Les derniers avis (9303 avis)

Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Judas
Judas

Et si tout n'était que mensonges ? Évidemment, avec ce titre, la religion va être au centre du récit. D'abord avec Judas Iscariot en personnage principal, mais deux autres protagonistes vont avoir des rôles majeurs : Jésus et le diable. Si Judas n'avait pas facilité l'arrestation de Jésus, l'histoire n'aurait plus la même résonance, il n'aurait pas été jugé par Ponce Pilate, crucifié sur la croix et ressuscité trois jours plus tard. Car comme le souligne l'apôtre Paul : « Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi. », sa résurrection est le cœur de la foi chrétienne. A sa mort Jésus descend à l'Hadès et là... Jeff Loveness nous en donne sa version, en réunissant nos trois personnages pour un "Qui a trahi qui ?". Un scénario inventif et bien construit, il puise dans la bible pour être au plus proche des évangiles. C'est cet aspect du récit qui met du grain à moudre dans la tête du lecteur, tout en suivant en parallèle les interrogations de Judas. Un Judas qui dégage une belle humanité. Rien n'est totalement noir ou totalement blanc. Une fin qui ne pouvait que se terminer ainsi, et elle me satisfait. Si j'ai autant aimé ce récit, Jakub Rebelka n'y est pas étranger. Sa composition graphique est totalement immersive avec le grand soin apporté aux décors, aux détails vestimentaires, à sa mise en page, à son trait gras et géométrie et à ses choix de couleurs. Un style à nul autre pareil, d'une efficacité redoutable. Une reconstitution minutieuse de cette période historique et la partie se situant aux enfers sent le souffre et la putréfaction. Très très beau ! Un comics très original sur le fond et sur la forme. Mais un comics que je ne peux ni conseiller, ni déconseiller, le sujet risque d'en laisser certains sur le carreau. Coup de cœur. "Nul n'a plus grand amour que celui-ci : Donner sa vie pour ses amis." Jean,15 : 13.

17/11/2024 (modifier)
Par Lajt
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Notes rouges
Les Notes rouges

Une histoire d'amour familiale qui unit passionnément une soeur et son frère au cours du drame de la Seconde Guerre Mondiale. Beaucoup de sensibilité habille ce récit très touchant de mélancolie. Le graphisme traduit les sentiments des personnages sans besoin de dialogue bien souvent. L'autrice fait le choix de peu de couleurs pour habiller son récit: noir blanc gris parfois rouge, c'est très sobre, et sublime. La mise en scène est parfaite, on se sent dans les rues glaciales avec peur et incertitude permanente... Malgré certains passages durs, un lieu où règne l'innocence permet d'espérer... Les poèmes sont beaux et très émouvants : malgré la séparation l'espoir et la poésie demeurent. Merci Nadia Nakhlé pour ce récit. Maj après relecture, je trouve ce récit tellement touchant et pouvant être intemporel que je remonte ma note d'une étoile

16/11/2024 (modifier)
Par Canarde
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Juliette - Les Fantômes reviennent au Printemps
Juliette - Les Fantômes reviennent au Printemps

Une des meilleures lectures pour moi de cette année ! j'étais passé à coté de cette première page un peu mièvre, (surtout si on la voit en timbre poste sur le site BDthèque ! ) et le sous-titre apportait une nuance dépressive qui ne m'avait pas attirée. Mais quand on ouvre ce gros album joufflu en librairie, tout coloré, avec une profusion de cases par page, et assez peu de bulles, ça a quelque chose du jeu de l'oie... Un faux air de "Sempé" pour sa belle observation de notre quotidien et un humour jamais cynique ou ironique, simplement les yeux qui se plissent quand les joues remontent... Une réaction spontanée à une situation dont le ridicule nous est familier, comme si nous avions vécu cent fois ces situations en choisissant d'être agacé les mauvais jours et amusé les bons. Et ici , l'autrice nous met dans de bonnes dispositions, une sorte de calme dans l'observation. Dans chaque case un détail retient notre attention et ouvre des souvenirs dans nos cerveaux. Le fait d'avoir commencé la lecture de cet album dans un café d'une petite ville de la France moche a du jouer un rôle dans ce sentiment de reconnaissance, comme si les échos de la machine à café étaient la bande son des images qui défilaient devant moi. Je ne savais pas que cette BD avait été adaptée en film , et je crois que je n'irai pas le voir parce que les dessins de "Camille Jourdy" ont une capacité d'évocation vraiment saisissante. De vrais acteurs refermeront les portes que les dessins ont ouvertes. Les visages, en très peu de traits, captent juste ce qui est nécessaire pour fixer notre affection. Il y a aussi une parenté avec les dessins et même le scénario de Merel par "Clara Lodewick" : Une sorte d'amour du commun, les vies ordinaires, les café du coin, les maisons sans caractère... Et les canards. Cependant, pour Juliette (tiens c'est aussi un prenom feminin qui donne le titre !) le ressort dramatique est moins noir : C'est une histoire qui ressemble à nos histoires, une tranche de vie qui rassemble celles qui ont des enfants, celles qui n'en ont pas, des cousins et des beaux-frères, des gros, des maigres, des bavards, des taiseux, des célibataires, des mariés, des divorcés, des maris et des amants, des enfants et des grand-mères, des secrets et des grandes déclarations, des copains et des voisines, des lettres d'amour anonymes, du champagne dans une bouteille en plastic et du gratin trop salé, des étagères et des balançoires... La France de Raymond Depardon dans un scénario bien ficelé et réaliste. Je m'y suis reconnue tout autant que dans celle de Proust !

16/11/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Spinning
Spinning

Je fais un peu les choses à l’envers, puisque je ne découvre cette autobiographie qu’en 2024, après avoir lu toutes les autres œuvres de Tillie Walden publiées en France… et j’ai beaucoup aimé. Certes, il ne s’agit que d’une énième histoire adolescente intimiste, et je doute que les allergiques au genre trouvent un quelconque intérêt aux élucubrations nombrilistes de l’autrice. J’ai personnellement trouvé la protagoniste attachante, son récit touchant et émouvant, et le ton très juste. Elle parle des difficultés de l’adolescence, du harcèlement scolaire, de son homosexualité assumée depuis un très jeune âge, mais qu’elle a eu du mal à révéler à ses proches. Le patinage artistique propose un background riche et une réflexion intéressante, et occupe une place centrale dans la vie de l’adolescente mais aussi du récit. La mise en image est réussie, j’aime beaucoup le trait de Walden, précis et maitrisé malgré une apparence esquissée… il en ressort une tendresse et une fébrilité qui transcendent le récit. Une énième autobiographie adolescente, certes, mais qui m’a captivé et beaucoup touché.

16/11/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Asile !
Asile !

À tous les châteaux tombés en ruine comme autant de rêves abandonnés. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, basée sur un fait historique. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par André Houot pour le scénario et les dessins, et par Jocelyne Charrance pour la mise en couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Son auteur a également réalisé les séries Chroniques de la nuit des temps (1987-1994, cinq tomes), Le Khan (1994-2004, six tomes avec Simon Rocca), Septentryon (2001-2004, cinq tomes), Le Mal (2006-2011, quatre tomes avec PY), Hamelin (2011), Le rendez-vous d’onze (2016), Puissant cheval était son nom (2020). C’était juste avant l’arrivée de l’illustre prisonnier. Barachin avait autorisé deux voyageurs à venir distraire ses hommes avec les légendes qui courent sur nos montagnes. Les gueux avaient hésité à entrer, tant est lugubre le château de Rochechinard. C’était une histoire de géants qu’ils étaient venus raconter. L’histoire d’un pacte scellé entre des hommes et des géants. Les choses se seraient passés en des temps si lointains que seuls quelques mythographes s’en seraient fait l’écho. Ainsi, les hommes de ces temps-là avaient réussi à faire comprendre aux géants ce qu’ils attendaient d’eux. Façonner toutes les pentes accessibles en abymes ou en à-pics afin d’en interdire l’entrée d’envahisseurs. En contrepartie de quoi, pendant cent hivers, ils s’engagèrent à approvisionner les géants. Près d’un siècle durant, le bruit de leur labeur résonna sur toute la région. Jusqu’à ce qu’un hiver brutal rendît impossible l’engagement des hommes. Du trou souffleur d’où s’échappait la fumée de leur feu, il ne sortit bientôt plus rien. Plus jamais personne n’entendit parler d’eux et on finit par les oublier. Pourtant, le blason s’accompagne toujours du soutien des géants. Preuve que leur histoire a traversé les époques, et qu’ils veillent toujours sur les seigneurs de Rochechinard en se tenant prêts à faire usage de la force si le besoin s’en faisait sentir. Mais pour poursuivre ce récit, les deux conteurs devront revenir car le soleil est passé derrière les monts. La nuit les prendrait en chemin de retour, sinon. En partant, ils indiquent aux soldats qu’ils reviendront avec deux ou trois danseuses pour leur tenir compagnie. Un soldat ajoute : Et pas farouches si possible. Dans une lettre adressée à Philippine de Sassenage, Barachin Alleman explique qu’il part aujourd’hui à la rencontre d’un prince qui vient d’un lointain empire. Il en aura la garde à compter de ce jour, mais comme le sait, il n’a pas l’âme d’un geôlier, et il pressent déjà derrière cette affaire de politique, une méchante histoire d’intérêts. On lui a promis sept couleuvrines pour la sûreté de son protégé, dont un puissant parent veut la mort. Il sait que le frère de Philippine, le baron d’Ostun, n’aime pas ses tours à canons derrière son dos, de ce côté-ci de la montagne, mais il va tout de même continuer de l’informer de cette aventure, et surtout lui redire qu’il l’aime. Le prince turc Djem, fils de Mehmet le conquérant, arrive sous bonne escorte au château de Rochechinard. L’illustration de couverture met en avant deux éléments narratifs : la procession qui escorte le prince turc vers le château, et l’imposante construction elle-même, sous un ciel nocturne. Le récit commence par une belle journée ensoleillée, mettant à l’honneur les contreforts ouest du massif du Vercors, dans les Préalpes. Le lecteur est instantanément séduit par la minutie de la représentation de ces pentes boisées abruptes : des traits très fins et précis, complétés par une mise en couleurs sophistiquée et riche, qui vient nourrir les multiples surfaces délicatement détourées, sans supplanter les traits de contour, un travail d’orfèvre. En page quatre, il jouit d’une vue saisissante sur les contreforts dans une vue dégagée s’étendant sur plusieurs kilomètres vers l’horizon, magnifique. Dans la page suivante, il contemple une petite portion desdits contreforts, en contreplongée, sous la neige. En page sept, il bénéficie d’une vue d’ensemble de la ville de Rochechinard, avec le cours d’eau du Ruisseau de la Prune, et les montagnes dans le lointain. Enfin en pages huit et neuf, il découvre le château vu de l’extérieur en arrivant par la route en terre, d’abord en se situant quelques dizaines de mètres en contrebas, ce qui met en valeur sa position sur une étroite plateforme rocheuse, puis de plus près juste avant le dernier tournant permettant d’arriver au pont en bois franchissant la dernière crevasse devant le portail. Dans la dernière page de bande dessinée, l’auteur dédie son ouvrage à, entre autres, tous les châteaux tombés en ruine comme autant de rêves abandonnés. Le lecteur ressent qu’André Rouot a repris le rêve de Rochechinard et a pris un immense plaisir à le rebâtir, le reconstituer dans les moindres détails pour en faire profiter tous les autres rêveurs amoureux des vieilles pierres en général, et des châteaux forts en particulier. Il se délecte à prendre le temps de pouvoir ainsi admirer cette forteresse reconstituée avec amour et minutie, dans ses moindres détails. Il admire la manière dont le dessinateur sait rendre compte de son positionnement sur cette plateforme étroite dans une pente abrupte. Il prend le temps d’examiner les murs, et il savoure chaque détail : chaque ouverture, chaque créneau, la forme des toitures, les tours, les portes, les passerelles en bois, le pont en pierre au-dessus du vide, une construction en bois adossée à une muraille, un balcon de bois, les fenêtres etc. C’est un enchantement à chaque vue, l’œuvre d’un passionné amoureux, avec une mise en couleurs naturaliste, qui vient renforcer les textures de pierre, de bois, un délice exquis. L’artiste ne représente jamais deux fois le château sous le même angle, un travail ayant nécessité un investissement colossal. Le lecteur se rend compte que Rouot a mis à profit les survols de la zone rendus possibles par les drones pour pouvoir reconstituer le château sous tous les angles possibles, en vue du ciel. La reconstitution historique rigoureuse s’étend également aux intérieurs, aux ustensiles, aux objets et autres outils. Là encore, l’artiste ne prend aucun raccourci, représentant systématiquement tout ce qui rentre dans le cadre de la case, en fonction de la séquence et du lieu. Ainsi le lecteur observe la grande salle de réception du château avec son plancher en bois, sa tapisserie accrochée derrière la table des seigneurs, la table elle-même toute simple (une planche posée sur des tréteaux), les différentes armes accrochées aux murs. Page après page, il suspend son regard pour voir l’abri en bois sous lequel se reposent des gardes, l’atelier du boucher, la chambre allouée au prince turc, les cuisines, la chapelle avec la grande croix du Christ, etc. L’artiste fait montre de la même implication et du même investissement pour représenter la demeure de Jacques de Sassenage (-1490), ou encore la ville de Romans dans laquelle se déroule les fêtes de Pentecôte, avec un tournoi de chevaliers en armure. Houot détaille avec la même rigueur chaque vêtement, chaque accessoire, que ce soit la tenue orientale du prince Djem, les robes de ces dames, les armures des chevaliers pour le tournoi, les uniformes plus simples des soldats du château, les grelots sur l’habit du conteur, son instrument de musique à corde, les harnais des chevaux, leur couverture d’apparat pour le tournoi, etc. Quelle richesse visuelle, quelle rigueur. L’intrigue comprend deux autres fils directeurs. Le premier à apparaître suit les légendes sur les géants ayant aidé les hommes à donner forme à cette région. L’artiste leur donne une apparence particulière, plutôt que des silhouettes génériques prêtes à l’emploi et sans âme, ce qui est cohérent avec l’approche graphique globale de cette bande dessinée. Dans un premier temps, le lecteur se dit que ces légendes arrivent comme un cheveu sur la soupe, sans rapport direct avec le séjour du prince turc, ou avec la construction du château de Rochechinard. Au fur et à mesure qu’il prend la mesure de l’intention de l’auteur vis-à-vis du château, il se rend compte de la pertinence d’évoquer le relief des lieux, et la deuxième partie du conte narrée dans la deuxième moitié du tome vient donner tout son sens à ce fil narratif, avec une dimension mythologique inattendue. Le troisième fil directeur réside dans le séjour du prince Djem, un fait historique authentique. L’auteur parvient à intégrer les éléments historiques nécessaires pour son arrivée dans ce lieu face sens, ainsi que les enjeux qui y sont liés. À travers lui, il évoque le poids de la politique et des stratégies d’alliance et de guerre qui façonnent la vie de cet homme, sans qu’il n’ait aucune prise dessus. Dans ces conditions, le lecteur comprend que cet homme puisse tomber facilement amoureux de la fille de Charles Alleman de Rochechinard (1435-1512), chevalier de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem. L’auteur traite raconte cette situation de manière adulte, sans romantisme romanesque, sans passion échevelée, respectant ce qui est connu de la réalité historique. Le lecteur admire la manière dont il entremêle son admiration pour le château, les contes de la région et ce fait historique, dans une narration savamment dosée et bien équilibrée. La couverture et le texte en quatrième de couverture se focalise sur le fait historique : le séjour d’un prince ottoman en 1482 dans le château de Rochechinard. Toutefois, ils ne préparent pas le lecteur à la fantastique reconstitution de ce château bâti sur un site exceptionnel, ni à la légende qui entoure cette région façonnée par des géants. Bouche bée, le lecteur se délecte des représentations du château, des contreforts des Préalpes, de la reconstitution historique de la vie de l’époque dans cette région du monde, tout en éprouvant une forte empathie pour ces êtres humains à la vie dictée par des forces historiques qui les dépassent.

16/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Jours de sable
Jours de sable

Une BD qui prend le temps de raconter, de poser une ambiance, et de nous immerger dans une époque. L’histoire se déroule pendant les années 1930, en plein Dust Bowl, cette période où les tempêtes de sable ont ravagé les grandes plaines des États-Unis. On suit John, un jeune photographe envoyé par une administration fédérale US pour documenter la misère des fermiers, et très vite, son regard change. Ce qu’il pensait être un simple reportage devient quelque chose de plus personnel. Graphiquement, c’est superbe. Les dessins alternent entre des couleurs terreuses, presque étouffantes, et des moments de clarté qui donnent de l’air. Aimée de Jongh joue beaucoup sur les textures et la lumière pour retranscrire cette poussière omniprésente, cette lourdeur qui colle à la peau. Les portraits qu’elle croque sont saisissants, remplis d’humanité, et on sent son admiration pour les photographes de l’époque, comme Dorothea Lange, qui ont inspiré l’histoire. Le récit, lui, avance doucement mais sûrement. Ce n’est pas une BD qui mise sur les rebondissements, mais sur une progression intérieure. John commence par observer, puis il se heurte à des dilemmes : comment rendre justice à ces gens ? Comment raconter leur histoire sans les trahir ? Ces questions donnent toute sa force à l’album, en écho à notre rapport actuel aux images et à leur impact. C’est une lecture qui marque par sa sincérité. Elle ne cherche pas à faire grandiloquent, juste à raconter quelque chose de vrai, avec des personnages qui sonnent justes et des émotions qui restent. Une belle réussite, à la fois visuellement et narrativement.

15/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Monsieur Mardi-Gras Descendres
Monsieur Mardi-Gras Descendres

Une traversée unique, un mélange de grotesque et de métaphysique qui ne ressemble à rien d’autre. On suit un héros mort, réduit à l’état de squelette, qui explore un purgatoire aussi absurde que déprimant, avec ses lois alambiquées et ses absurdités bureaucratiques. Dès les premières pages, l’univers impressionne. Le trait est sec, précis, presque clinique, et chaque détail des décors, ces villes faites de bric et de broc, ces squelettes rafistolés, donne vie à ce monde désespérément désorganisé. L’histoire, elle, avance doucement, mais ce n’est pas là le cœur de l’expérience. Ce qui fascine, c’est cette ambiance d’ennui oppressant et d’humour noir. Tout semble désespéré, mais on ne peut s’empêcher de sourire face aux dialogues absurdes et aux situations improbables. Ce mélange entre réflexion sur la condition humaine et loufoquerie pure fonctionne étonnamment bien. C’est à la fois une quête initiatique et une satire qui joue avec les codes religieux, philosophiques et sociaux. Certains passages traînent un peu, c’est vrai. C'est ce qui m'empêche d'aller jusqu'aux 5 étoiles. L’intrigue prend des détours qui peuvent sembler inutiles, mais dans cet univers, même l’ennui a un sens. Le récit nous force à nous poser, à nous imprégner, et finalement, on se rend compte que c’est précisément ce flottement qui m'a fait entrer dans ce purgatoire étrange. Une BD qui demande de la patience et un certain goût pour l’absurde. Mais pour ceux qui acceptent de se perdre dans ce monde, Monsieur Mardi-Gras des Cendres offre une expérience rare, entre contemplation et dérision, le tout dans un cadre visuel impressionnant. Une belle découverte.

15/11/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Degas - La Danse de la solitude
Degas - La Danse de la solitude

Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ? - Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017). Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul. Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse. Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies. Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc. Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon. L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin. Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.

14/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ar-Men - L'Enfer des enfers
Ar-Men - L'Enfer des enfers

Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées. L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires. Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques. Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?

14/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Marécage
Marécage

Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine. Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides. Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide. L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions. Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !

14/11/2024 (modifier)