Bon, pour mon petit retour sur BDthèque il fallait bien attaquer avec un avis trop long, trop enthousiaste et pas du tout objectif, non ?
Alors que dire sur cette BD... Déjà que c'est une des récentes lectures qui m'a collé la larme à l’œil que j'apprécie d'avoir, surtout parce que j'ai été touché. Mais aussi que je ne peux que conseiller la lecture à tous ceux qui ont déjà eu un animal (félin, canin, autre). Parce que c'est une très belle lecture sur l'amitié avec les animaux, l'amour qu'on leur porte et ce que ça devient dans nos vies. Si le fait d'avoir un animal vous indiffère, si vous trouvez les gens qui parlent à leur chien gâteux, si vous pensez que les gens qui se soucient de leur chats sont émotionnellement instables, etc... Passez votre chemin. Cette BD n’est non seulement pas pour vous mais risque même de vous déplaire. Parce que l'auteur n'est pas tendre avec ces gens-là.
Mais si vous avez eu (ou avez encore) un animal, que vous l'aimez vraiment, que vous comprenez ce que ça fait de l'avoir dans votre vie, alors cette BD est faite pour vous.
Adaptée d'un roman qui fut un gros succès surprise de librairie (et dont je n'ai pas du tout entendu parler, à ma grande surprise), la BD a été mise en image par Munuera qui a fait un superbe travail. Je ne suis pas un grand connaisseur de son œuvre que j'ai très vaguement survolée mais là je reconnais son dessin et la respiration qu'il a donnée à ses planches. Pour une histoire de chien, de balade, de grand air, d'espace, c'est tout à fait indiqué et les planches sont très belles, éclatantes même.
Quant à l'histoire, c'est simple, banal, même. Ordinaire. Un homme et un chien, leur petite vie, comment tout évolue. Un professeur de sport, un bouvier bernois, une rencontre. Enfin, deux rencontres, ou même trois ou quatre. Des petits riens de la vie, des détails insignifiants, beaucoup trop d'amour entre l'homme et l'animal et un récit qui fait du bien au cœur même si la larme est là à la fin.
Mais pas que à la fin, puisque personnellement j'ai eu mon premier coup au cœur à l'enterrement qui arrive avant et cette magnifique phrase du veuf devant la tombe. Je ne la divulgacherai pas, mais je la trouve sublime et parfaitement bien amenée dans une planche muette qui laisse éclater ces simples mots.
L'auteur originel semble aimer les mots et goûte à cet art de l'écriture parfois lyrique, presque poétique, cette touche d'originalité qui invite à s'amuser avec la langue plus qu'à raconter. La mise en BD a gardé certaines phrases, clairement, et les ajoute à son dynamisme, sa colorisation et surtout sa patte graphique qui rajoute une sorte de collection d'instants, comme des photos commentées dans un album.
Une lecture plaisante pour un récit qui m'a beaucoup touché. Personnellement j'ai eu la chance de vivre avec le chien de ma colocataire pendant trois ans et je dois dire que ce récit m'a fait remonter souvenirs, émotions et larmes. Et maintenant que je me suis épanché si longtemps dessus, dois-je vraiment ajouter que je recommande la lecture ?
Le mélodrame sauve l'innocence.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par David Graham pour le scénario, et par Aurélie Guarino pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingt quatorze pages de bande dessinée. Les personnages n’ayant ni prénom, ni nom, ils seront appelés comme sur la couverture : Loser, Danseuse, Pharmacienne, et Oscar Wilde (Ha, oui, lui il est nommé).
Dans les couloirs de l’aéroport de Roissy, Loser pousse tout le monde dans un escalator, puis court comme un dératé dans les longs couloirs, pour enfin arriver devant l’hôtesse d’enregistrement. Elle lui annonce que c’est trop tard, car l’enregistrement est terminé, l’avion va décoller. Une autre jeune femme arrive en courant pour s’enregistrer, et elle reçoit la même réponse. L’hôtesse ajoute : Le prochain vol pour Miami est dans trois heures, c’est le dernier avant demain midi. Il est complet, mais il y aura peut-être une place ou deux, il y a toujours des retardataires qui perdent leur place. Danseuse va s’assoir sur un siège pour attendre, Loser vient s’installer à côté d’elle et essaye d’entamer la conversation. Il pose quelques questions gentiment, elle répond du bout des lèvres, sans donner beaucoup d’informations. Finalement l’heure de l’embarquement arrive, et ils se dirigent vers l’hôtesse. Elle les informe qu’il reste quatre places, une famille. Si elle n’est pas là dans cinq minutes, ils pourront embarquer tous les deux. Les minutes s’égrènent et soudain la famille surgit en courant. Lui et elle sont consternés. Ils se rendent au guichet de la compagnie aérienne pour changer leur billet. Elle s’éloigne pour aller trouver un hôtel dans l’aéroport, pour dormir. Il lui propose de plutôt en profiter pour aller à Paris. Il ajoute qu’il a sa voiture et qu’il est insomniaque, il ne la drague pas.
Loser conduit sa voiture et demande à Danseuse où elle souhaite aller. Elle lui répond : le vingtième arrondissement. Arrivés devant le portail du cimetière du Père Lachaise, elle lui demande de l’aider à l’escalader pour s’y introduire. Ce qu’il fait, et les voilà dans l’enceinte, à déambuler dans les allées à la recherche d’une tombe bien précise. Il en profite pour consulter son portable et il lit à haute voix : L’intrusion dans un cimetière est passible d’une amende de cinquième classe pouvant aller jusqu’à mille cinq cents euros. Pour la profanation d’une tombe, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende. Compte-t-elle profaner une tombe ? Elle lui raconte que quand elle avait dix-sept ans, elle venait souvent ici avec sa copine Esther : Oscar Wilde était son héros. C’était à cause d’une lettre envoyée à son amant, Lord Alfred Douglas, qu’Oscar Wilde a été condamné à la prison. Esther voulait venger Oscar, mais aussi faire de ces baisers un symbole de liberté. Elles embrassaient donc la statue Flying Demon Angel en laissant une trace de rouge à lèvres. Elles revenaient souvent embrasser Oscar. Un jour, elles se sont aperçues qu’elles avaient inspiré des gens. Oscar recevait des baisers et des messages. Sa tombe était devenue un repère où l’on venait fêter la liberté d’aimer.
Quatre personnages aussi communs qu’improbables. Tout commence par un retard à l’embarquement, et l’insistance gentille d’un monsieur pour lier connaissance avec celle qui est arrivée en retard comme lui. Voilà deux personnes qui ne se connaissent pas en train de faire une virée dans un Paris nocturne. Arriver en retard à l’enregistrement, espérer qu’il y ait un désistement dans le vol suivant : plausible, voire banal pour certains. Accepter d’aller se promener à Paris de nuit avec un inconnu, plutôt que de dormir (mal) dans un hôtel : inattendu. S’introduire de nuit dans le cimetière du Père Lachaise : cela commence à sortir un peu du réalisme. Rencontre un quasi-fantôme, celui d’un écrivain à la réputation internationale. La danseuse le résume le mieux : Alors on va sur une tombe, une sur soixante-dix mille… Et on choisit la seule qui est hantée ? C’est quand même pas de chance. Par ailleurs ce quasi-fantôme ressemble peu à l’original. Il s’en suit une course-poursuite en voiture dans Paris au cours de laquelle les fuyards réussissent à semer la Police : peu probable. Le lecteur fait le rapprochement avec la mention à répétition (jusqu’à en devenir un gag récurrent) du livre Le fantôme de Canterville (1887). Pas de doute, ce récit s’apparente à un conte, les auteurs font usage de licence poétique. En particulier, la dessinatrice s’amuse bien avec les preuves de l’immortalité de Wilde.
La première scène se déroule par un beau soleil de printemps, peut-être de début d’été, avec des couleurs claires et des couleurs gaies. La mise en couleurs vient discrètement apporter des éléments d’information. Par exemple, l’évolution du camaïeu derrière les vitres de la zone d’attente qui passe du jaune orangé à un violet sombre pour marquer les heures qui passent, de l’après-midi à la nuit tombée. En page huit, elle réalise une mosaïque de rectangles colorés pour évoquer l’impression subliminale des éclairages artificiels et des enseignes. En page neuf, le lecteur admire un magnifique ciel étoilé dans une illustration en pleine page, en se faisant la remarque intérieure qu’il s’agit également pour partie d’une licence poétique dans cette banlieue. En page treize, la couleur prend le pas sur les contours encrés pour un effet de silhouettes ou d’ombres chinoises dans le cimetière. L’artiste met ainsi en œuvre différentes techniques : en page vingt-et-un un entrecroisement de traits au crayon gras pour un effet de plafond rocheux dans les ténèbres, en page vingt-cinq des traces lumineuses de phares de voiture pour rendre compte de la vitesse, en page quarante-neuf un passage par le noir & blanc avec des nuances de gris pour un vieux film, en page soixante-dix une case avec un fond rouge pour rendre compte de la violence, etc. Ainsi discrètement, la narration visuelle devient d’autant plus variée et animée.
Les personnages apparaissent tous sympathiques, même ceux en colère, ou les figurants. Les visages sont représentés avec un degré de simplification. La dessinatrice joue avec leur expressivité en l’augmentant, sans systématisme, plus pour faciliter l’empathie du lecteur. Le lecteur peut porter un jugement de valeur sur le comportement de chacun des quatre personnages, ce qui ne diminue en rien l’empathie qu’il éprouve pour eux. L’artiste sait les rendre sympathiques et uniques : la sollicitude bienveillante de Danseuse, le détachement de Wilde du fait de son grand âge, le caractère un peu fataliste de Loser, la détermination teintée de sarcasme de Pharmacienne. Toujours sur le même plan, Le lecteur éprouve la sensation de suivre une aventure assez posée le temps d’une nuit. En y repensant, il se rend compte des différents lieux visités : un aéroport dans tout ce qu’il a de lieu de passage, le cimetière du Père Lachaise dont le tombeau de Wilde, un café parisien, un pont au-dessus de la Seine, une pharmacie, un grand café avec un grand espace karaoké, le parvis du palais Garnier place de l’Opéra, une grande librairie spacieuse, etc. Le lecteur apprécie le sens du détail de l’artiste, par exemple : les silhouettes de mannequin et leurs robes dans une boutique de l’aéroport, la guirlande de petits fanions dans le bar, le magnifique dallage de la pharmacie, la superbe porte en chêne d’un immeuble haussmannien, le jeu de lumières du karaoké, les graffitis sur les vitres de protection de la tombe de Wilde, etc.
Le lecteur se sent tout acquis à la situation problématique des personnages. Il en découvre rapidement un peu plus sur Danseuse : son attachement au tombeau de l’écrivain. Il faut attendre plus longtemps pour en savoir plus sur Loser. Le ressort de l’intrigue est explicité à la fin du premier tiers de l’ouvrage. Ce qui déclenche les actions des personnages pour y remédier de plus ou moins bonne grâce. Le lecteur se rend compte qu’il apprécie de simplement passer du temps avec eux, sans trop se préoccuper d’une trame générale, sans même s’inquiéter de savoir s’ils seront à temps à l’aéroport le lendemain pour leur avion. Cela tient pour partie à la sympathie générée par les personnages, et pour partie à la forme de conte. Pour échapper à la police, Loser doit abandonner sa voiture, qui fera certainement l’objet d’une contravention, au minimum, cela ne préoccupe aucun personnage. Ils dont dû y abandonner leurs valises avec leurs effets personnels, aucune arrière-pensée non plus. Dans le cimetière, Loser se fait une méchante blessure : une branche ou une racine acérée qui se plante dans son mollet droit. Un simple bandage et une désinfection plus tard, et tout est oublié.
Pour autant, la lecture comporte plusieurs autres centres d’intérêt, autre que l’intrigue proprement dite. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de se demander, voire de de souhaiter qu’il se développe une relation affective entre Danseuse et Loser. Il sourit en voyant la forme de rébellion de Pharmacienne contre sa condition, car les auteurs n’hésitent pas à l’armer de cocktails Molotov faits maison, et même d’une grenade ! Il y a également le cas de ce quasi-fantôme. Le lecteur comprend que la mention répétée du Fantôme de Canterville agit à la fois comme un hommage, et comme une indication sur l’influence de cette histoire. Cela amène Oscar à évoquer l’exercice de son art d’écrivain, et à rappeler qu’il a écrit d’autres choses, par exemple Le portrait de Dorian Gray (1890). Plus loin, le libraire complète sa bibliographie : Wilde a écrit des pièces de théâtre, des contes, de la poésie, des lettres. Beaucoup de lettres… Il a beaucoup aimé Salomé. C’est une pièce formidable. Mais Son livre préféré de Wilde, c’est De profundis. Une longue lettre adressée à son amant, lord Alfred Douglas. Le lecteur peut ressentir que c’est un écrivain qui a compté aussi pour les présents auteurs. Au fur et à mesure émerge une autre thématique, celle de l’insatisfaction, de la répétition des schémas, de la vie qui semble comme bloquée dans une phase inextricable. La bande dessinée établit ce constat pour les différents personnages, sans proposer de solution miracle ou d’action magique (bien qu’il s’agisse d’un conte), mettant en lumière les effets de cette simple prise de conscience, à la fois de prise de recul sur sa vie, à la fois d’analyse de ce qui est en jeu.
Une petite virée nocturne dans Paris, à quatre, avec un quasi-fantôme (et pas n’importe lequel), une super danseuse, une pharmacienne phénomène, un vrai faux loser ? Une narration visuelle douce et vive, discrètement variée et riche, un vrai plaisir de lecture. Des personnages sympathiques avec leurs défauts, et une narration s’apparentant par certains aspects à un conte. Une prise de conscience nécessaire sur une forme de décalage entre ce que l’on vit et ce que l’on souhaite. Attentionné.
Ouch.
Cet album profite pleinement de sa contrainte de durée pour mettre une belle petite claque. Tout s'enchaîne très vite, on passe rapidement des belles illustrations poétique à l'acte abject, la fin est brutale et fait mal, l'absence totale de dialogue est glaçante.
C'est beau.
Le trait de Claire Bouilhac est magnifique, l'utilisation de la figure de la sorcière pertinente, la lecture parvient à faire mouche en seulement 16 pages alors que le sujet à déjà été abordé de nombreuses fois, … Chapeau (de sorcière) !
(Note réelle 3,5)
Mon plus gros coup de cœur de l'année !
Ce que l’on peut lire à propos des oies cendrées sur Wikipédia suffirait presque à définir le pitch de cet ouvrage. La fiche décrit cet oiseau comme une espèce monogame, vivant en couple pour toute la vie, avant de préciser qu’« en cas de disparition d’un des deux conjoints, le survivant peut s’infliger un célibat prolongé avant de reformer un couple, voire un veuvage définitif ».
Et ces oies, qui ont inspiré le titre de l’album, elles sont le sujet principal des peintures d’Arthur, un vieux monsieur qui, depuis la mort de son épouse, vit reclus au bord d’un lac suédois en laissant libre cours à ses rêves de peintre amateur. Celui-ci prend conscience que le décès de sa chère et tendre a sanctionné abruptement une étape de sa vie, celle où l’on bascule dans une mélancolie doucereuse en attendant la fin, et que, sans aucun doute, sa vie est désormais derrière lui. Dit comme ça, cela n’est pas très engageant, et pourtant… ce récit va se muer contre toute attente en comédie truculente, avec le parfait dosage de gravité et d’émotion évitant tout pathos.
Parce qu’au tout début, on observe ce vieil homme à la mine flétrie vaquer à ses occupations dans son chalet, des rituels du quotidien que l’on sent réglés comme une horloge franc-comtoise. Après une nuit que l’on suppose sans sommeil, on le voit faire sa toilette, se raser, préparer son café, le boire, sans tartines, laver son bol, laver la soucoupe, les poser sur l’égouttoir. Puis d’un pas tranquille, Arthur traverse le jardin en direction de son atelier, son antre à lui, où s’entassent ses peintures et son matériel. On le regarde ouvrir les volets, allumer sa radio, déposer de la gouache sur sa palette, puis, enfin, reprendre religieusement sa toile abandonnée la veille, face au lac, une toile représentant une oie cendrée en train de prendre son envol… jusqu’à ce que…déboulant dans son champ de vision, un nageur vienne troubler la quiétude des lieux par son crawl énergique, provoquant l’envol d’une nuée d’oiseaux…
Ce nageur, c’est Gabriel. Avec son look de grand ourson un peu bedonnant, il sort de l’eau et s’essuie devant les fenêtres d’Arthur, littéralement. Et avec ça, dans le plus simple appareil. Submergé par le trouble, Arthur en aurait presque renversé son chevalet. A ce stade, impossible d’en dire trop pour ne pas divulgâcher, mais alors qu’on pouvait s’attendre à une narration un peu monotone, c’est tout l’inverse qui se produit avec l’arrivée de Gabriel, qui n'est pas là par hasard puisqu'il veut absolument exposer les œuvres de l'artiste dans sa galerie parisienne. Le récit va donc bifurquer vers le registre « romcom », où le burlesque se télescope avec le désir et la tendresse, mais aussi une certaine gravité pour le moins poignante.
Au-delà du genre, c’est la question de la vieillesse qui est abordée, ainsi que la notion de désir. Quand on arrive à un certain âge, est-ce la solitude qui nous choisit ou nous qui la choisissons ? Même si, forcément, la libido est moins forte à 70 ans qu’à 20, devons-nous pour autant la laisser disparaître ? N’est-ce pas une façon de céder aux injonctions de la société et de ses codes, qui souvent réussit à nous convaincre que l’on n’a plus rien à donner en attendant le cimetière ? De même, quand vient l’heure des bilans, sommes-nous toujours certains d’avoir fait les bons choix et de ne pas nous être reniés, juste par peur du « bannissement » ?
Tout cela est traité intelligemment, sans longs discours, mais surtout de façon jubilatoire. Mais ce qui fait tout le sel du récit, c’est le personnage du galeriste Gabriel, gay totalement assumé, qui apparaît dans la vie d’Arthur tel un chien dans un jeu de quilles trop bien rangé. Oui, Gabriel est un chien fou et « sauvage » (grrroooaarrrr !!!). A mille lieues des clichés, notre sympathique « bear » est un bon vivant, un brin porté sur la picole, un peu « bourrin » mais sensible aussi (l’un n’empêche pas l’autre !), se moquant éperdument du qu’en-dira-t-on. Et cela au grand dam d’Arthur, ce veuf en voie de mortification, de vingt ans son aîné et pas du tout à l’aise avec ça… Le contraste donne lieu à quelques scènes tout simplement irrésistibles, notamment celle du repas chez les voisins…
Le trait d’Alice VDM, jeune autrice à l’origine d’un album publié chez Sarbacane (une reconnaissance en soi), est simple, aéré et stylé, et s’accorde bien au contexte du récit. Par de petits détails de cadrage, une posture, une légère variation du trait dans les expressions, on peut deviner les états d’âme des personnages. Les paysages autour du lac sont très plaisants, et VDM nous fait parfaitement sentir la beauté et la sérénité qui s’en dégage.
Avec cet album, Cyril Legrais nous invite à envisager la vieillesse avec des yeux neufs, à rebours des habituels discours condescendants, et il le fait avec brio. Les personnages sont extrêmement attachants, en particulier Gabriel évidemment, mais on peut éprouver une grande empathie pour Arthur qui grâce à ce dernier, va vivre ici un véritable conte de fées. Pour l’auteur de ces lignes, « Les Oies cendrées » sont un énorme coup de cœur. Cette BD « feel good » parvient à transcender la mélancolie des vieux jours en quelque chose d’extrêmement lumineux, sans mièvrerie aucune, et ce n’est pas rien. Pour cela, les auteurs méritent notre reconnaissance éternelle.
Un documentaire en BD percutant qui explore en profondeur le tabac, la cigarette et surtout le lobby des cigarettiers. Déjà opposé à la cigarette et conscient de ses dangers (après avoir fumé moins d'un an dans ma jeunesse mais mis plus d'un an à m'en défaire totalement), cet album n'a fait que renforcer mon dégoût pour cette drogue et les poisons qui l'accompagnent dans la cigarette, et pour l'immense épôt d'étrons humain que représentent les industriels du tabac et leurs lobbys meurtriers et pollueurs, uniquement motivés par l'argent. À la lecture, on constate qu'ils conservent un pouvoir colossal, tout simplement parce qu'ils ne sont pas encore derrière les barreaux et que la cigarette n'a toujours pas été bannie dans le monde entier.
L'ouvrage est remarquablement construit. Le dessin est clair, fluide, avec un narrateur principal au ton cynique et caustique, rappelant physiquement et verbalement Spider Jerusalem de Transmetropolitan, à ceci près qu'ici il est du côté des méchants. La critique d'un monde corrompu, gouverné par l'argent et d'obscènes puissants, est tout aussi virulente. Le récit est découpé en chapitres logiques et progressifs : l'histoire du tabac, l'invention et l'essor de la cigarette, les stratégies marketing, l'impact social, les dangers sanitaires et environnementaux, le combat anti-tabac, puis la contre-attaque du lobby et la situation actuelle, presque pire qu'avant malgré une impression de progrès en France.
L'accent est mis sur la manipulation psychologique de masse, notamment via l'exploitation des biais cognitifs et des messages subliminaux, afin non seulement d'inciter à fumer, mais aussi de pousser les fumeurs à défendre ce qui les tue, les ruine et pollue la planète, au nom d'une soi-disant liberté individuelle. En réalité, tout le monde y perd sauf ceux qui s'enrichissent là-dessus, et la société dans son ensemble en subit les conséquences.
En bref, mon ton est véhément parce que cet album, prêchant un convaincu, a renforcé mon aversion envers le tabac et ses lobbys. Et il rappelle incidemment que celui des cigarettiers est loin d'être le seul à pourrir le monde : armes, pétrole, finance... autant de secteurs où l'argent justifie tous les mensonges, au détriment de la planète et de l'humanité. Quand on voit leurs méthodes et stratégies et qu'on constate qu'elles fonctionnent toujours trois quarts de siècle plus tard, on se dit qu'on est loin d'être sorti de l'auberge.
C'est suffisamment rare pour que je le signale d'entrée : 200 pages de strips, gags, sur une page ou quelques unes, sans lasser le moins du monde, c'est rare.
Je ne connaissais pas ce dessinateur dont je me suis offert la bd sur un coup de tête. Ou plutôt un coup de lecture : j'ouvre au hasard quelques pages et me voilà à ricaner ou être touché. Pas commun ! Par ailleurs j'adore le dessin souple, expressif, un peu brut en même temps.
Une fois le précieux objet embarqué je me suis délecté de le lire (en 2 fois pour garder du plaisir le lendemain et cette bd s'y prête).
A la fois drôle, souvent sensible, cru et honnête : de formidables qualités pour cette bd sur le père, le couple et la vie de famille; le tout vu par un homme (c'est important à souligner).
Une bd que je relirai avec plaisir.
Une belle lecture.
J'ai aimé que l'histoire se déploiement doucement à travers le voyage de l'héroïne ; ou l'on découvre dans le même temps un univers flotte autour d'une sorte d'héroic fantasy légère.
Les dessins oscillent entre le très beau et le naïf.
D'ailleurs la naïveté de cette bd est à la fois sa faiblesse et sa grande force.
Une faiblesse d'abord car il manque parfois un peu plus de fond et la fin, peut être trop rapide, ne prends pas le temps et n'exploite pas suffisamment à mon sens l'univers qui a été créé. C'est aussi la force de l'histoire qui donne à l'ensemble une tonalité pleine de fraicheur.
C'est pourquoi je ne serai pas étonné que tous/toutes les lecteurs/lectrices apprécient la lecture de cette bd et en même temps hésitent à mettre un 4/5.
En ce qui me concerne j'ai choisi mon camp : lecture vivement conseillée ! une belle réussite
Et bien voilà une très bonne série jeunesse, en tout cas un excellent début.
J’ai aimé le dessin du couple Kerascoet, qui rappelle l’excellente série Beauté, et servi par une mise en couleur tout à fait plaisante.
Le fond de l’histoire est lui-aussi malin, croisant plusieurs mythes et légendes, dont celui de l’Atlantide au premier chef. Mais on croise aussi un erzatz de Dark Vador, transformé ici en une sorte de Seigneur des fonds marins, ainsi qu’une bonne dose de mythologie grecque dont l'histoire d'Icare bien entendu, revisitée de manière assez surprenante. J’adore !
Les personnages ne sont pas neuneus et leur personnalité est travaillée.
Quant à l’intrigue, elle est alerte, bien menée et sait susciter la curiosité. Lue d'une traite. Je serai bien entendu du voyage pour la suite.
Ma note reflète le plaisir de lecture – on sourit a minima à beaucoup de gags, on rigole à d’autres – mais aussi le fait que ces petits « à-côtés » étaient publiés au début des années 1980 dans le Journal Spirou. Moi qui ne les lis qu’aujourd’hui, je suis quand même agréablement surpris par la liberté laissée aux deux zigotos, dans un journal quand même globalement très sage. Ma remarque est valable au niveau de la causticité, voire du relatif rentre dedans de certains gags, mais aussi parce que nombre d’entre eux se moquent dans les grandes largeurs des auteurs maison, ce qui n’a pas manqué de provoquer quelques grincements de dents.
Cette dernière remarque amène une autre réflexion. On appréciera aujourd’hui d’autant plus les textes de Yann que l’on connait les auteurs et les séries évoqués. Mais, même sans ce « sel » supplémentaire, le lecteur d’aujourd’hui peut largement trouver à s’amuser de ces petites réflexions vachardes, ces piques acidulées ou pimentées, où un certain humour noir, une touche de déconne, s’invitent dans les pages d’un journal qui n’était pas Fluide Glacial !
Le plaisir de lecture est d’autant plus présent que le dessin de Conrad est vraiment chouette. Dynamique, fluide, il utilise le très peu de place qui lui est alloué pour proposer quelque chose qui colle bien aux textes de son compère (les deux hommes se sont spécialisés dans ces années dans les séries plus ou moins parodiques, un chouia trash, et ici on a un aperçu – pas toujours édulcoré – de leur talent dans ce domaine).
Un petit défouloir revigorant. On peut tout à fait imaginer que certains « hauts » devaient pour de nombreux lecteurs attirer davantage que le reste de la page…
D’emblée, on remarque le joli travail éditorial sur l’objet : grand format, couverture toilée, papier à fort grammage, autant d’éléments qui honorent le graphisme plaisant d’Aurélie Wilmet pour un ouvrage que l’on rangerait volontiers dans la catégorie « livre d’art ».
Il s’agit ici de la première biographie en bande dessinée consacrée à la célèbre photographe étasunienne Diane Arbus. Celle-ci, qui avait débuté dans les photos de mode, s’est bien vite lassée d’être au service de mannequins qui exhibaient leur beauté lisse dans les magazines chic sur papier glacé. Elle ne se sentait guère à sa place, elle qui était plutôt d’un caractère introverti et recherchait l’authenticité. Peu à peu, elle trouva sa voie avec le « photojournalisme », en photographiant notamment ces invisibles qui préféraient se réfugier dans l’ombre, ceux qu’on ne voulait pas voir parce qu’ils étaient différents, « laids » ou difformes, pas dans la norme, bref, hors des canons de beauté fixés par l’« intelligentsia » du monde de la mode.
La narration d’Aurélie Wilmet, bien que linéaire pour évoquer la vie de cette artiste, reste très aérienne. La partie textuelle ne fait qu’accompagner le dessin, sans être prédominante. Elle est disséminée à travers les pages, et souvent entrecoupée de séquences muettes et éthérées, proches de l’abstraction. On va donc suivre Diane Arbus dans son parcours sentimental et professionnel, qui tout au long de sa vie fut miné par le doute. Après moult tâtonnements, elle put toutefois mener ses projets à bien, sans savoir trop quelle forme ils prendraient au départ : « Je suis attirée vers autre chose, quelque chose de plus authentique, même si je ne sais pas encore quoi. »
Pour cette femme fascinée par l’étrangeté, « Freaks », le film de Tod Browning, fut pour elle une œuvre précurseuse « dans la représentation de l’étrange », tel un déclic qui l’incita à vivre son métier comme une vocation. C’est ainsi que, surmontant sa timidité, elle repéra dans un cirque l’homme qui allait contribuer à sa célébrité : Eddie Carmel, connu sous le nom de « géant juif », un doux géant dont Arbus disait aimer chez lui cette prestance et cette fierté « qui [montrait] qu’il ne se [laissait] pas abattre par la maladie et qu’il [tentait] de vivre comme il l’[entendait] ». Ses pas la guidèrent également vers des horizons divers : quartiers interlopes de New York, foyers pour handicapés… elle put s’en donner à cœur joie en fixant sur pellicule « la joie malgré une terrible adversité ».
Quant à sa vie personnelle, elle fut marquée par sa relation avec Allan Arbus, acteur et photographe également, et leur divorce ne l’empêcha pas de conserver longtemps des liens d’amitié avec lui, mais également sa liaison amoureuse avec Marvin Israël, un artiste-peintre américain. Souffrant d’une hépatite mal soignée, elle était rarement au sommet de sa forme et régulièrement en proie à la dépression.
Aurélie Wilmet parvient à nous immerger de belle manière dans une monochromie bleutée un rien mélancolique et épousant harmonieusement son trait minimaliste, suscitant chez le lecteur un sentiment apaisant. De façon pertinente, le bleu se mue en mauve pour les séquences digressives, qu’il s’agisse de rêves ou de rêveries…
« Diane Arbus – Photographier les invisibles » est une belle mise en lumière d’une artiste dont les clichés auront marqué l’Histoire du photojournalisme de la seconde partie du XXe siècle. De son vivant, Diane Arbus avait déclaré : « J’ai l’impression que la société n’est pas prête pour certaines de mes images. » N’aurait-elle pas été prise de vertige en observant les contenus diffusés aujourd’hui sur les réseaux sociaux, avec ces selfies exhibés par des « influenceurs » surfant sur des vagues de conformisme, où le fait d’avoir un corps « parfait » et un visage sans aspérités serait la seule option pour accéder à la reconnaissance universelle ?
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Son odeur après la pluie
Bon, pour mon petit retour sur BDthèque il fallait bien attaquer avec un avis trop long, trop enthousiaste et pas du tout objectif, non ? Alors que dire sur cette BD... Déjà que c'est une des récentes lectures qui m'a collé la larme à l’œil que j'apprécie d'avoir, surtout parce que j'ai été touché. Mais aussi que je ne peux que conseiller la lecture à tous ceux qui ont déjà eu un animal (félin, canin, autre). Parce que c'est une très belle lecture sur l'amitié avec les animaux, l'amour qu'on leur porte et ce que ça devient dans nos vies. Si le fait d'avoir un animal vous indiffère, si vous trouvez les gens qui parlent à leur chien gâteux, si vous pensez que les gens qui se soucient de leur chats sont émotionnellement instables, etc... Passez votre chemin. Cette BD n’est non seulement pas pour vous mais risque même de vous déplaire. Parce que l'auteur n'est pas tendre avec ces gens-là. Mais si vous avez eu (ou avez encore) un animal, que vous l'aimez vraiment, que vous comprenez ce que ça fait de l'avoir dans votre vie, alors cette BD est faite pour vous. Adaptée d'un roman qui fut un gros succès surprise de librairie (et dont je n'ai pas du tout entendu parler, à ma grande surprise), la BD a été mise en image par Munuera qui a fait un superbe travail. Je ne suis pas un grand connaisseur de son œuvre que j'ai très vaguement survolée mais là je reconnais son dessin et la respiration qu'il a donnée à ses planches. Pour une histoire de chien, de balade, de grand air, d'espace, c'est tout à fait indiqué et les planches sont très belles, éclatantes même. Quant à l'histoire, c'est simple, banal, même. Ordinaire. Un homme et un chien, leur petite vie, comment tout évolue. Un professeur de sport, un bouvier bernois, une rencontre. Enfin, deux rencontres, ou même trois ou quatre. Des petits riens de la vie, des détails insignifiants, beaucoup trop d'amour entre l'homme et l'animal et un récit qui fait du bien au cœur même si la larme est là à la fin. Mais pas que à la fin, puisque personnellement j'ai eu mon premier coup au cœur à l'enterrement qui arrive avant et cette magnifique phrase du veuf devant la tombe. Je ne la divulgacherai pas, mais je la trouve sublime et parfaitement bien amenée dans une planche muette qui laisse éclater ces simples mots. L'auteur originel semble aimer les mots et goûte à cet art de l'écriture parfois lyrique, presque poétique, cette touche d'originalité qui invite à s'amuser avec la langue plus qu'à raconter. La mise en BD a gardé certaines phrases, clairement, et les ajoute à son dynamisme, sa colorisation et surtout sa patte graphique qui rajoute une sorte de collection d'instants, comme des photos commentées dans un album. Une lecture plaisante pour un récit qui m'a beaucoup touché. Personnellement j'ai eu la chance de vivre avec le chien de ma colocataire pendant trois ans et je dois dire que ce récit m'a fait remonter souvenirs, émotions et larmes. Et maintenant que je me suis épanché si longtemps dessus, dois-je vraiment ajouter que je recommande la lecture ?
La Nuit est belle
Le mélodrame sauve l'innocence. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par David Graham pour le scénario, et par Aurélie Guarino pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingt quatorze pages de bande dessinée. Les personnages n’ayant ni prénom, ni nom, ils seront appelés comme sur la couverture : Loser, Danseuse, Pharmacienne, et Oscar Wilde (Ha, oui, lui il est nommé). Dans les couloirs de l’aéroport de Roissy, Loser pousse tout le monde dans un escalator, puis court comme un dératé dans les longs couloirs, pour enfin arriver devant l’hôtesse d’enregistrement. Elle lui annonce que c’est trop tard, car l’enregistrement est terminé, l’avion va décoller. Une autre jeune femme arrive en courant pour s’enregistrer, et elle reçoit la même réponse. L’hôtesse ajoute : Le prochain vol pour Miami est dans trois heures, c’est le dernier avant demain midi. Il est complet, mais il y aura peut-être une place ou deux, il y a toujours des retardataires qui perdent leur place. Danseuse va s’assoir sur un siège pour attendre, Loser vient s’installer à côté d’elle et essaye d’entamer la conversation. Il pose quelques questions gentiment, elle répond du bout des lèvres, sans donner beaucoup d’informations. Finalement l’heure de l’embarquement arrive, et ils se dirigent vers l’hôtesse. Elle les informe qu’il reste quatre places, une famille. Si elle n’est pas là dans cinq minutes, ils pourront embarquer tous les deux. Les minutes s’égrènent et soudain la famille surgit en courant. Lui et elle sont consternés. Ils se rendent au guichet de la compagnie aérienne pour changer leur billet. Elle s’éloigne pour aller trouver un hôtel dans l’aéroport, pour dormir. Il lui propose de plutôt en profiter pour aller à Paris. Il ajoute qu’il a sa voiture et qu’il est insomniaque, il ne la drague pas. Loser conduit sa voiture et demande à Danseuse où elle souhaite aller. Elle lui répond : le vingtième arrondissement. Arrivés devant le portail du cimetière du Père Lachaise, elle lui demande de l’aider à l’escalader pour s’y introduire. Ce qu’il fait, et les voilà dans l’enceinte, à déambuler dans les allées à la recherche d’une tombe bien précise. Il en profite pour consulter son portable et il lit à haute voix : L’intrusion dans un cimetière est passible d’une amende de cinquième classe pouvant aller jusqu’à mille cinq cents euros. Pour la profanation d’une tombe, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de quinze mille euros d’amende. Compte-t-elle profaner une tombe ? Elle lui raconte que quand elle avait dix-sept ans, elle venait souvent ici avec sa copine Esther : Oscar Wilde était son héros. C’était à cause d’une lettre envoyée à son amant, Lord Alfred Douglas, qu’Oscar Wilde a été condamné à la prison. Esther voulait venger Oscar, mais aussi faire de ces baisers un symbole de liberté. Elles embrassaient donc la statue Flying Demon Angel en laissant une trace de rouge à lèvres. Elles revenaient souvent embrasser Oscar. Un jour, elles se sont aperçues qu’elles avaient inspiré des gens. Oscar recevait des baisers et des messages. Sa tombe était devenue un repère où l’on venait fêter la liberté d’aimer. Quatre personnages aussi communs qu’improbables. Tout commence par un retard à l’embarquement, et l’insistance gentille d’un monsieur pour lier connaissance avec celle qui est arrivée en retard comme lui. Voilà deux personnes qui ne se connaissent pas en train de faire une virée dans un Paris nocturne. Arriver en retard à l’enregistrement, espérer qu’il y ait un désistement dans le vol suivant : plausible, voire banal pour certains. Accepter d’aller se promener à Paris de nuit avec un inconnu, plutôt que de dormir (mal) dans un hôtel : inattendu. S’introduire de nuit dans le cimetière du Père Lachaise : cela commence à sortir un peu du réalisme. Rencontre un quasi-fantôme, celui d’un écrivain à la réputation internationale. La danseuse le résume le mieux : Alors on va sur une tombe, une sur soixante-dix mille… Et on choisit la seule qui est hantée ? C’est quand même pas de chance. Par ailleurs ce quasi-fantôme ressemble peu à l’original. Il s’en suit une course-poursuite en voiture dans Paris au cours de laquelle les fuyards réussissent à semer la Police : peu probable. Le lecteur fait le rapprochement avec la mention à répétition (jusqu’à en devenir un gag récurrent) du livre Le fantôme de Canterville (1887). Pas de doute, ce récit s’apparente à un conte, les auteurs font usage de licence poétique. En particulier, la dessinatrice s’amuse bien avec les preuves de l’immortalité de Wilde. La première scène se déroule par un beau soleil de printemps, peut-être de début d’été, avec des couleurs claires et des couleurs gaies. La mise en couleurs vient discrètement apporter des éléments d’information. Par exemple, l’évolution du camaïeu derrière les vitres de la zone d’attente qui passe du jaune orangé à un violet sombre pour marquer les heures qui passent, de l’après-midi à la nuit tombée. En page huit, elle réalise une mosaïque de rectangles colorés pour évoquer l’impression subliminale des éclairages artificiels et des enseignes. En page neuf, le lecteur admire un magnifique ciel étoilé dans une illustration en pleine page, en se faisant la remarque intérieure qu’il s’agit également pour partie d’une licence poétique dans cette banlieue. En page treize, la couleur prend le pas sur les contours encrés pour un effet de silhouettes ou d’ombres chinoises dans le cimetière. L’artiste met ainsi en œuvre différentes techniques : en page vingt-et-un un entrecroisement de traits au crayon gras pour un effet de plafond rocheux dans les ténèbres, en page vingt-cinq des traces lumineuses de phares de voiture pour rendre compte de la vitesse, en page quarante-neuf un passage par le noir & blanc avec des nuances de gris pour un vieux film, en page soixante-dix une case avec un fond rouge pour rendre compte de la violence, etc. Ainsi discrètement, la narration visuelle devient d’autant plus variée et animée. Les personnages apparaissent tous sympathiques, même ceux en colère, ou les figurants. Les visages sont représentés avec un degré de simplification. La dessinatrice joue avec leur expressivité en l’augmentant, sans systématisme, plus pour faciliter l’empathie du lecteur. Le lecteur peut porter un jugement de valeur sur le comportement de chacun des quatre personnages, ce qui ne diminue en rien l’empathie qu’il éprouve pour eux. L’artiste sait les rendre sympathiques et uniques : la sollicitude bienveillante de Danseuse, le détachement de Wilde du fait de son grand âge, le caractère un peu fataliste de Loser, la détermination teintée de sarcasme de Pharmacienne. Toujours sur le même plan, Le lecteur éprouve la sensation de suivre une aventure assez posée le temps d’une nuit. En y repensant, il se rend compte des différents lieux visités : un aéroport dans tout ce qu’il a de lieu de passage, le cimetière du Père Lachaise dont le tombeau de Wilde, un café parisien, un pont au-dessus de la Seine, une pharmacie, un grand café avec un grand espace karaoké, le parvis du palais Garnier place de l’Opéra, une grande librairie spacieuse, etc. Le lecteur apprécie le sens du détail de l’artiste, par exemple : les silhouettes de mannequin et leurs robes dans une boutique de l’aéroport, la guirlande de petits fanions dans le bar, le magnifique dallage de la pharmacie, la superbe porte en chêne d’un immeuble haussmannien, le jeu de lumières du karaoké, les graffitis sur les vitres de protection de la tombe de Wilde, etc. Le lecteur se sent tout acquis à la situation problématique des personnages. Il en découvre rapidement un peu plus sur Danseuse : son attachement au tombeau de l’écrivain. Il faut attendre plus longtemps pour en savoir plus sur Loser. Le ressort de l’intrigue est explicité à la fin du premier tiers de l’ouvrage. Ce qui déclenche les actions des personnages pour y remédier de plus ou moins bonne grâce. Le lecteur se rend compte qu’il apprécie de simplement passer du temps avec eux, sans trop se préoccuper d’une trame générale, sans même s’inquiéter de savoir s’ils seront à temps à l’aéroport le lendemain pour leur avion. Cela tient pour partie à la sympathie générée par les personnages, et pour partie à la forme de conte. Pour échapper à la police, Loser doit abandonner sa voiture, qui fera certainement l’objet d’une contravention, au minimum, cela ne préoccupe aucun personnage. Ils dont dû y abandonner leurs valises avec leurs effets personnels, aucune arrière-pensée non plus. Dans le cimetière, Loser se fait une méchante blessure : une branche ou une racine acérée qui se plante dans son mollet droit. Un simple bandage et une désinfection plus tard, et tout est oublié. Pour autant, la lecture comporte plusieurs autres centres d’intérêt, autre que l’intrigue proprement dite. Le lecteur ne peut pas s’empêcher de se demander, voire de de souhaiter qu’il se développe une relation affective entre Danseuse et Loser. Il sourit en voyant la forme de rébellion de Pharmacienne contre sa condition, car les auteurs n’hésitent pas à l’armer de cocktails Molotov faits maison, et même d’une grenade ! Il y a également le cas de ce quasi-fantôme. Le lecteur comprend que la mention répétée du Fantôme de Canterville agit à la fois comme un hommage, et comme une indication sur l’influence de cette histoire. Cela amène Oscar à évoquer l’exercice de son art d’écrivain, et à rappeler qu’il a écrit d’autres choses, par exemple Le portrait de Dorian Gray (1890). Plus loin, le libraire complète sa bibliographie : Wilde a écrit des pièces de théâtre, des contes, de la poésie, des lettres. Beaucoup de lettres… Il a beaucoup aimé Salomé. C’est une pièce formidable. Mais Son livre préféré de Wilde, c’est De profundis. Une longue lettre adressée à son amant, lord Alfred Douglas. Le lecteur peut ressentir que c’est un écrivain qui a compté aussi pour les présents auteurs. Au fur et à mesure émerge une autre thématique, celle de l’insatisfaction, de la répétition des schémas, de la vie qui semble comme bloquée dans une phase inextricable. La bande dessinée établit ce constat pour les différents personnages, sans proposer de solution miracle ou d’action magique (bien qu’il s’agisse d’un conte), mettant en lumière les effets de cette simple prise de conscience, à la fois de prise de recul sur sa vie, à la fois d’analyse de ce qui est en jeu. Une petite virée nocturne dans Paris, à quatre, avec un quasi-fantôme (et pas n’importe lequel), une super danseuse, une pharmacienne phénomène, un vrai faux loser ? Une narration visuelle douce et vive, discrètement variée et riche, un vrai plaisir de lecture. Des personnages sympathiques avec leurs défauts, et une narration s’apparentant par certains aspects à un conte. Une prise de conscience nécessaire sur une forme de décalage entre ce que l’on vit et ce que l’on souhaite. Attentionné.
Maleficarum
Ouch. Cet album profite pleinement de sa contrainte de durée pour mettre une belle petite claque. Tout s'enchaîne très vite, on passe rapidement des belles illustrations poétique à l'acte abject, la fin est brutale et fait mal, l'absence totale de dialogue est glaçante. C'est beau. Le trait de Claire Bouilhac est magnifique, l'utilisation de la figure de la sorcière pertinente, la lecture parvient à faire mouche en seulement 16 pages alors que le sujet à déjà été abordé de nombreuses fois, … Chapeau (de sorcière) ! (Note réelle 3,5)
Les Oies cendrées
Mon plus gros coup de cœur de l'année ! Ce que l’on peut lire à propos des oies cendrées sur Wikipédia suffirait presque à définir le pitch de cet ouvrage. La fiche décrit cet oiseau comme une espèce monogame, vivant en couple pour toute la vie, avant de préciser qu’« en cas de disparition d’un des deux conjoints, le survivant peut s’infliger un célibat prolongé avant de reformer un couple, voire un veuvage définitif ». Et ces oies, qui ont inspiré le titre de l’album, elles sont le sujet principal des peintures d’Arthur, un vieux monsieur qui, depuis la mort de son épouse, vit reclus au bord d’un lac suédois en laissant libre cours à ses rêves de peintre amateur. Celui-ci prend conscience que le décès de sa chère et tendre a sanctionné abruptement une étape de sa vie, celle où l’on bascule dans une mélancolie doucereuse en attendant la fin, et que, sans aucun doute, sa vie est désormais derrière lui. Dit comme ça, cela n’est pas très engageant, et pourtant… ce récit va se muer contre toute attente en comédie truculente, avec le parfait dosage de gravité et d’émotion évitant tout pathos. Parce qu’au tout début, on observe ce vieil homme à la mine flétrie vaquer à ses occupations dans son chalet, des rituels du quotidien que l’on sent réglés comme une horloge franc-comtoise. Après une nuit que l’on suppose sans sommeil, on le voit faire sa toilette, se raser, préparer son café, le boire, sans tartines, laver son bol, laver la soucoupe, les poser sur l’égouttoir. Puis d’un pas tranquille, Arthur traverse le jardin en direction de son atelier, son antre à lui, où s’entassent ses peintures et son matériel. On le regarde ouvrir les volets, allumer sa radio, déposer de la gouache sur sa palette, puis, enfin, reprendre religieusement sa toile abandonnée la veille, face au lac, une toile représentant une oie cendrée en train de prendre son envol… jusqu’à ce que…déboulant dans son champ de vision, un nageur vienne troubler la quiétude des lieux par son crawl énergique, provoquant l’envol d’une nuée d’oiseaux… Ce nageur, c’est Gabriel. Avec son look de grand ourson un peu bedonnant, il sort de l’eau et s’essuie devant les fenêtres d’Arthur, littéralement. Et avec ça, dans le plus simple appareil. Submergé par le trouble, Arthur en aurait presque renversé son chevalet. A ce stade, impossible d’en dire trop pour ne pas divulgâcher, mais alors qu’on pouvait s’attendre à une narration un peu monotone, c’est tout l’inverse qui se produit avec l’arrivée de Gabriel, qui n'est pas là par hasard puisqu'il veut absolument exposer les œuvres de l'artiste dans sa galerie parisienne. Le récit va donc bifurquer vers le registre « romcom », où le burlesque se télescope avec le désir et la tendresse, mais aussi une certaine gravité pour le moins poignante. Au-delà du genre, c’est la question de la vieillesse qui est abordée, ainsi que la notion de désir. Quand on arrive à un certain âge, est-ce la solitude qui nous choisit ou nous qui la choisissons ? Même si, forcément, la libido est moins forte à 70 ans qu’à 20, devons-nous pour autant la laisser disparaître ? N’est-ce pas une façon de céder aux injonctions de la société et de ses codes, qui souvent réussit à nous convaincre que l’on n’a plus rien à donner en attendant le cimetière ? De même, quand vient l’heure des bilans, sommes-nous toujours certains d’avoir fait les bons choix et de ne pas nous être reniés, juste par peur du « bannissement » ? Tout cela est traité intelligemment, sans longs discours, mais surtout de façon jubilatoire. Mais ce qui fait tout le sel du récit, c’est le personnage du galeriste Gabriel, gay totalement assumé, qui apparaît dans la vie d’Arthur tel un chien dans un jeu de quilles trop bien rangé. Oui, Gabriel est un chien fou et « sauvage » (grrroooaarrrr !!!). A mille lieues des clichés, notre sympathique « bear » est un bon vivant, un brin porté sur la picole, un peu « bourrin » mais sensible aussi (l’un n’empêche pas l’autre !), se moquant éperdument du qu’en-dira-t-on. Et cela au grand dam d’Arthur, ce veuf en voie de mortification, de vingt ans son aîné et pas du tout à l’aise avec ça… Le contraste donne lieu à quelques scènes tout simplement irrésistibles, notamment celle du repas chez les voisins… Le trait d’Alice VDM, jeune autrice à l’origine d’un album publié chez Sarbacane (une reconnaissance en soi), est simple, aéré et stylé, et s’accorde bien au contexte du récit. Par de petits détails de cadrage, une posture, une légère variation du trait dans les expressions, on peut deviner les états d’âme des personnages. Les paysages autour du lac sont très plaisants, et VDM nous fait parfaitement sentir la beauté et la sérénité qui s’en dégage. Avec cet album, Cyril Legrais nous invite à envisager la vieillesse avec des yeux neufs, à rebours des habituels discours condescendants, et il le fait avec brio. Les personnages sont extrêmement attachants, en particulier Gabriel évidemment, mais on peut éprouver une grande empathie pour Arthur qui grâce à ce dernier, va vivre ici un véritable conte de fées. Pour l’auteur de ces lignes, « Les Oies cendrées » sont un énorme coup de cœur. Cette BD « feel good » parvient à transcender la mélancolie des vieux jours en quelque chose d’extrêmement lumineux, sans mièvrerie aucune, et ce n’est pas rien. Pour cela, les auteurs méritent notre reconnaissance éternelle.
Cigarettes - Le Dossier sans filtre
Un documentaire en BD percutant qui explore en profondeur le tabac, la cigarette et surtout le lobby des cigarettiers. Déjà opposé à la cigarette et conscient de ses dangers (après avoir fumé moins d'un an dans ma jeunesse mais mis plus d'un an à m'en défaire totalement), cet album n'a fait que renforcer mon dégoût pour cette drogue et les poisons qui l'accompagnent dans la cigarette, et pour l'immense épôt d'étrons humain que représentent les industriels du tabac et leurs lobbys meurtriers et pollueurs, uniquement motivés par l'argent. À la lecture, on constate qu'ils conservent un pouvoir colossal, tout simplement parce qu'ils ne sont pas encore derrière les barreaux et que la cigarette n'a toujours pas été bannie dans le monde entier. L'ouvrage est remarquablement construit. Le dessin est clair, fluide, avec un narrateur principal au ton cynique et caustique, rappelant physiquement et verbalement Spider Jerusalem de Transmetropolitan, à ceci près qu'ici il est du côté des méchants. La critique d'un monde corrompu, gouverné par l'argent et d'obscènes puissants, est tout aussi virulente. Le récit est découpé en chapitres logiques et progressifs : l'histoire du tabac, l'invention et l'essor de la cigarette, les stratégies marketing, l'impact social, les dangers sanitaires et environnementaux, le combat anti-tabac, puis la contre-attaque du lobby et la situation actuelle, presque pire qu'avant malgré une impression de progrès en France. L'accent est mis sur la manipulation psychologique de masse, notamment via l'exploitation des biais cognitifs et des messages subliminaux, afin non seulement d'inciter à fumer, mais aussi de pousser les fumeurs à défendre ce qui les tue, les ruine et pollue la planète, au nom d'une soi-disant liberté individuelle. En réalité, tout le monde y perd sauf ceux qui s'enrichissent là-dessus, et la société dans son ensemble en subit les conséquences. En bref, mon ton est véhément parce que cet album, prêchant un convaincu, a renforcé mon aversion envers le tabac et ses lobbys. Et il rappelle incidemment que celui des cigarettiers est loin d'être le seul à pourrir le monde : armes, pétrole, finance... autant de secteurs où l'argent justifie tous les mensonges, au détriment de la planète et de l'humanité. Quand on voit leurs méthodes et stratégies et qu'on constate qu'elles fonctionnent toujours trois quarts de siècle plus tard, on se dit qu'on est loin d'être sorti de l'auberge.
Linge sale, amour et céréales
C'est suffisamment rare pour que je le signale d'entrée : 200 pages de strips, gags, sur une page ou quelques unes, sans lasser le moins du monde, c'est rare. Je ne connaissais pas ce dessinateur dont je me suis offert la bd sur un coup de tête. Ou plutôt un coup de lecture : j'ouvre au hasard quelques pages et me voilà à ricaner ou être touché. Pas commun ! Par ailleurs j'adore le dessin souple, expressif, un peu brut en même temps. Une fois le précieux objet embarqué je me suis délecté de le lire (en 2 fois pour garder du plaisir le lendemain et cette bd s'y prête). A la fois drôle, souvent sensible, cru et honnête : de formidables qualités pour cette bd sur le père, le couple et la vie de famille; le tout vu par un homme (c'est important à souligner). Une bd que je relirai avec plaisir.
Là où dorment les géants
Une belle lecture. J'ai aimé que l'histoire se déploiement doucement à travers le voyage de l'héroïne ; ou l'on découvre dans le même temps un univers flotte autour d'une sorte d'héroic fantasy légère. Les dessins oscillent entre le très beau et le naïf. D'ailleurs la naïveté de cette bd est à la fois sa faiblesse et sa grande force. Une faiblesse d'abord car il manque parfois un peu plus de fond et la fin, peut être trop rapide, ne prends pas le temps et n'exploite pas suffisamment à mon sens l'univers qui a été créé. C'est aussi la force de l'histoire qui donne à l'ensemble une tonalité pleine de fraicheur. C'est pourquoi je ne serai pas étonné que tous/toutes les lecteurs/lectrices apprécient la lecture de cette bd et en même temps hésitent à mettre un 4/5. En ce qui me concerne j'ai choisi mon camp : lecture vivement conseillée ! une belle réussite
Foudroyants
Et bien voilà une très bonne série jeunesse, en tout cas un excellent début. J’ai aimé le dessin du couple Kerascoet, qui rappelle l’excellente série Beauté, et servi par une mise en couleur tout à fait plaisante. Le fond de l’histoire est lui-aussi malin, croisant plusieurs mythes et légendes, dont celui de l’Atlantide au premier chef. Mais on croise aussi un erzatz de Dark Vador, transformé ici en une sorte de Seigneur des fonds marins, ainsi qu’une bonne dose de mythologie grecque dont l'histoire d'Icare bien entendu, revisitée de manière assez surprenante. J’adore ! Les personnages ne sont pas neuneus et leur personnalité est travaillée. Quant à l’intrigue, elle est alerte, bien menée et sait susciter la curiosité. Lue d'une traite. Je serai bien entendu du voyage pour la suite.
Dans l'enfer des hauts de pages
Ma note reflète le plaisir de lecture – on sourit a minima à beaucoup de gags, on rigole à d’autres – mais aussi le fait que ces petits « à-côtés » étaient publiés au début des années 1980 dans le Journal Spirou. Moi qui ne les lis qu’aujourd’hui, je suis quand même agréablement surpris par la liberté laissée aux deux zigotos, dans un journal quand même globalement très sage. Ma remarque est valable au niveau de la causticité, voire du relatif rentre dedans de certains gags, mais aussi parce que nombre d’entre eux se moquent dans les grandes largeurs des auteurs maison, ce qui n’a pas manqué de provoquer quelques grincements de dents. Cette dernière remarque amène une autre réflexion. On appréciera aujourd’hui d’autant plus les textes de Yann que l’on connait les auteurs et les séries évoqués. Mais, même sans ce « sel » supplémentaire, le lecteur d’aujourd’hui peut largement trouver à s’amuser de ces petites réflexions vachardes, ces piques acidulées ou pimentées, où un certain humour noir, une touche de déconne, s’invitent dans les pages d’un journal qui n’était pas Fluide Glacial ! Le plaisir de lecture est d’autant plus présent que le dessin de Conrad est vraiment chouette. Dynamique, fluide, il utilise le très peu de place qui lui est alloué pour proposer quelque chose qui colle bien aux textes de son compère (les deux hommes se sont spécialisés dans ces années dans les séries plus ou moins parodiques, un chouia trash, et ici on a un aperçu – pas toujours édulcoré – de leur talent dans ce domaine). Un petit défouloir revigorant. On peut tout à fait imaginer que certains « hauts » devaient pour de nombreux lecteurs attirer davantage que le reste de la page…
Diane Arbus - Photographier les invisibles
D’emblée, on remarque le joli travail éditorial sur l’objet : grand format, couverture toilée, papier à fort grammage, autant d’éléments qui honorent le graphisme plaisant d’Aurélie Wilmet pour un ouvrage que l’on rangerait volontiers dans la catégorie « livre d’art ». Il s’agit ici de la première biographie en bande dessinée consacrée à la célèbre photographe étasunienne Diane Arbus. Celle-ci, qui avait débuté dans les photos de mode, s’est bien vite lassée d’être au service de mannequins qui exhibaient leur beauté lisse dans les magazines chic sur papier glacé. Elle ne se sentait guère à sa place, elle qui était plutôt d’un caractère introverti et recherchait l’authenticité. Peu à peu, elle trouva sa voie avec le « photojournalisme », en photographiant notamment ces invisibles qui préféraient se réfugier dans l’ombre, ceux qu’on ne voulait pas voir parce qu’ils étaient différents, « laids » ou difformes, pas dans la norme, bref, hors des canons de beauté fixés par l’« intelligentsia » du monde de la mode. La narration d’Aurélie Wilmet, bien que linéaire pour évoquer la vie de cette artiste, reste très aérienne. La partie textuelle ne fait qu’accompagner le dessin, sans être prédominante. Elle est disséminée à travers les pages, et souvent entrecoupée de séquences muettes et éthérées, proches de l’abstraction. On va donc suivre Diane Arbus dans son parcours sentimental et professionnel, qui tout au long de sa vie fut miné par le doute. Après moult tâtonnements, elle put toutefois mener ses projets à bien, sans savoir trop quelle forme ils prendraient au départ : « Je suis attirée vers autre chose, quelque chose de plus authentique, même si je ne sais pas encore quoi. » Pour cette femme fascinée par l’étrangeté, « Freaks », le film de Tod Browning, fut pour elle une œuvre précurseuse « dans la représentation de l’étrange », tel un déclic qui l’incita à vivre son métier comme une vocation. C’est ainsi que, surmontant sa timidité, elle repéra dans un cirque l’homme qui allait contribuer à sa célébrité : Eddie Carmel, connu sous le nom de « géant juif », un doux géant dont Arbus disait aimer chez lui cette prestance et cette fierté « qui [montrait] qu’il ne se [laissait] pas abattre par la maladie et qu’il [tentait] de vivre comme il l’[entendait] ». Ses pas la guidèrent également vers des horizons divers : quartiers interlopes de New York, foyers pour handicapés… elle put s’en donner à cœur joie en fixant sur pellicule « la joie malgré une terrible adversité ». Quant à sa vie personnelle, elle fut marquée par sa relation avec Allan Arbus, acteur et photographe également, et leur divorce ne l’empêcha pas de conserver longtemps des liens d’amitié avec lui, mais également sa liaison amoureuse avec Marvin Israël, un artiste-peintre américain. Souffrant d’une hépatite mal soignée, elle était rarement au sommet de sa forme et régulièrement en proie à la dépression. Aurélie Wilmet parvient à nous immerger de belle manière dans une monochromie bleutée un rien mélancolique et épousant harmonieusement son trait minimaliste, suscitant chez le lecteur un sentiment apaisant. De façon pertinente, le bleu se mue en mauve pour les séquences digressives, qu’il s’agisse de rêves ou de rêveries… « Diane Arbus – Photographier les invisibles » est une belle mise en lumière d’une artiste dont les clichés auront marqué l’Histoire du photojournalisme de la seconde partie du XXe siècle. De son vivant, Diane Arbus avait déclaré : « J’ai l’impression que la société n’est pas prête pour certaines de mes images. » N’aurait-elle pas été prise de vertige en observant les contenus diffusés aujourd’hui sur les réseaux sociaux, avec ces selfies exhibés par des « influenceurs » surfant sur des vagues de conformisme, où le fait d’avoir un corps « parfait » et un visage sans aspérités serait la seule option pour accéder à la reconnaissance universelle ?