Libres d'obéir

Le chef-d’œuvre de Johann Chapoutot désormais en bande dessinée !
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Libres d’obéir ou comment le management moderne trouve certaines de ses racines dans l’organisation nazie. Les auteurs racontent comment Reinhard Höhn, ancien juriste du IIIe Reich, a influencé la pensée managériale en prônant l’autonomie sous contrôle, de l’après-guerre jusqu’à nos jours. Dans cette adaptation en bande dessinée, a été ajouté le récit de deux femmes cadres, soumises à la pression managériale, mettant en scène les conséquences concrètes de cette idéologie dans le monde professionnel actuel.
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Date de parution | 27 Août 2025 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis


« Libres d’obéir », adaptation illustrée de l’essai de Johann Chapoutot paru en 2020, fait partie des bandes dessinées les plus attendues de cette rentrée. Quant à sa couverture montrant un swastika stylisé en forme de rouage maintenant prisonnière une employée, contrainte d’avancer à la façon d’un hamster dans sa roue, elle interpelle forcément et suscite la curiosité. Comment le management moderne pourrait-il avoir un lien quelconque avec le nazisme ? C’est ce que nous proposent de découvrir Philippe Girard, bédéiste québécois auteur notamment d’une biographie consacrée à Léonard Cohen, et Johann Chapoutot, historien spécialiste du nazisme et de l’Allemagne. Parce qu’il faut bien le dire, la première réaction du lecteur sera forcément teintée de scepticisme. Quoi que l’on pense de l’organisation des entreprises au sein desquelles nombre d’entre nous officie aujourd’hui, on a un peu de mal à établir un parallèle direct avec les méthodes autoritaires et impitoyables adoptées par les nazis dans les années 30… Pour sa démonstration, Chapoutot va s’appuyer sur la carrière de ce quasi-inconnu qu’était Reinhard Höhn, mais qui fut l’un des fers de lance parmi d’autres idéologues allemands dans l’application de la politique d’Hitler. En résumé, celui-ci, que l’historien qualifie de « Josef Mengele du droit », se posait en ennemi de l’Etat. Ce dignitaire nazi a théorisé la mise en œuvre du « Menschen Führung », un modèle de management qui sera adopté par de nombreuses entreprises allemandes. En quoi cela consistait-il ? Ce système fut baptisé « polycratie » par les historiens, un système en réalité plus anarchique que pragmatique, dans la mesure où les politiques étaient menées différemment selon les régions, tout en restant conforme à la doctrine hitlérienne : « Ein Volk, ein Reich, ein Führer ». Pour les nazis, le seul ordre qui valait était l’ « ordre naturel », une sorte de « darwinisme social » qui s’appliqua également aux entreprises où l’humain ne restait qu’un matériau comme un autre. Dans cette logique, l’Etat, cet ennemi, « n’a le droit de vivre que dans la mesure où il n’entrave pas la nature ». On sait désormais ce qu’il advint sous le régime nazi des plus faibles, des non-aryens ou de ceux qui refusaient d’adhérer à ces doctrines mortifères… Afin d’aérer cet ouvrage très dense voire touffu en informations, les auteurs ont inséré un second axe narratif, lequel met en scène deux femmes cadres évoquant leur lassitude vis-à-vis de la politique managériale de leur entreprise, l’une d’elle racontant notamment comment elle parvint à surmonter son « burn-out ». Au fil de pages, de nombreuses similitudes sont exposées entre les discours de leur direction et les fameuses théories nazies. Un système en trompe-l’œil où l’on prône l’épanouissement de chaque salarié tout en le sanctionnant s’il n’atteint pas ses objectifs, un fonctionnement pseudo-démocratique « où l’employé consent à son sort dans un espace de liberté ». La ligne claire sobre de Philippe Girard accompagne efficacement le propos du livre à l’aide de références documentées et très variées. Ce qui, pour ce type d’ouvrage, est toujours une sorte de défi, le but étant de maintenir l’attention du lecteur de façon ludique. Reinhard Höhn survécut à la chute d’Hitler et réussit à se reconvertir grâce à l’appui de ses réseaux. L’ancien SS put même fonder sa propre école de management à l’américaine. Entre 1956 et 2000, 600 000 cadres y furent accueillis, sous la houlette de plusieurs enseignants anciens membres du SD et de la SS. Il est incontestable qu’il ait pu avoir une influence sur les méthodes managériales en Allemagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale, même si celles-ci furent remises en cause dans les dernières décennies, tandis que certains dans son pays dénonçaient son passé de SS. Sur toutes les informations fournies dans cet essai, on ne pourra remettre en question la compétence et l'expertise de Johann Chapoutot. Pourtant, bien que l’ouvrage reste captivant sur le fond, je dois avouer à titre personnel être resté sur ma faim. En tant que salarié d’une entreprise implantée à l’international, je n’ai pas vu dans le livre de démonstration suffisamment étayée quant à une influence manifeste de Reinhard Höhn sur le management mondial actuel, quand bien même j’aurais beaucoup de critiques à émettre à son encontre. Certes, l’ancien nazi a eu incontestablement une influence outre-Rhin, mais hors des frontières allemandes ? Affirmer que la philosophie managériale actuelle, très internationalisée, découle de ces théories nazies, même partiellement, me paraît être un raccourci un brin osé, alors que comme on le sait, le capitalisme financier a été au XXe siècle dominé par les pays anglo-saxons, en particulier les Etats-Unis, ne serait-ce que par la « novlangue » utilisée au sein des entreprises dès les années 80. Et en admettant que j’aie mal interprété ou mal compris le propos de l’auteur, pourquoi ce dernier n’a-t-il pas introduit d’éléments véritablement concrets pour étayer sa pensée ? L’impression, c’est qu’il est resté cloisonné dans son champ géographique de prédilection, l’Allemagne, sans réellement connaître la réalité dans le reste du monde. Et puis finalement, n’est-ce pas le capitalisme lui-même qui contient en germe ces pratiques délétères, sachant que ce système économique, très puissant, n’a eu de cesse de s’adapter au gré des époques et de cannibaliser, de façon presque naturelle et sans théoricien, tous les obstacles potentiels à ses velléités prédatrices ? En somme, ce capitalisme, qui ne semble vivre que pour lui-même, ne répond-il pas à ce fameux « ordre naturel » si cher aux nazis ? Au-delà de ce bémol, cela ne remet cependant pas en cause l’intérêt de cet ouvrage, qui reste instructif — quoique très consistant —, et sa conclusion vient en quelque sorte réconcilier tout le monde (sauf les dictateurs) avec cette seule phrase concernant l’intuition, laquelle « nous apprend que la véritable manière d’être libre, c’est de désobéir ! ».
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