Excellente série aux limites de la vraisemblance tant tout le monde est positif sauf Ray, alors que les enfants connaissent enfin la vérité terrifiante dans laquelle ils vivent ! Mais c'est peut-être un plus, en faire une série pour très jeunes et pour ceux qui souhaiteraient retrouver un optimisme auroral. Originalités ! Les monstres n'ont guère le choix d'agir autrement, et contraignent "maman", un personnage plein d'ambiguïté bien humaine. Emma, pas la plus brillante au départ, se montre finalement la clé, à la fin. L'orphelinat n'est pas ce qu'il semble être ? Le monde non plus. L'intelligence est le cœur du récit, inégalement distribuée, c'est cependant en réfléchissant tous ensemble que nos héros progressent. Si on se demande quoi offrir à des enfants éveillés, je pense cette série tombant à point nommée.
Cet album est une petite curiosité, qui a attiré mon attention parce que tout ce que fais Gotlib m’intéresse a priori.
La pagination est faible, c’est vite lu. L’album accompagnait initialement la sortie d’un disque de Gotainer (les paroles de ses chansons accompagnent chacun des chapitres, sensés présenter une des qualités des « Gaulois »). Quant à Uderzo, outre donner les droits d’utiliser logos et personnages des célèbres Gaulois – et enrichir le catalogue de sa maison d’édition Albert René, il est peu présent, uniquement avec Astérix et Obélix qui commentent, en petit, ce que Gotlib a développé au-dessus dans ses histoires courtes. Histoires qui se déroulent dans un cadre contemporain, illustrant les Gaulois d’aujourd’hui.
Disons-le tout de suite, l’album n’est pas courant, mais il n’est pas non plus indispensable. Le principal intérêt – le seul quasiment à mes yeux – c’est de découvrir un petit travail méconnu de Gotlib. Son dessin est toujours excellent, juste ce qu’il faut de caricature pour agiter les zygomatiques.
Ces petites histoires sont inégales, mais la lecture – très rapide au demeurant – est plutôt agréable. Une curiosité amusante, sans plus. Mais je suis un incorrigible complétiste de Gotlib !
Note réelle 2,5/5.
Les dessins sont par moments baveux mais malgré tout esthétiques, et ils expriment la déliquescence fascinante de la société et du personnage. Je pense et souhaite que le roman sorte de l'oubli. La déformation des corps exprime ce que les malheureux doivent subir pour survivre, notamment notre héros qui fait tout pour survivre, s'enrichir et s'enfuir à l'Ouest, pour plus de liberté ! Un zéro en moral, en sentiment, en tout, ne retient pas la sympathie, comme cependant, nul ne mérite d'être broyé par l'Histoire, on espère qu'il parviendra à se sauver. Les péripéties valent pour elles-mêmes et pour leur léger suspens. A lire, peut se relire mais ce n'est certainement pas nécessaire.
Toutes les BD de Lucas Harari que j’ai lues (je ne sais pas trop ce qu’Arthur – son frère ? – a ajouté ici au scénario) ont un point commun : il installe une ambiance fantastique à la fois douce et angoissante, une gêne, quelque chose d’indéfinissable qui attire et hypnotise quelque peu.
C’est encore le cas ici, même si l’intrigue est un peu plus directe et joue moins sur ce que l’imagination du lecteur peut ajouter à ce qu’il voit.
L’histoire est intéressante et originale, une fois acceptée le principe du changement de corps entre individus.
Je regrette juste quelques longueurs ou sautes de rythme.
Mais globalement j’ai bien aimé cette histoire, qui trouble les identités des protagonistes (identités civiles et sexuelles), qui pose aussi la question des relations familiales : est-on prêt à accepter que celui ou celle qu’on a connu.e ait changé de corps, voire de sexe ?
Le dessin d’Harari est, comme à son habitude, assez froid et statique (ceci étant renforcé » par la colorisation), mais je l’aime bien lui aussi.
Une lecture intrigante.
Note réelle 3,5/5.
Nul besoin de présenter Franck Thilliez qui co signe ce scénario inédit avec Niko Tackian. Son simple nom sur la couverture, c'est la promesse d'un thriller haletant, tant les romans du scénariste sont généralement des pages-turner. Cette histoire commence comme un polar, avec la découverte de nombreux cadavres dépourvus de cerveaux et l'arrivée d'une enquêtrice pour démêler l'affaire. Mais le récit va vite prendre une tournure fantastique autour d'un mystérieux village qui semble apparaitre subitement, puis disparaitre tout aussi brutalement qu'il est arrivé. Quel est le lien entre cet étrange village et ces cadavres ? C'est là le sel de notre histoire.
Cette enquête va conduire à pas mal de découvertes : des évènements de plus en plus mystérieux, des secrets passés, des explications ésotériques, une version scientifique pour donner du sens à tout ça. L'intrigue oscille entre ces différents pans en gardant en fil rouge l'enquête sur ces morts mystérieuses. Cela donne un tout cohérent où le niveau de suspens se tient bien et suscite la curiosité et l'envie de connaitre le dénouement. Sans spoiler il y aura quelques éléments un peu gros, qui dépassent le cadre de notre récit fantastique et qui tirent presque vers la science-fiction. Cette sensation de presque too much disparait à l'arrivée de la conclusion. Sombre et pessimiste, elle brille par la raisonnance qu'elle trouve avec des problématiques bien contemporaines. J'ai trouvé cette fin percutante. Dure mais marquante.
Graphiquement, on a une ambiance assez sombre, nécessaire pour coller à ce récit très noir. Malheureusement certains visages souffrent un peu d'imprécision dans le trait, et combiné à la noirceur des couleurs on a parfois du mal à reconnaitre certains personnages. Et c'est le seul petit bémol. Car même si le niveau de tension est variable, et qu'on n'a pas toujours le page turner attendu, au final ce village propose une histoire qui reste dans la tête une fois l'album refermé. Une lecture qui ne m'a pas laissé indifférent, et qui appellera sans aucun doute une relecture prochaine.
Un classique !
Quelle bonne idée : les méchants aliens n'envahissent que l'Amérique latine, car vue comme la partie la plus faible de la planète. Bien vu : il n'y a guère de solidarité entre nations. Un bémol : l'Afrique est encore plus désarmée, mais c'est un scénariste latino qui décide ! Et qui n'a que de bonnes idées, qu'on en juge. La pluie de neige brouille tout, indistinction de l'espace, l'Eternaute, lui, le voyageur temporel, brouille le temps, deux éléments nous plongeant dans une atmosphère de fantastique. De fantastique effrayant, car les gens sont attaqués ! Assaillis par des créatures aliens ou humaines attachées par des fils, manipulées comme des marionnettes, encore une grande idée symbolique et graphique.
Comme d'habitude, toute histoire d'intrusion doit commencer par un décor et des gens bien enracinés dans la réalité. Et l'Eternaute fait le job, parfait, absolument parfait.
L'extravagance du parfait, comme on le dit d'un vin, mais je ne vais pas me lancer là-dedans.. La brièveté de l'œuvre, sa vivacité… Bon, ok, je sais que nous sommes en France, mais les formes brèves valent autant que les longues, voir les nouvelles et les haikus et autres tankas ! Parfois, ce qu'on sait fait obstacle à la connaissance, comme on le voit encore ici. On sait qu'il y a eu des problèmes de parution, on en déduit que l'œuvre en a pâti. Certes, on a les probabilités pour soi, mais en vérité, ce cri contre la tyrannie et l'abandon des faibles surgit sans doute plus court mais plus dense que sous une forme longue…. Attention, je n'ai rien contre les sagas, je rappelle les vertus de la brièveté et de l'ellipse, les formes courtes valent autant que les longues, illustration :
« Fût-ce en mille éclats.
Elle est toujours là.
La lune dans l'eau ! »
Haiku de Ueda Chôsh qui est aussi beau que capable de remonter le moral… fut-ce un instant ! Dans cette poésie comme dans l'Eternaute, pointe l'éloge de la résilience, si l'un est plus passionné que l'autre. Il y a aussi la chaude amitié entre notre groupe de survivants combattant les envahisseurs. Œuvre ancrée dans son temps qui s'arrime au nôtre, elle est classique, non une œuvre qu'il faut avoir lu pour comprendre comment la BD évolue, mais parce que sa perfection la place au firmament avec quelques autres comme les Corto Maltese.
Noir destin des humains, griffés par le dessin, blanc qui fait éclater les formes et les cases, coïncidence des contraires, feu d'artifice de perfection, trésor à garder dans sa bibliothèque pour le rouvrir, ébloui, havre et tempête !
Les caprices du destin en ont décidé ainsi.
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Ce tome contient un récit de nature biographique, indépendant de tout autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Juan Díaz Canales pour le scénario et par Jesu?s Alonso Iglesias pour les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée.
En 1979, dans le quartier de North Hollywood, deux policiers toquent à la porte d’un appartement. À l’intérieur, c’est le désordre : des cailloux dans un bol, un livre avec des marque-pages, une plante verte morte, des bouteilles d’alcool vides, une pile de magazines, des déchets par terre, un iguane qui se balade en liberté. L’un des policiers s’apprête à enfoncer la porte, l’autre tourne simplement le bouton et entre : c’est ouvert. Ils sont enveloppés par une odeur nauséabonde. Ils avancent dans l’appartement et découvrent le cadavre d’une femme, ainsi que l’état lamentable de l’habitation. Le plus ancien prononce la sentence : il peut résumer en un seul mot le rapport, surdose. Le second observe le cadavre et commence à prendre des notes. Femme blanche, type caucasien, quarante ans environ. Cause probable de la mort, overdose. Désordre caractéristique d‘un mode de vie bohême (artiste). Possible lettre de suicide. Demande expertise graphologique. Vérifier éventuelle appartenance à une secte. Aucune trace de document permettant l’identification. L’iguane regagne lentement la fraîcheur des plantes vertes.
1951, dans le cinéma de Studio City, en Californie, les époux Sill ont emmené leur fille voir un film de science-fiction de série B avec des monstres : à l’écran une sorte d’iguane géant est en train de terrasser un crocodile. Milford Sill se penche vers sa fille Judee pour lui faire remarquer qu’il lui avait bien dit qu’il était invincible leur Gregory. Puis il se tourne vers sa femme Oneta pour lui demander si elle aime le film. Elle répond sèchement que ce qu’elle aime, ce sont les gens qui parlent au cinéma. Il maugrée qu’elle n’aime rien : elle n’aime pas les gens, elle n’aime pas le cinéma, elle n’aime pas son travail. Elle lui rétorque que faire du trafic de bestioles, elle n’appelle pas ça un travail. Il la corrige : Importateur d’animaux exotiques, et d’ailleurs Hollywood ne trouve pas si minable que ça. À la sortie de la séance, le père a pris sa fille sur ses épaules et il lui promet d’aller voir un Tom et Jerry le lendemain. 1961 dans la vallée de San Fernando, Judee est allongée dans son lit sans bouger à rêvasser. Sa nouvelle mère entre pour lui dire sèchement qu’elle ressemble à son père. L’adolescente lui rétorque que ce n’est pas étonnant, ils sont morts tous les deux. Sa belle-mère lui répond qu’elle ne sait pas si Judee est morte, mais que ce qui est sûr c’est qu’elle n’a pas de cœur, elle estime que l’adolescente est cruelle et qu’elle leur gâche la vie à son père et elle. Toujours allongée et dans un grand calme, la jeune fille répond qu’ils n’ont besoin de personne pour leur gâcher la vie, qu’ils y arrivent très tout seul… Enfin avec l’aide de l’alcool…
Il s’agit de la biographie d’une chanteuse et compositrice américaine, ayant réellement vécu, née en 1944 à Studio City, un quartier de Los Angeles et décédée en 1979, dans le quartier North Hollywood, dans la vallée de San Fernando à Los Angeles. Du temps son vivant, elle a enregistré deux albums en studio qui ont été publiés par la maison de disques Asylum : Judee Sill (1971), puis Heart Food (1973). Elle avait commencé à en enregistrer un troisième Dreams come true qui sera publié en 2005. La séquence d’ouverture ne laisse planer aucun doute sur le destin de cette artiste : mort solitaire, suite à une addiction aux drogues, dans un appartement aux allures de dépotoir, avec deux particularités : un exemplaire de ses albums, et un iguane domestique en liberté. Les auteurs ont choisi d’évoquer cette vie dans une chronologie recomposée passant de 1979 à North Hollywood, puis 1951, 1961, 1972, 1961, 1979, 1962, 1964, 1972, 1980, 1966, 1968, 1967, 1968, 1982, 1972, 1973, 1975, 1994, 1979, pour finir en 1995 à Santa Monica en Californie. Dans de très brèves notes en fin de tome, ils expliquent qu’il existe très peu de références bibliographiques sur cette musicienne, qu’ils ont dû remplir ce vide grâce à leur imagination, en utilisant parfois des personnages de fiction. Pour les faits, ils se sont basés sur des interviews, notamment celle réalisées par Grover Lewis pour le magazine Rolling Stone d’avril 1972, l’interview de Rosalind Russel publiée en 1972, et deux articles de 2004 et 2006.
Le lecteur peut être attiré par la composition psychédélique avec un choix de couleurs très judicieux, par l’idée de découvrir une musicienne oubliée par l’histoire de la musique populaire, ou encore curieux de lire une autre bande dessinateur du scénariste de la série Blacksad, avec le dessinateur Juanjo Guarnido. En lisant la première scène, il se trouve rassuré (ou peut-être désappointé) par des couleurs plus classiques, une palette dans un registre plus naturaliste. Les dessins s’inscrivent également dans ce registre, avec une approche descriptive. L’artiste a choisi un rendu assez vivant, par le biais de traits de contour de type coups de pinceau appliqués sans retouche, allant de très épais à très fins. Par endroit, les couleurs viennent compléter les informations visuelles proches de la couleur directe. En fonction des éléments de décor, le dessinateur adapte le degré de finition, de très grossier pour la forme de feuilles de plantes d’appartement, à très précis pour la carrosserie d’un modèle de voiture ou la tubulure métallique des chaises du bureau de la docteur Carrara dans l’établissement E retro, Reform School for Girls.
Le lecteur apprécie rapidement la cohérence des dessins, à commencer par l’ambiance lumineuse bien rendue par les couleurs. Il ressent comment le dosage entre descriptif et simplification rend les personnages plus vivants, plus proches de lui, tout en restant dans un registre réaliste : le visage fermé et peiné de la mère traitée d’alcoolique par sa fille, le visage repu de satisfaction du directeur du centre de réhabilitation alors que Judee chante littéralement ses louanges, l’air discrètement gêné de David Griffin quand on lui parle de Judee, la gentillesse inattendue d’un groupe de trois femmes âgées (Nathy, Nun et Nona) dans la cour de la prison pour femmes de Frontera, l’air compassé des dévots de Krishna, etc. Le dessinateur sait montrer les gens dans toute leur diversité, leurs milieux culturels, leur niveau économique dans la société. Il impressionne également par le naturel avec lequel il rend compte des différents environnements : un appartement désordonné, les façades d’une rue de Los Angeles, le cabinet d’un psychologue, le dortoir d’une maison de redressement, le salon luxueux d’un producteur de disques riche à millions, l’atmosphère très particulière de la communauté hippie de Laurel Canyon (nexus de la contreculture dans les années 1960/70)… et bien sûr le désert.
La couverture promet une expérience psychédélique, ou en tout cas d’évoquer cette dimension de la vie de la musicienne. Cette caractéristique apparaît discrètement dans un phylactère en page neuf, puis dans un autre de la page dix, un autre de la page suivante… et le lecteur comprend qu’il s’agit des paroles de Judee Sill, seul personnage à s’exprimer en rose. En page dix-sept et dix-huit apparaissent des salamandres multicolores en arrière-plan du buste des personnages, alors que la chanteuse est interviewée par le journaliste de Rolling Stone. Puis un motif psychédélique surgit à l’écoute d’un des disques de Sill avec le titre du morceau camouflé dans les volutes, toute comme The Kiss dans l’illustration de couverture. Le lecteur accompagnera la musicienne en plein trip à deux reprises, une fois pendant deux pages et demie dans le désert, une seconde fois pendant quatre pages dans les rues de Los Angeles. L’artiste s’amuse bien avec les couleurs et l’altération des perceptions, entre délires et déformations d’expériences passées. Par comparaison, les dévots de Krishna semblent normaux, raisonnables, et doués de leur pleine et entière raison.
En fonction de son humeur, le lecteur est plus ou moins sensible à la recomposition du déroulement chronologique, aux rapprochements que cela crée, ou au fouillis évoquant le bazar dans la tête de Judee Sill. Dans les deux cas, ce dispositif narratif évoque le processus créatif de la compositrice qui rapproche des sensations et des souvenirs dont l’évidence de la connexion s’effectue dans son esprit. Les auteurs ne cachent rien des vicissitudes de l’artiste, sans se montrer voyeuriste, par exemple ses moments de prostitution sont évoqués sans être montrés. Ils mettent en scène les personnes qu’elle a côtoyées comme Grover Lewis (1934-1995, journaliste pour Rolling Stone), Jim Pons (1943-, bassiste de The Turtles), ou encore Gordon Lightfoot (1938-2023). Le lecteur comprend que Dave Griffin est un nom fictif pour David Geffen (1943-, responsable de la maison de disques Asylum et millionnaire en devenir), bénéficiant certainement d’un autre nom dans cette bande dessinée, pour éviter des plaintes contre les auteurs. Vers la fin de l’ouvrage, un patron de bar qui supporte la clientèle de la chanteuse, explique à un jeune homme qu’il n’appellerait pas ça manquer de chance, mais plutôt avoir un talent pour la gâcher. Il continue : Elle avait une carrière les plus prometteuses de toute la côte ouest, et elle a foiré avec son producteur, son agent, ses collègues. Pour autant, le lecteur éprouve de la sympathie pour elle, ayant été en empathie quand elle s’est sentie manipulée par le monde professionnel de la musique, par sa dépendance à la drogue. Il n’est pas loin d’acquiescer à la dernière phrase du récit : Les caprices du destin en ont décidé ainsi. Dans le même temps, il se rappelle que les témoignages sur la carrière de cette artiste sont très peu nombreux, et que les auteurs ont inventé une bonne partie de ce qu’il vient de lire. Qui plus est, personne ne peut se vanter de savoir ce que pensait ou ce qu’éprouvait tel ou tel individu à telle époque et dans telle situation.
À partir des rares éléments biographiques existants, les auteurs rendent hommage à cette chanteuse et compositrice américaine peu connue. Ils le font avec un art consommé de la bande dessinée, une capacité à retranscrire une époque et sa culture, et à partir dans des paradis artificiels psychédéliques. D’un côté, le lecteur découvre un exemple d’artiste talentueuse dont la vie se dégrade progressivement jusqu’à un naufrage pitoyable ; d’un autre côté, il s’interroge sur ce qui relève du réel dans cette biographie plausible et pour partie inventée. Troublant.
Les créations du duo War and Peas sont très connues sur internet depuis de nombreuses années, souvent relayées et postées à droite à gauche, alors quand j'ai appris par mon père que certains de leurs gags avaient été traduits et publiés en français j'ai été curieuse et lui ai emprunté cet album.
Pour présenter rapidement, il s'agit de gags à l'humour noir doux (par-là j'entend pas de trash) rassemblés autour du thème de notre bonne vieille planète Terre. Grosso-modo, ça va pas mal parler écologie et bio-diversité, donc attendez-vous à de nombreux gags sur la fin imminente de notre espèce et sur les comportements de certains animaux.
Le dessin d'Elizabeth Pich est simple, privilégiant les compositions de cases aérées et les expressions de personnages expressives et facilement lisibles. Du classique dans le genre, mais tout de même efficace.
La qualité des gags est inégale, mais c'est mine de rien un défaut classique de ce genre d'albums, encore plus lorsqu'il s'agit d'un best-of à thème, donc je ne jette pas la pierre (après tout je m'y attendais).
Bon, l'album est bon, mais j'avoue avoir eu un petit défaut qui a parasité ma lecture.
Il y a des bons gags et des moins bons gags, certes, mais le problème c'est que les bons gags… bah je les connaissais déjà. Bah oui, comme dit en intro, les créations de War and Peas circulent un peu partout sur internet donc forcément les plus drôles ont déjà été lues par bon nombre d'entre nous (en tout cas quiconque se baladerait sur les réseaux sociaux à l'internationale). Et comme je suis en plus habituée à leur texte VO j'ai du mal à juger la qualité de la traduction sur le simple fait que mon cerveau le perçoit immédiatement comme une sorte de dissonance. Alors quand je tombe sur les trois/quatre que je ne connaissais pas mais qui ne m'ont pas paru hilarantes pour autant, bah pour le coup j'échappe à cette dissonance mais je ne sais que dire.
Évidemment, ce défaut est dû à un biais cognitif, je le sais bien et je ne l'impute pas à l'album en soi et encore moins au travail de traduction de Fanny Soubiran qui m'a paru de très bonne facture (mis à part un ou deux gags où le formulation m'a semblée légèrement manquer de peps), mais il n'empêche que ce défaut a bien été présent à mon esprit et à bel et bien parasité ma lecture. Si je le mentionne dans cet avis c'est avant tout car je ne pense pas être la seule à expérimenter ce genre de dissonance face à des traductions d'œuvres/de créations tellement partagées ad nauseam sur le web que l'on fini par les connaître presque inconsciemment. La culture du meme a tué la traduction !
Breeeeeeef, une œuvre inégale mais tout de même divertissante et qui, mon problème de dissonance mis à part, reste une lecture agréable.
Le plus remarquable dans ce thriller est la gestion du suspense. En effet, le scénario en lui-même n’est pas des plus originaux avec une situation de départ déjà vue par ailleurs, mais l’autrice parvient à conserver une zone d’ombre telle que ce scénario reste tendu.
Ce suspense repose sur deux éléments. Le premier est le risque constant de voir l’héroïne être démasquée par la principale suspecte d’une incendie. Le deuxième vient du fait que, au fil des révélations, l’héroïne ne trouvant que des indices indirects, le doute demeure quant à la culpabilité de la principale suspecte et l’implication éventuelle d’autres personnages.
Résultat : même si l’idée de départ est déjà vue, même si les personnages semblent de prime abord assez caricaturaux, même si le dessin reste dans un style très mainstream, ce thriller est des plus addictifs.
Vivement la suite !
Mise à jour après 6 tomes : c'est toujours aussi bon !!!!!
Mise à jour après 8 tomes : tout se tient et même si la fin est un peu tirée en longueur, ce thriller aura répondu à mes attentes. Je recommande !
Le premier tome ne m’avait pas spécialement enthousiasmé. Trop décousu, trop enfantin, sans grande envergure, il n’offrait qu’un sympathique divertissement dont l’intérêt résidait avant tout dans la singularité des habitations proposées. Mais le deuxième tome propose un scénario bien plus construit, avec une intrigue qui émerge. L’univers est maintenant bien en place et les personnages gagnent en profondeur.
Soara se présente maintenant comme un récit de fantasy original, construit autour de ce concept d’habitats spécialement étudiés pour satisfaire des populations bien singulières mais offrant aussi une intrigue plus générale et plus ambitieuse. L’aventure est bien au rendez-vous et devrait ravir plus d’un jeune lecteur.
Pas un immanquable mais un récit sympathique qui se démarque par son concept architectural. A réserver toutefois à un jeune public.
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The Promised Neverland
Excellente série aux limites de la vraisemblance tant tout le monde est positif sauf Ray, alors que les enfants connaissent enfin la vérité terrifiante dans laquelle ils vivent ! Mais c'est peut-être un plus, en faire une série pour très jeunes et pour ceux qui souhaiteraient retrouver un optimisme auroral. Originalités ! Les monstres n'ont guère le choix d'agir autrement, et contraignent "maman", un personnage plein d'ambiguïté bien humaine. Emma, pas la plus brillante au départ, se montre finalement la clé, à la fin. L'orphelinat n'est pas ce qu'il semble être ? Le monde non plus. L'intelligence est le cœur du récit, inégalement distribuée, c'est cependant en réfléchissant tous ensemble que nos héros progressent. Si on se demande quoi offrir à des enfants éveillés, je pense cette série tombant à point nommée.
Vive la Gaule
Cet album est une petite curiosité, qui a attiré mon attention parce que tout ce que fais Gotlib m’intéresse a priori. La pagination est faible, c’est vite lu. L’album accompagnait initialement la sortie d’un disque de Gotainer (les paroles de ses chansons accompagnent chacun des chapitres, sensés présenter une des qualités des « Gaulois »). Quant à Uderzo, outre donner les droits d’utiliser logos et personnages des célèbres Gaulois – et enrichir le catalogue de sa maison d’édition Albert René, il est peu présent, uniquement avec Astérix et Obélix qui commentent, en petit, ce que Gotlib a développé au-dessus dans ses histoires courtes. Histoires qui se déroulent dans un cadre contemporain, illustrant les Gaulois d’aujourd’hui. Disons-le tout de suite, l’album n’est pas courant, mais il n’est pas non plus indispensable. Le principal intérêt – le seul quasiment à mes yeux – c’est de découvrir un petit travail méconnu de Gotlib. Son dessin est toujours excellent, juste ce qu’il faut de caricature pour agiter les zygomatiques. Ces petites histoires sont inégales, mais la lecture – très rapide au demeurant – est plutôt agréable. Une curiosité amusante, sans plus. Mais je suis un incorrigible complétiste de Gotlib ! Note réelle 2,5/5.
Ibicus
Les dessins sont par moments baveux mais malgré tout esthétiques, et ils expriment la déliquescence fascinante de la société et du personnage. Je pense et souhaite que le roman sorte de l'oubli. La déformation des corps exprime ce que les malheureux doivent subir pour survivre, notamment notre héros qui fait tout pour survivre, s'enrichir et s'enfuir à l'Ouest, pour plus de liberté ! Un zéro en moral, en sentiment, en tout, ne retient pas la sympathie, comme cependant, nul ne mérite d'être broyé par l'Histoire, on espère qu'il parviendra à se sauver. Les péripéties valent pour elles-mêmes et pour leur léger suspens. A lire, peut se relire mais ce n'est certainement pas nécessaire.
Le Cas David Zimmerman
Toutes les BD de Lucas Harari que j’ai lues (je ne sais pas trop ce qu’Arthur – son frère ? – a ajouté ici au scénario) ont un point commun : il installe une ambiance fantastique à la fois douce et angoissante, une gêne, quelque chose d’indéfinissable qui attire et hypnotise quelque peu. C’est encore le cas ici, même si l’intrigue est un peu plus directe et joue moins sur ce que l’imagination du lecteur peut ajouter à ce qu’il voit. L’histoire est intéressante et originale, une fois acceptée le principe du changement de corps entre individus. Je regrette juste quelques longueurs ou sautes de rythme. Mais globalement j’ai bien aimé cette histoire, qui trouble les identités des protagonistes (identités civiles et sexuelles), qui pose aussi la question des relations familiales : est-on prêt à accepter que celui ou celle qu’on a connu.e ait changé de corps, voire de sexe ? Le dessin d’Harari est, comme à son habitude, assez froid et statique (ceci étant renforcé » par la colorisation), mais je l’aime bien lui aussi. Une lecture intrigante. Note réelle 3,5/5.
Le Village (Delcourt)
Nul besoin de présenter Franck Thilliez qui co signe ce scénario inédit avec Niko Tackian. Son simple nom sur la couverture, c'est la promesse d'un thriller haletant, tant les romans du scénariste sont généralement des pages-turner. Cette histoire commence comme un polar, avec la découverte de nombreux cadavres dépourvus de cerveaux et l'arrivée d'une enquêtrice pour démêler l'affaire. Mais le récit va vite prendre une tournure fantastique autour d'un mystérieux village qui semble apparaitre subitement, puis disparaitre tout aussi brutalement qu'il est arrivé. Quel est le lien entre cet étrange village et ces cadavres ? C'est là le sel de notre histoire. Cette enquête va conduire à pas mal de découvertes : des évènements de plus en plus mystérieux, des secrets passés, des explications ésotériques, une version scientifique pour donner du sens à tout ça. L'intrigue oscille entre ces différents pans en gardant en fil rouge l'enquête sur ces morts mystérieuses. Cela donne un tout cohérent où le niveau de suspens se tient bien et suscite la curiosité et l'envie de connaitre le dénouement. Sans spoiler il y aura quelques éléments un peu gros, qui dépassent le cadre de notre récit fantastique et qui tirent presque vers la science-fiction. Cette sensation de presque too much disparait à l'arrivée de la conclusion. Sombre et pessimiste, elle brille par la raisonnance qu'elle trouve avec des problématiques bien contemporaines. J'ai trouvé cette fin percutante. Dure mais marquante. Graphiquement, on a une ambiance assez sombre, nécessaire pour coller à ce récit très noir. Malheureusement certains visages souffrent un peu d'imprécision dans le trait, et combiné à la noirceur des couleurs on a parfois du mal à reconnaitre certains personnages. Et c'est le seul petit bémol. Car même si le niveau de tension est variable, et qu'on n'a pas toujours le page turner attendu, au final ce village propose une histoire qui reste dans la tête une fois l'album refermé. Une lecture qui ne m'a pas laissé indifférent, et qui appellera sans aucun doute une relecture prochaine.
L'Eternaute 1969
Un classique ! Quelle bonne idée : les méchants aliens n'envahissent que l'Amérique latine, car vue comme la partie la plus faible de la planète. Bien vu : il n'y a guère de solidarité entre nations. Un bémol : l'Afrique est encore plus désarmée, mais c'est un scénariste latino qui décide ! Et qui n'a que de bonnes idées, qu'on en juge. La pluie de neige brouille tout, indistinction de l'espace, l'Eternaute, lui, le voyageur temporel, brouille le temps, deux éléments nous plongeant dans une atmosphère de fantastique. De fantastique effrayant, car les gens sont attaqués ! Assaillis par des créatures aliens ou humaines attachées par des fils, manipulées comme des marionnettes, encore une grande idée symbolique et graphique. Comme d'habitude, toute histoire d'intrusion doit commencer par un décor et des gens bien enracinés dans la réalité. Et l'Eternaute fait le job, parfait, absolument parfait. L'extravagance du parfait, comme on le dit d'un vin, mais je ne vais pas me lancer là-dedans.. La brièveté de l'œuvre, sa vivacité… Bon, ok, je sais que nous sommes en France, mais les formes brèves valent autant que les longues, voir les nouvelles et les haikus et autres tankas ! Parfois, ce qu'on sait fait obstacle à la connaissance, comme on le voit encore ici. On sait qu'il y a eu des problèmes de parution, on en déduit que l'œuvre en a pâti. Certes, on a les probabilités pour soi, mais en vérité, ce cri contre la tyrannie et l'abandon des faibles surgit sans doute plus court mais plus dense que sous une forme longue…. Attention, je n'ai rien contre les sagas, je rappelle les vertus de la brièveté et de l'ellipse, les formes courtes valent autant que les longues, illustration : « Fût-ce en mille éclats. Elle est toujours là. La lune dans l'eau ! » Haiku de Ueda Chôsh qui est aussi beau que capable de remonter le moral… fut-ce un instant ! Dans cette poésie comme dans l'Eternaute, pointe l'éloge de la résilience, si l'un est plus passionné que l'autre. Il y a aussi la chaude amitié entre notre groupe de survivants combattant les envahisseurs. Œuvre ancrée dans son temps qui s'arrime au nôtre, elle est classique, non une œuvre qu'il faut avoir lu pour comprendre comment la BD évolue, mais parce que sa perfection la place au firmament avec quelques autres comme les Corto Maltese. Noir destin des humains, griffés par le dessin, blanc qui fait éclater les formes et les cases, coïncidence des contraires, feu d'artifice de perfection, trésor à garder dans sa bibliothèque pour le rouvrir, ébloui, havre et tempête !
Judee Sill
Les caprices du destin en ont décidé ainsi. - Ce tome contient un récit de nature biographique, indépendant de tout autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Juan Díaz Canales pour le scénario et par Jesu?s Alonso Iglesias pour les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. En 1979, dans le quartier de North Hollywood, deux policiers toquent à la porte d’un appartement. À l’intérieur, c’est le désordre : des cailloux dans un bol, un livre avec des marque-pages, une plante verte morte, des bouteilles d’alcool vides, une pile de magazines, des déchets par terre, un iguane qui se balade en liberté. L’un des policiers s’apprête à enfoncer la porte, l’autre tourne simplement le bouton et entre : c’est ouvert. Ils sont enveloppés par une odeur nauséabonde. Ils avancent dans l’appartement et découvrent le cadavre d’une femme, ainsi que l’état lamentable de l’habitation. Le plus ancien prononce la sentence : il peut résumer en un seul mot le rapport, surdose. Le second observe le cadavre et commence à prendre des notes. Femme blanche, type caucasien, quarante ans environ. Cause probable de la mort, overdose. Désordre caractéristique d‘un mode de vie bohême (artiste). Possible lettre de suicide. Demande expertise graphologique. Vérifier éventuelle appartenance à une secte. Aucune trace de document permettant l’identification. L’iguane regagne lentement la fraîcheur des plantes vertes. 1951, dans le cinéma de Studio City, en Californie, les époux Sill ont emmené leur fille voir un film de science-fiction de série B avec des monstres : à l’écran une sorte d’iguane géant est en train de terrasser un crocodile. Milford Sill se penche vers sa fille Judee pour lui faire remarquer qu’il lui avait bien dit qu’il était invincible leur Gregory. Puis il se tourne vers sa femme Oneta pour lui demander si elle aime le film. Elle répond sèchement que ce qu’elle aime, ce sont les gens qui parlent au cinéma. Il maugrée qu’elle n’aime rien : elle n’aime pas les gens, elle n’aime pas le cinéma, elle n’aime pas son travail. Elle lui rétorque que faire du trafic de bestioles, elle n’appelle pas ça un travail. Il la corrige : Importateur d’animaux exotiques, et d’ailleurs Hollywood ne trouve pas si minable que ça. À la sortie de la séance, le père a pris sa fille sur ses épaules et il lui promet d’aller voir un Tom et Jerry le lendemain. 1961 dans la vallée de San Fernando, Judee est allongée dans son lit sans bouger à rêvasser. Sa nouvelle mère entre pour lui dire sèchement qu’elle ressemble à son père. L’adolescente lui rétorque que ce n’est pas étonnant, ils sont morts tous les deux. Sa belle-mère lui répond qu’elle ne sait pas si Judee est morte, mais que ce qui est sûr c’est qu’elle n’a pas de cœur, elle estime que l’adolescente est cruelle et qu’elle leur gâche la vie à son père et elle. Toujours allongée et dans un grand calme, la jeune fille répond qu’ils n’ont besoin de personne pour leur gâcher la vie, qu’ils y arrivent très tout seul… Enfin avec l’aide de l’alcool… Il s’agit de la biographie d’une chanteuse et compositrice américaine, ayant réellement vécu, née en 1944 à Studio City, un quartier de Los Angeles et décédée en 1979, dans le quartier North Hollywood, dans la vallée de San Fernando à Los Angeles. Du temps son vivant, elle a enregistré deux albums en studio qui ont été publiés par la maison de disques Asylum : Judee Sill (1971), puis Heart Food (1973). Elle avait commencé à en enregistrer un troisième Dreams come true qui sera publié en 2005. La séquence d’ouverture ne laisse planer aucun doute sur le destin de cette artiste : mort solitaire, suite à une addiction aux drogues, dans un appartement aux allures de dépotoir, avec deux particularités : un exemplaire de ses albums, et un iguane domestique en liberté. Les auteurs ont choisi d’évoquer cette vie dans une chronologie recomposée passant de 1979 à North Hollywood, puis 1951, 1961, 1972, 1961, 1979, 1962, 1964, 1972, 1980, 1966, 1968, 1967, 1968, 1982, 1972, 1973, 1975, 1994, 1979, pour finir en 1995 à Santa Monica en Californie. Dans de très brèves notes en fin de tome, ils expliquent qu’il existe très peu de références bibliographiques sur cette musicienne, qu’ils ont dû remplir ce vide grâce à leur imagination, en utilisant parfois des personnages de fiction. Pour les faits, ils se sont basés sur des interviews, notamment celle réalisées par Grover Lewis pour le magazine Rolling Stone d’avril 1972, l’interview de Rosalind Russel publiée en 1972, et deux articles de 2004 et 2006. Le lecteur peut être attiré par la composition psychédélique avec un choix de couleurs très judicieux, par l’idée de découvrir une musicienne oubliée par l’histoire de la musique populaire, ou encore curieux de lire une autre bande dessinateur du scénariste de la série Blacksad, avec le dessinateur Juanjo Guarnido. En lisant la première scène, il se trouve rassuré (ou peut-être désappointé) par des couleurs plus classiques, une palette dans un registre plus naturaliste. Les dessins s’inscrivent également dans ce registre, avec une approche descriptive. L’artiste a choisi un rendu assez vivant, par le biais de traits de contour de type coups de pinceau appliqués sans retouche, allant de très épais à très fins. Par endroit, les couleurs viennent compléter les informations visuelles proches de la couleur directe. En fonction des éléments de décor, le dessinateur adapte le degré de finition, de très grossier pour la forme de feuilles de plantes d’appartement, à très précis pour la carrosserie d’un modèle de voiture ou la tubulure métallique des chaises du bureau de la docteur Carrara dans l’établissement E retro, Reform School for Girls. Le lecteur apprécie rapidement la cohérence des dessins, à commencer par l’ambiance lumineuse bien rendue par les couleurs. Il ressent comment le dosage entre descriptif et simplification rend les personnages plus vivants, plus proches de lui, tout en restant dans un registre réaliste : le visage fermé et peiné de la mère traitée d’alcoolique par sa fille, le visage repu de satisfaction du directeur du centre de réhabilitation alors que Judee chante littéralement ses louanges, l’air discrètement gêné de David Griffin quand on lui parle de Judee, la gentillesse inattendue d’un groupe de trois femmes âgées (Nathy, Nun et Nona) dans la cour de la prison pour femmes de Frontera, l’air compassé des dévots de Krishna, etc. Le dessinateur sait montrer les gens dans toute leur diversité, leurs milieux culturels, leur niveau économique dans la société. Il impressionne également par le naturel avec lequel il rend compte des différents environnements : un appartement désordonné, les façades d’une rue de Los Angeles, le cabinet d’un psychologue, le dortoir d’une maison de redressement, le salon luxueux d’un producteur de disques riche à millions, l’atmosphère très particulière de la communauté hippie de Laurel Canyon (nexus de la contreculture dans les années 1960/70)… et bien sûr le désert. La couverture promet une expérience psychédélique, ou en tout cas d’évoquer cette dimension de la vie de la musicienne. Cette caractéristique apparaît discrètement dans un phylactère en page neuf, puis dans un autre de la page dix, un autre de la page suivante… et le lecteur comprend qu’il s’agit des paroles de Judee Sill, seul personnage à s’exprimer en rose. En page dix-sept et dix-huit apparaissent des salamandres multicolores en arrière-plan du buste des personnages, alors que la chanteuse est interviewée par le journaliste de Rolling Stone. Puis un motif psychédélique surgit à l’écoute d’un des disques de Sill avec le titre du morceau camouflé dans les volutes, toute comme The Kiss dans l’illustration de couverture. Le lecteur accompagnera la musicienne en plein trip à deux reprises, une fois pendant deux pages et demie dans le désert, une seconde fois pendant quatre pages dans les rues de Los Angeles. L’artiste s’amuse bien avec les couleurs et l’altération des perceptions, entre délires et déformations d’expériences passées. Par comparaison, les dévots de Krishna semblent normaux, raisonnables, et doués de leur pleine et entière raison. En fonction de son humeur, le lecteur est plus ou moins sensible à la recomposition du déroulement chronologique, aux rapprochements que cela crée, ou au fouillis évoquant le bazar dans la tête de Judee Sill. Dans les deux cas, ce dispositif narratif évoque le processus créatif de la compositrice qui rapproche des sensations et des souvenirs dont l’évidence de la connexion s’effectue dans son esprit. Les auteurs ne cachent rien des vicissitudes de l’artiste, sans se montrer voyeuriste, par exemple ses moments de prostitution sont évoqués sans être montrés. Ils mettent en scène les personnes qu’elle a côtoyées comme Grover Lewis (1934-1995, journaliste pour Rolling Stone), Jim Pons (1943-, bassiste de The Turtles), ou encore Gordon Lightfoot (1938-2023). Le lecteur comprend que Dave Griffin est un nom fictif pour David Geffen (1943-, responsable de la maison de disques Asylum et millionnaire en devenir), bénéficiant certainement d’un autre nom dans cette bande dessinée, pour éviter des plaintes contre les auteurs. Vers la fin de l’ouvrage, un patron de bar qui supporte la clientèle de la chanteuse, explique à un jeune homme qu’il n’appellerait pas ça manquer de chance, mais plutôt avoir un talent pour la gâcher. Il continue : Elle avait une carrière les plus prometteuses de toute la côte ouest, et elle a foiré avec son producteur, son agent, ses collègues. Pour autant, le lecteur éprouve de la sympathie pour elle, ayant été en empathie quand elle s’est sentie manipulée par le monde professionnel de la musique, par sa dépendance à la drogue. Il n’est pas loin d’acquiescer à la dernière phrase du récit : Les caprices du destin en ont décidé ainsi. Dans le même temps, il se rappelle que les témoignages sur la carrière de cette artiste sont très peu nombreux, et que les auteurs ont inventé une bonne partie de ce qu’il vient de lire. Qui plus est, personne ne peut se vanter de savoir ce que pensait ou ce qu’éprouvait tel ou tel individu à telle époque et dans telle situation. À partir des rares éléments biographiques existants, les auteurs rendent hommage à cette chanteuse et compositrice américaine peu connue. Ils le font avec un art consommé de la bande dessinée, une capacité à retranscrire une époque et sa culture, et à partir dans des paradis artificiels psychédéliques. D’un côté, le lecteur découvre un exemple d’artiste talentueuse dont la vie se dégrade progressivement jusqu’à un naufrage pitoyable ; d’un autre côté, il s’interroge sur ce qui relève du réel dans cette biographie plausible et pour partie inventée. Troublant.
War and Peas - Salut la Terre
Les créations du duo War and Peas sont très connues sur internet depuis de nombreuses années, souvent relayées et postées à droite à gauche, alors quand j'ai appris par mon père que certains de leurs gags avaient été traduits et publiés en français j'ai été curieuse et lui ai emprunté cet album. Pour présenter rapidement, il s'agit de gags à l'humour noir doux (par-là j'entend pas de trash) rassemblés autour du thème de notre bonne vieille planète Terre. Grosso-modo, ça va pas mal parler écologie et bio-diversité, donc attendez-vous à de nombreux gags sur la fin imminente de notre espèce et sur les comportements de certains animaux. Le dessin d'Elizabeth Pich est simple, privilégiant les compositions de cases aérées et les expressions de personnages expressives et facilement lisibles. Du classique dans le genre, mais tout de même efficace. La qualité des gags est inégale, mais c'est mine de rien un défaut classique de ce genre d'albums, encore plus lorsqu'il s'agit d'un best-of à thème, donc je ne jette pas la pierre (après tout je m'y attendais). Bon, l'album est bon, mais j'avoue avoir eu un petit défaut qui a parasité ma lecture. Il y a des bons gags et des moins bons gags, certes, mais le problème c'est que les bons gags… bah je les connaissais déjà. Bah oui, comme dit en intro, les créations de War and Peas circulent un peu partout sur internet donc forcément les plus drôles ont déjà été lues par bon nombre d'entre nous (en tout cas quiconque se baladerait sur les réseaux sociaux à l'internationale). Et comme je suis en plus habituée à leur texte VO j'ai du mal à juger la qualité de la traduction sur le simple fait que mon cerveau le perçoit immédiatement comme une sorte de dissonance. Alors quand je tombe sur les trois/quatre que je ne connaissais pas mais qui ne m'ont pas paru hilarantes pour autant, bah pour le coup j'échappe à cette dissonance mais je ne sais que dire. Évidemment, ce défaut est dû à un biais cognitif, je le sais bien et je ne l'impute pas à l'album en soi et encore moins au travail de traduction de Fanny Soubiran qui m'a paru de très bonne facture (mis à part un ou deux gags où le formulation m'a semblée légèrement manquer de peps), mais il n'empêche que ce défaut a bien été présent à mon esprit et à bel et bien parasité ma lecture. Si je le mentionne dans cet avis c'est avant tout car je ne pense pas être la seule à expérimenter ce genre de dissonance face à des traductions d'œuvres/de créations tellement partagées ad nauseam sur le web que l'on fini par les connaître presque inconsciemment. La culture du meme a tué la traduction ! Breeeeeeef, une œuvre inégale mais tout de même divertissante et qui, mon problème de dissonance mis à part, reste une lecture agréable.
Burn the House Down
Le plus remarquable dans ce thriller est la gestion du suspense. En effet, le scénario en lui-même n’est pas des plus originaux avec une situation de départ déjà vue par ailleurs, mais l’autrice parvient à conserver une zone d’ombre telle que ce scénario reste tendu. Ce suspense repose sur deux éléments. Le premier est le risque constant de voir l’héroïne être démasquée par la principale suspecte d’une incendie. Le deuxième vient du fait que, au fil des révélations, l’héroïne ne trouvant que des indices indirects, le doute demeure quant à la culpabilité de la principale suspecte et l’implication éventuelle d’autres personnages. Résultat : même si l’idée de départ est déjà vue, même si les personnages semblent de prime abord assez caricaturaux, même si le dessin reste dans un style très mainstream, ce thriller est des plus addictifs. Vivement la suite ! Mise à jour après 6 tomes : c'est toujours aussi bon !!!!! Mise à jour après 8 tomes : tout se tient et même si la fin est un peu tirée en longueur, ce thriller aura répondu à mes attentes. Je recommande !
Soara et les bâtisseurs fantastiques
Le premier tome ne m’avait pas spécialement enthousiasmé. Trop décousu, trop enfantin, sans grande envergure, il n’offrait qu’un sympathique divertissement dont l’intérêt résidait avant tout dans la singularité des habitations proposées. Mais le deuxième tome propose un scénario bien plus construit, avec une intrigue qui émerge. L’univers est maintenant bien en place et les personnages gagnent en profondeur. Soara se présente maintenant comme un récit de fantasy original, construit autour de ce concept d’habitats spécialement étudiés pour satisfaire des populations bien singulières mais offrant aussi une intrigue plus générale et plus ambitieuse. L’aventure est bien au rendez-vous et devrait ravir plus d’un jeune lecteur. Pas un immanquable mais un récit sympathique qui se démarque par son concept architectural. A réserver toutefois à un jeune public.