Je ressors avec un avis plutôt mitigé de cette lecture.
Il y a des choses sympas, comme le dessin. Plusieurs styles se côtoient, et il n’est pas forcément très fouillé. Mais globalement, j’ai bien aimé le rendu, le travail en Noir et Blanc avec hachures. Ce travail et le fait que les personnages soient des chats m’a fait penser à certaines histoires de Matticchio.
Pour le reste, il y a aussi des choses intéressantes, avec des sujets intemporels, autour des relations entre individus : entre enfants et parents, au sein d’un couple (un personnage est particulièrement odieux avec sa « copine », qui ne parvient pourtant pas à se détacher de celui qui l’humilie sans cesse), etc.
Les rêves que l’on fait enfant, pour transcender la réalité, la rendre acceptable, le deuil (d’une grand-mère ici) sont d’autres thèmes abordés.
Le principal problème selon moi vient de la construction du récit, beaucoup trop éclatée, beaucoup trop confuse, au point qu’on a l’impression de suivre plusieurs histoires et de ne jamais connaitre leur fin. Les fausses pubs qui s’immiscent dans le récit, si elles sont parfois intéressantes et amusantes (celles pour les clopes en particulier, qui rappellent une triste réalité en fait), accentue le caractère décousu de l’ensemble, avec de courts chapitres mêlant rêve et réalité, histoires de robots et histoires de chats humanoïdes. C’est un peu dur à suivre en fait.
A noter quand même pour finir que, comme d’habitude pour cet éditeur, le travail éditorial est très beau, avec papier et couverture épais, dos toilé, etc.
Oulah... J'hésite presque à laisser cet avis, tant je me sens à contre-courant de la majorité, mais là je me dois de le faire. Déjà parce que c'est rare qu'une BD m'énerve, mais aussi que ça faisait quelques temps qu'une BD ne m'avait pas lassé au point où j'ai dû me forcer pour finir. Et j'ai des raisons de tout ceci, que je pense nécessaire d'expliquer.
Je ne vais même pas m'étendre sur les qualités de la BD, les autres avis l'ont fait bien mieux que moi et je vous y renvoie si vous voulez avoir envie de lire la BD. Personnellement, je ne dirais que ce qu'il en est quant à mon appréciation, et je dois dire que je suis blasé. Je connaissais déjà Stephan Fert dont j'ai apprécié Peau de Mille Bêtes mais dont le Morgane me semblait carrément moins bon. La BD est un mélange de genre, mais tourné principalement vers la fantasy, utilisant l'image des sorcières. Sauf que la BD est avant tout porteuse d'un propos et que c'est ce propos (que j'avais déjà senti dans d'autres BD de l'auteur) qui vient avec des sabots d'une taille monumentale et tellement gavés de clichés que j'étais vite écœuré. Ça a commencé par la jeune femme venue voir les sorcières pour une potion d'avortement, ce qui m'a paru tellement cliché que j'ai soupiré, puis la vieille qui plante des plantes médicinales que beaucoup pensent être des mauvaises herbes. C'est tellement convenu, tellement cliché (et ça semble indiquer que l'auteur n'a jamais essayé de planter des haricots quand ce foutu plantain a décidé de coloniser l'espace !), et surtout ça n'arrête pas !
On a les clichés sur les sorcières (balais, chapeaux pointus, robes) mais sans interroger la figure qu'elle représente, on a la sororité avec une opposition manichéenne entre les hommes (méchants et violents) et les femmes (qui ont été opprimées et luttent pour une indépendance dans une entraide bienveillante). Et je suis désolé de le dire, mais lorsqu'on essentialise des personnes selon leurs genres, même en positif... ben ça s'appelle du sexisme. Et j'ai l'impression de voir une succession de clichés new-age sur les hommes et les femmes avec la figure centrale de la sorcière (que j'ai rarement vu bien utilisée à mon goût, sauf chez Pratchett) avec un discours écologique basique et une morale sur la violence des hommes qui m'agace maintenant prodigieusement. Ça n'interroge pas les fondements du patriarcat - donc les rapports de pouvoir - ni les fondements de la crise climatique, ça baigne dans des clichés...
Mais je pense que c'est surtout le moment où ça parle d'un scientifique que j'ai compris l'agacement que je ressentais. Les sorcières parlent de la science comme d'un truc des Omis (les non-sorcières mais dans le discours on dirait que ça parle des hommes), à l'opposé de la magie fait par les sorcières (donc des femmes). Avec un message de "chacun sa croyance, on évite de heurter l'autre en parlant de ça". Et là, je me sens comme lorsque je devais débattre avec mon coloc complotiste. Non, la science n'est pas une croyance. C'est même exactement l'inverse, c'est l'abstraction totale de ses croyances. En disant ça, je comprends que l'auteur ne voit pas ce que c'est la science, ne le comprend pas (et je pense que les femmes scientifiques doivent être ravies d'être exclues de la sororité magique parce qu'elles aiment bosser sur des trucs concrets), tout en mettant la science dans un sac de croyance ce qui la met au rang de n'importe quelle envie de croire en un lutin ou un dieu. Et je suis désolé, mais ça n'est pas ça.
Et si je tique si fort dessus, c'est que ce message me semble représentatif de l'ensemble : une soupe new-age, teintée de lutte féministe mais sans le fond, sans la réflexion, sans la méthode, essayant de parler d'écologie en montrant qu'il ne faut pas arracher toutes les herbes de son jardin (je suis d'accord mais ça mériterait plus de fond quand même) et avec un vieux fond de sexisme dans les représentations des genres. Le tout dans une histoire qui m'a paru clichée régulièrement, même s'il y a des trouvailles sympathiques. Je rappelle que je m'abstiens volontairement de faire la liste des aspects positifs pour exposer ce qui m'a sorti de la BD !
En fin de compte, je ne vais pas lire la suite que j'avais pourtant réservée à la bibliothèque. J'ai assez donné avec ce premier tome que je me suis forcé à finir. En fait, j'ai le même ressenti final qu'après Ys ou Les Filles de Salem, à savoir l'instrumentalisation pour un message simpliste d'une figure que le féminisme réinvestit. Sauf que je ne peux pas passer outre tous ces défauts, notant qu'il y a une vraie différence entre ce traitement et celui d'autrices que j'ai pu lire, ce qui me fait poser la question de si c'est moi ou le regard masculin de ces auteurs que je n'aime pas. Un sujet de débat qui est personnel, mais quand j'en suis rendu à ce genre de réflexion en sortant de la BD, c'est que clairement elle ne me convient pas.
N’être qu’avec soi, c’est mourir.
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Ce tome contient une histoire complète, un voyage au Chili en 2021, ou plutôt deux. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario, les dessins et les couleurs, par Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage. Il comprend deux-cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée.
À l’origine, il y a la lumière. La lumière fabrique l’univers. L’espace et le temps commencent à exister. C’est d’abord un brouillard opaque… Un brouillard dont est prisonnier la lumière… L’univers grandit, se refroidit… Alors apparaissent les protons, les neutrons et les électrons : ce sont les particules élémentaires. Elles dansent avec les grains de lumière, les protons… Ensemble, ils donnent naissance à la matière. Quand un proton et un électron se rencontrent, ils forment l’hydrogène. Tout ce qui est matière s’attire et s’agglutine. Quand la masse de cette matière ainsi créée devient très importante, elle fusionne. Et quand les atomes d’hydrogène fusionnent, naît alors l’hélium. Vol Paris-Santiago, cinq décembre 2021. Quand l’hélium fusionne à son tour, se créent d’autres éléments. Le carbone, l’oxygène. Les étoiles sont des usines à matière. La matière s’attire, la lumière la repousse. L’étoile existe dans ce fragile équilibre. Si la matière gagne, des trous noirs apparaissent. Si la lumière gagne, l’étoile explose. Quand une étoile explose, elle libère les atomes d’hydrogène et d’oxygène… Quand ceux-ci se rencontrent, se crée alors la molécule H2O… L’eau, la vie. Ce livre est une histoire de rencontres, de lumière et de vie.
Edmond revient sur la genèse de ce livre. En décembre 2021, voici deux ans qu’un professeur de physique en lycée à Grenoble, José Ollivares, a proposé à deux auteurs de bandes dessinées d’aller voir les étoiles. Edmond Baudoin, Emmanuel Lepage. Deux auteurs de bandes dessinées aux univers très différents, deux planètes bien distinctes. Une figue, une pomme, et des noix. Edmond raconte comment il a connu Emmanuel : il y a longtemps, à Saint-Malo. Ils se sont promenés sur la plage ensemble. Il s’était inspiré de cette balade pour l’affiche du festival. Quelle année ? Il a en ce temps-là la cinquantaine, Emmanuel est un jeune homme, il est beau, Edmond est sensible à sa beauté, il est dans un devenir qui ira au-delà du sien. Le travail de Lepage est dans l’extériorité, les oiseaux sortent de sa tête, Edmond marche sur d’autres chemins. La nuit, la plage, ces réflexions, cette émotion, s’enfoncent à chaque pas dans le sable. Puis Emmanuel met en scène sa version de cette rencontre. Au début des années 1990, il a vingt-cinq ans, Edmond cinquante. Ils marchent le long du sillon. Edmond est un précurseur. Il pratique une bande dessinée de l’intime quand celle-ci est encore balbutiante. Il se raconte. Lui, Emmanuel s’est nourri de bandes dessinées franco-belges de fiction. Des récits qui se déclinent en séries et dans des formats courts. Il a déjà plusieurs albums derrière lui. Il tâtonne, il se cherche… Et il aime le chemin de création de Baudoin qui semble si loin du sien. Il arrive que l’attraction d’une planète soit si forte qu’elle modifie l’ellipse d’une autre. Edmond est cette planète.
Une collaboration entre ces deux auteurs, tous les deux excellents : Hop ! C’est plié, extraordinaire bande dessinée, d’une richesse exceptionnelle. Des détails ? Soit. C’est l’histoire de José Ollivares, un professeur de physique qui veut emmener ses élèves voir les étoiles dans le désert d'Atacama, au Chili. Il se dit que les échanges n’en seront que plus intéressants s’ils sont accompagnés de deux auteurs de bande dessinée, et puis d’un réalisateur de documentaire pour en faire un film. Date prévisionnelle du voyage : avril 2020. Il se produit un petit imprévu : la COVID-19. Tant pis, ils feront deux voyages, le premier à trois, le second avec les élèves. Deuxième imprévu, Baudoin ne pourra pas participer au deuxième voyage. Donc un premier voyage en décembre 2021, un second en avril 2022. Baudoin a une grande habitude de réaliser des albums à quatre mains, que ce soit avec Troubs (quatre bandes dessinées à leur actif), ou avec Céline Wagner, Tanguy Dohollau, Aurore Bize. Il a détaillé sa méthode de travail en duo, par exemple dans Inuit (2023) : discuter des planches au fur et à mesure à deux, les réaliser de préférence sur le vif, ou pendant les séjours chez l’habitant. Un rapide feuilletage montre des planches réalisées par l’un, des planches réalisées par l’autre, et quelques planches et mêmes quelques cases réalisées ensemble.
Il est possible de lire cet album comme un carnet de voyage. Dans la première partie les deux créateurs s’envolent pour Santiago, après avoir expliqué la genèse du projet. Ils arrivent à quelques jours de l’élection présidentielle opposant José Antonio Kast à Gabriel Boric, ce dernier étant élu le dix-neuf décembre 2021, ce qui donne lieu à des manifestations de liesse populaire. Puis le petit groupe voyage, traverse Chiloé. Ils séjournent en passant à Valparaiso, se rendent compte qu’ils ne peuvent pas se rendre à Atacama à cause des restrictions imposées par la pandémie. Ils continuent leur voyage, et bénéficient de la possibilité d’aller contempler les manchots de Humboldt. Enfin le retour vers la France. Les auteurs réalisent des planches qui comblent l’horizon d’attente d’un ouvrage de type carnet de voyage : montrer les régions où ils se trouvent, représenter les personnes qu’ils rencontrent, faire apparaître l’exotisme pour des Européens, sans transformer le voyage en du tourisme de masse voyeur. S’il connait l’un ou l’autre des deux artistes, le lecteur identifie au premier coup d’œil qui a dessiné quoi. Dans le cas contraire, les auteurs évoquent leur façon de concevoir leur art, et ils explicitent que les dessins de nature plus réalistes dans leur représentation sont ceux d’Emmanuel Lepage, et ceux plus dans la texture et la sensation sont ceux d’Edmond Baudoin. Deux beaux voyages retranscrits avec la sensibilité humaniste de l’un et l’autre, ainsi que leurs différences de sensibilité et de façon d’aborder chaque nouveauté, chaque rencontre. Puis vient le deuxième voyage passant par Antofagasta, aux portes du désert d’Atacama, la visite de l’observatoire astronomique du Cerro Paranal, la visite de la ville de Chacabuco, etc.
Toutefois, la richesse de l’ouvrage va bien au-delà d’un carnet de voyages entre deux amis. Il s’ouvre sur la création de l’univers, et des étoiles. Ce développement provient à la fois du but du voyage scolaire, à la fois de la question que posent les auteurs aux habitants avec qui ils discutent : Qu’est-ce que les étoiles pour vous ? Ils abordent également la nature des étoiles telle que racontée dans une légende mapuche, et le versant scientifique des réactions nucléaires qui aboutissent à la création de la matière, aux méthodes complexes pour observer les étoiles, de l’interférométrie à l’utilisation de puissants lasers. À l’opposé de touristes de passage pour cocher des cases de sites à voir absolument, ils s’intéressent à la vie des habitants, à l’histoire du pays qu’ils développent à plusieurs reprises, aux élections. Dans la mesure où il s’agit du voyage de deux amis, ils reviennent sur l’histoire de leur amitié, sur la fois où ils ont été amoureux de la même femme en même temps. Puisqu’il s’agit de deux dessinateurs de bande dessinée, ils comparent leur manière de procéder à leur page, leur façon de regarder le monde et d’en rendre compte, de représenter la beauté. Lors du deuxième voyage, c’est l’occasion pour Emmanuel de discuter avec les étudiants, de parler leur façon de participer à l’avenir de la planète sur le plan politique, et d’évoquer la sexualité, l’un d’eux envisageant une transition de genre. Comme il s’agit de deux artistes, ils évoquent ou citent ceux issus du Chili, ou faisant écho à leurs émotions : Rainer Maria Rilke (1875-1926, poète), Mircea C?rt?rescu (1965-, écrivain) Pablo Neruda (1904-1973, poète), Victor Jara (1932-1973, musicien), George Grosz (1893-1959, peintre d'origine allemande), Arthur Rimbaud (1854-1891, poète).
La narration visuelle enchante le lecteur à chaque page. Ces deux artistes disposent d’une solide expérience professionnelle, d’une approche très personnelle à leur art, d’une maîtrise de nombreuses techniques, d’un savoir-faire peu commun en termes de mise en scène et de conception de chaque planche. Le lecteur découvre aussi bien des planches d’un format très classique (des cases avec bordure, disposées en bande), que des formats libres approchant un texte avec des illustrations, à chaque fois conçues spécifiquement en fonction du propos, du sur mesure fait main. La rétine du lecteur est à la fête : deux cases presque abstraites en ouverture pour évoquer la lumière fabriquant l’univers, suivi par une illustration en pleine page de corps entremêlés comme en train de danser, une très belle peinture montrant l’avion traversant un ciel nocturne, les pieux dressés comme brise-lame sur le sillon de Saint Malo, un fac-similé de radiographie pour évoquer le cancer d’Emmanuel, une montagne représentée à la manière d’une gravure de Gustave Doré, les graffitis sur les murs de Santiago, un astronome avec un genou à terre entouré d’un tourbillon d’équations mathématiques, une représentation d’un horizon panoramique à la manière des Inuits… et bien sûr quelques arbres, comme il est d’habitude dans une bande dessinée de Baudoin. Impossible de rendre compte de la richesse visuelle de cet ouvrage, de l’intelligence avec laquelle la narration visuelle sert les propos.
Même s’il est familier de ces deux artistes, le lecteur ne peut imaginer la richesse de cette bande dessinée, à la fois carnet de voyage, carnet de rencontres, vulgarisation scientifique, historique de la nation chilienne, histoire d’une amitié, réflexions sur l’art de la bande dessinée, passage comparatif entre l’approche des deux amis, relais générationnel, fragilité de la vie que ce soit du fait de la maladie ou de la répression mise en œuvre par un régime dictatorial, engagement militant, vieillesse, poésie, impact d’une pandémie, besoin de vérité, impuissance devant la beauté, confidences entre amis, etc. Toute la richesse de l’expérience humaine.
Trif s’est fait une spécialité de la réinterprétation des contes célèbres, en leur donnant une tonalité résolument érotique. Ce « Cendrillon » était je crois sa première tentative du genre.
Ça se sent surtout au niveau du dessin. Si les scènes de sexes sont plutôt bien rendues, et si le dessin est globalement bon et très lisible, il est aussi peu détaillé parfois, et il s’améliorera clairement dans ses séries suivantes.
L’histoire d’origine est bien sûr ici fortement pervertie, puisque la maltraitance subie par Cendrillon de la part de sa marâtre tourne franchement au harcèlement et à la torture physique, flagellations, humiliations sadiques (avec les deux filles de la marâtre et quelques serviteurs comme partenaires) écrasant une Cendrillon un peu nunuche et peu combative.
Mais en fait tous les personnages sont plus ou moins neuneus – seuls leurs degrés de cynisme et/ou de méchanceté les distinguant parfois. Certes, la fée, marraine de Cendrillon, lui veut a priori du bien. Mais, surtout intéressée par le sexe, elle l’oublie bien volontiers.
L’histoire est sympathique, sans être exceptionnelle, et les scènes de sexe s’enchainent, comme les expositions de sexes féminins, sans que la sensualité ne soit trop présente.
Reste un humour bon enfant et quelques réactions de personnages un peu perdus, qui rendent la lecture agréable.
Mouais. Disons que ça se laisse lire, et que c’est rythmé. Ça l’est même de plus en plus – et on sent bien en amont que ça va dérailler, et même comment ça va finir.
Bec nous pond là un scénario classique et sans trop de surprise donc, une BD « de genre », qui peut faire penser à certains films de Carpenter, où l’on ne s’encombre pas trop de psychologie, ni de scénarios trop alambiqués (je pense par exemple à « Assaut »). C’est donc une lecture détente, un emprunt éventuel (comme ce fut le cas pour moi) pouvant se justifier.
Mais c’est clair que ça n’est pas une histoire marquante. Je suis même resté sur ma faim concernant le flic infiltré, n’ayant pas vraiment compris quelle était réellement sa mission, ni ce qui s’était passé à la fin avec le footballer et la fille (même en faisant quelques retours en arrière).
De la même façon, beaucoup de personnages se ressemblent, parmi les divers gangs sévissant dans cette prison de fous – et d’ailleurs la plupart des personnages finissent par s’entretuer sauvagement (quand ils ne sont pas massacrés par la police, sans qu’aie pu suivre vraiment qui était qui parmi les victimes, la boucherie/défouloir l’emportant sur la complexité du scénario).
Deux dessinateurs se partagent le travail (chacun sa moitié d’album). Je ne suis pas fan de ce genre de changement en cours d’une série – encore moins en cours d’album, mais leurs styles se ressemblent : efficace, mais là aussi manquant de détails parfois.
Note réelle 2,5/5.
Vous ferai-je l’affront d’évoquer la cultissime série des « Trinita » comme référence principale à ce « On les appelle Junior & Senior » ?… Bien plus qu’un simple hommage, cette nouvelle série signée Robin Recht, au scénario cette fois, et Jean-Baptiste Hostache au dessin, est une véritable déclaration d’amour au duo mythique Bud Spencer – Terrence Hill : la castagne à coup de bourre-pif, les fayots, les engueulades à répétition entre les deux frangins, une intrigue enfantine, il y a là tous les éléments clés qui ont fait le succès des deux compères.
Me concernant je ne garde pas un grand souvenir des Trinita. Plus spécifiquement sur la carrière du duo, j’ai en mémoire « Les Super-flics de Miami », « Pair et Impair », ou encore « Salut l’ami, adieu le trésor ». Mais bon, leur carrière respectif ou ensemble fût tellement riche… En tout cas ce Junior & Senior est truffé de références, même si je suis loin de les avoir toutes captées on les perçoit en seconde lecture. Par exemple il y a Eli Wallach qui fait une apparition et il a tendance à trop parler au lieu de tirer (si vous voyez ce que j’veux dire). Ou encore Mlle Bismarck dont s’amourache Junior, et dont on peut penser qu’elle fait référence à la femme de Terrence Hill, une américaine d’origine allemande. Les experts pourront s’amuser à essayer de tout repérer.
Sinon, pour rentrer dans le vif du sujet, j’ai trouvé ça sympathique, à l’image de ce vieux duo de notre enfance. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un incontournable et que ça vaut son pesant de cacahuète, mais on passe honnêtement un bon moment, ça se laisse lire, sans aucune surprise. Je me demande même si ce n’est pas une bd à mettre davantage entre les mains d’un enfant. Après tout, moi ça touche à mes souvenirs d’enfant, je n’ai revu aucun de leurs films depuis cette époque. Il y a comme un charme suranné là-dedans, qui n’est pas désagréable en soi, mais je ne ressent pas particulièrement l’envie de m’y replonger.
Le dessin de Hostache est approprié, tout en rondeur, rigolo, avec des couleurs qui donne un aspect un peu vieilli évoquant nos Lucky Luke de jeunesse. Donc c’est cool, mission remplie pour lui aussi.
Je ne sais pas si je serai du rendez-vous, mais je souhaite le meilleur pour les épisodes suivants et un franc-succès dans les ventes.
Clo et sa chouette Couette sont détectives. Depuis leur cabane, ils attendent les appels téléphoniques pour partir résoudre de drôles d'enquêtes. Cette fois, c'est le directeur du musée qui les appelle : on a volé... son incroyable sandwich.
C'est une série jeunesse d'enquête policière sur un ton farfelu et plein d'humour.
Le dessin, très épuré, repose sur une ligne claire et géométrique. S'il ne brille pas par sa technique, il s'avère efficace et attachant. L'expressivité des visages, notamment, apporte beaucoup au comique des situations. C'est cette expressivité, par exemple, qui m'a fait rire à la scène où la réceptionniste fait la tête parce que le directeur arrive avant même qu'elle ait fini de l'appeler.
Le ton et la simplicité de l'intrigue destinent clairement la série aux jeunes lecteurs, autour de huit ans je dirais, mais l'humour fonctionne aussi souvent très bien pour un adulte. On y trouve une galerie de personnages loufoques et des péripéties qui oscillent entre réalisme et absurde. Le rythme est excellent : aucun temps mort, et malgré un scénario minimaliste, on ne s'ennuie pas.
Une sympathique découverte, vive et pleine d'esprit. Dommage qu'elle soit passée si inaperçue : son ton espiègle méritait sans doute mieux, mais je soupçonne son graphisme singulier d'avoir rebuté certains lecteurs.
En juin 2024, le journal Spirou célébrait les 40 ans de la première apparition de XIII dans ses pages. À cette occasion, un numéro spécial proposait un mini-album d’une trentaine de pages dans lequel Jean Van Hamme s’amusait à parodier sa propre création. Il y tournait en dérision les rebondissements alambiqués de la série, les multiples conspirations, mais aussi les nombreuses conquêtes féminines du héros. L'auteur imaginait ainsi que XIII n’avait jamais été amnésique et qu’il feignait sa perte de mémoire depuis le début, ce qui donnait lieu à un grand rassemblement de ses anciens compagnons d’aventure dans une succession de scènes comiques et de situations absurdes.
C’est ce récit que reprend le petit album Bas les masques !. Le dessin est signé Philippe Xavier, qui venait tout juste d'achever le quatorzième tome de XIII mystery, Traquenards et sentiments, avec le même Van Hamme au scénario. Il parvient ici à retrouver avec brio le style de William Vance et son sens très particulier du réalisme tout en y apportant son encrage plus fluide et une meilleure maîtrise technique. Les personnages sont bien rendus, expressifs et familiers, même si les décors restent plutôt minimalistes sans que cela nuise à la lecture.
Le ton du récit relève presque de la comédie de boulevard. Tous les personnages majeurs de la série se retrouvent dans un joyeux mélange de second degré, d’auto-dérision et de ruptures du quatrième mur (comme lorsque le colonel Amos passe un coup de fil à une case d’un ancien tome ou quand le scénariste lui-même se fait critiquer). Van Hamme se moque ouvertement de ses propres scénarios, de ses intrigues à tiroir et de son goût pour les retournements improbables. L’ensemble constitue une parodie réussie, d’autant plus intéressante qu’elle est écrite par le créateur de la série lui-même.
Malgré tout, l’humour ne fonctionne qu’à moitié. Quelques gags m’ont fait sourire (notamment le nom absurde "Xi i i" répété avec un sérieux imperturbable) mais l’ensemble reste trop maigre même pour un album aussi court. Surtout, pour pleinement apprécier les clins d’œil et les références, il faut avoir une mémoire fraîche des nombreux personnages et de leurs arcs narratifs. Ayant lu XIII sur plusieurs décennies sans relecture récente, j’ai souvent eu l’impression d’assister à un défilé de visages connus sans en saisir tout le sel.
Au final, Bas les masques ! est une parodie intelligente et bien dessinée, qui séduira probablement les connaisseurs de la série. Mais l’humour risque trop de rester en surface faisant de ce bel hommage un plaisir réservé avant tout aux initiés et collectionneurs dont je ne fais pas partie.
Note : 2,5/5
Au début des années 1930, un notable anglais est retrouvé assassiné sur l'île de Pâques, ce petit territoire isolé où cohabitent chiliens, colons britanniques et indigènes Pascuans réduits à la misère. L'inspecteur Guillermo Valverde, envoyé par le président chilien, arrive sur place pour mener l'enquête dans un huis clos à ciel ouvert, traversé de tensions raciales et politiques.
L'album offre une enquête policière captivante, dans un décor rarement exploré et historiquement riche. On y retrouve l'esprit d'Agatha Christie, mais transposé dans un cadre exotique et chargé d'enjeux coloniaux.
Le dessin de Thomas Gilbert séduit par son style semi-réaliste, expressif et légèrement inquiétant. Les couleurs, à la fois lumineuses et mélancoliques, traduisent la rudesse du climat et la beauté austère de l'île. La mise en page, claire et dynamique, renforce l'impression d'enfermement et d'humidité poisseuse qui plane sur l'histoire.
Côté scénario, Thomas Lavachery s'appuie sur les notes de son grand-père, archéologue présent sur l'île en 1934. Le résultat est un polar historique solide, au rythme mesuré, plus proche des intrigues classiques que des thrillers nerveux. L'inspecteur Valverde, imposant et perspicace, évoque naturellement Hercule Poirot par sa corpulence et son sens aigu de la déduction, tout en partageant avec Sherlock Holmes une dépendance au laudanum et un talent pour le violon. Mais ses méthodes parfois brusques et son rapport direct aux autres lui donnent une personnalité bien à lui, à la fois cérébrale et terrienne, attachante et pleine de contradictions.
Les personnages secondaires sont également bien campés : un gouverneur autoritaire, une jolie archéologue déterminée, un médecin désabusé mais bienveillant, un anglais violent et sa belle femme désœuvrée, ainsi qu'un peuple Pascuan décrit avec respect et nuance. Le récit, sans insister lourdement, dénonce la hiérarchie raciale et les abus coloniaux de l'époque. Même si la résolution se devine un peu avant la fin, l'écriture reste élégante et les dialogues d'une belle précision.
Caballero Bueno est un polar feutré et intelligent, entre hommage aux classiques du genre, modernité du ton et intérêt historique. Entre l'élégance de Poirot et les failles de Holmes, Valverde s'impose comme un enquêteur singulier et profondément humain, que j'aurais plaisir à retrouver dans d'autres enquêtes.
Voilà bien une BD dont je n'attendais rien. D'abord, je n'en avais jamais entendu parler avant d'en avoir un exemplaire dans les mains, et ensuite, elle s'est retrouvé dans ma PAL (Pile à Lire) pour le boulot. J'ai trouvé ça très bien.
J'ai lu cette BD d'une traite, c'est un signe. Son scénario est simple et propose de suivre une saison en montagne avec un berger qui transhume un troupeau. Parce que notre auteur, qui porte à la foi la casquette d'illustrateur et le béret de berger, va rester plus de trois mois dans les alpages, dormant dans une cabane de quelques mètres carrés seulement.
Ha oui ? Et on a besoin de 136 pages pour raconter ça ? Ben ouais ! C'est passionnant, mais également très poétique. On vit au jour le jour. On éprouve la peur de croiser l'ours, celle d'égarer des brebis ou de le perdre définitivement, car les dangers sont nombreux en altitude, on prend nous aussi les touristes pour des béotiens, on ressent parfois la langueur des jours, et surtout le décalage quand, sur les dernières pages, notre homme revient à la civilisation. D'ailleurs, il ne traine pas. C'est expédié. Il n'assistera même pas à la fête du village censée célébrer l'événement.
Avant cela, on a compté avec lui les animaux. On les a énumérés. Et on ne s'est pas endormi. Il y a des passages très forts, très significatifs. Je pense en particulier à la manière dont Maxim Cain décrit la brume qui monte et obstrue la vue. Ça m'a rappelé ma lecture d'Au cœur des solitudes de Lomig. Comme elle, Démontagner est entièrement en noir et blanc, ce qui immerge dans le sujet en offrant de très belles planches dédiées aux paysages. Ici aussi, la solitude a toute la place.
Une fois ma lecture achevée, je me suis retrouvé moi-aussi tout décalé. Tout démontagné, et j'avoue que j'en aurais bien repris une louche. Sans fantasmer sur le métier de berger, qui doit être un sacré truc tout de même, j'ai été enchanté de passer ces quelques mois en compagnie de Maxim. C'était une très belle expérience, très réussie graphiquement, et sans fausse note.
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Les Gratte-Ciel du Midwest
Je ressors avec un avis plutôt mitigé de cette lecture. Il y a des choses sympas, comme le dessin. Plusieurs styles se côtoient, et il n’est pas forcément très fouillé. Mais globalement, j’ai bien aimé le rendu, le travail en Noir et Blanc avec hachures. Ce travail et le fait que les personnages soient des chats m’a fait penser à certaines histoires de Matticchio. Pour le reste, il y a aussi des choses intéressantes, avec des sujets intemporels, autour des relations entre individus : entre enfants et parents, au sein d’un couple (un personnage est particulièrement odieux avec sa « copine », qui ne parvient pourtant pas à se détacher de celui qui l’humilie sans cesse), etc. Les rêves que l’on fait enfant, pour transcender la réalité, la rendre acceptable, le deuil (d’une grand-mère ici) sont d’autres thèmes abordés. Le principal problème selon moi vient de la construction du récit, beaucoup trop éclatée, beaucoup trop confuse, au point qu’on a l’impression de suivre plusieurs histoires et de ne jamais connaitre leur fin. Les fausses pubs qui s’immiscent dans le récit, si elles sont parfois intéressantes et amusantes (celles pour les clopes en particulier, qui rappellent une triste réalité en fait), accentue le caractère décousu de l’ensemble, avec de courts chapitres mêlant rêve et réalité, histoires de robots et histoires de chats humanoïdes. C’est un peu dur à suivre en fait. A noter quand même pour finir que, comme d’habitude pour cet éditeur, le travail éditorial est très beau, avec papier et couverture épais, dos toilé, etc.
La Marche Brume
Oulah... J'hésite presque à laisser cet avis, tant je me sens à contre-courant de la majorité, mais là je me dois de le faire. Déjà parce que c'est rare qu'une BD m'énerve, mais aussi que ça faisait quelques temps qu'une BD ne m'avait pas lassé au point où j'ai dû me forcer pour finir. Et j'ai des raisons de tout ceci, que je pense nécessaire d'expliquer. Je ne vais même pas m'étendre sur les qualités de la BD, les autres avis l'ont fait bien mieux que moi et je vous y renvoie si vous voulez avoir envie de lire la BD. Personnellement, je ne dirais que ce qu'il en est quant à mon appréciation, et je dois dire que je suis blasé. Je connaissais déjà Stephan Fert dont j'ai apprécié Peau de Mille Bêtes mais dont le Morgane me semblait carrément moins bon. La BD est un mélange de genre, mais tourné principalement vers la fantasy, utilisant l'image des sorcières. Sauf que la BD est avant tout porteuse d'un propos et que c'est ce propos (que j'avais déjà senti dans d'autres BD de l'auteur) qui vient avec des sabots d'une taille monumentale et tellement gavés de clichés que j'étais vite écœuré. Ça a commencé par la jeune femme venue voir les sorcières pour une potion d'avortement, ce qui m'a paru tellement cliché que j'ai soupiré, puis la vieille qui plante des plantes médicinales que beaucoup pensent être des mauvaises herbes. C'est tellement convenu, tellement cliché (et ça semble indiquer que l'auteur n'a jamais essayé de planter des haricots quand ce foutu plantain a décidé de coloniser l'espace !), et surtout ça n'arrête pas ! On a les clichés sur les sorcières (balais, chapeaux pointus, robes) mais sans interroger la figure qu'elle représente, on a la sororité avec une opposition manichéenne entre les hommes (méchants et violents) et les femmes (qui ont été opprimées et luttent pour une indépendance dans une entraide bienveillante). Et je suis désolé de le dire, mais lorsqu'on essentialise des personnes selon leurs genres, même en positif... ben ça s'appelle du sexisme. Et j'ai l'impression de voir une succession de clichés new-age sur les hommes et les femmes avec la figure centrale de la sorcière (que j'ai rarement vu bien utilisée à mon goût, sauf chez Pratchett) avec un discours écologique basique et une morale sur la violence des hommes qui m'agace maintenant prodigieusement. Ça n'interroge pas les fondements du patriarcat - donc les rapports de pouvoir - ni les fondements de la crise climatique, ça baigne dans des clichés... Mais je pense que c'est surtout le moment où ça parle d'un scientifique que j'ai compris l'agacement que je ressentais. Les sorcières parlent de la science comme d'un truc des Omis (les non-sorcières mais dans le discours on dirait que ça parle des hommes), à l'opposé de la magie fait par les sorcières (donc des femmes). Avec un message de "chacun sa croyance, on évite de heurter l'autre en parlant de ça". Et là, je me sens comme lorsque je devais débattre avec mon coloc complotiste. Non, la science n'est pas une croyance. C'est même exactement l'inverse, c'est l'abstraction totale de ses croyances. En disant ça, je comprends que l'auteur ne voit pas ce que c'est la science, ne le comprend pas (et je pense que les femmes scientifiques doivent être ravies d'être exclues de la sororité magique parce qu'elles aiment bosser sur des trucs concrets), tout en mettant la science dans un sac de croyance ce qui la met au rang de n'importe quelle envie de croire en un lutin ou un dieu. Et je suis désolé, mais ça n'est pas ça. Et si je tique si fort dessus, c'est que ce message me semble représentatif de l'ensemble : une soupe new-age, teintée de lutte féministe mais sans le fond, sans la réflexion, sans la méthode, essayant de parler d'écologie en montrant qu'il ne faut pas arracher toutes les herbes de son jardin (je suis d'accord mais ça mériterait plus de fond quand même) et avec un vieux fond de sexisme dans les représentations des genres. Le tout dans une histoire qui m'a paru clichée régulièrement, même s'il y a des trouvailles sympathiques. Je rappelle que je m'abstiens volontairement de faire la liste des aspects positifs pour exposer ce qui m'a sorti de la BD ! En fin de compte, je ne vais pas lire la suite que j'avais pourtant réservée à la bibliothèque. J'ai assez donné avec ce premier tome que je me suis forcé à finir. En fait, j'ai le même ressenti final qu'après Ys ou Les Filles de Salem, à savoir l'instrumentalisation pour un message simpliste d'une figure que le féminisme réinvestit. Sauf que je ne peux pas passer outre tous ces défauts, notant qu'il y a une vraie différence entre ce traitement et celui d'autrices que j'ai pu lire, ce qui me fait poser la question de si c'est moi ou le regard masculin de ces auteurs que je n'aime pas. Un sujet de débat qui est personnel, mais quand j'en suis rendu à ce genre de réflexion en sortant de la BD, c'est que clairement elle ne me convient pas.
Au pied des étoiles
N’être qu’avec soi, c’est mourir. - Ce tome contient une histoire complète, un voyage au Chili en 2021, ou plutôt deux. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé à quatre mains pour le scénario, les dessins et les couleurs, par Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage. Il comprend deux-cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée. À l’origine, il y a la lumière. La lumière fabrique l’univers. L’espace et le temps commencent à exister. C’est d’abord un brouillard opaque… Un brouillard dont est prisonnier la lumière… L’univers grandit, se refroidit… Alors apparaissent les protons, les neutrons et les électrons : ce sont les particules élémentaires. Elles dansent avec les grains de lumière, les protons… Ensemble, ils donnent naissance à la matière. Quand un proton et un électron se rencontrent, ils forment l’hydrogène. Tout ce qui est matière s’attire et s’agglutine. Quand la masse de cette matière ainsi créée devient très importante, elle fusionne. Et quand les atomes d’hydrogène fusionnent, naît alors l’hélium. Vol Paris-Santiago, cinq décembre 2021. Quand l’hélium fusionne à son tour, se créent d’autres éléments. Le carbone, l’oxygène. Les étoiles sont des usines à matière. La matière s’attire, la lumière la repousse. L’étoile existe dans ce fragile équilibre. Si la matière gagne, des trous noirs apparaissent. Si la lumière gagne, l’étoile explose. Quand une étoile explose, elle libère les atomes d’hydrogène et d’oxygène… Quand ceux-ci se rencontrent, se crée alors la molécule H2O… L’eau, la vie. Ce livre est une histoire de rencontres, de lumière et de vie. Edmond revient sur la genèse de ce livre. En décembre 2021, voici deux ans qu’un professeur de physique en lycée à Grenoble, José Ollivares, a proposé à deux auteurs de bandes dessinées d’aller voir les étoiles. Edmond Baudoin, Emmanuel Lepage. Deux auteurs de bandes dessinées aux univers très différents, deux planètes bien distinctes. Une figue, une pomme, et des noix. Edmond raconte comment il a connu Emmanuel : il y a longtemps, à Saint-Malo. Ils se sont promenés sur la plage ensemble. Il s’était inspiré de cette balade pour l’affiche du festival. Quelle année ? Il a en ce temps-là la cinquantaine, Emmanuel est un jeune homme, il est beau, Edmond est sensible à sa beauté, il est dans un devenir qui ira au-delà du sien. Le travail de Lepage est dans l’extériorité, les oiseaux sortent de sa tête, Edmond marche sur d’autres chemins. La nuit, la plage, ces réflexions, cette émotion, s’enfoncent à chaque pas dans le sable. Puis Emmanuel met en scène sa version de cette rencontre. Au début des années 1990, il a vingt-cinq ans, Edmond cinquante. Ils marchent le long du sillon. Edmond est un précurseur. Il pratique une bande dessinée de l’intime quand celle-ci est encore balbutiante. Il se raconte. Lui, Emmanuel s’est nourri de bandes dessinées franco-belges de fiction. Des récits qui se déclinent en séries et dans des formats courts. Il a déjà plusieurs albums derrière lui. Il tâtonne, il se cherche… Et il aime le chemin de création de Baudoin qui semble si loin du sien. Il arrive que l’attraction d’une planète soit si forte qu’elle modifie l’ellipse d’une autre. Edmond est cette planète. Une collaboration entre ces deux auteurs, tous les deux excellents : Hop ! C’est plié, extraordinaire bande dessinée, d’une richesse exceptionnelle. Des détails ? Soit. C’est l’histoire de José Ollivares, un professeur de physique qui veut emmener ses élèves voir les étoiles dans le désert d'Atacama, au Chili. Il se dit que les échanges n’en seront que plus intéressants s’ils sont accompagnés de deux auteurs de bande dessinée, et puis d’un réalisateur de documentaire pour en faire un film. Date prévisionnelle du voyage : avril 2020. Il se produit un petit imprévu : la COVID-19. Tant pis, ils feront deux voyages, le premier à trois, le second avec les élèves. Deuxième imprévu, Baudoin ne pourra pas participer au deuxième voyage. Donc un premier voyage en décembre 2021, un second en avril 2022. Baudoin a une grande habitude de réaliser des albums à quatre mains, que ce soit avec Troubs (quatre bandes dessinées à leur actif), ou avec Céline Wagner, Tanguy Dohollau, Aurore Bize. Il a détaillé sa méthode de travail en duo, par exemple dans Inuit (2023) : discuter des planches au fur et à mesure à deux, les réaliser de préférence sur le vif, ou pendant les séjours chez l’habitant. Un rapide feuilletage montre des planches réalisées par l’un, des planches réalisées par l’autre, et quelques planches et mêmes quelques cases réalisées ensemble. Il est possible de lire cet album comme un carnet de voyage. Dans la première partie les deux créateurs s’envolent pour Santiago, après avoir expliqué la genèse du projet. Ils arrivent à quelques jours de l’élection présidentielle opposant José Antonio Kast à Gabriel Boric, ce dernier étant élu le dix-neuf décembre 2021, ce qui donne lieu à des manifestations de liesse populaire. Puis le petit groupe voyage, traverse Chiloé. Ils séjournent en passant à Valparaiso, se rendent compte qu’ils ne peuvent pas se rendre à Atacama à cause des restrictions imposées par la pandémie. Ils continuent leur voyage, et bénéficient de la possibilité d’aller contempler les manchots de Humboldt. Enfin le retour vers la France. Les auteurs réalisent des planches qui comblent l’horizon d’attente d’un ouvrage de type carnet de voyage : montrer les régions où ils se trouvent, représenter les personnes qu’ils rencontrent, faire apparaître l’exotisme pour des Européens, sans transformer le voyage en du tourisme de masse voyeur. S’il connait l’un ou l’autre des deux artistes, le lecteur identifie au premier coup d’œil qui a dessiné quoi. Dans le cas contraire, les auteurs évoquent leur façon de concevoir leur art, et ils explicitent que les dessins de nature plus réalistes dans leur représentation sont ceux d’Emmanuel Lepage, et ceux plus dans la texture et la sensation sont ceux d’Edmond Baudoin. Deux beaux voyages retranscrits avec la sensibilité humaniste de l’un et l’autre, ainsi que leurs différences de sensibilité et de façon d’aborder chaque nouveauté, chaque rencontre. Puis vient le deuxième voyage passant par Antofagasta, aux portes du désert d’Atacama, la visite de l’observatoire astronomique du Cerro Paranal, la visite de la ville de Chacabuco, etc. Toutefois, la richesse de l’ouvrage va bien au-delà d’un carnet de voyages entre deux amis. Il s’ouvre sur la création de l’univers, et des étoiles. Ce développement provient à la fois du but du voyage scolaire, à la fois de la question que posent les auteurs aux habitants avec qui ils discutent : Qu’est-ce que les étoiles pour vous ? Ils abordent également la nature des étoiles telle que racontée dans une légende mapuche, et le versant scientifique des réactions nucléaires qui aboutissent à la création de la matière, aux méthodes complexes pour observer les étoiles, de l’interférométrie à l’utilisation de puissants lasers. À l’opposé de touristes de passage pour cocher des cases de sites à voir absolument, ils s’intéressent à la vie des habitants, à l’histoire du pays qu’ils développent à plusieurs reprises, aux élections. Dans la mesure où il s’agit du voyage de deux amis, ils reviennent sur l’histoire de leur amitié, sur la fois où ils ont été amoureux de la même femme en même temps. Puisqu’il s’agit de deux dessinateurs de bande dessinée, ils comparent leur manière de procéder à leur page, leur façon de regarder le monde et d’en rendre compte, de représenter la beauté. Lors du deuxième voyage, c’est l’occasion pour Emmanuel de discuter avec les étudiants, de parler leur façon de participer à l’avenir de la planète sur le plan politique, et d’évoquer la sexualité, l’un d’eux envisageant une transition de genre. Comme il s’agit de deux artistes, ils évoquent ou citent ceux issus du Chili, ou faisant écho à leurs émotions : Rainer Maria Rilke (1875-1926, poète), Mircea C?rt?rescu (1965-, écrivain) Pablo Neruda (1904-1973, poète), Victor Jara (1932-1973, musicien), George Grosz (1893-1959, peintre d'origine allemande), Arthur Rimbaud (1854-1891, poète). La narration visuelle enchante le lecteur à chaque page. Ces deux artistes disposent d’une solide expérience professionnelle, d’une approche très personnelle à leur art, d’une maîtrise de nombreuses techniques, d’un savoir-faire peu commun en termes de mise en scène et de conception de chaque planche. Le lecteur découvre aussi bien des planches d’un format très classique (des cases avec bordure, disposées en bande), que des formats libres approchant un texte avec des illustrations, à chaque fois conçues spécifiquement en fonction du propos, du sur mesure fait main. La rétine du lecteur est à la fête : deux cases presque abstraites en ouverture pour évoquer la lumière fabriquant l’univers, suivi par une illustration en pleine page de corps entremêlés comme en train de danser, une très belle peinture montrant l’avion traversant un ciel nocturne, les pieux dressés comme brise-lame sur le sillon de Saint Malo, un fac-similé de radiographie pour évoquer le cancer d’Emmanuel, une montagne représentée à la manière d’une gravure de Gustave Doré, les graffitis sur les murs de Santiago, un astronome avec un genou à terre entouré d’un tourbillon d’équations mathématiques, une représentation d’un horizon panoramique à la manière des Inuits… et bien sûr quelques arbres, comme il est d’habitude dans une bande dessinée de Baudoin. Impossible de rendre compte de la richesse visuelle de cet ouvrage, de l’intelligence avec laquelle la narration visuelle sert les propos. Même s’il est familier de ces deux artistes, le lecteur ne peut imaginer la richesse de cette bande dessinée, à la fois carnet de voyage, carnet de rencontres, vulgarisation scientifique, historique de la nation chilienne, histoire d’une amitié, réflexions sur l’art de la bande dessinée, passage comparatif entre l’approche des deux amis, relais générationnel, fragilité de la vie que ce soit du fait de la maladie ou de la répression mise en œuvre par un régime dictatorial, engagement militant, vieillesse, poésie, impact d’une pandémie, besoin de vérité, impuissance devant la beauté, confidences entre amis, etc. Toute la richesse de l’expérience humaine.
Cendrillon (Tabou)
Trif s’est fait une spécialité de la réinterprétation des contes célèbres, en leur donnant une tonalité résolument érotique. Ce « Cendrillon » était je crois sa première tentative du genre. Ça se sent surtout au niveau du dessin. Si les scènes de sexes sont plutôt bien rendues, et si le dessin est globalement bon et très lisible, il est aussi peu détaillé parfois, et il s’améliorera clairement dans ses séries suivantes. L’histoire d’origine est bien sûr ici fortement pervertie, puisque la maltraitance subie par Cendrillon de la part de sa marâtre tourne franchement au harcèlement et à la torture physique, flagellations, humiliations sadiques (avec les deux filles de la marâtre et quelques serviteurs comme partenaires) écrasant une Cendrillon un peu nunuche et peu combative. Mais en fait tous les personnages sont plus ou moins neuneus – seuls leurs degrés de cynisme et/ou de méchanceté les distinguant parfois. Certes, la fée, marraine de Cendrillon, lui veut a priori du bien. Mais, surtout intéressée par le sexe, elle l’oublie bien volontiers. L’histoire est sympathique, sans être exceptionnelle, et les scènes de sexe s’enchainent, comme les expositions de sexes féminins, sans que la sensualité ne soit trop présente. Reste un humour bon enfant et quelques réactions de personnages un peu perdus, qui rendent la lecture agréable.
Survival - Aparecida Prison
Mouais. Disons que ça se laisse lire, et que c’est rythmé. Ça l’est même de plus en plus – et on sent bien en amont que ça va dérailler, et même comment ça va finir. Bec nous pond là un scénario classique et sans trop de surprise donc, une BD « de genre », qui peut faire penser à certains films de Carpenter, où l’on ne s’encombre pas trop de psychologie, ni de scénarios trop alambiqués (je pense par exemple à « Assaut »). C’est donc une lecture détente, un emprunt éventuel (comme ce fut le cas pour moi) pouvant se justifier. Mais c’est clair que ça n’est pas une histoire marquante. Je suis même resté sur ma faim concernant le flic infiltré, n’ayant pas vraiment compris quelle était réellement sa mission, ni ce qui s’était passé à la fin avec le footballer et la fille (même en faisant quelques retours en arrière). De la même façon, beaucoup de personnages se ressemblent, parmi les divers gangs sévissant dans cette prison de fous – et d’ailleurs la plupart des personnages finissent par s’entretuer sauvagement (quand ils ne sont pas massacrés par la police, sans qu’aie pu suivre vraiment qui était qui parmi les victimes, la boucherie/défouloir l’emportant sur la complexité du scénario). Deux dessinateurs se partagent le travail (chacun sa moitié d’album). Je ne suis pas fan de ce genre de changement en cours d’une série – encore moins en cours d’album, mais leurs styles se ressemblent : efficace, mais là aussi manquant de détails parfois. Note réelle 2,5/5.
On les appelle Junior & Senior
Vous ferai-je l’affront d’évoquer la cultissime série des « Trinita » comme référence principale à ce « On les appelle Junior & Senior » ?… Bien plus qu’un simple hommage, cette nouvelle série signée Robin Recht, au scénario cette fois, et Jean-Baptiste Hostache au dessin, est une véritable déclaration d’amour au duo mythique Bud Spencer – Terrence Hill : la castagne à coup de bourre-pif, les fayots, les engueulades à répétition entre les deux frangins, une intrigue enfantine, il y a là tous les éléments clés qui ont fait le succès des deux compères. Me concernant je ne garde pas un grand souvenir des Trinita. Plus spécifiquement sur la carrière du duo, j’ai en mémoire « Les Super-flics de Miami », « Pair et Impair », ou encore « Salut l’ami, adieu le trésor ». Mais bon, leur carrière respectif ou ensemble fût tellement riche… En tout cas ce Junior & Senior est truffé de références, même si je suis loin de les avoir toutes captées on les perçoit en seconde lecture. Par exemple il y a Eli Wallach qui fait une apparition et il a tendance à trop parler au lieu de tirer (si vous voyez ce que j’veux dire). Ou encore Mlle Bismarck dont s’amourache Junior, et dont on peut penser qu’elle fait référence à la femme de Terrence Hill, une américaine d’origine allemande. Les experts pourront s’amuser à essayer de tout repérer. Sinon, pour rentrer dans le vif du sujet, j’ai trouvé ça sympathique, à l’image de ce vieux duo de notre enfance. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un incontournable et que ça vaut son pesant de cacahuète, mais on passe honnêtement un bon moment, ça se laisse lire, sans aucune surprise. Je me demande même si ce n’est pas une bd à mettre davantage entre les mains d’un enfant. Après tout, moi ça touche à mes souvenirs d’enfant, je n’ai revu aucun de leurs films depuis cette époque. Il y a comme un charme suranné là-dedans, qui n’est pas désagréable en soi, mais je ne ressent pas particulièrement l’envie de m’y replonger. Le dessin de Hostache est approprié, tout en rondeur, rigolo, avec des couleurs qui donne un aspect un peu vieilli évoquant nos Lucky Luke de jeunesse. Donc c’est cool, mission remplie pour lui aussi. Je ne sais pas si je serai du rendez-vous, mais je souhaite le meilleur pour les épisodes suivants et un franc-succès dans les ventes.
L'Agence Clo & Couette
Clo et sa chouette Couette sont détectives. Depuis leur cabane, ils attendent les appels téléphoniques pour partir résoudre de drôles d'enquêtes. Cette fois, c'est le directeur du musée qui les appelle : on a volé... son incroyable sandwich. C'est une série jeunesse d'enquête policière sur un ton farfelu et plein d'humour. Le dessin, très épuré, repose sur une ligne claire et géométrique. S'il ne brille pas par sa technique, il s'avère efficace et attachant. L'expressivité des visages, notamment, apporte beaucoup au comique des situations. C'est cette expressivité, par exemple, qui m'a fait rire à la scène où la réceptionniste fait la tête parce que le directeur arrive avant même qu'elle ait fini de l'appeler. Le ton et la simplicité de l'intrigue destinent clairement la série aux jeunes lecteurs, autour de huit ans je dirais, mais l'humour fonctionne aussi souvent très bien pour un adulte. On y trouve une galerie de personnages loufoques et des péripéties qui oscillent entre réalisme et absurde. Le rythme est excellent : aucun temps mort, et malgré un scénario minimaliste, on ne s'ennuie pas. Une sympathique découverte, vive et pleine d'esprit. Dommage qu'elle soit passée si inaperçue : son ton espiègle méritait sans doute mieux, mais je soupçonne son graphisme singulier d'avoir rebuté certains lecteurs.
XIII Parody
En juin 2024, le journal Spirou célébrait les 40 ans de la première apparition de XIII dans ses pages. À cette occasion, un numéro spécial proposait un mini-album d’une trentaine de pages dans lequel Jean Van Hamme s’amusait à parodier sa propre création. Il y tournait en dérision les rebondissements alambiqués de la série, les multiples conspirations, mais aussi les nombreuses conquêtes féminines du héros. L'auteur imaginait ainsi que XIII n’avait jamais été amnésique et qu’il feignait sa perte de mémoire depuis le début, ce qui donnait lieu à un grand rassemblement de ses anciens compagnons d’aventure dans une succession de scènes comiques et de situations absurdes. C’est ce récit que reprend le petit album Bas les masques !. Le dessin est signé Philippe Xavier, qui venait tout juste d'achever le quatorzième tome de XIII mystery, Traquenards et sentiments, avec le même Van Hamme au scénario. Il parvient ici à retrouver avec brio le style de William Vance et son sens très particulier du réalisme tout en y apportant son encrage plus fluide et une meilleure maîtrise technique. Les personnages sont bien rendus, expressifs et familiers, même si les décors restent plutôt minimalistes sans que cela nuise à la lecture. Le ton du récit relève presque de la comédie de boulevard. Tous les personnages majeurs de la série se retrouvent dans un joyeux mélange de second degré, d’auto-dérision et de ruptures du quatrième mur (comme lorsque le colonel Amos passe un coup de fil à une case d’un ancien tome ou quand le scénariste lui-même se fait critiquer). Van Hamme se moque ouvertement de ses propres scénarios, de ses intrigues à tiroir et de son goût pour les retournements improbables. L’ensemble constitue une parodie réussie, d’autant plus intéressante qu’elle est écrite par le créateur de la série lui-même. Malgré tout, l’humour ne fonctionne qu’à moitié. Quelques gags m’ont fait sourire (notamment le nom absurde "Xi i i" répété avec un sérieux imperturbable) mais l’ensemble reste trop maigre même pour un album aussi court. Surtout, pour pleinement apprécier les clins d’œil et les références, il faut avoir une mémoire fraîche des nombreux personnages et de leurs arcs narratifs. Ayant lu XIII sur plusieurs décennies sans relecture récente, j’ai souvent eu l’impression d’assister à un défilé de visages connus sans en saisir tout le sel. Au final, Bas les masques ! est une parodie intelligente et bien dessinée, qui séduira probablement les connaisseurs de la série. Mais l’humour risque trop de rester en surface faisant de ce bel hommage un plaisir réservé avant tout aux initiés et collectionneurs dont je ne fais pas partie. Note : 2,5/5
Caballero Bueno - Une enquête de l'inspecteur Valverde
Au début des années 1930, un notable anglais est retrouvé assassiné sur l'île de Pâques, ce petit territoire isolé où cohabitent chiliens, colons britanniques et indigènes Pascuans réduits à la misère. L'inspecteur Guillermo Valverde, envoyé par le président chilien, arrive sur place pour mener l'enquête dans un huis clos à ciel ouvert, traversé de tensions raciales et politiques. L'album offre une enquête policière captivante, dans un décor rarement exploré et historiquement riche. On y retrouve l'esprit d'Agatha Christie, mais transposé dans un cadre exotique et chargé d'enjeux coloniaux. Le dessin de Thomas Gilbert séduit par son style semi-réaliste, expressif et légèrement inquiétant. Les couleurs, à la fois lumineuses et mélancoliques, traduisent la rudesse du climat et la beauté austère de l'île. La mise en page, claire et dynamique, renforce l'impression d'enfermement et d'humidité poisseuse qui plane sur l'histoire. Côté scénario, Thomas Lavachery s'appuie sur les notes de son grand-père, archéologue présent sur l'île en 1934. Le résultat est un polar historique solide, au rythme mesuré, plus proche des intrigues classiques que des thrillers nerveux. L'inspecteur Valverde, imposant et perspicace, évoque naturellement Hercule Poirot par sa corpulence et son sens aigu de la déduction, tout en partageant avec Sherlock Holmes une dépendance au laudanum et un talent pour le violon. Mais ses méthodes parfois brusques et son rapport direct aux autres lui donnent une personnalité bien à lui, à la fois cérébrale et terrienne, attachante et pleine de contradictions. Les personnages secondaires sont également bien campés : un gouverneur autoritaire, une jolie archéologue déterminée, un médecin désabusé mais bienveillant, un anglais violent et sa belle femme désœuvrée, ainsi qu'un peuple Pascuan décrit avec respect et nuance. Le récit, sans insister lourdement, dénonce la hiérarchie raciale et les abus coloniaux de l'époque. Même si la résolution se devine un peu avant la fin, l'écriture reste élégante et les dialogues d'une belle précision. Caballero Bueno est un polar feutré et intelligent, entre hommage aux classiques du genre, modernité du ton et intérêt historique. Entre l'élégance de Poirot et les failles de Holmes, Valverde s'impose comme un enquêteur singulier et profondément humain, que j'aurais plaisir à retrouver dans d'autres enquêtes.
Démontagner
Voilà bien une BD dont je n'attendais rien. D'abord, je n'en avais jamais entendu parler avant d'en avoir un exemplaire dans les mains, et ensuite, elle s'est retrouvé dans ma PAL (Pile à Lire) pour le boulot. J'ai trouvé ça très bien. J'ai lu cette BD d'une traite, c'est un signe. Son scénario est simple et propose de suivre une saison en montagne avec un berger qui transhume un troupeau. Parce que notre auteur, qui porte à la foi la casquette d'illustrateur et le béret de berger, va rester plus de trois mois dans les alpages, dormant dans une cabane de quelques mètres carrés seulement. Ha oui ? Et on a besoin de 136 pages pour raconter ça ? Ben ouais ! C'est passionnant, mais également très poétique. On vit au jour le jour. On éprouve la peur de croiser l'ours, celle d'égarer des brebis ou de le perdre définitivement, car les dangers sont nombreux en altitude, on prend nous aussi les touristes pour des béotiens, on ressent parfois la langueur des jours, et surtout le décalage quand, sur les dernières pages, notre homme revient à la civilisation. D'ailleurs, il ne traine pas. C'est expédié. Il n'assistera même pas à la fête du village censée célébrer l'événement. Avant cela, on a compté avec lui les animaux. On les a énumérés. Et on ne s'est pas endormi. Il y a des passages très forts, très significatifs. Je pense en particulier à la manière dont Maxim Cain décrit la brume qui monte et obstrue la vue. Ça m'a rappelé ma lecture d'Au cœur des solitudes de Lomig. Comme elle, Démontagner est entièrement en noir et blanc, ce qui immerge dans le sujet en offrant de très belles planches dédiées aux paysages. Ici aussi, la solitude a toute la place. Une fois ma lecture achevée, je me suis retrouvé moi-aussi tout décalé. Tout démontagné, et j'avoue que j'en aurais bien repris une louche. Sans fantasmer sur le métier de berger, qui doit être un sacré truc tout de même, j'ai été enchanté de passer ces quelques mois en compagnie de Maxim. C'était une très belle expérience, très réussie graphiquement, et sans fausse note.