Iconique
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Je suis un grand fan de Matt Wagner, surtout pour ses deux créations Mage et Grendel. C'est toujours avec plaisir que je me plonge dans l'une de ses œuvres, même s'il s'agit ici des héros de DC. Ce recueil regroupe les trois numéros de la minisérie du même nom.
Ra's al Ghul (terroriste écologiste) a mis la main sur plusieurs armes de destruction massive dont Bizarro. Il souhaite éradiquer plusieurs cités et profiter d'une bizarrerie des satellites de communication pour créer le chaos et diminuer drastiquement la population terrestre. Les exactions de ses séides attirent l'attention de Superman et de Batman qui décident de collaborer. Une maladresse de Bizarro entraîne l'explosion d'un missile nucléaire à coté de Paradise Island ce qui amène Wonder Woman à enquêter dans le monde des hommes.
Comme à son habitude, Matt Wagner préfère situer l'action au début la carrière de chacun de ces héros et il raconte la première rencontre entre les trois piliers de l'univers DC (sa trinité). L'histoire commence lentement et il faut attendre le milieu du tome pour que le rythme de l'action s'accélère. Par contre dès le début, Wagner cerne admirablement la personnalité des trois héros. Clark Kent se donne un mal fou pour passer pour un être humain normal en ratant régulièrement son métro pour aller travailler. Batman est préparé à toutes les situations, il dirige Superman (sans le commander ou le mépriser pour autant) et il succombe au charme de la Princesse Diana, tout en jalousant son avion robot. Coté Wonder Woman, Wagner reprend l'intégralité des éléments du mythe : Themyscira, les amazones, la Reine Hyppolita, l'avion robot, le lasso, les aigles guetteurs… Autant Wagner a fait un effort de simplification et de cohérence pour Clark Kent et Bruce Wayne, autant il garde tous les éléments (même s'ils sont contradictoires) pour Diana. Et pour autant, sa maîtrise de son profil psychologique nous montre une Wonder Woman parfaitement crédible : royale, légèrement féministe sans être caricaturale, vive d'esprit, respectueuse de l'environnement…
Coté illustrations, Matt Wagner est fidèle à son credo : il choisit une mise en page très sage (pas de cases en trapèze) et aérée, un style rétro pour ancrer sa narration dans le début de ces héros, des dessins précis qui privilégient le trait juste à la myriade de lignes inutiles.
Ce tome est à la hauteur des promesses : la première rencontre de Wonder Woman avec Batman et Superman. Les réactions des uns et des autres font admirablement ressortir leurs différences et ce qui les unit. Les péripéties sont lentes à démarrer mais le scénario est solidement construit, il rend intéressant cette nouvelle attaque de Ra's al Ghul et il contient son lot de surprises. Il s'agit d'un comics qui mise sur la nuance plutôt que sur le rentre dedans. Si vous avez apprécié, ne vous privez pas des autres histoires de Batman réalisées par Matt Wagner (Batman et les Monstres par exemple).
Dark Moon rising, acte 2
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Ce tome est la suite directe de Batman et les Monstres et la lecture du premier tome est quasiment indispensable pour comprendre l'intrigue du second. D'ailleurs les deux portent le titre commun de Dark Moon Rising.
On retrouve le graphisme si maîtrisé de Matt Wagner qui va à l'essentiel tout en donnant à chaque personnage et chaque élément de décors une identité propre. Comme à son habitude, il a choisi un style épuré en ne traçant que les lignes significatives et chaque dessin possède une immédiateté et une efficacité rare. La mise en couleur de Dave Stewart repose sur une palette chromatique limitée pour renforcer les atmosphères des différentes scènes qui complètent à merveille les dessins.
Comme pour le premier tome, l'action se situe dans la deuxième année d'activité du Batman. Et de ce fait le héros n'est pas encore complètement blasé et cynique, il commet même parfois des erreurs tactiques. Cette faillibilité rend Batman beaucoup plus humain et plus accessible, l'empathie que l'on éprouve pour le héros s'en trouve accentuée. Batman doit découvrir ce qui se cache derrière une série de cadavres exsangues et les exactions de la famille Maroni.
Ce tome est une fois de plus un coup de maître pour Matt Wagner qui maîtrise son Batman comme pas deux et qui nous livre une histoire prenante et attachante reposant sur de belles planches. Il ne reste plus qu'au lecteur à savourer et à déguster… et à tenter les autres œuvres de ce créateur avec Batman (Trinité - Batman/Superman/Wonder Woman, Batman/Grendel) ou sur ses propres créations Grendel ou Mage.
J'aime beaucoup Mortelle Adèle.
Et j'ai déjà 6 livres ,1 roman et 3 grandes aventures !
J'aime beaucoup, car grâce à Adèle, je me sens moins seule, des fois. J'aimerais bien être comme Adèle des fois, car elle dit ce qu'elle pense sur celles qui les embêtent, et j'aime sa personnalité, ses cheveux roux, avec deux grosses couettes derrière et son uniforme.
Elle montre qu'on peut être qui on veut, où on veut.
Et les dessins sont bien faits et l'imagination ne manque pas.
Poussez vous les moches !
Aucun organisme ne peut grossir indéfiniment. Il finit inévitablement par s'effondrer sous son propre poids.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2022. Il a été entièrement réalisé par Amaury Bündgen, scénario et dessin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc qui compte cent-deux planches.
Dans une zone très montagneuse, des rapaces vols au-dessus des cimes. Sur des pentes rocheuses, sans une once de végétation, une silhouette encapuchonnée avance. L'homme serre bien sa cape autour de son cou. Il avance posément, avec un rythme régulier. Son regard est calme, il contemple les sommets devant lui. Il s'arrête protégé par un énorme rocher, derrière lequel il se cache. Il regarde tranquillement par-dessus. Au loin, il aperçoit une demi-douzaine de silhouettes en train de monter la garde, une lance à la main, autour d'un feu de camp. Il continue de marcher, en faisant en sorte de rester masqué par les rochers, pour que sa présence ne soit pas détectée. Il s'engage dans une grande vallée en hauteur, et il s'arrête au bord d'un ruisseau de montagne. Il se désaltère. Il reprend sa marche et le vent souffle fort de face. Il arrive à proximité d'un lac de montagne, en prenant soin de ne pas être aperçu. Il observe et détecte d'autres sentinelles. Il déjoue leur attention et parvient à continuer à avancer. Il s'assoit adossé à un rocher et il médite. Quand les nuages masquent le soleil, il se lève et marche vers la rive du lac.
L'homme, un Kévark, laisse sa cape à capuche tomber à terre, il enlève ses bottes. Il prononce une courte incantation, effectue des passes avec les mains, en prononce une deuxième : une petite flamme apparaît entre ses paumes.il se sent investit d'une grande énergie. Il se remet en mouvement et il marche sur la surface de l'eau du lac. Arrivé au milieu de l'étendue d'eau, il s'assoit en position du lotus, toujours flottant à la surface. La nuit passe ainsi. À l'aube, un soldat haïmar va réveiller Osmir, un serviteur, pour qu'il aille chercher de l'eau lac. Celui-ci y va et commence à remplir sa jarre : il finit par remarquer la silhouette du Kévark au milieu du lac. Il va avertir les soldats haïmars. le soldat qui l'a réveillé se moque de sa frayeur, mais Osmir se montre insistant et les convainc quand il dit qu'il s'agit d'un Kevark. Un groupe d'une demi-douzaine de soldats va voir par eux-mêmes : c'est bien un Kevark, même si leur peuple a été exterminé. L'un d'eux rappelle que c'est un peuple d'illusionnistes et de menteurs. Dans une zone boisée non loin de là dans la même région, un centaure scorne suit la trace de son gibier, un roufle, aidé par Hardelin, son traqueur. Ce dernier se met à gesticuler en s'exclamant dans sa langue. le Scorne n'a pas tout compris, mais il a saisi le sens général : la proie est toute proche. Ils arrivent donc à l'issue de cette traque. Des préparatifs doivent être faits. le Scorne indique à Hardelin qu'il peut ranger sa lame. Il en faut une autre pour la mise à mort. Il lui recommande de bien prendre soin de ne pas sortir Aalbex de son étui. Les conditions ne sont pas réunies.
Le lecteur regarde la couverture avec sa partie basse, l'eau, et sa partie haute, les pentes d'une montagne et la rive, et le personnage en plein rite qui fait le lien entre les deux. Il se lance dans sa lecture : quinze pages sans texte à suivre un individu progresser dans la montagne, jusqu'à s'assoir en tailleur sur l'eau d'un lac. La narration visuelle se fait par des dessins en noir & blanc, avec un trait fin et sec, parfois un peu plus épais et gras, des aplats de noir assez réduits de forme irrégulière. Une passe magique avec une incantation dans une langue inconnue, un simple glyphe, puis un second, la manifestation d'une énergie qui emplit l'individu. Une coiffure étrange, comme des tatouages sur le bas du visage. En page vingt-deux, le fil narratif quitte ce personnage et les soldats du campement avoisinant, pour prendre en cours de route la traque d'un animal sauvage, un roufle, par un centaure et un humanoïde à grosses moustaches, mais au visage caché par une capuche. le trait est toujours aussi fin et bien dosé pour évoquer l'herbe de la forêt, les troncs d'arbre et leur texture, les rochers et leurs aspérités, le déplacement mi-homme mi-bête de Hardelin, la majesté un peu lourde du centaure, et la forme très exotique de son arme blanche. Mais que se passe-t-il ? le narrateur sait très bien ce qu'il fait, il dose à la perfection les ingrédients de son récit, la manière dont il les égraine. le cerveau du lecteur effectue le travail de manière automatique et inconsciente. Un homme à l'allure étrange, aux habits moyenâgeux : une forme ou une autre du genre Fantasy. Des soldats, une guerre ou plutôt une conquête. Un centaure : des créatures fantastiques, avec des us et des coutumes barbares ou primordiaux.
Le lecteur ne s'est rendu compte de rien : pourtant il est déjà en train de supputer, d'établir des liens de cause à effet, d'échafauder des schémas de fonctionnement, de s'interroger sur les motivations des uns et des autres, de projeter du sens sur la base des éléments épars dont il dispose. Il s'est pris au jeu, sans bien s'en rendre compte. Il regarde le Kévark (c'est le nom de son peuple, mais il n'est jamais mentionné son nom à lui) avancer dans la montagne et se prendre ce souffle de vent en pleine face, un instant comme il peut s'en produire en montagne. Il voit le Scorne tout à sa traque, une activité d'une grande importance dans sa culture, une traque qui participe à définir le personnage, sans qu'il n'en mesure bien toutes les ramifications. À partir de la page trente-deux, la situation est posée : un face-à-face entre ce Kévark immobile assis au beau milieu du lac, et le commandant de l'armée haïvar. La suite s'apparente donc à un face-à-face en deux parties, une nuit s'écoulant entre les deux, le commandant essayant d'établir le contact avec l'un des derniers représentants du peuple Kévark, d'abord avec un interprète, puis directement, et cet individu, peut-être un mage, seul face à une armée de la nation qui a anéanti son peuple. D'un point de vue narratif, cela constitue une gageure maintenir un suspense dans une longue discussion statique.
L'auteur s'en sort très bien, car plusieurs questions posées par le Kévark appellent une réponse développant des faits passés, ce qui donne lieu à leur représentation : des femmes esclaves, la mythologie du peuple Kévark, les conquêtes successives des Haïmars, leur formidable armée, jusqu'à une bataille entre ces deux peuples donnant lieu à une superbe illustration en double page, soixante-dix et soixante-et-onze. En fonction des séquences, l'artiste peut aussi bien réaliser une narration séquentielle traditionnelle à base d'actions découpées dans des bandes de cases, que glisser vers un registre plus illustratif, pouvant évoque Hal Foster et Prince Vaillant. Alors même qu'il sent bien l'immobilité de la confrontation de ces échanges verbaux, le lecteur ne s'ennuie pas visuellement. le commandant a clairement expliqué à ses hommes la nature du lac : il est magique car pour les Kévarks c'est le lac originel, celui dont ils sont sortis à l'aube des temps. Puis la discussion s'engage entre le commandant et le Kévark, par l'entremise du traducteur, un érudit tavoule. le Kévark semble bien calme. La confrontation s'engage entre l'envahisseur, le commandant à la tête de sa puissante armée, et le faible individu. le commandant explicite clairement ce qu'il en est : les forts écrasent les faibles, et les autres doivent prendre parti. le rapport ne force ne laisse pas place au doute.
Comme le Kévark au milieu du lac semble inoffensif, mais aussi inaccessible, le Haïmar accepte d'engager la conversation ; de toute façon, l'autre n'a aucune chance d'y réchapper. le fort donne donc sa version des faits, sa version de la conquête, sa version de la consolidation de la position de pouvoir de son peuple, la nécessité de faire plier les autres, de grossir. L'homme au milieu du lac pose des questions qui mettent en lumière les incohérences de cette version, le fait que ces démonstrations de force cachent une faiblesse, une inquiétude tout du moins. Il bénéficie en plus d'un témoin, le Scorne, un individu capable de réfléchir par lui-même, un allié de circonstance des Haïmars, mais qui ne leur est pas inféodé. le lecteur continue d'essayer d'anticiper les révélations, de détecter une conséquence implicite, une implication que l'un ou l'autre essaye de faire dire explicitement à son interlocuteur. Qu'est-il en train de se jouer ? Quel est l'enjeu ? Que peu un homme seul face à une armée ? Que prépare-t-il ? de temps à autre, une remarque en passant vient donner un autre sens à un fait évoqué précédemment.
En fonction de ses lectures passées, le lecteur peut estimer qu'il y a peu de chances qu'un récit de Fantasy de plus puisse receler beaucoup de surprises. Pour autant, il se laisse vite prendre à la narration visuelle, solide et délicate, claire et minutieuse. Il note les noms exotiques, les petits décalages anatomiques, la présence d'un centaure, des armes blanches. Il se rend compte que l'auteur a su capturer son attention, et que sa narration engendre une envie d'anticiper, de faire des déductions pour comprendre. Il se retrouve à jauger les deux camps lors de cette conversation où à l'évidence l'un comme l'autre cherchent à faire admettre sa vérité à son ennemi. Il se fait cueillir par la résolution de ce conflit, implacable, sans être prévisible. Un récit sans concession, en forme de jeu de pouvoir et d'intimidation, sur la détermination des forts, et celles des faibles.
Immonde
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Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2008. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre.
Les six premières pages servent à présenter le personnage principal : Raymond Delgado. Cet homme d'une trentaine d'années est une force de la nature, il a le crâne rasé et il porte des lunettes. Dans son enfance, il a été victime d'abus sexuels de la part de son père et de son oncle. Il a été le souffre-douleur des enfants de son âge. Il a été traumatisé (à nouveau) par son expérience de soldat pendant la guerre. Il est interné dans une prison de très haute sécurité, condamné pour avoir tué 21 personnes (au moins). Aujourd'hui il est transféré dans une prison appelée Hoxford, avec un groupe d'autres détenus aussi monstrueux dont Morton (violeur d'enfants multirécidiviste), Burly Bill (violeur et meurtrier multirécidiviste) et Skinny (meurtrier et nécrophile). Les conditions d'incarcération à Hoxford sont sévères, ce qui n'empêche pas quelques dérapages sous les douches, ou dans les parties communes. le docteur Jessica Ainley qui suivait le traitement psychiatrique de Delgado se rend à Hoxford pour contrôler ses conditions de détention. Elle découvre que l'administration de la prison ne délivre pas les médicaments aux prisonniers. Mais elle va bientôt en savoir plus car sa visite tombe le jour où les responsables de Hoxford célèbrent un rituel séculaire.
Dans l'introduction, Ben Templesmith explique qu'il avait toujours méprisé les loups garous dans le bestiaire des monstres horrifiques car il estime qu'ils font trop dessins animés, et pas assez peur. Or lui ce qu'il aime, c'est l'horreur qui fout la trouille, qui est contre nature, qui est perverse, malsaine, et primale. Il est le co-créateur avec Steve Niles de la série 30 jours de nuit. C'est également un illustrateur très particulier qui est connu pour avoir dessiné Fell de Warren Ellis.
Ce tome commence comme un film de série Z qui se prend au sérieux en listant tous les sévices qu'a subis Delgado et en le décrivant comme une grosse brute énigmatique, victime de délires hallucinatoires. Il est dangereux, il a tué à plusieurs reprises et il est enfermé avec d'autres ayant commis des actes tellement barbares que la société souhaite les oublier, faute de pouvoir les exécuter du fait de l'absence de peine de mort. Ces individus aiment surtout parler de leurs crimes immondes et promettre qu'ils s'entretueront à la première occasion, avec sévices sexuels à la clef. Les dialogues sont malsains et il est visible que Templesmith raconte son récit au premier degré, sans aucune ironie.
Arrivé à Hoxford, Templesmith introduit le responsable de l'établissement qui semble sadique à souhait, et le docteur Ainley qui semble destinée à être la frêle jeune femme qui jouera le rôle de l'otage. Mais petit à petit, les éléments graphiques attirent l'attention du lecteur sur des détails qui renforcent le premier degré d'une manière sinistre qui force son implication. Il est assez difficile de décrire le style de Templesmith. L'histoire commence avec une pleine page de la tête du père de Raymond Delgado s'apprêtant à le maltraiter alors qu'il est encore enfant. L'image est baignée dans une teinte jaune orangé évoquant la lumière crue d'une ampoule non protégée, mais qui n'arrive pas à dissiper la noirceur du monde. Son père est fort et gras, il a un visage asymétrique avec des yeux de taille différente, un gros pif, une grimace qui lui découvre 24 dents (anatomiquement impossible) et il est vêtu d'un marcel qu'on suppose crade. Il n'y a aucune information visuelle sur le lieu. En fait la scène suivante avec les persécuteurs de l'école baigne dans la même lumière, toujours sans décors, et il en va de même pour la scène sur le champ de bataille. Il faut presque attendre le voyage en bus pour commencer à voir apparaître les bancs improbables et les chaines qui assurent l'immobilité des prisonniers. Par contre quand Jessica Ainley se tient à l'extérieur de Hoxford, Templesmith utilise l'infographie pour insérer une photographie retouchée d'un bâtiment en fond de case. Il sur-imprime parfois des trames aux dessins pour leur donner une texture. La prédominance des couleurs sombres et des contours de formes délavées demandent une forte attention du lecteur qui s'implique dans l'observation des cases. le rendu des personnages oscille entre la caricature avec un langage corporel exagéré et des formes parfois proches de l'esquisse rapide. Parfois Templesmith choisit de privilégier l'impact visuel au détriment de tout réalisme en tirant ses représentations vers le symbolisme ou l'abstraction. Il ne représente plus vraiment la réalité de l'action, mais plus l'idée sous-jacente, l'impression, les sensations.
Ben Templesmith ne s'embarrasse pas de réalisme et il joue avec son lecteur en le contraignant à vraiment regarder ses illustrations par des teintes très sombres et des contours difficiles à distinguer. du coup, quand il focalise une case sur une action ou une anatomie détaillée, l'implication du lecteur est plus importante et les détails s'incrustent dans sa rétine. le lecteur perçoit l'intensité de Raymond Delgado, et sa distance par rapport à ce que tout le monde s'accorde à être la réalité. L'apparence singulière des monstres devient immonde grâce à la forme abjecte de leur dentition, leur salive, etc. Bien sûr ces éléments ne sont pas nouveaux, mais la représentation de Templesmith leur rend toute leur horreur, leur impossibilité, leur inhumanité. le lecteur est sorti de sa zone de confort pour découvrir des individus abjects confrontés à des créatures monstrueuses. le style graphique sophistiqué et intellectualisé de Templesmith empoigne le lecteur et le plonge dans les sensations, dans le ressenti pour mieux le choquer et l'atteindre. Par exemple, Delgado mord un prisonnier après la douche. La case en question baigne dans un camaïeu de vert légèrement cafardeux qui recouvre indifféremment le fond indistinct et les personnages. Il y a un gros effet sonore "CHOMP", presque comique, le buste du prisonnier vu de devant et la tête de Delgado derrière dont les dents se fiche dans le cou du prisonnier. À part l'effet sanguinolent et l'impact de la prise de Delgado pour maintenir sa victime, le dessin reste assez retenu (pas de jet d'hémoglobine, pas de morceau déchiqueté dans la bouche, pas de détails chirurgicaux). du coup, le lecteur scrute la case suivante pour se rendre compte des dégâts. Or l'illustration n'est pas plus précise, le plan n'est pas plus rapproché, il faut donc bien regarder pour voir le morceau qui manque, et le lecteur se retrouve pris en flagrant délit de voyeurisme nauséabond.
Cette histoire met en scène des criminels immondes confrontés à des créatures inhumaines, pour un massacre gore et sanglant. le savoir faire de Ben Templesmith, son talent de conteur, permet de rendre viscérale cette histoire classique.
Je suis tout à fait le cœur de cible de ce genre d’album, et c’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai parcouru. Troisième album de cette maison d’édition que je lis, et il confirme leur politique éditoriale très originale, et leurs partis pris (comiques, idéologiques) qui tous me siéent.
Ici pas de vieilles bandes américaines libres de droits et détournées, mais une accumulation de strips qui tous jouent sur un humour assez corrosif : humour con et/ou noir parfois, humour absurde toujours (quelques accointances parfois avec le travail de Reuzé ou Fabcaro – un clin d’œil/hommage à Zaï Zaï Zaï Zaï occupe même la page 20 !). Tienstiens nous livre une vision atroce et décalée de notre société.
Car, au travers d’un humour que j’ai trouvé très efficace (quelques éclats de rire et de très nombreux sourires), tienstiens dézingue, en s’en donnant à cœur-joie, quelques têtes de gondole politiques ou médiatiques (Macron ; Christian Clavier, etc.) et surtout, à coup de parodies du Surfeur d’argent, ou de brainstormings de cabinets de communicants, il s’attaque à la doxa ultralibérale : on aperçoit même au cours d’un strip l’– excellent – économiste Frédéric Lordon. Quant à Koko, le gorille qui a du mal avec le capitalisme, c’est un vrai champion de la contreculture qui a du mal à assimiler une leçon d'ultralibéralisme !
Excellent et très drôle, j’en redemande ! Tellement d’ailleurs qu’alors que je l’avais emprunté, je l’ai acheté aujourd’hui lors d’une virée à Paris.
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe.
C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs).
Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement.
Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !
J'ai vraiment beaucoup aimé cette série de Sylvain Savoia. Plus je découvre le travail de cet auteur et plus j'ai de l'admiration pour ses créations.
L'ouvrage s'articule autour de deux récits qui se renvoient l'un l'autre à une image de la responsabilité de l'humanité sur son présent.
Une partie documentaire où Savoia intervient de façon humble et précieuse. Il y a de l'humilité devant les éléments d'une nature hostile et résiliente à la présence de l'homme. Toutefois cette présence est précieuse au devoir de mémoire d'une aventure humaine à la fois tragique et grandiose. C'est tragique car cela renvoie à une des périodes les plus sombres de l'histoire de notre pays. Mais c'est grandiose de voir comment un groupe d'hommes et de femmes a pu trouver les ressources pour s'organiser et survivre des années sur cette minuscule île volcanique et sableuse.
La construction est compliquée car il s'agit de passer du récit de fiction très émotionnel à un récit documentaire scientifique bien plus raisonnable et froid. Le risque de déséquilibrer les deux parties était réel.
C'est tout l'art de Savoia d'introduire une part de poésie où réflexions personnelles dans la partie contemporaine. J'ai souvent été séduit par les analyses de l'auteur sur son action et sur ses positions tout au long des découvertes effectuées. Ses pensées font ainsi un pont avec justesse vers l'autre partie du récit qui met en valeur les grandes qualités humaines du groupe Malgache avec la jeune Tsimiavo en tête de proue.
L'auteur ne propose pas un récit moralisateur car la dénonciation de l'esclavagisme se fait d'elle-même : d'un côté un capitaine cupide et incompétent de l'autre un groupe qui montre toutes ses qualités avec des hommes et des femmes abandonnées mais libres de faire valoir leur résistance et leur résilience face à l'adversité. Au milieu, un groupe illustré par le lieutenant Castellan qui accepte l'ignominie de son époque comme un fait économique établi tout en gardant une lueur de conscience d'humanisme au fond de lui-même.
J'ai trouvé le final très émouvant et plein d'espoir dans un sursaut d'humanité.
Graphiquement Savoia travaille sur deux styles qui permettent de différencier les deux récits. La partie doc utilise un trait précis avec des personnages souvent en bustes ou figés dans leurs actions de recherches. La part est belle pour les détails des équipements, de la faune ou de l'océan. Le texte est très présent et souvent d'excellente qualité.
La partie fiction revient à un dessin plus rond avec des séquences narratives plus visuelles et longues aux plans plus larges. La voix off devient rare et seuls les dialogues plus intimes nous font rentrer dans le quotidien possible des survivants avec beaucoup d'émotion.
La mise en couleur est de toute beauté sachant traduire avec bonheur une lumière qui rend ces paysages hostiles mais sublimes.
Une excellente lecture pour découvrir et faire partager un devoir de mémoire.
On peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé.
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Cet ouvrage paru en 2014 apparaît classé dans les bandes dessinées : en fait il s'agit de textes, chacun consacrés à un capitaliste différent, accompagnés d'un ou deux gags en bande dessinée, avec une répartition d'environ 80% texte, 20?. Il a été réalisé par Benoist Simmat, journaliste économique et essayiste, et par Vincent Caut bédéiste. Ils passent en revue trente-sept économistes remarquables, répartis en trois grands chapitres : les classiques (XIXe siècle avec treize économistes), les révolutionnaires (XXe siècle, avec onze économistes), les contemporains (XXIe siècle, avec treize économistes). Chaque chapitre s'ouvre avec une introduction : les impairs de nos pères pour le XIXe siècle, le temps des dynamiteurs pour le XXe, Vive la crise ! pour le XXIe. L'ouvrage débute avec une préface de deux pages, écrite par Jean-Marc Daniel (spécialiste de la politique économique et professeur), une introduction de quatre pages : la science économique est née ce jour-là… Il se termine avec une conclusion de deux pages, un glossaire de cinq pages, un index d'une page, et une page de références et de remerciements. Ces deux auteurs ont ensuite réalisé un ouvrage consacré à La ligue des capitalistes extraordinaires (2015).
Introduction. En l'an de grâce 1764, au cours d'un dimanche de fin d'été, deux gentlemen eurent une longue et passionnante conversation au premier étage d'une auberge de Compiègne. L'un, Adam Smith, était un Écossais, célèbre en Angleterre pour son œuvre de philosophe où tout le monde connaissait son faciès disgracieux reproduit sur les gazettes du pays. L'autre, François Quesnay, un Français très connu lui aussi, mais dans la France de Louis XIV, était un physicien courtisé qui exerçait la fonction très symbolique de barbier du roi, c'est-à-dire médecin personnel de sa Majesté. Ils parlent économie.
Adam Smith (1723-1790) : le saint patron de la productivité. Sa Main Invisible est devenue la parabole de tous les capitalistes du monde. Adam Smith porte un prénom rêvé pour être le premier des économistes extraordinaires. Ce natif de la petite ville de Kirkcaldy (nord-est de l'Écosse), qui souffrait d'une maladie nerveuse lui faisant sans cesse opiner du menton, sera toute sa vie un professeur totalement farfelu, à la distraction légendaire. Malgré, cela, quelques années avant la Révolution française, l'Europe entière accourait à Glasgow pour écouter les leçons magistrales de ce professeur de morale – discipline universitaire des temps anciens, mélange de théologie, de philosophie et d'économie politique. Voltaire ou Hume commentaient son œuvre ; Benjamin Franklin en personne lui avait rendu visite. Un jour, un premier ministre de sa majesté s'était même levé alors qu'il entrait dans une pièce. Smith est l'homme d'un ouvrage célébrissime, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, grande fresque théorique sur l'émergence de la société marchande. Pourtant rien, mais alors vraiment rien ne destinait le jeune Adam à devenir cette figure légendaire dont les traders analphabètes actuels s'offrent encore le maître livre (pour caler leur armoire ?).
Cet ouvrage brosse donc le portrait de trente-sept économistes d'Adam Smith à Thomas Picketty. Chaque entrée est structurée de la même manière. D'abord le nom de l'économiste, ses dates de naissance et de mort (s'il est décédé), une formule pour le qualifier, une courte phrase pour synthétiser son apport. Un exemple : Karl Marx (1818-1883), le pervers narcissique de la plus-value. Son pavé de 2.500 pages a mis la moitié du monde à la corvée de patates. Puis le chapitre qui lui est consacré se compose de trois parties intitulées : Vis sa vie, Thèse antithèse foutaise, Pourquoi il s'est planté, merci ! En fonction de l'importance de l'économiste, de sa renommée ou de ce qu'il a laissé dans l'histoire de cette discipline, l'entrée peut compter de deux à six pages. Elle comprend un ou deux gags sous forme de bande dessinée. Les entrées les plus longues peuvent comprendre également un cas pratique (toujours pour Marx : le marxisme appliqué à la crise de 2008) et une anecdote qui tue (les péripéties de l'édition du Capital de 1867 pour le livre I, à 1910 pour le livre IV, et même une adaptation en manga par la suite). Chaque entrée se termine avec la référence de l'ouvrage de l'économiste, passé à la postérité. Comme les titres en exemple ci-dessus l'indiquent, la tonalité de la rédaction comporte une fibre moqueuse ou insolente. Les bandes dessinées s'inscrivent également dans un registre comique, faisant la part belle à la dérision, à partir d'une anecdote ou d'un trait de caractère réel ou supposé, ces économistes pouvant se montrer mesquins, capricieux, infantiles, colériques, ou bien sûr près de leurs sous. Ces gags font office de respiration illustrée plaisante et bienvenue, sans avoir la prétention d'être révélatrices ou pénétrantes.
Une entreprise particulièrement ambitieuse que de vouloir faire connaître l'histoire de cette discipline, l'économie, au travers de textes synthétiques et vivant, présentant la vie, la thèse principale et ses limites d'un économiste remarquable. Dans la conclusion, l'auteur présente les questions auxquelles il a voulu répondre, ou plutôt la problématique qui s'est imposée à lui. L'économie est-elle une science ou un débat ? Est-ce une discipline promouvant une méthode réfutable pour faire avancer la connaissance ? Ou une confrontation entre outils et potions devant entrer dans la composition des politiques économiques et sociales ? Il conclut par le fait qu'il s'agit d'une discipline encore jeune, qui n'a pas atteint l'âge de maturité et que bien souvent elle ne sait fournir que des explications a posteriori, bien loin de pouvoir produire des théories sur la base d'expériences reproductibles, qui serait capables de prévoir quoi que ce soit. le lecteur en ressort avec cette impression que la balance penche fortement du côté Débat, surtout par le fait que la dernière partie de chaque entrée s'intitule Pourquoi il s'est planté, merci !
L'auteur a mis le nom des trois économistes les plus célèbres en couverture : Adam Smith et sa Main Invisible, Karl Marx et son Capital, John Maynard Keynes et l‘absence de mécanisme menant au plein emploi. Pas sûr que le lecteur en connaisse beaucoup d'autres, et c'est d'ailleurs un ouvrage qui s'adresse plutôt aux novices ou débutants en la matière, un ouvrage de vulgarisation. Pour autant chaque entrée est dense et la matière en elle-même induit un bon niveau de conceptualisation. de fait, le lecteur se rend vite compte qu'il apprécie les respirations apportées par les bandes dessinées, même leur humour qui repose sur des mécanismes basiques. Il apprécie également l'impertinence des textes, apportant là aussi une forme de dédramatisation bienvenue, et souvent très savoureuse. Par exemple, dans le glossaire, la définition de la Main Invisible, concept formulé par Adam Smith : magie intrinsèque au marché où la confrontation des égoïsmes et la recherche frénétique des intérêts particuliers aboutit à la satisfaction générale. Pour autant, de temps à autre, le lecteur revient sur un économiste précédent ou sur un paragraphe pour se remettre en tête l'exacte formulation de l'auteur, et en réévaluer le sens au vu de ce qu'il a lu par la suite. Les trois parties consacrées à chaque économiste prennent tout leur sens : la partie biographique pour comprendre le contexte historique dans lequel il a développé ses concepts, la partie théorique très synthétique sur son apport à la discipline, et la mise en perspective au regard de l'évolution de l'économie dans les décennies qui ont suivi. À chaque fois, l'auteur trouve facilement à redire, c'est-à-dire des événements, des évolutions des comportements qui ont contredit la théorie de l'économiste.
Pour autant, chaque entrée se révèle intéressante et instructive. Au fil des trente-sept présentations, le lecteur retrouve ou découvre de grandes notions d'économie, depuis la Main Invisible jusqu'au constat que la machine capitaliste fabrique des inégalités (Thomas Pikkety), en passant par les projections d'accroissement de la population (Thomas R. Maltus), la rente foncière (David Ricardo), l'utilité marginale (Léon Walras), l'optimum de Pareto (la loi des 80/20 de Vilfredo Pareto), le processus de destruction créatrice (Joseph Schumpeter), le développement de la bureaucratie au détriment du profit (John K. Galbraith), la théorie du capital humain (Gary Stanley Becker), les inégalités en termes d'information (Joseph Stiglitz), l'indice de développement humain (IDH, Amartya Sen), la place et le rôle des oligopoles (Jean Tirole), etc. Par exemple, il peut savourer la théorie du capital humain. le beckerisme, ou théorie du capital humain, est universellement discuté car son postulat repose sur une évidence rarement étudiée par ces fainéants d'économistes : on peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. Avec cet éclairage, il comprend mieux certaines visées du développement personnel en provenance des États-Unis, en particulier sur la façon d'envisager ses amitiés, à l'aune de ce qu'elles apportent, pour ne pas dire du potentiel de ce qu'elles peuvent rapporter.
Les auteurs attirent le lecteur potentiel avec un titre référentiel (La ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill), des bandes dessinées humoristiques. L'ouvrage commence tranquillement avec une préface, une introduction, et passe au premier de tous : Adam Smith. La forme retenue fait sens très rapidement, à la fois les notes d'humour pour aérer un propos concis et dense sur une discipline conceptuelle, la volonté de donner un minimum de personnalité à chaque économiste, le propos à la tonalité parfois railleuse, mais toujours compensé par un exposé synthétique et clair de l'apport de l'économiste considéré à la compréhension de mécanismes complexes, sa filiation dans l'histoire de la discipline, et les limites d'application de sa théorie. Un ouvrage très instructif et très édifiant, enrichissant la culture personnelle sur un sujet qui entretient des relations avec la politique, la sociologie, la philosophie, et qui parle franchement.
One Punch Man est le meilleur manga parodique, et l'un des meilleurs mangas qui soit. Voilà. Les dessins sont absolument sublimes et dépassent en dynamisme et en qualité les shonens les plus vendus au monde. Le scénario, bien que volontairement complètement débile, réussit l'exploit de tenir le lecteur en haleine sur une série où le héros démarre au summum de sa puissance. Les références aux plus gros Shonens sont multiples, les vannes s'enchaînent et les combats les plus épiques sont tournés en dérision avec une maîtrise impressionnante. Bien sûr, il est recommandé d'avoir à la fois mangé du Shonen et être doté d'un solide second degré pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.
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Trinité
Iconique - Je suis un grand fan de Matt Wagner, surtout pour ses deux créations Mage et Grendel. C'est toujours avec plaisir que je me plonge dans l'une de ses œuvres, même s'il s'agit ici des héros de DC. Ce recueil regroupe les trois numéros de la minisérie du même nom. Ra's al Ghul (terroriste écologiste) a mis la main sur plusieurs armes de destruction massive dont Bizarro. Il souhaite éradiquer plusieurs cités et profiter d'une bizarrerie des satellites de communication pour créer le chaos et diminuer drastiquement la population terrestre. Les exactions de ses séides attirent l'attention de Superman et de Batman qui décident de collaborer. Une maladresse de Bizarro entraîne l'explosion d'un missile nucléaire à coté de Paradise Island ce qui amène Wonder Woman à enquêter dans le monde des hommes. Comme à son habitude, Matt Wagner préfère situer l'action au début la carrière de chacun de ces héros et il raconte la première rencontre entre les trois piliers de l'univers DC (sa trinité). L'histoire commence lentement et il faut attendre le milieu du tome pour que le rythme de l'action s'accélère. Par contre dès le début, Wagner cerne admirablement la personnalité des trois héros. Clark Kent se donne un mal fou pour passer pour un être humain normal en ratant régulièrement son métro pour aller travailler. Batman est préparé à toutes les situations, il dirige Superman (sans le commander ou le mépriser pour autant) et il succombe au charme de la Princesse Diana, tout en jalousant son avion robot. Coté Wonder Woman, Wagner reprend l'intégralité des éléments du mythe : Themyscira, les amazones, la Reine Hyppolita, l'avion robot, le lasso, les aigles guetteurs… Autant Wagner a fait un effort de simplification et de cohérence pour Clark Kent et Bruce Wayne, autant il garde tous les éléments (même s'ils sont contradictoires) pour Diana. Et pour autant, sa maîtrise de son profil psychologique nous montre une Wonder Woman parfaitement crédible : royale, légèrement féministe sans être caricaturale, vive d'esprit, respectueuse de l'environnement… Coté illustrations, Matt Wagner est fidèle à son credo : il choisit une mise en page très sage (pas de cases en trapèze) et aérée, un style rétro pour ancrer sa narration dans le début de ces héros, des dessins précis qui privilégient le trait juste à la myriade de lignes inutiles. Ce tome est à la hauteur des promesses : la première rencontre de Wonder Woman avec Batman et Superman. Les réactions des uns et des autres font admirablement ressortir leurs différences et ce qui les unit. Les péripéties sont lentes à démarrer mais le scénario est solidement construit, il rend intéressant cette nouvelle attaque de Ra's al Ghul et il contient son lot de surprises. Il s'agit d'un comics qui mise sur la nuance plutôt que sur le rentre dedans. Si vous avez apprécié, ne vous privez pas des autres histoires de Batman réalisées par Matt Wagner (Batman et les Monstres par exemple).
Batman et le Moine Fou
Dark Moon rising, acte 2 - Ce tome est la suite directe de Batman et les Monstres et la lecture du premier tome est quasiment indispensable pour comprendre l'intrigue du second. D'ailleurs les deux portent le titre commun de Dark Moon Rising. On retrouve le graphisme si maîtrisé de Matt Wagner qui va à l'essentiel tout en donnant à chaque personnage et chaque élément de décors une identité propre. Comme à son habitude, il a choisi un style épuré en ne traçant que les lignes significatives et chaque dessin possède une immédiateté et une efficacité rare. La mise en couleur de Dave Stewart repose sur une palette chromatique limitée pour renforcer les atmosphères des différentes scènes qui complètent à merveille les dessins. Comme pour le premier tome, l'action se situe dans la deuxième année d'activité du Batman. Et de ce fait le héros n'est pas encore complètement blasé et cynique, il commet même parfois des erreurs tactiques. Cette faillibilité rend Batman beaucoup plus humain et plus accessible, l'empathie que l'on éprouve pour le héros s'en trouve accentuée. Batman doit découvrir ce qui se cache derrière une série de cadavres exsangues et les exactions de la famille Maroni. Ce tome est une fois de plus un coup de maître pour Matt Wagner qui maîtrise son Batman comme pas deux et qui nous livre une histoire prenante et attachante reposant sur de belles planches. Il ne reste plus qu'au lecteur à savourer et à déguster… et à tenter les autres œuvres de ce créateur avec Batman (Trinité - Batman/Superman/Wonder Woman, Batman/Grendel) ou sur ses propres créations Grendel ou Mage.
Mortelle Adèle
J'aime beaucoup Mortelle Adèle. Et j'ai déjà 6 livres ,1 roman et 3 grandes aventures ! J'aime beaucoup, car grâce à Adèle, je me sens moins seule, des fois. J'aimerais bien être comme Adèle des fois, car elle dit ce qu'elle pense sur celles qui les embêtent, et j'aime sa personnalité, ses cheveux roux, avec deux grosses couettes derrière et son uniforme. Elle montre qu'on peut être qui on veut, où on veut. Et les dessins sont bien faits et l'imagination ne manque pas. Poussez vous les moches !
Le Rite
Aucun organisme ne peut grossir indéfiniment. Il finit inévitablement par s'effondrer sous son propre poids. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2022. Il a été entièrement réalisé par Amaury Bündgen, scénario et dessin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc qui compte cent-deux planches. Dans une zone très montagneuse, des rapaces vols au-dessus des cimes. Sur des pentes rocheuses, sans une once de végétation, une silhouette encapuchonnée avance. L'homme serre bien sa cape autour de son cou. Il avance posément, avec un rythme régulier. Son regard est calme, il contemple les sommets devant lui. Il s'arrête protégé par un énorme rocher, derrière lequel il se cache. Il regarde tranquillement par-dessus. Au loin, il aperçoit une demi-douzaine de silhouettes en train de monter la garde, une lance à la main, autour d'un feu de camp. Il continue de marcher, en faisant en sorte de rester masqué par les rochers, pour que sa présence ne soit pas détectée. Il s'engage dans une grande vallée en hauteur, et il s'arrête au bord d'un ruisseau de montagne. Il se désaltère. Il reprend sa marche et le vent souffle fort de face. Il arrive à proximité d'un lac de montagne, en prenant soin de ne pas être aperçu. Il observe et détecte d'autres sentinelles. Il déjoue leur attention et parvient à continuer à avancer. Il s'assoit adossé à un rocher et il médite. Quand les nuages masquent le soleil, il se lève et marche vers la rive du lac. L'homme, un Kévark, laisse sa cape à capuche tomber à terre, il enlève ses bottes. Il prononce une courte incantation, effectue des passes avec les mains, en prononce une deuxième : une petite flamme apparaît entre ses paumes.il se sent investit d'une grande énergie. Il se remet en mouvement et il marche sur la surface de l'eau du lac. Arrivé au milieu de l'étendue d'eau, il s'assoit en position du lotus, toujours flottant à la surface. La nuit passe ainsi. À l'aube, un soldat haïmar va réveiller Osmir, un serviteur, pour qu'il aille chercher de l'eau lac. Celui-ci y va et commence à remplir sa jarre : il finit par remarquer la silhouette du Kévark au milieu du lac. Il va avertir les soldats haïmars. le soldat qui l'a réveillé se moque de sa frayeur, mais Osmir se montre insistant et les convainc quand il dit qu'il s'agit d'un Kevark. Un groupe d'une demi-douzaine de soldats va voir par eux-mêmes : c'est bien un Kevark, même si leur peuple a été exterminé. L'un d'eux rappelle que c'est un peuple d'illusionnistes et de menteurs. Dans une zone boisée non loin de là dans la même région, un centaure scorne suit la trace de son gibier, un roufle, aidé par Hardelin, son traqueur. Ce dernier se met à gesticuler en s'exclamant dans sa langue. le Scorne n'a pas tout compris, mais il a saisi le sens général : la proie est toute proche. Ils arrivent donc à l'issue de cette traque. Des préparatifs doivent être faits. le Scorne indique à Hardelin qu'il peut ranger sa lame. Il en faut une autre pour la mise à mort. Il lui recommande de bien prendre soin de ne pas sortir Aalbex de son étui. Les conditions ne sont pas réunies. Le lecteur regarde la couverture avec sa partie basse, l'eau, et sa partie haute, les pentes d'une montagne et la rive, et le personnage en plein rite qui fait le lien entre les deux. Il se lance dans sa lecture : quinze pages sans texte à suivre un individu progresser dans la montagne, jusqu'à s'assoir en tailleur sur l'eau d'un lac. La narration visuelle se fait par des dessins en noir & blanc, avec un trait fin et sec, parfois un peu plus épais et gras, des aplats de noir assez réduits de forme irrégulière. Une passe magique avec une incantation dans une langue inconnue, un simple glyphe, puis un second, la manifestation d'une énergie qui emplit l'individu. Une coiffure étrange, comme des tatouages sur le bas du visage. En page vingt-deux, le fil narratif quitte ce personnage et les soldats du campement avoisinant, pour prendre en cours de route la traque d'un animal sauvage, un roufle, par un centaure et un humanoïde à grosses moustaches, mais au visage caché par une capuche. le trait est toujours aussi fin et bien dosé pour évoquer l'herbe de la forêt, les troncs d'arbre et leur texture, les rochers et leurs aspérités, le déplacement mi-homme mi-bête de Hardelin, la majesté un peu lourde du centaure, et la forme très exotique de son arme blanche. Mais que se passe-t-il ? le narrateur sait très bien ce qu'il fait, il dose à la perfection les ingrédients de son récit, la manière dont il les égraine. le cerveau du lecteur effectue le travail de manière automatique et inconsciente. Un homme à l'allure étrange, aux habits moyenâgeux : une forme ou une autre du genre Fantasy. Des soldats, une guerre ou plutôt une conquête. Un centaure : des créatures fantastiques, avec des us et des coutumes barbares ou primordiaux. Le lecteur ne s'est rendu compte de rien : pourtant il est déjà en train de supputer, d'établir des liens de cause à effet, d'échafauder des schémas de fonctionnement, de s'interroger sur les motivations des uns et des autres, de projeter du sens sur la base des éléments épars dont il dispose. Il s'est pris au jeu, sans bien s'en rendre compte. Il regarde le Kévark (c'est le nom de son peuple, mais il n'est jamais mentionné son nom à lui) avancer dans la montagne et se prendre ce souffle de vent en pleine face, un instant comme il peut s'en produire en montagne. Il voit le Scorne tout à sa traque, une activité d'une grande importance dans sa culture, une traque qui participe à définir le personnage, sans qu'il n'en mesure bien toutes les ramifications. À partir de la page trente-deux, la situation est posée : un face-à-face entre ce Kévark immobile assis au beau milieu du lac, et le commandant de l'armée haïvar. La suite s'apparente donc à un face-à-face en deux parties, une nuit s'écoulant entre les deux, le commandant essayant d'établir le contact avec l'un des derniers représentants du peuple Kévark, d'abord avec un interprète, puis directement, et cet individu, peut-être un mage, seul face à une armée de la nation qui a anéanti son peuple. D'un point de vue narratif, cela constitue une gageure maintenir un suspense dans une longue discussion statique. L'auteur s'en sort très bien, car plusieurs questions posées par le Kévark appellent une réponse développant des faits passés, ce qui donne lieu à leur représentation : des femmes esclaves, la mythologie du peuple Kévark, les conquêtes successives des Haïmars, leur formidable armée, jusqu'à une bataille entre ces deux peuples donnant lieu à une superbe illustration en double page, soixante-dix et soixante-et-onze. En fonction des séquences, l'artiste peut aussi bien réaliser une narration séquentielle traditionnelle à base d'actions découpées dans des bandes de cases, que glisser vers un registre plus illustratif, pouvant évoque Hal Foster et Prince Vaillant. Alors même qu'il sent bien l'immobilité de la confrontation de ces échanges verbaux, le lecteur ne s'ennuie pas visuellement. le commandant a clairement expliqué à ses hommes la nature du lac : il est magique car pour les Kévarks c'est le lac originel, celui dont ils sont sortis à l'aube des temps. Puis la discussion s'engage entre le commandant et le Kévark, par l'entremise du traducteur, un érudit tavoule. le Kévark semble bien calme. La confrontation s'engage entre l'envahisseur, le commandant à la tête de sa puissante armée, et le faible individu. le commandant explicite clairement ce qu'il en est : les forts écrasent les faibles, et les autres doivent prendre parti. le rapport ne force ne laisse pas place au doute. Comme le Kévark au milieu du lac semble inoffensif, mais aussi inaccessible, le Haïmar accepte d'engager la conversation ; de toute façon, l'autre n'a aucune chance d'y réchapper. le fort donne donc sa version des faits, sa version de la conquête, sa version de la consolidation de la position de pouvoir de son peuple, la nécessité de faire plier les autres, de grossir. L'homme au milieu du lac pose des questions qui mettent en lumière les incohérences de cette version, le fait que ces démonstrations de force cachent une faiblesse, une inquiétude tout du moins. Il bénéficie en plus d'un témoin, le Scorne, un individu capable de réfléchir par lui-même, un allié de circonstance des Haïmars, mais qui ne leur est pas inféodé. le lecteur continue d'essayer d'anticiper les révélations, de détecter une conséquence implicite, une implication que l'un ou l'autre essaye de faire dire explicitement à son interlocuteur. Qu'est-il en train de se jouer ? Quel est l'enjeu ? Que peu un homme seul face à une armée ? Que prépare-t-il ? de temps à autre, une remarque en passant vient donner un autre sens à un fait évoqué précédemment. En fonction de ses lectures passées, le lecteur peut estimer qu'il y a peu de chances qu'un récit de Fantasy de plus puisse receler beaucoup de surprises. Pour autant, il se laisse vite prendre à la narration visuelle, solide et délicate, claire et minutieuse. Il note les noms exotiques, les petits décalages anatomiques, la présence d'un centaure, des armes blanches. Il se rend compte que l'auteur a su capturer son attention, et que sa narration engendre une envie d'anticiper, de faire des déductions pour comprendre. Il se retrouve à jauger les deux camps lors de cette conversation où à l'évidence l'un comme l'autre cherchent à faire admettre sa vérité à son ennemi. Il se fait cueillir par la résolution de ce conflit, implacable, sans être prévisible. Un récit sans concession, en forme de jeu de pouvoir et d'intimidation, sur la détermination des forts, et celles des faibles.
Bienvenue à Hoxford
Immonde - Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2008. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Les six premières pages servent à présenter le personnage principal : Raymond Delgado. Cet homme d'une trentaine d'années est une force de la nature, il a le crâne rasé et il porte des lunettes. Dans son enfance, il a été victime d'abus sexuels de la part de son père et de son oncle. Il a été le souffre-douleur des enfants de son âge. Il a été traumatisé (à nouveau) par son expérience de soldat pendant la guerre. Il est interné dans une prison de très haute sécurité, condamné pour avoir tué 21 personnes (au moins). Aujourd'hui il est transféré dans une prison appelée Hoxford, avec un groupe d'autres détenus aussi monstrueux dont Morton (violeur d'enfants multirécidiviste), Burly Bill (violeur et meurtrier multirécidiviste) et Skinny (meurtrier et nécrophile). Les conditions d'incarcération à Hoxford sont sévères, ce qui n'empêche pas quelques dérapages sous les douches, ou dans les parties communes. le docteur Jessica Ainley qui suivait le traitement psychiatrique de Delgado se rend à Hoxford pour contrôler ses conditions de détention. Elle découvre que l'administration de la prison ne délivre pas les médicaments aux prisonniers. Mais elle va bientôt en savoir plus car sa visite tombe le jour où les responsables de Hoxford célèbrent un rituel séculaire. Dans l'introduction, Ben Templesmith explique qu'il avait toujours méprisé les loups garous dans le bestiaire des monstres horrifiques car il estime qu'ils font trop dessins animés, et pas assez peur. Or lui ce qu'il aime, c'est l'horreur qui fout la trouille, qui est contre nature, qui est perverse, malsaine, et primale. Il est le co-créateur avec Steve Niles de la série 30 jours de nuit. C'est également un illustrateur très particulier qui est connu pour avoir dessiné Fell de Warren Ellis. Ce tome commence comme un film de série Z qui se prend au sérieux en listant tous les sévices qu'a subis Delgado et en le décrivant comme une grosse brute énigmatique, victime de délires hallucinatoires. Il est dangereux, il a tué à plusieurs reprises et il est enfermé avec d'autres ayant commis des actes tellement barbares que la société souhaite les oublier, faute de pouvoir les exécuter du fait de l'absence de peine de mort. Ces individus aiment surtout parler de leurs crimes immondes et promettre qu'ils s'entretueront à la première occasion, avec sévices sexuels à la clef. Les dialogues sont malsains et il est visible que Templesmith raconte son récit au premier degré, sans aucune ironie. Arrivé à Hoxford, Templesmith introduit le responsable de l'établissement qui semble sadique à souhait, et le docteur Ainley qui semble destinée à être la frêle jeune femme qui jouera le rôle de l'otage. Mais petit à petit, les éléments graphiques attirent l'attention du lecteur sur des détails qui renforcent le premier degré d'une manière sinistre qui force son implication. Il est assez difficile de décrire le style de Templesmith. L'histoire commence avec une pleine page de la tête du père de Raymond Delgado s'apprêtant à le maltraiter alors qu'il est encore enfant. L'image est baignée dans une teinte jaune orangé évoquant la lumière crue d'une ampoule non protégée, mais qui n'arrive pas à dissiper la noirceur du monde. Son père est fort et gras, il a un visage asymétrique avec des yeux de taille différente, un gros pif, une grimace qui lui découvre 24 dents (anatomiquement impossible) et il est vêtu d'un marcel qu'on suppose crade. Il n'y a aucune information visuelle sur le lieu. En fait la scène suivante avec les persécuteurs de l'école baigne dans la même lumière, toujours sans décors, et il en va de même pour la scène sur le champ de bataille. Il faut presque attendre le voyage en bus pour commencer à voir apparaître les bancs improbables et les chaines qui assurent l'immobilité des prisonniers. Par contre quand Jessica Ainley se tient à l'extérieur de Hoxford, Templesmith utilise l'infographie pour insérer une photographie retouchée d'un bâtiment en fond de case. Il sur-imprime parfois des trames aux dessins pour leur donner une texture. La prédominance des couleurs sombres et des contours de formes délavées demandent une forte attention du lecteur qui s'implique dans l'observation des cases. le rendu des personnages oscille entre la caricature avec un langage corporel exagéré et des formes parfois proches de l'esquisse rapide. Parfois Templesmith choisit de privilégier l'impact visuel au détriment de tout réalisme en tirant ses représentations vers le symbolisme ou l'abstraction. Il ne représente plus vraiment la réalité de l'action, mais plus l'idée sous-jacente, l'impression, les sensations. Ben Templesmith ne s'embarrasse pas de réalisme et il joue avec son lecteur en le contraignant à vraiment regarder ses illustrations par des teintes très sombres et des contours difficiles à distinguer. du coup, quand il focalise une case sur une action ou une anatomie détaillée, l'implication du lecteur est plus importante et les détails s'incrustent dans sa rétine. le lecteur perçoit l'intensité de Raymond Delgado, et sa distance par rapport à ce que tout le monde s'accorde à être la réalité. L'apparence singulière des monstres devient immonde grâce à la forme abjecte de leur dentition, leur salive, etc. Bien sûr ces éléments ne sont pas nouveaux, mais la représentation de Templesmith leur rend toute leur horreur, leur impossibilité, leur inhumanité. le lecteur est sorti de sa zone de confort pour découvrir des individus abjects confrontés à des créatures monstrueuses. le style graphique sophistiqué et intellectualisé de Templesmith empoigne le lecteur et le plonge dans les sensations, dans le ressenti pour mieux le choquer et l'atteindre. Par exemple, Delgado mord un prisonnier après la douche. La case en question baigne dans un camaïeu de vert légèrement cafardeux qui recouvre indifféremment le fond indistinct et les personnages. Il y a un gros effet sonore "CHOMP", presque comique, le buste du prisonnier vu de devant et la tête de Delgado derrière dont les dents se fiche dans le cou du prisonnier. À part l'effet sanguinolent et l'impact de la prise de Delgado pour maintenir sa victime, le dessin reste assez retenu (pas de jet d'hémoglobine, pas de morceau déchiqueté dans la bouche, pas de détails chirurgicaux). du coup, le lecteur scrute la case suivante pour se rendre compte des dégâts. Or l'illustration n'est pas plus précise, le plan n'est pas plus rapproché, il faut donc bien regarder pour voir le morceau qui manque, et le lecteur se retrouve pris en flagrant délit de voyeurisme nauséabond. Cette histoire met en scène des criminels immondes confrontés à des créatures inhumaines, pour un massacre gore et sanglant. le savoir faire de Ben Templesmith, son talent de conteur, permet de rendre viscérale cette histoire classique.
Koko n'aime pas le capitalisme & autres histoires
Je suis tout à fait le cœur de cible de ce genre d’album, et c’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai parcouru. Troisième album de cette maison d’édition que je lis, et il confirme leur politique éditoriale très originale, et leurs partis pris (comiques, idéologiques) qui tous me siéent. Ici pas de vieilles bandes américaines libres de droits et détournées, mais une accumulation de strips qui tous jouent sur un humour assez corrosif : humour con et/ou noir parfois, humour absurde toujours (quelques accointances parfois avec le travail de Reuzé ou Fabcaro – un clin d’œil/hommage à Zaï Zaï Zaï Zaï occupe même la page 20 !). Tienstiens nous livre une vision atroce et décalée de notre société. Car, au travers d’un humour que j’ai trouvé très efficace (quelques éclats de rire et de très nombreux sourires), tienstiens dézingue, en s’en donnant à cœur-joie, quelques têtes de gondole politiques ou médiatiques (Macron ; Christian Clavier, etc.) et surtout, à coup de parodies du Surfeur d’argent, ou de brainstormings de cabinets de communicants, il s’attaque à la doxa ultralibérale : on aperçoit même au cours d’un strip l’– excellent – économiste Frédéric Lordon. Quant à Koko, le gorille qui a du mal avec le capitalisme, c’est un vrai champion de la contreculture qui a du mal à assimiler une leçon d'ultralibéralisme ! Excellent et très drôle, j’en redemande ! Tellement d’ailleurs qu’alors que je l’avais emprunté, je l’ai acheté aujourd’hui lors d’une virée à Paris.
Le Juif arabe
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe. C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs). Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement. Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !
Les Esclaves oubliés de Tromelin
J'ai vraiment beaucoup aimé cette série de Sylvain Savoia. Plus je découvre le travail de cet auteur et plus j'ai de l'admiration pour ses créations. L'ouvrage s'articule autour de deux récits qui se renvoient l'un l'autre à une image de la responsabilité de l'humanité sur son présent. Une partie documentaire où Savoia intervient de façon humble et précieuse. Il y a de l'humilité devant les éléments d'une nature hostile et résiliente à la présence de l'homme. Toutefois cette présence est précieuse au devoir de mémoire d'une aventure humaine à la fois tragique et grandiose. C'est tragique car cela renvoie à une des périodes les plus sombres de l'histoire de notre pays. Mais c'est grandiose de voir comment un groupe d'hommes et de femmes a pu trouver les ressources pour s'organiser et survivre des années sur cette minuscule île volcanique et sableuse. La construction est compliquée car il s'agit de passer du récit de fiction très émotionnel à un récit documentaire scientifique bien plus raisonnable et froid. Le risque de déséquilibrer les deux parties était réel. C'est tout l'art de Savoia d'introduire une part de poésie où réflexions personnelles dans la partie contemporaine. J'ai souvent été séduit par les analyses de l'auteur sur son action et sur ses positions tout au long des découvertes effectuées. Ses pensées font ainsi un pont avec justesse vers l'autre partie du récit qui met en valeur les grandes qualités humaines du groupe Malgache avec la jeune Tsimiavo en tête de proue. L'auteur ne propose pas un récit moralisateur car la dénonciation de l'esclavagisme se fait d'elle-même : d'un côté un capitaine cupide et incompétent de l'autre un groupe qui montre toutes ses qualités avec des hommes et des femmes abandonnées mais libres de faire valoir leur résistance et leur résilience face à l'adversité. Au milieu, un groupe illustré par le lieutenant Castellan qui accepte l'ignominie de son époque comme un fait économique établi tout en gardant une lueur de conscience d'humanisme au fond de lui-même. J'ai trouvé le final très émouvant et plein d'espoir dans un sursaut d'humanité. Graphiquement Savoia travaille sur deux styles qui permettent de différencier les deux récits. La partie doc utilise un trait précis avec des personnages souvent en bustes ou figés dans leurs actions de recherches. La part est belle pour les détails des équipements, de la faune ou de l'océan. Le texte est très présent et souvent d'excellente qualité. La partie fiction revient à un dessin plus rond avec des séquences narratives plus visuelles et longues aux plans plus larges. La voix off devient rare et seuls les dialogues plus intimes nous font rentrer dans le quotidien possible des survivants avec beaucoup d'émotion. La mise en couleur est de toute beauté sachant traduire avec bonheur une lumière qui rend ces paysages hostiles mais sublimes. Une excellente lecture pour découvrir et faire partager un devoir de mémoire.
La Ligue des économistes extraordinaires
On peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. - Cet ouvrage paru en 2014 apparaît classé dans les bandes dessinées : en fait il s'agit de textes, chacun consacrés à un capitaliste différent, accompagnés d'un ou deux gags en bande dessinée, avec une répartition d'environ 80% texte, 20?. Il a été réalisé par Benoist Simmat, journaliste économique et essayiste, et par Vincent Caut bédéiste. Ils passent en revue trente-sept économistes remarquables, répartis en trois grands chapitres : les classiques (XIXe siècle avec treize économistes), les révolutionnaires (XXe siècle, avec onze économistes), les contemporains (XXIe siècle, avec treize économistes). Chaque chapitre s'ouvre avec une introduction : les impairs de nos pères pour le XIXe siècle, le temps des dynamiteurs pour le XXe, Vive la crise ! pour le XXIe. L'ouvrage débute avec une préface de deux pages, écrite par Jean-Marc Daniel (spécialiste de la politique économique et professeur), une introduction de quatre pages : la science économique est née ce jour-là… Il se termine avec une conclusion de deux pages, un glossaire de cinq pages, un index d'une page, et une page de références et de remerciements. Ces deux auteurs ont ensuite réalisé un ouvrage consacré à La ligue des capitalistes extraordinaires (2015). Introduction. En l'an de grâce 1764, au cours d'un dimanche de fin d'été, deux gentlemen eurent une longue et passionnante conversation au premier étage d'une auberge de Compiègne. L'un, Adam Smith, était un Écossais, célèbre en Angleterre pour son œuvre de philosophe où tout le monde connaissait son faciès disgracieux reproduit sur les gazettes du pays. L'autre, François Quesnay, un Français très connu lui aussi, mais dans la France de Louis XIV, était un physicien courtisé qui exerçait la fonction très symbolique de barbier du roi, c'est-à-dire médecin personnel de sa Majesté. Ils parlent économie. Adam Smith (1723-1790) : le saint patron de la productivité. Sa Main Invisible est devenue la parabole de tous les capitalistes du monde. Adam Smith porte un prénom rêvé pour être le premier des économistes extraordinaires. Ce natif de la petite ville de Kirkcaldy (nord-est de l'Écosse), qui souffrait d'une maladie nerveuse lui faisant sans cesse opiner du menton, sera toute sa vie un professeur totalement farfelu, à la distraction légendaire. Malgré, cela, quelques années avant la Révolution française, l'Europe entière accourait à Glasgow pour écouter les leçons magistrales de ce professeur de morale – discipline universitaire des temps anciens, mélange de théologie, de philosophie et d'économie politique. Voltaire ou Hume commentaient son œuvre ; Benjamin Franklin en personne lui avait rendu visite. Un jour, un premier ministre de sa majesté s'était même levé alors qu'il entrait dans une pièce. Smith est l'homme d'un ouvrage célébrissime, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, grande fresque théorique sur l'émergence de la société marchande. Pourtant rien, mais alors vraiment rien ne destinait le jeune Adam à devenir cette figure légendaire dont les traders analphabètes actuels s'offrent encore le maître livre (pour caler leur armoire ?). Cet ouvrage brosse donc le portrait de trente-sept économistes d'Adam Smith à Thomas Picketty. Chaque entrée est structurée de la même manière. D'abord le nom de l'économiste, ses dates de naissance et de mort (s'il est décédé), une formule pour le qualifier, une courte phrase pour synthétiser son apport. Un exemple : Karl Marx (1818-1883), le pervers narcissique de la plus-value. Son pavé de 2.500 pages a mis la moitié du monde à la corvée de patates. Puis le chapitre qui lui est consacré se compose de trois parties intitulées : Vis sa vie, Thèse antithèse foutaise, Pourquoi il s'est planté, merci ! En fonction de l'importance de l'économiste, de sa renommée ou de ce qu'il a laissé dans l'histoire de cette discipline, l'entrée peut compter de deux à six pages. Elle comprend un ou deux gags sous forme de bande dessinée. Les entrées les plus longues peuvent comprendre également un cas pratique (toujours pour Marx : le marxisme appliqué à la crise de 2008) et une anecdote qui tue (les péripéties de l'édition du Capital de 1867 pour le livre I, à 1910 pour le livre IV, et même une adaptation en manga par la suite). Chaque entrée se termine avec la référence de l'ouvrage de l'économiste, passé à la postérité. Comme les titres en exemple ci-dessus l'indiquent, la tonalité de la rédaction comporte une fibre moqueuse ou insolente. Les bandes dessinées s'inscrivent également dans un registre comique, faisant la part belle à la dérision, à partir d'une anecdote ou d'un trait de caractère réel ou supposé, ces économistes pouvant se montrer mesquins, capricieux, infantiles, colériques, ou bien sûr près de leurs sous. Ces gags font office de respiration illustrée plaisante et bienvenue, sans avoir la prétention d'être révélatrices ou pénétrantes. Une entreprise particulièrement ambitieuse que de vouloir faire connaître l'histoire de cette discipline, l'économie, au travers de textes synthétiques et vivant, présentant la vie, la thèse principale et ses limites d'un économiste remarquable. Dans la conclusion, l'auteur présente les questions auxquelles il a voulu répondre, ou plutôt la problématique qui s'est imposée à lui. L'économie est-elle une science ou un débat ? Est-ce une discipline promouvant une méthode réfutable pour faire avancer la connaissance ? Ou une confrontation entre outils et potions devant entrer dans la composition des politiques économiques et sociales ? Il conclut par le fait qu'il s'agit d'une discipline encore jeune, qui n'a pas atteint l'âge de maturité et que bien souvent elle ne sait fournir que des explications a posteriori, bien loin de pouvoir produire des théories sur la base d'expériences reproductibles, qui serait capables de prévoir quoi que ce soit. le lecteur en ressort avec cette impression que la balance penche fortement du côté Débat, surtout par le fait que la dernière partie de chaque entrée s'intitule Pourquoi il s'est planté, merci ! L'auteur a mis le nom des trois économistes les plus célèbres en couverture : Adam Smith et sa Main Invisible, Karl Marx et son Capital, John Maynard Keynes et l‘absence de mécanisme menant au plein emploi. Pas sûr que le lecteur en connaisse beaucoup d'autres, et c'est d'ailleurs un ouvrage qui s'adresse plutôt aux novices ou débutants en la matière, un ouvrage de vulgarisation. Pour autant chaque entrée est dense et la matière en elle-même induit un bon niveau de conceptualisation. de fait, le lecteur se rend vite compte qu'il apprécie les respirations apportées par les bandes dessinées, même leur humour qui repose sur des mécanismes basiques. Il apprécie également l'impertinence des textes, apportant là aussi une forme de dédramatisation bienvenue, et souvent très savoureuse. Par exemple, dans le glossaire, la définition de la Main Invisible, concept formulé par Adam Smith : magie intrinsèque au marché où la confrontation des égoïsmes et la recherche frénétique des intérêts particuliers aboutit à la satisfaction générale. Pour autant, de temps à autre, le lecteur revient sur un économiste précédent ou sur un paragraphe pour se remettre en tête l'exacte formulation de l'auteur, et en réévaluer le sens au vu de ce qu'il a lu par la suite. Les trois parties consacrées à chaque économiste prennent tout leur sens : la partie biographique pour comprendre le contexte historique dans lequel il a développé ses concepts, la partie théorique très synthétique sur son apport à la discipline, et la mise en perspective au regard de l'évolution de l'économie dans les décennies qui ont suivi. À chaque fois, l'auteur trouve facilement à redire, c'est-à-dire des événements, des évolutions des comportements qui ont contredit la théorie de l'économiste. Pour autant, chaque entrée se révèle intéressante et instructive. Au fil des trente-sept présentations, le lecteur retrouve ou découvre de grandes notions d'économie, depuis la Main Invisible jusqu'au constat que la machine capitaliste fabrique des inégalités (Thomas Pikkety), en passant par les projections d'accroissement de la population (Thomas R. Maltus), la rente foncière (David Ricardo), l'utilité marginale (Léon Walras), l'optimum de Pareto (la loi des 80/20 de Vilfredo Pareto), le processus de destruction créatrice (Joseph Schumpeter), le développement de la bureaucratie au détriment du profit (John K. Galbraith), la théorie du capital humain (Gary Stanley Becker), les inégalités en termes d'information (Joseph Stiglitz), l'indice de développement humain (IDH, Amartya Sen), la place et le rôle des oligopoles (Jean Tirole), etc. Par exemple, il peut savourer la théorie du capital humain. le beckerisme, ou théorie du capital humain, est universellement discuté car son postulat repose sur une évidence rarement étudiée par ces fainéants d'économistes : on peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. Avec cet éclairage, il comprend mieux certaines visées du développement personnel en provenance des États-Unis, en particulier sur la façon d'envisager ses amitiés, à l'aune de ce qu'elles apportent, pour ne pas dire du potentiel de ce qu'elles peuvent rapporter. Les auteurs attirent le lecteur potentiel avec un titre référentiel (La ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill), des bandes dessinées humoristiques. L'ouvrage commence tranquillement avec une préface, une introduction, et passe au premier de tous : Adam Smith. La forme retenue fait sens très rapidement, à la fois les notes d'humour pour aérer un propos concis et dense sur une discipline conceptuelle, la volonté de donner un minimum de personnalité à chaque économiste, le propos à la tonalité parfois railleuse, mais toujours compensé par un exposé synthétique et clair de l'apport de l'économiste considéré à la compréhension de mécanismes complexes, sa filiation dans l'histoire de la discipline, et les limites d'application de sa théorie. Un ouvrage très instructif et très édifiant, enrichissant la culture personnelle sur un sujet qui entretient des relations avec la politique, la sociologie, la philosophie, et qui parle franchement.
One-Punch Man
One Punch Man est le meilleur manga parodique, et l'un des meilleurs mangas qui soit. Voilà. Les dessins sont absolument sublimes et dépassent en dynamisme et en qualité les shonens les plus vendus au monde. Le scénario, bien que volontairement complètement débile, réussit l'exploit de tenir le lecteur en haleine sur une série où le héros démarre au summum de sa puissance. Les références aux plus gros Shonens sont multiples, les vannes s'enchaînent et les combats les plus épiques sont tournés en dérision avec une maîtrise impressionnante. Bien sûr, il est recommandé d'avoir à la fois mangé du Shonen et être doté d'un solide second degré pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.