Exquis
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Ce tome reprend les épisodes parus dans Storyteller 1 à 9 d'octobre 1996 à juillet 1997, ainsi qu'un prologue intitulé The pizza story mettant en scène Adastra, les épisodes 10, 11 et 12 (inachevé pour ce dernier), des annotations de Barry Windsor-Smith, une début de tentative de clore le récit, le synopsis de la fin de l'histoire, et un début d'histoire parue avant, mais se déroulant après.
Pizza story - Adastra (une déesse du panthéon Orgasma) s'est réfugiée sur terre et se lance dans la livraison de pizza à domicile. Malheureusement, le pizzaiolo est arrêté par la police suite à un malentendu, et l'aide qui arrive pour rédiger d'étranges invitations perd tous ses moyens devant la beauté d'Adastra.
Épisodes 1 à 12 - À une autre époque, dans le palais des dieux, Heros est songeur, il doit épouser Celestra le lendemain, la fille de la reine d'un autre panthéon de dieux. Il discute de son malaise avec Strangehands, son meilleur ami. Pendant ce temps là, une flopée de chérubins conçoit la tenue de la mariée sur Celestra qui papote avec Adastra, sa soeur. Alors qu'Heros et Strangehand ont décidé d'aller boire un coup avant d'aller chasser les dragons (pour enterrer la vie de garçon d'Heros), ils croisent Adastra en train de gesticuler comme une folle, pour se débarrasser d'un chérubin caché dans sa chevelure rousse flamboyant. Ils décident d'aller boire ensemble tous les trois. Ailleurs, Otan, le père tout puissant du panthéon d'accueil, rappelle à son Grand Vizir l'importance capitale de l'union de son fils Heros avec Celestra. Sur ces entrefaites, la reine Organa (la mère de Celestra) arrive pour exiger la présence du futur époux auprès de la promise qui se languit.
Il s'agit essentiellement d'une comédie mettant en scène des dieux archétypaux, avec une femme n'ayant pas la langue dans sa poche, dans un environnement onirique, avec un soupçon de romantisme. Dès le premier épisode, la personnalité d'Adastra rayonne de chaleur et domine le pauvre Aran complètement empêtré dans son système de valeur. Adastra a acquis un parler légèrement argotique et très terrestre, alors qu'Aran s'exprime en termes choisis et fleuris dans un parler shakespearien. Il adore la déesse Isis, et il idolâtre Adastra comme une déesse (mineure par rapport à Isis, mais déesse quand même). Or les vœux de chasteté qu'il a prononcés font mauvais ménage avec la sensualité d'Adastra. Il s'en suit un dialogue savoureux entre les 2, irrésistible grâce à la mise en scène et au langage corporel d'une expressivité redoutable. La candeur et la jeunesse irradient du visage d'Aran, alors que la compassion et l'agacement agitent le visage d'Adastra de manière contraire.
Après cette entrée en matière piquante et sophistiquée, l'histoire commence pour de bon dans un lieu évoquant un croisement entre des temples grecs et New Genesis des New Gods de Jack Kirby (d'ailleurs chaque épisode commence par la même dédicace à Jack Kirby). Dans ce panthéon fictif composé de dieux imaginaires, Heros est un individu tout entier dévoué à ses devoirs, et très sérieux. le caractère de Strangehand est plus difficile à cerner au départ, si ce n'est qu'il joue le rôle de confident et d'ami sûr. Dès son apparition, Adastra accapare la scène par son caractère bien trempé et expansif. Car il s'agit bien d'une scène, les personnages (sauf Adastra) s'expriment comme dans une pièce de théâtre et leur jeu de scène révèle une grande sensibilité de la part de Barry Windsor-Smith quant au jeu des acteurs. le lecteur pense au théâtre du fait de l'aspect littéraire des textes qui évoquent le langage dérivatif créé par Stan Lee pour faire s'exprimer les dieux d'Asgard, ou les dialogues un peu empesés des New Gods ou des Eternals écrits par Jack Kirby, mais en plus vif, plus alerte et plus enjoué. Et l'avantage de la bande dessinée, c'est que les costumes peuvent être aussi exubérants qu'imaginatifs, et les décors aussi bien classiques qu'Art Nouveau. Les personnages peuvent évoluer à leur guise sans les limites physiques d'une vraie scène. Et de temps à autre, Windsor-Smith se lâche le temps d'une pleine page magnifique qui marie la délicatesse, avec les détails, une capacité surnaturelle à rendre les textures et les jeux de lumière.
De la même manière que le théâtre peut mettre en évidence la nature humaine par des biais artificiels (jeu légèrement exagéré des acteurs pour passer la rampe, costumes inexistants ou au contraire plus riches que nature, décors en carton-pâte, textes très travaillés), Windsor-Smith utilise une partie de ces artifices pour faire exister ses personnages au-delà du papier. Après avoir refermé ce livre, je me suis surpris à repenser à plusieurs reprises à ces personnages extraordinaires habités par des émotions très humaines, doté d'un humour léger et touchant. BWS manie un humour léger et élaboré qui se manifeste aussi bien par la juxtaposition d'émotions antagonistes, que par de minuscules chérubins facétieux. Bien sûr, cette lecture vaut plus par le voyage qu'elle propose que par sa destination. Cela tient lieu d'abord à la nature de la publication originelle en courts épisodes mais aussi à la fin de cette aventure éditoriale.
Barry Windsor-Smith (BWS en abrégé) insère plusieurs pages de textes expliquant le contexte de cette histoire. Il estimait en se lançant dans Storyteller, un magazine mensuel de 32 pages de bandes dessinées, qu'il apportait une vision neuve au monde des comics et l'opportunité de séduire un public plus mature. Après 9 numéros, l'éditeur originel a informé Windsor-Smith que ce projet n'était pas économiquement viable et qu'il cessait la publication de cette série. Malgré plusieurs tentatives, BWS n'a jamais réussi à se réinvestir dans ces personnages pour mener à terme leurs aventures. Cette édition comprend un synopsis d'une page qui explique la fin prévue à l'épisode 17. Il comprend également une histoire appelée "The party" dans laquelle les héros de Young Gods, de Freebooter et de Paradoxman se croisent à une soirée pour commenter sur l'arrêt prématuré de leurs aventures. Il comprend la tentative avortée de 5 pages de terminer l'histoire.
Young gods & friends est un récit à nul autre pareil qui évoque un croisement entre une pièce shakespearienne, un comics cosmique de Jack Kirby et une comédie sophistiquée de Frank Capra ou même la gentille dérision de Jacques Tati (M. Hulot fait apparition remarquée dans l'épisode 5). Les illustrations évoquent aussi bien Jack Kirby, que l'Art Nouveau ou les peintres préraphaélites tels Dante Gabriel Rossetti. Barry Windsor-Smith fait siennes les valeurs des préraphaélites : aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l'art du passé, rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, faire du beau, faire des dessins minutieux privilégiant les détails, naviguer entre la littérature et la poésie. Les personnages existent comme rarement. Chaque personnage livre un numéro d'acteur éblouissant. Et si l'on ne peut être que navré que Barry Windsor-Smith n'ait pas pu terminer son œuvre, la magie du voyage proposé transporte le lecteur dans un monde onirique enchanteur. Une deuxième série de Storyteller a eu droit à une réédition : The Freebooters. Et Adastra a été mise en vedette dans Adastra in Africa.
Des dessins absoluments sublimes, des personnages assez simples mais attachants, une intrigue efficace et très satisfaisante, et surtout un concept d'univers original et facile d'accès : la Rome antique et ses gladiateurs avec un bestiaire fantastique.
J'ai dévoré toute la série d'une traite et je ne regrette absolument pas mon achat. Je recommande !
Une pensée qui ne se nourrit pas de curiosité s'éteint d'elle-même.
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Ce tome est le troisième dans une série thématique consacrée à des hommes saints, après Vincent : Un saint au temps des mousquetaires (2016) et Foucauld : Une tentation dans le désert (2019). Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s'ouvre avec une introduction d'une demi-page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque l'écriture d'Élisabeth Rochat de la Vallée qui écrit sur Matteo Ricci, sa relation au Christ et sa relation aux hommes, ce qui permit à une rencontre de s'opérer, à une compréhension mutuelle de devenir possible. Puis il cite les deux auteurs Vincent Cronin et de Michela Fontana dont les ouvrages lui ont permis de découvrir ce saint homme.
Pékin, 1601. Jusqu'à présent, bien peu d'occidentaux ont pu franchir les enceintes de la Cité interdite. Là, derrière ces hauts murs de briques, vit le Fils du Ciel, entouré de sa famille, de sa cour, de ses concubines et de la caste puissante des eunuques qui bénéficient de nombreux privilèges et de pouvoirs certains. Justement, l'un d'eux, un certain Ma T'ang, collecteur des taxes de Lintsing, reçoit ses agents qui lui apprennent une bien étrange nouvelle. Un étranger s'est installé dans la ville ! Il semble que ce ne soit ni un espion, ni un agent ennemi, mais un lettré qui a su gagner l'appui de certains mandarins. Il dispose d'ailleurs d'un passeport. L'indicateur continue, tout en conservant une posture courbée : l'étranger cherche un intermédiaire auprès de l'Empereur. Il a des présents à offrir à sa Majesté Impériale. de l'or des bijoux, il paraît qu'il peut changer le cinabre en argent. L'eunuque Ma T'ang demande son nom.
Il s'appelle Matteo Ricci. Il est né en Italie, à Macerata. Âgé de 19 ans, il entre au noviciat des jésuites et, après des études au Collège romain, il est ordonné prêtre à Cochin en juillet 1580. Depuis 18 ans, il parcourt la Chine pour y servir Dieu. Par terre, le long des fleuves, au fil des saisons, des déconvenues, mais avec un courage exemplaire qui jamais ne l'abandonne… Il a la grande intelligence du cœur et de l'esprit, de respecter des coutumes et une foi autres que la sienne. Ses connaissances en mathématiques et en astronomie, ses dons pour la philosophie, l'horlogerie le font apprécier des intellectuels et des mandarins qu'il croise sur sa route. Il est ainsi devenu le Lettré du lointain Occident. Mais le plus difficile reste à faire. Il veut rencontrer le Fils du Ciel en personne, car c'est par la tête qu'il veut descendre jusqu'au corps. Rien, cependant, n'est acquis. Impossible de pénétrer dans la Cité interdite sans une invitation personnelle de l'Empereur. Et cette invitation ne peut s'obtenir sans l'aval d'un conseiller proche… Ou d'un eunuque bien en cour. Les deux serviteurs comme les appelle le porte-parasol de Ma T'ang, sont en réalité les compagnons de voyage de Ricci. Il y a là frère Fernandez et le jésuite Diego Pantoja, un missionnaire.
Dans son introduction, le scénariste indique qu'il connaissait peu de choses de Matteo Ricci à l'époque où il a commencé ce projet. Il cite donc la préface d'Élisabeth Rochat de la Vallée : le danger de se perdre quand on ne se cramponne plus aux certitudes données par sa langue et par la raison de sa culture n'est pas à négliger; danger de perdre son identité et même sa foi. le lecteur sourit en prenant connaissance de ces risques : il se dit que cela s'applique parfaitement au dessinateur, plus habitué à dessiner Paris aux siècles passés, en particulier au dix-neuvième siècle. Dans le même temps, il est pleinement rassuré dès la première page : une magnifique statue d'un lion sur une stèle richement sculptée, devant le mur d'enceinte de la Cité impériale, avec trois marchands ambulants, et trois gardes, tous représentés avec une minutie remarquable. Martin Jamar n'a pas perdu sa culture et son talent de raconteur en images, même s'il a dû faire l'effort de s'adapter aux us et coutumes d'une région du monde qu'il n'est pas familier de représenter. Les cases de la bande inférieure montrent l'eunuque Ma T'ang et ses deux informateurs : le lecteur prend le temps de savourer le magnifique manteau orné de motifs complexe du premier. Il sait que la reconstitution historique est tout aussi soignée que celle de Paris sous Napoléon 1er (Double Masque) ou pendant la Commune (Voleurs d'empires).
Le lecteur accompagne donc le prêtre jésuite italien et missionnaire en Chine impériale, dans cette ville dont l'auteur a choisi de conserver l'ancienne appellation de Pékin, plutôt que celle plus moderne de Beijing. Il peut ainsi regarder autour de lui dans les rues et dans la Cité interdite : une rue enneigée pour commencer, une autre débouchant sur un temple, celle menant aux bureaux du mandarin T'sai Hsu-t'sai responsable des ambassades étrangères, une vue générale en légère élévation du palais des Barbares avec ses murs d'enceinte et ses voies intérieures, différents bâtiments de ce palais. Puis en planche vingt-cinq, le missionnaire passe par une porte d'entrée latérale pour franchir l'enceinte extérieure de la Cité interdite. C'est à nouveau l'occasion de pouvoir contempler la multitude d'artisans et de commerçants qui s'affairent, ainsi que les façades du palais. Lors d'une enquête, Ricci se rend dans la demeure du veuf Wang Chung Nim : l'artiste en offre une vue générale en élévation inclinée, puis montre la vue sur les vastes jardins, à partir d'un petit pavillon de bois. le récit se termine avec une case consacrée à la tombe du prêtre, avec une stèle sculptée, et deux magnifiques arbres de part et de d‘autre, ainsi que les bâtiments de la Cité interdite en arrière-plan. le lecteur a envie de le remercier pour lui avoir donner à voir autant de lieux, d'individus en train de vaquer à leurs occupations ordinaires, dans des cases toujours facilement lisibles, avec une colorisation naturaliste faisant ressortir les éléments les uns par rapport aux autres, les ambiances lumineuses, les différents plans.
Les prises de vue en intérieur sont tout aussi riches, informatives et vivantes. le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette qu'il s'agisse des cadeaux à offrir à sa Majesté Impériale, de l'aménagement et de la décoration intérieur d'un temple bouddhiste, du pavillon de Yogour Kahn, de l'atelier d'horlogerie où s'exerce Lin Yu, et bien sûr de la salle du trône. L'artiste s'est fixé pour but de reconstituer chaque lieu, chaque accessoire, chaque tenue vestimentaire, pour que le lecteur puisse en voir le plus possible au cours de son immersion. Il réalise des plans de prise de vue d'une clarté exemplaire, en mettant un point d'honneur à représenter les arrière-plans le plus souvent possible. Sa direction d'acteurs appartient au registre naturaliste, avec des postures qui s'avèrent en parfaite adéquation avec l'occupation du personnage, et permettent de se faire une idée de son état d'esprit. La narration visuelle donne une impression d'évidence et de facilité au lecteur, alors qu'il lui suffit de prendre une case et de réfléchir aux recherches nécessaires pour pouvoir s'imaginer le travail qui a dû être nécessaire.
Comme pour les deux tomes précédents, le scénariste a retenu une approche qui rend hommage au Vénérable, c'est-à-dire qu'il ne gomme pas sa foi, mais il ne fait pas acte non plus de prosélytisme. Matteo Ricci évoque sa foi quand il est questionné dessus, il prie, il a amené avec lui un crucifix, des images pieuses. Pour autant, il n'assène pas le credo de sa foi à toutes les personnes qui passent à sa portée. Il fait preuve d'un humanisme chrétien dans son comportement, dans sa façon d'envisager les rapports avec autrui, et de tolérance. Il est venu pour une mission d'évangélisation, avec l'intention de commencer par l'Empereur lui-même. Son voyage l'amène à fréquenter aussi bien des savants, que des individus aguerris en politique, ou aux intrigues de palais. Outre les valeurs morales et la charité chrétiennes, Ricci fait montre de son ouverture d'esprit à plusieurs reprises. Alors que des voleurs se sont introduits dans sa maison et ont été mis en fuite par Lin Yu armée d'une épée, il explique à celle-ci qu'il les laisse fuir car il a bien conscience que ces voleurs obéissent probablement à des ordres qu'ils ne peuvent refuser. Quelques pages plus loin, il discute avec Lin Yu et elle lui demande pour quelle raison il fait tout cela pour elle : il répond tout naturellement qu'il serait un mauvais chrétien s'il n'aidait pas les gens en difficulté ou en souffrance. Elle poursuit et souhaite savoir s'il pourrait lui apprendre, si c'est son Dieu qui parle ainsi. le scénariste fait preuve à son tour de malice puisque Ricci répond que Partager une règle de vie avec un ami qui vient de loin est une grande joie. Il ajoute qu'il s'agit d'une maxime de Confucius, alors que le lecteur s'attendait à ce qu'il cite les Écritures.
L'enjeu du récit réside donc dans le chemin qui mène à l'audience avec l'Empereur. Jean Dufaux met en scène le protocole, les semaines d'attente, les intrigues de palais, les alliances de circonstance, les embûches créées par les jaloux, les envieux, les profiteurs ou les inquiets de leurs privilèges. Matteo Ricci apparaît comme un homme sage et posé, confiant en la Providence, avec une réelle expérience des êtres humains. de la planche trente-et-un à la planche trente-six, il participe à une enquête sur un cas de malédiction, avec une perspicacité et une efficacité qui évoquent celles du Juge Ti, personnage créé par Robert van Gulik, et enquêteur hors pair d'une série de romans policiers. Au fur et à mesure des rencontres avec les autorités, avec les divers représentants, il se dessine en creux une vision de la capitale chinoise, du mode de fonctionnement de cette partie de cette société, à la fois des us et coutumes, à la fois sa capacité à accueillir les étrangers et à établir un réel échange avec eux.
S'il a lu les deux précédents tomes, l'un consacré à Saint Vincent de Paul, le suivant à Charles de Foucauld, le lecteur a déjà l'eau à la bouche à la simple idée de découvrir celui-ci. Il n'est pas déçu : les dessins sont toujours aussi fournis avec une lisibilité immédiate, pour une reconstitution historique remarquable. le scénario évoque quelques mois de la vie de Matteo Ricci, son séjour à Pékin, et son invitation à entrer la Cité interdite, sans gommer sa foi religieuse, ni en faire l'apologie, montrant comment son ouverture d'esprit et l'étendue de ses connaissances lui permettent d'être accepté dans cette société à la culture si étrangère à la sienne.
La dernière victoire de Sergei Kravinoff
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Ce recueil constitue une histoire complète parue à l'origine en 1987 dans Web of Spider-Man 31 & 32, Amazing Spider-Man 293 & 294, et Spectacular Spider-Man 131 & 132. Ce tome comprend les 6 épisodes en question.
Sergei Kravinoff est un criminel qui s'habille d'un pagne en léopard et d'un gilet sans manche et se fait appeler Kraven the Hunter. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Amazing Spider-Man 15 en août 1964. Il possède des connaissances en herboristerie qui lui permettent de concocter des potions ayant différents effets : poison, paralysie, augmentation de la force ou de l'acuité des sens… Dans cette histoire, Kraven abat Spider-Man d'une balle de fusil de chasse, il le fait enterrer et il revêt l'habit du superhéros pour prendre sa place.
J.M. DeMatteis est un grand professionnel des comics, autant pour des histoires de superhéros ( Batman : absolution & Justice League International ), que pour des bandes dessinées plus personnelles (Moonshadow & Brooklyn Dreams). Mike Zeck est essentiellement connu pour avoir illustré The Punisher : Cercle de sang. Il est ici encré par Bob McLeod, un autre professionnel vétéran des comics.
La particularité de cette histoire de Spider-Man est qu'elle a pour principal personnage le criminel et que Peter Parker ne débite pas de blagues. Il s'agit d'une histoire très sombre qui a pour principaux thèmes l'introspection de Kravinoff et l'impact psychologique pour Peter Parker d'avoir été enterré vivant. J.M. DeMatteis nous fait pénétrer dans la psyché de Sergei sous forme de flux de pensées. Il nous invite à adopter le point de vue de Kraven sur la réelle signification des combats qui l'opposent à Spider-Man et sur le poids de son héritage familial. Du coté de Peter Parker, DeMatteis nous montre à la fois la peur instillée par Kraven et l'incapacité totale à déchiffrer et comprendre les actions de Kraven.
À l'évidence, il ne s'agit pas d'un comics pour les plus jeunes et il ne rentre pas dans le moule des aventures habituelles du tisseur de toiles. DeMatteis va même jusqu'à jouer avec l'idée de l'araignée comme totem de Peter Parker (thème qui sera repris et développé plus tard par Straczynski) et comme symbole de l'échec de l'être humain. Les illustrations de Mike Zeck sont un peu datées années 80 et souffrent à plusieurs reprises d'un manque criant d'arrière plan. D'un autre coté le rendu des personnages est très soigné avec des relents de Joe Kubert qui leur donnent une intemporalité et une force peu commune.
Pour les fans, cette histoire se classe parmi les meilleurs classiques de Spider-Man. Effectivement les deux créateurs réussissent le pari de rendre Sergei Kravinoff humain, crédible, tourmenté et étrangement lucide. Peter Parker a rarement été aussi vulnérable et héroïque. Mary Jane (les deux étaient jeunes mariés à ce moment) est une femme amoureuse mais pas mièvre. Ce qui m'arrête dans l'attribution d'une cinquième étoile est ce manque de décors très déconcertant et le mode narratif qui ne va pas assez loin dans l'utilisation du flux de pensées désordonnées. L'exécution de l'histoire manque d'un soupçon de savoir faire pour atteindre tous les buts ambitieux qu'ils s'étaient fixés. Cette histoire a eu droit à un épilogue : Soul of the Hunter.
Rrraahhhrg ! le grille-pain ! Aah ! oui, oui !
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Ce tome est initialement paru après le tome 4 Monsieur Jean, tome 4 : Vivons heureux sans en avoir l'air (1997), mais son action se situe entre le tome 3 Monsieur Jean, tome 3 : Les femmes et les enfants d'abord (1997) et le tome 4. Sa première édition date de 2000 en noir & blanc, et il a été réédité en 2010, en bichromie. C'est le deuxième album hors-série après Journal d'un album (1994). Cet album a été réalisé à quatre mains pour le scénario, les dessins et la bichromie, par Philippe Dupuy et Charles Berberian. Il comprend cent-vingt-quatre pages de bandes dessinées.
Chapitre un, dix pages : ça commence mal. Monsieur Jean est en train de dormir paisiblement dans son lit double, avec quelques livres sur ses draps. le réveil sonne ; il reprend conscience. Il voit dans sa chambre, devant lui trois hommes en costumes noir avec des lunettes noires, pointant chacun un pistolet vers sa tête. Il se fait la réflexion que cette journée commence assez mal. Il sort les jambes du lit et s'assied sur son séant, et se rend dans la salle de bain. Il constate sa mine défaite et pas fraîche dans le miroir. Il urine debout. Il se rend dans la cuisine et prend un bol de café, pendant que les trois tueurs sont assis, pistolet en l'air, chacun une tasse de café devant eux. Monsieur Jean leur demande s'ils vont le tuer sans lui expliquer pourquoi ou pour qui. Il souhaite qu'ils lui laissent dire au revoir à ses amis une dernière fois. Ils lui répondent que ses amis ne sont pas vraiment des amis, désolé. Il va ensuite se couper les ongles, se faire couleur un bain, et se glisser tranquillement dedans, en fermant les yeux pour mieux en apprécier la sensation. Il les rouvre en sursaut quand il entend éternuer : les trois porte-flingues, toujours en costume, sont dans le bain avec lui. Puis Monsieur Jean s'habille, se coiffe, se regarde dans la glace. Il tombe à genoux et il les supplie de lui accorder de voir une dernière fois son film préféré : Baisers volés (1968) réalisé par François Truffaut.
Chapitre deux, cinq pages : Félix dans le bus. Félix, un copain de Monsieur Jean, lit le dernier numéro de Science & Vie, assis dans le bus. Un couple s'assied en face de lui, une jeune femme fluette et un gros malabar. Ce dernier se montre agressif vis-à-vis de sa compagne, finissant par se lever et la gifler. Félix intervient, mais les deux lui répondent agressivement, et la femme lui décoche un coup de pied dans le tibia. Chapitre trois, sept pages : la théorie des gens seuls. Félix, Clément, Monsieur Jean et deux copines sont assis sur un banc dans un patio en train de papoter tranquillement. Félix monopolise un peu la parole en exposant sa théorie des gens seuls : le problème des gens seuls, c'est qu'ils sont seuls. Et que tant qu'on est seul, on n'est pas attiré par une autre personne seule. Les gens seuls ne sont pas attirés par les autres célibataires, mais pas quelqu'un qui est déjà avec un autre.
En découvrant cet ouvrage, le lecteur note deux particularités qui sautent aux yeux : les dessins plus lâchés que dans les autres tomes avec une apparence parfois presque crayonnée, et le retour à des chapitres autonomes plutôt qu'un récit à l'échelle de l''album. Dans la version en bichromie, les artistes ont choisi un bleu entre bleu bleuet et bleu pastel pour habiller les dessins, tout en laissant quelques zones de blanc pour des reflets, des ambiances lumineuses, la plupart des visages, ainsi que les phylactères. Les traits semblent avoir été réalisés avec un crayon gras, ce qui donne des contours parfois un peu irréguliers, pour une apparence plus spontanée, plus vivante. le lecteur éprouve également la sensation que la densité des informations est un peu moindre que pour les albums de la série, avec une grille de six cases comme principe, en trois rangées de deux cases. Dans certaines planches des cases peuvent être fusionnées pour ne donner qu'une case de la largeur de la page. Pour l'histoire de Félix dans le bus et quelques pages éparses, les dessinateurs passent à la grille de trois (cases) par trois (bandes), dite gaufrier. le lecteur éprouve une sensation de pages moins denses, très faciles à lire, plus animées, avec un certain nombre de gros plans et de plans poitrine. Pour autant, elles ne semblent pas vides.
En effet, la taille un peu plus grande des cases donne de l'espace aux personnages, et permet également de contenir un nombre d'informations visuelles important sans donner l'impression de saturer l'espace délimité par les bordures. Ainsi dans la planche d'ouverture avec son dessin en pleine page, le lecteur peut voir les cinq livres sur la couverture du lit, les deux sur la descente de lit avec les chaussures juste à côté, la table de chevet avec sa lampe et son verre d'eau, les chaussettes au pied du lit, le rebord de la fenêtre, un rideau non tiré et le grand cadre qui surplombe la tête de lit. Par la suite, le lecteur découvre les autres pièces de l'appartement de Monsieur Jean : l'autre côté du lit, la salle de bain avec son lavabo et sa cuvette des toilettes sans oublier une petite étagère de livres, la table de cuisine et quelques placards de rangement au mur, la baignoire, le miroir en pied. Tout du long des neuf chapitres, les artistes vont l'emmener dans de nombreux endroits différents : un petit restaurant de quartier où mangent Clément & Jean, un bus, des rues parisiennes, le salon de Monsieur Jean avec son canapé et son poste de télé, un square avec ses bancs, un pavillon à la campagne pour un anniversaire, un plateau de télévision pour une interview, un autre restaurant, une gare parisienne, une cabine d'ascenseur, une autre maison à la campagne. À chaque fois, le dosage des ingrédients s'avère parfait : assez pour que chaque lieu soit spécifique, pas trop pour ne pas alourdir la case ou ralentir la lecture.
Pas de doute, c'est bien les mêmes dessinateurs, avec les mêmes caractéristiques pour les personnages : des gros nez ou parfois très allongés pour les hommes, des nez plus menus et plus effilés pour ces dames, des silhouettes aux contours un peu arrondis et très normales pour les hommes, des morphologies plus affinées et allongées pour les femmes, des tenues peu recherchées pour les hommes, et élégantes pour les femmes même lorsqu'elles sont simples. Les yeux des personnages se réduisent souvent à un simple point, ou un trait, de même que leur bouche. Les expressions de visage peuvent être exagérées pour un effet comique à l'occasion d'une émotion plus intense. le langage corporel reste dans un registre naturaliste, sauf pour les poses vives ou intimidantes des trois porte-flingues. Les scènes avec de nombreux personnages montrent des interactions sociales très policées, entre gens de bonne éducation. Il se produit bien un ou deux agacements pouvant aller jusqu'à l'énervement de temps à autre, toutefois le lecteur sent bien qu'aucune situation ne peut virer au drame. Pour autant, les sentiments exprimés le touchent, ainsi qu'à nouveau la situation du jeune enfant Eugène, née de Marlène qui ne s'en occupe plus et qui l'a confié à Félix dont elle s'est séparé et qui n'est pas le père, l'enfant étant souvent pris en charge par Jean.
Les deux créateurs racontent neuf histoires courtes allant de cinq à vingt-six pages, avec des situations comme la présence intermittente des porte-flingues, un voyage dans le bus, du papotage entre potes, des considérations sur le désir masculin, un anniversaire à une soirée à la campagne, l'usage d'un grille-pain, Félix éméché et quelque peu désenchanté, Félix coincé dans un ascenseur, et pour finir Monsieur Jean acceptant d'aller se mettre au vert dans la maison de campagne des parents de Cathy. Dans un premier temps, l'artifice des trois tueurs laissent le lecteur perplexe. Par la suite, il retrouve cette ambiance parisienne et même parisianiste, entre personnes sans soucis financiers (sauf pour Félix) peu stressés par les responsabilités. Félix endosse le rôle de grincheux, de déçu de la vie, avec une vision certes pessimiste, mais aussi lucide. Au cours de l'incident dans le bus, il finit par faire le constat au profit d'un couple que dans la vie, il n'y a que les mauvaises choses qui peuvent tomber sur quelqu'un par hasard, jamais les bonnes choses. Il en conclut que c'est la raison pour laquelle partout ça va mal. le lecteur finit par se dire que ces porte-flingues qui n'apparaissent que dans la première et la dernière histoire incarnent littéralement les oiseaux de mauvais augure, la dépression qui guette, la tentation de succomber au pessimisme, sans plus essayer de lutter. Finalement ces trois tueurs relèvent bien d'une incarnation de la mort au premier degré, le risque d'estimer qu'il ne sert à rien de faire face aux aléas de la vie car ceux-ci sont trop en trop grand nombre et de trop grande ampleur pour pouvoir espérer les surmonter. Dans le même temps, Monsieur Jean fait tout pour préserver sa bulle de protection, et surtout ne pas se laisser toucher par le malheur des autres. Comme pour les dessins, la tonalité de la narration tient tout drame à distance, avec des touches humoristiques légères et touchantes, pouvant aller jusqu'à l'absurde dans cette histoire de panne d'ascenseur, et encore plus dans ce mystérieux accessoire érotique qu'est le grille-pain.
Un album hors-série : est-ce bien la peine de s'investir dans une telle lecture ? Il suffit que le lecteur feuillète l'album pour qu'il tombe sous le charme des dessins d'une rare élégance, sans afféterie, d'une belle expressivité sans moquerie, d'une clarté remarquable. Il découvre une nouvelle après l'autre, et retrouve cette intimité émotionnelle pudique avec les personnages qui lui permet de se sentir frère en humanité, même s'il n'est pas parisien.
Je suis surpris d'être le premier à attribuer la note maximale à cette BD, mais je comprends pourquoi : je suppose que d'autres auraient également attribué la note maximale s'ils n'avaient pas déjà toute l'histoire en tête et s'ils n'avaient pas lu ou vu autant d'adaptations.
Personnellement, je n'avais jamais vraiment lu ou vu la véritable histoire de -L'Île au trésor-. Bien que j'aie vu de nombreuses adaptations, fidèles ou non, j'étais trop jeune pour m'en souvenir. J'ai aussi lu des séries comme Long John Silver, qui se déroule après, ou encore la série télévisée "Black Sails", un préquel, que j'inclus d’ailleurs dans mes séries préférées de tous les temps. Donc, je connaissais certains personnages et quelques bribes de l'intrigue, mais j'ai découvert bien plus en lisant cette BD apparemment fidèle à l’œuvre originale.
Et c'est donc avec des yeux d'enfant que j'ai découvert et dévoré cette série incroyable.
Sinon ce qui m'a vraiment bluffé, au-delà du récit, c'est le choix des animaux anthropomorphes et leur représentation graphique magnifiquement dessinée. In-cro-ya-ble ! Chaque personnage est parfaitement incarné par l'animal choisi, les expressions, les aptitudes, les caractères... c'est du génie. Certains préféreront sûrement une adaptation sans cet aspect anthropomorphique, mais si vous aimez le genre, alors foncez !
Bref, non seulement l'histoire est captivante, mais le dessin l'est tout autant. J'imagine que le roman offre plus de détails et nous plonge plus longtemps dans cet univers de piraterie et de chasse au trésor, mais en 3 tomes seulement, je n'ai ressenti aucune précipitation pour accélérer le rythme ou conclure l'histoire, même si quelques planches supplémentaires pour le final n'auraient pas été de refus. J'en ressors dans tous les cas complètement satisfait.
Un autre coup de cœur qui va se transformer en un achat de l'intégrale ainsi que du roman que je garderai au chaud pour une future lecture.
Mise en perspective d'une mythologie
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Il s'agit d'un récit complet initialement paru en 1994.
Les 11 premières pages retracent les origines de Human Torch (futur Jim Hammond) telles que parues dans Marvel Comics 1 (1939), accompagné du flux de pensées du personnage. Il s'agit d'un prologue paru initialement en tant qu'épisode 0.
L'histoire proprement dite commence avec une poignée de journalistes qui attendent devant un bâtiment, pour couvrir la conférence de presse du professeur Phineas T. Horton qui va dévoiler à la presse sa créature synthétique : Human Torch. Parmi les journalistes, se trouvent Phil Sheldon et un très jeune J. Jonah Jameson. La conférence est une catastrophe. Peu de temps après, Doris (la fiancée de Phil Sheldon) lui raconte qu'elle a assisté à la première apparition d'un homme quasiment nu semblant vivre dans l'eau : Namor. Ce premier épisode raconte les affrontements entre ses 2 créatures surhumaines, vus et perçus par Phil Sheldon. La dernière partie est consacrée à l'émergence de Captain America et la formation des Invaders.
La partie suivante se déroule dans les années 1960 où les superhéros sont encore une nouveauté, mais déjà plus nombreux. Ils sont la coqueluche des médias et le mariage de Reed Richards avec Susan Storm s'annonce comme l'événement médiatique majeur. Mais dans le même temps, une autre race d'êtres surhumains attisent la peur et la haine des gens normaux : les mutants.
La troisième partie se déroule lors de la première venue de Galactus sur terre, et la dernière se focalise sur un événement tragique, publié à l'origine en 1974.
Initialement, Alex Ross a l'ambition de recréer quelques scènes marquantes des dizaines d'années d'existence des superhéros Marvel. Il s'associe avec Kurt Busiek qui étoffe le projet pour le transformer en quelque chose de plus sophistiqué. Au final, le lecteur suit la vie de Phil Sheldon, photoreporter spécialisé dans les superhéros, sur une période allant de 1939 à 1974. Sheldon entretient une relation particulière avec ces individus. Ce n'est pas qu'il les connaît personnellement (même s'il en croise un ou deux dans leur identité civile sans le savoir), c'est plutôt qu'il assiste à leur première apparition (ou presque) et qu'il prend de l'âge en même temps que le phénomène prend de l'ampleur. Ses actions et ses reportages baignent donc l'évolution du rapport que Sheldon entretient avec ces individus dotés de superpouvoirs, qu'il a affublé du qualificatif de Merveilles (Marvels).
Ce dispositif narratif a marqué son époque en racontant une histoire de superhéros du point de vue d'un individu normal qui est le témoin occasionnel de leurs conflits dans sa ville. Kurt Busiek reprendra le même dispositif pour sa série Astro City débutée en 1995 (par exemple Des ailes de plomb) dont Alex Ross assure la conception graphique des personnages.
Mais Kurt Busiek a plus d'ambition que cette forme de narration, il souhaite également faire apparaître la cohérence de la structure de l'univers partagé Marvel, en citant de nombreuses aventures extraites des comics de l'époque. Cette édition comprend une page qui récapitule les références correspondantes en indiquant pour chaque événement le nom et le numéro de l'épisode d'origine (Fantastic Four 48 à 50 pour l'arrivée de Galactus, par exemple). le métier de Phil Sheldon le place tout près des actions les plus spectaculaires des superhéros. Sa vie privée lui fait côtoyer des personnages récurrents de l'univers Marvel comme J. Jonah Jameson, Ben Urich, Peter Parker, un jeune livreur de journaux du nom de Danny Ketch, etc. le lecteur a donc la sensation d'habiter le même quartier que des personnages qui évoluent dans les mêmes pâtés de maison.
Cette excellente histoire n'aurait sans doute pas eu le même impact si elle avait été illustrée par quelqu'un d'autre qu'Alex Ross. Il s'agit là de son premier travail de grande ampleur. Au vu du résultat extraordinaire, DC Comics l'embauchera juste après pour Kingdom Come (paru en 1996) écrit par Mark Waid. Qu'est ce qui fait la spécificité de cet illustrateur ?
Pour commencer, il réalise ses planches à la peinture en mêlant plusieurs techniques (aquarelles, gouaches, acrylique, etc.). Ensuite, il a une obsession maniaque d'une certaine forme de réalisme. Il ne souhaite pas s'approcher au plus près d'un rendu photographique, mais il prend le temps nécessaire pour que chaque pose et chaque expression approchent au plus près ce qui est possible. Il travaille avec des modèles vivants qu'il fait poser pour rendre fidèlement leur attitude. Il a travaillé avec sa mère qui était modiste pour être fidèle à la mode de chaque époque. Il réalise un travail très minutieux sur la lumière et les éclairages.
Comme il le dit lui-même, il lui a fallu plusieurs pages pour trouver le juste dosage dans ses illustrations. Pour toutes les scènes de la vie ordinaire, le lecteur se promène dans une Amérique légèrement édulcorée au milieu de personnes représentées comme nimbées d'un léger halo leur conférant une intemporalité. le travail préparatoire de Ross aboutit à des visages à chaque fois réalistes et différents. Il se sert de sa maîtrise pour insérer de ci, delà des célébrités comme Elizabeth Taylor lors de l'inauguration de l'exposition de peintures d'Alicia Masters, les Beatles lors de la cérémonie de mariage de Reed et Susan, etc.
Cette forme de réalisme appliquée aux superhéros et aux supercriminels élimine l'effet comics aux couleurs criardes, pour les tirer vers un monde plus proche du nôtre. Mais ça ne les rend pas plus plausibles pour autant. Par exemple lors de la bataille contre Galactus à New York, ce dernier s'intègre parfaitement au milieu des gratte-ciels comme un être humain géant revêtu d'un costume étrange. Galactus ne gagne pas ne majesté ou en réalisme ; il perd même un peu en majesté et en aura de puissance. Par contraste, ce même traitement appliqué au Silver Surfer en fait un être vraiment métallique et extraterrestre. En fait ce mode de représentation accroît surtout le réalisme des superhéros de type Spiderman ou Luke Cage, et l'étrangeté des superhéros déjà très éloignés de l'être humain comme Human Torch lorsqu'il est enflammé.
Alex Ross maîtrise un peu moins bien la consistance des décors et la cohérence de leur représentation. Comme pour les corps humains, il a effectué des recherches pour respecter l'exactitude historique. le lecteur a donc bien la sensation d'être dans un quartier populaire et résidentiel de New York dans les années 1930 au début du récit, ou dans une banlieue résidentielle bien proprette dans la dernière scène. Mais parfois la texture des matériaux de construction présente un aspect uniforme et trop lisse, parfois aussi Ross se contente de délimiter grossièrement les contours sans beaucoup de détails ce qui crée un hiatus par contraste avec les personnages beaucoup plus travaillés.
Au final, les illustrations transportent le lecteur dans une vision peu éloignée du monde visible depuis sa fenêtre, mais légèrement édulcorée et fantasmée. le recours à la peinture ajoute également une forme de solennité au récit.
Marvels est unique en son genre. Il s'agit d'un récit sur l'histoire du développement des superhéros de 1939 à 1974 dans l'univers Marvel vu par un homme qui est photojournaliste et qui partage son point de vue avec le lecteur sur ces surhommes et leur place dans la société. Il s'agit également d'une historisation structurée de cette même période qui comble le fan spécialiste de cet univers, et qui permet au novice d'ordonner les faits. Les illustrations en mettent plein la vue d'une manière plus nuancée que brutale. Ces éléments éloignent Marvels du récit de superhéros traditionnel vers un travail d'auteur assez personnel dans lequel l'action et les combats passent au second plan.
Kurt Busiek a donné une suite à ce récit en reprenant le personnage de Phil Sheldon dans Marvels - L'œil de l'objectif, illustré par Jay Anacleto. Et il a essayé de consolider la continuité des Avengers dans Avengers Forever avec Carlos Pacheco, en référençant leurs principales aventures et en rétablissant une logique parfois malmenée.
J'ai beaucoup aimé cette série qui ne peut pas laisser le lecteur insensible. J'étais un peu dubitatif au départ car je me méfie de la vision paternaliste voire condescendante des occidentaux sur l'Afrique. Je me suis trompé. JVH et Christophe Simon réalisent une belle série coup de gueule sur l'impensable réalité de la région du Kivu. Le talent et la maîtrise de JVH permettent de proposer un récit qui mixte reportage journalistique insoutenable et fiction aventurière classique mais réconfortante et bien construite.
JVH évite tout manichéisme en mêlant Blancs et Noirs parmi les (très) méchants face au réconfort que l'on peut aussi s'unir pour faire prospérer la paix.
Comme le souligne la belle préface de Colette Braeckman cette région qui devrait être un paradis pour ses habitants s'est transformée en enfer depuis plus d'un siècle. Aujourd'hui c'est la folie du développement du portable et de cette course à la nouveauté qui entretient la surexploitation et le pillage du Coltan pour la richesse de quelques-uns et l'esclavage de nombreux autres.
Presque 150 ans après Berlin et les abominations de l'Administration coloniale de cette époque on reste sidéré de voir que les mêmes prédateurs peuvent agir en quasi-impunités sur les mêmes victimes.
Les auteurs ont pris le temps de produire un vrai récit qui peut atteindre un large public sans ennuyer par un côté moralisateur trop prononcé.
Les thématiques sont très lourdes et ne peuvent convenir aux plus jeunes. C'est dommage car certains pourraient prendre conscience du coût réel de ces petits écrans empoisonnés.
Le graphisme de Simon est très classique voire académique comme le souligne d'autres avis. Toutefois il est très agréable travaille très bien les décors de Bukavu et des paysages environnants.
Cela manque un peu de dynamisme mais les nombreuses explications nécessaires ralentissent le rythme. Ce n'est pas très grave.
Une très belle série qui provoque admiration pour les uns et indignité pour les autres. Il manque la clé pour faire changer les choses.
Chopée au vol à la médiathèque juste avant de partir en vacances, cette grosse BD d'économie constitue une surprise tout à fait inattendue.
Déjà, pourquoi ai-je emmené ça en vacances ? Il est pas un peu maso le gars des fois ? En fait, ça doit être lié aux élections récentes (et elles aussi tout à fait inattendues). Thomas Piketty est un économiste de gauche, espèce rare. En plus de ça, l'homme s'est engagé ouvertement en politique et à balancé quelques déclarations assez étonnantes. Enfin, j'avais quand même envie de comprendre quelques trucs, et Piketty (que j'entendais parfois sur Inter) me semblait assez indiqué. C'est donc lesté de cette adaptation, glissée au milieu de mon interminable PAL (pile à lire) que je suis parti sous le soleil, avec cette petite idée que je reviendrais sans l'avoir ouverte. Raté !
J'ai tout lu et avec une avidité telle que j'ai expédié l'affaire en un jour.
La raison ? Le dessin, l'humour, et surtout cette idée excellentissime de raconter l'histoire à partir de la Révolution à travers une famille de nobles et sa descendance.
Le dessin ? C'est Benjamin Adam qui s'y est collé. Je ne connais de lui que Soon, une BD de SF absolument étonnante et décalée, mais géniale, et aussi Fluide (qui m'avait quant à elle laissé sur le seuil). Il a un bon trait, à la fois simple et expressif, et sait varier les plans. Et puis je le découvre, mais l'auteur fait ici montre d'un humour finaud distillé avec justesse.
Mais la grosse idée de Capital & Idéologie, c'est son point de vue narratif. En effet, on suit une famille richissime à travers le XIXe et le XXe siècle, et avec elle le devenir de son capital financier et immobilier, et ça, c'est très fort. On aurait pu en effet s'attendre à voir la chose expliquée de manière assez classique (et clinique) à travers les mouvements de contestations, les révolutions, les révoltes ouvrières, que sais-je encore. Mais non ! Ici, on est avec les dominants. On les voit s'inquiéter pour leur épargne, pester contre les politiques sociales, maudire les politiques égalitaires... Une BD qui gratte un peu où ça fait mal !
Bref ! C'est génial. On entre dedans facilement, on comprend immédiatement les enjeux des propositions de lois et les conséquences de celles-ci quand elles sont appliquées. En outre, il y a une volonté d'être compréhensible, parfois peut-être un peu trop. Du coup, certaines notions sont à mon sens expliquée trop rapidement. Mais bon, ça doit venir de moi qui suis vraiment limite quand il s'agit d'économie (par exemple, je ne comprends toujours pas le principe de l'offre et de la demande qui demeure pour moi un non sens, une règle sans règle)...
Bref ! Le Capital selon Adam et Piketty, c'est bon, mangez-en. De mon côté, à peine rentré de vacances, je suis passé commander le livre dont est tiré cette BD chez mon libraire, c'est dire !
C'est un peu vrai ce que beaucoup de gens disent : ces personnages tout rondouillards aux allures de manga pour jeune public constituent quand même un sacré obstacle, ce qui, soit dit en passant, ne m'a pas empêché de faire l'acquisition de l'ouvrage. Parce que ça a malgré tout l'air bien cette grosse BD de SF bien cossue, avec cette foule de détails, son univers riche...
Hé bé oui ! Ca fonctionne à fond. Je n'ai eu à souffrir d'aucun problème pour identifier les personnages (les uniformes et autres sigles de compagnies minières ou de mercenaires sont utilisés avec pertinence), si ce n'est Camina lorsqu'elle réapparait un peu plus loin dans l'histoire avec son bras mutilée (bah elle portait un casque dans la première scène aussi !) : il m'a fallu, et ce fut l'unique fois, revenir en arrière pour savoir à qui j'avais à faire. A part ça, c'est fluide, intelligemment mené, soutenu par des dialogues de qualité.
Le dessin est top. On sent qu'il y a des heures de boulot derrière. Chaque case est une composition en soi. Tout est chiadé et rendu dans les moindres détails. Si j'aime le dépouillement, le minimalisme d'un Aurel ou Duchazeau par exemple, j'aime aussi ce genre de BD grouillante de vie et complètement immersive.
Côté scénar, là encore c'est une réussite. Malgré le nombre non négligeable de lieux différents, Singelin parvient à garder l'unité narrative intacte. Au contraire, l'ensemble donne le sentiment de suivre une véritable épopée (impression donnée d'emblée par l'épaisseur de la BD), et de colonisation de l'Univers. On traverse bien des mondes et des ambiances différentes. On y est ! Le contexte est en outre parfaitement rendu, incluant comme il se doit d'un bon récit de SF des problématiques très actuelles auxquelles se greffent des réflexions sur l'avenir. A titre d'exemple, on pourra retenir celle qui concerne les premiers humains nés dans l'espace, donc complètement coupés du giron terrestre, ou bien celle reprise du manga Planètes qui s'intéresse à la future profession d'éboueur de l'espace.
Tout cela donne le sentiment d'un truc dense, pensé et bien installé qui sait tenir le lecteur en haleine. Malgré les réticences liées à la représentation des personnages, devant lequel il serait vraiment dommage de tourner les talons, Frontier vient garnir le haut du panier de la BD de science-fiction. Amateurs et trices de SF, foncez ! Vous allez tomber sous le charme de cet univers dense, de cette intrigue bien menée et de ces personnages plus complexes que leur physique bidibulesque ne le laisse penser. On pourra d'ailleurs mettre sa tête à couper sans l'ombre d'une hésitation.
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Young gods
Exquis - Ce tome reprend les épisodes parus dans Storyteller 1 à 9 d'octobre 1996 à juillet 1997, ainsi qu'un prologue intitulé The pizza story mettant en scène Adastra, les épisodes 10, 11 et 12 (inachevé pour ce dernier), des annotations de Barry Windsor-Smith, une début de tentative de clore le récit, le synopsis de la fin de l'histoire, et un début d'histoire parue avant, mais se déroulant après. Pizza story - Adastra (une déesse du panthéon Orgasma) s'est réfugiée sur terre et se lance dans la livraison de pizza à domicile. Malheureusement, le pizzaiolo est arrêté par la police suite à un malentendu, et l'aide qui arrive pour rédiger d'étranges invitations perd tous ses moyens devant la beauté d'Adastra. Épisodes 1 à 12 - À une autre époque, dans le palais des dieux, Heros est songeur, il doit épouser Celestra le lendemain, la fille de la reine d'un autre panthéon de dieux. Il discute de son malaise avec Strangehands, son meilleur ami. Pendant ce temps là, une flopée de chérubins conçoit la tenue de la mariée sur Celestra qui papote avec Adastra, sa soeur. Alors qu'Heros et Strangehand ont décidé d'aller boire un coup avant d'aller chasser les dragons (pour enterrer la vie de garçon d'Heros), ils croisent Adastra en train de gesticuler comme une folle, pour se débarrasser d'un chérubin caché dans sa chevelure rousse flamboyant. Ils décident d'aller boire ensemble tous les trois. Ailleurs, Otan, le père tout puissant du panthéon d'accueil, rappelle à son Grand Vizir l'importance capitale de l'union de son fils Heros avec Celestra. Sur ces entrefaites, la reine Organa (la mère de Celestra) arrive pour exiger la présence du futur époux auprès de la promise qui se languit. Il s'agit essentiellement d'une comédie mettant en scène des dieux archétypaux, avec une femme n'ayant pas la langue dans sa poche, dans un environnement onirique, avec un soupçon de romantisme. Dès le premier épisode, la personnalité d'Adastra rayonne de chaleur et domine le pauvre Aran complètement empêtré dans son système de valeur. Adastra a acquis un parler légèrement argotique et très terrestre, alors qu'Aran s'exprime en termes choisis et fleuris dans un parler shakespearien. Il adore la déesse Isis, et il idolâtre Adastra comme une déesse (mineure par rapport à Isis, mais déesse quand même). Or les vœux de chasteté qu'il a prononcés font mauvais ménage avec la sensualité d'Adastra. Il s'en suit un dialogue savoureux entre les 2, irrésistible grâce à la mise en scène et au langage corporel d'une expressivité redoutable. La candeur et la jeunesse irradient du visage d'Aran, alors que la compassion et l'agacement agitent le visage d'Adastra de manière contraire. Après cette entrée en matière piquante et sophistiquée, l'histoire commence pour de bon dans un lieu évoquant un croisement entre des temples grecs et New Genesis des New Gods de Jack Kirby (d'ailleurs chaque épisode commence par la même dédicace à Jack Kirby). Dans ce panthéon fictif composé de dieux imaginaires, Heros est un individu tout entier dévoué à ses devoirs, et très sérieux. le caractère de Strangehand est plus difficile à cerner au départ, si ce n'est qu'il joue le rôle de confident et d'ami sûr. Dès son apparition, Adastra accapare la scène par son caractère bien trempé et expansif. Car il s'agit bien d'une scène, les personnages (sauf Adastra) s'expriment comme dans une pièce de théâtre et leur jeu de scène révèle une grande sensibilité de la part de Barry Windsor-Smith quant au jeu des acteurs. le lecteur pense au théâtre du fait de l'aspect littéraire des textes qui évoquent le langage dérivatif créé par Stan Lee pour faire s'exprimer les dieux d'Asgard, ou les dialogues un peu empesés des New Gods ou des Eternals écrits par Jack Kirby, mais en plus vif, plus alerte et plus enjoué. Et l'avantage de la bande dessinée, c'est que les costumes peuvent être aussi exubérants qu'imaginatifs, et les décors aussi bien classiques qu'Art Nouveau. Les personnages peuvent évoluer à leur guise sans les limites physiques d'une vraie scène. Et de temps à autre, Windsor-Smith se lâche le temps d'une pleine page magnifique qui marie la délicatesse, avec les détails, une capacité surnaturelle à rendre les textures et les jeux de lumière. De la même manière que le théâtre peut mettre en évidence la nature humaine par des biais artificiels (jeu légèrement exagéré des acteurs pour passer la rampe, costumes inexistants ou au contraire plus riches que nature, décors en carton-pâte, textes très travaillés), Windsor-Smith utilise une partie de ces artifices pour faire exister ses personnages au-delà du papier. Après avoir refermé ce livre, je me suis surpris à repenser à plusieurs reprises à ces personnages extraordinaires habités par des émotions très humaines, doté d'un humour léger et touchant. BWS manie un humour léger et élaboré qui se manifeste aussi bien par la juxtaposition d'émotions antagonistes, que par de minuscules chérubins facétieux. Bien sûr, cette lecture vaut plus par le voyage qu'elle propose que par sa destination. Cela tient lieu d'abord à la nature de la publication originelle en courts épisodes mais aussi à la fin de cette aventure éditoriale. Barry Windsor-Smith (BWS en abrégé) insère plusieurs pages de textes expliquant le contexte de cette histoire. Il estimait en se lançant dans Storyteller, un magazine mensuel de 32 pages de bandes dessinées, qu'il apportait une vision neuve au monde des comics et l'opportunité de séduire un public plus mature. Après 9 numéros, l'éditeur originel a informé Windsor-Smith que ce projet n'était pas économiquement viable et qu'il cessait la publication de cette série. Malgré plusieurs tentatives, BWS n'a jamais réussi à se réinvestir dans ces personnages pour mener à terme leurs aventures. Cette édition comprend un synopsis d'une page qui explique la fin prévue à l'épisode 17. Il comprend également une histoire appelée "The party" dans laquelle les héros de Young Gods, de Freebooter et de Paradoxman se croisent à une soirée pour commenter sur l'arrêt prématuré de leurs aventures. Il comprend la tentative avortée de 5 pages de terminer l'histoire. Young gods & friends est un récit à nul autre pareil qui évoque un croisement entre une pièce shakespearienne, un comics cosmique de Jack Kirby et une comédie sophistiquée de Frank Capra ou même la gentille dérision de Jacques Tati (M. Hulot fait apparition remarquée dans l'épisode 5). Les illustrations évoquent aussi bien Jack Kirby, que l'Art Nouveau ou les peintres préraphaélites tels Dante Gabriel Rossetti. Barry Windsor-Smith fait siennes les valeurs des préraphaélites : aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l'art du passé, rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, faire du beau, faire des dessins minutieux privilégiant les détails, naviguer entre la littérature et la poésie. Les personnages existent comme rarement. Chaque personnage livre un numéro d'acteur éblouissant. Et si l'on ne peut être que navré que Barry Windsor-Smith n'ait pas pu terminer son œuvre, la magie du voyage proposé transporte le lecteur dans un monde onirique enchanteur. Une deuxième série de Storyteller a eu droit à une réédition : The Freebooters. Et Adastra a été mise en vedette dans Adastra in Africa.
Bestiarius
Des dessins absoluments sublimes, des personnages assez simples mais attachants, une intrigue efficace et très satisfaisante, et surtout un concept d'univers original et facile d'accès : la Rome antique et ses gladiateurs avec un bestiaire fantastique. J'ai dévoré toute la série d'une traite et je ne regrette absolument pas mon achat. Je recommande !
Matteo Ricci - Dans la Cité Interdite
Une pensée qui ne se nourrit pas de curiosité s'éteint d'elle-même. - Ce tome est le troisième dans une série thématique consacrée à des hommes saints, après Vincent : Un saint au temps des mousquetaires (2016) et Foucauld : Une tentation dans le désert (2019). Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s'ouvre avec une introduction d'une demi-page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque l'écriture d'Élisabeth Rochat de la Vallée qui écrit sur Matteo Ricci, sa relation au Christ et sa relation aux hommes, ce qui permit à une rencontre de s'opérer, à une compréhension mutuelle de devenir possible. Puis il cite les deux auteurs Vincent Cronin et de Michela Fontana dont les ouvrages lui ont permis de découvrir ce saint homme. Pékin, 1601. Jusqu'à présent, bien peu d'occidentaux ont pu franchir les enceintes de la Cité interdite. Là, derrière ces hauts murs de briques, vit le Fils du Ciel, entouré de sa famille, de sa cour, de ses concubines et de la caste puissante des eunuques qui bénéficient de nombreux privilèges et de pouvoirs certains. Justement, l'un d'eux, un certain Ma T'ang, collecteur des taxes de Lintsing, reçoit ses agents qui lui apprennent une bien étrange nouvelle. Un étranger s'est installé dans la ville ! Il semble que ce ne soit ni un espion, ni un agent ennemi, mais un lettré qui a su gagner l'appui de certains mandarins. Il dispose d'ailleurs d'un passeport. L'indicateur continue, tout en conservant une posture courbée : l'étranger cherche un intermédiaire auprès de l'Empereur. Il a des présents à offrir à sa Majesté Impériale. de l'or des bijoux, il paraît qu'il peut changer le cinabre en argent. L'eunuque Ma T'ang demande son nom. Il s'appelle Matteo Ricci. Il est né en Italie, à Macerata. Âgé de 19 ans, il entre au noviciat des jésuites et, après des études au Collège romain, il est ordonné prêtre à Cochin en juillet 1580. Depuis 18 ans, il parcourt la Chine pour y servir Dieu. Par terre, le long des fleuves, au fil des saisons, des déconvenues, mais avec un courage exemplaire qui jamais ne l'abandonne… Il a la grande intelligence du cœur et de l'esprit, de respecter des coutumes et une foi autres que la sienne. Ses connaissances en mathématiques et en astronomie, ses dons pour la philosophie, l'horlogerie le font apprécier des intellectuels et des mandarins qu'il croise sur sa route. Il est ainsi devenu le Lettré du lointain Occident. Mais le plus difficile reste à faire. Il veut rencontrer le Fils du Ciel en personne, car c'est par la tête qu'il veut descendre jusqu'au corps. Rien, cependant, n'est acquis. Impossible de pénétrer dans la Cité interdite sans une invitation personnelle de l'Empereur. Et cette invitation ne peut s'obtenir sans l'aval d'un conseiller proche… Ou d'un eunuque bien en cour. Les deux serviteurs comme les appelle le porte-parasol de Ma T'ang, sont en réalité les compagnons de voyage de Ricci. Il y a là frère Fernandez et le jésuite Diego Pantoja, un missionnaire. Dans son introduction, le scénariste indique qu'il connaissait peu de choses de Matteo Ricci à l'époque où il a commencé ce projet. Il cite donc la préface d'Élisabeth Rochat de la Vallée : le danger de se perdre quand on ne se cramponne plus aux certitudes données par sa langue et par la raison de sa culture n'est pas à négliger; danger de perdre son identité et même sa foi. le lecteur sourit en prenant connaissance de ces risques : il se dit que cela s'applique parfaitement au dessinateur, plus habitué à dessiner Paris aux siècles passés, en particulier au dix-neuvième siècle. Dans le même temps, il est pleinement rassuré dès la première page : une magnifique statue d'un lion sur une stèle richement sculptée, devant le mur d'enceinte de la Cité impériale, avec trois marchands ambulants, et trois gardes, tous représentés avec une minutie remarquable. Martin Jamar n'a pas perdu sa culture et son talent de raconteur en images, même s'il a dû faire l'effort de s'adapter aux us et coutumes d'une région du monde qu'il n'est pas familier de représenter. Les cases de la bande inférieure montrent l'eunuque Ma T'ang et ses deux informateurs : le lecteur prend le temps de savourer le magnifique manteau orné de motifs complexe du premier. Il sait que la reconstitution historique est tout aussi soignée que celle de Paris sous Napoléon 1er (Double Masque) ou pendant la Commune (Voleurs d'empires). Le lecteur accompagne donc le prêtre jésuite italien et missionnaire en Chine impériale, dans cette ville dont l'auteur a choisi de conserver l'ancienne appellation de Pékin, plutôt que celle plus moderne de Beijing. Il peut ainsi regarder autour de lui dans les rues et dans la Cité interdite : une rue enneigée pour commencer, une autre débouchant sur un temple, celle menant aux bureaux du mandarin T'sai Hsu-t'sai responsable des ambassades étrangères, une vue générale en légère élévation du palais des Barbares avec ses murs d'enceinte et ses voies intérieures, différents bâtiments de ce palais. Puis en planche vingt-cinq, le missionnaire passe par une porte d'entrée latérale pour franchir l'enceinte extérieure de la Cité interdite. C'est à nouveau l'occasion de pouvoir contempler la multitude d'artisans et de commerçants qui s'affairent, ainsi que les façades du palais. Lors d'une enquête, Ricci se rend dans la demeure du veuf Wang Chung Nim : l'artiste en offre une vue générale en élévation inclinée, puis montre la vue sur les vastes jardins, à partir d'un petit pavillon de bois. le récit se termine avec une case consacrée à la tombe du prêtre, avec une stèle sculptée, et deux magnifiques arbres de part et de d‘autre, ainsi que les bâtiments de la Cité interdite en arrière-plan. le lecteur a envie de le remercier pour lui avoir donner à voir autant de lieux, d'individus en train de vaquer à leurs occupations ordinaires, dans des cases toujours facilement lisibles, avec une colorisation naturaliste faisant ressortir les éléments les uns par rapport aux autres, les ambiances lumineuses, les différents plans. Les prises de vue en intérieur sont tout aussi riches, informatives et vivantes. le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette qu'il s'agisse des cadeaux à offrir à sa Majesté Impériale, de l'aménagement et de la décoration intérieur d'un temple bouddhiste, du pavillon de Yogour Kahn, de l'atelier d'horlogerie où s'exerce Lin Yu, et bien sûr de la salle du trône. L'artiste s'est fixé pour but de reconstituer chaque lieu, chaque accessoire, chaque tenue vestimentaire, pour que le lecteur puisse en voir le plus possible au cours de son immersion. Il réalise des plans de prise de vue d'une clarté exemplaire, en mettant un point d'honneur à représenter les arrière-plans le plus souvent possible. Sa direction d'acteurs appartient au registre naturaliste, avec des postures qui s'avèrent en parfaite adéquation avec l'occupation du personnage, et permettent de se faire une idée de son état d'esprit. La narration visuelle donne une impression d'évidence et de facilité au lecteur, alors qu'il lui suffit de prendre une case et de réfléchir aux recherches nécessaires pour pouvoir s'imaginer le travail qui a dû être nécessaire. Comme pour les deux tomes précédents, le scénariste a retenu une approche qui rend hommage au Vénérable, c'est-à-dire qu'il ne gomme pas sa foi, mais il ne fait pas acte non plus de prosélytisme. Matteo Ricci évoque sa foi quand il est questionné dessus, il prie, il a amené avec lui un crucifix, des images pieuses. Pour autant, il n'assène pas le credo de sa foi à toutes les personnes qui passent à sa portée. Il fait preuve d'un humanisme chrétien dans son comportement, dans sa façon d'envisager les rapports avec autrui, et de tolérance. Il est venu pour une mission d'évangélisation, avec l'intention de commencer par l'Empereur lui-même. Son voyage l'amène à fréquenter aussi bien des savants, que des individus aguerris en politique, ou aux intrigues de palais. Outre les valeurs morales et la charité chrétiennes, Ricci fait montre de son ouverture d'esprit à plusieurs reprises. Alors que des voleurs se sont introduits dans sa maison et ont été mis en fuite par Lin Yu armée d'une épée, il explique à celle-ci qu'il les laisse fuir car il a bien conscience que ces voleurs obéissent probablement à des ordres qu'ils ne peuvent refuser. Quelques pages plus loin, il discute avec Lin Yu et elle lui demande pour quelle raison il fait tout cela pour elle : il répond tout naturellement qu'il serait un mauvais chrétien s'il n'aidait pas les gens en difficulté ou en souffrance. Elle poursuit et souhaite savoir s'il pourrait lui apprendre, si c'est son Dieu qui parle ainsi. le scénariste fait preuve à son tour de malice puisque Ricci répond que Partager une règle de vie avec un ami qui vient de loin est une grande joie. Il ajoute qu'il s'agit d'une maxime de Confucius, alors que le lecteur s'attendait à ce qu'il cite les Écritures. L'enjeu du récit réside donc dans le chemin qui mène à l'audience avec l'Empereur. Jean Dufaux met en scène le protocole, les semaines d'attente, les intrigues de palais, les alliances de circonstance, les embûches créées par les jaloux, les envieux, les profiteurs ou les inquiets de leurs privilèges. Matteo Ricci apparaît comme un homme sage et posé, confiant en la Providence, avec une réelle expérience des êtres humains. de la planche trente-et-un à la planche trente-six, il participe à une enquête sur un cas de malédiction, avec une perspicacité et une efficacité qui évoquent celles du Juge Ti, personnage créé par Robert van Gulik, et enquêteur hors pair d'une série de romans policiers. Au fur et à mesure des rencontres avec les autorités, avec les divers représentants, il se dessine en creux une vision de la capitale chinoise, du mode de fonctionnement de cette partie de cette société, à la fois des us et coutumes, à la fois sa capacité à accueillir les étrangers et à établir un réel échange avec eux. S'il a lu les deux précédents tomes, l'un consacré à Saint Vincent de Paul, le suivant à Charles de Foucauld, le lecteur a déjà l'eau à la bouche à la simple idée de découvrir celui-ci. Il n'est pas déçu : les dessins sont toujours aussi fournis avec une lisibilité immédiate, pour une reconstitution historique remarquable. le scénario évoque quelques mois de la vie de Matteo Ricci, son séjour à Pékin, et son invitation à entrer la Cité interdite, sans gommer sa foi religieuse, ni en faire l'apologie, montrant comment son ouverture d'esprit et l'étendue de ses connaissances lui permettent d'être accepté dans cette société à la culture si étrangère à la sienne.
Spider-Man - La dernière chasse de Kraven (La mort du chasseur)
La dernière victoire de Sergei Kravinoff - Ce recueil constitue une histoire complète parue à l'origine en 1987 dans Web of Spider-Man 31 & 32, Amazing Spider-Man 293 & 294, et Spectacular Spider-Man 131 & 132. Ce tome comprend les 6 épisodes en question. Sergei Kravinoff est un criminel qui s'habille d'un pagne en léopard et d'un gilet sans manche et se fait appeler Kraven the Hunter. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Amazing Spider-Man 15 en août 1964. Il possède des connaissances en herboristerie qui lui permettent de concocter des potions ayant différents effets : poison, paralysie, augmentation de la force ou de l'acuité des sens… Dans cette histoire, Kraven abat Spider-Man d'une balle de fusil de chasse, il le fait enterrer et il revêt l'habit du superhéros pour prendre sa place. J.M. DeMatteis est un grand professionnel des comics, autant pour des histoires de superhéros ( Batman : absolution & Justice League International ), que pour des bandes dessinées plus personnelles (Moonshadow & Brooklyn Dreams). Mike Zeck est essentiellement connu pour avoir illustré The Punisher : Cercle de sang. Il est ici encré par Bob McLeod, un autre professionnel vétéran des comics. La particularité de cette histoire de Spider-Man est qu'elle a pour principal personnage le criminel et que Peter Parker ne débite pas de blagues. Il s'agit d'une histoire très sombre qui a pour principaux thèmes l'introspection de Kravinoff et l'impact psychologique pour Peter Parker d'avoir été enterré vivant. J.M. DeMatteis nous fait pénétrer dans la psyché de Sergei sous forme de flux de pensées. Il nous invite à adopter le point de vue de Kraven sur la réelle signification des combats qui l'opposent à Spider-Man et sur le poids de son héritage familial. Du coté de Peter Parker, DeMatteis nous montre à la fois la peur instillée par Kraven et l'incapacité totale à déchiffrer et comprendre les actions de Kraven. À l'évidence, il ne s'agit pas d'un comics pour les plus jeunes et il ne rentre pas dans le moule des aventures habituelles du tisseur de toiles. DeMatteis va même jusqu'à jouer avec l'idée de l'araignée comme totem de Peter Parker (thème qui sera repris et développé plus tard par Straczynski) et comme symbole de l'échec de l'être humain. Les illustrations de Mike Zeck sont un peu datées années 80 et souffrent à plusieurs reprises d'un manque criant d'arrière plan. D'un autre coté le rendu des personnages est très soigné avec des relents de Joe Kubert qui leur donnent une intemporalité et une force peu commune. Pour les fans, cette histoire se classe parmi les meilleurs classiques de Spider-Man. Effectivement les deux créateurs réussissent le pari de rendre Sergei Kravinoff humain, crédible, tourmenté et étrangement lucide. Peter Parker a rarement été aussi vulnérable et héroïque. Mary Jane (les deux étaient jeunes mariés à ce moment) est une femme amoureuse mais pas mièvre. Ce qui m'arrête dans l'attribution d'une cinquième étoile est ce manque de décors très déconcertant et le mode narratif qui ne va pas assez loin dans l'utilisation du flux de pensées désordonnées. L'exécution de l'histoire manque d'un soupçon de savoir faire pour atteindre tous les buts ambitieux qu'ils s'étaient fixés. Cette histoire a eu droit à un épilogue : Soul of the Hunter.
La Théorie des gens seuls
Rrraahhhrg ! le grille-pain ! Aah ! oui, oui ! - Ce tome est initialement paru après le tome 4 Monsieur Jean, tome 4 : Vivons heureux sans en avoir l'air (1997), mais son action se situe entre le tome 3 Monsieur Jean, tome 3 : Les femmes et les enfants d'abord (1997) et le tome 4. Sa première édition date de 2000 en noir & blanc, et il a été réédité en 2010, en bichromie. C'est le deuxième album hors-série après Journal d'un album (1994). Cet album a été réalisé à quatre mains pour le scénario, les dessins et la bichromie, par Philippe Dupuy et Charles Berberian. Il comprend cent-vingt-quatre pages de bandes dessinées. Chapitre un, dix pages : ça commence mal. Monsieur Jean est en train de dormir paisiblement dans son lit double, avec quelques livres sur ses draps. le réveil sonne ; il reprend conscience. Il voit dans sa chambre, devant lui trois hommes en costumes noir avec des lunettes noires, pointant chacun un pistolet vers sa tête. Il se fait la réflexion que cette journée commence assez mal. Il sort les jambes du lit et s'assied sur son séant, et se rend dans la salle de bain. Il constate sa mine défaite et pas fraîche dans le miroir. Il urine debout. Il se rend dans la cuisine et prend un bol de café, pendant que les trois tueurs sont assis, pistolet en l'air, chacun une tasse de café devant eux. Monsieur Jean leur demande s'ils vont le tuer sans lui expliquer pourquoi ou pour qui. Il souhaite qu'ils lui laissent dire au revoir à ses amis une dernière fois. Ils lui répondent que ses amis ne sont pas vraiment des amis, désolé. Il va ensuite se couper les ongles, se faire couleur un bain, et se glisser tranquillement dedans, en fermant les yeux pour mieux en apprécier la sensation. Il les rouvre en sursaut quand il entend éternuer : les trois porte-flingues, toujours en costume, sont dans le bain avec lui. Puis Monsieur Jean s'habille, se coiffe, se regarde dans la glace. Il tombe à genoux et il les supplie de lui accorder de voir une dernière fois son film préféré : Baisers volés (1968) réalisé par François Truffaut. Chapitre deux, cinq pages : Félix dans le bus. Félix, un copain de Monsieur Jean, lit le dernier numéro de Science & Vie, assis dans le bus. Un couple s'assied en face de lui, une jeune femme fluette et un gros malabar. Ce dernier se montre agressif vis-à-vis de sa compagne, finissant par se lever et la gifler. Félix intervient, mais les deux lui répondent agressivement, et la femme lui décoche un coup de pied dans le tibia. Chapitre trois, sept pages : la théorie des gens seuls. Félix, Clément, Monsieur Jean et deux copines sont assis sur un banc dans un patio en train de papoter tranquillement. Félix monopolise un peu la parole en exposant sa théorie des gens seuls : le problème des gens seuls, c'est qu'ils sont seuls. Et que tant qu'on est seul, on n'est pas attiré par une autre personne seule. Les gens seuls ne sont pas attirés par les autres célibataires, mais pas quelqu'un qui est déjà avec un autre. En découvrant cet ouvrage, le lecteur note deux particularités qui sautent aux yeux : les dessins plus lâchés que dans les autres tomes avec une apparence parfois presque crayonnée, et le retour à des chapitres autonomes plutôt qu'un récit à l'échelle de l''album. Dans la version en bichromie, les artistes ont choisi un bleu entre bleu bleuet et bleu pastel pour habiller les dessins, tout en laissant quelques zones de blanc pour des reflets, des ambiances lumineuses, la plupart des visages, ainsi que les phylactères. Les traits semblent avoir été réalisés avec un crayon gras, ce qui donne des contours parfois un peu irréguliers, pour une apparence plus spontanée, plus vivante. le lecteur éprouve également la sensation que la densité des informations est un peu moindre que pour les albums de la série, avec une grille de six cases comme principe, en trois rangées de deux cases. Dans certaines planches des cases peuvent être fusionnées pour ne donner qu'une case de la largeur de la page. Pour l'histoire de Félix dans le bus et quelques pages éparses, les dessinateurs passent à la grille de trois (cases) par trois (bandes), dite gaufrier. le lecteur éprouve une sensation de pages moins denses, très faciles à lire, plus animées, avec un certain nombre de gros plans et de plans poitrine. Pour autant, elles ne semblent pas vides. En effet, la taille un peu plus grande des cases donne de l'espace aux personnages, et permet également de contenir un nombre d'informations visuelles important sans donner l'impression de saturer l'espace délimité par les bordures. Ainsi dans la planche d'ouverture avec son dessin en pleine page, le lecteur peut voir les cinq livres sur la couverture du lit, les deux sur la descente de lit avec les chaussures juste à côté, la table de chevet avec sa lampe et son verre d'eau, les chaussettes au pied du lit, le rebord de la fenêtre, un rideau non tiré et le grand cadre qui surplombe la tête de lit. Par la suite, le lecteur découvre les autres pièces de l'appartement de Monsieur Jean : l'autre côté du lit, la salle de bain avec son lavabo et sa cuvette des toilettes sans oublier une petite étagère de livres, la table de cuisine et quelques placards de rangement au mur, la baignoire, le miroir en pied. Tout du long des neuf chapitres, les artistes vont l'emmener dans de nombreux endroits différents : un petit restaurant de quartier où mangent Clément & Jean, un bus, des rues parisiennes, le salon de Monsieur Jean avec son canapé et son poste de télé, un square avec ses bancs, un pavillon à la campagne pour un anniversaire, un plateau de télévision pour une interview, un autre restaurant, une gare parisienne, une cabine d'ascenseur, une autre maison à la campagne. À chaque fois, le dosage des ingrédients s'avère parfait : assez pour que chaque lieu soit spécifique, pas trop pour ne pas alourdir la case ou ralentir la lecture. Pas de doute, c'est bien les mêmes dessinateurs, avec les mêmes caractéristiques pour les personnages : des gros nez ou parfois très allongés pour les hommes, des nez plus menus et plus effilés pour ces dames, des silhouettes aux contours un peu arrondis et très normales pour les hommes, des morphologies plus affinées et allongées pour les femmes, des tenues peu recherchées pour les hommes, et élégantes pour les femmes même lorsqu'elles sont simples. Les yeux des personnages se réduisent souvent à un simple point, ou un trait, de même que leur bouche. Les expressions de visage peuvent être exagérées pour un effet comique à l'occasion d'une émotion plus intense. le langage corporel reste dans un registre naturaliste, sauf pour les poses vives ou intimidantes des trois porte-flingues. Les scènes avec de nombreux personnages montrent des interactions sociales très policées, entre gens de bonne éducation. Il se produit bien un ou deux agacements pouvant aller jusqu'à l'énervement de temps à autre, toutefois le lecteur sent bien qu'aucune situation ne peut virer au drame. Pour autant, les sentiments exprimés le touchent, ainsi qu'à nouveau la situation du jeune enfant Eugène, née de Marlène qui ne s'en occupe plus et qui l'a confié à Félix dont elle s'est séparé et qui n'est pas le père, l'enfant étant souvent pris en charge par Jean. Les deux créateurs racontent neuf histoires courtes allant de cinq à vingt-six pages, avec des situations comme la présence intermittente des porte-flingues, un voyage dans le bus, du papotage entre potes, des considérations sur le désir masculin, un anniversaire à une soirée à la campagne, l'usage d'un grille-pain, Félix éméché et quelque peu désenchanté, Félix coincé dans un ascenseur, et pour finir Monsieur Jean acceptant d'aller se mettre au vert dans la maison de campagne des parents de Cathy. Dans un premier temps, l'artifice des trois tueurs laissent le lecteur perplexe. Par la suite, il retrouve cette ambiance parisienne et même parisianiste, entre personnes sans soucis financiers (sauf pour Félix) peu stressés par les responsabilités. Félix endosse le rôle de grincheux, de déçu de la vie, avec une vision certes pessimiste, mais aussi lucide. Au cours de l'incident dans le bus, il finit par faire le constat au profit d'un couple que dans la vie, il n'y a que les mauvaises choses qui peuvent tomber sur quelqu'un par hasard, jamais les bonnes choses. Il en conclut que c'est la raison pour laquelle partout ça va mal. le lecteur finit par se dire que ces porte-flingues qui n'apparaissent que dans la première et la dernière histoire incarnent littéralement les oiseaux de mauvais augure, la dépression qui guette, la tentation de succomber au pessimisme, sans plus essayer de lutter. Finalement ces trois tueurs relèvent bien d'une incarnation de la mort au premier degré, le risque d'estimer qu'il ne sert à rien de faire face aux aléas de la vie car ceux-ci sont trop en trop grand nombre et de trop grande ampleur pour pouvoir espérer les surmonter. Dans le même temps, Monsieur Jean fait tout pour préserver sa bulle de protection, et surtout ne pas se laisser toucher par le malheur des autres. Comme pour les dessins, la tonalité de la narration tient tout drame à distance, avec des touches humoristiques légères et touchantes, pouvant aller jusqu'à l'absurde dans cette histoire de panne d'ascenseur, et encore plus dans ce mystérieux accessoire érotique qu'est le grille-pain. Un album hors-série : est-ce bien la peine de s'investir dans une telle lecture ? Il suffit que le lecteur feuillète l'album pour qu'il tombe sous le charme des dessins d'une rare élégance, sans afféterie, d'une belle expressivité sans moquerie, d'une clarté remarquable. Il découvre une nouvelle après l'autre, et retrouve cette intimité émotionnelle pudique avec les personnages qui lui permet de se sentir frère en humanité, même s'il n'est pas parisien.
Jim Hawkins
Je suis surpris d'être le premier à attribuer la note maximale à cette BD, mais je comprends pourquoi : je suppose que d'autres auraient également attribué la note maximale s'ils n'avaient pas déjà toute l'histoire en tête et s'ils n'avaient pas lu ou vu autant d'adaptations. Personnellement, je n'avais jamais vraiment lu ou vu la véritable histoire de -L'Île au trésor-. Bien que j'aie vu de nombreuses adaptations, fidèles ou non, j'étais trop jeune pour m'en souvenir. J'ai aussi lu des séries comme Long John Silver, qui se déroule après, ou encore la série télévisée "Black Sails", un préquel, que j'inclus d’ailleurs dans mes séries préférées de tous les temps. Donc, je connaissais certains personnages et quelques bribes de l'intrigue, mais j'ai découvert bien plus en lisant cette BD apparemment fidèle à l’œuvre originale. Et c'est donc avec des yeux d'enfant que j'ai découvert et dévoré cette série incroyable. Sinon ce qui m'a vraiment bluffé, au-delà du récit, c'est le choix des animaux anthropomorphes et leur représentation graphique magnifiquement dessinée. In-cro-ya-ble ! Chaque personnage est parfaitement incarné par l'animal choisi, les expressions, les aptitudes, les caractères... c'est du génie. Certains préféreront sûrement une adaptation sans cet aspect anthropomorphique, mais si vous aimez le genre, alors foncez ! Bref, non seulement l'histoire est captivante, mais le dessin l'est tout autant. J'imagine que le roman offre plus de détails et nous plonge plus longtemps dans cet univers de piraterie et de chasse au trésor, mais en 3 tomes seulement, je n'ai ressenti aucune précipitation pour accélérer le rythme ou conclure l'histoire, même si quelques planches supplémentaires pour le final n'auraient pas été de refus. J'en ressors dans tous les cas complètement satisfait. Un autre coup de cœur qui va se transformer en un achat de l'intégrale ainsi que du roman que je garderai au chaud pour une future lecture.
Marvels
Mise en perspective d'une mythologie - Il s'agit d'un récit complet initialement paru en 1994. Les 11 premières pages retracent les origines de Human Torch (futur Jim Hammond) telles que parues dans Marvel Comics 1 (1939), accompagné du flux de pensées du personnage. Il s'agit d'un prologue paru initialement en tant qu'épisode 0. L'histoire proprement dite commence avec une poignée de journalistes qui attendent devant un bâtiment, pour couvrir la conférence de presse du professeur Phineas T. Horton qui va dévoiler à la presse sa créature synthétique : Human Torch. Parmi les journalistes, se trouvent Phil Sheldon et un très jeune J. Jonah Jameson. La conférence est une catastrophe. Peu de temps après, Doris (la fiancée de Phil Sheldon) lui raconte qu'elle a assisté à la première apparition d'un homme quasiment nu semblant vivre dans l'eau : Namor. Ce premier épisode raconte les affrontements entre ses 2 créatures surhumaines, vus et perçus par Phil Sheldon. La dernière partie est consacrée à l'émergence de Captain America et la formation des Invaders. La partie suivante se déroule dans les années 1960 où les superhéros sont encore une nouveauté, mais déjà plus nombreux. Ils sont la coqueluche des médias et le mariage de Reed Richards avec Susan Storm s'annonce comme l'événement médiatique majeur. Mais dans le même temps, une autre race d'êtres surhumains attisent la peur et la haine des gens normaux : les mutants. La troisième partie se déroule lors de la première venue de Galactus sur terre, et la dernière se focalise sur un événement tragique, publié à l'origine en 1974. Initialement, Alex Ross a l'ambition de recréer quelques scènes marquantes des dizaines d'années d'existence des superhéros Marvel. Il s'associe avec Kurt Busiek qui étoffe le projet pour le transformer en quelque chose de plus sophistiqué. Au final, le lecteur suit la vie de Phil Sheldon, photoreporter spécialisé dans les superhéros, sur une période allant de 1939 à 1974. Sheldon entretient une relation particulière avec ces individus. Ce n'est pas qu'il les connaît personnellement (même s'il en croise un ou deux dans leur identité civile sans le savoir), c'est plutôt qu'il assiste à leur première apparition (ou presque) et qu'il prend de l'âge en même temps que le phénomène prend de l'ampleur. Ses actions et ses reportages baignent donc l'évolution du rapport que Sheldon entretient avec ces individus dotés de superpouvoirs, qu'il a affublé du qualificatif de Merveilles (Marvels). Ce dispositif narratif a marqué son époque en racontant une histoire de superhéros du point de vue d'un individu normal qui est le témoin occasionnel de leurs conflits dans sa ville. Kurt Busiek reprendra le même dispositif pour sa série Astro City débutée en 1995 (par exemple Des ailes de plomb) dont Alex Ross assure la conception graphique des personnages. Mais Kurt Busiek a plus d'ambition que cette forme de narration, il souhaite également faire apparaître la cohérence de la structure de l'univers partagé Marvel, en citant de nombreuses aventures extraites des comics de l'époque. Cette édition comprend une page qui récapitule les références correspondantes en indiquant pour chaque événement le nom et le numéro de l'épisode d'origine (Fantastic Four 48 à 50 pour l'arrivée de Galactus, par exemple). le métier de Phil Sheldon le place tout près des actions les plus spectaculaires des superhéros. Sa vie privée lui fait côtoyer des personnages récurrents de l'univers Marvel comme J. Jonah Jameson, Ben Urich, Peter Parker, un jeune livreur de journaux du nom de Danny Ketch, etc. le lecteur a donc la sensation d'habiter le même quartier que des personnages qui évoluent dans les mêmes pâtés de maison. Cette excellente histoire n'aurait sans doute pas eu le même impact si elle avait été illustrée par quelqu'un d'autre qu'Alex Ross. Il s'agit là de son premier travail de grande ampleur. Au vu du résultat extraordinaire, DC Comics l'embauchera juste après pour Kingdom Come (paru en 1996) écrit par Mark Waid. Qu'est ce qui fait la spécificité de cet illustrateur ? Pour commencer, il réalise ses planches à la peinture en mêlant plusieurs techniques (aquarelles, gouaches, acrylique, etc.). Ensuite, il a une obsession maniaque d'une certaine forme de réalisme. Il ne souhaite pas s'approcher au plus près d'un rendu photographique, mais il prend le temps nécessaire pour que chaque pose et chaque expression approchent au plus près ce qui est possible. Il travaille avec des modèles vivants qu'il fait poser pour rendre fidèlement leur attitude. Il a travaillé avec sa mère qui était modiste pour être fidèle à la mode de chaque époque. Il réalise un travail très minutieux sur la lumière et les éclairages. Comme il le dit lui-même, il lui a fallu plusieurs pages pour trouver le juste dosage dans ses illustrations. Pour toutes les scènes de la vie ordinaire, le lecteur se promène dans une Amérique légèrement édulcorée au milieu de personnes représentées comme nimbées d'un léger halo leur conférant une intemporalité. le travail préparatoire de Ross aboutit à des visages à chaque fois réalistes et différents. Il se sert de sa maîtrise pour insérer de ci, delà des célébrités comme Elizabeth Taylor lors de l'inauguration de l'exposition de peintures d'Alicia Masters, les Beatles lors de la cérémonie de mariage de Reed et Susan, etc. Cette forme de réalisme appliquée aux superhéros et aux supercriminels élimine l'effet comics aux couleurs criardes, pour les tirer vers un monde plus proche du nôtre. Mais ça ne les rend pas plus plausibles pour autant. Par exemple lors de la bataille contre Galactus à New York, ce dernier s'intègre parfaitement au milieu des gratte-ciels comme un être humain géant revêtu d'un costume étrange. Galactus ne gagne pas ne majesté ou en réalisme ; il perd même un peu en majesté et en aura de puissance. Par contraste, ce même traitement appliqué au Silver Surfer en fait un être vraiment métallique et extraterrestre. En fait ce mode de représentation accroît surtout le réalisme des superhéros de type Spiderman ou Luke Cage, et l'étrangeté des superhéros déjà très éloignés de l'être humain comme Human Torch lorsqu'il est enflammé. Alex Ross maîtrise un peu moins bien la consistance des décors et la cohérence de leur représentation. Comme pour les corps humains, il a effectué des recherches pour respecter l'exactitude historique. le lecteur a donc bien la sensation d'être dans un quartier populaire et résidentiel de New York dans les années 1930 au début du récit, ou dans une banlieue résidentielle bien proprette dans la dernière scène. Mais parfois la texture des matériaux de construction présente un aspect uniforme et trop lisse, parfois aussi Ross se contente de délimiter grossièrement les contours sans beaucoup de détails ce qui crée un hiatus par contraste avec les personnages beaucoup plus travaillés. Au final, les illustrations transportent le lecteur dans une vision peu éloignée du monde visible depuis sa fenêtre, mais légèrement édulcorée et fantasmée. le recours à la peinture ajoute également une forme de solennité au récit. Marvels est unique en son genre. Il s'agit d'un récit sur l'histoire du développement des superhéros de 1939 à 1974 dans l'univers Marvel vu par un homme qui est photojournaliste et qui partage son point de vue avec le lecteur sur ces surhommes et leur place dans la société. Il s'agit également d'une historisation structurée de cette même période qui comble le fan spécialiste de cet univers, et qui permet au novice d'ordonner les faits. Les illustrations en mettent plein la vue d'une manière plus nuancée que brutale. Ces éléments éloignent Marvels du récit de superhéros traditionnel vers un travail d'auteur assez personnel dans lequel l'action et les combats passent au second plan. Kurt Busiek a donné une suite à ce récit en reprenant le personnage de Phil Sheldon dans Marvels - L'œil de l'objectif, illustré par Jay Anacleto. Et il a essayé de consolider la continuité des Avengers dans Avengers Forever avec Carlos Pacheco, en référençant leurs principales aventures et en rétablissant une logique parfois malmenée.
Kivu
J'ai beaucoup aimé cette série qui ne peut pas laisser le lecteur insensible. J'étais un peu dubitatif au départ car je me méfie de la vision paternaliste voire condescendante des occidentaux sur l'Afrique. Je me suis trompé. JVH et Christophe Simon réalisent une belle série coup de gueule sur l'impensable réalité de la région du Kivu. Le talent et la maîtrise de JVH permettent de proposer un récit qui mixte reportage journalistique insoutenable et fiction aventurière classique mais réconfortante et bien construite. JVH évite tout manichéisme en mêlant Blancs et Noirs parmi les (très) méchants face au réconfort que l'on peut aussi s'unir pour faire prospérer la paix. Comme le souligne la belle préface de Colette Braeckman cette région qui devrait être un paradis pour ses habitants s'est transformée en enfer depuis plus d'un siècle. Aujourd'hui c'est la folie du développement du portable et de cette course à la nouveauté qui entretient la surexploitation et le pillage du Coltan pour la richesse de quelques-uns et l'esclavage de nombreux autres. Presque 150 ans après Berlin et les abominations de l'Administration coloniale de cette époque on reste sidéré de voir que les mêmes prédateurs peuvent agir en quasi-impunités sur les mêmes victimes. Les auteurs ont pris le temps de produire un vrai récit qui peut atteindre un large public sans ennuyer par un côté moralisateur trop prononcé. Les thématiques sont très lourdes et ne peuvent convenir aux plus jeunes. C'est dommage car certains pourraient prendre conscience du coût réel de ces petits écrans empoisonnés. Le graphisme de Simon est très classique voire académique comme le souligne d'autres avis. Toutefois il est très agréable travaille très bien les décors de Bukavu et des paysages environnants. Cela manque un peu de dynamisme mais les nombreuses explications nécessaires ralentissent le rythme. Ce n'est pas très grave. Une très belle série qui provoque admiration pour les uns et indignité pour les autres. Il manque la clé pour faire changer les choses.
Capital & Idéologie
Chopée au vol à la médiathèque juste avant de partir en vacances, cette grosse BD d'économie constitue une surprise tout à fait inattendue. Déjà, pourquoi ai-je emmené ça en vacances ? Il est pas un peu maso le gars des fois ? En fait, ça doit être lié aux élections récentes (et elles aussi tout à fait inattendues). Thomas Piketty est un économiste de gauche, espèce rare. En plus de ça, l'homme s'est engagé ouvertement en politique et à balancé quelques déclarations assez étonnantes. Enfin, j'avais quand même envie de comprendre quelques trucs, et Piketty (que j'entendais parfois sur Inter) me semblait assez indiqué. C'est donc lesté de cette adaptation, glissée au milieu de mon interminable PAL (pile à lire) que je suis parti sous le soleil, avec cette petite idée que je reviendrais sans l'avoir ouverte. Raté ! J'ai tout lu et avec une avidité telle que j'ai expédié l'affaire en un jour. La raison ? Le dessin, l'humour, et surtout cette idée excellentissime de raconter l'histoire à partir de la Révolution à travers une famille de nobles et sa descendance. Le dessin ? C'est Benjamin Adam qui s'y est collé. Je ne connais de lui que Soon, une BD de SF absolument étonnante et décalée, mais géniale, et aussi Fluide (qui m'avait quant à elle laissé sur le seuil). Il a un bon trait, à la fois simple et expressif, et sait varier les plans. Et puis je le découvre, mais l'auteur fait ici montre d'un humour finaud distillé avec justesse. Mais la grosse idée de Capital & Idéologie, c'est son point de vue narratif. En effet, on suit une famille richissime à travers le XIXe et le XXe siècle, et avec elle le devenir de son capital financier et immobilier, et ça, c'est très fort. On aurait pu en effet s'attendre à voir la chose expliquée de manière assez classique (et clinique) à travers les mouvements de contestations, les révolutions, les révoltes ouvrières, que sais-je encore. Mais non ! Ici, on est avec les dominants. On les voit s'inquiéter pour leur épargne, pester contre les politiques sociales, maudire les politiques égalitaires... Une BD qui gratte un peu où ça fait mal ! Bref ! C'est génial. On entre dedans facilement, on comprend immédiatement les enjeux des propositions de lois et les conséquences de celles-ci quand elles sont appliquées. En outre, il y a une volonté d'être compréhensible, parfois peut-être un peu trop. Du coup, certaines notions sont à mon sens expliquée trop rapidement. Mais bon, ça doit venir de moi qui suis vraiment limite quand il s'agit d'économie (par exemple, je ne comprends toujours pas le principe de l'offre et de la demande qui demeure pour moi un non sens, une règle sans règle)... Bref ! Le Capital selon Adam et Piketty, c'est bon, mangez-en. De mon côté, à peine rentré de vacances, je suis passé commander le livre dont est tiré cette BD chez mon libraire, c'est dire !
Frontier
C'est un peu vrai ce que beaucoup de gens disent : ces personnages tout rondouillards aux allures de manga pour jeune public constituent quand même un sacré obstacle, ce qui, soit dit en passant, ne m'a pas empêché de faire l'acquisition de l'ouvrage. Parce que ça a malgré tout l'air bien cette grosse BD de SF bien cossue, avec cette foule de détails, son univers riche... Hé bé oui ! Ca fonctionne à fond. Je n'ai eu à souffrir d'aucun problème pour identifier les personnages (les uniformes et autres sigles de compagnies minières ou de mercenaires sont utilisés avec pertinence), si ce n'est Camina lorsqu'elle réapparait un peu plus loin dans l'histoire avec son bras mutilée (bah elle portait un casque dans la première scène aussi !) : il m'a fallu, et ce fut l'unique fois, revenir en arrière pour savoir à qui j'avais à faire. A part ça, c'est fluide, intelligemment mené, soutenu par des dialogues de qualité. Le dessin est top. On sent qu'il y a des heures de boulot derrière. Chaque case est une composition en soi. Tout est chiadé et rendu dans les moindres détails. Si j'aime le dépouillement, le minimalisme d'un Aurel ou Duchazeau par exemple, j'aime aussi ce genre de BD grouillante de vie et complètement immersive. Côté scénar, là encore c'est une réussite. Malgré le nombre non négligeable de lieux différents, Singelin parvient à garder l'unité narrative intacte. Au contraire, l'ensemble donne le sentiment de suivre une véritable épopée (impression donnée d'emblée par l'épaisseur de la BD), et de colonisation de l'Univers. On traverse bien des mondes et des ambiances différentes. On y est ! Le contexte est en outre parfaitement rendu, incluant comme il se doit d'un bon récit de SF des problématiques très actuelles auxquelles se greffent des réflexions sur l'avenir. A titre d'exemple, on pourra retenir celle qui concerne les premiers humains nés dans l'espace, donc complètement coupés du giron terrestre, ou bien celle reprise du manga Planètes qui s'intéresse à la future profession d'éboueur de l'espace. Tout cela donne le sentiment d'un truc dense, pensé et bien installé qui sait tenir le lecteur en haleine. Malgré les réticences liées à la représentation des personnages, devant lequel il serait vraiment dommage de tourner les talons, Frontier vient garnir le haut du panier de la BD de science-fiction. Amateurs et trices de SF, foncez ! Vous allez tomber sous le charme de cet univers dense, de cette intrigue bien menée et de ces personnages plus complexes que leur physique bidibulesque ne le laisse penser. On pourra d'ailleurs mettre sa tête à couper sans l'ombre d'une hésitation.