Les derniers avis (31307 avis)

Couverture de la série Je suis leur silence
Je suis leur silence

Bon je réécris mon avis car il était, effectivement, bien trop dithyrambique. J'aime beaucoup cet album et le trouve honnêtement très réussi, mais je m'étais bien trop emballée dans mes propos et ai ensuite essayé de corriger plusieurs fois pour adoucir mon discours sans jamais vraiment parvenir à refléter ce que je pense vraiment de l'album. Alors, après avoir mis cinq étoiles pour appuyer mon ressenti sur la qualité technique de l’œuvre, puis quatre et un coup de cœur pour revenir en arrière mais tout de même appuyer mon ressenti positif, je me rabat finalement sur un quatre étoiles tout rond, bien plus proche de mon ressenti réel. L'album reste très bon, je le trouve toujours très frais et agréable à lire, mais je vais me montrer plus modérée dans mes paroles. Pourquoi m'étais-je autant emballée à la base ? Parce que l'album est bon, très bon même. Pas une révolution dans son genre ni une source de réflexions profondes mais une œuvre finement construite. En fait, pour faire court, je trouve la construction de l'album excellente, ne serait-ce que du point de vue technique : le rythme parvient à rester prenant sans jamais réellement faire de pauses, les dialogues sont vifs, le personnage principal est une grande-gueule à l'égo surdimensionné et à la psyché chaotique qui parvient à rester attachante tout du long, le dessin de Lafebre est beau, vif et travaillé, … Bref, sur le plan technique, c'est du bon. Bon, tout n'est pas parfait non plus. Encore une fois, l'album ne révolutionne pas le genre du polar et ne va pas nécessairement chambouler votre vision du monde (ou même vous pousser à la réflexion sur un sujet), il se contente simplement de raconter une histoire prenante par le simple fait de sa construction narrative sur deux plans et son personnages principal dont la personnalité d'apparence plus que farfelue est moteur de l'intrigue. Du bon, donc, mais encore faut-il apprécier le genre. Personnellement j'aime beaucoup les narrations non-linéaires, les histoires centrées sur la psychologie et les personnages qui sous leur apparence loufoque cache un être plus complexe, donc même si les polars ne sont pas nécessairement mes récits préférés (les poncifs du genre me laissent de marbre) je partais avec de bonnes appréhensions. Mais même si l'album brille par la personnalité d'Eva et ses méthodes peu conventionnelles, l'enquête n'en est pas moins un peu trop simple et convenue par moment. L'œuvre reste très bonne, une lecture sincèrement très agréable et de très bonne qualité. Je tenais simplement à venir réécrire cet avis dans lequel je m'étais malheureusement un peu trop emballée.

03/05/2025 (MAJ le 06/05/2025) (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série #J'Accuse...!
#J'Accuse...!

Voila sans doute l'un des documents les plus précis que je n'ai jamais lus sur l'affaire Dreyfus. Connu et reconnu comme une des plus grandes erreurs judiciaires françaises, elle est surtout la source d'un déchirement profond de la troisième république qui malheureusement restera en souffrance longtemps durant ... Cette affaire parfois résumée dans la caricature légendaire de monsieur Caran-D'Ache est pourtant d'une incroyable richesse pour aujourd'hui. Pensez donc, une affaire politique, sociale, militaire, judiciaire, médiatique, antisémite ... Le tout dans une France encore traumatisé d'une guerre et d'un bain de sang récent, dans une république qui peine encore à s'affirmer. Un vrai feuilleton ! Jean Dytar décide ici de s'amuser sur la forme mais de rester tout à fait formel sur le fond. Reprenant l'affaire dans l'ordre chronologique et avec les mots même de ceux qui la vécurent, proches, amis, parents, journalistes, hommes politiques etc ..., il trace le portrait de cette affaire dont finalement la réalité est le moins intéressant. Dreyfus était innocent, le coupable était Esterhazy. Voila l'essentiel du fond et sans doute le plus inutile. Le reste est par contre passionnant, allant jusqu'à des tentatives s'apparentant à des coups d’État. C'est aussi une bonne représentation du climat politique français de cette époque où se déclarer antisémite était une tendance politique comme on dirait écolo aujourd'hui. La BD arrive à rendre compte des nombreuses voix, parfois pour parfois contre, souvent indécises sur toute cette affaire qui semble si claire aujourd'hui mais qui était bien plus complexe à appréhender à l'époque. Le format joue sur des outils contemporains (sites d'infos, interview à la Thinkerview, tweets, vidéo à chaud, etc ...), le propos est parfois plus abordable à un contemporain qu'une n-ième compilation de textes lourds et parfois indigestes. La lecture n'est pas rapide pour autant, et j'ai personnellement mis trois jours à finir ce petit pavé bien fourni mais qui apporte son lot de détails parfois hallucinant. La proportion de l'erreur est monumentale une fois toute l'entremise déployée. Une BD documentaire un peu lourde et épaisse, parfaitement bien mise en scène et en image, qui permet de retracer pour comprendre toute l'histoire singulière de cette affaire si importante. Et je dis cela en étant sincèrement convaincu que nous avons, en 2025, beaucoup à apprendre de l'affaire Dreyfus. Rien que la question de l'importance des médias dans un traitement judiciaire devrait nous faire tilter, ces médias ayant encore plus gagnés en importance ces dernières années, tout comme l'importance des faux documents/témoignages/citations qui fleurissent cette affaire hors-norme. A un moment donné, l'opinion devient plus fort que la vérité, et cela est encore plus fort aujourd'hui à mon goût.

05/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Chenal
Le Chenal

J’ai été d’emblée intrigué par la couverture, qui annonçait une histoire étonnante, et affichait un chouette coup de crayon. Pour commencer par le côté graphique, disons tout de suite que c’est très largement au niveau des attentes nées de cette couverture. Le dessin de Boulanger est fin, précis, franchement très chouette. J’ai aussi beaucoup aimé la colorisation de Romac. Le rendu d’ensemble vaut le détour, et jusqu’au bout c’est un réel plaisir pour les yeux. Quant à l’histoire, elle est à la fois surprenante et aride, sèche. Entièrement traitée à la forme indirecte, avec un narrateur nous racontant quelques moments de sa vie autour d’un chenal près d’Oléron, l’intrigue est peut-être un peu hermétique. Cette narration indirecte est assez littéraire, au point que j’ai un temps cru qu’il s’agissait là de l’adaptation d’un roman. J’ai parlé plus haut d’une narration un peu aride. Mais au bout d’un moment on s’y fait, on est happé par le récit. Qui décrit la vie rude des pêcheurs et de leur famille. Et qui aussi évoque la maladie, le cancer, de façon détournée, métaphorique, poétique. Et là, texte et images se rejoignent, pour donner quelque chose d’étrange et vraiment beau. Et le charme agit, on ne s’étonne plus de voir gambader des Velociraptors, de voir nager des épaulards ou un dangereux liopleurodon au large d’Oléron. Ce fantastique onirique magistralement dessiné donne une touche envoûtante à ce récit, sur lequel j’encourage les lecteurs curieux à jeter un œil.

05/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Quand j'ai froid
Quand j'ai froid

Je ne sais pas pourquoi je suis si conquis par cette BD. Je n'ai même pas l'excuse de l'avoir achetée et d'avoir envie de lui attribuer une bonne note pour justifier l'achat, on me l'a offerte ! Non, vraiment, je pense juste que cette BD a ce genre de feeling que j'adore, cette petite patte émotionnelle dans un enrobage mignon qui m'enchante. Muette ou presque, la BD rentre dans cette catégorie de BD feel-good, remplie de bons sentiments et de petits moments de vie, de personnages sympathiques, de situations un peu décalées qui donnent cette envie de goûter à la vie... Vous sentez le côté cucul, l'aspect trop gentil, un peu trop sucré ? Et bien non, même si on le frôle souvent. C'est juste... c'est juste mignon, tout choupi, plein de petits personnages attachants sans qu'ils n'aient besoin de dire un mot et de situations mignonnes qui donnent le sourire. Mais si je suis si dithyrambique sur cette BD, c'est parce que son dessin très moderne en fait une œuvre toute aussi mignonne à regarder. C'est rempli de petits détails sur la colorisation, sur la mise en page et sur des jeux de temporalités qui font lire l'histoire sans jamais se perdre, comprenant dès l'instant où c'est nécessaire ce qu'il se passe. L'autrice maitrise clairement son dessin et lui donne les atours pour que l'on ne soit jamais déboussolé. C'est plein de ces petits détails qui me font plaisir après tant d'années de lectures de BD parce que j'y reconnais une vraie maitrise du style de narration par le dessin, d'une envie de raconter l'histoire autant visuellement que narrativement, et que chaque élément semble s'emboiter dans l'autre pour en faire ressortir ses qualités. Je suis personnellement très très fan de ce qui a été fait pour rendre la couleur si efficace avec cette petite idée de passage au blanc lorsque quelque chose arrive... Maintenant, je suis franchement peu objectif sur la BD mais ça faisait franchement longtemps aussi qu'une BD ne m'avait pas amené la larme à l’œil aussi facilement. Il y a eu ce passage, classique et déjà vu, certes, mais qui marche encore une fois. Simple, sobre, sans paroles, juste quelques petits gestes et des petites attentions qui racontent tout. Et à y repenser, ça fait remonter une petite larme, parce que même si on est souvent éduqué à le cacher, ça fait quand même plaisir de se faire remuer les sentiments. Je suis embêté par mon avis car il est certain que j'ai bien trop vendu la BD et que bon nombre d'entre vous seront déçus de découvrir une BD honnête et mignonne mais qui ne sera pas la révélation de l'année. Et c'est pourquoi je vous propose, si mon avis vous semble élogieux, de l'oublier et juste retomber dessus dans un mois, dans un an, de la lire et passer vous aussi un bon moment.

05/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série The New World
The New World

En butte à son histoire personnelle - Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie (les numéros 1 et 5 étant doubles) initialement parus en 2018, écrits par Ales Kot, dessinés et encrés par Tradd Moore, avec une mise en couleurs réalisée par Heather Moore, et un design de la publication réalisé par Tom Mueller. Le 15 avril 2037, plusieurs bombes nucléaires ont explosé dans cinq des plus grandes métropoles des États-Unis, sans qu'aucun groupe ne revendique ces actions. La nation s'est fragmentée en plusieurs gros états dont la Nouvelle Californie qui a remonté la pente économique pour retrouver une véritable prospérité. Ce jour-là, la chasseuse de primes Stella Maris a revêtu son armure pour une mission dans un immeuble désaffecté. Dans le même temps, dans un autre quartier, Kirby Shakaku Miyazaki se fait passer pour un technicien de haute compétence et se rend à son rendez-vous de prise de poste, avec un dénommé Miller, pour le network qui retransmet les interventions de Stella Maris. Cette dernière est montée dans les étages et repère une fillette dans un couloir, à qui elle dit de rentrer dans son appartement. Le criminel surgit derrière Stella avec un flingue, et l'écume aux lèvres. Miller a emmené Kirby Shakaku Miyazaki dans la salle de production, tenue par Jim Molina. Stella Maris passe à l'action et neutralise l'agresseur en tour de main. Elle le plaque au sol, et les téléspectateurs commencent à voter pour savoir s'ils veulent qu'elle le capture, ou qu'elle l'exécute sur le champ. Alors que le résultat du vote est majoritaire pour l'exécution, Stella Maris refuse de passer à l'acte et préfère faire un prisonnier. Dans le même temps, Kirby Shakaku Miyazaki a quitté subrepticement la salle de production, et même le bâtiment et il actionne un télérupteur déclenchant un module qu'il a laissé dans la salle et qui provoque le piratage des émissions pour diffuser un message : écrasez l'état policier. Le soir, Stella Maris dîne avec son grand père (le président de la Nouvelle Californie). Il lui reproche de ne pas suivre le vote du public, de ne pas exécuter le criminel. Il évoque le professionnalisme de Logan Maximus, un autre chasseur de primes qui n'éprouve aucun état d'âme à suivre l'avis du public. Il souhaite qu'elle soit plus professionnelle, ce qui lui permettra d'accéder à la première place, de détrôner Logan Maximus. Dans la salle de production, Miller sait que ses jours sont comptés. Jim Molina lui indique que le hacker n'a pas été aussi malin qu'il l'a cru et qu'il a laissé des empreintes électroniques qui vont permettre de l'identifier. Dans l'énorme production de l'éditeur Image Comics dans les années 2010, l'attention du lecteur est attiré à la fois par le nom du scénariste (auteur entre autres de Secret Avengers avec Michael Walsh, de Zero, ou encore de The surface avec Langdon Foss), ou par le nom du dessinateur ayant réalisé Luther Strode avec Justin Jordan, ou All New Ghost Rider avec Felipe Smith. Il note l'aspect psychédélique de la couverture, et l'aspect très rond des dessins. Le récit commence doucement avec sept pages évoquant en des termes brefs l'avènement de New California, pour expliquer que le récit se passe évidemment dans le futur, ce qui permet quelques exagérations d'anticipation. Bien sûr, le lecteur repère rapidement quelques éléments d'actualité comme la notion de célébrité dans une société où tout est spectacle, y compris l'activité de pourchasser les criminels, le principe des décisions interactives, ou encore l'existence d'un mur évoquant celui appelé de tous ses vœux par le quarante-cinquième président des États-Unis. Tradd Moore met à profit cet environnement d'anticipation. Il réalise un travail à la fois esthétisant, à la fois descriptif avec un fort niveau de détails. Moore commence par un dessin en double page de la Maison Blanche en ruine, puis le dessin en double page de la Nouvelle Californie. Le dessinateur sait trouver le juste milieu entre des décors attestant d'avancées technologiques, en matière de construction, d'aménagement, de communication. Le lecteur observe donc la manière dont il joue avec les espaces des appartements, les revêtements de sol ou de mur, les différents types de meubles, les formes d'écran. Moore accentue la fluidité des formes en exagérant l'arrondi de leurs contours. Heather Moore renforce cette vision parfois un peu infantile en utilisant une palette de couleurs pop, très agréable à l'œil, habillant chaque élément de manière vive et claire. Durant ces cent-cinquante pages de comics, Tradd Moore enchante le lecteur par le degré descriptif de ses dessins. Dans celui en double page présentant la Nouvelle Californie, le lecteur peut prendre le temps de regarder chaque toit, ainsi que les bras de grue qui dépassent, avec une parfaite lisibilité, sans sensation d'étouffement. Quelques pages plus loin, Stella Maris a pénétré dans la cage d'immeuble du forcené, et les murs sont couverts de graffitis qui se chevauchent, sans compter les sacs poubelles abandonnés dans les parties communes. Lors du vote pour savoir si elle doit abattre son prisonnier, la narration montre plusieurs endroits avec des gens en train de voter. Le lecteur se dit qu'il aimerait participer au barbecue organisé sur le toit d'un immeuble à South Central, montré juste dans une case, mais avec un luxe de détails irrésistible. Par la suite le lecteur découvre le palace présidentiel de Griffith Park dans une vue du ciel extraordinaire, à la fois pour son architecture, à la fois pour le parc qui l'entoure. Il a également du mal à croire à la case où Kirby rentre à l'appartement de son père, et où il peut apercevoir dans une unique case : Kirby sur la gauche en train de faire tourner la clé autour de son index, le tapis avec ses motifs, l'escalier qui monte à l'étage, le canapé sur lequel se trouve Clark (le père de Kirby) avec un robot assis à côté de lui, l'écran plat de télévision, les plantes vertes au premier, la table avec les chaises dans un plan plus loin, et encore le coin cuisine en arrière-plan, tout ça avec une lisibilité parfaite. Tradd Moore se montre tout aussi inventif et personnel pour la représentation des protagonistes : leurs visages, leurs tenues vestimentaires, leur langage corporel. En phase avec sa personnalité, Kirby a adopté une apparence voyante, avec des cheveux blond clair, une cicatrice sur la joue droite, un bandeau de pirate mais qu'il ne rabat pas sur son œil. Le lecteur constate que le souci de l'apparence est partagé par de nombreux individus, en particulier le président avec sa tenue blanche, sa chevelure ondulée mi-longue, et son très long bouc argenté. Il est visible que le dessinateur prend un réel plaisir à imaginer des visages tous différents et très travaillés. Il n'y a que Stella Maris à avoir conservé une apparence naturelle. Il en va de même pour les tenues vestimentaires, souvent extravagantes, sans être totalement impossibles. Le lecteur se divertit à regarder ce sens de la mode orienté pop et flashy. De manière à conserver un niveau de lisibilité satisfaisant, Moore s'en tient à des postures et des mouvements naturalistes pour les personnages, rehaussés par une belle expressivité de leur visage. Sous réserve qu'il apprécie l'exubérance baroque de la narration visuelle, le lecteur se délecte de l'inventivité de Tradd Moore à chaque page, avec des visions étonnantes, parfois déroutantes, et mémorables. Le lecteur n'est pas près d'oublier la double page de l'affrontement entre Stella Maris et le criminel sous influence (une double page avec uniquement des onomatopées), la vision du satellite dans l'espace (un jeu sur le noir et les contrastes), le dessin en double page dans a boîte de nuit où le regard de Stella rencontre celui de Kirby, la voiture de Mark bondissant hors du garage dans un dessin en pleine page avec une impression psychotrope brillamment exécutée, ou encore la vision du mur séparant la Nouvelle Californie du reste du monde. Au fil des pages, le lecteur se retrouve emporté par cette narration visuelle riche et libérée. Alors qu'Ales Kot peut réaliser des intrigues à la structure complexe, il a ici préféré un fil directeur simple et facile à suivre : Kirby et Stella tombent amoureux et se retrouvent à fuir les autorités qui pourchassent le dangereux agitateur qu'est Kirby. Cette trame simple permet au scénariste de développer des séquences elles aussi surprenantes, sans risque de perdre son lecteur. Au départ, le lecteur se dit que le scénariste va développer la fibre de la comédie romantique, avec Kirby Straight Edge et très ordonné avec des convictions anti-autoritaristes, attiré par Stella instrument du gouvernement, désordonnée et peu regardante quant à sa nourriture. Cet élément guide effectivement les réactions des personnages, Kirby étant très inquiet de devoir opérer par lui-même Stella pour enlever les mouchards électroniques implantés dans son corps. Mais le récit ne se focalise pas sur cette relation comme centre d'intérêt premier. Outre la dimension politique et sociétale de certaines situations, Ales Kot met en scène également des comportements très humains qui apparaissent comme des stratégies comportementales plus ou moins conscientes. La plus évidente est de Mark Miyazaki, (le père de Kirby), un vétéran qui se désensibilise en consommant de l'alcool de manière à ne plus ressentir les remords et l'impossibilité de trouver une forme d'action concourant à une éventuelle rédemption. Le lecteur prend peu à peu conscience que les choix de vie de Kirby sont guidés par un traumatisme d'enfance quand ses parents ont été arrêtés comme des fuyards. Jim Molina est entièrement prisonnier d'un système l'obligeant à agir sous la contrainte, même si elle ne prend pas la forme d'une menace physique. Logan Maximus refuse d'envisager l'éventualité d'une remise en question, malgré la preuve de sa nécessité incarnée par Mark, son ancien compagnon d'armes. Alors qu'elle quitte tout sur un coup de tête (effectuant une remise en question radicale, mais cohérente avec ses valeurs morales), Stella Maris ne peut pas renoncer à son chat (Godzilla), une forme d'attachement affectif qu'elle ne peut pas sacrifier. Ainsi chaque personnage acquiert une épaisseur et une dimension humaine le rendant unique et permettant au lecteur de reconnaître ses propres questionnements, ses émotions. Sur la base de la couverture, le lecteur peut croire qu'il s'agit d'une histoire d'amour entre deux individus que tout oppose avec un vague vernis futuriste. À la lecture, il apparaît que Tradd Moore fait preuve d'une implication et d'une inventivité sans retenue pour donner à voir ce futur proche et décalé. Ales Kot propose une intrigue simple qui lui permet de faire ressortir la personnalité de ses personnages, au travers des épreuves peu communes auxquelles ils doivent faire face.

04/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Superman vs. Muhammad Ali
Superman vs. Muhammad Ali

Superman vs Muhammad Ali est un ovni culte des années 70, à la fois étonnant et audacieux. L’idée de faire s’affronter un super-héros emblématique et une légende de la boxe aurait pu sembler absurde, mais le résultat est étonnamment bien ficelé. Le dessin de Neal Adams est impressionnant, et l’album mélange habilement action, satire et hommage à la culture populaire. Un vrai plaisir rétro, aussi insolite qu’iconique.

04/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Dialogues
Dialogues

Voilà un album qui m’avait d’abord attiré par son aspect pourtant répulsif, à savoir sa couverture très moche et peu commune. Le fait est que le titre et la couverture ne survendent rien, bien au contraire, puisqu’ils sont très représentatifs du contenu (ce qui finalement est rare et plutôt honnête). L’album est donc une grosse accumulation (près de 130 pages quand même !) de dialogues. Aucun effort de scénarisation, aucun décor, juste des personnages immobiles sur fond blanc. Personnages statiques donc (aucun trait de visage visible, donc inexpressifs), avec bien souvent des dessins réemployés plusieurs fois dans la même planche. Tout est donc misé sur ces dialogues. Et là, par-delà les quelques ratés (finalement assez rares) et le côté forcément inégal de l’ensemble, je dois dire que globalement c’est très réussi. En effet, l’auteur (que je ne connaissais pas) arrive à se renouveler – tout en gardant le même ton – et pour peu que vous soyez réceptif à son humour, vous rirez comme moi à de multiples reprises. Karibou utilise surtout des personnages célèbres (de la Bible, dont Dieu himself, de la mythologie, de la littérature, ou des archétypes – soldat, chevalier) et leur fait tenir des propos le plus souvent surprenants, incongrus. Il joue sur le décalage entre l’attente et la réalité, et diffuse dans ces dialogues de fortes doses d’absurde, d’humour con ou débile, comme savaient le faire les Nuls par exemple. Je suis très friand de cet humour, et quand c’est réussi, comme ici, je ne peux que vous encourager à découvrir ce condensé d’humour potache. Reste le débat du coût – relativement élevé – de cet album, pourtant publié sans fioriture par un grand éditeur (même si la pagination est importante). En cela c’est proche de De rien de Geoffroy Monde, ou de Georges Clooney de Valette. J’ai attendu de l’acheter d’occasion, et suis de toute façon très content de mon achat ! *********************** Karibou a remis le couvert et produit un autre recueil de dialogues incongrus et crétins. On reste bien sûr toujours sur le même registre: un dessin statique et minimaliste avec pas mal d'itération iconique. Comme le titre le revendique, tout est encore misé sur les dialogues. Comme pour le premier tome, Karibou use de personnages historiques, ou alors issus de la Bible, de la mythologie. Connaître ces références est évidemment un plus pour apprécier l'humour. Car là encore les personnes dialogues de façon absurde, absconse, en total décalage avec ce qu'on est en droit d'attendre de leur part. Je suis gros amateurs de ce type d'humour, et le premier tome, qui m'avait permis de découvrir cet auteur, était un pur bijou du genre. Depuis auteurs et albums se sont empilés dans le même registre, et l'effet de surprise ne joue plus. C'est peut-être ce qui explique que j'ai trouvé cet album en retrait par rapport au précédent. Mais bon, ça reste quand même drôle.

11/05/2018 (MAJ le 04/05/2025) (modifier)
Par Etienne
Note: 4/5
Couverture de la série SangDragon
SangDragon

J’adore les BD fantasy des années 80, et pour le coup, j’ai passé un bon petit moment ici. Le scénario est certes léger mais je ne demande pas à un one-shot de 100 pages des rebondissements à foison. Par contre, en quelques pages, l’univers dessiné ici est plutôt beau et les "puants" m’ont fait sourire plus d’une fois avec leur vieux françois. Ce n’est pas du Thorgal ou de la Complainte des landes perdues, mais franchement, l’enfant de 10 ans en moi a adoré. Quand mon fils se mettra à lire, si les BD et la fantasy l’intéressent, je crois que ce sera l’un des premiers albums que je lui recommanderai, c’est une parfaite entrée en matière !

04/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Ben Barka - La disparition
Ben Barka - La disparition

Retour sur l'une des affaires les plus mystérieuses des années 60. Une enquête passionnante, un véritable thriller et un devoir de mémoire indispensable. La disparition du marocain Mehdi Ben Barka a eu lieu le 29 octobre 1965 et cette affaire n'a jamais été clairement résolue : d'ailleurs, son fils Bachir espère toujours faire avancer l'enquête et il a même collaboré à l'écriture de cet album, tout comme Maurice Buttin, l'avocat de la famille, ou encore le juge Patrick Ramaël. Le journaliste David Servenay (né en 1970) est l'un des fondateurs de La Revue Dessinée, revue d'information en bande dessinée dont le premier numéro est paru en 2013 et qui nous a déjà donnée (entre autres exemples) l'adaptation des thèses économiques de Thomas Piketty avec le remarquable album Capital & Idéologie. Il est ici accompagné du dessinateur Jacques Raynal (ou Jake Raynal, né en 1968) : le duo avait déjà travaillé sur l'album "La septième arme". Avec cet album, Ben Barka : la disparition, ils tentent de donner un nouveau point de vue sur cette affaire que beaucoup voudraient avoir enterrée depuis longtemps. Nous ne sommes pas dans une bande dessinée classique mais plutôt à la limite du roman graphique. Les dessins de Raynal sont d'un beau noir et blanc, très contrasté, avec de grands aplats noirs, ce qui donne au récit un ton sérieux et journalistique. Un dessin tout au service de l'enquête. Et puis bien sûr il y a l'Affaire elle-même et l'enquête : le déroulement des faits et les hypothèses (soigneusement recoupées par les auteurs) sur la disparition de l'homme politique opposant au nouveau régime marocain : barbouzes de tous pays, diplomates et politiques, voyous et anciens collabos, flics et agents du Sdece, ... tous ont travaillé main dans la main avec le cabinet noir des services secrets marocains menés par le général Mohamed Oufkir, le boucher du Rif. L'ambitieux et populaire Ben Barka gênait beaucoup trop de monde dont les français qui voyaient arriver le virage de la décolonisation. On entrevoit même les ombres de la CIA et du Mossad planer sur cette histoire. Les auteurs prennent le temps nécessaire pour nous présenter les différents protagonistes, les enjeux politiques, diplomatiques et internationaux de cette affaire dans laquelle notre République s'est, une fois de plus, brillamment illustrée. Il y a même, en fin d'ouvrage, une série de fiches récapitulatives sur les protagonistes les plus importants. On peut s'interroger sur l'intérêt de ressortir encore aujourd'hui cette vieille histoire jamais élucidée ? Mais l'enterrer trop rapidement dans un recoin obscur avec le corps de Mehdi Ben Barka, reviendrait à oublier de nombreuses questions. Oublier que l'ombre de cette affaire plane encore sur les relations franco-marocaines. Oublier qu'aucun des présidents successifs de notre république n'a souhaité faire la lumière sur ces événements, de Giscard à Macron en passant par Chirac, Mitterrand ou Hollande. Oublier que la justice française reste bloquée depuis des dizaines d'années malgré l'obstination courageuse de quelques juges : il s'agit là du « dossier d'instruction qui est à ce jour la plus ancienne enquête criminelle en cours dans les annales de la justice française ». Oublier que pour tenter de faire avancer le dossier, le juge Patrick Ramaël a même perturbé la rencontre de Sarkozy avec Mohammed VI en 2007. Le président français était accompagné de Rachida Dati, alors ministre de la justice (elle est d'origine marocaine). Oublier les mots, cités dans l'album, des mots de 1966 publiés par Pierre Viansson-Ponté dans le journal Le Monde [clic] à propos de cette affaire : « [...] L'abus du renseignement, le goût du secret, le recours aux méthodes occultes, aux agents, aux réseaux, aux polices parallèles, sont [...] inhérents au compagnonnage gaulliste. Ils en sont aussi le vice majeur. » Enfin, il ne faut pas oublier non plus comment certains journaux (et non des moindres : L'Express, Minute, ...) ont été totalement manipulés pour livrer au public de fausses explications à la disparition de Ben Barka. Voilà donc bien un album utile et nécessaire à notre mémoire, un travail qui résonne comme un écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat dans l'album Cher pays de notre enfance.

03/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Rendez-vous fatal
Rendez-vous fatal

Il est juste que les meilleurs commandent les masses, voilà le vrai darwinisme. - Ce tome contient une histoire complète. Son édition originale date de 1996. Il a été regroupé avec le récit Trois filles sur le net (1998, Le piège) dans le recueil Noirs desseins (2011 qui comprend également une introduction d’une page de l’auteur). Il a été réalisé par Milo Manara pour le scénario et les dessins. Il s’agit d’une histoire en noir & blanc. Elle compte quarante-quatre pages de bande dessinée. Dans l’introduction de Noirs desseins, l’auteur explique qu’il s’est inspiré de faits réels pour la première partie de son récit, et pour le personnage de Si Bémol qui est évoqué dans la dernière partie. À Rome, en fin de soirée, marchant dans la rue, un député déclare à Silvio et son épouse Valeria, que ce fut une belle soirée, et que pourtant il est temps de rentrer dormir, car ils prennent l’avion tôt le lendemain matin très tôt. Ils leur rappellent qu’ils les attendent chez eux à la Barbade, sans faute. Le sénateur suggère à Silvio de ne pas le prendre mal, car il est impatient de la voir elle, Valeria, pas lui. Tout le monde rit de bon cœur au bon mot. Il ajoute que Silvio fait du bon boulot, qu’il a parlé de lui au président et de la façon dont vont les choses. Ils prennent congés, et ils s’en vont de leur côté. Silvio et Valeria rejoignent leur propre berline et y prennent place. Elle est ravie à l’idée de se rendre à la Barbade. Son époux se montre moins enthousiaste : ils ne sont pas riches comme le député et son épouse, ils ont des soucis. Elle rétorque qu’elle pas envie de l’écouter. Il lui demande d’être raisonnable : tout n’est pas rose en ce moment, il a quelques problèmes. Elle lui rappelle qu’il avait promis à son père qu’en l’épousant il veillerait sur elle. Ils avaient un accord. Il explique que ce sont des difficultés passagères, il va se refaire, elle a bien entendu ce qu’a dit le député. Elle lui fait observer que le député pourvoie aux besoins de son épouse, lui. Silvio parvient à amadouer son épouse, et elle accepte de l’embrasser. Il s’enhardit et lui demande de baisser sa culotte. Elle lui fait observer qu’il ne pense qu’à ça, et qu’il ne le mérite pas car il l’a fâchée. Il promet de l’emmener à la Barbade et il finit par la convaincre. Elle baisse sa culotte, soulève sa jupe et ouvre les jambes. Il continue de l’embrasser et il la caresse intimement. Elle apprécie le plaisir que ça lui procure, et elle finit par lui demander de rentrer à la maison : certaines choses ne se font que là-bas. Il obtempère de bonne grâce. Le lendemain il se rend chez son usurier. Celui-ci lui refuse un prêt supplémentaire : il lui rappelle que Silvio savait pertinemment quels étaient les intérêts à rembourser pour son prêt. Si Silvio les avait payés plus vite, il ne serait pas dans la panade. L’usurier enfonce le clou : parce que là, oui, Silvio y est jusqu’au cou. Ce dernier lui rétorque qu’il pourrait aller trouver la police. L’usurier répond calmement que Silvio vient de faire une erreur, il n’aurait pas dû dire ça, cela va lui coûter très cher. Silvio argue du fait qu’il sera candidat aux prochaines élections et qu’il ne peut se permettre un scandale. L’usurier lui suggère de lui fournir une preuve. Silvio appelle son épouse pour qu’elle lui amène la lettre du député S.G. Milo Manara est l’un des auteurs de bande dessinée italien les plus célèbres, en particulier dans le registre érotique, avec la série Le Déclic (4 tomes, 1984, 1991, 1994, 2001) et des collaborations avec Federico Fellini (1920-1993), Hugo Pratt (1927-1995), Neil Gaiman, Chris Claremont. En particulier, il a séduit des générations de lecteurs avec ses jeunes femmes graciles, souples, élégantes, sensuelles. Le lecteur entame donc cette histoire avec cet a priori en tête. Dès la quatrième page, la belle épouse enlève sa culotte et le lecteur peut voir sa délicate toison, ainsi que la passion qui anime son époux. Par la suite, il peut admirer son corps : son élégance dans un tailleur tout simple d’apparence, certainement d’un coût très élevé. Elle marche avec des talons hauts qui mettent en valeur sa silhouette. Elle porte le pantalon avec la même prestance, une liane élancée. Elle porte les cheveux mi-longs, et ne change pas de coiffure malgré un passage chez le coiffeur. En fonction de sa tenue, elle porte un beau collier de perles, deux bracelets fins au poignet droit, ou bien pas de bijoux, une liquette en guise de chemise nuit, de grosses lunettes noires pour cacher sa détresse. Elle ne semble pas maquillée : sa beauté naturelle rayonne et se suffit à elle-même. Le lecteur se retrouve sous le charme physique de cette jeune femme. Il comprend bien qu’elle soit entretenue par son époux, et qu’elle vient d’une famille aisée : elle a conscience de son rôle d’épouse d’apparat, ce qui atteste d’une certaine force de caractère. Quand bien même la vie de Valeria et ses aspirations sont très éloignées des siennes, le lecteur éprouve une forme de respect pour elle. Lorsqu’elle subit son premier viol, il éprouve de l’empathie devant la violence atroce qui lui est faite, sa souffrance physique et psychique, et la torture mentale de savoir qu’il en ira de même le lendemain à la même heure jusqu’à ce que son époux ait remboursé ses dettes. Le lecteur ne s’attendait pas à un récit aussi atroce, peut-être uniquement parti pour un récit érotico-chic, une fantaisie avec une fibre cruelle pour les besoins du divertissement. Il assite aux tourments de Valeria, éprouvant une forme de honte à se trouver cantonné au rôle de voyeur impuissant comme l’époux. L’artiste ne se montre pas complaisant vis-à-vis de ce qu’il montre : il ne joue pas hypocritement sur les deux tableaux, de condamner tout en montrant. Le premier viol est raconté sur quatre pages : il montre la lâcheté des participants qui agissent en groupe contre une femme seule, une demi-douzaine de personnes, hommes et femmes, qui l’immobilisent sur une table, le commanditaire assis dans son fauteuil, le mari résigné à l’écart, le violeur impassible accomplissant une mission sans état d’âme. Rien n’est épargné au lecteur des viols quotidiens qui suivent pendant de nombreuses semaines, trois pages pour le second, cinq pour le troisième, trois pour celui d’après, jusqu’à passer à une bande de cases, ou même une simple case. L’érotisme potentiel est annihilé par l’usage d’une contrainte abjecte, par l’absence de plaisir du violeur, un acte mécanique indépendant de la personnalité de la victime, de ses émotions, de ses sentiments, le violeur semblant lui aussi totalement dépourvu d’émotions. Le lecteur découvre des dessins dans un registre descriptif et réaliste. L’artiste utilise des traits de contour très fins et secs, une attention délicate portée aux visages, aux tenues vestimentaires, aux accessoires, aux coupes de cheveux y compris avec un effet décoiffé pour Silvio, ou cheveux en bataille après une agression sexuelle. Comme le veut la convention graphique dans ce genre, le visage de Valeria est plus jeune et lisse, que celui des hommes, marqué par les plis et les rides. Le langage corporel appartient également à un registre naturel, ce qui fait ressortir les gestes plus étudiés de Valeria, et ses poses parfois alanguies. Mis à part le député, le reste de la distribution semble provenir d’une couche de l’humanité moins élégante, plus commune, même Silvio dans son beau costume. Alors que les personnages donnent une impression de réalisme poussé, le lecteur s’aperçoit que l’artiste déploie des techniques variées pour les décors et les environnements : presque une toile abstraite pour donner l’impression des façades de la rue avec un éclairage nocturne, l’usage de motifs non figuratifs pour le papier peint ou pour le décor d’un fauteuil, des aplats de noir irréguliers, striés ou piquetés, des franges irrégulières pour le parement d’un fauteuil bas, des traits nouilles pour le mouvement de l’eau de la mer, des entrelacs secs et fins pour des ombres projetées, des traits obliques drus pour la pluie, etc. Les images et le récit font voyager le lecteur : une avenue animée de nuit, l’habitacle d’une berline, le grand salon un peu vieillot de l’usurier, la chambre à coucher cossue des époux, le salon de coiffure chic, une route nationale peu fréquentée, un yacht à la Barbade, une chambre d’hôtel minable, etc. Potentiellement un peu décontenancé par rapport à ses attentes, le lecteur se laisse porter par l’intrigue, vite mal à l’aise dans sa position de voyeur, dans la souffrance physique et psychique de Valeria subissant un viol chaque jour à dix-huit heures, sans échappatoire possible quoi qu’elle fasse. Elle s’en fait la remarque : Elle faisait maintenant partie d’un autre monde, celui des perdants, celui des victimes. Et malgré tout, elle conserve sa santé mentale, assez de volonté de vivre pour tenir le coup. Il se rend compte que Silvio n’apparaît plus après la vingt-huitième planche. L’enjeu du récit semble être de savoir si Valeria pourra trouver une issue à cette torture quotidienne. De fait, le scénariste amène son intrigue à une conclusion claire et nette, tranchée même. Il intègre d’autres éléments. Deux retournements de situation sous la forme de deux révélations : il apparaît ainsi qu’il s’agit bien d’un récit de genre, entre policier et thriller. Il met également en scène cette femme surnommée Si Bémol, du nom de la corde dont elle se sert pour émasculer des prisonniers bosniaques, une séquence éprouvante même si elle n’est pas graphique. Par ailleurs, le député réapparaît dans une scène et il exprime son opinion sur la politique : tranquillement installé sur le pont de yacht à la Barbade, il déclare à son interlocutrice qu’il est juste que les meilleurs commandent les masses, voilà le vrai darwinisme. Plus loin, il insiste : quand on n’est pas assez fort, on ne fait pas de la politique, seuls les forts peuvent commander les masses. Du point de vue de l’intrigue, le lecteur peut estimer que certaines situations manquent de plausibilité, et il se souvient qu’il est dans un récit de genre, pas dans un reportage. Il prend un peu de recul pour identifier les forts du récit, ceux qui commandent. Silvio a voulu intégrer le cercle des forts et il a échoué, le darwinisme a tranché : il ne fait pas partie des meilleurs. Le lecteur considère alors ceux qui survivent et qui commandent. Il en déduit que les différentes révélations n’affecteront pas la position sociale du député, un individu véritablement fort, et en même temps abject. Il réfléchit alors à la position de Valeria : indubitablement forte pour avoir survécu à une telle série d’épreuves innommables, toutefois elle ne commande à personne. La morale de l’histoire apparaît dans toute son ambiguïté, bien noire, et bien révélatrice d’une façon dont marche le monde. C’est parti pour un divertissement de type érotico-chic avec une touche de cruauté… Que nenni ! C’est une plongée dans un récit très noir, mettant le lecteur dans une position de voyeur impuissant. La narration visuelle atteint le niveau d’élégance et de grâce propre à Manara. L’intrigue se montre cruelle et sadique, impitoyable et terrifiante. Traumatisant.

03/05/2025 (modifier)