J’aime vraiment beaucoup les documentaires engagés de Squarzoni, et j’étais à la fois curieux et circonspect de découvrir cette série, dans laquelle il adapte un bouquin d’un américain ayant suivi durant plusieurs mois le travail des policiers de Baltimore.
Au final, c’est plutôt une lecture intéressante. Sans doute moins dynamique qu’un pur polar, car il n’y a pas les à-côtés scénaristiques, la construction imaginée par le cerveau d’un scénariste tortueux, la création de personnages ambigus.
Et c’est déjà la première réussite de cette série que de ne jamais être ennuyeuse sur la durée (cinq albums). Car la réalité se révèle pourvoyeuse d’action, d’histoires sordides, d’absurdités administratives. Et les policiers que nous suivons ont tous des personnalités différentes.
Plusieurs affaires s’étalent sur une longue durée, sur plusieurs albums, constituant une sorte de fil rouge (l’une d’elle en particulier), alors qu’une multitude « d’homicides » plus quelconques – c’est-à-dire dont les coupables ont été ??? et arrêtés – dynamisent le récit, permettant d’alterner les inspecteurs, leurs points de vue. Les réflexions en off des flics sont aussi bien amenées, rendent vivant le récit. Et, contrairement aux polars classiques, il n’y a pas forcément de résolution des affaires…
Le dessin de Squarzoni, dans un style réaliste sec, agrémenté d’un Noir et Blanc et de toutes les nuances de gris (virant vers une bichromie), ne jouant là non plus jamais sur l’esbroufe, accompagne très bien ce long récit quasi documentaire traitant au ras du sol le travail ordinaire des policiers d’une grande ville états-unienne.
Je suis quand même sceptique sur le fait que ces flics soient totalement représentatifs des policiers du pays dans les années 1980, tant le racisme semble absent (même s’il est évoqué, il est présenté comme une affaire d'une autre époque), et l’intégrité mise en avant systématiquement. Mais tous les rouages du métier sont montrés (les interrogatoires en particulier – j’ai trouvé amusant – même si j’ai eu du mal à croire que des types s’y laissent prendre – le truc de la photocopieuse présentée comme un détecteur de mensonges).
En tout cas, l’autre mérite – indirect – de cette série, est de mettre en lumière certains aspects peu reluisants de la société de Baltimore (et des Etats-Unis), les policiers que nous suivons remuant la fange des quartiers déshérités des ghettos noirs surtout. Les inégalités, la drogue, la misère sociale et affective y sont omniprésentes.
Une lecture exigeante : pas mal de texte, un peu sec au niveau narratif. Mais une lecture vraiment captivante (qui vaut bien des polars classiques). Une lecture recommandée, ce documentaire est un vraiment un bon polar social.
Cette BD semblait faire suffisamment l'unanimité pour que je sois intéressé par sa lecture, en l'empruntant à un ami qui se l'était fait offrir. Un joli cadeau, quand on voit le bestiau en face, et également une belle lecture.
Franchement, je n'ai pas grand chose à ajouter aux autres avis : c'est léger et linéaire comme récit, mais sans être totalement manichéen non plus. On a la classique opposition entre deux mondes, la confrontation d'un jeune homme avec son père qui a de grands projets pour lui, les ennuis familiales et quelques considérations sur la transmission. Le tout englobé dans des histoires de sortir de la Seconde Guerre Mondiale et, bien évidemment, la cuisine. C'est d'ailleurs une BD que je déconseille de lire à jeun, ça risque de vous donner une de ces fringale !
Clairement la BD simple et claire, classique mais excellente, comme une très bonne recette légèrement revisitée. J'ai apprécié cette lecture porté par un dessin simple, clair et jouant assez habilement des couleurs. Le tout dans une mise en page grand format qui permet de profiter pleinement des détails. Le genre de BD dont je raffole parce qu'elle est de cette simplicité qui se suffit largement. Recommandé, n'en attendez pas le chef-d’œuvre du siècle et vous serez sans doute comblé !
Marceline a 13 ans et subit de plein fouet les premiers bouleversements de la puberté : poils, odeurs, peut-être bientôt les règles, mais surtout ce sentiment de ne plus être à sa place, ni dans son corps ni au collège... Passionnée de chats, elle s'imagine sans trop y croire que tout cela vient d'une transformation progressive en chat-garou. Cette idée lui sert de refuge pour traverser ces moments difficiles. Elle n'est pas seule pour autant : à côté de ses parents qui ne l'écoutent pas assez, elle a sa meilleure amie, désormais dans un autre collège, ainsi que plusieurs jeunes de son âge qu'elle rencontre. Parmi eux, une fille encore plus folle de chats qu'elle, avec qui le courant passe moyennement, et un garçon qui assume avec le sourire son propre rejet des normes scolaires. Malgré un certain manque de maturité, Marceline a une bonne répartie et ne se laisse pas abattre par ceux qui cherchent à la harceler.
Cette BD réussit joliment à aborder le passage à l'adolescence. L'album laisse penser qu'il faut aimer les chats pour l'apprécier, mais ceux-ci ne sont finalement qu'un prétexte à dépeindre des scènes d'adolescence ordinaire, traitées avec justesse et humour. L'héroïne n'est pas obsédée par ces animaux : ils lui servent surtout de soutien moral, alors qu'elle reste bien consciente de ce qu'elle traverse et gère la situation avec intelligence. Le ton est globalement sensible et sincère. L'humour n'est pas très marqué mais maintient le sourire du lecteur et apporte la légèreté nécessaire pour tourner les pages.
Le personnage de Marceline est bien rendu, avec cette touche d'immaturité qui rappelle qu'elle sort tout juste de l'enfance, mais aussi suffisamment d'intelligence pour montrer qu'elle n'est pas naïve et sait se débrouiller quand il le faut. Le récit évite le manichéisme, ce que j'ai particulièrement apprécié, notamment dans ce passage où elle croit avoir trouvé une super amie, mais choisit finalement de s'en éloigner faute de réelle connexion. L'ami garçon qu'elle se fait ensuite est lui aussi original et attachant.
Bref, une BD sensible et juste, avec un bon équilibre d'humour et d'idées amusantes pour divertir, s'attacher à l'héroïne et parler aux jeunes lecteurs qui vivent, vivront ou ont vécu cette période difficile.
La Fabrique du prince charmant se présente comme un roman-photo au ton résolument décalé, superposant des dialogues actuels, façon mèmes ou dialectique de chats sur internet, sur des images kitsch de romans-photos des années 70. Le tout aborde frontalement les questions de féminisme et de déconstruction des figures masculines.
Je ne suis déjà pas amateur de romans-photos à la base, et les images utilisées ici, volontairement ringardes, n'ont eu sur moi aucun effet nostalgique ni comique : elles me laissent complètement froid. Quant à l'histoire… en fait, il n'y en a pas. Juste une suite de saynètes construites autour des mêmes idées, sans réelle progression, sans début ni fin. Ce ne sont pas ni vraiment des gags, ni des récits complets : plutôt des micro-tranches de dialogues sans tension ni rebond.
J'ai donc tenté de me raccrocher à l'humour des textes, à ce ton absurde et volontairement anachronique qui joue sur le contraste entre les images et les mots. Mais là encore, cela ne prend que partiellement. Certains échanges font sourire par leur absurdité, mais beaucoup m'ont semblé laborieux, comme trop conscients d’eux-mêmes, cherchant à faire moderne à tout prix en multipliant les clins d’œil aux réseaux sociaux ou à des manières de parler ultra-contemporaines. Et surtout, ça tourne en rond : toujours les mêmes angles, les mêmes obsessions, les mêmes effets de style. L’ensemble finit par devenir répétitif, lassant, et franchement ennuyeux bien avant la dernière page.
La Marquise Casati était un personnage fantasque et richissime du début du XXe siècle. Très jeune, elle avait décidé de devenir une œuvre d'art vivante, et elle a consacré son immense héritage à incarner cette idée, côtoyant de nombreux artistes et figures mondaines qu'elle fascinait par son apparence, ses extravagances et ses fêtes somptueuses.
Je ne la connaissais pas du tout, et cette BD m'a permis de découvrir l'ensemble de sa vie. Il faut reconnaître qu'elle était vraiment singulière et a su faire preuve d'une créativité étonnante pour marquer les esprits, sans jamais sombrer dans la vulgarité. La BD rend bien cette personnalité hors norme, avec un ton juste et une élégance qui correspond parfaitement au sujet.
Mais il est difficile de ne pas être aussi frappé par le malaise que suscite une telle débauche de moyens. Obsédée par son image et sa volonté de choquer ou d’éblouir, elle dépensait sans retenue pour nourrir cette mise en scène permanente. Du point de vue sociétal, il y a quelque chose de profondément dérangeant à voir une fortune aussi colossale dilapidée ainsi. Artistiquement, son parcours intrigue, mais face au gaspillage humain, financier et même animal qu’il implique, difficile d’y voir un simple geste artistique désintéressé. Cela donne surtout un éclairage cru sur la décadence d’un monde de privilégiés.
Malgré tout, la Marquise Casati reste un personnage fascinant, jusqu’à la fin fidèle à sa démarche, continuant à incarner son mythe même ruinée. C’est une lecture intéressante, bien mise en scène, qui brille par son élégance formelle tout en laissant un arrière-goût d’inconfort face à cette époque et à ce qu’elle révèle.
Première biographie que je lis du tandem Catel et Bocquet.
C’est du beau travail, une bio qui semble assez exhaustive, certes linéaire mais qui donne un aperçu du cheminement de pensée de cette océanographe, qu’on connaît nettement moins que Cousteau.
Avec un beau dessin bien lisible, c’est plutôt agréable à suivre.
C’est vrai qu’on pourrait reprocher un côté hagiographique, mais il semble que les auteurs aient voulu nous faire comprendre la sincérité des engagements de Mme Conti.
On voit les motivations qui la poussent à s’engager sur des pêcheries au large des côtes lointaines, et on la voit commencer à douter de cette pêche intensive pour s’engager de plus en plus, et bien en amont de beaucoup, pour la préservation des ressources d’abord et du milieu marin ensuite.
On retiendra une femme sincère, pionnière de la protection des océans.
En cette semaine où s’ouvre le sommet sur les océans, il faut se souvenir d’elle et de ses derniers combats.
C'est la deuxième BD de cette collection que je lis, après celle de Monsieur Bouzard. Je ne l'aurais sans doute pas ouverte si Aude Picault n'était pas invitée au festival de BD de Délemont en Suisse, à un jet de pierre de chez ouam.
Et c'est une BD sympathique. J'aime beaucoup sa vision de la mythologie, et sa réinterprétation de la Genèse biblique, avec cette dichotomie Bien/Mal, Ange/Démon... Qui plus est, elle intègre des éléments païens dans l'histoire, ce qui à mon sens est une chose tout à fait pertinente. En effet, la religion a toujours fleuri sur les vestiges de croyances antérieures auxquelles elle se substitue, qu'elle absorbe, intègre à son propre dogme pour finalement mieux les effacer des mémoires. Enfin, la Femme y tient une place centrale qui était très probablement celle qu'elle occupait dans les premières sociétés. Sur le sujet, et afin de prolonger cette lecture, on pourra lire l'excellent livre de Merlin Stone, Quand Dieu était femme...
Bon, le côté cul est ici tout à fait anecdotique, mais on s'en fout complètement puisque ce n'est pas ça je pense que les lecteurs recherches avec cette petite collection qui, ainsi que le rappelle l'éditeur, "va vous rendre sourd de bonne heure".
Même si l'Afghanistan n'a plus beaucoup de place dans les médias occidentaux d'aujourd'hui, j'ai trouvé cette lecture bien intéressante. Le reportage date de 2010 et le récit de 2014 juste avant l'élection présidentielle et la première victoire d'Ashraf Ghani. Quinze ans plus tard cette série reportage passe presque de la série documentaire journalistique au récit historique. En effet il présente les germes de la victoire écrasante et totale des Talibans en 2021. En effet Pascale Bourgaux note comment le point de vue des Talibans progresse au sein même de la famille de son hôte. Cet échec est attribué à la quasi unanimité à deux causes premières: la corruption et les maladresses meurtrières des militaires ou sociétales des occidentaux. La journaliste se met elle même parfois en difficultés dans son récit ce qui montre la difficulté de la tâche. Pouvait-il en être autrement? La journaliste ne prétend pas répondre à cette question même si elle souligne quelques anecdotes ( la mini jupe, les morts amis provoqués par les soldats allemands) qui ont surtout vocation à faire réagir émotionnellement. De même la situation dans ce petit village du nord de l'Afghanistan ne peut pas prétendre à délivrer une vision universelle de toutes les régions afghanes.
A mon avis la principale qualité du récit est de faire sentir que l'on était sur le fil du rasoir avec un possible basculement d'un côté comme de l'autre. Malgré la tension de certaines séquences les auteurs avaient choisi de parier sur une présentation plutôt optimiste. Je l'ai ressenti à travers un graphisme paisible qui privilégie les beaux paysages, les marché aux tissus flamboyants ou à une reconstruction des axes de communications par une société turque.
On connait la suite et depuis le 15 août 2021 Pascale Bourgaux a eu la réponse à la dernière question qu'elle se pose dans la BD.
Cette série fait pratiquement l'unanimité contre elle ! Le graphisme de Servais n'est pas en cause. Même si son trait a vieilli et que l'auteur est moins à l'aise dans l'urbain que dans ses forêts , le visuel reste agréable avec une ligne fine et élégante. Malheureusement la thématique centrale est franchement usée jusqu'à la corde et pas spécialement traitée de façon percutante. La personnalité de Vanessa est assez convenue dans une imagerie du Mal. Je ne comprends toutefois pas pourquoi l'auteur insiste sur la sexualité de la JF de 18 ans. Accolé sexualité et Mal est une approche bien vieillotte comme concept. Enfin j'ai eu du mal à voir où Maud était représentative du Bien. Savoir faire ses additions? Aimer les aquarelles? C'est quand même très limité comme vision (aucun altruisme ni engagement).
La suite permet à Servais de s'épanouir dans ce qu'il fait de mieux, décrire la forêt peuplée de petits êtres fantastiques et ce qu'il fait de moins bien à mes yeux: délivrer une morale pseudo philosophique souvent lourde et non aboutie.
J'ai vraiment eu du mal à m'approprier ce récit comme un conte.
Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc.
Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ?
Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup.
C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc.
Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence.
L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit.
Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens.
Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.
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Homicide - Une année dans les rues de Baltimore
J’aime vraiment beaucoup les documentaires engagés de Squarzoni, et j’étais à la fois curieux et circonspect de découvrir cette série, dans laquelle il adapte un bouquin d’un américain ayant suivi durant plusieurs mois le travail des policiers de Baltimore. Au final, c’est plutôt une lecture intéressante. Sans doute moins dynamique qu’un pur polar, car il n’y a pas les à-côtés scénaristiques, la construction imaginée par le cerveau d’un scénariste tortueux, la création de personnages ambigus. Et c’est déjà la première réussite de cette série que de ne jamais être ennuyeuse sur la durée (cinq albums). Car la réalité se révèle pourvoyeuse d’action, d’histoires sordides, d’absurdités administratives. Et les policiers que nous suivons ont tous des personnalités différentes. Plusieurs affaires s’étalent sur une longue durée, sur plusieurs albums, constituant une sorte de fil rouge (l’une d’elle en particulier), alors qu’une multitude « d’homicides » plus quelconques – c’est-à-dire dont les coupables ont été ??? et arrêtés – dynamisent le récit, permettant d’alterner les inspecteurs, leurs points de vue. Les réflexions en off des flics sont aussi bien amenées, rendent vivant le récit. Et, contrairement aux polars classiques, il n’y a pas forcément de résolution des affaires… Le dessin de Squarzoni, dans un style réaliste sec, agrémenté d’un Noir et Blanc et de toutes les nuances de gris (virant vers une bichromie), ne jouant là non plus jamais sur l’esbroufe, accompagne très bien ce long récit quasi documentaire traitant au ras du sol le travail ordinaire des policiers d’une grande ville états-unienne. Je suis quand même sceptique sur le fait que ces flics soient totalement représentatifs des policiers du pays dans les années 1980, tant le racisme semble absent (même s’il est évoqué, il est présenté comme une affaire d'une autre époque), et l’intégrité mise en avant systématiquement. Mais tous les rouages du métier sont montrés (les interrogatoires en particulier – j’ai trouvé amusant – même si j’ai eu du mal à croire que des types s’y laissent prendre – le truc de la photocopieuse présentée comme un détecteur de mensonges). En tout cas, l’autre mérite – indirect – de cette série, est de mettre en lumière certains aspects peu reluisants de la société de Baltimore (et des Etats-Unis), les policiers que nous suivons remuant la fange des quartiers déshérités des ghettos noirs surtout. Les inégalités, la drogue, la misère sociale et affective y sont omniprésentes. Une lecture exigeante : pas mal de texte, un peu sec au niveau narratif. Mais une lecture vraiment captivante (qui vaut bien des polars classiques). Une lecture recommandée, ce documentaire est un vraiment un bon polar social.
Ulysse & Cyrano
Cette BD semblait faire suffisamment l'unanimité pour que je sois intéressé par sa lecture, en l'empruntant à un ami qui se l'était fait offrir. Un joli cadeau, quand on voit le bestiau en face, et également une belle lecture. Franchement, je n'ai pas grand chose à ajouter aux autres avis : c'est léger et linéaire comme récit, mais sans être totalement manichéen non plus. On a la classique opposition entre deux mondes, la confrontation d'un jeune homme avec son père qui a de grands projets pour lui, les ennuis familiales et quelques considérations sur la transmission. Le tout englobé dans des histoires de sortir de la Seconde Guerre Mondiale et, bien évidemment, la cuisine. C'est d'ailleurs une BD que je déconseille de lire à jeun, ça risque de vous donner une de ces fringale ! Clairement la BD simple et claire, classique mais excellente, comme une très bonne recette légèrement revisitée. J'ai apprécié cette lecture porté par un dessin simple, clair et jouant assez habilement des couleurs. Le tout dans une mise en page grand format qui permet de profiter pleinement des détails. Le genre de BD dont je raffole parce qu'elle est de cette simplicité qui se suffit largement. Recommandé, n'en attendez pas le chef-d’œuvre du siècle et vous serez sans doute comblé !
Marceline
Marceline a 13 ans et subit de plein fouet les premiers bouleversements de la puberté : poils, odeurs, peut-être bientôt les règles, mais surtout ce sentiment de ne plus être à sa place, ni dans son corps ni au collège... Passionnée de chats, elle s'imagine sans trop y croire que tout cela vient d'une transformation progressive en chat-garou. Cette idée lui sert de refuge pour traverser ces moments difficiles. Elle n'est pas seule pour autant : à côté de ses parents qui ne l'écoutent pas assez, elle a sa meilleure amie, désormais dans un autre collège, ainsi que plusieurs jeunes de son âge qu'elle rencontre. Parmi eux, une fille encore plus folle de chats qu'elle, avec qui le courant passe moyennement, et un garçon qui assume avec le sourire son propre rejet des normes scolaires. Malgré un certain manque de maturité, Marceline a une bonne répartie et ne se laisse pas abattre par ceux qui cherchent à la harceler. Cette BD réussit joliment à aborder le passage à l'adolescence. L'album laisse penser qu'il faut aimer les chats pour l'apprécier, mais ceux-ci ne sont finalement qu'un prétexte à dépeindre des scènes d'adolescence ordinaire, traitées avec justesse et humour. L'héroïne n'est pas obsédée par ces animaux : ils lui servent surtout de soutien moral, alors qu'elle reste bien consciente de ce qu'elle traverse et gère la situation avec intelligence. Le ton est globalement sensible et sincère. L'humour n'est pas très marqué mais maintient le sourire du lecteur et apporte la légèreté nécessaire pour tourner les pages. Le personnage de Marceline est bien rendu, avec cette touche d'immaturité qui rappelle qu'elle sort tout juste de l'enfance, mais aussi suffisamment d'intelligence pour montrer qu'elle n'est pas naïve et sait se débrouiller quand il le faut. Le récit évite le manichéisme, ce que j'ai particulièrement apprécié, notamment dans ce passage où elle croit avoir trouvé une super amie, mais choisit finalement de s'en éloigner faute de réelle connexion. L'ami garçon qu'elle se fait ensuite est lui aussi original et attachant. Bref, une BD sensible et juste, avec un bon équilibre d'humour et d'idées amusantes pour divertir, s'attacher à l'héroïne et parler aux jeunes lecteurs qui vivent, vivront ou ont vécu cette période difficile.
La Fabrique du prince charmant
La Fabrique du prince charmant se présente comme un roman-photo au ton résolument décalé, superposant des dialogues actuels, façon mèmes ou dialectique de chats sur internet, sur des images kitsch de romans-photos des années 70. Le tout aborde frontalement les questions de féminisme et de déconstruction des figures masculines. Je ne suis déjà pas amateur de romans-photos à la base, et les images utilisées ici, volontairement ringardes, n'ont eu sur moi aucun effet nostalgique ni comique : elles me laissent complètement froid. Quant à l'histoire… en fait, il n'y en a pas. Juste une suite de saynètes construites autour des mêmes idées, sans réelle progression, sans début ni fin. Ce ne sont pas ni vraiment des gags, ni des récits complets : plutôt des micro-tranches de dialogues sans tension ni rebond. J'ai donc tenté de me raccrocher à l'humour des textes, à ce ton absurde et volontairement anachronique qui joue sur le contraste entre les images et les mots. Mais là encore, cela ne prend que partiellement. Certains échanges font sourire par leur absurdité, mais beaucoup m'ont semblé laborieux, comme trop conscients d’eux-mêmes, cherchant à faire moderne à tout prix en multipliant les clins d’œil aux réseaux sociaux ou à des manières de parler ultra-contemporaines. Et surtout, ça tourne en rond : toujours les mêmes angles, les mêmes obsessions, les mêmes effets de style. L’ensemble finit par devenir répétitif, lassant, et franchement ennuyeux bien avant la dernière page.
La Casati - La Muse égoïste
La Marquise Casati était un personnage fantasque et richissime du début du XXe siècle. Très jeune, elle avait décidé de devenir une œuvre d'art vivante, et elle a consacré son immense héritage à incarner cette idée, côtoyant de nombreux artistes et figures mondaines qu'elle fascinait par son apparence, ses extravagances et ses fêtes somptueuses. Je ne la connaissais pas du tout, et cette BD m'a permis de découvrir l'ensemble de sa vie. Il faut reconnaître qu'elle était vraiment singulière et a su faire preuve d'une créativité étonnante pour marquer les esprits, sans jamais sombrer dans la vulgarité. La BD rend bien cette personnalité hors norme, avec un ton juste et une élégance qui correspond parfaitement au sujet. Mais il est difficile de ne pas être aussi frappé par le malaise que suscite une telle débauche de moyens. Obsédée par son image et sa volonté de choquer ou d’éblouir, elle dépensait sans retenue pour nourrir cette mise en scène permanente. Du point de vue sociétal, il y a quelque chose de profondément dérangeant à voir une fortune aussi colossale dilapidée ainsi. Artistiquement, son parcours intrigue, mais face au gaspillage humain, financier et même animal qu’il implique, difficile d’y voir un simple geste artistique désintéressé. Cela donne surtout un éclairage cru sur la décadence d’un monde de privilégiés. Malgré tout, la Marquise Casati reste un personnage fascinant, jusqu’à la fin fidèle à sa démarche, continuant à incarner son mythe même ruinée. C’est une lecture intéressante, bien mise en scène, qui brille par son élégance formelle tout en laissant un arrière-goût d’inconfort face à cette époque et à ce qu’elle révèle.
Anita Conti (Catel & Bocquet)
Première biographie que je lis du tandem Catel et Bocquet. C’est du beau travail, une bio qui semble assez exhaustive, certes linéaire mais qui donne un aperçu du cheminement de pensée de cette océanographe, qu’on connaît nettement moins que Cousteau. Avec un beau dessin bien lisible, c’est plutôt agréable à suivre. C’est vrai qu’on pourrait reprocher un côté hagiographique, mais il semble que les auteurs aient voulu nous faire comprendre la sincérité des engagements de Mme Conti. On voit les motivations qui la poussent à s’engager sur des pêcheries au large des côtes lointaines, et on la voit commencer à douter de cette pêche intensive pour s’engager de plus en plus, et bien en amont de beaucoup, pour la préservation des ressources d’abord et du milieu marin ensuite. On retiendra une femme sincère, pionnière de la protection des océans. En cette semaine où s’ouvre le sommet sur les océans, il faut se souvenir d’elle et de ses derniers combats.
Déesse
C'est la deuxième BD de cette collection que je lis, après celle de Monsieur Bouzard. Je ne l'aurais sans doute pas ouverte si Aude Picault n'était pas invitée au festival de BD de Délemont en Suisse, à un jet de pierre de chez ouam. Et c'est une BD sympathique. J'aime beaucoup sa vision de la mythologie, et sa réinterprétation de la Genèse biblique, avec cette dichotomie Bien/Mal, Ange/Démon... Qui plus est, elle intègre des éléments païens dans l'histoire, ce qui à mon sens est une chose tout à fait pertinente. En effet, la religion a toujours fleuri sur les vestiges de croyances antérieures auxquelles elle se substitue, qu'elle absorbe, intègre à son propre dogme pour finalement mieux les effacer des mémoires. Enfin, la Femme y tient une place centrale qui était très probablement celle qu'elle occupait dans les premières sociétés. Sur le sujet, et afin de prolonger cette lecture, on pourra lire l'excellent livre de Merlin Stone, Quand Dieu était femme... Bon, le côté cul est ici tout à fait anecdotique, mais on s'en fout complètement puisque ce n'est pas ça je pense que les lecteurs recherches avec cette petite collection qui, ainsi que le rappelle l'éditeur, "va vous rendre sourd de bonne heure".
Les Larmes du Seigneur Afghan
Même si l'Afghanistan n'a plus beaucoup de place dans les médias occidentaux d'aujourd'hui, j'ai trouvé cette lecture bien intéressante. Le reportage date de 2010 et le récit de 2014 juste avant l'élection présidentielle et la première victoire d'Ashraf Ghani. Quinze ans plus tard cette série reportage passe presque de la série documentaire journalistique au récit historique. En effet il présente les germes de la victoire écrasante et totale des Talibans en 2021. En effet Pascale Bourgaux note comment le point de vue des Talibans progresse au sein même de la famille de son hôte. Cet échec est attribué à la quasi unanimité à deux causes premières: la corruption et les maladresses meurtrières des militaires ou sociétales des occidentaux. La journaliste se met elle même parfois en difficultés dans son récit ce qui montre la difficulté de la tâche. Pouvait-il en être autrement? La journaliste ne prétend pas répondre à cette question même si elle souligne quelques anecdotes ( la mini jupe, les morts amis provoqués par les soldats allemands) qui ont surtout vocation à faire réagir émotionnellement. De même la situation dans ce petit village du nord de l'Afghanistan ne peut pas prétendre à délivrer une vision universelle de toutes les régions afghanes. A mon avis la principale qualité du récit est de faire sentir que l'on était sur le fil du rasoir avec un possible basculement d'un côté comme de l'autre. Malgré la tension de certaines séquences les auteurs avaient choisi de parier sur une présentation plutôt optimiste. Je l'ai ressenti à travers un graphisme paisible qui privilégie les beaux paysages, les marché aux tissus flamboyants ou à une reconstruction des axes de communications par une société turque. On connait la suite et depuis le 15 août 2021 Pascale Bourgaux a eu la réponse à la dernière question qu'elle se pose dans la BD.
Déesse blanche, déesse noire
Cette série fait pratiquement l'unanimité contre elle ! Le graphisme de Servais n'est pas en cause. Même si son trait a vieilli et que l'auteur est moins à l'aise dans l'urbain que dans ses forêts , le visuel reste agréable avec une ligne fine et élégante. Malheureusement la thématique centrale est franchement usée jusqu'à la corde et pas spécialement traitée de façon percutante. La personnalité de Vanessa est assez convenue dans une imagerie du Mal. Je ne comprends toutefois pas pourquoi l'auteur insiste sur la sexualité de la JF de 18 ans. Accolé sexualité et Mal est une approche bien vieillotte comme concept. Enfin j'ai eu du mal à voir où Maud était représentative du Bien. Savoir faire ses additions? Aimer les aquarelles? C'est quand même très limité comme vision (aucun altruisme ni engagement). La suite permet à Servais de s'épanouir dans ce qu'il fait de mieux, décrire la forêt peuplée de petits êtres fantastiques et ce qu'il fait de moins bien à mes yeux: délivrer une morale pseudo philosophique souvent lourde et non aboutie. J'ai vraiment eu du mal à m'approprier ce récit comme un conte.
Le Chemin de Saint-Jean
Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc. Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ? Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup. C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc. Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence. L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit. Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens. Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.