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Couverture de la série La Dernière Nuit d'Anne Bonny
La Dernière Nuit d'Anne Bonny

Je ne connaissais pas le podcast dont cet album est une adaptation, mais je dois dire que j'ai désormais sincèrement envie de l'écouter tant le récit a su me plaire. Comment raconter la vie d'un personnage historique sans trop romancer le tout, sans trop déformer leur passé par notre vision moderne, sans les ériger comme des caricatures, des individus presque légendaires là où toute personne reste bien humaine ? Ceci n'est pas une simple phrase d'accroche de ma part, il s'agit tout simplement du sujet de cet album. Sous couvert d'un postulat romancé - ici on imagine Anne Bonny racontant ses mémoires le soir de sa mort - on cherche vraiment à demander ce qu'il faut faire de ce genre de récits du passé. Le peu d'informations que nous possédons sur Anne Bonny nous vient d'une source unique qui était plus que probablement elle-même romancée pour le public de l'époque, donc pouvons-nous vraiment affirmer que l'image que nous avons d'Anne Bonny, même la plus objective que nous puissions tenter d'établir, soit vraiment ce qui se rapproche le plus de ce à quoi sa vie a vraiment ressemblé. L'album est régulièrement entrecoupé par les interventions de deux historien-ne-s. Iels ne sont pas d'accord sur la manière de retranscrire le personnage d'Anne Bonny, pas d'accord donc sur certains choix de cet album précis, mais leurs visions différentes sont toujours bien argumentées et apportent beaucoup à l'album. Contre toute attente, le point fort de l'album n'est pas la vie d'Anne Bonny elle-même mais bien tout le propos développé autour du besoin de retranscrire des histoires du passé, du devoir de se rapprocher le plus de la vérité et de la question de s'il est bon ou non de réinterpréter ces histoires avec nos attentes et regards bien contemporains. J'ai envie de dire, sommes-nous seulement parfaitement capables de nous affranchir de nos préconceptions sociales et de notre vision des époques retranscrites lorsque l'on aborde ces sujets-là ? Théoriquement oui, mais le simple fait que certains sujets et certaines figures historiques attirent plus que d'autres est déjà dû à nos constructions sociales contemporaines. Ici, en tout cas, c'est romancé (il n'y a qu'à voir la fin de l'album si vous en doutiez). On cherche à s'approcher le plus possible d'une vision réaliste du personnage mais il reste le fait que toute tentative de retranscrire une vie passé finira inlassablement pas donner un résultat romancé. Alors on peut essayer au mieux de s'approcher d'une version objective des évènements, on peut-même essayer de remettre en question les sources d'époques qui étaient sans doute elles-mêmes subjectives, mais est-il réellement possible de raconter, de rendre vivant un personnage passé sans romancer le moindre aspect de sa vie ? Je dirais que non, que l'objectivité absolue est malheureusement impossible (surtout sur des évènements que nous n'avons pas personnellement vus ou vécus), mais cela ne resterait après tout que ma vision de la chose. Devrions-nous alors arrêter de raconter ces histoires passées, d’enjoliver et déformer malgré nous ces vies qui ne sont pas les nôtres ? Dans cet album on pense que non, que l'on peut chercher à peindre la réalité, à souligner les destins exceptionnels, sans pour autant reléguer ces vies en figures de cartons pâtes tout juste bonnes à imager nos argumentaires contemporains. L'album (et donc probablement le podcast) est vraiment une porte ouverte sur une réflexion on ne peut plus passionnante. Quoi qu'il en soit, l'album est bon. La vie d'Anne Bonny est bien retranscrite (en tout cas bien abordée et développée à partir des quelques informations véridiques ou non que nous avons récupérées de l'époque, suivez un peu je n'ai fait que le répéter), le dessin est beau, la lecture est prenante et la réflexion sur la retranscription du passé est vraiment intéressante. Une lecture chaudement recommandée. (Note réelle 3,5)

09/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série La Longue Marche des Dindes
La Longue Marche des Dindes

Missouri, XIXe siècle, un jeune garçon peu doué pour l'école décide de se lancer dans une incroyable entreprise : convoyer un millier de dindes jusqu'à Denver, Colorado, où on lui a promis qu'elles se vendraient vingt fois leur prix. Soutenu par son institutrice qui croit en lui au point de financer l'expédition, il doit affronter plus de 1000 km de prairies sauvages, ne comptant que sur lui-même et sur les rares alliés qu'il saura se faire en chemin. Mêlant aventure initiatique et contexte historique solidement ancré, cette bande dessinée jeunesse met en avant la débrouillardise, l'esprit d'initiative et la solidarité. Le héros, présenté comme un garçon simple, presque naïf, se révèle en réalité d'une remarquable maturité. S'il n'excelle pas à l'école, il fait preuve d'un sens pratique, d'une capacité à anticiper les risques et à bien s'entourer qui forcent le respect. Sa lucidité face au danger et sa manière de composer avec les ressources humaines qu'il croise sur sa route forcent l'admiration. En lecteur pragmatique, j'étais souvent tendu à l'idée qu'il puisse tout perdre à cause d'un vol, d'une attaque animale, de dangers naturels ou simplement de la difficulté logistique à faire marcher un millier de dindes sur une telle distance. Pourtant, même si le récit porte une forme d'optimisme parfois un peu candide, il reste crédible et maintient un vrai suspense tout au long de l'aventure. La dimension humaine du récit n'est pas en reste : les liens forts qui se tissent avec ses compagnons contrastent avec le portrait sombre de son père, figure médiocre, voire détestable, qui endosse finalement le rôle de l'antagoniste principal. Le tout est servi par une narration fluide et efficace, dans un décor dépaysant et historiquement bien restitué. La conclusion, peut-être un peu trop heureuse pour être totalement réaliste, n'enlève rien au plaisir d'une lecture pleine de chaleur, d'espoir et d'entrain. Un bel exemple de BD jeunesse réussie, intelligente et attachante.

09/05/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 4/5
Couverture de la série Dans la tête d'un dessinateur de presse
Dans la tête d'un dessinateur de presse

Au fil des années, Thibault Soulcié s'est imposé comme l'un des caricaturistes les plus appréciés de la presse française. L'Equipe, Marianne, l'Est-Eclair, entre autres, font régulièrement appel à son humour grinçant pour croquer l'actualité. Mais dix ans après l'attentat de Charlie Hebdo, son expérience et sa réflexion sur son métier l'ont amené à écrire et dessiner un ensemble d'histoires courtes pour parler de son activité si particulière. Non qu'il sente sa sécurité, sa vie, menacées, mais il y a quand même une forme d'exposition, notamment via les réseaux sociaux. C'est l'un des aspects qu'il évoque dans ces pages, indiquant qu'il est quand même touché quand par exemple une communauté se sent agressée par un de ses dessins. Souvent il prend alors l'attache d'un(e) collègue, qui dédramatisent le problème. Il indique ainsi comment il procède pour essayer de trouver le "bon" dessin, capable d'être immédiatement compréhensible par tous les publics (en utilisant par exemple des figures maléfiques censées être connues de tous, comme Darth Vader), un processus complexe, qui lui demande une concentration maximale sur un temps limité parfois à quelques heures, quand il y a un évènement inattendu gravissime (comme des attentats...). Le challenge est également d'essayer de lier deux évènements d'actualité sur un seul dessin, un vrai travail d'équilibriste... Parlant de son travail, Soulcié se met en scène, dans une version carrément caricaturale de lui-même, notamment au niveau capillaire. Il est également amené chaque mois à parler de son métier à des collégiens, expliquant toutes ces contraintes... et récoltant régulièrement des silences assourdissants, parfois assortis de "la gênance" bien sentis de la part d'une génération qui n'a plus vraiment de culture populaire partagée avec celles d'avant, et construisant la sienne... Même si en lisant entre les lignes on peut discerner la crainte d'une disparition du dessin de presse, notamment avec l'arrivée de media rapidement consommés, on ne peut s'empêcher de sourire à chaque page, Soulcié étant un professionnel de l'humour (mais aussi un humain). Essentiel pour comprendre ce métier.

09/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série L'Âme du dragon
L'Âme du dragon

Dans un univers imprégné de culture japonaise médiévale, les dragons existent en êtres ambivalents, porteurs autant de bénédictions que de désastres. À l'écart de ce monde, sur une île-prison isolée, vit Isagi, bourreau de profession. Sa fonction, il la doit autant à sa dévotion qu'à son exceptionnelle maîtrise du sabre, capable d'offrir une mort sans souffrance. Un jour, un célèbre prisonnier lui révèle que ce don singulier lui permet également de percevoir la mémoire des condamnés au moment de leur exécution. Lorsque Isagi tranche finalement la tête de cet homme, devenu entretemps son mentor, il hérite d'un souvenir saisissant : cet ancien général fut condamné pour avoir vaincu un véritable dragon. C'est sur les traces de ce mystère qu'Isagi quitte l'île, accompagné du fils du défunt, déterminés à comprendre comment tuer un dragon, afin de prévenir une catastrophe imminente. L'Âme du dragon est un seinen de fantasy mature, aussi riche par son fond que raffiné dans sa forme. Le dessin, d'une grande précision, allie maîtrise technique et clarté narrative. Malgré la présence de créatures mythiques et de duels au sabre, l'œuvre privilégie la profondeur des dialogues et la réflexion intime à la pure action. L'univers, bien que familier dans ses codes, se distingue par une originalité certaine, notamment dans sa représentation subtile et spirituelle des dragons, à la manière des légendes asiatiques. Les relations entre les personnages sont particulièrement nuancées, chacun occupant une place singulière : Isagi, bourreau sensible habité par le doute ; le général, figure puissante et affable mais résignée ; et son fils, tiraillé entre admiration, jalousie et douleur. L'ensemble dégage une grande maturité émotionnelle et narrative. C'est une histoire pleine de potentiel qui soulève la curiosité et dont on se demande où elle va nous mener. Note : 3,5/5

05/05/2025 (MAJ le 08/05/2025) (modifier)
Couverture de la série Albin et Zélie
Albin et Zélie

Voilà un album qui s’éloigne énormément des sentiers battus, et qui devrait être ciblé par les lecteurs curieux. En effet, c’est une histoire qui mêle loufoqueries, poésie, romance improbable, pour un rendu inclassable, mais extrêmement plaisant. Une intrigue surprenante dans les grandes lignes, mais aussi dans les détails. A commencer par les personnages, du gros Albin, asocial amoureux et maladroit qui peine à déclarer sa flamme à Zélie, jeune femme bien plus dynamique soignant quelques blessures intimes. Autour d’eux gravitent un poisson rouge, des bidules extraterrestres, etc. Yannick Marchat (auteur que j’ai découvert avec cet album) nous embarque dans son histoire avec quelque chose de simple, dans la narration, mais aussi dans le dessin, qui use d’un chouette Noir et Blanc, avec des cases parfois très détaillées, quand d’autres sont avares de décors et d’arrière-plan. Voilà un album que j’ai acheté un peu au hasard (la couverture m’avait fait penser à une maquette de Cornélius), hasard qui, comme chacun sait, fait parfois bien les choses. Ça a en tout cas été le cas ici, pour ce coup de cœur.

07/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Derniers corsaires
Les Derniers corsaires

Au vu du titre je m’attendais à un documentaire, me demandant quand même ce que les corsaires faisaient là. Eh bien en fait ça n’est pas du tout un documentaire, et il n’y a aucun corsaire à l’horizon ! En cela le titre est sans doute la seule chose que j’ai trouvée un peu décevante. Autre petit bémol, la nouvelle couverture, que j’ai trouvée bien moins réussie que celle de la première édition que j’ai lue. Pour le reste, c’est un récit historique finalement assez classique, mais très réussi dans son genre. Les chapitres permettent de s’attacher aux quelques protagonistes que nous suivons, et de nous familiariser avec cette guerre sous-marine au cœur du récit (dans l’Atlantique nord, mais aussi dans l’océan Indien et dans le Pacifique). Toutes les parties purement militaires sont bien développées. C’est aussi le cas pour la partie psychologique, autour de ce sous-officier qui, ayant commis deux grosses bourdes, galère auprès de ses supérieurs pour redorer son image et obtenir le commandement d’un sous-marin. La fin de ce bras de fer est quelque peu surprenante, mais ça tient finalement la route. En épilogue, les auteurs ajoutent une touche quelque peu uchronique et fantastique, autour de lettres laissées par le héros, expliquant sa disparition et celle de son équipage. Une fin surprenante et pas désagréable. A noter que si le récit guerrier est classique et sans doute old school, le dessin, lui, et plutôt moderne. Et lui aussi agréable et réussi. J’ai bien aimé le rendu en tout cas. Bref, une histoire de sous-mariniers qui se révèle plaisante à lire.

07/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Sector 5
Sector 5

Quand on sait que le salaire moyen pour une femme à Bucarest est de 400 euros… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, par Christian Pacariu pour les dessins, et par Alex Guimares pour la couleur. Il comprend quatre-vingt-dix-sept pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec un texte introductif d’une page, rédigé par le scénariste qui indique que les hasards de la vie l’ont amené à faire plusieurs voyages en Roumanie et à y rester quelque temps. Il continue : en additionnant tous ces séjours, il a en fait vécu plusieurs mois à Bucarest, dans le Secteur 5 précisément, bien loin des parcours de la capitale. Il attire l’attention sur le fait qu’en réalité, le peuple roumain est un peuple latin et non pas slave, accueillant, joyeux et chaleureux. Dans le même temps, en observant, en parlant avec certains habitants, en réfléchissant sur les différences entre la France et la Roumanie, il a eu l’envie d’écrire un récit, et des choses qu’il a pu entrapercevoir, telle l’omniprésence de la corruption, de la mafia et de l’industrie du sexe, à demi dissimulées, l’ont rapidement dirigé vers un récit de genre, entre le polar noir et le Thriller. À San Diego, dans le sud de la Californie, aux États-Unis, un homme handicapé, nu dans son fauteuil roulant, a plusieurs capteurs et stimulateurs sur le corps, dont un dans la verge. Il mate un écran dont le programme produit un effet stimulant intense, qui se répercute dans son corps, dans son rythme cardiaque. Sans qu’il ne s’en soit aperçu, un homme dont le visage est masqué par une capuche est entré dans la pièce. Quand il s’en rend compte, il est déjà trop tard : l’intrus a augmenté les stimuli à travers les électrodes, et le paralytique succombe à une surexcitation fatale. Au centre régional de transit de Bucarest, Calea Giulesti, dans le secteur 1, Peyo Carbajal ouvre le courrier qu’il a reçu et se frappe la tête contre le montant de son vestiaire : sa demande de mutation dans le secteur 5 a été rejetée une nouvelle fois., ça fait la dixième fois. Ses collègues sortent du vestiaire, le laissant seul. Puis Simona y entre à son tour, une jeune femme avenante, elle lui demande si ça va. Il lui répond que non et qu’il va aller se prendre une murge dans la vieille ville. Elle lui recommande prendre soin de lui. Peyo Carbajal se rend dans un bar à danseuses, et il s’assoit pour siroter une bière. Une pole-danseuse lui propose de s’isoler et qu’elle lui fasse un extra. Il la repousse sans ménagement. Dans le secteur 5, l’inspecteur Marian Ferentari arrive sur le lieu d’un crime : une villa cossue. Les policiers sont en train d’évacuer les deux enfants et l’épouse. Ils surnomment l’inspecteur avec le terme de Cafard, comme dans les couloirs du commissariat, comme ces cafards qui ne voient jamais le jour. Lorsqu’il passe devant eux, ils le saluent froidement. Il arrive dans le salon où gît encore le cadavre. Il demande au policier présent de lui faire le topo, sans fioriture. Son interlocuteur s’exécute : les deux gamins sont en état de choc, ils ont été amenés dans le secteur 1, à l’hôpital central des enfants.la victime était avocat en droit de la famille, casier vierge. Pas d’ennemi connu, mouillé dans aucune affaire de corruption, aucun lien avec la mafia. Pas de caméra de surveillance. A priori, une simple série B, un polar au ton dur et cynique de circonstance pour un tel exercice de style, des meurtres répugnants, la traque d’un tueur en série dans Bucarest, pour une affaire forcément liée à une des facettes de l‘industrie du sexe, en cohérence avec la réputation de cette capitale. Le lecteur découvre les premières pages et son a priori se voit confirmé. Un premier crime avec nudité masculine, tueur mystérieux à l’identité cachée par sa capuche, handicapé en pleine pratique d’excitation sexuelle, en solitaire. Petite exagération visuelle avec deux ou trois zones de combustion corporelle. Une bonne densité de cases : une dizaine par page, un gros plan sur le sexe en érection. Une mise en couleurs sombre et un encrage appuyé. Impression confirmée avec les deux scènes suivantes : couleurs cafardeuses, dessins descriptifs et réalistes, avec des contours non lissés, donnant une impression âpre et brut de décoffrage. À nouveau une dizaine de cases par page, voire plus, avec des cadrages donnant une sensation d’étroitesse, entre focalisation sur des détails sordides ou dégradants, et un ressenti d’enfermement dans un quotidien à l’horizon bouché. Enfants témoins de l’assassinat de leur père, mutilation du corps comme pour un rituel évoquant la maladie mentale du meurtrier, studio photographique dans le sous-sol avec des centaines de clichés de femmes nues, des jeunes, des moins jeunes, des vieilles même. Le ton est donné : glauque. Rapidement, le lecteur ressent bien les conventions du polar, ainsi que la profondeur qu’il attend de ce genre. L’usage des figures de style associées à ce genre vont plus loin que les situations ou les visuels crades pour choquer ou pour racoler. Le personnage principal présente toutes les caractéristiques attendues de l’enquêteur tendance perdant de la vie. Pour une raison ou pour une autre, il a été écarté des affaires sensibles ou intéressantes, il est mal considéré de ses collègues qui le qualifient de cafard, parfois en sa présence quand ils oublient de faire attention. Sa femme l’a quitté, et il se complaît dans cette situation familiale, convaincu que les femmes qu’il juge belles ne sont intéressées que par les hommes disposant d’argent et le dépensant avec libéralité, roulant dans de grosses bagnoles tape-à-l’œil. Il a recours aux prostituées mais uniquement pour des fellations, craignant trop de se choper une maladie. Il se montre brut de décoffrage dans ses relations avec autrui. Il se montre totalement dépourvu d’empathie en interrogeant les deux enfants ayant vu leur père assassiné sous leurs yeux. Il s’avère incapable d’une parole réconfortante vis-à-vis de la veuve prosternée devant lui en l’implorant de retrouver l’assassin. En son for intérieur, il a pleinement conscience de cette faille dans son caractère, il se dit que : Les effusions, l’empathie, ce genre de choses, ça n’a jamais vraiment été sa came, pour ça il est une sorte d’handicapé émotionnel. Il sait qu’il aurait dû serrer cette pauvre femme dans ses bras, la rassurer, mais c’est quelque chose dont il est totalement incapable. Les dessins montrent un individu normalement constitué, avec une carrure un peu carrée, portant un imperméable par-dessus une chemise blanche et une cravate, avec le visage souvent fermé, ne souriant jamais. Le lecteur peut voir un individu n’éprouvant pas de plaisir dans la vie, ni dans ses moments de solitude, ni dans ses relations sociales, tout en restant animé par une forme de vague envie d’être utile dans la fonction de la police. Les auteurs savent montrer que cette forme de résignation à la fatalité de l’ordre choses tel qu’il habite d’autres personnages comme la camgirl Amalya Buluci, le tueur bien sûr, et quelques autres. Du coup, il suffit du comportement normal des deux policiers Mihai & Stefania pour souligner l’accablement qui pèse sur les autres. Le scénariste fait mener une enquête à son personnage principal, en respectant les phases de recherche d’indice, d’interrogatoire, de chance, un travail professionnel laborieux et sans éclat, lent et incertain. La narration visuelle sait montrer le quotidien très ordinaire de ces phases : être assis à un bureau très quelconque, rentrer chez soi en transport en commun, la solitude du petit appartement, le constat pragmatique des circonstances de la mort sur le lieu d’un crime, les recherches internet, les périodes de réflexion. Le lecteur se rend compte que le nombre élevé de cases par page, leur petite taille fonctionnent parfaitement pour rendre compte de ce quotidien. Les auteurs savent alterner cette routine professionnelle avec le quotidien tout aussi prosaïque du tueur dans son milieu professionnel et dans sa vie privée tout aussi banale et commune, et les moments où il passe à l’acte, des scènes violentes et soudaines, méthodiques et froides. Enfin, il y a donc ces meurtres, presque des exécutions : là encore le scénariste ne s’embarrasse pas de fioritures et le dessinateur reste dans un registre très factuel. Il montre clairement la brutalité et la mort violente, sans en rajouter ni dans le spectaculaire, ni dans une envolée romantique. Le lecteur en ressort avec sa dose de violence et de sexe, de comportements charriant une forme de renoncement à l’espoir d’un monde meilleur, d’accablement du quotidien et d’une société gangrénée par une criminalité systémique qui ne laisse d’autre choix que d’en être partie prenante. La narration visuelle reste à un niveau terre à terre, rien d’enthousiasmant, si ce n’est son efficacité. D’ailleurs, ces caractéristiques finissent par s’imprimer dans la tête du lecteur : des dessins fonctionnels, en fait à l’unisson d’une narration tout aussi fonctionnelle. Une production d’un trio d’artisans (scénariste, dessinateur, coloriste) maîtrisant leur métier, réalisant un polar très correct. Un peu plus que correct même. Il y a peut-être une exagération dans le sens où ils choisissent les points de vue venant insister sur ces aspects déprimants de la vie, sans jamais en mettre en scène d’autres : zéro chaleur humaine, zéro solidarité, zéro plaisir, juste une accumulation d’éléments négatifs. Le lecteur se dit que cela correspond à la vision que Marian Ferentari a de la vie. Ses pensées intérieures viennent conforter cette impression : les Bucarestois préfèrent s’endetter sur vingt-cinq ans pour acquérir une BM ou une Benz, se serrer la ceinture et remplir le réservoir de gasoil plutôt que le frigo, inhaler à longueur de journée du monoxyde de carbone, du dioxyde d’azote et des particules fines d’hydrocarbures cancérogènes. Ou encore : Quand bien même chaque Bucarestois raquerait docilement pour prendre les transports en commun, cette manne serait détournée pour tomber directement dans les poches d’employés corrompus du ministère, qui s’enverraient l’air avec des escort girls de luxe dans les suites douillettes des cinq étoiles de la capitale. Tout est biaisé, vérolé, rongé jusqu’à la moelle ! Et encore : Les salaires des flics sont une misère, alors pour arrondir les fins de mois, soit on se laisse arroser, soit on tente des coups au jeu ou au casino. Personne n’a le choix ici. De toute façon, c’est la règle quand tout marche de traviole. Des milliers de personnes manifestent devant le parlement depuis des mois, mais rien ne change. Le nouveau président, qui s’est fait élire sur un programme anti-corruption, a dû virer quasiment tout son gouvernement… Trop d’entre eux trempaient dans de sales histoires : drogue, sexe, corruption… Quand c’était pas les trois à la fois. Un polar de plus, à base d’industrie du sexe et de crimes sans pitié pour attirer le lecteur ? Il y a un peu de ça de prime abord, avec en plus la réputation de Bucarest pour ses filles et sa mafia. D’ailleurs la narration visuelle semble très fonctionnelle, et le scénario plutôt linéaire. D’un autre côté, c’est un polar réussi qui tient en haleine du début à la fin, avec les conventions de genre attendues, et juste ce qu’il faut d’originalité pour ne pas pouvoir être réduit à un produit industriel. L’effet cumulatif se fait progressivement ressentir, entre l’état d’esprit blasé et résigné du personnage principal, la bonne connaissance de la ville et de cette partie de la population, l’intrigue bien construite : une vision prosaïque de la banalité du quotidien, une plausibilité qui finit par faire froid dans le dos, entre la pulsion sexuelle des hommes, et la célébrité internationale des camgirls. Loin d’être inoffensif.

06/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Je suis leur silence
Je suis leur silence

Bon je réécris mon avis car il était, effectivement, bien trop dithyrambique. J'aime beaucoup cet album et le trouve honnêtement très réussi, mais je m'étais bien trop emballée dans mes propos et ai ensuite essayé de corriger plusieurs fois pour adoucir mon discours sans jamais vraiment parvenir à refléter ce que je pense vraiment de l'album. Alors, après avoir mis cinq étoiles pour appuyer mon ressenti sur la qualité technique de l’œuvre, puis quatre et un coup de cœur pour revenir en arrière mais tout de même appuyer mon ressenti positif, je me rabat finalement sur un quatre étoiles tout rond, bien plus proche de mon ressenti réel. L'album reste très bon, je le trouve toujours très frais et agréable à lire, mais je vais me montrer plus modérée dans mes paroles. Pourquoi m'étais-je autant emballée à la base ? Parce que l'album est bon, très bon même. Pas une révolution dans son genre ni une source de réflexions profondes mais une œuvre finement construite. En fait, pour faire court, je trouve la construction de l'album excellente, ne serait-ce que du point de vue technique : le rythme parvient à rester prenant sans jamais réellement faire de pauses, les dialogues sont vifs, le personnage principal est une grande-gueule à l'égo surdimensionné et à la psyché chaotique qui parvient à rester attachante tout du long, le dessin de Lafebre est beau, vif et travaillé, … Bref, sur le plan technique, c'est du bon. Bon, tout n'est pas parfait non plus. Encore une fois, l'album ne révolutionne pas le genre du polar et ne va pas nécessairement chambouler votre vision du monde (ou même vous pousser à la réflexion sur un sujet), il se contente simplement de raconter une histoire prenante par le simple fait de sa construction narrative sur deux plans et son personnages principal dont la personnalité d'apparence plus que farfelue est moteur de l'intrigue. Du bon, donc, mais encore faut-il apprécier le genre. Personnellement j'aime beaucoup les narrations non-linéaires, les histoires centrées sur la psychologie et les personnages qui sous leur apparence loufoque cache un être plus complexe, donc même si les polars ne sont pas nécessairement mes récits préférés (les poncifs du genre me laissent de marbre) je partais avec de bonnes appréhensions. Mais même si l'album brille par la personnalité d'Eva et ses méthodes peu conventionnelles, l'enquête n'en est pas moins un peu trop simple et convenue par moment. L'œuvre reste très bonne, une lecture sincèrement très agréable et de très bonne qualité. Je tenais simplement à venir réécrire cet avis dans lequel je m'étais malheureusement un peu trop emballée.

03/05/2025 (MAJ le 06/05/2025) (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série #J'Accuse...!
#J'Accuse...!

Voila sans doute l'un des documents les plus précis que je n'ai jamais lus sur l'affaire Dreyfus. Connu et reconnu comme une des plus grandes erreurs judiciaires françaises, elle est surtout la source d'un déchirement profond de la troisième république qui malheureusement restera en souffrance longtemps durant ... Cette affaire parfois résumée dans la caricature légendaire de monsieur Caran-D'Ache est pourtant d'une incroyable richesse pour aujourd'hui. Pensez donc, une affaire politique, sociale, militaire, judiciaire, médiatique, antisémite ... Le tout dans une France encore traumatisé d'une guerre et d'un bain de sang récent, dans une république qui peine encore à s'affirmer. Un vrai feuilleton ! Jean Dytar décide ici de s'amuser sur la forme mais de rester tout à fait formel sur le fond. Reprenant l'affaire dans l'ordre chronologique et avec les mots même de ceux qui la vécurent, proches, amis, parents, journalistes, hommes politiques etc ..., il trace le portrait de cette affaire dont finalement la réalité est le moins intéressant. Dreyfus était innocent, le coupable était Esterhazy. Voila l'essentiel du fond et sans doute le plus inutile. Le reste est par contre passionnant, allant jusqu'à des tentatives s'apparentant à des coups d’État. C'est aussi une bonne représentation du climat politique français de cette époque où se déclarer antisémite était une tendance politique comme on dirait écolo aujourd'hui. La BD arrive à rendre compte des nombreuses voix, parfois pour parfois contre, souvent indécises sur toute cette affaire qui semble si claire aujourd'hui mais qui était bien plus complexe à appréhender à l'époque. Le format joue sur des outils contemporains (sites d'infos, interview à la Thinkerview, tweets, vidéo à chaud, etc ...), le propos est parfois plus abordable à un contemporain qu'une n-ième compilation de textes lourds et parfois indigestes. La lecture n'est pas rapide pour autant, et j'ai personnellement mis trois jours à finir ce petit pavé bien fourni mais qui apporte son lot de détails parfois hallucinant. La proportion de l'erreur est monumentale une fois toute l'entremise déployée. Une BD documentaire un peu lourde et épaisse, parfaitement bien mise en scène et en image, qui permet de retracer pour comprendre toute l'histoire singulière de cette affaire si importante. Et je dis cela en étant sincèrement convaincu que nous avons, en 2025, beaucoup à apprendre de l'affaire Dreyfus. Rien que la question de l'importance des médias dans un traitement judiciaire devrait nous faire tilter, ces médias ayant encore plus gagnés en importance ces dernières années, tout comme l'importance des faux documents/témoignages/citations qui fleurissent cette affaire hors-norme. A un moment donné, l'opinion devient plus fort que la vérité, et cela est encore plus fort aujourd'hui à mon goût.

05/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Chenal
Le Chenal

J’ai été d’emblée intrigué par la couverture, qui annonçait une histoire étonnante, et affichait un chouette coup de crayon. Pour commencer par le côté graphique, disons tout de suite que c’est très largement au niveau des attentes nées de cette couverture. Le dessin de Boulanger est fin, précis, franchement très chouette. J’ai aussi beaucoup aimé la colorisation de Romac. Le rendu d’ensemble vaut le détour, et jusqu’au bout c’est un réel plaisir pour les yeux. Quant à l’histoire, elle est à la fois surprenante et aride, sèche. Entièrement traitée à la forme indirecte, avec un narrateur nous racontant quelques moments de sa vie autour d’un chenal près d’Oléron, l’intrigue est peut-être un peu hermétique. Cette narration indirecte est assez littéraire, au point que j’ai un temps cru qu’il s’agissait là de l’adaptation d’un roman. J’ai parlé plus haut d’une narration un peu aride. Mais au bout d’un moment on s’y fait, on est happé par le récit. Qui décrit la vie rude des pêcheurs et de leur famille. Et qui aussi évoque la maladie, le cancer, de façon détournée, métaphorique, poétique. Et là, texte et images se rejoignent, pour donner quelque chose d’étrange et vraiment beau. Et le charme agit, on ne s’étonne plus de voir gambader des Velociraptors, de voir nager des épaulards ou un dangereux liopleurodon au large d’Oléron. Ce fantastique onirique magistralement dessiné donne une touche envoûtante à ce récit, sur lequel j’encourage les lecteurs curieux à jeter un œil.

05/05/2025 (modifier)