Arizona, 1874. Dans le décor aride du western classique, les diligences sont systématiquement attaquées par une bande de hors-la-loi qui massacrent tous les passagers. Les autorités de Flagstaff n'en peuvent plus : il faut que l'argent des banques circule de nouveau. Elles montent alors un piège pour neutraliser les voleurs. Sans le vouloir, cette opération va plonger un trio de femmes et un étranger dans une tragédie.
Leave Them Alone est un western pur et dur, classique dans sa construction mais enrichi par une place importante accordée aux personnages féminins. Le ton reste réaliste et âpre, proche de celui des meilleurs westerns crépusculaires.
Le dessin de Christophe Regnault s'accorde parfaitement au genre. Son trait organique capte bien l'atmosphère des déserts écrasés de soleil, des bandits miteux dignes d'un Morricone, des héros désabusés, mais aussi des femmes endurcies par la rudesse de l'Ouest. Le grand format de l'album met toutefois parfois son encrage épais en difficulté, donnant l'impression de cadrages trop serrés, surtout dans les premières pages. Heureusement, dès que la mise en scène s'élargit, le dessin retrouve toute sa force.
Le scénario est solide, précis et mené avec rigueur. Les différents personnages s'entrecroisent de manière fluide jusqu'au climax, où l'action explose véritablement. Qu'il s'agisse des malfrats détestables, du pistolero solitaire, de la prostituée qui veut fuir son souteneur, ou encore de la grand-mère et de sa petite-fille tenant le relais de diligence, tous sont bien campés et apportent à l'histoire. L'intrigue ne ménage aucune concession : cruelle quand il le faut, avec un drame inattendu en milieu d'album rappelant que personne n'est à l'abri. Mais elle conserve aussi une part d'optimisme, parfois à la limite de la vraisemblance, comme dans le cas de ces deux femmes survivant seules dans le désert avec l'aide d'un Navajo, ou dans sa conclusion même. Cet équilibre entre dureté et espoir permet néanmoins de livrer une histoire prenante, rythmée et pleinement satisfaisante.
Un western efficace, sombre mais généreux, qui tient toutes ses promesses.
Aucune personne de couleur dans ce monde n’a assez d’argent pour changer le noir en blanc.
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Ce tome contient une biographie du champion de boxe Jack Johnson (1878-1946). Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Youssef Daoudi pour les dessins et les aplats de rouge, par Adrian Matejka pour la poésie (mention portée en lieu et place de scénario), et traduit par Sidonie van den Dries. Il compte trois cent huit pages de bande dessinée. En fin de tome se trouvent une chronologie des événements réels en quarante dates, une bibliographie sélective recensant une douzaine d’ouvrages, et deux pages de remerciements un quart rédigé par le dessinateur sur le mode collaboratif avec le scénariste, et trois quarts rédigés par ce dernier sur les quinze ans qu’il a consacré à ce projet, explicitant sa démarche.
Jack Johnson expose que : Depuis la nuit des temps, les hommes n’ont cessé de combattre avant de se battre pour de l’agent. Ils se battaient avec les mains. Ils se battaient avec des cailloux, des bâtons. Ils se battaient pour conquérir les jolies femmes. Ils se battaient pour avoir de la viande, et le privilège de s’asseoir près du feu les soirs d’hiver. Les matchs de boxe ne sont qu’une version plus distrayante de ces luttes préhistoriques… et il est le meilleur combattant que la Terre ait porté. Le 4 juillet 1910, l’aube avait des allures de châtiment… À Reno, les anciens disaient que le soleil n’avait jamais été aussi proche. C’était le genre de chaleur qui vide les verres d’eau comme par magie et fait bouillir la sueur sur les fronts. Les œufs cuisaient sans feu. Les cigares s’allumaient spontanément. Ça n’a pourtant pas dissuadé les 20.000 spectateurs de débarquer en automobile, à cheval et en voiture à cheval. Des trains arrivaient toutes les demi-heures des quatre coins du pays. Quand les wagons étaient bondés, les fans voyageaient sur le toit. On était prêt à se ligoter à une locomotive pour assister au Combat du siècle.
Bien sûr, Tex Rickard a choisi d’organiser le combat entre Johnson et Jeffries dans le Nevada. Et bien sûr, il a choisi Reno. Reno, où il était aussi facile et aussi bon marché de divorcer que de se faire servir un verre de whisky. Les parieurs, les supporters, les prostituées et les fans de combat ont envahi les rues, les poches pleines à craquer d’argent liquide. Presque tous les paris étaient en faveur de Jeffries. Les pickpockets et les petits voleurs étaient à l’œuvre. Les tickets étaient vendus aussitôt imprimés. Seuls 16.000 fans déchaînés purent s’en procurer un. Tous ces imbéciles pariaient contre Johnson. C’est comment déjà, le dicton sur le fou et son argent. Dans le désert, le soleil était presque au zénith. La chaleur était de plus en plus torride, mais les supporters en costume continuaient d’affluer. Les scieries et les charpentiers travaillaient dans la journée, en plein cagnard, et la nuit à la lumière des torches. Ils avaient eu moins de trois semaines pour construire le stade. L’air sentait la sciure, la sueur et la résine de pin des planches qu’on utilisait pour faire les gradins. On entendait encore les marteaux et les scie à l’œuvre, pendant que les spectateurs faisaient la queue. Mais ils l’ont terminé à temps. Johnson est prêt. Il est prêt depuis le jour où il a quitté Gavelstone pour faire fortune.
Il est possible que le lecteur ait déjà entendu parler de Jack Johnson, soit parce qu’il apprécie la boxe, soit parce qu’il apprécie le jazz (l’album A tribute to Jack Johnson, 1971, de Miles Davis, 1926-1991), soit parce qu’il est familier avec l’histoire des Afro-Américains. Il est également possible qu’il découvre son histoire avec cette bande dessinée. Un rapide feuilletage montre des dessins dans un registre réaliste, avec un encrage parfois un peu acéré, parfois un peu pâteux, des aplats de noirs aux formes irrégulières, qui confèrent une rudesse certaine aux personnages, évoquant une vie dure, de combat, en parfaite adéquation avec les combats de boxe. Le lecteur peut y déceler comme une réminiscence de la virilité des dessins de Joe Kubert et de ceux de Jordi Bernet. Il comprend immédiatement que l’usage de la teinte rouge avec une légère nuance de rose permet de rehausser les éléments participant aux différentes formes de violence, à l’intensité d’un moment, à une forme de domination économique ou sociale. Il remarque également que dans le fil d’une forme traditionnelle de bande dessinée avec cases et phylactères, se trouvent des pages s’apparentant à une illustration accompagnée d’un texte, souvent disposé en de courtes lignes, à l’instar d’un poème.
Le récit commence en 1910 par l’explication du choix de la ville pour le combat de boxe opposant Jack Johnson à James J. Jeffries (1875-1953), l’arrivée des spectateurs, le prix des tickets, la détermination de Jack Johnson, l’ambiance ouvertement raciste et agressivement raciste, et un interlude dans le futur (du récit) en 1938 où Johnson se tient sur scène en train de raconter son histoire. En page quarante-six le lecteur découvre la mention Round 1 : il comprend que vont suivre quinze chapitres, chacun correspondant à un round du combat, avec un va et vient entre les souvenirs du boxeur, ses déclarations lors de son seul en scène, et ses commentaires sur sa condition, sur l’époque, sur les enjeux sous-jacents. Les auteurs font preuve d’une réelle honnêteté en consacrant une part significative au combat du siècle (qualificatif d’époque), à la boxe, qui est au cœur de l’identité de Johnson, qui constitue son métier professionnel, qui est indissociable de son caractère, de sa personnalité, de son histoire. D’un autre côté, le récit reste dans la narration, sans vulgarisation des techniques de boxe.
La lecture s’avère très facile, éloignée des tics habituels d’un ouvrage de nature historique : pas de pavé de texte explicatif avec des cases d’illustrations, pas de reportage chronologique. Voire s’il n’y prête pas attention, le lecteur peut passer à côté du lien direct entre la façon de raconter le combat au temps présent, et Jack Johnson sur scène s’adressant à un public. La narration visuelle commence par trois pages aérées : trois cases de la largeur de la page sur la première, puis deux, puis trois. Les dessins se focalisent sur les poings en train de boxer dans le vide, avec un court texte en-dessous de chaque case. Puis ils passent aux paysages aux alentours de Reno : des montagnes dans le lointain, un lézard en gros plan, une voiture soulevant un nuage de poussière, une moto d’époque, l‘arrivée du train… Le lecteur apprécie vite cette reconstitution historique visuelle, avec une sensation palpable de textures, avec une apparence de matières mises à l’épreuve par le temps et par l’usure, avec cette sensation d’une réalité dure, rugueuse et âpre.
L’artiste met à profit la pagination conséquente pour mettre en œuvre trois types de mises en page différentes. Il réalise des pages descriptives, denses en information visuelles, que ce soit pour les décors, les paysages, les personnages et les tenues vestimentaires, une approche réaliste de documentée. À d’autres moments, il se focalise sur les personnages, soit en pied, soit en gros plan, bougeant et se déplaçant sur un fond vide, pour mieux faire ressortir leurs mouvements (par exemple celui des boxeurs), ou le langage corporel entre deux personnes, Jack et son épouse, ou son agent, ou autre. Le lecteur découvre également un certain nombre de séquences avec des fonds de pages noir (gouttières et bordures), avec parfois uniquement Jack Johnson en train de parler, ou bien une illustration d’un objet, d’une affiche accompagnée d’un texte disposé en courtes lignes, comme un poème. Lorsque les auteurs évoquent les réactions des journaux, le dessinateur peut adopter une mise en page avec des manchettes et des colonnes de journal, des illustrations à la manière des dessins humoristiques ou caricaturaux de l’époque. Cette mise en œuvre de formats différents participe au rythme de la lecture et à sa diversité.
En outre, le lecteur ressent rapidement le qualificatif donné au scénariste : poésie d’Adrian Matejka. Lors des séquences avec une illustration accompagnée d’un texte disposé en courtes lignes, il voit en quoi cela participe d’une forme de poésie, très réaliste, sans rime (même si elles peuvent s’être perdues à la traduction), des réflexions construites sur la base d’un état d’esprit, au cours desquelles le narrateur prend du recul sur sa condition, sur l’image que le monde renvoie de lui, sur sa nécessaire adaptation à la réalité de la place assignée aux Afro-Américains par la société. Les auteurs mettent en scène le racisme de manière frontale, sans prendre de pincette, tel que Jack Johnson l’a vécu, ou plutôt l’a affronté, tel qu’issu de l’histoire des esclaves. Ils savent entremêler de manière organique la pratique professionnelle de la boxe, le mur auxquels se heurtent les Afro-Américains (dont la Color Line), et la personnalité de Jack Johnson à la fois boxeur par vocation, à la fois individu animé par la combativité dans la vie de tous les jours comme sur le ring. Ainsi, cet être humain apparaît comme un produit de l’environnement dans lequel il est né et a grandi, comme un combattant dans l’âme, comme une personne faisant preuve de recul sur sa situation sociale, sur les forces systémiques auxquelles il est confronté, qui modèlent sa vie, qui l’emprisonnent dans un rôle. La construction narrative et la sensibilité du récit vont bien au-delà d’une biographie rigoureuse : le lecteur éprouve une forte sympathie pour Jack Johnson, associée à une empathie profonde, comprenant aussi bien que ressentant sa frustration qu’il transforme en rage combative pour vaincre ses adversaires, exercer son art à la hauteur de son talent, exulter au-delà des limites systémiques de la société de l’époque. Dans le même temps, ils montrent aussi les aspects négatifs d’un tel mode de vie, à commencer pour sa compagne Etta Duryer.
Un boxeur de légende à plus d’un titre : premier champion du monde poids lourds noir, confronté de plein fouet au racisme très ouvert de la société de son pays. Les auteurs font usage des spécificités et des capacités de la bande dessinée, avec maîtrise et inventivité, dans une forme conçue sur mesure, pour une expressivité protéiforme. Le lecteur découvre la biographie de Jack Johnson, fait l’expérience de l’oppression systémique, ressent pleinement la combativité qui l’anime et sa capacité à sublimer la colère générée par le racisme. Être Jack Johnson.
Au-delà de Neptune est un voyage à la fois intime et cosmique, qui illustre parfaitement l’ambition du nouveau label Aux confins des éditions Steinkis, dédié aux récits de genre étrangers. Signé par l’Italien Gabriele Melegari, ce one-shot raconte l’odyssée solitaire de Lela, unique astronaute à bord du vaisseau-télescope Ulysse, en route vers Neptune en 2283. Pendant plus de sept ans, elle vit coupée de la Terre, retransmettant ses rapports vidéo avec une précision quasi militaire, mais aussi avec une honnêteté crue sur ses états d’âme, ses doutes et ses regrets, notamment celui d’avoir laissé sa compagne sur une Terre polluée.
Melegari réussit un subtil équilibre entre SF et introspection. Lela n’est pas seulement exploratrice, elle incarne une tension entre vocation altruiste et désir personnel de découverte, entre la quête de solutions pour sauver l’humanité et l’appel irrésistible de l’infini cosmique. L’auteur interroge ainsi des thématiques contemporaines comme le dérèglement climatique et la dépendance à la technologie, sans jamais imposer de réponses faciles, laissant le lecteur méditer sur ce qui pourrait attendre l’Homme au-delà de notre système solaire.
Graphiquement, l’album est un régal. Les scènes spatiales sont vertigineuses, mélangeant perspectives imposantes, décors technologiques détaillés et plongées lyriques dans des paysages exoplanétaires enchanteurs. L’usage de la gouache et de l’aquarelle donne une densité et une profondeur au noir spatial qui rendent l’expérience visuelle presque palpable. Les hallucinations de Lela, ses souvenirs de Béa et ses explorations virtuelles des exoplanètes sont autant d’occasions pour Melegari de mêler réalisme scientifique et lyrisme.
Au-delà de Neptune est une réussite qui capte le lecteur dès la première page et le maintient suspendu jusqu’au dénouement. C’est un premier album prometteur qui inaugure idéalement le label Aux confins, à la fois par la force de son récit et la beauté de son objet-livre. On en ressort avec l’impression d’avoir voyagé autant dans l’espace que dans l’esprit d’une héroïne attachante et complexe.
Difficile de noter cette BD qui déborde de bon sentiment jusqu'à sentir l'eau de rose un peu trop fortement, tout en étant sincèrement touchante sur la vieillesse et l'amour.
Ce manga en deux tomes nous conte l'histoire simple et charmante de deux petits vieux de 70 ans, chacun veuf/veuve, qui se rencontrent et développent un attachement l'un à l'autre, faisant refleurir la vie là où ils attendaient docilement la mort. L'ensemble va assez loin, puisque les deux petits vieux s'imaginent convoler en juste noces, afin de finir leurs vies ensemble, alors que leurs familles respectives ne sont absolument pas d'accord.
Le pitch lancé, tout semble classique et convenu, et je dois dire que c'est exactement ce qu'on trouve dans la BD. Du coup, il est difficile de dire qu'on sera surpris, d'autant que la BD reste assez clair sur les clichés manipulés (amis rigolos et exubérants, difficulté de communiquer avec ses enfants, ...) tout en parlant de façon touchante de l'amour et du couple. Donc en gros, c'est une comédie romantique classique sauf que les deux protagonistes sont deux petits vieux qui se racontent leurs vies passées. Et puis voila ...
Maintenant, il faut le dire, ça marche. C'est convenu, mais ça marche. Les relations sont brossés sans trop de pudeur et le tout va juste assez vite pour que l'on ne soit pas ennuyé, mais assez lentement pour faire crédible et ressentir la découverte l'un de l'autre. De même, le dessin en douceur et faisant la part belle aux silences donne un sentiment de comédie romantique de Noël, clichée mais qu'on aime tant. Et je ne saurais dire pourquoi, mais j'ai bien aimé. C'est aussi simple que vous l'imaginez et pourtant, sur moi ça a marché. Peut-être parce que la BD ne cherche jamais à faire plus, ni tomber dans le pathos, mais j'ai ressenti à la lecture une forme de sincérité touchante et c'est à peu près tout ce que je pourrais en dire. Inexplicablement, j'ai trouvé ça très sympa.
En 1912, un médecin est envoyé au Cambodge pour opérer le roi (pro-français) d'une cataracte. Le récit est basé sur les mémoires de cet ophtalmologiste et agrémenté d'une intrigue d'espionnage qui nous révèle les enjeux de ces colonies lointaines.
Une BD qui a un petit "truc" en plus.
On connaissait bien Olivier Truc pour ses polars ethniques en Laponie, du Premier Renne au Dernier Lapon, en passant par la série de la Brigade des Rennes.
Le frenchy adopté par les suédois s'était même aventuré du côté des Sentiers obscurs de Karachi.
On n'a donc guère hésité à suivre l'écrivain voyageur en Asie avec La danseuse aux dents noires, en format BD.
Mais il doit y avoir un truc avec cette BD puisque le scénario est cosigné par ... Jean-Laurent Truc ?!
Un air de famille car ils sont en effet cousins et la BD s'inspire librement des mémoires d'un aïeul, Hermentaire Truc !
Jean-Laurent Truc est le spécialiste de la BD qui anime le site Ligne Claire.
Aux pinceaux, ce sera Eric Stalner : vous vous souvenez peut-être de cette "vieille" série Le Boche (1990 !) mais Stalner a également adapté plus récemment des romans d'un autre voyageur, Nicolas Vanier, comme Loup.
En 1912, le roi Sisowath du Cambodge (à l'époque sous protectorat français) souffre gravement d'une cataracte. Pour rétablir le prestige vacillant de la République, le gouvernement français envoie un éminent ophtalmologiste, Hermentaire Truc, l'arrière-grand-père des auteurs, pour opérer le roi.
Le médecin débarque à Saïgon puis Phnom-Penh alors que les différentes factions manœuvrent en coulisse pour faire chuter le roi pro-français. Les allemands soutiennent les bonzes du clergé bouddhiste et même un prince rebelle, Norodom Yukanthor, car le Kaiser Guillaume II aimerait bien agrandir son empire colonial.
Phnom-Penh et Saïgon sont alors de véritables nids d'espions et la mission du toubib va s'avérer bien délicate tant sur le plan médical que sur le plan diplomatique ... Le roi sera même opéré à Saïgon pour l'éloigner quelque temps de Phnom-Penh et des intrigues de cour !
« Quel cirque ! Tout cela pour une cataracte, royale certes, mais une cataracte ... »
Pour romancer leur intrigue, les scénaristes plongent leur aïeul Hermentaire Truc dans un véritable dilemme : va-t-il rester fidèle à son serment d'Hippocrate pour redonner la vue au roi et perpétuer ainsi le pouvoir colonial français qui maintient dans la misère le peuple cambodgien grâce au commerce d'opium ?
« - L'opération aurait-elle échoué ?
- Échoué ? Échoué pour qui ? Je n'en sais rien. »
Une intrigue qui mettra en scène, c'est le cas de le dire, les danseuses apsaras du royaume, les fameuses danseuses aux dents noires (effet dû à une teinture renouvelée fréquemment) : quelques années auparavant, en 1906, les danseuses du ballet royal avaient subjugué le Tout-Paris lors d'une visite officielle du roi. Cocteau, Rodin et bien d'autres avaient été fascinés par la grâce de leur art ancestral.
Le scénario imaginé par les cousins Truc est captivant : s'appuyant largement sur les mémoires de leur arrière-grand-père, l'intrigue mêle habilement faits véridiques et roman d'espionnage.
Il ne s'agit pas d'un simple album de Tintin au Cambodge et on apprend ainsi plein de choses sur la présence française en Indochine, entre ces deux guerres avec l'Allemagne, celle de 1870 et celle de 1914 à venir.
L'album comporte d'ailleurs un excellent dossier qui éclaire les différents points de l'affaire, photos d'époque à l'appui.
Les dessins de Stalner sont ceux d'une belle ligne claire mais sont ici mis en valeur par une belle et soyeuse colorisation qui parvient à rendre l'humidité poisseuse qui règne en Asie du Sud-Est pendant la saison des pluies.
Qu'il s'agisse du faste royal, des eaux sombres du fleuve ou du vert impénétrable de la forêt, ces couleurs d'orient sont superbes.
Le dessinateur a même invité au spectacle tout le folklore indochinois : sampan aux gros yeux bigarrés, maison khmère, moustache et costume colonial, fumerie d'opium, éléphant et panthère, palais royal et temple, eau, fleuve et pluie, ...
Et bien sûr, les fameuses danseuses royales qui faisaient rêver Rodin.
Alexander Utkin poursuit son exploration du folklore russe après son excellent Le Roi des oiseaux et je suis carrément partisan de cette lecture très belle et réussie, selon moi.
Tout comme le premier opus, nous aurons ici diverses histoires sous forme de conte, parfois étrange, faisant appel à un folklore russe et qui finissent ainsi que de nombreux contes. Comme souvent avec cette forme, ce n'est pas l’originalité qui prime mais le ton, l'ambiance et la morale du récit. Et je suis personnellement comblé de la façon dont tout ceci s'organise !
Alexandre Utkin part d'un premier conte que j'ai reconnu (je l'avais étant enfant) et que j'aime beaucoup, puis développe ensuite l'histoire de la Princesse guerrière, qui est assez indépendant même si quelques faibles liens subsiste. De la même manière que Michael Ende dans son Histoire sans fin, le récit est souvent ponctué de petits détails qui semblent indiquer une origine d'un autre conte mais qui ne sera pas raconté, tissant ainsi un monde d'imaginaires dont nous n’apercevons qu'une petite partie. L'auteur tisse de nombreux liens avec son précédent ouvrage et laisse ainsi l'imaginaire combler les zones d'ombres qu'il disperse dans le récit.
Le dessin de l'auteur est toujours aussi excellent, et fait une grande partie de la force de ses récits. C'est un trait charbonneux rehaussé de couleur qu'on dirait fait à la craie grasse. L'ensemble à une patte graphique indéniable, faisant "conte" à la manière de vieilles illustrations tout en se tenant parfaitement comme BD. De fait la lecture est simple et claire, tout en étant vive et colorée. L'auteur s'amuse dans les pages, faisant parfois des images proches de l’enluminure et des pleines planches de combat. Je suis personnellement sous le charme de son travail graphique !
Une deuxième BD de conte tout aussi réussie que la première. Si vous avez lu et aimé Le Roi des oiseaux, ce deuxième volume ne pourra que vous combler et je vous le recommande fortement. Une petite pépite de conte que j'affectionne tout particulièrement.
J’ai vraiment adoré Gung Ho ! De base, je suis un grand fan des univers post-apocalyptiques, peu importe le format : en films (World War Z, Je suis une légende), en comics (The Walking Dead), en romans ou même en jeux vidéo (Metro 2033, The Last of Us). Du coup, cette BD cochait déjà toutes les cases pour moi… et elle a largement dépassé mes attentes.
Ce que j’ai trouvé génial, c’est la manière dont l’univers est construit : brutal, oppressant mais aussi hyper crédible. On sent le danger omniprésent, et en même temps, on retrouve cette énergie de la jeunesse qui refuse de plier, même face au chaos. Les personnages sont marquants, chacun avec ses faiblesses et ses coups de rage, ce qui les rend super attachants et humains.
Graphiquement, c’est une claque : le trait est nerveux, les planches regorgent de détails, et les couleurs donnent une identité visuelle unique à la BD. L’ambiance est tellement immersive qu’on a l’impression de marcher dans ce monde ravagé aux côtés des héros.
Si comme moi vous aimez les récits post-apo qui mélangent tension, humanité et adrénaline, foncez les yeux fermés !
Avant de se faire connaître comme auteur de bandes dessinées policières et historiques, François Dimberton a commencé avec des récits dans la veine de Tillieux comme Alex - Gentleman détective ou Celsius. Ici, il commence à trouver sa propre identité. L'auteur dont on pourrait probablement le rapprocher le plus serait Greg, pour la loufoquerie de ses aventures, mais la comparaison s'arrête là. Même si certaines péripéties et leur résolution peuvent paraître un peu faciles, c'est autorisé par l'absurdité du ton choisi. C'est vraiment là que Fred et Alfred fonctionne le mieux : ça part dans tous les sens, et c'est pour ça que c'est génial ! On ne sait jamais où le scénario va nous emmener, ce qui permet à Dimberton d'ouvrir un champ des possibles parfaitement réjouissant.
Le dessin épuré, dans la plus pure veine d'un Tillieux ou d'un Franquin (pas toujours avec la même maîtrise, certes) flatte l'œil du début à la fin. C'est toujours très lisible et agréable à lire, c'est dynamique, bondissant, coloré... Ajouté à l'imprévisibilité du scénario et à l'humour souvent efficace des dialogues et des situations, cela donne une belle bande dessinée d'aventures comme on les aime ! Dommage qu'il n'y ait eu que deux tomes, mais on profite sans retenue de cette pépite si injustement oubliée.
Après relecture de l’ensemble de la série, mon cœur balance entre le 3/5 et le 4/5.
D’une part, je trouve que la série se traine par moments et qu’elle ne parvient pas à apporter un plus réel par rapport à la série mère.
D’autre part, j’ai aimé retrouver les personnages principaux de la quête et, surtout, la fin de la série offre une vraie trouvaille scénaristique. Certes pas aussi forte en émotion que celle de la Quête, mais tout de même assez marquante pour que je me dise « wouaw ! »
Immanquablement, je n’ai pu m’empêcher de comparer les deux cycles et s’il est bien un point sur lequel je trouve qu’avant la Quête surpasse La Quête de l'Oiseau du Temps, c’est au niveau du dessin. Pourtant les dessinateurs et coloristes se sont succédés mais l’ensemble reste toujours harmonieux et, dès le premier tome, la qualité du trait est de haut vol. Finie, l’époque où le lecteur devait accepter les approximations d’une jeune série. Ici, on sent bien que la barre est directement placée très haut.
L’histoire, elle, tient la route. Je dirais même qu’elle semble avoir été plus réfléchie en amont que la Quête (même si elle avait l’incommensurable avantage de pouvoir s’appuyer sur celle-ci). Malheureusement, comme dit plus haut, je trouve aussi qu’elle se traîne par moments. Certes, cela permet de laisser les personnages évoluer (et ainsi d’expliquer certains revirements ou la complexité de certaines relations) mais ça casse le rythme d’une histoire que j’attendais plus épique.
Si certains des personnages attendus surprennent agréablement (Bulrog, Fol de Dol, voire même Mara), je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de déception concernant un Rige que j’ai trouvé finalement très simpliste.
Parce que le dessin est bon, parce que l’intrigue se tient et parce que la fin est marquante, je vais quand même dire 4/5. Mais ce cycle est quand même bien inférieur en termes de progression dramatique et donc d’émotion que ne le fut la Quête.
Si un nouveau lecteur devait me demander dans quel ordre lire les deux cycles, je lui conseillerais tout de même de commencer par la Quête avant de lire ce préquel. En effet, je pense que l’attachement aux personnages que parvient à créer le cycle originel joue dans l’appréciation que l’on peut avoir d’avant la Quête. Et qu’a contrario, la qualité du dessin de ce cycle est telle qu’un nouveau lecteur risque de ne pas être très indulgent avec le premier tome de la Quête (qui, il faut bien l’admettre, est quand même très brouillon en comparaison).
Il m'en a fallu du temps avant de lire cette série. Il faut dire que chaque fois que je pensais la prendre à la bibliothèque, il y avait toujours au moins un ou deux tomes manquant et j'avais pas envie de la lire avec des trous. Il faut dire aussi que j'avais peur de tomber dans un scénario tellement complexe que j’allais me perdre et du coup j'ai attendu et attendu et lorsque j'ai finalement décidé que lire cette série serait une priorité, ben j'ai emprunté d'un coup les 14 premiers tomes de la série ! J'ai tellement attendu qu'un paquet de tomes étaient déjà sortis, mais je ne vais pas me plaindre parce que cela m'a permis de lire deux cycles complets sans avoir à attendre et j'ai une bonne vue d'ensemble de la série.
Le premier cycle est vraiment excellent et j'ai adoré lire cette lutte de pouvoir dans la cité des félins. Certes, il y a beaucoup de personnages, d'intrigues et de sous-intrigues et il faut bien s'accrocher vu le nombre de retournement de situations, mais c'est très bien fait. Le scénario est palpitant et il y a une bonne galerie de personnages. Le dessin est pas mal et les personnages sont bien typés. Puis vient le deuxième cycle qui m'a vite refroidi. Alors que les félins étaient faciles à différencier, c'est un peu moins le cas avec les singes. c'était souvent confus et je ne me rappelais plus qui était qui. Les luttes entre membres du même clan de singes ressemblent trop à ce qu'on a vu dans le premier cycle et surtout l'histoire fait un peu du surplace juste pour que le cycle ait 6 tomes.
Bref, je commençais à m'ennuyer un peu et puis la seconde partie du dernier tome de ce cycle m'a captivé parce que l'intrigue générale sur l'avenir des 5 terres avance enfin et c'était passionnant. Les deux tomes suivant du troisième cycle qui met en vedette les ours ont confirmé que la série redevenait intéressante, on a droit à la fois à ce que font les ours en dehors de leur territoire pour se venger des félins dont le pouvoir décline et à ce qui se passe sur leur propre territoire, on ne perd pas son temps comme dans le deuxième tome et la fin du tome 14 me donne envie de lire la suite.
Donc voilà pour l'instant je donnerais 4.5/5 pour les cycles 1 et 3 et 2/5 pour le cycle 2. Espérons que ce cycle avec les singes qui m'a moins enthousiasmé ne sera qu'une erreur de parcours !
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Leave them alone
Arizona, 1874. Dans le décor aride du western classique, les diligences sont systématiquement attaquées par une bande de hors-la-loi qui massacrent tous les passagers. Les autorités de Flagstaff n'en peuvent plus : il faut que l'argent des banques circule de nouveau. Elles montent alors un piège pour neutraliser les voleurs. Sans le vouloir, cette opération va plonger un trio de femmes et un étranger dans une tragédie. Leave Them Alone est un western pur et dur, classique dans sa construction mais enrichi par une place importante accordée aux personnages féminins. Le ton reste réaliste et âpre, proche de celui des meilleurs westerns crépusculaires. Le dessin de Christophe Regnault s'accorde parfaitement au genre. Son trait organique capte bien l'atmosphère des déserts écrasés de soleil, des bandits miteux dignes d'un Morricone, des héros désabusés, mais aussi des femmes endurcies par la rudesse de l'Ouest. Le grand format de l'album met toutefois parfois son encrage épais en difficulté, donnant l'impression de cadrages trop serrés, surtout dans les premières pages. Heureusement, dès que la mise en scène s'élargit, le dessin retrouve toute sa force. Le scénario est solide, précis et mené avec rigueur. Les différents personnages s'entrecroisent de manière fluide jusqu'au climax, où l'action explose véritablement. Qu'il s'agisse des malfrats détestables, du pistolero solitaire, de la prostituée qui veut fuir son souteneur, ou encore de la grand-mère et de sa petite-fille tenant le relais de diligence, tous sont bien campés et apportent à l'histoire. L'intrigue ne ménage aucune concession : cruelle quand il le faut, avec un drame inattendu en milieu d'album rappelant que personne n'est à l'abri. Mais elle conserve aussi une part d'optimisme, parfois à la limite de la vraisemblance, comme dans le cas de ces deux femmes survivant seules dans le désert avec l'aide d'un Navajo, ou dans sa conclusion même. Cet équilibre entre dureté et espoir permet néanmoins de livrer une histoire prenante, rythmée et pleinement satisfaisante. Un western efficace, sombre mais généreux, qui tient toutes ses promesses.
Le Dernier debout - Jack Johnson, fils d’esclaves et champion du monde
Aucune personne de couleur dans ce monde n’a assez d’argent pour changer le noir en blanc. - Ce tome contient une biographie du champion de boxe Jack Johnson (1878-1946). Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Youssef Daoudi pour les dessins et les aplats de rouge, par Adrian Matejka pour la poésie (mention portée en lieu et place de scénario), et traduit par Sidonie van den Dries. Il compte trois cent huit pages de bande dessinée. En fin de tome se trouvent une chronologie des événements réels en quarante dates, une bibliographie sélective recensant une douzaine d’ouvrages, et deux pages de remerciements un quart rédigé par le dessinateur sur le mode collaboratif avec le scénariste, et trois quarts rédigés par ce dernier sur les quinze ans qu’il a consacré à ce projet, explicitant sa démarche. Jack Johnson expose que : Depuis la nuit des temps, les hommes n’ont cessé de combattre avant de se battre pour de l’agent. Ils se battaient avec les mains. Ils se battaient avec des cailloux, des bâtons. Ils se battaient pour conquérir les jolies femmes. Ils se battaient pour avoir de la viande, et le privilège de s’asseoir près du feu les soirs d’hiver. Les matchs de boxe ne sont qu’une version plus distrayante de ces luttes préhistoriques… et il est le meilleur combattant que la Terre ait porté. Le 4 juillet 1910, l’aube avait des allures de châtiment… À Reno, les anciens disaient que le soleil n’avait jamais été aussi proche. C’était le genre de chaleur qui vide les verres d’eau comme par magie et fait bouillir la sueur sur les fronts. Les œufs cuisaient sans feu. Les cigares s’allumaient spontanément. Ça n’a pourtant pas dissuadé les 20.000 spectateurs de débarquer en automobile, à cheval et en voiture à cheval. Des trains arrivaient toutes les demi-heures des quatre coins du pays. Quand les wagons étaient bondés, les fans voyageaient sur le toit. On était prêt à se ligoter à une locomotive pour assister au Combat du siècle. Bien sûr, Tex Rickard a choisi d’organiser le combat entre Johnson et Jeffries dans le Nevada. Et bien sûr, il a choisi Reno. Reno, où il était aussi facile et aussi bon marché de divorcer que de se faire servir un verre de whisky. Les parieurs, les supporters, les prostituées et les fans de combat ont envahi les rues, les poches pleines à craquer d’argent liquide. Presque tous les paris étaient en faveur de Jeffries. Les pickpockets et les petits voleurs étaient à l’œuvre. Les tickets étaient vendus aussitôt imprimés. Seuls 16.000 fans déchaînés purent s’en procurer un. Tous ces imbéciles pariaient contre Johnson. C’est comment déjà, le dicton sur le fou et son argent. Dans le désert, le soleil était presque au zénith. La chaleur était de plus en plus torride, mais les supporters en costume continuaient d’affluer. Les scieries et les charpentiers travaillaient dans la journée, en plein cagnard, et la nuit à la lumière des torches. Ils avaient eu moins de trois semaines pour construire le stade. L’air sentait la sciure, la sueur et la résine de pin des planches qu’on utilisait pour faire les gradins. On entendait encore les marteaux et les scie à l’œuvre, pendant que les spectateurs faisaient la queue. Mais ils l’ont terminé à temps. Johnson est prêt. Il est prêt depuis le jour où il a quitté Gavelstone pour faire fortune. Il est possible que le lecteur ait déjà entendu parler de Jack Johnson, soit parce qu’il apprécie la boxe, soit parce qu’il apprécie le jazz (l’album A tribute to Jack Johnson, 1971, de Miles Davis, 1926-1991), soit parce qu’il est familier avec l’histoire des Afro-Américains. Il est également possible qu’il découvre son histoire avec cette bande dessinée. Un rapide feuilletage montre des dessins dans un registre réaliste, avec un encrage parfois un peu acéré, parfois un peu pâteux, des aplats de noirs aux formes irrégulières, qui confèrent une rudesse certaine aux personnages, évoquant une vie dure, de combat, en parfaite adéquation avec les combats de boxe. Le lecteur peut y déceler comme une réminiscence de la virilité des dessins de Joe Kubert et de ceux de Jordi Bernet. Il comprend immédiatement que l’usage de la teinte rouge avec une légère nuance de rose permet de rehausser les éléments participant aux différentes formes de violence, à l’intensité d’un moment, à une forme de domination économique ou sociale. Il remarque également que dans le fil d’une forme traditionnelle de bande dessinée avec cases et phylactères, se trouvent des pages s’apparentant à une illustration accompagnée d’un texte, souvent disposé en de courtes lignes, à l’instar d’un poème. Le récit commence en 1910 par l’explication du choix de la ville pour le combat de boxe opposant Jack Johnson à James J. Jeffries (1875-1953), l’arrivée des spectateurs, le prix des tickets, la détermination de Jack Johnson, l’ambiance ouvertement raciste et agressivement raciste, et un interlude dans le futur (du récit) en 1938 où Johnson se tient sur scène en train de raconter son histoire. En page quarante-six le lecteur découvre la mention Round 1 : il comprend que vont suivre quinze chapitres, chacun correspondant à un round du combat, avec un va et vient entre les souvenirs du boxeur, ses déclarations lors de son seul en scène, et ses commentaires sur sa condition, sur l’époque, sur les enjeux sous-jacents. Les auteurs font preuve d’une réelle honnêteté en consacrant une part significative au combat du siècle (qualificatif d’époque), à la boxe, qui est au cœur de l’identité de Johnson, qui constitue son métier professionnel, qui est indissociable de son caractère, de sa personnalité, de son histoire. D’un autre côté, le récit reste dans la narration, sans vulgarisation des techniques de boxe. La lecture s’avère très facile, éloignée des tics habituels d’un ouvrage de nature historique : pas de pavé de texte explicatif avec des cases d’illustrations, pas de reportage chronologique. Voire s’il n’y prête pas attention, le lecteur peut passer à côté du lien direct entre la façon de raconter le combat au temps présent, et Jack Johnson sur scène s’adressant à un public. La narration visuelle commence par trois pages aérées : trois cases de la largeur de la page sur la première, puis deux, puis trois. Les dessins se focalisent sur les poings en train de boxer dans le vide, avec un court texte en-dessous de chaque case. Puis ils passent aux paysages aux alentours de Reno : des montagnes dans le lointain, un lézard en gros plan, une voiture soulevant un nuage de poussière, une moto d’époque, l‘arrivée du train… Le lecteur apprécie vite cette reconstitution historique visuelle, avec une sensation palpable de textures, avec une apparence de matières mises à l’épreuve par le temps et par l’usure, avec cette sensation d’une réalité dure, rugueuse et âpre. L’artiste met à profit la pagination conséquente pour mettre en œuvre trois types de mises en page différentes. Il réalise des pages descriptives, denses en information visuelles, que ce soit pour les décors, les paysages, les personnages et les tenues vestimentaires, une approche réaliste de documentée. À d’autres moments, il se focalise sur les personnages, soit en pied, soit en gros plan, bougeant et se déplaçant sur un fond vide, pour mieux faire ressortir leurs mouvements (par exemple celui des boxeurs), ou le langage corporel entre deux personnes, Jack et son épouse, ou son agent, ou autre. Le lecteur découvre également un certain nombre de séquences avec des fonds de pages noir (gouttières et bordures), avec parfois uniquement Jack Johnson en train de parler, ou bien une illustration d’un objet, d’une affiche accompagnée d’un texte disposé en courtes lignes, comme un poème. Lorsque les auteurs évoquent les réactions des journaux, le dessinateur peut adopter une mise en page avec des manchettes et des colonnes de journal, des illustrations à la manière des dessins humoristiques ou caricaturaux de l’époque. Cette mise en œuvre de formats différents participe au rythme de la lecture et à sa diversité. En outre, le lecteur ressent rapidement le qualificatif donné au scénariste : poésie d’Adrian Matejka. Lors des séquences avec une illustration accompagnée d’un texte disposé en courtes lignes, il voit en quoi cela participe d’une forme de poésie, très réaliste, sans rime (même si elles peuvent s’être perdues à la traduction), des réflexions construites sur la base d’un état d’esprit, au cours desquelles le narrateur prend du recul sur sa condition, sur l’image que le monde renvoie de lui, sur sa nécessaire adaptation à la réalité de la place assignée aux Afro-Américains par la société. Les auteurs mettent en scène le racisme de manière frontale, sans prendre de pincette, tel que Jack Johnson l’a vécu, ou plutôt l’a affronté, tel qu’issu de l’histoire des esclaves. Ils savent entremêler de manière organique la pratique professionnelle de la boxe, le mur auxquels se heurtent les Afro-Américains (dont la Color Line), et la personnalité de Jack Johnson à la fois boxeur par vocation, à la fois individu animé par la combativité dans la vie de tous les jours comme sur le ring. Ainsi, cet être humain apparaît comme un produit de l’environnement dans lequel il est né et a grandi, comme un combattant dans l’âme, comme une personne faisant preuve de recul sur sa situation sociale, sur les forces systémiques auxquelles il est confronté, qui modèlent sa vie, qui l’emprisonnent dans un rôle. La construction narrative et la sensibilité du récit vont bien au-delà d’une biographie rigoureuse : le lecteur éprouve une forte sympathie pour Jack Johnson, associée à une empathie profonde, comprenant aussi bien que ressentant sa frustration qu’il transforme en rage combative pour vaincre ses adversaires, exercer son art à la hauteur de son talent, exulter au-delà des limites systémiques de la société de l’époque. Dans le même temps, ils montrent aussi les aspects négatifs d’un tel mode de vie, à commencer pour sa compagne Etta Duryer. Un boxeur de légende à plus d’un titre : premier champion du monde poids lourds noir, confronté de plein fouet au racisme très ouvert de la société de son pays. Les auteurs font usage des spécificités et des capacités de la bande dessinée, avec maîtrise et inventivité, dans une forme conçue sur mesure, pour une expressivité protéiforme. Le lecteur découvre la biographie de Jack Johnson, fait l’expérience de l’oppression systémique, ressent pleinement la combativité qui l’anime et sa capacité à sublimer la colère générée par le racisme. Être Jack Johnson.
Au-delà de Neptune
Au-delà de Neptune est un voyage à la fois intime et cosmique, qui illustre parfaitement l’ambition du nouveau label Aux confins des éditions Steinkis, dédié aux récits de genre étrangers. Signé par l’Italien Gabriele Melegari, ce one-shot raconte l’odyssée solitaire de Lela, unique astronaute à bord du vaisseau-télescope Ulysse, en route vers Neptune en 2283. Pendant plus de sept ans, elle vit coupée de la Terre, retransmettant ses rapports vidéo avec une précision quasi militaire, mais aussi avec une honnêteté crue sur ses états d’âme, ses doutes et ses regrets, notamment celui d’avoir laissé sa compagne sur une Terre polluée. Melegari réussit un subtil équilibre entre SF et introspection. Lela n’est pas seulement exploratrice, elle incarne une tension entre vocation altruiste et désir personnel de découverte, entre la quête de solutions pour sauver l’humanité et l’appel irrésistible de l’infini cosmique. L’auteur interroge ainsi des thématiques contemporaines comme le dérèglement climatique et la dépendance à la technologie, sans jamais imposer de réponses faciles, laissant le lecteur méditer sur ce qui pourrait attendre l’Homme au-delà de notre système solaire. Graphiquement, l’album est un régal. Les scènes spatiales sont vertigineuses, mélangeant perspectives imposantes, décors technologiques détaillés et plongées lyriques dans des paysages exoplanétaires enchanteurs. L’usage de la gouache et de l’aquarelle donne une densité et une profondeur au noir spatial qui rendent l’expérience visuelle presque palpable. Les hallucinations de Lela, ses souvenirs de Béa et ses explorations virtuelles des exoplanètes sont autant d’occasions pour Melegari de mêler réalisme scientifique et lyrisme. Au-delà de Neptune est une réussite qui capte le lecteur dès la première page et le maintient suspendu jusqu’au dénouement. C’est un premier album prometteur qui inaugure idéalement le label Aux confins, à la fois par la force de son récit et la beauté de son objet-livre. On en ressort avec l’impression d’avoir voyagé autant dans l’espace que dans l’esprit d’une héroïne attachante et complexe.
Les Temps retrouvés
Difficile de noter cette BD qui déborde de bon sentiment jusqu'à sentir l'eau de rose un peu trop fortement, tout en étant sincèrement touchante sur la vieillesse et l'amour. Ce manga en deux tomes nous conte l'histoire simple et charmante de deux petits vieux de 70 ans, chacun veuf/veuve, qui se rencontrent et développent un attachement l'un à l'autre, faisant refleurir la vie là où ils attendaient docilement la mort. L'ensemble va assez loin, puisque les deux petits vieux s'imaginent convoler en juste noces, afin de finir leurs vies ensemble, alors que leurs familles respectives ne sont absolument pas d'accord. Le pitch lancé, tout semble classique et convenu, et je dois dire que c'est exactement ce qu'on trouve dans la BD. Du coup, il est difficile de dire qu'on sera surpris, d'autant que la BD reste assez clair sur les clichés manipulés (amis rigolos et exubérants, difficulté de communiquer avec ses enfants, ...) tout en parlant de façon touchante de l'amour et du couple. Donc en gros, c'est une comédie romantique classique sauf que les deux protagonistes sont deux petits vieux qui se racontent leurs vies passées. Et puis voila ... Maintenant, il faut le dire, ça marche. C'est convenu, mais ça marche. Les relations sont brossés sans trop de pudeur et le tout va juste assez vite pour que l'on ne soit pas ennuyé, mais assez lentement pour faire crédible et ressentir la découverte l'un de l'autre. De même, le dessin en douceur et faisant la part belle aux silences donne un sentiment de comédie romantique de Noël, clichée mais qu'on aime tant. Et je ne saurais dire pourquoi, mais j'ai bien aimé. C'est aussi simple que vous l'imaginez et pourtant, sur moi ça a marché. Peut-être parce que la BD ne cherche jamais à faire plus, ni tomber dans le pathos, mais j'ai ressenti à la lecture une forme de sincérité touchante et c'est à peu près tout ce que je pourrais en dire. Inexplicablement, j'ai trouvé ça très sympa.
La Danseuse aux dents noires
En 1912, un médecin est envoyé au Cambodge pour opérer le roi (pro-français) d'une cataracte. Le récit est basé sur les mémoires de cet ophtalmologiste et agrémenté d'une intrigue d'espionnage qui nous révèle les enjeux de ces colonies lointaines. Une BD qui a un petit "truc" en plus. On connaissait bien Olivier Truc pour ses polars ethniques en Laponie, du Premier Renne au Dernier Lapon, en passant par la série de la Brigade des Rennes. Le frenchy adopté par les suédois s'était même aventuré du côté des Sentiers obscurs de Karachi. On n'a donc guère hésité à suivre l'écrivain voyageur en Asie avec La danseuse aux dents noires, en format BD. Mais il doit y avoir un truc avec cette BD puisque le scénario est cosigné par ... Jean-Laurent Truc ?! Un air de famille car ils sont en effet cousins et la BD s'inspire librement des mémoires d'un aïeul, Hermentaire Truc ! Jean-Laurent Truc est le spécialiste de la BD qui anime le site Ligne Claire. Aux pinceaux, ce sera Eric Stalner : vous vous souvenez peut-être de cette "vieille" série Le Boche (1990 !) mais Stalner a également adapté plus récemment des romans d'un autre voyageur, Nicolas Vanier, comme Loup. En 1912, le roi Sisowath du Cambodge (à l'époque sous protectorat français) souffre gravement d'une cataracte. Pour rétablir le prestige vacillant de la République, le gouvernement français envoie un éminent ophtalmologiste, Hermentaire Truc, l'arrière-grand-père des auteurs, pour opérer le roi. Le médecin débarque à Saïgon puis Phnom-Penh alors que les différentes factions manœuvrent en coulisse pour faire chuter le roi pro-français. Les allemands soutiennent les bonzes du clergé bouddhiste et même un prince rebelle, Norodom Yukanthor, car le Kaiser Guillaume II aimerait bien agrandir son empire colonial. Phnom-Penh et Saïgon sont alors de véritables nids d'espions et la mission du toubib va s'avérer bien délicate tant sur le plan médical que sur le plan diplomatique ... Le roi sera même opéré à Saïgon pour l'éloigner quelque temps de Phnom-Penh et des intrigues de cour ! « Quel cirque ! Tout cela pour une cataracte, royale certes, mais une cataracte ... » Pour romancer leur intrigue, les scénaristes plongent leur aïeul Hermentaire Truc dans un véritable dilemme : va-t-il rester fidèle à son serment d'Hippocrate pour redonner la vue au roi et perpétuer ainsi le pouvoir colonial français qui maintient dans la misère le peuple cambodgien grâce au commerce d'opium ? « - L'opération aurait-elle échoué ? - Échoué ? Échoué pour qui ? Je n'en sais rien. » Une intrigue qui mettra en scène, c'est le cas de le dire, les danseuses apsaras du royaume, les fameuses danseuses aux dents noires (effet dû à une teinture renouvelée fréquemment) : quelques années auparavant, en 1906, les danseuses du ballet royal avaient subjugué le Tout-Paris lors d'une visite officielle du roi. Cocteau, Rodin et bien d'autres avaient été fascinés par la grâce de leur art ancestral. Le scénario imaginé par les cousins Truc est captivant : s'appuyant largement sur les mémoires de leur arrière-grand-père, l'intrigue mêle habilement faits véridiques et roman d'espionnage. Il ne s'agit pas d'un simple album de Tintin au Cambodge et on apprend ainsi plein de choses sur la présence française en Indochine, entre ces deux guerres avec l'Allemagne, celle de 1870 et celle de 1914 à venir. L'album comporte d'ailleurs un excellent dossier qui éclaire les différents points de l'affaire, photos d'époque à l'appui. Les dessins de Stalner sont ceux d'une belle ligne claire mais sont ici mis en valeur par une belle et soyeuse colorisation qui parvient à rendre l'humidité poisseuse qui règne en Asie du Sud-Est pendant la saison des pluies. Qu'il s'agisse du faste royal, des eaux sombres du fleuve ou du vert impénétrable de la forêt, ces couleurs d'orient sont superbes. Le dessinateur a même invité au spectacle tout le folklore indochinois : sampan aux gros yeux bigarrés, maison khmère, moustache et costume colonial, fumerie d'opium, éléphant et panthère, palais royal et temple, eau, fleuve et pluie, ... Et bien sûr, les fameuses danseuses royales qui faisaient rêver Rodin.
La Princesse guerrière
Alexander Utkin poursuit son exploration du folklore russe après son excellent Le Roi des oiseaux et je suis carrément partisan de cette lecture très belle et réussie, selon moi. Tout comme le premier opus, nous aurons ici diverses histoires sous forme de conte, parfois étrange, faisant appel à un folklore russe et qui finissent ainsi que de nombreux contes. Comme souvent avec cette forme, ce n'est pas l’originalité qui prime mais le ton, l'ambiance et la morale du récit. Et je suis personnellement comblé de la façon dont tout ceci s'organise ! Alexandre Utkin part d'un premier conte que j'ai reconnu (je l'avais étant enfant) et que j'aime beaucoup, puis développe ensuite l'histoire de la Princesse guerrière, qui est assez indépendant même si quelques faibles liens subsiste. De la même manière que Michael Ende dans son Histoire sans fin, le récit est souvent ponctué de petits détails qui semblent indiquer une origine d'un autre conte mais qui ne sera pas raconté, tissant ainsi un monde d'imaginaires dont nous n’apercevons qu'une petite partie. L'auteur tisse de nombreux liens avec son précédent ouvrage et laisse ainsi l'imaginaire combler les zones d'ombres qu'il disperse dans le récit. Le dessin de l'auteur est toujours aussi excellent, et fait une grande partie de la force de ses récits. C'est un trait charbonneux rehaussé de couleur qu'on dirait fait à la craie grasse. L'ensemble à une patte graphique indéniable, faisant "conte" à la manière de vieilles illustrations tout en se tenant parfaitement comme BD. De fait la lecture est simple et claire, tout en étant vive et colorée. L'auteur s'amuse dans les pages, faisant parfois des images proches de l’enluminure et des pleines planches de combat. Je suis personnellement sous le charme de son travail graphique ! Une deuxième BD de conte tout aussi réussie que la première. Si vous avez lu et aimé Le Roi des oiseaux, ce deuxième volume ne pourra que vous combler et je vous le recommande fortement. Une petite pépite de conte que j'affectionne tout particulièrement.
Gung Ho
J’ai vraiment adoré Gung Ho ! De base, je suis un grand fan des univers post-apocalyptiques, peu importe le format : en films (World War Z, Je suis une légende), en comics (The Walking Dead), en romans ou même en jeux vidéo (Metro 2033, The Last of Us). Du coup, cette BD cochait déjà toutes les cases pour moi… et elle a largement dépassé mes attentes. Ce que j’ai trouvé génial, c’est la manière dont l’univers est construit : brutal, oppressant mais aussi hyper crédible. On sent le danger omniprésent, et en même temps, on retrouve cette énergie de la jeunesse qui refuse de plier, même face au chaos. Les personnages sont marquants, chacun avec ses faiblesses et ses coups de rage, ce qui les rend super attachants et humains. Graphiquement, c’est une claque : le trait est nerveux, les planches regorgent de détails, et les couleurs donnent une identité visuelle unique à la BD. L’ambiance est tellement immersive qu’on a l’impression de marcher dans ce monde ravagé aux côtés des héros. Si comme moi vous aimez les récits post-apo qui mélangent tension, humanité et adrénaline, foncez les yeux fermés !
Les Aventures de Fred et Alfred
Avant de se faire connaître comme auteur de bandes dessinées policières et historiques, François Dimberton a commencé avec des récits dans la veine de Tillieux comme Alex - Gentleman détective ou Celsius. Ici, il commence à trouver sa propre identité. L'auteur dont on pourrait probablement le rapprocher le plus serait Greg, pour la loufoquerie de ses aventures, mais la comparaison s'arrête là. Même si certaines péripéties et leur résolution peuvent paraître un peu faciles, c'est autorisé par l'absurdité du ton choisi. C'est vraiment là que Fred et Alfred fonctionne le mieux : ça part dans tous les sens, et c'est pour ça que c'est génial ! On ne sait jamais où le scénario va nous emmener, ce qui permet à Dimberton d'ouvrir un champ des possibles parfaitement réjouissant. Le dessin épuré, dans la plus pure veine d'un Tillieux ou d'un Franquin (pas toujours avec la même maîtrise, certes) flatte l'œil du début à la fin. C'est toujours très lisible et agréable à lire, c'est dynamique, bondissant, coloré... Ajouté à l'imprévisibilité du scénario et à l'humour souvent efficace des dialogues et des situations, cela donne une belle bande dessinée d'aventures comme on les aime ! Dommage qu'il n'y ait eu que deux tomes, mais on profite sans retenue de cette pépite si injustement oubliée.
La Quête de l'Oiseau du Temps - Avant la Quête
Après relecture de l’ensemble de la série, mon cœur balance entre le 3/5 et le 4/5. D’une part, je trouve que la série se traine par moments et qu’elle ne parvient pas à apporter un plus réel par rapport à la série mère. D’autre part, j’ai aimé retrouver les personnages principaux de la quête et, surtout, la fin de la série offre une vraie trouvaille scénaristique. Certes pas aussi forte en émotion que celle de la Quête, mais tout de même assez marquante pour que je me dise « wouaw ! » Immanquablement, je n’ai pu m’empêcher de comparer les deux cycles et s’il est bien un point sur lequel je trouve qu’avant la Quête surpasse La Quête de l'Oiseau du Temps, c’est au niveau du dessin. Pourtant les dessinateurs et coloristes se sont succédés mais l’ensemble reste toujours harmonieux et, dès le premier tome, la qualité du trait est de haut vol. Finie, l’époque où le lecteur devait accepter les approximations d’une jeune série. Ici, on sent bien que la barre est directement placée très haut. L’histoire, elle, tient la route. Je dirais même qu’elle semble avoir été plus réfléchie en amont que la Quête (même si elle avait l’incommensurable avantage de pouvoir s’appuyer sur celle-ci). Malheureusement, comme dit plus haut, je trouve aussi qu’elle se traîne par moments. Certes, cela permet de laisser les personnages évoluer (et ainsi d’expliquer certains revirements ou la complexité de certaines relations) mais ça casse le rythme d’une histoire que j’attendais plus épique. Si certains des personnages attendus surprennent agréablement (Bulrog, Fol de Dol, voire même Mara), je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de déception concernant un Rige que j’ai trouvé finalement très simpliste. Parce que le dessin est bon, parce que l’intrigue se tient et parce que la fin est marquante, je vais quand même dire 4/5. Mais ce cycle est quand même bien inférieur en termes de progression dramatique et donc d’émotion que ne le fut la Quête. Si un nouveau lecteur devait me demander dans quel ordre lire les deux cycles, je lui conseillerais tout de même de commencer par la Quête avant de lire ce préquel. En effet, je pense que l’attachement aux personnages que parvient à créer le cycle originel joue dans l’appréciation que l’on peut avoir d’avant la Quête. Et qu’a contrario, la qualité du dessin de ce cycle est telle qu’un nouveau lecteur risque de ne pas être très indulgent avec le premier tome de la Quête (qui, il faut bien l’admettre, est quand même très brouillon en comparaison).
Les 5 Terres
Il m'en a fallu du temps avant de lire cette série. Il faut dire que chaque fois que je pensais la prendre à la bibliothèque, il y avait toujours au moins un ou deux tomes manquant et j'avais pas envie de la lire avec des trous. Il faut dire aussi que j'avais peur de tomber dans un scénario tellement complexe que j’allais me perdre et du coup j'ai attendu et attendu et lorsque j'ai finalement décidé que lire cette série serait une priorité, ben j'ai emprunté d'un coup les 14 premiers tomes de la série ! J'ai tellement attendu qu'un paquet de tomes étaient déjà sortis, mais je ne vais pas me plaindre parce que cela m'a permis de lire deux cycles complets sans avoir à attendre et j'ai une bonne vue d'ensemble de la série. Le premier cycle est vraiment excellent et j'ai adoré lire cette lutte de pouvoir dans la cité des félins. Certes, il y a beaucoup de personnages, d'intrigues et de sous-intrigues et il faut bien s'accrocher vu le nombre de retournement de situations, mais c'est très bien fait. Le scénario est palpitant et il y a une bonne galerie de personnages. Le dessin est pas mal et les personnages sont bien typés. Puis vient le deuxième cycle qui m'a vite refroidi. Alors que les félins étaient faciles à différencier, c'est un peu moins le cas avec les singes. c'était souvent confus et je ne me rappelais plus qui était qui. Les luttes entre membres du même clan de singes ressemblent trop à ce qu'on a vu dans le premier cycle et surtout l'histoire fait un peu du surplace juste pour que le cycle ait 6 tomes. Bref, je commençais à m'ennuyer un peu et puis la seconde partie du dernier tome de ce cycle m'a captivé parce que l'intrigue générale sur l'avenir des 5 terres avance enfin et c'était passionnant. Les deux tomes suivant du troisième cycle qui met en vedette les ours ont confirmé que la série redevenait intéressante, on a droit à la fois à ce que font les ours en dehors de leur territoire pour se venger des félins dont le pouvoir décline et à ce qui se passe sur leur propre territoire, on ne perd pas son temps comme dans le deuxième tome et la fin du tome 14 me donne envie de lire la suite. Donc voilà pour l'instant je donnerais 4.5/5 pour les cycles 1 et 3 et 2/5 pour le cycle 2. Espérons que ce cycle avec les singes qui m'a moins enthousiasmé ne sera qu'une erreur de parcours !