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Couverture de la série Les Experts - Crime scene investigation
Les Experts - Crime scene investigation

Je ne connais pas cette série télé - je ne suis pas fan des séries en général - mais ce surgeon ne m'a ni convaincu de la regarder, ni un temps soit peu intéressé. Déjà je n'ai pas aimé le dessin. Le style, très froid, et la colorisation à l'informatique. Et balancer 4 cases par page, avec de grandes plages blanches occupant une partie non négligeable de la page donne un résultat peu heureux, et une impression de flemme du dessinateur : un travail de commande réalisé à l'économie. Même impression pour la narration, très lente (il ne s'est presque rien passé dans les quarante premières pages du premier tome !). J'ai aussi eu l'impression d'une bête transposition d'un épisode en mode malentendants : des textes expliquent par le menu ce que font les enquêteurs ( redondant avec ce que le lecteur a vu et lu par ailleurs !), des "résumés " là aussi inutiles alourdissent parfois certains passages, etc. L'enquête en elle-même se laisse lire, mais ne sort pas du niveau basique d'une série polar américaine. Mais, plombée par les travers evoqués plus haut, et des dialogues quelconques, elle n'a amené chez-moi qu'ennui et désintérêt. Honnêtement, s'il ne s'était pas agi de faire sortir cette série de la catégorie des "avis uniques ", je l'aurais probablement laissé tomber avant la fin. Très gros bof me concernant. Note réelle 1,5/5.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Démon
Le Démon

Une leçon graphique, un concentré de Jack Kirby - Ce tome regroupe les 16 épisodes de la série originale, parus d'août 1972 à janvier 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, encrés par Mike Royer. La légendaire cité de Camelot est assaillie et la tour de Merlin est la proie des flammes. Margane le Fey tient sa revanche. Merlin accomplit un dernier acte avant de disparaître : associer Etrigan le démon à Jason Blood un être humain. de nos jours (enfin plus dans les années 1970 au vu des coiffures et des vêtements), Jason Blood est un démonologiste reconnu qui a pignon sur rue et qui est installé à Gotham. Dans le premier épisode, il reçoit la visite de Warly (l'aide de Morgane) dans son appartement. Après une confrontation physique, il reçoit l'aide d'un être de pierre muet. Ensemble ils se rendent dans un endroit qui évoque un village fermier dans une Europe de l'Est de pacotille. Au cours de ces 16 épisodes, le lecteur fait connaissance avec les rares amis de Jason Blood : Harry Matthews, Randu Singh et Glenda Mark. le Demon se bat contre Morgane le Fey (épisodes 1 & 2), contre une secte capable de transformer les homos sapiens en hommes de Neandertal (épisode 3), contre une sorte de sorcière vaudou capable de faire surgir des monstres (épisode 4 & 5, avec l'aide de Merlin), contre un homme-bête victime d'une malédiction (épisode 6), contre Klarion un enfant sorcier pas commode (épisodes 7, 14 et 15), contre une variation du le fantôme de l'opéra (épisodes 8 à 10), contre un dérivé du docteur Frankenstein (épisode 11 à 13) et une dernière fois contre Morgane le Fey (épisode 16). Dans la production de Jack Kirby, cette série présente plusieurs particularités. Tout d'abord elle est entièrement indépendante ; elle ne fait intervenir aucun autre personnage de l'univers partagé DC. Ensuite, Kirby a choisi un personnage principal issu des enfers : le démon Etrigan. Les éditeurs de DC ayant décidé de mettre un terme aux séries regroupées sous le nom de Quatrième Monde, ils demandèrent à Kirby de proposer de nouvelles idées. Pour ce titre, Kirby bénéficie de toute la latitude qu'il souhaite : il est même responsable éditorial de sa propre série. En termes de narration, Jack Kirby réduit ses personnages à leur plus simple expression. Harry Matthews est un monsieur peu cultivé qui ne comprend pas les termes compliqués et qui fume des cigares (vous n'en apprendrez pas plus sur lui au long des 16 épisodes). Glenda Mark est une jolie jeune femme aux nerfs solides, qui ne semble pas travailler et qui en pince pour Jason Blood de manière plus amicale qu'amoureuse. Randu Singh apporte une touche d'exotisme du fait de son origine indienne, et de mystère du fait de ses vagues pouvoirs extra-sensoriels. Même Jason Blood n'affiche pas une personnalité très affirmée. Etrigan provient des enfers, mais il a un sens moral irréprochable et c'est un pourfendeur de monstres en tous genres. La logique des récits est parfois incroyablement gauche, avec Jason Blood qui se transforme en Etrigan juste à 5 pages de la fin pour le combat décisif. le deus ex machina de la pierre philosophale prête également à sourire. Donc l'intérêt de ces histoires se trouve ailleurs : les monstres improbables et incroyables qu'affronte Etrigan et le parfum de légende qui se dégage de chacune des histoires. Kirby a été piocher dans sa carrière de créateur de monstres en pagaille pour engendrer une horreur après l'autre, avec certaines vraiment magnifiques. J'ai beaucoup apprécié le monstre qui donne son pouvoir à la sorcière vaudou, Klarion et son air gothique, la majesté du fantôme des égouts, l'idole antique de la secte, etc. Et ces monstres ne se résument pas à un concept simple, ils disposent chacun de graphismes incroyables. En fait j'ai voulu découvrir ces épisodes pour me replonger dans les graphismes sans concession de Kirby. Si vous voulez découvrir en quoi Jack Kirby était un illustrateur sans égal qui a imprimé une marque indélébile sur l'imagerie des comics, ce tome est fait pour vous. Il est visible qu'il a consacré beaucoup de temps à peaufiner ces histoires, en particulier les deux premiers tiers de la série. À elle seule, la couverture donne une idée de l'incroyable énergie contenue dans chaque dessin. Bien sûr il est facile de trouver ridicule les expressions exagérées des personnages, les émotions exacerbées et les postures théâtrales. Mais dès la première page, la force et la puissance de conviction s'empare du lecteur. Dès la première page (une pleine page), les célèbres points d'énergie (Kirby crackles) encadrent Merlin à sa fenêtre. Incroyable ! le lecteur distingue la chaleur des flammes, leur nature surnaturelle du fait de leur forme et de leur énergie, la solidité des pierres de la façade, ainsi que les décorations qui constituent autant de charmes magiques de protection. Les pages 2 & 3 ne forment qu'une seule illustration (double page) barbare, brutale et magique : une troupe de guerriers en armure donne l'assaut aux remparts, le feu ravage la citadelle, les armures sont toutes différentes, une boule de feu traverse le ciel, l'un des guerriers porte un casque qui évoque un modèle utilisé par les footballeurs américains. C'est ahurissant tout ce qu'il a réussi à mettre dans cette page. Morgane le Fey est impériale, étrangère et barbare, fantastique. La première apparition de Warly en vieillard irascible dont le visage est parcheminé convainc le lecteur de sa laideur intérieure et de sa dangerosité. Chaque monstre est magnifique : l'interprétation démesurée du monstre de Frankenstein est convaincante, Klarion redéfinit à lui seul el terme gothique grâce à a tenue de puritain, la petite créature toute blanche et pelucheuse est aussi mignonne que dégénérée. Jack Kirby s'est surpassé pour la double page de l'épisode 12 où Etrigan découvre toutes les créatures composées dans un laboratoire de sorcellerie. L'encrage du Mike Royer est épais comme il faut, formidable. Cette édition comprend quelques pages crayonnées qui permettent de comprendre le travail de l'encreur et le respect avec lequel il a transcrit les crayonnés. Et les textures ! Quand Kirby représente une construction en pierre, c'est de la pierre de taille massive. Quand il décrit une vue aérienne de Gotham, il arrange les ombres des immeubles pour que cet arrière plan devienne une composition abstraite recelant une intention mystérieuse à la lisière de la compréhension. Les coulisses du théâtre avec leurs panneaux en bois évoquent l'ancienneté des lieux, l'amour du travail manuel des artisans qui ont fabriqué les décors, etc. Non, je ne suis pas en plein délire, je me régale de cette vision d'artiste du monde qui nous entoure. Kirby porte un regard personnel sur la réalité, dont ses illustrations portent la marque. Si vous ne connaissez pas Jack Kirby et vous vous demandez pourquoi les anciens le vénèrent, ce tome recèle des trésors graphiques inouïs. Si vous connaissez déjà le style de Jack Kirby, il apparaît ici dans sa forme la plus mature et la plus pure.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Jeremy Brood
Jeremy Brood

Héros malgré lui, jusqu'au bout - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome, indépendante de toute autre. le scénario est de Jan Strnad (attention, l'association des orthophonistes vous déconseille de prononcer son nom à haute voix), les illustrations et les couleurs de Richard Corben. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 1982/1983. Quelque part dans le vide de l'espace, à bord d'un petit vaisseau isolé, Charlene et Jeremy Brood essaye d'avoir un rapport sexuel en attendant que leur soit confiée une mission. Leur tentative est interrompue par un message codé requérant leur aide sur Eden, une planète éloignée, mais la fin du message qui explique la situation et la solution est indéchiffrable. Charlene et Jeremy se rendent compte que leur voyage durera 2 mois, mais que sur la planète 200 ans se seront écoulés. Sur place, Finchley, un étrange meneur religieux, rend visite à Brynne (une jeune vierge en âge de procréer détenue dans une tour). Cette dernière lui dit avoir vu arriver une étoile filante, en plein jour. Finchley comprend que le sauveur annoncé par la prophétie vient d'arriver. Il est urgent de prendre contact avec lui. Strnad et Corben invite le lecteur à suivre le parcours de Jeremy Brood sur cette planète étrange. le scénario expose à grands traits la situation : le peuple habitant la cité où se trouve Finchley est oppressé par un mystérieux Holobar qui n'apparaît qu'une seule fois dans le récit. Brood est décrit comme un militaire compétent avec un entraînement qui lui confère une grande science du combat à main nue, et armé. Il a pour équipière une femme noire magnifique à la forte personnalité, et tout aussi compétente que lui. Brood plonge au cœur du mystère que représente cet appel de détresse auquel il manque la fin. Mais bien vite il est dépassé par les événements et il se retrouve au milieu d'une mise en scène qui le prend de court. Au-delà de ses capacités physiques et tactiques, Strnad le décrit comme un individu normal n'ayant pas la science infuse et se sentant moyennement concerné par le sort des indigènes. Dans une interview, Strnad a expliqué que la série n'avait pas rencontré le succès escompté et que c'est la raison pour laquelle la fin est aussi abrupte. À la lecture, la fin ressemble à une chute qui prend les attentes du lecteur à contrepied, de manière magnifique. Non seulement elle s'accorde parfaitement avec le personnage faillible de Jeremy Brood, mais en plus elle met en perspective le récit comme une histoire choisissant le chemin le moins emprunté. Strnad répond à une question aussi basique que rarement abordée, propre à tous les récits mettant en scène un héros valeureux et courageux, avec une chute aussi évidente qu'ironique. En quelques cases et quelques répliques, Strnad sait doter chaque personnage de particularités psychologiques crédibles. Jeremy Brood n'est pas un simple militaire capable de terrasser tout le monde en combat singulier et d'inventer des stratégies brillantes. Il apparaît également qu'il a des doutes sur ses capacités, et sur la nature de la mission qu'il doit effectuer. Dès la première scène, Charlene dispose d'une forte personnalité, éloignée de tout stéréotype, et cohérente avec sa fonction militaire. Strnad dresse un portrait aux petits oignons de Finchley, en sage retors, pas dupe, et agissant selon un plan d'actions mûrement réfléchi. le lecteur familier de Corben sent poindre toute la rouerie attribuée aux vieux dans ses histoires (en moins pervers que d'habitude). Ce récit est également unique du fait des illustrations de Richard Corben. Il s'agit donc d'un récit où il assure lui-même la mise en couleurs principalement à l'aérographe, mais également avec tout ce qui lui semble pertinent. Cette technique sophistiquée (à une époque où l'infographie n'existait pas) lui permet de donner un relief unique à chaque forme, et de le contraster avec les surfaces colorées par un ton plein. S'il peut être difficile pour de jeunes lecteurs de se rendre compte de la prouesse technique pour l'époque, la maîtrise des couleurs reste évidente après toutes ces années et elle n'a rien à envier aux meilleurs metteurs en couleurs actuels. Les tons sont aussi riches, intenses et chauds. de plus Corben a l'art et la manière de gérer sa palette pour créer des ambiances de couleurs spécifiques à chaque scène, sans s'éparpiller dans une démonstration stérile. Lors de la deuxième scène, le lecteur découvre une zone boisée sur la planète Eden, avec une flore délicieusement extraterrestre, dans des tons vert-bleu succulents. le lecteur peut aussi apprécier l'aspect visuel du monstre qui se délecte d'une sorte de rongeur. Cette scène oppose 2 esclaves à leur maître et le sang coule. Là encore la maîtrise de Corben éclate : il évite les litres d'hémoglobine pour avoir un écoulement de sang normal dont le rouge tranche avec encore plus d'intensité sur le reste des couleurs. Richard Corben utilise un style qui marie des éléments photoréalistes, avec d'autres plus esquissés, afin de donner encore plus de substance aux premiers. Les 3 premières cases représentent le petit vaisseau spatial vu depuis l'espace. Corben a conçu une forme biscornue qui a tout son sens dans la mesure où le frottement est négligeable dans le vide spatial. Il utilise un rendu très travaillé pour les jeux de lumière sur le métal. le lecteur pénètre ensuite dans l'habitacle et contemple Charlene et Jeremy dans le plus simple appareil (nudité frontale au dessus de la ceinture) et leur corps d'athlètes musculeux. Par contraste, le panneau de contrôle de la radio est rendu de manière plus grossière, intensifiant ainsi la présence des 2 humains. Il faut dire que les illustrations de Corben traduise une fascination pour la plasticité de la chair et pour le corps humain (ou extraterrestre de forme humanoïde). Avec ce mode représentation, les personnages s'incarnent avec intensité dans chaque case. Une autre scène très intense correspond au sacrifice de la vierge qui a dénudé son corps pour la cérémonie (nudité frontale totale). Corben joue avec le voyeurisme du lecteur dans une mise en scène époustouflante mêlant la tension générée par le sacrifice, la position moralement inconfortable de Brood et les bizarreries de la cérémonie. Corben marie horreur, érotisme et humour de façon magistrale. À rajouter à son crédit, il y a encore sa capacité à créer des apparences visuelles chargée d'ironie pour les monstres. Une fois le vaisseau posé sur Eden, Jeremy Brood effectue une sortie et se retrouve face à 2 créatures mutantes agressives qui se battent pour essayer de récupérer une sorte de ver fouisseur. Il leur donne une apparence dégingandée de dégénérés pourvus de 2 neurones, aux instincts les plus bas. À la fois leur apparence et leur langage corporel sont un délice d'ironie et de moquerie, tout en leur conférant un comportement hautement dangereux. L'histoire de Jeremy Brood n'a rien de banal. Elle suit le parcours atypique d'un héros malgré lui. Elle mélange harmonieusement science-fiction, horreur et quelques scènes érotiques, avec un grand sens de la dérision et du second degré. Elle bénéficie des illustrations sophistiquées de Richard Corben, à l'esthétisme exubérant et second degré.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Celui que tu aimes dans les ténèbres
Celui que tu aimes dans les ténèbres

Perte de confiance - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les cinq épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits par Skottie Young, dessinés et encrés par Jorge Corona, avec une mise en couleurs de Jean-François Beaulieu. Dans une petite ville de campagne aux États-Unis, Rowena Meadows se tient devant une demeure de caractère, avec un étage et des combles. Elle indique à l'agente immobilière derrière elle que ça correspond exactement à ce qu'elle recherche. Étrangement l'autre essaye de l'en dissuader en lui indiquant que de nombreux propriétaires se sont succédé à un rythme rapide et que la maison a la réputation d'être hantée. Ro s'y installe et se sert un verre de vin rouge pour fêter ça. En plaisantant, elle dit à haute voix que le fantôme, s'il est réel, pourrait l'aider à déballer ses affaires. Elle se rend au salon, où elle sort un vinyle de la collection et le pose sur la platine. Elle écoute la musique, tout en sirotant son verre de vin, et en regardant la toile vierge sur son chevalet, posée devant une grande fenêtre par laquelle entre la chaude lumière du soleil. Elle va pour commencer à dessiner, mais sans parvenir à poser la pointe de son crayon sur la toile. Elle le repose, se ressert un verre de vin, et contemple fixement le blanc de la toile, sans plus prêter d'attention à la musique. La nuit tombe, et la toile reste immaculée. Le lendemain, elle continue à parler à haute voix comme un jeu, en disant qu'il pourrait au moins lancer le disque, et lui servir un verre de vin. En tout état de cause, il devrait au minimum lui servir de source d'inspiration. Ro Meadows reproduit ce rituel chaque jour, et au bout de quelques semaines, elle n'est parvenue à rien : pas un seul trait sur la toile. Le fantôme n'a donné aucun signe de vie. Elle va se coucher après encore une journée infructueuse. Le lendemain matin, elle descend, et le disque est train de jouer alors qu'elle se sert un verre dans la cuisine. Elle se rend dans le salon, et l'aiguille de la platine parcourt effectivement le sillon. Elle a du mal à croire qu'elle ait assez bu la veille pour ne pas se souvenir d'avoir laissé le disque tourner. La sonnerie de son portable la fait sursauter : il s'agit de son agent Attison. Il lui dit bonjour et lui demande s'il la dérange à un moment inopportun où elle serait en train de s'occuper d'elle. Après un bref échange de politesses, il lui demande où elle en est. Elle répond que ça avance bien. Il ne la croit pas un instant et il lui rappelle qu'il faut qu'elle fournisse de nouvelles œuvres pour sa prochaine exposition, car les fonds commencent à manquer. Une fois qu'ils ont raccroché, Ro se dit qu'il est temps qu'elle s'y mette pour de vrai, qu'elle l'a déjà fait des millions de fois : dessiner, bouger sa main… Elle prend un crayon et se lance. Au bout de quelques temps, elle s'arrête et prend du recul : c'est nul et elle balance son verre de vin sur la toile. Puis elle balance le chevalet et son tabouret. Elle se dit qu'il faudrait peut-être qu'elle se retrouve à devoir travailler comme serveuse pour à nouveau être motivée. Elle formule sa réflexion à haute voix : doit-elle redevenir une barista ? Une voix désincarnée lui répond que non, elle ne devrait pas. Ces deux créateurs avaient précédemment collaboré ensemble pour la série Middlewest (2018-2020), en 18 épisodes, plutôt à destination de jeunes lecteurs. La couverture annonce une maison hantée et quelque chose tapie dans les ténèbres. Le dessin ne permet pas de se faire une idée du public visé. Une fois la lecture entamée, les choix visuels situent le récit à la croisée d'une sensibilité adolescente, d'un regard un peu plus adulte. La silhouette de Ro Meadows présente des caractéristiques un peu exagérées : finesse des bras, finesse du cou, grosses lunettes qui lui donnent des yeux un peu plus gros que la normale, pieds très petits et effilés, salopette très large. Le lecteur peut déceler comme une influence manga, bien digérée, et entièrement assimilée, à un degré devenu totalement naturel et organique. L'histoire met en scène très peu de personnages : l'agente immobilière le temps de deux pages, Attison dans moins d'une dizaine de pages, le fantôme mais d'une manière particulière, et quelques figurants le temps d'une page ou deux. Il observe également le langage corporel et les expressions de visage : il ressent l'état d'esprit de Ro dans chaque scène, ses variations d'humeur, y compris dans les nuances. Sa frustration à ne pas réussir à apposer un simple trait sur la toile, sa déprime à l'idée de ne pas réussir à créer, sa colère contre elle-même quand elle casse tout, son angoisse quand elle comprend que le fantôme se déplace à sa guise dans toutes les pièces de la demeure et à tout moment ne lui laissant potentiellement aucune intimité, le retour de son sourire quand elle parvient enfin à avancer dans une toile, etc. La narration visuelle crée ainsi un bon niveau d'empathie avec la peintre, sans effet de voyeurisme. Le lecteur considère alors une autre composante visuelle : l'environnement dans lequel elle évolue. Il découvre une vue générale de la façade extérieure principale de la demeure dans une dessin en double page, et dans les pages bonus se trouvent les plans par étage, ainsi qu'une modélisation 3D. Les auteurs ne font pas étalage de cette conception détaillée du bâtiment, mais elle se trouve en filigrane du récit, apportant une réelle consistance grâce à la cohérence des plans de prise de vue, en référence à ces plans, par opposition à des vues au petit bonheur la chance. Une fois Ro à l'intérieur, les cases montrent l'aménagement assez générique des pièces, les meubles sans beaucoup de personnalité, et la grande baie vitrée en arrondi, dans la pièce où elle peint. La majeure partie du récit se déroule à l'intérieur de la maison. De temps à autre, les auteurs insèrent un plan à l'extérieur ce qui fournit une respiration avec des décors également bien décrits : dehors sous la pluie sur le trottoir avec la demeure en arrière-plan, la galerie où les œuvres de Ro sont exposées, un petit coin de Central Park d'où Attison téléphone à Ro. Les plans de prise de vue sont conçus spécifiquement pour chaque scène, avec des variations de cadrage, certains s'arrêtant sur un détail comme les pinceaux de Ro dans leur pot, ou intégrant un élément conceptuel comme les volutes pour figurer la musique qui circule dans la pièce. Les détails enrichissent la narration, le lecteur se rendant compte qu'il prend le temps de les observer, ce qui donne un rythme de lecture plus posé. Il apprécie l'élégance des volutes pour la musique et comment elles s'intègrent au fantôme. Il se demande pour quelle raison Ro ne porte plus ses lunettes à partir de la deuxième moitié de l'épisode 4. Le coloriste réalise un travail très agréable à l'œil, complètement intégré aux traits encrés, augmentant la distinction entre les différents éléments dessinés, développant l'ambiance lumineuse, avec des nuances sophistiquées et discrètes, participant significativement à la narration visuelle, bien au-delà d'une colorisation des cases. En entamant cette histoire, le lecteur sait que le scénariste ne dispose pas de beaucoup d'options : soit ce fantôme existe comme esprit surnaturel, soit c'est une fiction dans l'esprit du personnage principal, ou un peu de des deux. Il s'agit d'un récit de genre, avec des conventions assez contraignantes, et un nombre restreint de degrés de liberté. Les auteurs parviennent à faire exister Ro dès les premières pages, et le lecteur ressent une réelle empathie pour elle et sa situation. Il constate qu'ils ne tardent pas à établir un contact entre elle et le fantôme, ce dernier étant capable d'interagir avec le monde physique de manière limitée. L'histoire acquiert alors une dimension ludique : le lecteur essaye d'anticiper dans quelle direction va se développer la relation entre Ro Meadows et son fantôme. Il relève également les indices qui lui permettraient d'en savoir plus sur la nature de ce fantôme. L'histoire ne se transforme pas en un récit d'action et le syndrome de la page blanche reste au cœur du récit. Il est à la fois possible de le lire au premier degré avec un vrai fantôme et une relation d'amour abusif. Il est également possible de le lire au second degré et de voir en cet esprit surnaturel, une métaphore claire de ce que traverse Ro. Pas facile de réaliser une histoire de fantôme et assez prenante. Skottie Young, Jorge Corona et Jean-François Beaulieu installent une peintre qui a l'air assez jeune, peut-être pas encore la trentaine dans une maison prétendument hantée, un point de départ aussi classique que convenu. Le lecteur relève tout de suite la qualité de la narration visuelle qui lui permet de se projeter dans chaque pièce de la maison, et il constate dans les pages de fin que cette demeure a été conçue avec soin. Il se sent tout de suite proche du personnage principal, voyant ses états d'esprit, partageant son découragement à l'idée de ne plus pouvoir réaliser une toile qui ait du sens pour elle, ne plus avoir des hoses en elle qui méritent d'être exprimées. Il n'est pas très surpris par la tournure que prend l'intrigue, tout en constatant qu'elle ne devient pas générique pour autant grâce à l'épaisseur acquise par le personnage de Ro. Il se retrouve surpris à deux ou trois reprises par un événement ou un acte qu'il n'avait pas prévu, sortant des rails de ce type de récit de genre, et totalement cohérents avec le reste du récit. Une bonne histoire d'horreur, à la fois avec un monstre, à la fois psychologique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 2/5
Couverture de la série Severed
Severed

Même pas peur - Il s'agit d'un récit complet et indépendant en 1 tome, écrit par Scott Snyder & Scott Tuft, et illustré par Attila Futaki. Ce tome regroupe les 7 épisodes de la minisérie parue en 2011/2012. Dans une ville ensoleillée, un couple est en train de regarder Elvis à la télévision. Jimmy fait irruption dans la pièce et remet un courrier à Jack Garron, son grand-père à qui il manque le bras droit. À la lecture, Garron se souvient de ce qui a commencé en 1916, à Jamestown, dans l'état de New York. Il habitait alors avec sa mère dans une maison assez isolée en pleine campagne. Ses souvenirs commencent l'été de ses 12 ans. Katherine, sa mère le félicite pour l'air qu'il est en train de jouer au violon. Elle lui promet un brillant avenir de vagabond itinérant gagnant sa vie avec sa musique. Il s'agit en fait de taquineries : l'année prochaine il entre au collège et ils ont déjà fait l'emplette de son costume. Après le coucher, Jack Garrow fait la belle, il fugue avec son violon et devient passager clandestin à bord d'un train qui l'emmène vers Chicago. À bord, il développe un embryon d'amitié avec Sam, un autre jeune vagabond. Ailleurs dans le pays, un homme qui se fait appeler Porter vient prendre en charge un jeune garçon dans un orphelinat pour l'emmener apprendre le métier d'électricien. Il apparaît rapidement que ses intentions sont malveillantes et sinistres. Dans la postface, les 2 Scott (Snyder et Tuft) expliquent qu'il s'agit d'un projet qui leur tenait à cœur depuis de nombreuses années et que leur objectif était de créer un récit qui parlerait de peurs intimes et essentielles, tout en rendant hommage à ces clochards qui parcouraient les États-Unis à bord de trains de marchandise, une ode à la route symbole de liberté, un mythe américain, une allégorie des opportunités s'offrant aux individus entreprenants. Sur ce point, Snyder (également scénariste de Batman - La cour des hiboux et American Vampire), Tuft et Futaki atteignent leur objectif. Les 2 pages (presque muettes) consacrées à Jack attrapant le train au passage pour s'introduire dans un wagon transcrivent bien l'immensité de l'espace, la texture du bois des wagons, la sensation de s'embarquer pour un voyage à la fois guidé (les rails), et à la fois plein de promesses (une destination inconnue). Dans les épisodes 5 & 6, Jack se retrouve passager dans une voiture qui roule dans des paysages dégagés, sous un grand ciel ouvert. À nouveau le lecteur peut sentir cette liberté qui accompagne ces grands espaces. Les dessins de Futaki transmettent cette sensation par le choix des couleurs et des cadrages judicieux. Par contre le scénario se limite à cette dimension de liberté, sans s'appesantir sur la réalité sociale (dénuement, précarité) qui l'accompagne, par opposition à une histoire comme Kings in Disguise de James Vance & Dan Burr. En effet, l'objectif de Snyder et Tuft n'est pas de faire revivre une époque, avec tous les éléments historiques que cela exige. Il y a bien la première scène à Chicago avec un blanc grimé en noir, menant une revue de cabaret (évoquant vaguement le chanteur de jazz), ainsi qu'une scène de baiser sur des poutrelles métalliques (évoquant cette fois-ci la construction des premiers gratte-ciels). L'évocation de cette époque prend également visuellement corps dans les modèles de voitures, les bâtiments, et les aménagements intérieurs, mais tout cela reste à l'état de décor, sans prendre de dimension sociale. Et la peur ? Snyder et Tuft prennent un parti étrange : choisir comme personnage principal un enfant de 12 ans. Faire exister, de manière crédible, un enfant dans une oeuvre de fiction constitue un défi ardu. Ici, passé la première scène avec la maman, le lecteur a l'impression d'observer les faits et gestes d'un grand adolescent ou d'un jeune adulte. Il y a bien un coté confiant envers les adultes qui relève encore de l'enfance, et une absence de désir de nature sexuelle. Mais pour le reste, Jack Garron agit comme un individu confiant dans l'avenir, dépourvu de dépendance émotionnelle avec sa mère, capable d'une autonomie irréaliste à son âge (sans parler des réactions peu probables des adultes qu'il croise). du coup ce hiatus génère une dissonance narrative où le texte affiche un âge de 12 ans, alors que les actions du personnage montrent autre chose. La construction du récit désamorce également une partie significative du suspense puisque la scène d'ouverture stipule que Jack survivra aux épreuves qui l'attendent. Les scènes dans lesquelles l'individu meurtrier s'attaque à une victime n'arrivent pas non plus à faire naître un frisson d'inquiétude. Chacune de ces scènes démarre bien : Futaki utilise une mise en scène qui voit la victime potentielle agir en faisant le jeu du meurtrier. Et puis arrivé au 2 tiers de ce type de scène, la mise en page dévoile la résolution (fatale ou non), ou pire encore Futaki réalise un dessin évoquant les histoires d'horreur bon marché ce qui réduit à néant l'ambiance patiemment installée (le méchant s'avançant la bouche grande ouverte avec un rictus caricatural, ou le gentil dans une pose héroïque exagérée et disproportionnée). Du fait de ces artifices bon marché, le lecteur attend patiemment que chaque scène arrive à son terme, sans empathie pour les personnages, en guettant l'issue qu'il a déjà devinée. Difficile dans ces conditions de se sentir impliqué par un personnage qui à l'évidence n'est pas un enfant de 12 ans, ou de s'inquiéter pour lui quand les actions du méchant sont aussi prévisibles. Il ne reste plus qu'à apprécier les paysages quand le scénario leur laisse un peu de place. Alors que la quatrième de couverture promet un thriller avec un psychopathe imprévisible, le lecteur découvre une évocation un peu superficielle du vagabondage dans les États-Unis du début du vingtième siècle, centré sur un personnage plus générique qu'il n'en a l'air, avec un tueur dont les agissements sont trop prévisibles. Il reste quelques cases très réussies de paysages, ou de personnages secondaires.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Basketful of heads
Basketful of heads

Tranchant et macabre - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. C'est la première à avoir été publiée dans la branche Hill House de DC Comics, des histoires placées sous la tutelle de Joe Hill. Ce tome regroupe les 7 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019/2020, écrits par Joe Hill, dessinés et encrés par Leomacs, mis en couleurs par Dave Stewart. Les couvertures ont été réalisées par Reiko Murakami. le tome comprend également les couvertures variantes réalisées par Joshua Middleton, Clayton Crain, Tula Lotay, Becky Cloonan, Matteo Scalera, Igor Kordey, Gabriel Rodriguez. Il comprend également une courte interview (3 questions) de Joe Hill, et une un peu plus longue (5 questions) de Leomacs. De nuit sur un pont, sous la pluie, une jeune femme en ciré avance avec à son bras un panier sur lequel est posé un drapeau américain. Il s'en échappe des voix. Elle porte une hache viking dans l'autre main. Elle pose le panier sur le parapet du pont. Une voiture s'arrête et le conducteur lui demande ce qu'elle fait sous la pluie, avec ce panier. Avant, en septembre 1983, à Brody Island, June Branch est assise sur le même parapet métallique par une belle journée d'été, à balancer ses jambes dans le vide. Une voiture de police s'arrête à sa hauteur et l'adjoint Liam Ellsworth en descend. Ils échangent quelques paroles, et ils s'embrassent comme des amoureux. Il lui indique qu'il a fini son service depuis cinq minutes. Ils remontent dans le buggy de la police et elle parle d'acheter leur propre voiture, mais il n'a aucun argent de côté. Elle est assez déçue qu'il ne souhaite pas acheter une voiture avec elle, mais elle le rassure : elle n'avait aucune intention de se suicider en se jetant du haut du parapet. Il indique qu'il a aidé à récupérer une suicidée à ce même endroit, peu de temps auparavant. Elle avait sauté avec un sac à dos rempli de cailloux pour être sûre d'en finir. Mais Liam demande à récupérer sa chemise d'uniforme parce que la police est en train d'intervenir. Tout en remettant sa chemise dans son pantalon, Liam Ellsworth se dirige vers Wade Glausen, le shérif, tout en regardant les 6 prisonniers en uniforme orange allongés ventre à terre avec les mains sur la tête. Liam présente June au shérif qui l'invite à manger pour le soir, mais Liam lui indique que son épouse Roberta Glausen l'a déjà fait. Ned Hamilton, important homme d'affaires de l'île, est en train de se plaindre auprès du shérif qu'il faut qu'il retrouve au plus vite les quatre fuyards. le shérif répond qu'il ne s'agit pas de la pire engeance, mais juste de deux consommateurs de cannabis, d'un chauffard et d'un proxénète. Il ajoute qu'il s'en occupe et il donne l'ordre à Liam de se rendre au plus vite au repas préparé par son épouse. Arrivé à la demeure des Glausen, Liam présente June à Hank Clausen, le fils de Wade, puis à son épouse Roberta. Celle-ci les emmène dans un immense salon décoré avec de véritables pièces de musée viking, dont une figure de proue de drakkar, et une immense hache, que des pièces datant du neuvième siècle. Roberta, Hank, Liam et June prennent le dîner sur la terrasse ; ils sont servis pas l'employé de maison Gabby Thurston. Au moment du dessert, le téléphone sonne : Wade Clausen souhaite parler à Liam pour qu'il revienne parce qu'un des détenus en fuite a tué Noel Flanagan, un des policiers. S'il a lu la série Locke and Key, le lecteur n'éprouve pas un seul instant d'hésitation en découvrant un nouveau comics écrit par Joe Hill. Il s'agit du premier à être publié par DC Comics dans une branche créée spécialement pour l'occasion Hill House, pour des récits d'horreur, a priori triés sur le volet par Hill lui-même. le titre et la couverture l'annoncent clairement : c'est un récit d'horreur dans lequel un individu mystérieux coupe des têtes avec une hache et les met dans un panier. La couverture n'est pas mensongère, et en plus une fois coupées, les têtes en question continuent de parler, en l'occurrence à leur meurtrier, mais aussi entre elles. En découvrant progressivement le récit, le lecteur peut sentir l'influence de Stephen King le père de l'auteur dans le lieu choisi : une île reliée au continent par un passage qui se retrouve inondé du fait d'une tempête et cette dernière fait sauter le réseau électrique. C'est parti pour une nuit éprouvante au cours de laquelle toutes les horreurs peuvent survenir. Le lecteur peut se retrouver décontenancé par le ton de la narration. Il y a ce principe de têtes séparées de leur corps et qui continuent à parler comme par enchantement. le scénariste évoque en passant cette particularité mais sans s'y attarder, ce n'est pas important pour l'intrigue. En fait, si c'est important parce que les échanges qui s'installent entre elles et le tueur vont fortement influer sur le comportement de ce dernier. le dessinateur les représente de manière réaliste : il est possible de voir les lèvres bouger, les yeux bouger, de les voir prendre des expressions diverses. Elles continuent de parler alors qu'il n'y a plus ni cordes vocales, ni poumons. À l'évidence, le lecteur doit accorder le degré de suspension d'incrédulité consentie nécessaire pour prendre cet état de fait comme il vient, sans poser de question, sinon la narration ne fonctionne pas. Sous réserve d'y consentir, il peut alors apprécier un thriller bien noir et macabre, assez retors avec une touche d'humour noir. S'il en déjà lues, il pense aux histoires à chute des EC Comics, et se dit que la filiation est bien là, voire même une forme d'hommage aux éléments surnaturels que pouvaient contenir une partie de ces histoires. S'il a cette touche d'humour en tête, le lecteur prend plus de plaisir encore aux expressions des têtes coupées en train de parler dans le fameux panier. Sinon, il prend les dessins au premier degré, et apprécie le naturel de la narration visuelle, ainsi que sa qualité descriptive. Leomacs détoure chaque forme avec un trait précis et avec un soupçon de lâché dans leur tracé qui apporte une sensation de vie dans les personnages, très naturelle. Il utilise les cases sans décor en fond avec modération et pertinence. Il passe du temps à représenter les environnements, dans la plupart des cases, avec un niveau de détail parfaitement dosé. le lecteur éprouve la sensation de trouver dans les différents endroits de l'île : le pont métallique au-dessus du bras de mer, la vue en hauteur surplombant la spacieuse demeure des Clausen, leur salon richement décoré, le ponton au-dessus de la mer, le panier à linge où s'est réfugié June alors que les fuyards visitent la maison pendant la panne d'électricité, la berge rocailleuse où été retrouvé le corps d'Emily Dunn avec son sac à dos, la route déserte avec un arbre en travers, le 4*4 de Ned Hamilton, le poste de police et ses cellules, le yacht de Wade Clausen, le fond de l'eau. Toujours avec l'idée d'une touche d'humour noir en tête, le lecteur se prend à sourire au jeu des acteurs qui paraîtraient sinon un peu forcé. À l'évidence, Leomacs rend lui aussi hommage au EC Comics et à la forme d'expression un peu dramatisée des personnages. D'un autre côté, au vu de ce qui leur arrive (et pas qu'aux décapités), il y a de quoi avoir des réactions émotionnelles intenses. Pour autant, l'artiste n'en fait pas des tonnes, et prend bien garde à ne pas passer dans l'outrance ou dans le grotesque. Il fait en sorte de raconter l'histoire au premier degré et que ses visuels ne sortent pas du domaine du plausible. du coup, malgré les têtes coupées qui parlent, le lecteur ressent une véritable empathie pour les personnages, et prend immédiatement fait et cause pour la pauvre June Branch qui va passer une sale nuit. La dynamique du thriller fonctionne à plein, et le tueur a la main lourde avec sa hache. le récit dépasse la simple course-poursuite, car Joe Hill a construit une intrigue soignée pleine de révélations et de retournements, qui ne repose pas sur les tranchages de cou, ou le gore. le lecteur commence par se demander ce qui a bien pousser Eily Dunn à se suicider en sautant dans une rivière avec un sac à dos rempli de pierre. Puis il doute que les quatre évadés soient si inoffensifs que l'a déclaré le shérif. Puis il tremble pour June et Liam alors que les quatre fuyards fouillent la maison du shérif de fond en comble de nuit sans électricité, en se demandant bien ce qu'ils peuvent chercher. Alors que June se fait courser par Salvatore Puzo en combinaison orange, il se demande ce qui est en train d'arriver à Liam aux mains des trois autres. le scénariste a conçu une intrigue avec une précision d'horlogerie, et un rythme maîtrisé de bout en bout, qui donne le temps au lecteur d'apprécier ce qu'il est en train de découvrir, tout en le tenant en haleine, et en lui faisant abandonner l'idée de faire une pause. Pari réussi pour le co-auteur de Locke and Key : écrire un récit aussi prenant, tout en étant plus court. Joe Hill déroule un thriller imparable, avec une touche d'horreur (les têtes coupées) et une touche d'humour macabre (les têtes coupées qui parlent), avec une héroïne immédiatement attachante qui est faillible, mais qui ne joue ni les potiches, ni les victimes. La narration visuelle est incroyablement bien adaptée à la nature du récit, avec que ce soit pour les exigences descriptives que l'intégration organique de la touche macabre.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Sláine - L'Aventurier
Sláine - L'Aventurier

4 récits courts qui réunissent Sláine et Ukko, pour débiter des monstres pas beaux - Ce tome regroupe 4 histoires courtes, écrites par Pat Mills, et illustrées à l'infographie par Clint Langley. le nom de John Hicklenton apparaît sur la couverture essentiellement à titre d'hommage posthume, et pour une ou deux esquisses figurant entre les histoires. Pour information, ces histoires se déroulent après les 3 tomes de Geste des invasions, mais elles peuvent se lire sans rien connaître de Sláine. Le sonneur de gong (Progs 1635 à 1638) - À nouveau seul et démis de sa couronne, Sláine reprend sa vie de nomade à travers le territoire d'Albion, avec sa grande hache à l'épaule. Il arrive devant une tour désaffectée ayant été habitée par des Cyth, une race de monstres néfastes pour les humains. Une puanteur pestilentielle se dégage des pourtours de l'édifice. Un gardien se tient à l'entrée, il est en train de se prendre le bec avec une ancienne compagne. Il réclame de l'argent à Sláine sur un ton péremptoire. Une fois cette affaire vite réglée, il a la surprise de retrouver Ukko, un nain difforme qui l'a accompagné dans plusieurs aventures, à l'intérieur de la tour. Le contrebandier (Progs 1662 à 1665) - Sláine arrive à proximité de la cite de Bethlusion où il a maille à partir avec des soldats chargés de traquer les voleurs d'ambre. Une fois à l'intérieur de la cité, il retrouve Ukko dans une fâcheuse posture qui lui indique que le maître de céans détient Sorcha, une femme ressemblant à Niamh (l'épouse défunte de Sláine). En passant, Ukko précise qu'il a un plan infaillible pour ressortir avec une quantité appréciable d'ambre, en douce. L'exorciste (Progs 1709 à 1712) - Ukko a pris la succession d'un exorciste et il s'est adjoint les services de Sláine pour calmer les démons qu'il extirpe de leurs victimes. Une jeune femme bien possédée arrive pour une consultation. Le mercenaire (Progs 1713, 1714 et 2011) - le temps d'une bataille décisive entre des humains inféodés aux Folmorians et des humains libres est venu. Mais avant l'affrontement, le camp des humains libre organise une partie de murderball pour se mettre en condition. Un arbitre donne le coup d'envoi, une tête tranchée sert de balle et le but est d'amener cette balle dans le camp adverse. Tous les coups sont permis, l'usage des armes aussi. Ces 4 histoires courtes sont l'occasion pour Pat Mills de se défouler un peu entre 2 histoires au long cours. Il réintègre le personnage d'Ukko, un faire-valoir comique que Sláine maltraite régulièrement. Il propose des récits très linéaires dans lesquels tout se règle par la force du plus, et le plus fort, c'est Sláine. Malgré tout, il n'est pas possible de réduire ces 4 nouvelles à l'état de simple farce. Pour commencer, Mills introduit les pérégrinations de Sláine en évoquant un dicton druidique selon lequel il y a 4 âges dans la vie d'un homme. Pour commencer il y a l'enfance, puis se faire sa place dans le monde (apprentissage), puis fonder et subvenir à une famille. le quatrième âge survient lorsque la famille est indépendante, il est alors temps de retourner vadrouiller de par le monde. Ensuite, si chaque récit débouche sur un carnage en bonne et due forme, il n'en reste pas moins que Mills se fend d'une intrigue basique mais solide. Enfin le retour d'Ukko s'accompagne d'un changement de ton qui devient moins sombre grâce à plus d'humour noir et cynique. En effet, il ne faut pas s'attendre à découvrir de gentils contes pour enfants. Il s'agit de Sláine et il est bien clair que la relation entre lui et Ukko se nourrit de haine, de cruauté, avant toute forme d'entraide. Et bien évidemment, Sláine se bat contre des monstres ignobles, n'ayant pour seul objectif que de trucider de l'humain, de la manière la plus douloureuse qui soit. Et pour ce dernier point, Clint Langley est l'illustrateur de la situation. Il utilise l'infographie pour incorporer des éléments photographiques, essentiellement pour les visages et pour les textures des décors et des vêtements. La première fois que l'on découvre ses illustrations, on est pris d'une sensation d'écœurement visuel du fait de la forte densité d'informations contenues dans chaque case. Dès la première case (une pleine page), le lecteur peut contempler à loisir un ciel nuageux et gris très réaliste (presqu'une photographie), une tour de plusieurs étages très ouvragée où il est possible de distinguer les moindres détails (mis à part un ou deux lambeaux de brume). Et cette tour est rendue de manière réaliste, à nouveau de façon quasi photographique, avec son reflet dans une étendue d'eau devant. Et en premier plan sur la gauche se tient Sláine avec sa hache démesurée. Il faut donc un peu de temps pour que le lecteur ajuste son mode de lecture à la richesse des illustrations. Il fait bon s'arrêter de temps à autre pour jouir d'un casque finement ciselé, de l'apparence contre nature d'un monstre, de la texture d'une pierre, de l'incroyable travail d'orfèvre effectué sur les armes blanches, de la précision maniaque des giclées de sang. Enfin pour ce dernier point, Langley s'en sert d'abord comme élément humoristique visuel (le pauvre Ukko avec ce sang vert sur la figure pendant tout l'exorcisme). À condition de supporter ce mode de représentation très intense à l'apparence photographique, le lecteur bénéficie d'une immersion unique en son genre dans ce monde barbare et haut en couleurs. Pat Mills et Clint Langley racontent 4 histoires courtes dans la vie de Sláine. C'est l'occasion de maltraiter Ukko, de massacrer des monstres et de revenir sur des pratiques barbares d'un autre âge, dans une débauche graphique d'une richesse étourdissante.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série DareDevil - Guerre et amour
DareDevil - Guerre et amour

Thriller intense, magnifié par les illustrations - Il s'agit d'une histoire complète en 63 pages publiée sous forme d'une graphic novel en 1986. le scénario est de Frank Miller et les illustrations peintes par Bill Sienkiewicz. Vanessa Fisk (la femme de Wilson Fisk, le Kingpin) est dans une léthargie dont elle ne sort qu'à de brefs intervalles. Or le Kingpin est toujours amoureux d'elle. Il a donc décidé de prendre les choses en main et de lui trouver le meilleur docteur en psychiatrie qui soit. Mais engager Paul Mondat ne lui suffit pas, il veut être sûr d'obtenir son entière implication pour soigner sa femme. Donc plutôt que de simplement lui demander de soigner Vanessa, il fait enlever Cheryl Mondat, sa femme qui est aveugle) par un individu prénommé Victor qui se révèle être un dangereux psychopathe pas bien du tout dans sa tête. de son coté Daredevil a le sentiment que le Kingpin est sur un gros coup ; donc il se rend Chez Josie, un bar mal fréquenté, pour faire pression sur Turk Barrett, indicateur pas très futé. 3 ans après avoir quitté la série de Daredevil, Frank Miller revient au personnage pour une histoire complète illustrée par un artiste exceptionnel. Ils collaboreront à nouveau pour Elektra, l'intégrale. Dès les premières pages, le lecteur assiste à un spectacle extraordinaire, hors du commun. La première est une illustration pleine page figurant l'horizon des immeubles newyorkais, avec le building du Kingpin dépassant de plusieurs étages cet horizon et captant toute la lumière du soleil. Les bâtiments en dessous sont essentiellement représentés par des rectangles striés de traits de pinceau horizontaux et verticaux pour évoquer les divisions en étages et en fenêtres. La deuxième page comporte 4 cases de la largeur de la page où le lecteur découvre le visage apaisé d'une jeune femme au milieu de draps d'un blanc étincelant dans un lit immense. La seconde case est mangée au deux tiers par une sorte de tissu imprimé dont la troisième case montre qu'il s'agit des motifs sur le gilet du Kingpin. Il est représenté comme une masse imposante (5 fois celle de sa femme), avec un torse disproportionnée et une toute petite tête ronde perdue au milieu. Tout au long de l'histoire, Sienkiewicz va adapter son style graphique à la scène qu'il représente. Le lecteur passera ainsi d'un style de peinture évoquant le stylisme de magazine féminin (la première fois que l'on voit le visage quasi angélique de Cheryl Mondat, pas Monday), à des représentations symboliques tels les tuyaux pour figurer les canalisations des égouts, ou des bruits directement représentés à la peinture dans la case (le vacarme assourdissant de la rame de métro), en passant par une aquarelle pleine page dans laquelle un chevalier s'en va vers le soleil couchant, en chevauchant sa monture dans un ciel embrasé. La mise en images de cette histoire constitue une incroyable aventure graphique qui transfigure un récit bien tordu d'enlèvement d'une jeune femme sans défense, réduite à l'état de pion dans un jeu de pouvoir pervers. Sienkiewicz fait fi de tous les codes graphiques propres aux superhéros, pour interpréter chaque scène, en donner une vision amalgamant des éléments figuratifs, avec des formes symboliques traduisant l'état psychologique des individus où la manière dont ils sont perçus par ceux qui les entourent. Cet emploi de différents styles graphiques peut constituer soit une débauche de moyens démesurés par rapport au récit, soit une révélation de la manière dont un artiste doué peut donner à voir des sensations, et des paysages intérieurs des individus. De son coté, Frank Miller a amélioré ses techniques de narration par rapport aux épisodes de Daredevil, et le fait de livrer une histoire complète lui évite de s'éparpiller. le lecteur de ses épisodes de Daredevil retrouve avec plaisir le Kingpin, ainsi que Turk Barrett et le bar Chez Josie. Mais arrivé à la moitié du récit, il se rend compte que Daredevil n'est que l'un des 2 personnages principaux, l'autre étant Victor, ce tueur psychopathe. En effet il apparaît dans 26 pages sur 63. Et Miller a développé pour lui une écriture en flux de pensée qui rend compte de l'état de perturbation de ses processus mentaux. Il n'y a pas de bulles de pensées à proprement parler, mais des brèves cellules de texte accolées au personnage dans lesquelles ses pensées sont retranscrites comme un flux (Mondat, not Monday), avec des phrases inachevées, qui passent d'un sujet à un autre. Cette technique est d'une efficacité incroyable pour rendre compte des pulsions antagonistes qui se bousculent dans ce cerveau dérangé. Bien sûr la mise en image non conventionnelle de Sienkiewicz permet d'encore accentuer l'effet déstabilisant et finit par rendre angoissante une petite culotte à fleurs dans un placard. Victor est la grande réussite de cette histoire avec un accès à ses pensées établissant son caractère dangereux et incontrôlable comme dans peu de récits. La contrepartie de la place accordée à Victor est que Daredevil parait presque invité dans cette histoire, plutôt que de remplir la fonction de (super)héros conventionnel. Ce décalage est encore accentué par le fait qu'il ne participe que peu à la résolution du conflit principal. Par contre la nature finie du récit permet également à Miller de développer une thématique selon plusieurs points de vue, aboutissant à un fil conducteur des plus sardoniques (celle du chevalier et de la princesse à sauver). La collaboration entre Miller et Sienkiewicz atteindra un stade encore supérieur dans "Elektra assassin". Ce récit constitue la première collaboration entre 2 créateurs d'exception dont les forces s'additionnent pour aboutir à un récit bien noir, magnifié par des illustrations à base de styles différents pour mieux traduire la vision de la réalité de chaque personnage. Un tour de force graphique.

15/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Elektra (Delcourt)
Elektra (Delcourt)

Lait, batteur à œuf et mayonnaise - Ce tome regroupe les 8 épisodes de la minisérie initialement parue en 1986/1987. Quelque part dans un asile de San Conception, un pays d'Amérique du Sud, une jeune femme subit l'incarcération primitive réservée aux malades mentaux tout en examinant ses bulles de souvenirs. Elle se souvient quand elle était le ventre de sa mère, de la mort de sa mère, de sa tentative de suicide, de ses années de formation d'arts martiaux avec un sensei, puis avec des ninjas mythiques (Star, Shaft, Flame, Claw, Wing, Stone et Stick), etc. Petit à petit elle se rappelle l'enchaînement des événements qui l'a conduite à cette situation. Elle doit maintenant s'évader et empêcher la Bête de déclencher une apocalypse nucléaire. Elle doit également échapper aux équipes du SHIELD (une organisation étatsunienne de contre-espionnage aux gadgets haute technologie). Pour ça elle va manipuler sans vergogne John Garrett, un agent très spécial, même parmi ceux du SHIELD. L'introduction apprend au lecteur que ce projet était un souhait de Frank Miller qui a eu la latitude d'être publié par Epic Comics (la branche adulte de Marvel à l'époque) et que dès le départ il avait souhaité que l'histoire soit illustrée par Bill Sienkiewicz. Pour les puristes, le récit se situe avant qu'Elektra ne réapparaisse aux cotés de Matt Murdock dans la série Daredevil. En cours de lecture, il apparaît que le rôle à venir d'Elektra dans l'univers partagé Marvel n'a aucune espèce d'importance et "Elektra : assassin" peut lu, doit être lu indépendamment de la continuité. Frank Miller n'y va pas avec le dos de la cuillère (c'est d'ailleurs un peu son habitude) : Elektra est une ninja qui maîtrise plusieurs techniques surnaturelles dérivées de sa formation avec les 7 maîtres ninjas. Elle est capable de télépathie rudimentaire, de manipulation mentale complexe, de prouesses physiques dépassant les possibilités naturelles du corps humain. Cet aspect superhéros peut devenir un trop exagéré dans certaines scènes (2 combats d'affilé sous l'eau, sans respirer). Miller s'en sert également à plusieurs reprises comme d'un deus ex machina permettant de trouver une porte de sortie artificielle d'une situation désespérée. le récit n'est donc pas à prendre au premier degré, et s'il possède sa logique interne, Miller tourne en dérision plusieurs péripéties. Comme à son habitude, il charge également la barque sur la représentation des politiques : tous pourris, menteurs, névrosés, hypocrites, à moitié fou (le président en exercice remportant la palme haut la main). Malgré tout, au premier degré, l'aventure tient la route et entretient un suspense soutenu, dans un pastiche mêlant ninja, complot et contre-espionnage, avec une franche violence. Ce ton narratif décalé et ironique doit beaucoup aux illustrations de Bill Sienkiewicz, avec qui Miller avait déjà collaboré pour une Graphic Novel de Daredevil Guerre et amour en 1986. Sienkiewicz prend grand plaisir à interpréter à sa sauce chaque scène, chaque case, avec le style graphique qu'il juge le plus approprié au propos. La première page commence avec une illustration pleine page à la peinture d'une plage paradisiaque avec la mer, le ciel et des cocotiers dont le feuillage est d'un vert saturé. Page suivante, Elektra évoque ses souvenirs et le rendu devient un dessin d'enfant aux crayons de couleur. 3 pages plus loin 3 illustrations mélangent peinture et collage. 1 page plus loin, Sienkiewicz a recours à des formes simples au contour presque abstrait avec des couleurs plates et uniformes. La page d'après il semble avoir découpé des forme dans une feuille de papier blanc, qu'il a collé sur une feuille orange dans une variation de tangram. Quelques pages plus loin, une pleine page à l'aquarelle représente les femmes internées dans des conditions concentrationnaires. Contrairement à ce que le lecteur pourrait craindre, le résultat ne ressemble pas à un patchwork indigeste, ou à un collage psychédélique pénible. le saut d'une technique à l'autre est plus intense dans le premier épisode que dans les suivants parce que l'histoire est racontée du point de vue d'Elektra dont le fonctionnement intellectuel est perturbé par la rémanence d'un puissant psychotrope dans son sang. Il faut dire également que Frank Miller accompagne parfaitement chaque changement de style en établissant un fil conducteur d'une solidité à toute épreuve. Avec cette histoire, il a parfait ses techniques de narration. Il écrit les flux de pensées des personnages en courtes phrases parfois interrompues quand une idée en supplante une autre, parfois avec des associations de mots sans former de phrase. Ces pensées sont écrites dans de petites cellules dont la couleur du fond change avec le personnage. John Garrett dispose de cellules de pensée, à fond bleu, Elektra à fond blanc, Sandy à fond rose, etc. Frank Miller adopte également un style rédactionnel différent pour chaque personnage, le pompon revenant à Sandy avec ses cellules à fonds rose et ses phrases à la guimauve fleurant bon les romans de gare à l'eau de rose. Ainsi Miller assure la continuité narrative et justifie chaque changement de style. Mary Jo Duffy indique dans l'introduction américaine que Miller rectifiait ses textes (et même son scénario) après avoir vu chaque planche pour s'adapter à la démesure graphique de Sienkiewicz. Sienkiewicz ne se contente pas de changer de style pictural régulièrement, il interprète également la réalité. le scénario de Miller ne fait pas dans la dentelle, il incorpore un niveau de violence très élevé avec des éléments surnaturels, Sienkiewicz relève le défi. Dans le deuxième épisode, Elektra se souvient des 6 instructions fondamentales de son sensei. Il est représenté uniquement sous la forme des yeux et des sourcils qui dépassent sous un calot blanc et un foulard qui lui mange le bas du visage. Ses consignes sont directement lettrées sur le calot et sur le foulard. Épisode 3, Garrett est attaché à une machine technologique futuriste dont la forme est fortement inspirée par celle d'une machine à coudre du début du vingtième siècle. Dernière page de l'épisode 5, Elektra et Garrett sont sur un engin volant dérobé au SHIELD qui évoque fortement une locomotive à vapeur. Ce qui achève de rendre cette lecture agréable est l'humour ironique, sarcastique, moqueur, vachard, tant dans les textes que dans les images. Il faut voir Elektra et Garrett assis sur un lit en forme de cœur et fourbir leurs armes amoureusement, Chastity (une agente du SHIELD) déguisée en nonne, Perry (l'ex coéquipier de Garrett), parler le plus naturellement du monde alors qu'il a un couteau fiché en plein du front, le caleçon logotisé SHIELD de Garrett, la forme des aides laborantins clonés, etc. Avec cette histoire, Frank Miller a écrit un gros défouloir sadique à l'humour corrosif dont il a le secret. Sous les pinceaux de Sienkiewicz, ce récit potache est sublimé en un tour de force picturale hors norme. En écrivant les textes après avoir vu les pages dessinées, Miller eut la présence d'esprit et le talent de les revoir pour s'adapter à ce foisonnement d'idées, en renforçant le fil conducteur, et en recourant à des techniques narratives plus élaborées. le tout est un produit de divertissement cynique, drôle et méchant, assez trash.

15/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Ocean City
Ocean City

Une histoire de base pas forcément hyper originale. Et pourtant, ça donne un diptyque très sympathique. Ça part sur du polar classique tendance mafieux de seconde zone. Mais au bout d'un moment la sauce prend, grâce à quelques personnages gratinés (Maurice, sorte d'autiste illuminé en tête), et à une construction savoureuse. En effet, nous découvrons plusieurs scènes clés de différents points de vue. Ça donne souvent des touches d'humour noir, et renforce le côté loser et bras cassé qui colle à la plupart des protagonistes. Ce procédé, qui est parfois artificiel, dynamise clairement l'intrigue. Chauvel à produit pas mal de séries polar, et celle-ci se place dans le haut de son panier - bien rempli. Une lecture assez chouette.

15/04/2024 (modifier)