Il faut saluer ici le travail d'édition remarquable des Editions de la Cerise. Cette petite BD au format italien et dos toilé est déjà très engageante. L'objet annonce la couleur (si je puis dire) : le lecteur sera immergé dans une ambiance des plus japonisantes.
Et puis en feuilletant, on découvre le dessin absolument délicieux de Linnea Sterte, et là, c'est mon cœur qui fond.
Après m'être renseigné sur l'autrice, je réalise qu'il y a quelques années, j'avais vu passer sa bande-dessinée précédente intitulée In-Humus qui n'avait alors pas plus retenu mon attention que cela. Il faut dire que son dessin a évolué, et moi aussi.
Mais revenons à notre petite rainette. Graphiquement, c'est un pur coup de cœur. J'adore ce trait fin et ciselé, cette science du détail qui permet de déceler des raffinements jusque dans les fonds obscurs représentant des scènes nocturnes. J'aime le choix de ce monochrome bleuté qui redonne toute sa dimension au dessin. Je suis admiratif de cette ligne minimale qui souligne un relief, ouvrant la page sur l'immensité du paysage, et aère la tête ! On songe à ces dessins pariétaux où un trait unique évoque à la perfection et de manière évidente la silhouette d'un mammouth. Et bien entendu, on songe également aux maîtres du manga, les Tsuge, Mizuki et Cie... Il y a d'ailleurs dans cette histoire la même poésie. Tout est léger comme les flocons qui viendront conclure de manière ouverte cette histoire feutrée. En outre, il flotte dans l'air un humour tendre.
L'histoire tient sur un confetti, et le résumé que l'on trouve un peu partout sur le net se suffit à lui-même. C'est un petit conte initiatique, genre malheureusement tombé un peu en désuétude. Mais ces histoires de trois fois rien (que j'affectionne tant) racontent souvent beaucoup. C'est par le peu qu'elles nourrissent l'esprit, avec une économie empruntée à l'art japonais. C'est le cas ici.
Sans s'attarder, on y rencontre des esprits : celui d'un jeune arbre tordu sous les traits d'une petite fille en kimono, celui d'un vieil arbre dépeint comme un étrange humanoïde non genré, et bien sûr celui de la fleur de shungiku capturé par les crapauds (cf. résumé) que le lecteur ne verra d'ailleurs jamais. On rencontre des chiens, des chats, des souris, mais nul conflit. Tout ce petit monde cohabite le plus naturellement du monde, les chats conseillant par exemple à nos crapauds en vadrouille une excellente auberge tenue par la même famille de souris depuis 58 générations...
Cette aventure à l'échelle de rainette et pleine de poésie m'a totalement conquis. Je suis à deux doigts de penser qu'on tient là un petit chef d'œuvre. Mais je ne voudrais surtout pas survendre la chose. Entendons-nous bien : par "petit chef d'œuvre", j'entends ici un "petit bijou", un trésor fragile rapporté de mes pérégrinations et objet de sentiments tout à fait personnels tel un coquillage trouvé sur la plage, une plume ramassée au détour d'une balade, un caillou de poucet aux couleurs irisées... Tous ces bidules appelés à rejoindre la boite aux secrets planquée derrière les rayonnages de la bibliothèques. Voilà ! une rainette en automne, c'est tout à fait ça !
Ce livre magnifique fait partie de la sélection pour Angoulême. Restons toutefois réalistes : ce ne sera pas le futur Fauve d'Or. Ce n'est pas suffisamment Grand Public. Elle recevra peut-être une distinction, ce qui serait bien entendu une juste reconnaissance, mais franchement, à la lecture, on est loin, bien loin de toutes ces considérations. La rainette n'est pas une bête de course. C'est une BD qui se savoure dans la solitude et le calme. Et c'est très bien ainsi !
J’avais lu le roman de Queneau il y a pas mal d’années et j’avais beaucoup aimé son humour décalé et caustique qu’on retrouve aussi dans certains autres livres de cet auteur. L’album de Clément Oubrerie est globalement fidèle au roman. Il en a capté toute l’originalité et tout l’humour parfois drôle, souvent acide. J’ai pris un vrai plaisir à relire « Zazie dans le métro » version BD. Zazie est exaspérante à souhait. Elle dit tout ce qu’elle pense, elle est sans filtre, et balance tout haut ce que beaucoup d’adultes pensent tout bas. C’est une jolie histoire qui aborde pas mal de sujets sérieux : l’hypocrisie des adultes, le tourisme de masse, l’amour parental, l’homosexualité... C’est cru. C’est brut. C’est drôle. Et ça met parfois mal à l’aise. Le dessin de Clément Oubrerie est très beau, nerveux et plein d’énergie comme Zazie. Les couleurs sont très réussies, parfaitement adaptées aux différentes situations et créent une belle ambiance. Un week end initiatique pour Zazie qui en sortira grandie.
J'ai découvert Fabien Nury avec le premier diptyque de cette saga, mais j'ai attendu tout ce temps pour lire le deuxième diptyqe. Et BORDEL, QU'EST-CE QUE C'EST BON !!!
Avec cette saga, Nury m'a totalement embarqué. J'aime beaucoup les récits d'espionnages, mais je suis toujours anxieux quand j'en découvre un, car il est très facile de s'y perdre et de faire n'importe quoi, quand on essaye d'en concevoir un. Or, ici, Fabien Nury réussit le prodige d'échapper à tous les écueils du genre, un par un !
Oui, le récit de Silas Corey est très dense, il articule une intrigue de complot entre au moins 3 camps et plusieurs électrons libres entre ces derniers. C'est dire qu'il serait facile de s'y égarer, et pourtant, le scénario reste d'une belle limpidité. On arrive franchement bien à suivre chacun des personnages (même si, dans l'action, le dessin est parfois un peu confus), tout d'abord grâce à une écriture très rigoureuse. Ils sont dotés d'une vraie personnalité, d'un caractère bien pensé et pas du tout simpliste, et on s'y attache facilement, tant à ceux dont on épouse les convictions qu'aux autres. Bref, beaucoup d'épaisseur et de nuances dans l'écriture des personnages, et ça suffit déjà à faire sortir Silas Corey du lot.
Le scénario lui-même est assez complexe. Sans révéler les enjeux du premier diptyque, j'ai adoré le MacGuffin et ses implications, qui donnent un éclairage aussi nouveau que grave (quoiqu'historiquement un peu fantaisiste, bien sûr) sur la période de la Première Guerre mondiale en France. Le rapport de force entre les différents camps est parfaitement construit par un Fabien Nury dont on imagine à grand-peine les nuits d'angoisse que cela a dû lui donner. Vraiment, chaque péripétie est réfléchie, et s'intègre merveilleusement à un ensemble bâti sur des dialogues minutieusement écrits.
Enfin, l'équilibre entre les scènes de dialogue et les scènes d'action est excellent. Il y a là un rythme fou, ni trop rapide ni trop lent, qui nous embarque de la première à la dernière page du dyptique.
Mais si, déjà, Le Réseau Aquila est une merveille, alors que dire du Testament Zarkoff ? Les tomes 3 et 4 ne sont pas loin de former ce que Fabien Nury a fait de mieux dans sa (riche) carrière. Là où on avait un ton sombre mais encore éclairé par quelques pointes d'humour et une ironie salvatrice (certes ambiguë) dans les deux premiers tomes, Le Testament Zarkoff délaisse totalement les piques humoristiques et renforce l'ironie. Seulement, cette ironie n'est plus drôle, mais alors plus du tout. Au contraire, Nury la manie comme une arme terrible. Elle devient froide, cruelle, et nous fait entrer de plain-pied dans le registre du tragique. Le Réseau Aquila était un récit d'espionnage ; Le Testament Zarkoff est une tragédie, dans le sens le plus pur du mot.
Plus encore que dans les deux premiers volets, Fabien Nury nous y promène à travers les pages de l'Histoire, et peut-être bien les plus sinistres... Il m'a fait découvrir un paquet d'éléments que j'ignorais (je ne crois pas avoir déjà entendu parler de cette Société Thulé, bien réelle, et de ce triste sire de Rudolf von Sebonttendorf, lui aussi tout-à-fait historique), et remonte aux racines d'événements bien trop connus du public pour nous montrer comment ils ont pu se développer. Le ton est d'une noirceur impressionnante, rien ne vient éclairer les rouages de cette machine infernale, qui broie l'humain pour faire émerger l'horreur, juste l'horreur. Le Testament Zarkoff déploie alors un pessimisme sans bornes, sans jamais se priver de ses spectaculaires scènes d'action, touchant un équilibre presque parfait. Rarement une bande dessinée m'aura fait tel effet, il vaut mieux ne pas être dépressif en l'ouvrant !
L'autre grande merveille de cette bande dessinée, c'est le dessin de Pierre Alary. En termes d'équilibre, il atteint lui aussi des sommets ! Expressif et élégant, le trait d'Alary est celui du juste milieu. Pas trop réaliste, mais pas trop stylisé non plus, il crée une atmosphère excellente, qui fonctionne aussi bien pour les quelques traits d'humour que pour les scènes plus sombres, pour les scènes de dialogue et pour les scènes d'action. Si je faisais la fine bouche, toutefois, je dois dire qu'à certains moments, le dessin rend l'action plus confuse, notamment à cause d'une succession de cases en trop gros plans pour bien comprendre ce qu'il s'y passe. Mais ça reste un détail.
Peut-être que certains pourraient trouver que tout cela est trop classique (mais vues les notes sur cette série, visiblement, ça n'a pas trop été le cas), mais si le classicisme est effectivement bien présent, il l'est pour le mieux. Nury et Alary nous livrent ainsi un récit d'espionnage et d'aventures parfaitement ficelé autour de tous les éléments caractéristiques du genre. Les amateurs ne se sentiront pas perdus et pourtant, cela n'exclut pas toute surprise du récit.
Bref, vraiment, j'ai beau chercher rien à redire. J'adore.
Excellent !
D'habitude je préfère la lecture sur papier mais pour celui-ci j'ai eu la chance de pouvoir le lire sur un grand écran et ce fut une agréable surprise ! Les cases sont très grandes, ce sont des petits chefs d'oeuvres chacune. J'ai eu l'impression de voir un film.
Si je ne mets pas 5/5 c'est parce que malgré un scénario très bien maîtrisé, le scénario dans sa globalité n'apporte rien de nouveau pour quelqu'un qui a l'habitude de lire ou voir des films sur ce thème, les moments choc de la lecture sont assez prévisibles.
Mais ça n'empêche pas de passer un très bon moment et de passer par pleins d'émotions !
Hoka hey !
J'ai mis un long moment avant de lire cet album dont le grand public disait pourtant beaucoup de bien car je craignais d'y lire une histoire trop manichéenne, un pamphlet féministe trop basique et convenu pour un lecteur comme moi, pourtant profondément féministe. Quelle ne fut pas mon agréable surprise d'y découvrir un scénario bien plus intelligent, ouvert et subtil que je le craignais.
Point de manichéisme dans cette fable sociale transposée à l'Italie du Quattrocento. D'emblée, la condition féminine y est présentée dans toute sa partialité, les femmes ne servant que d'épouses dociles et de mères porteuses à des hommes qui sont les véritables seigneurs et maîtres de la cité. Mais c'est pour très rapidement montrer que cette structure sociétale est le fait aussi bien des hommes que des femmes, et que tant chez les uns que chez les autres on peut en trouver des stupidement réactionnaires et d'autres bien plus ouverts d'esprit. Pas de critique basique du joug de l'homme sur la femme, plus un appel à l'ouverture et à montrer que des solutions sont possibles.
J'ai trouvé l'intrigue très bien racontée, bien rythmée, jamais trop évidente et toujours très intelligente. La critique sociale est bien là mais jamais péremptoire ni moralisatrice. Et en parallèle, il y a une vraie intrigue prenante, avec une bonne dose de fantastique mais aussi de sentiments, quelques bonnes péripéties avec de bonnes résolutions, et une fin très satisfaisante.
Excellent album !
Franchement cette histoire en 4 tomes ( vivement la sortie du 4ème) vaut le déplacement. Les dessins sont magnifiques, vraiment plaisant à voir. L'histoire "fiction" dans l'histoire et le contexte réel de l'époque est bien ficelé. J'ai eu du mal à lâcher les deux premiers tomes. Il faut que je mette la main sur le 3ème. Les sauts dans le temps entre passé et présent donnent deux histoires en une qui se rejoignent, l'intrigue, les surprises font que cette histoire est très agréable et donne envie d'arriver au bout. Mais ceci n'est que mon avis.
Une bd atypique.
Atypique dans son format XXL.
Atypique dans sa narration.
Atypique dans son graphisme.
Un récit où vient se mélanger espionnage et une pointe de science fiction, une recette qui entraîne le lecteur dans une savoureuse dégustation.
Les deux blocs de la guerre froide vont se servir de notre anti-héros, Adam Clarks, pour des raisons bien différentes et celui-ci va devoir jongler pour tirer son épingle du jeu.
Je disais donc une narration atypique puisque la voix off d'un conteur sera omniprésente tout le long du récit et surtout, elle sera jusqu'à être représentée physiquement.
Une intrigue bien ficelée qui peut se situer dans les années 60/70 mais avec une touche d'uchronie, les voitures volent.
J'ai été séduit par l'univers décalé que Régis Hautière a su créer.
Atypique aussi avec ce graphisme que je considère comme "rétro", mais dans le bon sens du terme. Un trait anguleux, expressif et une colorisation assez sombre, avec une palette de couleurs minimalistes, qui plongent directement le lecteur dans cette période de guerre froide.
On a droit à une bande verticale (côté extérieur), sur chacune des planches, elle est dessinée et fait ressentir l'ambiance suivant l'avancée de l'histoire.
Du beau travail.
Une bb originale dont je conseille la lecture et plus si affinités.
Boca Nueva est une énième BD mettant en scène des animaux anthropomorphiques dans un monde imaginaire.
Les héros principaux sont deux policiers : un bleu qui vient de rejoindre les forces, naïf et incompétent (choisi par un chef corrompu pour cette raison) et un briscard qui vient de perdre son coéquipier dans des circonstances tragiques.
On comprend très rapidement que tout trouve son origine dans un complot qui se dévoile petit à petit au fil des pages.
Autant le dire tout de suite, c'est très bien, il y a certes quelques longueurs et quelques éléments étranges (le flic vétéran est hanté par le spectre de son ex-partenaire sans que l'on comprenne à quoi servent les scènes), mais globalement c'est un réussite : les personnages sont bien posés et creusés, parfois même haut en couleur, l'intrigue est très bien écrite et l'univers est vivant, voire crédible. Il y a également des touches d'humour assez fantasmagoriques qui sortent tout à coup juste après des scènes très sombres et sinistres, apportant un contrepoids bienvenu. Bref c'est globalement une réussite, j'espère juste que la conclusion n'est qu'une annonce à une suite et non pas un trait final.
A la base, cette oeuvre est une trilogie : le premier tome est sorti en Janvier 2016, le second en Janvier2018, et le troisième mi- 2022... sous forme d'intégrale. Vous voilà prévenus, n'achetez surtout pas les deux premiers tomes isolément.
Petit coup de cœur pour cet album dont j’ai aimé la simplicité de ton et le dessin.
Dans Mon voisin Raymond, Troubs nous parle de (suspense) son voisin qui s’appelle (roulement de tambour) Raymond. Un voisin âgé de plus de 80 ans mais toujours actif, propriétaire d’une petite ferme à la campagne, dans laquelle il vit et qu’il entretient aussi bien que ses capacités physiques le lui permettent. Préparer le potager, couper du bois, faire des réserves, autant de tâches simples à effectuer au quotidien mais qui se compliquent avec l’âge.
L’auteur passe régulièrement voir ce voisin, tantôt à sa demande, tantôt juste comme ça, pour le plaisir autant que pour vérifier que tout va bien. Raymond est vieux et radote un peu mais garde toute sa vivacité d’esprit, invite Troubs à rester manger ou à prendre l’apéritif ou à boire un café. Au détour d’une balade dans les bois, ils se croisent et échangent sur la cueillette des champignons (Raymond connait manifestement les meilleurs coins). Ainsi, c’est la vie à la campagne telle que vécue par nos ainés qui nous est décrite, dans sa simplicité, la répétition des tâches, la connaissance de la nature, les craintes au sujet de la météo, de la santé qui décline (pas pour soi mais pour son entourage). Les loisirs sont peu chronophages, la télévision tient lieu de compagnie à défaut de mieux… J’ai trouvé ce tableau très juste et très touchant, sans doute parce qu’il trouve un écho dans mon propre entourage. J’ai senti l’affection qu’avait l’auteur pour son voisin, le respect des connaissances empiriques de celui-ci, l’envie d’aider sans s’imposer, une forme de solidarité sans doute incompréhensible pour un citadin mais indispensable à la campagne.
Le découpage prend la forme d’un calendrier, chaque chapitre étant consacré à un événement survenu durant un mois, de janvier à décembre. De la sorte, c’est une année entière qui coule sous nos yeux, avec ses particularités saisonnières : la réserve de bois qui s’épuise plus vite que l’hiver, le potager à préparer, les champignons à aller ramasser quand ils sont là (parce que 15 jours plus tard, ce serait trop tard et ce serait bête de gâcher), les conserves à préparer (on ne va quand même pas perdre toutes ces prunes). A nouveau, ce lien avec la nature, avec les saisons, cette force de travail née de la nécessité de faire les choses quand elles doivent être faites (car la nature n'attend pas) m’ont ému mais ils risquent de ne pas parler à tous les lecteurs. C’est le rythme simple mais inaltérable de la vie, de la nature, avec ses priorités, ses échéances à ne pas laisser passer car on ne les retrouvera que dans un an.
Le dessin est doux et laisse la place plus souvent qu’à son tour à des cases contemplatives. Troubs décrit également avec soin l’environnement de Raymond, dont la demeure est devenue de plus en plus isolée au fil du temps. Les personnages sont expressifs, les décors sont simples mais soignés. La colorisation apporte encore un peu plus de douceur à ce tableau.
En résumé, je peux dire que j’ai beaucoup aimé. Troubs a réussi à me faire partager sa relation, mélange d’amitié, de respect envers les ainés et de solidarité qui le lie à Raymond. Pour moi, c’est un bel album, cohérent dans sa simplicité, touchant dans son humanité.
Les urnes sont closes, et alors qu’on distribue déjà les récompenses, on a oublié qu’on continue pourtant de sortir des albums même à la toute fin de l’année. Et c’est fin novembre, dans la dernière ligne droite, qu’est donc parue celui que je considère comme l’ovni de l’année 2022. Assurément, tout est réussi dans cette bd. Analyse :
Pour commencer, matez un peu la qualité du bouzin, le contenu est certes plus important que le contenant, mais déjà l’aspect de l’objet tout en dorure avec un style d’illustration très XIXème siècle fait qu’on est déjà content rien que de le tenir en main. C’est du beau bouquin rendant hommage à l’époque dans laquelle s’ancre l’histoire. Le découpage des chapitres avec pareil cette mise en page style imprimerie d’incunables est franchement agréable à l’œil et renforce l’immersion.
Plus concrètement maintenant, je crois que les auteurs sont au top et au sommet de leur art. C’est le même duo ayant officié sur Le Troisième Testament – Julius, quoique il me semble que Dorison s’était mis un peu en retrait du scénario pour Alex Alice mais bref, moi j’ai senti une maturité qui se dégageait de leur travail respectif. Vous vous souvenez du tome 2 de Long John Silver avec cette tension permanente entre les membres d’équipage, entre les marins d’un côté et les officiers de l’autre qui ont tout pouvoir ?… Dorison joue dans un registre qu’il a déjà arpenté mais ici c’est beaucoup plus âpre, viscéral, tendu. Le voyage n’a rien d’une sinécure, c’est une mission suicide le long du Styx, ça sent la sueur, la merde et le sang, vraiment les personnages vivent un enfer. Tu sens que quand ça va péter, ça va dézinguer et suriner à tout va. Le nombre de pages bien plus conséquent aide pas mal à mettre en place cette montée de la violence c’est vrai, toujours est-il que l’orage gronde, ça marche du tonnerre. On sent que Dorison a de la bouteille désormais, puisqu’il reprend ses thématiques chères aperçues dans Human Stock Exchange par exemple, où les grandes corporations (ici la Compagnie des Indes Orientales, plus puissantes que les États) édictent leurs propres lois, y compris sur les individus, lesquels à l’état naturel ne sont pas spécialement bons pour autant entre eux. « L’homme est un loup pour l’homme » disait Hobbes, les naufragés du Batavia en ont fait la regrettable expérience…
Quant à Thim Montaigne, faut-il encore le présenter ? Si on est amateur d’encrage puissant façon Lauffray (Montaigne est suffisamment talentueux pour se faire un nom tout seul mais citer Lauffray je sais que ça parle direct niveau style), on est à bonne adresse. C’est très expressif et on en prend plein la longue-vue. Apparemment ce n’est pas lui aux couleurs, donc chapeau bas à Clara Tessier, c’est magnifique. Bon et puis hein, puisque je suis en plein cirage de pompe, bravo à tous ceux qui ont bossé de près ou de loin sur cet album.
Ça c’est de la bd, là je suis content de dépenser mes florins !
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Une rainette en automne (et plus encore...)
Il faut saluer ici le travail d'édition remarquable des Editions de la Cerise. Cette petite BD au format italien et dos toilé est déjà très engageante. L'objet annonce la couleur (si je puis dire) : le lecteur sera immergé dans une ambiance des plus japonisantes. Et puis en feuilletant, on découvre le dessin absolument délicieux de Linnea Sterte, et là, c'est mon cœur qui fond. Après m'être renseigné sur l'autrice, je réalise qu'il y a quelques années, j'avais vu passer sa bande-dessinée précédente intitulée In-Humus qui n'avait alors pas plus retenu mon attention que cela. Il faut dire que son dessin a évolué, et moi aussi. Mais revenons à notre petite rainette. Graphiquement, c'est un pur coup de cœur. J'adore ce trait fin et ciselé, cette science du détail qui permet de déceler des raffinements jusque dans les fonds obscurs représentant des scènes nocturnes. J'aime le choix de ce monochrome bleuté qui redonne toute sa dimension au dessin. Je suis admiratif de cette ligne minimale qui souligne un relief, ouvrant la page sur l'immensité du paysage, et aère la tête ! On songe à ces dessins pariétaux où un trait unique évoque à la perfection et de manière évidente la silhouette d'un mammouth. Et bien entendu, on songe également aux maîtres du manga, les Tsuge, Mizuki et Cie... Il y a d'ailleurs dans cette histoire la même poésie. Tout est léger comme les flocons qui viendront conclure de manière ouverte cette histoire feutrée. En outre, il flotte dans l'air un humour tendre. L'histoire tient sur un confetti, et le résumé que l'on trouve un peu partout sur le net se suffit à lui-même. C'est un petit conte initiatique, genre malheureusement tombé un peu en désuétude. Mais ces histoires de trois fois rien (que j'affectionne tant) racontent souvent beaucoup. C'est par le peu qu'elles nourrissent l'esprit, avec une économie empruntée à l'art japonais. C'est le cas ici. Sans s'attarder, on y rencontre des esprits : celui d'un jeune arbre tordu sous les traits d'une petite fille en kimono, celui d'un vieil arbre dépeint comme un étrange humanoïde non genré, et bien sûr celui de la fleur de shungiku capturé par les crapauds (cf. résumé) que le lecteur ne verra d'ailleurs jamais. On rencontre des chiens, des chats, des souris, mais nul conflit. Tout ce petit monde cohabite le plus naturellement du monde, les chats conseillant par exemple à nos crapauds en vadrouille une excellente auberge tenue par la même famille de souris depuis 58 générations... Cette aventure à l'échelle de rainette et pleine de poésie m'a totalement conquis. Je suis à deux doigts de penser qu'on tient là un petit chef d'œuvre. Mais je ne voudrais surtout pas survendre la chose. Entendons-nous bien : par "petit chef d'œuvre", j'entends ici un "petit bijou", un trésor fragile rapporté de mes pérégrinations et objet de sentiments tout à fait personnels tel un coquillage trouvé sur la plage, une plume ramassée au détour d'une balade, un caillou de poucet aux couleurs irisées... Tous ces bidules appelés à rejoindre la boite aux secrets planquée derrière les rayonnages de la bibliothèques. Voilà ! une rainette en automne, c'est tout à fait ça ! Ce livre magnifique fait partie de la sélection pour Angoulême. Restons toutefois réalistes : ce ne sera pas le futur Fauve d'Or. Ce n'est pas suffisamment Grand Public. Elle recevra peut-être une distinction, ce qui serait bien entendu une juste reconnaissance, mais franchement, à la lecture, on est loin, bien loin de toutes ces considérations. La rainette n'est pas une bête de course. C'est une BD qui se savoure dans la solitude et le calme. Et c'est très bien ainsi !
Zazie dans le métro
J’avais lu le roman de Queneau il y a pas mal d’années et j’avais beaucoup aimé son humour décalé et caustique qu’on retrouve aussi dans certains autres livres de cet auteur. L’album de Clément Oubrerie est globalement fidèle au roman. Il en a capté toute l’originalité et tout l’humour parfois drôle, souvent acide. J’ai pris un vrai plaisir à relire « Zazie dans le métro » version BD. Zazie est exaspérante à souhait. Elle dit tout ce qu’elle pense, elle est sans filtre, et balance tout haut ce que beaucoup d’adultes pensent tout bas. C’est une jolie histoire qui aborde pas mal de sujets sérieux : l’hypocrisie des adultes, le tourisme de masse, l’amour parental, l’homosexualité... C’est cru. C’est brut. C’est drôle. Et ça met parfois mal à l’aise. Le dessin de Clément Oubrerie est très beau, nerveux et plein d’énergie comme Zazie. Les couleurs sont très réussies, parfaitement adaptées aux différentes situations et créent une belle ambiance. Un week end initiatique pour Zazie qui en sortira grandie.
Silas Corey
J'ai découvert Fabien Nury avec le premier diptyque de cette saga, mais j'ai attendu tout ce temps pour lire le deuxième diptyqe. Et BORDEL, QU'EST-CE QUE C'EST BON !!! Avec cette saga, Nury m'a totalement embarqué. J'aime beaucoup les récits d'espionnages, mais je suis toujours anxieux quand j'en découvre un, car il est très facile de s'y perdre et de faire n'importe quoi, quand on essaye d'en concevoir un. Or, ici, Fabien Nury réussit le prodige d'échapper à tous les écueils du genre, un par un ! Oui, le récit de Silas Corey est très dense, il articule une intrigue de complot entre au moins 3 camps et plusieurs électrons libres entre ces derniers. C'est dire qu'il serait facile de s'y égarer, et pourtant, le scénario reste d'une belle limpidité. On arrive franchement bien à suivre chacun des personnages (même si, dans l'action, le dessin est parfois un peu confus), tout d'abord grâce à une écriture très rigoureuse. Ils sont dotés d'une vraie personnalité, d'un caractère bien pensé et pas du tout simpliste, et on s'y attache facilement, tant à ceux dont on épouse les convictions qu'aux autres. Bref, beaucoup d'épaisseur et de nuances dans l'écriture des personnages, et ça suffit déjà à faire sortir Silas Corey du lot. Le scénario lui-même est assez complexe. Sans révéler les enjeux du premier diptyque, j'ai adoré le MacGuffin et ses implications, qui donnent un éclairage aussi nouveau que grave (quoiqu'historiquement un peu fantaisiste, bien sûr) sur la période de la Première Guerre mondiale en France. Le rapport de force entre les différents camps est parfaitement construit par un Fabien Nury dont on imagine à grand-peine les nuits d'angoisse que cela a dû lui donner. Vraiment, chaque péripétie est réfléchie, et s'intègre merveilleusement à un ensemble bâti sur des dialogues minutieusement écrits. Enfin, l'équilibre entre les scènes de dialogue et les scènes d'action est excellent. Il y a là un rythme fou, ni trop rapide ni trop lent, qui nous embarque de la première à la dernière page du dyptique. Mais si, déjà, Le Réseau Aquila est une merveille, alors que dire du Testament Zarkoff ? Les tomes 3 et 4 ne sont pas loin de former ce que Fabien Nury a fait de mieux dans sa (riche) carrière. Là où on avait un ton sombre mais encore éclairé par quelques pointes d'humour et une ironie salvatrice (certes ambiguë) dans les deux premiers tomes, Le Testament Zarkoff délaisse totalement les piques humoristiques et renforce l'ironie. Seulement, cette ironie n'est plus drôle, mais alors plus du tout. Au contraire, Nury la manie comme une arme terrible. Elle devient froide, cruelle, et nous fait entrer de plain-pied dans le registre du tragique. Le Réseau Aquila était un récit d'espionnage ; Le Testament Zarkoff est une tragédie, dans le sens le plus pur du mot. Plus encore que dans les deux premiers volets, Fabien Nury nous y promène à travers les pages de l'Histoire, et peut-être bien les plus sinistres... Il m'a fait découvrir un paquet d'éléments que j'ignorais (je ne crois pas avoir déjà entendu parler de cette Société Thulé, bien réelle, et de ce triste sire de Rudolf von Sebonttendorf, lui aussi tout-à-fait historique), et remonte aux racines d'événements bien trop connus du public pour nous montrer comment ils ont pu se développer. Le ton est d'une noirceur impressionnante, rien ne vient éclairer les rouages de cette machine infernale, qui broie l'humain pour faire émerger l'horreur, juste l'horreur. Le Testament Zarkoff déploie alors un pessimisme sans bornes, sans jamais se priver de ses spectaculaires scènes d'action, touchant un équilibre presque parfait. Rarement une bande dessinée m'aura fait tel effet, il vaut mieux ne pas être dépressif en l'ouvrant ! L'autre grande merveille de cette bande dessinée, c'est le dessin de Pierre Alary. En termes d'équilibre, il atteint lui aussi des sommets ! Expressif et élégant, le trait d'Alary est celui du juste milieu. Pas trop réaliste, mais pas trop stylisé non plus, il crée une atmosphère excellente, qui fonctionne aussi bien pour les quelques traits d'humour que pour les scènes plus sombres, pour les scènes de dialogue et pour les scènes d'action. Si je faisais la fine bouche, toutefois, je dois dire qu'à certains moments, le dessin rend l'action plus confuse, notamment à cause d'une succession de cases en trop gros plans pour bien comprendre ce qu'il s'y passe. Mais ça reste un détail. Peut-être que certains pourraient trouver que tout cela est trop classique (mais vues les notes sur cette série, visiblement, ça n'a pas trop été le cas), mais si le classicisme est effectivement bien présent, il l'est pour le mieux. Nury et Alary nous livrent ainsi un récit d'espionnage et d'aventures parfaitement ficelé autour de tous les éléments caractéristiques du genre. Les amateurs ne se sentiront pas perdus et pourtant, cela n'exclut pas toute surprise du récit. Bref, vraiment, j'ai beau chercher rien à redire. J'adore.
Hoka Hey !
Excellent ! D'habitude je préfère la lecture sur papier mais pour celui-ci j'ai eu la chance de pouvoir le lire sur un grand écran et ce fut une agréable surprise ! Les cases sont très grandes, ce sont des petits chefs d'oeuvres chacune. J'ai eu l'impression de voir un film. Si je ne mets pas 5/5 c'est parce que malgré un scénario très bien maîtrisé, le scénario dans sa globalité n'apporte rien de nouveau pour quelqu'un qui a l'habitude de lire ou voir des films sur ce thème, les moments choc de la lecture sont assez prévisibles. Mais ça n'empêche pas de passer un très bon moment et de passer par pleins d'émotions ! Hoka hey !
Peau d'Homme
J'ai mis un long moment avant de lire cet album dont le grand public disait pourtant beaucoup de bien car je craignais d'y lire une histoire trop manichéenne, un pamphlet féministe trop basique et convenu pour un lecteur comme moi, pourtant profondément féministe. Quelle ne fut pas mon agréable surprise d'y découvrir un scénario bien plus intelligent, ouvert et subtil que je le craignais. Point de manichéisme dans cette fable sociale transposée à l'Italie du Quattrocento. D'emblée, la condition féminine y est présentée dans toute sa partialité, les femmes ne servant que d'épouses dociles et de mères porteuses à des hommes qui sont les véritables seigneurs et maîtres de la cité. Mais c'est pour très rapidement montrer que cette structure sociétale est le fait aussi bien des hommes que des femmes, et que tant chez les uns que chez les autres on peut en trouver des stupidement réactionnaires et d'autres bien plus ouverts d'esprit. Pas de critique basique du joug de l'homme sur la femme, plus un appel à l'ouverture et à montrer que des solutions sont possibles. J'ai trouvé l'intrigue très bien racontée, bien rythmée, jamais trop évidente et toujours très intelligente. La critique sociale est bien là mais jamais péremptoire ni moralisatrice. Et en parallèle, il y a une vraie intrigue prenante, avec une bonne dose de fantastique mais aussi de sentiments, quelques bonnes péripéties avec de bonnes résolutions, et une fin très satisfaisante. Excellent album !
Black Squaw
Franchement cette histoire en 4 tomes ( vivement la sortie du 4ème) vaut le déplacement. Les dessins sont magnifiques, vraiment plaisant à voir. L'histoire "fiction" dans l'histoire et le contexte réel de l'époque est bien ficelé. J'ai eu du mal à lâcher les deux premiers tomes. Il faut que je mette la main sur le 3ème. Les sauts dans le temps entre passé et présent donnent deux histoires en une qui se rejoignent, l'intrigue, les surprises font que cette histoire est très agréable et donne envie d'arriver au bout. Mais ceci n'est que mon avis.
Adam Clarks
Une bd atypique. Atypique dans son format XXL. Atypique dans sa narration. Atypique dans son graphisme. Un récit où vient se mélanger espionnage et une pointe de science fiction, une recette qui entraîne le lecteur dans une savoureuse dégustation. Les deux blocs de la guerre froide vont se servir de notre anti-héros, Adam Clarks, pour des raisons bien différentes et celui-ci va devoir jongler pour tirer son épingle du jeu. Je disais donc une narration atypique puisque la voix off d'un conteur sera omniprésente tout le long du récit et surtout, elle sera jusqu'à être représentée physiquement. Une intrigue bien ficelée qui peut se situer dans les années 60/70 mais avec une touche d'uchronie, les voitures volent. J'ai été séduit par l'univers décalé que Régis Hautière a su créer. Atypique aussi avec ce graphisme que je considère comme "rétro", mais dans le bon sens du terme. Un trait anguleux, expressif et une colorisation assez sombre, avec une palette de couleurs minimalistes, qui plongent directement le lecteur dans cette période de guerre froide. On a droit à une bande verticale (côté extérieur), sur chacune des planches, elle est dessinée et fait ressentir l'ambiance suivant l'avancée de l'histoire. Du beau travail. Une bb originale dont je conseille la lecture et plus si affinités.
Boca Nueva
Boca Nueva est une énième BD mettant en scène des animaux anthropomorphiques dans un monde imaginaire. Les héros principaux sont deux policiers : un bleu qui vient de rejoindre les forces, naïf et incompétent (choisi par un chef corrompu pour cette raison) et un briscard qui vient de perdre son coéquipier dans des circonstances tragiques. On comprend très rapidement que tout trouve son origine dans un complot qui se dévoile petit à petit au fil des pages. Autant le dire tout de suite, c'est très bien, il y a certes quelques longueurs et quelques éléments étranges (le flic vétéran est hanté par le spectre de son ex-partenaire sans que l'on comprenne à quoi servent les scènes), mais globalement c'est un réussite : les personnages sont bien posés et creusés, parfois même haut en couleur, l'intrigue est très bien écrite et l'univers est vivant, voire crédible. Il y a également des touches d'humour assez fantasmagoriques qui sortent tout à coup juste après des scènes très sombres et sinistres, apportant un contrepoids bienvenu. Bref c'est globalement une réussite, j'espère juste que la conclusion n'est qu'une annonce à une suite et non pas un trait final. A la base, cette oeuvre est une trilogie : le premier tome est sorti en Janvier 2016, le second en Janvier2018, et le troisième mi- 2022... sous forme d'intégrale. Vous voilà prévenus, n'achetez surtout pas les deux premiers tomes isolément.
Mon voisin Raymond
Petit coup de cœur pour cet album dont j’ai aimé la simplicité de ton et le dessin. Dans Mon voisin Raymond, Troubs nous parle de (suspense) son voisin qui s’appelle (roulement de tambour) Raymond. Un voisin âgé de plus de 80 ans mais toujours actif, propriétaire d’une petite ferme à la campagne, dans laquelle il vit et qu’il entretient aussi bien que ses capacités physiques le lui permettent. Préparer le potager, couper du bois, faire des réserves, autant de tâches simples à effectuer au quotidien mais qui se compliquent avec l’âge. L’auteur passe régulièrement voir ce voisin, tantôt à sa demande, tantôt juste comme ça, pour le plaisir autant que pour vérifier que tout va bien. Raymond est vieux et radote un peu mais garde toute sa vivacité d’esprit, invite Troubs à rester manger ou à prendre l’apéritif ou à boire un café. Au détour d’une balade dans les bois, ils se croisent et échangent sur la cueillette des champignons (Raymond connait manifestement les meilleurs coins). Ainsi, c’est la vie à la campagne telle que vécue par nos ainés qui nous est décrite, dans sa simplicité, la répétition des tâches, la connaissance de la nature, les craintes au sujet de la météo, de la santé qui décline (pas pour soi mais pour son entourage). Les loisirs sont peu chronophages, la télévision tient lieu de compagnie à défaut de mieux… J’ai trouvé ce tableau très juste et très touchant, sans doute parce qu’il trouve un écho dans mon propre entourage. J’ai senti l’affection qu’avait l’auteur pour son voisin, le respect des connaissances empiriques de celui-ci, l’envie d’aider sans s’imposer, une forme de solidarité sans doute incompréhensible pour un citadin mais indispensable à la campagne. Le découpage prend la forme d’un calendrier, chaque chapitre étant consacré à un événement survenu durant un mois, de janvier à décembre. De la sorte, c’est une année entière qui coule sous nos yeux, avec ses particularités saisonnières : la réserve de bois qui s’épuise plus vite que l’hiver, le potager à préparer, les champignons à aller ramasser quand ils sont là (parce que 15 jours plus tard, ce serait trop tard et ce serait bête de gâcher), les conserves à préparer (on ne va quand même pas perdre toutes ces prunes). A nouveau, ce lien avec la nature, avec les saisons, cette force de travail née de la nécessité de faire les choses quand elles doivent être faites (car la nature n'attend pas) m’ont ému mais ils risquent de ne pas parler à tous les lecteurs. C’est le rythme simple mais inaltérable de la vie, de la nature, avec ses priorités, ses échéances à ne pas laisser passer car on ne les retrouvera que dans un an. Le dessin est doux et laisse la place plus souvent qu’à son tour à des cases contemplatives. Troubs décrit également avec soin l’environnement de Raymond, dont la demeure est devenue de plus en plus isolée au fil du temps. Les personnages sont expressifs, les décors sont simples mais soignés. La colorisation apporte encore un peu plus de douceur à ce tableau. En résumé, je peux dire que j’ai beaucoup aimé. Troubs a réussi à me faire partager sa relation, mélange d’amitié, de respect envers les ainés et de solidarité qui le lie à Raymond. Pour moi, c’est un bel album, cohérent dans sa simplicité, touchant dans son humanité.
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
Les urnes sont closes, et alors qu’on distribue déjà les récompenses, on a oublié qu’on continue pourtant de sortir des albums même à la toute fin de l’année. Et c’est fin novembre, dans la dernière ligne droite, qu’est donc parue celui que je considère comme l’ovni de l’année 2022. Assurément, tout est réussi dans cette bd. Analyse : Pour commencer, matez un peu la qualité du bouzin, le contenu est certes plus important que le contenant, mais déjà l’aspect de l’objet tout en dorure avec un style d’illustration très XIXème siècle fait qu’on est déjà content rien que de le tenir en main. C’est du beau bouquin rendant hommage à l’époque dans laquelle s’ancre l’histoire. Le découpage des chapitres avec pareil cette mise en page style imprimerie d’incunables est franchement agréable à l’œil et renforce l’immersion. Plus concrètement maintenant, je crois que les auteurs sont au top et au sommet de leur art. C’est le même duo ayant officié sur Le Troisième Testament – Julius, quoique il me semble que Dorison s’était mis un peu en retrait du scénario pour Alex Alice mais bref, moi j’ai senti une maturité qui se dégageait de leur travail respectif. Vous vous souvenez du tome 2 de Long John Silver avec cette tension permanente entre les membres d’équipage, entre les marins d’un côté et les officiers de l’autre qui ont tout pouvoir ?… Dorison joue dans un registre qu’il a déjà arpenté mais ici c’est beaucoup plus âpre, viscéral, tendu. Le voyage n’a rien d’une sinécure, c’est une mission suicide le long du Styx, ça sent la sueur, la merde et le sang, vraiment les personnages vivent un enfer. Tu sens que quand ça va péter, ça va dézinguer et suriner à tout va. Le nombre de pages bien plus conséquent aide pas mal à mettre en place cette montée de la violence c’est vrai, toujours est-il que l’orage gronde, ça marche du tonnerre. On sent que Dorison a de la bouteille désormais, puisqu’il reprend ses thématiques chères aperçues dans Human Stock Exchange par exemple, où les grandes corporations (ici la Compagnie des Indes Orientales, plus puissantes que les États) édictent leurs propres lois, y compris sur les individus, lesquels à l’état naturel ne sont pas spécialement bons pour autant entre eux. « L’homme est un loup pour l’homme » disait Hobbes, les naufragés du Batavia en ont fait la regrettable expérience… Quant à Thim Montaigne, faut-il encore le présenter ? Si on est amateur d’encrage puissant façon Lauffray (Montaigne est suffisamment talentueux pour se faire un nom tout seul mais citer Lauffray je sais que ça parle direct niveau style), on est à bonne adresse. C’est très expressif et on en prend plein la longue-vue. Apparemment ce n’est pas lui aux couleurs, donc chapeau bas à Clara Tessier, c’est magnifique. Bon et puis hein, puisque je suis en plein cirage de pompe, bravo à tous ceux qui ont bossé de près ou de loin sur cet album. Ça c’est de la bd, là je suis content de dépenser mes florins !