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Couverture de la série Peau de Mille Bêtes
Peau de Mille Bêtes

Je ne connais pas l'histoire du conte originel (si ce n'est que je connais Peau d'Âne, sa réinterprétation postérieure) donc je ne pourrais pas juger cet album sous l'angle de l'adaptation. En revanche, en tant que lecture indépendante, l'album m'a bluffé. Tout d'abord, ce qui frappe, c'est le dessin de Stéphane Fert. J'aime énormément son style jouant sur les teintes de bleus et de roses contrastés par du noir. Sa façon d'illustrer les personnages, les décors, les actions, n'est pas réaliste mais poétique. C'est sans doute bête comme façon de le dire, mais je n'ai pas d'autre mot : c'est poétique. De la poésie en dessin. Les récits qu'il scénarise tiennent bien souvent du conte (voir La Marche Brume par exemple) et son dessin joue vraiment sur l'aspect magique de ces histoires. Ici, c'est un conte donc. Un conte avec une princesse, un prince, un méchant roi, une sorcière/fée, des enchantements, des promesses, une histoire d'amour et des situations compliquées dont nos protagonistes devront s'extirper par la ruse. Pas de doute, pour tout-e amateur-ice de conte, on est en terrain connu. Et moi, bah je suis plus qu'amatrice de conte, j'adore ça. Donc quand ils sont aussi bien racontés (et aussi bien illustrés) qu'ici, je ne peux qu'avoir un coup de cœur. Le texte est beau. Il se permet de nombreux passages en rimes, mais même lorsqu'il s'agit de prose les dialogues gardent une sorte de rythme assez joli à entendre. En tant qu'amatrice de théâtre, je suis comblée. Il y a plusieurs propos qui se dégagent de cette histoire : on nous parle de désir (global comme le désir de liberté ou plus terre à terre comme celui de la chair), d'inceste, de traumas et surtout (surtout !) d'amour. D'amour romantique, oui, mais encore plus d'amour de la lecture. L'importance de la lecture est un point central de ce récit. Qu'elle soit pour s'instruire, voyager, rêver ou tout simplement se permettre de faire fi de ce qui a été précédemment écrit (il n'y a qu'à voir les quelques propos métaxtuels de certains personnages ou l'une des scènes finales). Le conte d'origine est ici modernisé. Même sans connaître le conte d'origine, on le sait, notamment grâce aux remarques métatextuelles précédemment citées, mais aussi par cette volonté qui se dégage de vouloir sincèrement s'intéresser aux traumas, émois et désirs de son personnage féminin principal. Encore une fois, je ne connais pas le conte d'origine, mais je ne pense pas prendre de gros risque en pensant qu'un conte allemand du XIXème siècle ne devait pas être vraiment très féministe. Je ne développerais pas trop sur l'intrigue car, bien que simple, sa découverte joue un peu sur son charme. Comme tout conte, la première écoute/lecture influe sur notre imaginaire. Bon, qu'on se rassure quand-même, j'ai déjà lu l'album plusieurs fois et il ne perd pas de ses qualités avec les lectures. L'album n'est sans doute pas parfait (mais après tout quelle œuvre l'est vraiment ?). Pour moi, en tout cas, il mérite un statut de culte.

20/11/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Cerveaux augmentés (Humanité diminuée ?)
Cerveaux augmentés (Humanité diminuée ?)

Le cerveau ne voit pas, n'entend pas ne parle pas, ni ne pense. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, plutôt une réflexion sur le sujet. Sa publication originale date de 2023. Il a été réalisé conjointement par Miguel Benasayag pour le livre original Cerveau augmenté, homme diminué (2016) et pour la discussion, avec Thierry Murat bédéiste qui en a réalisé cette adaptation, ou plutôt cette lecture commentée. Il s'agit d'un ouvrage en noir & blanc avec une teinte marron. Il comprend cent-quatre-vingt-deux pages de bande dessinée. Un courriel du 21 juillet 2021 à 15h32 : Thierry indique à Miguel qu'il est en possession de son adresse mail. Les éditions Delcourt via les éditions La Découverte la lui ont gentiment communiquée, à la demande du philosophe. Il le remercie pour cette délicate attention, et lui propose de se parler un peu au téléphone, un de ces jours d'été afin de faire connaissance. Miguel lui répond un peu plus tard : il est très content de la proposition et indique qu'ils peuvent aussi se parler par Skype, un de ces prochains jours. Cela désole le bédéiste car il déteste Skype, il déteste tous ces moyens de communication où l'on est obligé de regarder bouger virtuellement les lèvres de son interlocuteur. Ça le stresse et il déteste le stress. Malgré tout il lui répond que ça lui va, et que l'application est installée sur la tablette de sa fille dont il lui communique l'adresse. S'en suivent quelques échanges. Thierry se souvient que chez Paul Auster, dans Cité de verre, c'est un faux numéro de téléphone qui déclenche tout. Là, c'est une véritable lettre qui est à l'origine de cette bande dessinée, celle que Thierry a adressée au philosophe pour adapter son livre. Après des échanges téléphoniques, l'artiste met son projet en suspens quelques semaines car il est invité par l'alliance française en Colombie. Dans l'avion, n'arrivant pas à choisir dans la multitude de films à regarder, il repense au dilemme de l'âne idiot de Buridan. Finalement il s'endort. Rêver que l'on est en train de dormir, ou rêver que l'on est en train de rêver, est un état de conscience tout aussi vertigineux que l'étude de l'objet par l'objet lui-même. Depuis la nuit des temps, le cerveau humain observe, connaît, étudie, s'explique des choses, comprend… Mais à partir du XXIe siècle, grâce aux récentes avancées en imagerie médicale, en biochimie, en neurosciences, le cerveau humain en est arrivé au stade où il est devenu… son propre sujet d'étude. Cette auto-rencontre est une rupture anthropologique sans précédent, certainement la quatrième blessure narcissique de l'humanité. Les trois premières blessures narcissiques, infligées par la science à l'homme dans l'histoire de l'Occident, on le sait, furent douloureuses et le sont peut-être encore. La première déclenchée par Copernic et Galilée : non seulement la Terre n'est pas au centre de l'univers, sous le regard de plein d'amour paternel de Dieu, mais elle n'est qu'un simple caillou parmi tant d'autres, perdu dans l'infini intersidéral. La deuxième, causée par Darwin… Au cours de la bande dessinée, le bédéiste indique que les éditeurs qualifient ce genre d'ouvrage d'Essai graphique, terme repris dans le texte de la quatrième de couverture. S'il lui prend l'envie de feuilleter l'ouvrage pour s'en faire une première idée, le lecteur découvre des illustrations disposées en case, à raison en moyenne de trois par page, avec des cartouches de texte plus ou moins copieux, une forme de bande dessinée, mais pas de narration séquentielle. S'il n'est pas a priori attiré par le sujet ou par l'auteur, il est possible qu'il en reste là, craignant une lecture fastidieuse, et peut-être intellectuelle dans le mauvais sens du terme. Sinon, il franchit le pas en pleine connaissance de cause, et il éprouve la surprise de d'une lecture agréable, même s'il ne s'agit pas effectivement d'une narration traditionnelle en bande dessinée. Le bédéiste aborde explicitement cette question au cours de l'ouvrage en disant : On s'imagine souvent que la bande dessinée doit formellement et absolument mettre en scène des bonshommes à gros nez, bavardant frénétiquement à grands coups de phylactère ovoïde… Il continue : Certains lecteurs auront alors été un peu déstabilisés à la lecture des premières pages du présent ouvrage, où il s'essaie librement à ce genre nouveau que les éditeurs, les libraires et les journalistes de la modernité ont baptisé : l'essai graphique. Il s'agit surtout, là aussi, de créer un monde pour inventer une forme narrative. Ne pas prendre le lecteur pour un âne. Ne pas se contenter de penser que l'on a trouvé ce qu'on cherche en illustrant un catéchisme savant… Ne pas se faire croire que le lecteur doit systématiquement être en position confortable. Chercher. Essayer… Oser surestimer ce qui se passe entre les cases, et y explorer cette temporalité alternative de la lecture que permet le médium Bande dessinée. Les idées visuelles enfermées dans des cases ne sont rien avant de prendre corps entre les mains du lecteur. Libre à lui d'en faire des points d'exclamation, d'interrogation, ou de suspension. Seconde originalité dans cet ouvrage, Thierry Murat fait plus que simplement mettre en image le livre du philosophe franco-argentin : il en reprend la structure, les thèmes, la logique, et il évoque son dialogue avec l'auteur sur différents passages, sur certains questionnements, évoquant également la résonnance avec son quotidien ou ses propres choix. Ce parti pris constitue effectivement un prolongement de l'ouvrage initial, et le lecteur peut faire l'expérience de la rencontre entre ces deux auteurs, de leurs idées communes, exprimées chacun à leur manière. Ce principe est affiché dès les première pages dans lesquelles le bédéiste alterne des images de circuits imprimés schématisés, avec les paysages des Landes en mode semi-nocturne, alors qu'il conduit sa voiture, opposant ainsi le minéral du silicone au paysage ouvert des silhouettes d'arbres et des oiseaux dans le ciel. Dans le même temps, il évoque le processus laborieux de prise de contact directe avec le philosophe, et sa réticence à utiliser un logiciel de visioconférence. Les auteurs mettent en scène l'opposition entre l'artificialité du monde numérique et le vivant organique du réel. Enfin une première conversation téléphonique peut avoir lieu, puis Murat doit différer la réalisation de ce projet du fait de son départ pour la Colombie. Puis le dessinateur évoque le paradoxe de l'âne de Buridan (Jean Buridan, 1292-1363, philosophe français) : cette question philosophique est reprise par la suite sous un angle de logique, en évoquant Deep Blue, développé par IBM au début des années 1990, le logiciel qui a battu Gary Kasparov aux échecs en 1997. Le lecteur se prend rapidement au jeu de la lecture : les échanges entre les deux auteurs qui reprennent le processus de création de l'adaptation et de la bande dessinée, induisant à la fois une forme légère de mise en abîme, une lecture personnelle de l’œuvre, une invitation à la prise de recul de la part du lecteur. Le titre annonce clairement le positionnement des auteurs sur le sujet : le point d'interrogation étant quasiment superflu. En effet, Murat annonce qu'il a abandonné l'usage de tous les réseaux sociaux, Benasayag insistant dès le début sur la comparaison erronée entre le fonctionnement d'une intelligence artificielle et celle du cerveau. Le titre de ses ouvrages parle d'eux-mêmes : La singularité du vivant (2017), Fonctionner ou exister (2018), La tyrannie des algorithmes (2019). Conscient du parti pris des auteurs, le lecteur relève plus facilement que tous les arguments contre le monde du numérique sont à charge. Il se rend compte des omissions sciemment effectuées ou de l'absence de mention des apports du numérique au sens large dans la vie quotidienne, ce qui ne diminue en rien le point de vue des auteurs. Dans cette forme unique, ils évoquent aussi bien les spécificités du fonctionnement organique du cerveau humain, que les techniques de captation de l'attention, le circuit de récompense de la dopamine, ou encore les conséquences des fonctions déléguées aux machines informatiques et aux algorithmes. Il s'agit donc d'une lecture active, se faisant tout naturellement, sans avoir besoin de s'arrêter pour réfléchir sciemment aux liens entre textes et images, au pourquoi du choix de telles illustrations. L'artiste impressionne par son usage de silhouettes, d'icônes, de paysages naturels, de rapprochements visuels, de métaphores imagées. Il couvre tout le spectre de la représentation du dessin descriptif réaliste au symbole visuel, en passant par l'image conceptuelle à en être parfois abstraite si elle est prise hors de contexte de celle d'avant ou celle d'après (ce qui illustre le travail du cerveau pour identifier les schémas et produire du sens, ce qui se passe entre les cases), le facsimilé de bande dessinée humoristique (Les aventures de Thierry & Miguel), des dessins reproduisant des artefacts culturels comme un écran de Pac-Man, le tableau La Joconde, des affiches de réclame, des logos d'entreprise, d'autres œuvres d'art (une sculpture d'Alberto Giacometti, 1901-1966), des écrans d'ordinateur d'avant l'interface graphique, des kanjis, etc., pour une grande diversité graphique que ne laisse pas supposer un simple feuilletage préalable. Cet exposé graphique s'avère fort riche dans son ensemble. Il fait appel à de nombreux éléments cultures, par exemple : La cité de verre (1987) de Paul Auster, Moby Dick (1851) d'Herman Melville (1819-1891), la notion d'apercetion de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), La grande vague de Kanagawa (environ 1830) de Katsushika Hokusai (1760-1849), la qualité des pensées que l'on a en marchant d'après Friedrich Nietzsche (1844-1900), Blade Runner (1982) de Ridley Scott, l'invention de l'imprimerie par Johannes Gutenberg (1400-1468), la fable du scorpion et de la grenouille de Lev Nitoburg (1899-1937), le corps sans organe d'Antonin Artaud (1896-1948), l'utilité de l'inutile développé par Tchouang Tseu (-369 à -288), l'autobiographie de Corto Maltese (Le désir d'être inutile) par Hugo Pratt (1927-1995), lé dégénérescence des utopies par Claude Shannon (1916-2001, mathématicien, un des fondateurs de la théorie de l'information) & Norbert Wiener (1894-1964, père fondateur de la cybernétique), Bug (2017-2022) d'Enki Bilal, la notion de biopouvoir développée par Michel Foucault (1926-1984), le petit Prince (1943) d'Antoine Saint Exupéry (1900-1944), etc. Les auteurs savent apporter les informations nécessaires pour que tous les lecteurs puissent comprendre ces références et leur rapport avec l'exposé. Ainsi le lecteur saisit aisément la différence fondamentale entre le fonctionnement du cerveau et une intelligence informatique (Tout le corps pense… Pas seulement le cerveau.), la réalité déjà présente du transhumanisme (l'impact de l'omniprésence de l'information disponible en permanence par exemple), le problème avec le progrès (on voit ce qu'on gagne, mais on ignore ce qu'on perd), l'avènement de la société normative (ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas), le principe de mariage parfait qui unit aujourd'hui les technosciences et la macroéconomie néolibérale (deux formes d'une même dérégulation), etc. Le titre indique clairement que les auteurs adoptent un point de vue partial sur la question, certainement pour compenser la généralisation et l'enthousiasme pour les technologies numériques sous toutes leurs formes. Malgré une apparence éloignée d'une bande dessinée traditionnelle, le lecteur se rend vite compte du confort de lecture, de l'intelligence de la mise en images, conçue sur mesure pour cet exposé graphique. Il apprécie les points de vue du philosophe grâce à la richesse des références, la clarté du propos, sans pour autant perdre son propre esprit critique. du grand art, de la réflexion très humaine.

19/11/2024 (modifier)
Couverture de la série Gourmet Détective
Gourmet Détective

Un Manga coup de cœur je savoure! J'ai vraiment apprécié le début de cette série. Ma BM n'ayant que les quatre premiers numéros je vais vite acheté le nouveau. J'ai trouvé le scénario bien construit avec ce duel à distance entre le beau détective dandy, Akechi et sa rivale en mode femme fatale tueuse à distance, la séduisante Mary. Il faut accepter le manque de crédibilité de la facilité de contact entre Mary et ses disciples potentiels qui deviennent des assassins. L'originalité du récit est dans ce mélange de finesse et de brutalité voire de gore dans le tome 3. Une finesse que partage Mary et Akechi à travers la cuisine française et japonaise dans leurs versions traditionnelles basées sur la qualité des produits. Mais aussi les deux rivaux partagent un goût prononcé pour la culture classique occidentale ou japonaise. La brutalité voire la sauvagerie se retrouve dans les meurtres ( liés à l'univers de la cuisine) perpétués par des assassins tous très … sympathiques. L'autrice, Akiko, réussit à créer une ambiance très étrange qui m'a tenu en haleine toute ma lecture .De plus Akiko parsème son récit de passage remplis d'humour à la fois dans la relation Akechi-Go ("mon nom est Hichigo!") sa collaboratrice et formidable cuisinière de bento. Mais Akiko en profite aussi pour épingler les travers de la jeune génération ( inculture, malbouffe, inélégance, vestimentaire, smartphone) en effet miroir d'un Akechi très BG Oldschool. Il y a même une pointe d'autodérision sur son propre graphisme qui peint ses JF de 25 ans comme des ados de 13-15 ans dans une scène du T4 très drôle. Le graphisme est un Manga très classique avec un personnage masculin très lisse et androgyne et des personnages féminins classiquement très gamines à l'exception de Mary. Une belle découverte d'une série très bien construite avec de bons rebondissements et un texte intéressant.

18/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Servitude
Servitude

Un vrai (très) bon classique de Medieval Fantasy. Et comme j'aime beaucoup ce genre, j'ai beaucoup aimé cette lecture. Dès les premières pages, on sent une forte ambition, tant graphique que narrative. Éric Bourgier offre un dessin d’une richesse remarquable, où chaque case est travaillée comme un tableau. Les détails sont omniprésents, que ce soit dans les visages, les décors ou les costumes, et le choix des teintes sépia et ocres renforce ce sentiment de plonger dans une chronique ancienne. J'ai eu peur au début que cette palette uniforme manque de contraste, mais je m'y suis très bien fait et elle donne une patine qui fonctionne très bien avec le récit. L’univers en lui-même est foisonnant. Fabrice David et Éric Bourgier ont manifestement puisé dans une multitude de références historiques et mythologiques pour construire un monde crédible et complexe. On y retrouve des échos de civilisations antiques, de grands sièges médiévaux et de légendes anciennes. Les annexes en fin de volume, avec leurs cartes et leur lexique, témoignent du travail de fond impressionnant qui soutient le récit. Cet effort de cohérence est appréciable, même s’il peut parfois sembler très dense : la profusion de personnages, de royaumes et de factions demande une lecture assez concentrée. Les enjeux se dévoilent par couches successives, avec une mise en place qui prend son temps pour poser les bases d’une fresque complexe. Ce n’est pas une lecture légère ou immédiate : il faut s’installer, revenir parfois en arrière pour saisir toutes les nuances, mais l’effort est largement récompensé. Des paysages grandioses, des intrigues tissées avec minutie et ce sentiment d’avoir entre les mains une œuvre pensée sur le long terme. Une proposition qui élève clairement la barre dans le domaine du médiéval-fantastique et qui mérite qu’on s’y attarde.

18/11/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série D'or et d'oreillers
D'or et d'oreillers

Entamer la lecture de « D’or et d’oreillers » équivaut un peu à franchir le fameux miroir d’Alice. D’abord, il y a cette très jolie couverture mise en valeur par la technique d’impression à l’or (logique) du titre, un travail éditorial soigné très en phase avec le contenu empreint d’une fine poésie. Parce que cet album est une véritable gâterie d’un point de vue graphique, parvenant d’emblée à envelopper le lecteur comme le ferait un drapé de soie, et c’est bien cette sensation qui nous accompagnera sans discontinuer au fil des pages. Le travail sur le dessin est tout à fait remarquable, sur ce plan, il est rare qu’une œuvre de bande dessinée procure une telle extase. Il y a la grâce et la sensualité du trait, la diversité dans la palette de couleurs, agencées avec un goût incomparable, le tout étayé par une mise en page variée, avec nombre de pleines pages se laissant admirer avec bonheur. Mayalen Goust montre ici toute l’étendue de son talent, bien plus que n’auraient pu les faire ses précédentes productions, qui pourtant livraient déjà un bon aperçu de son potentiel artistique. « D’or et d’oreillers » est dans la parfaite lignée d’une autre parution sortie il y a trois ans, "Le Jardin – Paris" de Gaëlle Geniller, qui produisait également un effet très similaire. Pour illustrer ce récit se déroulant dans le cadre de l’Angleterre victorienne, l’autrice mêle avec brio et délicatesse un style un peu gothique à un art nouveau revisité, ce dernier étant incontestablement le mouvement artistique le plus sensuel de l’Histoire européenne. Ainsi, une telle approche est tout à fait appropriée pour narrer cette histoire d’amour (apparemment) impossible entre un jeune lord reclus dans son immense château et une « roturière », la néanmoins belle et mystérieuse Sadima. La fascination de l’objet se trouve renforcée par le choix du genre, le conte. Le récit de Flora Vesco, dont s’est inspiré Mayalen Goust, respecte les fondamentaux avec tout ce qu’il faut de noirceur nécessaire. Avec moult références aux grands classiques : « Cendrillon », « La Belle et la Bête », « La Princesse et le Petit Pois », « Alice au pays des merveilles » (avec ici un lapin qui va mal finir) … Et c’est bien la magie du conte qui permet de métaphoriser cette relation toxique et fusionnelle entre une mère diabolique et son fils pris au piège de sa folie possessive, repoussoir inébranlable pour toutes les potentielles épouses. Autour d’un axe narratif linéaire viennent s’enrouler des digressions très oniriques mais complémentaires. La seule chose que l’on pourrait regretter est que la tension liée à la folie inhérente à l’histoire, cette tension caractéristique des contes qui fait que l’on adore sentir ses cheveux se dresser sur la tête, apparaît quelque peu diluée par l’écrin graphique dans son extravagance poétique. Malgré ce très léger bémol, « D’or et d’oreillers » demeure une belle réussite, offrant à nos yeux ébahis un très bel univers pour enchanter nos âmes de ses chatoiements. On sera presque surpris de voir que l’ouvrage n’ait pas été publié dans le cadre de la collection Métamorphose, cette dernière ayant réussi à se distinguer en faisant de la féérie sa ligne éditoriale. Ce livre ressortira très certainement comme un des musts de l’année, prouvant par la même occasion, et on ne pourra que s’en réjouir, la place croissante et légitime occupée par les femmes dans la bande dessinée.

17/11/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Incroyable Histoire de l'éducation
L'Incroyable Histoire de l'éducation

Répondre à des petits tests sur la question - Comme son titre l’indique, ce tome constitue un exposé historique sur l’éducation. Sa première publication date de 2024. Il a été réalisé par Jean-Yves Seguy (maître de conférence émérite en sciences de l’éducation à l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne) pour le scénario, par Eva Rollin (bédéiste de profession) pour les dessins, et Nicolas Bègue (coloriste professionnel) pour la mise en couleurs. Il comprend environ deux-cent-cinquante pages de bandes dessinées. En fin d’ouvrage se trouve un chapitre sources et bibliographie de neuf pages. Puis viennent deux pages de notes et références des citations. Suivent deux pages listant les images gravures, photographies et autres qui ont été utilisées comme appui documentaire par la dessinatrice, qui a systématiquement réinterprété ces images, ajoutant ainsi sa propre créativité à l’œuvre originale, une page de remerciements et une page pour la table des matières. Chapitre I : Préhistoire, des formes élémentaires de transmission. On ne sait pas vraiment grand-chose de la manière d’éduquer à la préhistoire. Les traces ne permettent que de formuler quelques hypothèses. Que se passe-t-il à la fin du Paléolithique avec l’ami Cro-Magnon ? On peut parler d’éducation naturelle, face à un environnement hostile. Les jeunes vivent avec les adultes et apprennent à leur contact. On apprend en participant à la vie collective. On fait avec… On apprend en imitant. On apprend en observant. On fait ensemble. On en sait peu sur les rapports de domination de l’époque… mais la femme avait peut-être une place plus importante que ce que les premiers préhistoriens avaient imaginé. La plupart des représentations des humains dans l’art préhistorique ne sont pas sexuées… et, quand elles le sont, les femmes sont très présentes. Enfin, bref, on est bien loin de l’école, encore que ! Chapitre II : L’éducation chez les Gaulois. Pour les Gaulois, l’éducation, réservée à une élite, devait se faire au contact de la nature, de la forêt, du monde animal… on y apprend les cycles de la nature… et de la chasse… et aussi un peu la guerre ! Une éducation fortement teintée de magie, essentiellement orale, sous la forme de chants poétiques. Cette éducation est assurée par les druides. Le druide est un personnage central du monde gaulois, assurant des fonctions religieuses, politiques et éducatives. Et puis il y avait les bardes – une sous-catégorie de druide –, spécialistes des chants religieux ou guerriers… Les bardes étaient classés en dix catégories selon la capacité de leur mémoire. Les champions pouvaient connaître par cœur jusqu’à 350 histoires. On l’a compris, l’éducation chez les Gaulois est surtout une affaire orale. Jules César (100-44 avant J.-C.) s’est beaucoup interrogé sur les raisons de ce refus de l’écrit pour transmettre les connaissances. Cela dit, il faut se méfier de ce que disait César. Cette image des Gaulois provient pour beaucoup de son best-seller La Guerre des Gaules… et on peut s’interroger sur l’objectivité des propos d’un acteur essentiel de cette époque, qui plus est, vainqueur desdits Gaulois ! Dans l’avant-propos, l’auteur énumère les questions abordées, ainsi que les choix effectués pour concevoir cet exposé. Qui a inventé l’école ? Qu’enseigne-t-on dans l’université du Moyen-Âge, dans les collèges de l’Ancien Régime, dans les écoles primaires de la Troisième République ? Comment l’enseignement s’adapte-t-il aux situations de guerre ? Quelles sont les conceptions de l’éducation dans la famille dans l’Antiquité, au Moyen-Âge ou au XXe siècle ? Quelle place accorde-t-on à l’éducation des filles tout au long de cette histoire ? […] Écrire une histoire de l’éducation, comme toute histoire, suppose des choix et des renoncements. La vérité historique n’existe pas dans l’absolu, et il faut, de ce fait, rendre scrupuleusement compte de ses sources… et expliciter ses choix. Il a ainsi été décidé de limiter le propos à l’espace géographique et politique de la France, non que l’histoire de l’éducation d’autres pays manquât d’intérêt, mais une histoire universelle aurait nécessité une large multiplication du nombre de pages de l’ouvrage. […] Le lecteur constate que l’ouvrage retrace plus les formes de cadres structurés de système scolaire, que l’action en elle-même, c’est-à-dire la façon de développer les facultés intellectuelles et morales de l’enfant, même si cette facette est reflétée par les différentes structures éducatives. L’ouvrage se compose de neuf chapitres chronologiques, en plus de l’avant-propos : Préhistoire (des formes élémentaires de transmission), Antiquité (un modèle d’éducation autoritaire), Moyen-Âge (des expériences multiples qui s’organisent peu à peu), Renaissance et Ancien Régime (la construction de la forme scolaire), Révolution (de grandes ambitions… et des réalisations relativement modestes), Consulat et Empire (un monde éducatif sous contrôle), XIXe siècle, de la Restauration aux débuts de la IIIe République (des luttes pour le contrôle de l’éducation), XXe siècle (l’ère des grands bouleversements), XXIe siècle (suite de l’histoire… et nouveaux enjeux). L’auteur tient toutes les promesses contenues dans l’avant-propos. Il contextualise les notions qui sont passées dans la culture populaire, voire dans l’inconscient collectif, par exemple la culture orale des Gaulois, la prédominance tenace du latin dans les études pendant de nombreux siècles, la présence de l’Église dans les structures de l’éducation (également pendant de nombreux siècles). Il évoque de nombreux personnages historiques passés à la postérité pour leur apport à l’éducation : Charlemagne (742-814, A-t-il eu un jour cette idée folle d’inventer l’école ?), Ignace de Loyola (1491-1556, fondateur de la Compagnie de Jésus, c’est-à-dire les Jésuites), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778, Émile ou De l’éducation), Jules Ferry (1832-1893, lois de 1881 & 1882, sur la gratuité, l’obligation d’instruction et la laïcité), Élise (1898-1983) & Célestin Freinet (1896-1966, Pédagogie Freinet), Maria Montessori (1870-1952, méthode Montessori). Le lecteur découvre également des personnages dont le nom lui dit vaguement quelque chose ou dont il n’a jamais entendu parler : Christine de Pizan (1363-1431, égalité de nature entre l’homme et la femme en matière éducative), Jean Standonck (1443-1504, le collège Montaigu de Paris), Claudio Acquaviva (1543-1615, le Ratio Studorium), Angèle Merici (1474-1540, congrégation des Ursulines, créée en 1535), Madame de Maintenon (1635-1719, fondation de l’école de Saint-Cyr), Poulain de la Barre (1647-1723, un ouvrage pour l’égalité des filles et des garçons dans l’éducation), Joseph Lakanal (1762-1845, ouverture d’écoles publiques et d’écoles privées), Antoine-François Fourcroy (1755-1809, création des lycées), Augustine Fouillé (1833-1923, Le tour de France par deux enfants), etc. Le découpage en période lui permet de garder le fil chronologique. À la fois pour les grands événements historiques politiques, mais aussi pour des inventions majeures comme celle de l’imprimerie par Johannes Gutenberg (1400-1468), les différents plans d’éductions, par exemple ceux après la Révolution de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), Nicolas de Condorcet (1743-1794), Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (1760-1793), ou encore les enjeux de l’éducation pendant les périodes de guerre, en particulier la première et la seconde guerre mondiale. Le lecteur a bien conscience de la nature de l’ouvrage qu’il s’apprête à lire : un exposé de nature universitaire, dépassant largement la simple vulgarisation. Il sait que ce genre d’ouvrages se présente avec de copieux textes, et une place très contrainte pour la dimension bande dessinée. Au pire, il s’agit d’une collection de vignettes illustrant littéralement ce que dit le texte avec une tentative humoristique de ci de là, au mieux l’exposé a été conçu avec la bédéiste pour assurer un minimum d’interaction. Cet ouvrage n’échappe pas au principe du texte illustré. Pour autant, la dessinatrice n’est pas cantonnée à montrer des personnalités en plan serré, en train de parler. La narration en images recouvre plusieurs champs d’expression. L’artiste réalise des dessins un peu simplifiés, oscillant entre une description fidèle, et une exagération comique. Dans le premier registre, elle reproduit l’apparence connue des femmes et hommes célèbres, ainsi que certains tableaux, ou documents visuels, toujours en citant ces derniers dans la case, donnant ainsi la latitude au lecteur d’aller consulter l’original par lui-même. Elle intègre des éléments historiques dans ses cases, de manière à ancrer la scène dans l’époque. Dans le second registre, elle force les expressions des visages, les postures, elle intègre quelques anachronismes (difficile de résister à Christine de Pizan répondant au micro d’un intervieweur), et quelques comportements récurrents en coordination avec des remarques récurrentes. Elle rend l’exposé plus vivant, et plus incarné. Cette bande dessinée développe un exposé sans mesure commune avec une simple énumération. Très vite, le lecteur relève deux thèmes majeurs récurrents : la question du latin dans l’enseignement, l’enseignement destiné aux filles (au pire inexistant, au mieux au rabais par rapport à celui des garçons). Même s’il se doutait que Rome ne s’est pas faite en un jour, il n’anticipait pas forcément de voir chaque étape de la forme de l’organisation éducative qu’il connaît en France, école maternelle, école primaire, enseignement secondaire, enseignement supérieur, avec les structures nécessaires pour former les enseignants, l’idée de consacrer des bâtiments à l’éducation, la coexistence d’une école religieuse et d’une école laïque dans des proportions très variables en fonction des siècles, la notion de programme scolaire, jusqu’aux inspecteurs. Il apprécie de découvrir des enjeux de nature très différentes : imposer l’école à des parents qui font travailler leurs enfants, d’où viennent les bons points (du Maréchal), l’affichage contre l’alcoolisme dans les classes, etc. Outre une vision détaillée de l’évolution des structures éducatives, le lecteur en ressort avec la compréhension que le modèle d’aujourd’hui provient d’une évolution sur le long terme, qu’il n’est pas immuable, et il lui revient à l’esprit que l’éducation ne figure pas dans les ministères régaliens de l’État. À nouveau un titre très ambitieux dans la collection L’incroyable histoire de…, à nouveau une réussite. Le scénariste est un expert en la matière, et le lecteur perçoit qu’il plonge dans un ouvrage enrichi par une longue pratique, sachant respecter l’ordre chronologique tout en montrant que la construction du système éducatif a fait des tours et des détours, prenant un soin exemplaire à citer ses sources, faisant apparaître les enjeux pérennes. La narration visuelle ne se limite pas à une simple caution pour rentrer dans le champ de la BD, elle montre les différents personnages historiques ce qui rend l’exposé incarné, elle apporte des touches d’humour très humaines, elle montre l’époque, elle fait ressortir les hypocrisies et les injustices. Magistral.

17/11/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Judas
Judas

Et si tout n'était que mensonges ? Évidemment, avec ce titre, la religion va être au centre du récit. D'abord avec Judas Iscariot en personnage principal, mais deux autres protagonistes vont avoir des rôles majeurs : Jésus et le diable. Si Judas n'avait pas facilité l'arrestation de Jésus, l'histoire n'aurait plus la même résonance, il n'aurait pas été jugé par Ponce Pilate, crucifié sur la croix et ressuscité trois jours plus tard. Car comme le souligne l'apôtre Paul : « Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi. », sa résurrection est le cœur de la foi chrétienne. A sa mort Jésus descend à l'Hadès et là... Jeff Loveness nous en donne sa version, en réunissant nos trois personnages pour un "Qui a trahi qui ?". Un scénario inventif et bien construit, il puise dans la bible pour être au plus proche des évangiles. C'est cet aspect du récit qui met du grain à moudre dans la tête du lecteur, tout en suivant en parallèle les interrogations de Judas. Un Judas qui dégage une belle humanité. Rien n'est totalement noir ou totalement blanc. Une fin qui ne pouvait que se terminer ainsi, et elle me satisfait. Si j'ai autant aimé ce récit, Jakub Rebelka n'y est pas étranger. Sa composition graphique est totalement immersive avec le grand soin apporté aux décors, aux détails vestimentaires, à sa mise en page, à son trait gras et géométrie et à ses choix de couleurs. Un style à nul autre pareil, d'une efficacité redoutable. Une reconstitution minutieuse de cette période historique et la partie se situant aux enfers sent le souffre et la putréfaction. Très très beau ! Un comics très original sur le fond et sur la forme. Mais un comics que je ne peux ni conseiller, ni déconseiller, le sujet risque d'en laisser certains sur le carreau. Coup de cœur. "Nul n'a plus grand amour que celui-ci : Donner sa vie pour ses amis." Jean,15 : 13.

17/11/2024 (modifier)
Par Lajt
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Notes rouges
Les Notes rouges

Une histoire d'amour familiale qui unit passionnément une soeur et son frère au cours du drame de la Seconde Guerre Mondiale. Beaucoup de sensibilité habille ce récit très touchant de mélancolie. Le graphisme traduit les sentiments des personnages sans besoin de dialogue bien souvent. L'autrice fait le choix de peu de couleurs pour habiller son récit: noir blanc gris parfois rouge, c'est très sobre, et sublime. La mise en scène est parfaite, on se sent dans les rues glaciales avec peur et incertitude permanente... Malgré certains passages durs, un lieu où règne l'innocence permet d'espérer... Les poèmes sont beaux et très émouvants : malgré la séparation l'espoir et la poésie demeurent. Merci Nadia Nakhlé pour ce récit. Maj après relecture, je trouve ce récit tellement touchant et pouvant être intemporel que je remonte ma note d'une étoile

16/11/2024 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Juliette - Les Fantômes reviennent au Printemps
Juliette - Les Fantômes reviennent au Printemps

Une des meilleures lectures pour moi de cette année ! j'étais passé à coté de cette première page un peu mièvre, (surtout si on la voit en timbre poste sur le site BDthèque ! ) et le sous-titre apportait une nuance dépressive qui ne m'avait pas attirée. Mais quand on ouvre ce gros album joufflu en librairie, tout coloré, avec une profusion de cases par page, et assez peu de bulles, ça a quelque chose du jeu de l'oie... Un faux air de "Sempé" pour sa belle observation de notre quotidien et un humour jamais cynique ou ironique, simplement les yeux qui se plissent quand les joues remontent... Une réaction spontanée à une situation dont le ridicule nous est familier, comme si nous avions vécu cent fois ces situations en choisissant d'être agacé les mauvais jours et amusé les bons. Et ici , l'autrice nous met dans de bonnes dispositions, une sorte de calme dans l'observation. Dans chaque case un détail retient notre attention et ouvre des souvenirs dans nos cerveaux. Le fait d'avoir commencé la lecture de cet album dans un café d'une petite ville de la France moche a du jouer un rôle dans ce sentiment de reconnaissance, comme si les échos de la machine à café étaient la bande son des images qui défilaient devant moi. Je ne savais pas que cette BD avait été adaptée en film , et je crois que je n'irai pas le voir parce que les dessins de "Camille Jourdy" ont une capacité d'évocation vraiment saisissante. De vrais acteurs refermeront les portes que les dessins ont ouvertes. Les visages, en très peu de traits, captent juste ce qui est nécessaire pour fixer notre affection. Il y a aussi une parenté avec les dessins et même le scénario de Merel par "Clara Lodewick" : Une sorte d'amour du commun, les vies ordinaires, les café du coin, les maisons sans caractère... Et les canards. Cependant, pour Juliette (tiens c'est aussi un prenom feminin qui donne le titre !) le ressort dramatique est moins noir : C'est une histoire qui ressemble à nos histoires, une tranche de vie qui rassemble celles qui ont des enfants, celles qui n'en ont pas, des cousins et des beaux-frères, des gros, des maigres, des bavards, des taiseux, des célibataires, des mariés, des divorcés, des maris et des amants, des enfants et des grand-mères, des secrets et des grandes déclarations, des copains et des voisines, des lettres d'amour anonymes, du champagne dans une bouteille en plastic et du gratin trop salé, des étagères et des balançoires... La France de Raymond Depardon dans un scénario bien ficelé et réaliste. Je m'y suis reconnue tout autant que dans celle de Proust !

16/11/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Spinning
Spinning

Je fais un peu les choses à l’envers, puisque je ne découvre cette autobiographie qu’en 2024, après avoir lu toutes les autres œuvres de Tillie Walden publiées en France… et j’ai beaucoup aimé. Certes, il ne s’agit que d’une énième histoire adolescente intimiste, et je doute que les allergiques au genre trouvent un quelconque intérêt aux élucubrations nombrilistes de l’autrice. J’ai personnellement trouvé la protagoniste attachante, son récit touchant et émouvant, et le ton très juste. Elle parle des difficultés de l’adolescence, du harcèlement scolaire, de son homosexualité assumée depuis un très jeune âge, mais qu’elle a eu du mal à révéler à ses proches. Le patinage artistique propose un background riche et une réflexion intéressante, et occupe une place centrale dans la vie de l’adolescente mais aussi du récit. La mise en image est réussie, j’aime beaucoup le trait de Walden, précis et maitrisé malgré une apparence esquissée… il en ressort une tendresse et une fébrilité qui transcendent le récit. Une énième autobiographie adolescente, certes, mais qui m’a captivé et beaucoup touché.

16/11/2024 (modifier)