à l’âge adulte (L’enfant qui m’avait possédée depuis l’âge de neuf ans cessa d’orienter mes pas. Désormais le guide, c’était moi.), la notion d’éducation pour apprendre à vivre (aujourd’hui, la discipline). Le texte oscille entre flux de pensées, association libres, images métaphoriques (celles de la serrure par exemple), autour d’une trame de la transformation de soi pour se libérer.
Une bien singulière expérience de lecture. Dans sa forme, une image à gauche accolée à un texte, un dessin en pleine page à droite, en rapport avec le texte. Des solutions de continuité d’une double page à la suivante, et aussi des éléments récurrents trouvant leur écho d’une scène dans une autre. Un voyage d’épreuves pour se libérer dans comportements et valeurs de la société, des souffrances libératrices, et des plaisirs, voire jouissances, transcendants, tout en restant dans le registre de l’hétérosexualité. Des dessins délicats et impitoyables, explicites et insoutenables, oniriques et méticuleux. Un voyage plus qu’une destination, une expérience plus qu’une lecture, une libération éprouvante. Entre surréalisme et pornographie.
Alors moi j'aime autant Le vaisseau de Pierre que La croisière des Oubliés ! Je trouve que s'il en avait fait d'autre, Bilal aurait eu son cycle de Bretagne, pas arthurien mais rêveur tout de même. Et révolté, et proche du peuple ! Ici, on a le vieux terroriste qui ne veut finalement pas de l'utopie de l'errant proposant des utopies diverses, dans La Ville qui n'existait pas et La croisière des Oubliés. L'indépendantisme breton semble-t-il classé à droite n'est pas trop bien vu, même si le personnage est intégré au reste du village.
Alors ? Les habitants du village vont obtenir ce qu'ils veulent autrement que par la violence et que ceux de La croisière des Oubliés… Qui veut savoir comment sera, je l'espère, tenté de lire Bilal ! Le fantastique fait une apparition très bienvenue, les personnages vous le diront. J'aime aussi l'ambiance dans le bar, les brumes…
Les opposants sont-ils caricaturés ? Dur à dire, il y a de tout partout. Il faut juger la valeur des opposants aux gens que l'histoire montre dans leur droit, dans toute l'œuvre. Dans la plus réaliste, La ville qui n'existait pas, comme le dit le cadre le plus lucide à l'héritière, quels moyens n'utilisez-vous pas avec les… têtes faibles, peut-être ? Le plus capable obtient en récompense de sa lucidité, le pouvoir sur le groupe pourvu qu'il fasse vivre La ville qui n'existait pas ! Et un coup à droite, un coup à gauche, en somme, il y a pas mal de nuls aussi chez les soviétiques dans Partie de chasse. Je diagnostique que Bilal ne se fait pas d'illusion sur la capacité de la plupart des dirigeants à voir loin. Je pense aussi qu'il n'ignore pas les tares de la nature humaine, même si sa chaude fraternité pour les dominés renvoie cela à l'arrière-plan.
Bilal pas tout à fait Bilal, entre Bilal et Moebius fait des dessins qui me plaisent véritablement, même si j'apprécie l'émancipation de Moebius ! Et l'histoire, mon dieu, l'histoire n'est pas si mal. En tout cas, je l'ai lue avec plaisir, et même en réveillant mon cerveau, à la fin.
Eh oui, j'aime bien le dialogue entre le héros et le chef des manichéens de l'espace. Qu'est-ce que le pur et l'impur, qu'est-ce que le juste et l'injuste ? de façon revisitée… En fait, l'œuvre aurait pu être bien meilleure en creusant ce sillon. Mais bon, peut-être que Bilal, pas encore connu, n'a pas osé prendre la tête des lecteurs ? Peut-être que Dionnet a eu peur que les gens fuient à la moindre complexité ? A la fin, il ne vont pas refermer l'album, et on peut sortir de l'action vue cent fois des batailles et des fuites, et on a le dialogue avec le manichéen, et le dialogue presque silencieux et nostalgique avec un personnage donnant une part de mystère à l'œuvre.
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Freaks' Squeele
Série à l’univers singulier, volontairement déroutant, qui assume un scénario non linéaire et parfois confus sans que cela nuise réellement à la lecture. La narration se perd par moments, mais ce flottement fait partie intégrante de l’expérience : l’enjeu n’est pas la trajectoire globale, mais ce qui se construit autour des personnages et des thèmes. La grande force de la série réside précisément dans ses protagonistes. Attachants, excessifs, profondément humains malgré le cadre loufoque, ils portent le récit bien plus que l’intrigue elle-même. L’humour est omniprésent, souvent frontal, mais soutenu par une vraie profondeur thématique et un travail de fond sur l’identité, la marginalité et le regard porté sur la norme. Graphiquement et éditorialement, l’univers est très dense : abondance de contexte, contenus additionnels, enrichissements périphériques. On s’y laisse progressivement absorber. À noter que les séries dérivées prolongent et affinent cet univers avec une efficacité parfois supérieure à la série principale.
Fidji
Fidji propose un récit solide et maîtrisé sur le doute, la fuite en avant et l’amitié masculine. Le road-trip sert de structure efficace pour faire émerger les tensions, les non-dits et une violence latente, contrebalancée par une réelle douceur. Le scénario progresse avec retenue et installe une atmosphère de plus en plus chargée émotionnellement. Le personnage principal est profondément humain, parfois difficile à comprendre, ce qui renforce la crédibilité du récit. Le dessin, cru, précis et très dynamique, accompagne parfaitement cette ambivalence. La fin reconfigure la lecture de l’ensemble et donne une profondeur nouvelle aux pages précédentes.
Excalibur - Chroniques
Cette série propose une relecture sérieuse et appliquée de la légende arthurienne, avec un récit dense qui prend le temps de poser son univers et ses enjeux. Le scénario est solide, bien construit, mais peine à réellement captiver sur la durée. L’ensemble reste intéressant à suivre sans jamais atteindre un niveau d’implication émotionnelle marquant. Le dessin se montre plaisant et maîtrisé, avec une recherche artistique évidente. Toutefois, malgré cette qualité formelle, il peine à installer une atmosphère forte ou véritablement immersive. L’univers est crédible, respectueux de la légende de Bretagne, mais reste plus illustratif que réellement habité. Au final, il s’agit d’une bonne série, agréable et cohérente, qui séduira les amateurs de mythes arthuriens traités avec sérieux. Elle manque cependant d’un souffle ou d’une identité suffisamment forte pour s’imposer comme un cycle de bande dessinée majeur.
Elric (Glénat)
Très belle série, portée avant tout par une proposition graphique impressionnante. Le dessin est extrêmement précis, dense, presque foisonnant, avec une recherche manifeste sur les décors, les architectures, les palais décadents, les navires et surtout les démons. Les mises en scène sanglantes sont particulièrement réussies : le gore et l’hémoglobine ne sont jamais gratuits et servent pleinement l’atmosphère tragique et violente du récit. L’utilisation des couleurs et des nuances accompagne intelligemment les variations de ton et de rythme. Le scénario reste relativement classique dans sa structure, mais l’intérêt se situe ailleurs. La construction des personnages, et en particulier d’Elric, apporte une vraie profondeur émotionnelle. On perçoit une forme d’humanité là où l’univers, le contexte et les choix imposés au héros ne laissent théoriquement aucune place à la compassion ou au doute. Cette tension permanente donne du poids au récit et renforce son aspect sombre et fataliste. La série s’adresse clairement à un public amateur de fantasy dark : ambiance glauque, dessin envoûtant, thématiques sombres, violence assumée, hémoglobine et une part de nudité. Une œuvre exigeante mais visuellement marquante, dont la force principale réside dans sa direction artistique et sa capacité à rendre fascinant un univers profondément cruel.
Et l'île s'embrasa
En fin d’album, une mise au point d’un historien, et un entretien avec l’auteur permettent de mieux connaitre le contexte, l’histoire de la région, mais aussi le processus créatif de l’auteur. Cela complète très bien l’album. Cela permet aussi de mieux comprendre le récit qui, je dois bien l’avouer, m’est resté parfois obscur. En effet, la narration est un peu décousue, voire brouillonne. Et le traitement graphique (malgré ses belles qualités) ne fait qu’accentuer cette relative difficulté à suivre le récit, les protagonistes. Graphiquement c’est très original, puisque l’auteur use de gravures pour le récit et la présentation des personnages. Le rendu est donc attrayant – mais aussi, je l’ai dit, parfois difficile à déchiffrer. Reste que cet album m’a appris pas mal de chose sur porto Rico (je n’en connaissais pas grand-chose il faut dire), sur l’action des États-Unis dans ce qui, présenté parfois comme le futur 51ème État de l’Union, n’est en fait ni plus ni moins qu’une colonie. Et le contexte de la guerre froide dans lequel se déroule le récit ne fait qu’exacerber la violence et l’intransigeance du « soutien » américain au pouvoir portoricain face aux révoltés. Un album intéressant, visuellement original et attractif, mais qui m’a quand même quelque peu laissé sur ma faim.
Seek You - Un voyage dans la solitude contemporaine
La lecture est parfois austère, mais elle n’est jamais ennuyeuse, bien au contraire ! Les près de 350 pages se lisent même assez rapidement (il n’y a le plus souvent que peu de texte par page). Car le sujet est intéressant, et traité intelligemment. C’est une réflexion sur la solitude. Autour de quelques moments de la vie de l’auteure (d’une trentaine d’années), mais aussi en utilisant des citations d’auteurs divers et surtout des études de spécialistes (au passage, le long passage autour des expériences menées par un chercheur américain avec des singes fait froid dans le dos, avec ces tortures horribles et répétées qui dépassent le sadisme le plus noir – alors même qu’au final elles ont pu aboutir à plus d’empathie de la part des parents envers leurs enfants !). L’étude de Kristen Radtke permet aussi en filigrane d’apercevoir une Amérique un rien schizophrène, avec un mythe du cow-boy solitaire et une folie des armes à feu qui transforment chaque habitant en un camp retranché. Une lecture intéressante en tout cas. Qui entraîne une réflexion sur sa propre expérience, immanquablement.
Ice Haven
Daniel Clowes est un auteur relativement clivant. Chez moi aussi il déclenche des réactions mitigées, et j’ai parfois du mal à me positionner. Et c’est encore le cas avec cet album. Tout d’abord j’aime beaucoup son travail graphique. Classique, une ligne claire très agréable, colorée, mais au rendu très froid. Une froideur qui colle parfaitement avec l’atmosphère développée par Clowes au travers de ses personnages. Car il n’a pas son pareil pour nous présenter des personnages froids, losers, et au travers d’eux exprimer le malaise de l’Amérique, loin de l’euphorie triomphante qu’elle aime donner d’elle-même. Mais du coup on ne peut s’attacher aux personnages, qui ne sont même pas méchants. C’est juste qu’ils écartent d’emblée toute empathie, qu’ils nous laissent indifférents. Et du coup parfois l’ennuie pointe le bout de son museau. Je n’ai pas détesté, mais j’en suis sorti sur ma faim. Note réelle 2,5/5.
Griffes d'Ange
Maintenant l’incommensurable fleur du présent allait devoir s’ouvrir. - Ce tome contient un récit complet, indépendant de tout autre. Son édition originale date de 1994. Il a été réalisé par Alejandro Jodorowsky pour le scénario, et par Mœbius pour les dessins. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc qui comprend soixante-neuf pages. Elle se termine avec une postface, un texte d’une page, rédigé par Diana Widmaier-Picasso. Dans celui-ci, elle évoque les circonstances dans lesquelles ce magnifique ouvrage lui a été offert, la dédicace que lui avait faite le scénariste (Pour Diana, avec une érection angélicale), les griffes de l’ange qui offrent autant de plaisir que de douleur, la communication artistique de ses deux créateurs, le parcours d’une belle jeune femme cherchant à se libérer par l’accomplissement de ses fantasmes les plus enfouis. Une femme nue, recroquevillée sur elle-même gît à même le sol parmi des feuilles, au pied d’une foule indifférente, une corde passant sous elle. Une jeune femme se tient debout, les mains jointes, dans une belle robe de cérémonie. Une jeune femme se dévêtit totalement en ne gardant que son chapeau de deuil avec sa voilette, au pied de la croix de la tombe de son père qui vient d’être enterré. Les obsèques durèrent des heures : le cadavre de son père s’obstinait à sortir du cercueil pour aller danser avec ses veuves. Il fallut six gardiens pour venir à bout de sa résistance épileptique et sceller le couvercle. En guise de terre, ils remplirent la fosse avec les corps des veuves. Elle retournait seule en ville. Elle savait bien que la maison était abandonnée depuis un demi-siècle, il fallait pourtant qu’elle y dirige ses pas : de ses fenêtres ouvertes se dégageait l’appel d’une épaisse odeur de sperme. La jeune femme s’est détournée de profil, ses longs cheveux flottant au vent derrière elle, alors qu’elle contemple une sorte de larve en suspension devant ses yeux. La fille éplorée par la mort de son père marche dans la rue et se dirige vers une maison. Elle n’utilisait pas de tampons ; cependant, au lieu de couler, le sang menstruel se cristallisait dans son vagin, formant peu à peu un diamant rouge… Devant la porte d’entrée l’attendait son père, murmurant avide, de lui donner ce joyau. Elle monte les marches du perron et se dirige vers lui alors qu’il tient son sexe en érection dans ses mains. La jeune femme s’incline devant la larve qui est devenu un long tentacule. La jeune femme en robe de deuil s’agenouille devant l’homme qi est peut-être son père. Elle retrousse ses jupes et elle dépose le caillot entre ses mains, tout en tenant son sexe de la main droite. Il s’éleva dans l’air pour se mutiler l’asperger d’une pluie sanglante. Il l’interpelle en l’appelant Griffes d’ange, et en lui disant qu’elle est désormais invulnérable. Elle peut maintenant explorer le passé, lui dit-il d’une voix qui ne jaillissait pas de sa gorge mais de la plaie ouverte comme une bouche entre ses cuisses. Passée la porte, un abîme s’ouvrit derrière elle qui avala le monde extérieur. Quel album singulier ! Et ce n’est rien de le dire, même si un homme averti en vaut deux. Pour commencer sa forme : il s’ouvre avec un dessin en pleine page, la forme d’une jeune femme nue recroquevillée sur elle-même, à terre, sous le regard de badauds dont on ne voit que les pieds. Puis viennent soixante-huit pages conçues comme des doubles pages. Sur celle de gauche se trouve une seule case en haut à gauche consacrée à une jeune femme à la longue chevelure vêtue d’une tunique plus ou moins longue selon les pages, parfois d’un pantalon ou d’une robe, semblant contempler une créature ayant une forme de grosse larve en lévitation, parfois une forme de tentacules, parfois plusieurs larves animées d’un mouvement de vol autonome. À côté de cette case un texte de quelques lignes, à la longueur variable, évoquant la situation d’une femme, semblant toutefois sans rapport avec ce qui est dessiné dans la case. La page en vis-à-vis comporte une unique illustration en pleine page, en lien direct avec le texte sur la page de gauche. À une exception près (la femme se dirigeant vers la maison), il s’agit d’un dessin de nature érotique ou pornographique où la nudité est présente, pour partie ou en totalité, parfois des gros plans sur une zone érogène ou une partie génitale, allant jusqu’à la pénétration, avec quelques pratiques sortant de l’ordinaire, pouvant être qualifiées de sadomasochistes ou même de déviantes. Ces représentations peuvent être de nature réaliste, ou teintée d’exagération en particulier pour les pratiques qui font mal, ou encore de fantastique et même de science-fiction, la narration visuelle se faisant alors métaphorique. Pour autant, le lecteur peut percevoir que le texte raconte une histoire avec une progression dramatique, une intrigue même. Tout commence par cette mention des obsèques qui durent des heures, celles du père de la jeune femme. Puis elle le retrouve dans cette maison isolée au milieu de la ville. Il s’en suit un mélange d’expériences sexuelles, et de cheminement spirituel. L’histoire évoque aussi bien des détails anatomiques (le sperme, les tétons, la chair, le corps, le sexe, la poitrine, le clitoris, le pénis), que des notions comme le rapport au père, à la mère, des expériences de transgression liées aux excréments, aux fluides corporels, à la douleur, une clef en forme d’infini, un arc-en-ciel d’albâtre, la perte d’identité, le recours à l’usage de masques, la mutilation symbolique, un acte rituel, la discipline et la méditation, un accouplement avec un ange, le piège de la pesanteur, etc. La femme traverse différents rites ou subit différentes initiations, reprenant parfois l’initiative, ayant évolué d’une manière ou d’une autre. Elle se trouve confrontée à des interdits, parfois des tabous, liés à sa féminité, au plaisir de la chair, au refoulé de nature psychanalytique. Elle entend une voix lui dire : Quand on perd l’espoir, on perd la peur. Elle déclare que : Au programme de son école n’était inscrite qu’une seule matière : apprendre à vivre… Il n’y avait qu’un professeur : elle-même. Jour après jour, on n’y méditait qu’une phrase : Aujourd’hui la discipline. Dans le même temps, le lecteur peut également approcher sa lecture comme une suite d’illustrations, celles des pages de droite, au nombre de trente-cinq. Passé la première illustration, celle de l’ange déchu à terre et celle de la troisième, il compulse alors un recueil de dessins allant de l’érotisme à la pornographie, le plus souvent très explicites. Fellation, exhibitionnisme, domination, saphisme, mutilation, piercings extrêmes jusqu’à l’impossible, latex, soumission, humiliation, fétichisme, tentacules… et même une simple étreinte vraiment amoureuse. Le trait de plume de l’artiste est fin et précis avec une décontraction élégante, apportant une touche de vie dans ces poses. Les dessins sont précis et cliniques, sans aucune hypocrisie montrant explicitement chaque chose, d’un parcmètre à des jambes écartées dévoilant un sexe épilé, en passant par des giclées de sang, un fouet ou une paire de chaussures choisie avec soin. L’artiste se situe dans le concret, représentant tout avec le même degré de réalisme, y compris les éléments fantastiques. Le lecteur approche alors chaque illustration comme un tableau se suffisant à lui-même. La fille éplorée se débarrassant de ses vêtements devant une tombe, la femme recevant des giclées de sang sur son opulente poitrine dénudée, la femme se cousant les lèvres du sexe, celle avec d’immenses aiguilles en guise de piercing des tétons, celle agenouillée, bâillonnée et ligotée en sous-vêtements, on encore celle dénudée lévitant à quelques centimètres au-dessus du sol. Le lecteur prête attention aux accessoires et aux détails, aussi bien ceux normaux, que ceux incongrus ou relevant du fantastique ou de la science-fiction. Des toiles accrochées au mur d’un couloir, les maillons d’une chaîne, une clef en forme d’infini, des masques à fermeture éclair, une tapisserie aux motifs incas, une statue d’art primitif du continent africain aux attributs généreux, un bureau de maîtresse devant un tableau, une serrure, des chaussures talons aiguilles… des sortes de larves flottant dans l’air. Comme un écho de celles se trouvant dans certaines petites cases de la page de gauche. D’ailleurs ces cases, à raison d’une par page de gauche, semblent former à elles seules leur propre trame narrative, qui rejoint l’histoire portée par les textes accompagnant les illustrations sur la page de droite. Peut-être que le scénariste a écrit son texte à partir d’une collection d’images réalisées par l’artiste, et peut-être celles-ci ont-elles été réalisées à partir de thèmes du scénariste imposés comme autant de défi au dessinateur ? Quoi qu’il en soit, le texte forme lui aussi une narration, celle d’une suite de rituels et d’épreuve pour la femme, et aussi des pistes d’interprétation et de réflexion sur les situations. Jodorowsky s’en donne à cœur joie avec la récurrence de l’image du père, la figure paternelle à enterrer, à embrasser, comme prisme déformant du regard porté sur chaque homme, avec la figure maternelle de laquelle la fille doit s’émanciper pour devenir femme et autonome. Il met en scène d’autres symboles et métaphores telles celle du masque, des fluides corporels (sang, sperme, urine), la force de la pulsion sexuelle, la quête de l’identité, le poids du passé, le sceptre du pouvoir obscur comme image phallique, la voracité des hommes dépravés par le désir sexuel, jusqu’à la transfiguration du personnage féminin, se libérant du dernier piège, le plus antique la pesanteur. En cours de narration, le lecteur relève la maxime relative à l’espoir (Quand on perd l’espoir, on perd la peur), le passage à l’âge adulte (L’enfant qui m’avait possédée depuis l’âge de neuf ans cessa d’orienter mes pas. Désormais le guide, c’était moi.), la notion d’éducation pour apprendre à vivre (aujourd’hui, la discipline). Le texte oscille entre flux de pensées, association libres, images métaphoriques (celles de la serrure par exemple), autour d’une trame de la transformation de soi pour se libérer. Une bien singulière expérience de lecture. Dans sa forme, une image à gauche accolée à un texte, un dessin en pleine page à droite, en rapport avec le texte. Des solutions de continuité d’une double page à la suivante, et aussi des éléments récurrents trouvant leur écho d’une scène dans une autre. Un voyage d’épreuves pour se libérer dans comportements et valeurs de la société, des souffrances libératrices, et des plaisirs, voire jouissances, transcendants, tout en restant dans le registre de l’hétérosexualité. Des dessins délicats et impitoyables, explicites et insoutenables, oniriques et méticuleux. Un voyage plus qu’une destination, une expérience plus qu’une lecture, une libération éprouvante. Entre surréalisme et pornographie.
Le Vaisseau de Pierre
Alors moi j'aime autant Le vaisseau de Pierre que La croisière des Oubliés ! Je trouve que s'il en avait fait d'autre, Bilal aurait eu son cycle de Bretagne, pas arthurien mais rêveur tout de même. Et révolté, et proche du peuple ! Ici, on a le vieux terroriste qui ne veut finalement pas de l'utopie de l'errant proposant des utopies diverses, dans La Ville qui n'existait pas et La croisière des Oubliés. L'indépendantisme breton semble-t-il classé à droite n'est pas trop bien vu, même si le personnage est intégré au reste du village. Alors ? Les habitants du village vont obtenir ce qu'ils veulent autrement que par la violence et que ceux de La croisière des Oubliés… Qui veut savoir comment sera, je l'espère, tenté de lire Bilal ! Le fantastique fait une apparition très bienvenue, les personnages vous le diront. J'aime aussi l'ambiance dans le bar, les brumes… Les opposants sont-ils caricaturés ? Dur à dire, il y a de tout partout. Il faut juger la valeur des opposants aux gens que l'histoire montre dans leur droit, dans toute l'œuvre. Dans la plus réaliste, La ville qui n'existait pas, comme le dit le cadre le plus lucide à l'héritière, quels moyens n'utilisez-vous pas avec les… têtes faibles, peut-être ? Le plus capable obtient en récompense de sa lucidité, le pouvoir sur le groupe pourvu qu'il fasse vivre La ville qui n'existait pas ! Et un coup à droite, un coup à gauche, en somme, il y a pas mal de nuls aussi chez les soviétiques dans Partie de chasse. Je diagnostique que Bilal ne se fait pas d'illusion sur la capacité de la plupart des dirigeants à voir loin. Je pense aussi qu'il n'ignore pas les tares de la nature humaine, même si sa chaude fraternité pour les dominés renvoie cela à l'arrière-plan.
Exterminateur 17
Bilal pas tout à fait Bilal, entre Bilal et Moebius fait des dessins qui me plaisent véritablement, même si j'apprécie l'émancipation de Moebius ! Et l'histoire, mon dieu, l'histoire n'est pas si mal. En tout cas, je l'ai lue avec plaisir, et même en réveillant mon cerveau, à la fin. Eh oui, j'aime bien le dialogue entre le héros et le chef des manichéens de l'espace. Qu'est-ce que le pur et l'impur, qu'est-ce que le juste et l'injuste ? de façon revisitée… En fait, l'œuvre aurait pu être bien meilleure en creusant ce sillon. Mais bon, peut-être que Bilal, pas encore connu, n'a pas osé prendre la tête des lecteurs ? Peut-être que Dionnet a eu peur que les gens fuient à la moindre complexité ? A la fin, il ne vont pas refermer l'album, et on peut sortir de l'action vue cent fois des batailles et des fuites, et on a le dialogue avec le manichéen, et le dialogue presque silencieux et nostalgique avec un personnage donnant une part de mystère à l'œuvre.