Les derniers avis (39394 avis)

Par Erik
Note: 4/5
Couverture de la série Ossi - Une vie pour le football
Ossi - Une vie pour le football

Voici une bd sur le football un peu particulière car elle nous décrit ce sport durant la période de l’Allemagne nazie. On apprend que cette discipline est née en Grande-Bretagne et qu’elle a été exportée sur le continent par un Allemand convaincu. Il a pris un essor au début du XXème siècle par la création de nombreux clubs dont le célèbre Bayern de Munich. C’est surtout un récit concentré sur un joueur d’exception de cette époque qui a vu sa carrière totalement chamboulée par la guerre. Ossi (de son vrai nom Oskar Rohr) était l’un des plus talentueux et son nom est malheureusement tombé dans l’oubli. Cette œuvre est là pour réparer un préjudice de mémoire. Ce dernier ne s’intéressait guère à la politique. Il était célèbre pour avoir remporté avec son équipe le Bayern de Munich le championnat allemand en 1932. Avec l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933, cela change toutes les données. On ne peut pas dire qu’Ossi était un sympathisant aryen, loin de là. Il va marquer ses distances au point de quitter l’Allemagne en 1934. Il faut dire que le régime nazi privilégie d’autres disciplines comme par exemple l’athlétisme et que le football est considéré comme une importation étrangère malsaine. Il fut alors considéré comme un traitre à la patrie. Un comble. Il a rejoint notamment la ville de Strasbourg au point de l’aimer passionnément. Il se déclarait même Strasbourgeois avant d’être Allemand ou Français. Il avait d’ailleurs fait progresser considérablement le Racing Club de la ville en le menant à la finale en 1937 qui fut malheureusement perdue. Sur 136 matches, on observe 118 buts en championnat. Cet international allemand s'était engagé dans la légion étrangère en 1939 pour combattre les Nazis en 1939-40. Il a été fait prisonnier par les Allemands qui l'enferment dans un camp de concentration près de Karlsruhe, puis l'expédient sur le terrible front russe. Fort heureusement, il en réchappera de façon assez miraculeuse que je ne dévoilerai pas (voir dans la bd). Il jouera encore en Allemagne jusqu’en 1949 avec beaucoup moins de succès. Par la suite, il mettra un terme à sa carrière. Cette bd me rappelle cette histoire des coureurs sur le tour de France durant la période de la Première Guerre Mondiale où la plupart sont malheureusement tombés. Cela rappelle que les guerres peuvent briser notamment des carrières sportives en plus d’entraîner mort et désolation. Ce joueur en d’autres circonstances c’est-à-dire de paix aurait certainement connu une consécration et une reconnaissance mondiales à l’image des plus grands footballeurs de notre temps. Pour ma part, j’ai bien aimé le contenu et la forme m’a paru assez satisfaisante. C’est basé spécifiquement sur le football dans sa première partie et sur des aspects plus contextuels et politiques dans sa seconde partie. Je ne suis pourtant pas un fan de foot mais j’accorde 4 étoiles pour les qualités de cette œuvre sans gros reproches.

12/11/2019 (modifier)
Par Jetjet
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Four color fear
Four color fear

Ce recueil d'histoires horrifiques est le témoignage d'une époque révolue. Bien avant l'arrivée du Comics Code Authority qui allait freiner ce genre de publications, voici 40 histoires conçues de la même façon que celles d'EC Comics et toutes en couleur. Leur particularité ? Celle de n'avoir jamais été publiées en France d'une part et d'être bien moins célèbres. Tirées des périodiques américains des années 50, on passe du mauvais à l'excellence en passant par le très bon. On y retrouve même certains dessinateurs reconnus chez les grosses maisons d'éditions comme Wally Wood ou Joe Kubert. Il y a effectivement de quoi boire et manger mais le résultat éditorial est impressionnant. Il ne s'agit en aucun cas d'un livre qui sera lu rapidement tant son contenu parait exhaustif. Il est également important de souligner que les 4 points de couleurs donnent un cachet séduisant à tous ces récits en plus de l'inspiration du titre de cette grosse anthologie. On y retrouve même des couvertures originales au milieu de l'album sur papier glacé et un dossier des plus intéressants à lire sur la conception de ces histoires à dormir debout qui faisaient le bonheur des gamins de l'époque. S'il est certain que la majorité des récits ne fera pas de l'ombre aux célèbres Tales from the crypt, Four Color Fear est un livre absolument IN-DIS-PEN-SA-BLE pour tous les amateurs du genre mais il semble difficilement trouvable de nos jours. C'est d'autant plus dommage que ces histoires d'outre-tombe ne demandent qu'à être exhumées pour notre plus grand plaisir.

11/11/2019 (modifier)
Par Alix
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Rapport de Brodeck
Le Rapport de Brodeck

Adapter une œuvre d’un medium à un autre est souvent casse-gueule (combien de romans retranscrits en films ou séries télé déçoivent les fans ?). Les adaptations de romans en BD sont courantes (766 séries référencées sur le site au moment où j’écris ces lignes) mais l’exercice est difficile. Manu Larcenet réussit pour moi un sans-faute, et évite les pièges classiques (textes trop abondants et grosses coupures scénaristiques). Le dessin n’est pas « juste » magnifique, avec ce noir et blanc d’une précision remarquable, et ces scènes contemplatives d’une poésie rarement égalée. Non, ce qui est remarquable selon moi dans le dessin, c’est qu’il accomplit parfaitement son rôle dans l’adaptation : il capture le texte original, les descriptions, les émotions, et les retranscrit dans le medium de la BD : le dessin. Les regards et les silences en disent long, les paysages sont un personnage à part entière. Seuls les dialogues factuels ont été conservés, ce qui donne une narration légère et fluide. L’histoire de Philippe Claudel est sombre au possible, et parle de l’âme humaine, de la peur de l’autre, de la lâcheté face au danger… bref, vous voyez le tableau. Je suis ressorti de ma lecture bouleversé. « Le Rapport de Brodeck » est pour moi un diptyque parfait. Je me retrouve complètement incapable de justifier une note autre que 5/5… et je vois que je ne suis pas le seul.

11/11/2019 (modifier)
Couverture de la série Notre Mère la Guerre
Notre Mère la Guerre

J’ai lu les quatre albums de la série – je m’aperçois juste en l’avisant que celle-ci a été complétée par un album « hors-série », que je n’ai donc pas lu. Mais les quatre albums forment une histoire complète (même si un petit doute peut persister à propos de certains points de l’intrigue). Et c’est avec grand plaisir que j’ai dévoré cette histoire. Qui n’est pas qu’une énième histoire de tranchées, sur la première guerre mondiale. En effet, si la boue, la fureur, la folie, la mort, la boucherie et l’horreur sont bien au rendez-vous, la guerre n’est ici parfois qu’un élément du décor. Ou devrais-je plutôt dire un personnage – central sans doute –, mais un personnage parmi d’autres. Car Kris développe au milieu de ce maelström une intrigue policière. Le personnage principal (et narrateur) étant un lieutenant de gendarmerie, enquêtant sur le meurtre de plusieurs femmes. Cela peut paraître incroyable (et d’un humour noir et cynique !) que l’on s’inquiète de la mort violente de 4 personnes, alors même qu’on en massacre des centaines de milliers au même moment et au même endroit, mais c’est hélas tout à fait crédible (voir "L’Obéissance", sur un sujet proche). Si Kris réussit parfaitement à retranscrire l’univers de cette guerre, il le fait tout aussi bien pour ce qui concerne l’enquête. Il sait en particulier très bien jouer de flash-back, pour peaufiner les diverses personnalités, mais aussi les liens qui unissent les divers protagonistes. La lecture est ainsi très fluide, et les rebondissements équilibrés, à la fois surprenants et « naturels ». Mais le succès de cette série est aussi dû au très beau dessin de Maël. Magnifique lorsqu’il s’agit de retranscrire le front et ses horreurs, mais aussi lorsqu’il s’agit de montrer les personnages, leurs émotions. Le seul bémol concerne les visages des femmes (un petit côté Hermann chez lui ?), pas vraiment jolis ! La conclusion est tout à fait raccord avec le fil rouge de ces albums, qui dénoncent l’horreur, mais aussi l’absurdité de cette guerre, en mettant en avant, si ce n’est des « gueules cassées », du moins des êtres brisés, broyés, pour des raisons oubliées, à oublier, des raisons que la raison aurait dû ignorer. A la fin, on peut même se demander si l’enquête véritable ne portait pas sur la guerre elle-même, si Kris ne nous entrainait pas dans la recherche du coupable non pas du meurtre de 4 femmes, mais de celui de 10 millions d’êtres humains ravalés au rang de compost par des Nivelle et autres fiers de comptoir ! Une série à redécouvrir !

11/11/2019 (modifier)
Couverture de la série Qu'importe la mitraille
Qu'importe la mitraille

On peut lire cet album sous plusieurs angles, et y trouver à satisfaire des intérêts assez différents. Et ma note paraitra peut-être trop généreuse à certains. Il n’empêche que j’ai vraiment apprécié ma lecture, et j’y ai trouvé de la fraicheur, mais aussi une présentation très éclairée et intéressante de l’évolution du « métier » d’auteur de BD, de libraire, et du paysage underground et du fanzinat. Ceux que ces sujets intéressent peuvent compléter cette lecture avec « Toutes les croûtes au coin des yeux », album intégrale publié par Tanxxx chez le même éditeur. J’ai parlé de plusieurs angles de lecture. Tout d’abord il y a l’amitié entre deux hommes, Matthias Lehmann et Nicolas Moog, que l’on voit se développer, les deux auteurs partageant beaucoup (travail et déceptions, réflexions), jusqu’à devenir presque fusionnels : en témoigne cet album-ci, écrit à quatre mains – comme leur récent « La vengeance de Croc-en-jambe » paru chez Fluide Glacial. Transparaissent aussi, au travers de leurs échanges, leur vie privée, l’évolution de leur caractère (et, légèrement, de leur « condition »). Tout cet aspect est sympathique, mais je n’aurais sans doute mis que trois étoiles si l’album n’était constitué que de ces bribes biographiques. Mais voilà, ce qui fait la richesse de cet album, c’est qu’au travers de la vie, de l’expérience de ces deux auteurs, nous découvrons le monde fourmillant de l’underground, du fanzinat et des petites maisons d’éditions, des années 1990 à nos jours. Bourré d’anecdotes – mais aussi de références à des œuvres et des auteurs plus « connus », aux à côtés d’Angoulême, etc., l’album prend toute sa force dans ce côté « historique ». C’est aussi, au travers de la trajectoire de ces deux auteurs, une réflexion sur le rôle des « vrais » libraires. Je voudrais ici, à la suite de Mattias Lehmann, dire toute mon admiration pour le travail de Jacques Noël (décédé en 2016) dans sa librairie « Le regard Moderne », véritable grotte hyper bordélique (on aurait pu croire que Gaston Lagaffe s’était chargé du rangement !), mais remplie de merveilles, de tout ce qui échappait aux circuits classiques (en terme de poésie, de BD, d’érotisme, d’écrits politiques). J’ai fréquenté énormément cette librairie dans les années 1990 entre autres (et donc j’ai dû y croiser Lehmann, mais moi ce sont surtout des plaquettes et revues de poésie que j’y cherchais à l’époque). Bref, je m’écarte du sujet – quoi que – et reviens vers cet album, autobiographique, sociologique, que les curieux, qui s’intéressent à l’arrière du décor, à la microédition, trouveront intéressant. Le ton est à l’autodérision, à la mauvaise foi assumée, la lecture – malgré certains passages avec un texte très abondant – se révèle très fluide (l’humour aide aussi). Au final, le titre prend tout son sens. Tous ses sens devrais-je plutôt dire, puisque les auteurs se moquent de recevoir des coups, et sont restés fidèles à leurs idées de jeunesse, quitte à galérer longtemps sans le sou. Note réelle 3,5/5.

10/11/2019 (modifier)
Par sloane
Note: 4/5
Couverture de la série Le Dieu vagabond
Le Dieu vagabond

Quelle bonne et riche idée, novatrice que de faire évoluer les dieux de la mythologie grecque dans un monde moderne. Encore que si l'idée n'est pas complètement nouvelle elle possède ici le mérite d'être foutrement bien fichue. Quel bonheur de voir Eustys satyre de la bande à Pan et consorts devenu une sorte de clochard céleste qui en échange d'un litron de rouge peut vous prédire sinon l'avenir, du moins la voie qui vous conviendrait le mieux. Mais les dieux grecs ont le sens de la tragédie et ils sont pour le moins cyniques, aussi notre brave Eustys va se trouver embarqué dans une quête abracadabrantesque. Dès lors au fil de ses rencontres improbables, magnifique professeur, il va être contraint de prendre des décisions choses qu'il avait oublié de faire du temps de sa vie de SDF. Mes prédécesseurs l'ont dit avant moi mais je ne peux qu'abonder dans leur sens, graphiquement c'est magnifique. A plusieurs reprises je me suis vu contempler les illustrations de cette vieille série "Contes et légendes de.."ou divers récits de pays étrangers étaient mis à l'honneur et l'illustrateur Ezio Anichini y fit un travail remarquable inspiré du classicisme grec, déjà, mais avec des influences de Mucha, grand affichiste. Ceci pour dire que dans cette BD j'ai retrouvé ces influences ce qui n'est pas pour me déplaire bien au contraire. A ce titre les images de la galerie rendent un bel hommage au talent de Fabrizio Dori. Une BD où il faut savoir se laisser embarquer, ce qui n'est d'ailleurs pas très difficile, sans hésiter à prendre son temps pour regarder encore et encore ces très belles planches ou devrais je dire illustrations.

10/11/2019 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Paul à Québec
Paul à Québec

Paul est une série que j'avais envie de découvrir suite à tous ces avis élogieux sur les volumes de la série, et j'ai commencé par le mieux noté (à tort peut-être). Et je ne suis pas du tout déçu de cette première approche de la vie quotidienne d'un québécois ! C'est peut-être d'ailleurs la meilleure manière de parler de ce volume : c'est la vie quotidienne d'un québécois moyen, soigneusement mis en images. Et ce genre de choses, allez savoir pourquoi, j'aime bien. C'est un exercice qui est difficile, pour arriver à louvoyer entre le quotidien anecdotique et le récit intéressant. Dans ce genre de récit, les personnages feront beaucoup, et dans le cas présent, j'ai trouvé que c'est réellement une réussite. J'ai adoré la façon dont sont représentés Paul, Lucie et leurs familles. C'est drôle, ponctué de touches d'humour qui allègent le récit, mais aussi d'anecdotes de vie bien senties (dont plus d'une m'a rappelé ce que m'ont raconté mes parents racontant leur installation dans la maison). Et le récit tourne progressivement autour d'un cancer, d'une maladie et de la mort. C'est remarquablement bien mené, avec une sensibilité et une justesse qui font mouche. Ça m'a touché et ému, et j'ai surtout adoré les personnages que je découvrais ici pour la première fois. Car c'est bien les personnages au centre de la BD, avec Paul et Lucie, mais aussi le père de Lucie, qui dévoile une partie de son enfance pas du tout heureuse. Et les dialogues sonnent vraiment justes, on les sent presque retranscrit du réel. Le dessin est très agréable, faisant un remarquable travail sur les expressions et les décors. Le trait simple et élégant de Michel Rabagliati apporte beaucoup à l'ambiance. Les personnages se reconnaissent vite, les décors sentent la belle province, c'est dépaysant ! C'est mon premier ouvrage de Michel Rabagliati et j'ai hâte de découvrir la suite (et les prédécesseurs) !

09/11/2019 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Fagin le Juif
Fagin le Juif

Je commence à découvrir le travail de Will Eisner, auteur encensé outre Atlantique, et je dois dire que j'aime bien son travail. Dans ce nouvel opus, Eisner s'attaque à nouveau à l'image que la communauté juive renvoie, et plus particulièrement avec le personnage de Fagin le juif, dans Oliver Twist. Pour ma part je n'ai jamais lu le livre de Dickens, mais j'en connaissais vaguement les grandes lignes, et de toute façon ça n'est pas nécessaire pour lire cette BD. Et tant mieux ! L'originalité du propos est de souligner la raison qui pousse Dickens à mentionner perpétuellement Fagin comme juif avant tout. Et en s'attachant à montrer la communauté juive ashkénaze (et non séfarade) telle qu'elle était dans cette période de révolution industrielle. La représentation des quartiers pauvres, de la misère crasse et du quotidien de ces personnes permet de mieux appréhender pourquoi le terme juif était à l'époque si connoté, et surtout si mal connoté. J'ai beaucoup aimé la façon dont Eisner montre que les bonnes volontés ne suffisent pas. Sans aller à dire qu'il fait de la sociologie, il s'attache à montrer que Fagin ne fut jamais un mauvais homme, mais un homme qu'on obligea à être mauvais. Mal traité, jamais considéré, jamais aidé, il se réfugia dans la seule chose qu'il connaissait : les bas-fond d'une ville en pleine croissance. Sa vie est à l'opposée de celle d'Oliver Twist : rien ne viendra le sauver comme le Deus Ex Machina tant attendu (le collier que portait Oliver Twist dans son cas) et il mourra dans la même misère que celle où il vécut. C'est une part de réalité bien sombre, malheureusement bien trop courante à cette époque (et pas forcément moins courante à la nôtre) et qui permet d'expliquer que tout ceci n'est en rien dû à sa religion, mais à la société qui existait. Et le message est sacrément louable, surtout lorsque Fagin interagit avec Dickens. Niveau dessin, je trouve encore que Eisner a un style très "souple" dans les corps, comme si tout bougeait en permanence. C'est assez étrange à mon goût, comme certains vieux Disney où les postures et les corps sont très mobiles, de toute part. Mais ce n'est pas dérangeant, et le trait supporte très bien l'histoire. Les détails sont parfois un peu confus, cela dit. Ce que j'ai bien aimé, c'est que cette histoire a un message important, aussi bien pour l'auteur que pour nous, et rappelle que si nous stigmatisons une partie de la population derrière un terme, il est peut-être bon de se pencher sur les raisons qui ont amené ce terme à coller à eux. Aujourd'hui, il est mal vu de parler en mauvais termes des juifs, mais remplaçons Fagin le juif par Mohammed le beur et nous aurons une histoire tout aussi actuelle. Une belle façon de permettre aux lecteurs de réfléchir au sens des stéréotypes dans les ouvrages de fiction, et également de comprendre pourquoi la lutte contre eux est importante.

09/11/2019 (modifier)
Par Blue Boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Epiphania
Epiphania

Tome 1 Ce récit fantastique, dont c'est ici le premier volet, s’ouvre sur la vie ordinaire d’un couple qui cherche à retrouver l’amour au moyen d’une thérapie de groupe sur une île déserte, alors que leur premier enfant doit bientôt venir au monde. Mais un tsunami vient balayer subitement le havre de paix où ils séjournent, et l’homme perd sa femme dans la catastrophe. De retour chez lui, il découvre dans son jardin qu’un fœtus s’apprête à sortir de terre, alors que les chaînes d’information annoncent des cas similaires dans tout le pays. D’abord révulsé par la créature, il va décider de l’adopter et l’élever. Mais comme tous les mixbodies, l’enfant grandit très vite et possède des caractéristiques physiques qui vont l’exposer au rejet de ses camarades humains dès son entrée à l’école. Si la thématique abordée ici évoque incontestablement les X-Men (ces mutants aux pouvoirs extraordinaires qui doivent se cacher pour se protéger des hommes), celle-ci est traitée sur un mode beaucoup moins spectaculaire, davantage philosophique. La peur de la différence et le rejet de l’autre constituent un sujet on ne peut plus actuel. Avec « Epiphania », Ludovic Debeurme nous ramène à la crise actuelle des migrants qui fuient des pays ravagés par la guerre et la misère, menaçant l’équilibre de nos contrées « tranquilles et prospères » en faisant ressurgir des vieux démons qu’on croyait disparus. Mais ici, contrairement à la plupart des images diffusées par les grands médias, les parias ont un visage, ils ont des peurs, des doutes, savent aussi aimer et et ne demandent qu’à vivre en paix comme tout le monde… sauf si bien sûr ils se sentent menacés… Pour ce qui est du dessin, Debeurme recourt à une ligne claire dépouillée, donnant corps à un univers qui rappelle immanquablement le Black Hole de Charles Burns, en plus lisse et dans des tons pastels un rien insipides. Mais la comparaison s’arrête là, car le scénario reste extrêmement fluide et accessible. L’auteur n’est pas vraiment un nouveau venu dans la bande dessinée, avec plusieurs publications à son actif depuis quinze ans, principalement chez Cornélius et Futuropolis. Déjà récompensé pour Lucille à Angoulême, il nous propose ici une fable très intrigante, à la fois fantastique et humaniste, qui réussit à donner au lecteur l’envie de connaître la suite. Tome 2 Le second volet de cette trilogie verra une montée en crescendo de l’intrigue. Après avoir laissé la vie sauve au père de Koji, le petit groupe d’Epiphanians, qui se sont choisis cette appellation en opposition au dévalorisant « mixbodies » des humains, vont partir en expédition dans les montagnes, là où ils pensent trouver des réponses à leur présence sur Terre, à l’endroit même où des météorites s’étaient écrasées quelques années plus tôt. Un événement qui curieusement avait coïncidé à leur « éclosion » soudaine par milliers à travers le monde. Et ce qui les y attend ne risque guère de les réconcilier avec le genre humain, mais va au contraire les entraîner dans un engrenage destructeur sous la houlette d’un mystérieux homme-chauve-souris vengeur dénommé Vespero, tandis que le chaos semble se répandre à travers le globe… En s’inspirant des comics américains, Ludovic Debeurme a produit une œuvre tout à fait étonnante. Avec « Epiphania », il ne s’est pas contenté de singer la production d’outre-Atlantique même s’il en reprend une bonne partie des codes, mais au contraire s’est efforcé d’intégrer le genre à son univers très particulier, qui évoque par certains moments celui de Charles Burns et de l’école alternative US. A la fois très bien structurée dans la narration, l’histoire pourra plaire au plus grand nombre, mais la violence brute qui traverse les productions marveliennes est ici écrémée au profit d’un esprit européen plus décalé, plus poétique. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans son trait, plus réaliste que dans ses œuvres précédentes, mais qui en a conservé l’étrangeté et le minimalisme fragile. En narrant l’épopée des Epiphanians, Debeurme semble totalement pris d’empathie pour eux, révulsé lui aussi par la bêtise des humains, qui acceptent mal les « difformités » de ces êtres parias. Et pourtant, la monstruosité peut aller bien au-delà des simples apparences physiques et souvent, elle est indissociable de la nature humaine… Si on peut avoir du mal à souscrire au premier coup d’œil au style graphique atypique, force est de reconnaître que celui-ci exerce une certaine fascination. Est-ce la candeur du trait, associé à la brutalité de certaines images, qui produit cet effet ? Toujours est-il qu’il est difficile de rester indifférent à un tel récit, qu’au fond on a presque du mal à classer dans une catégorie précise, tant il a le potentiel pour toucher des types de public très variés. Tome 3 Avec une tension qui avait atteint son point culminant à la fin du deuxième tome en nous laissant sur le qui-vive, c’est avec une certaine impatience qu’on l’attendait, le dernier épisode du triptyque hors-normes de Ludovic Debeurme. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le résultat est pleinement à la hauteur des attentes. D’abord sur le plan du dessin. C’est un véritable feu d’artifice graphique qui, dès le premier tiers de l’histoire, va se déployer sous nos yeux ébahis. Avec la chute d’une nouvelle météorite, la narration va évoluer de pair avec la structure visuelle. D’abord centrée sur les protagonistes et leurs altercations résultant de l’attentat manqué, sur un rythme échevelé, elle va prendre par intermittence la forme d’une suite de tableaux bibliques spectaculaires, destinées à situer le contexte général. Un contexte perturbé par ladite catastrophe, qui a son tour, telle une répétition de l’Histoire, va générer cette fois des géants, qui comme les Epiphanians, vont sortir de terre. Par un effet de réaction en chaîne, un terrible chaos digne de l’apocalypse entraînera guerres et destructions. Mais la suite réservera bien d’autres surprises au lecteur, qui ne se dévoileront qu’une fois le calme revenu. Impossible d’en dire plus à ce stade, mais certaines planches suscitent autant la sidération que l’émerveillement. Le jeu des couleurs, qui pouvaient apparaître ternes au début de la trilogie, s’est affiné. Sans souci de crédibilité, les tonalités artificielles créent une atmosphère irréelle qui contribue un peu plus à nous transporter dans une dimension onirique, loin de notre Terre à terre… Sur le fond, l’histoire correspond pile-poil à l’esprit du temps, intégrant des préoccupations très actuelles, politiques (la montée de l’intolérance et du fascisme) et, de façon plus suggérée, écologiques. Ces êtres hybrides que sont les Epiphanians, conçus dans la terre nourricière, symbolisent parfaitement la supplique adressée par la nature à l’Homme l’invitant à se reconnecter au monde qui l’entoure. Mais celui-ci, en bon tocard aveuglé par son anthropocentrisme, préfère ne pas dresser l’oreille et poursuivre sur la voie confortable et intellectuellement paresseuse de son déni autodestructeur. Avec « Epiphania », Ludovic Debeurme, dont les personnages dans leur aspect feraient de lui une sorte de Charles Burns candide et optimiste, veut croire malgré tout à un sursaut salvateur de l’humanité, et nous offre une œuvre ambitieuse particulièrement rafraichissante. Ces teenagers Epiphanians, qui semblent sortir tout droit de Black Hole, nous tendent un miroir peu reluisant en nous rappelant à quel point nous nous sommes éloignés à la fois de notre humanité et de notre animalité (dans le bon sens du terme), gangrénés moralement par un individualisme forcené, à la faveur d’un système politico-économique inique et corrompu. Du début à la fin, cette œuvre inspirante n’aura cessé de monter en puissance, telle une fusée larguant successivement, grâce à un timing parfaitement étudié, ses trois étages : un premier qui intrigue, un second qui captive, et enfin un troisième qui émerveille. Il serait vraiment dommage de passer à côté de cette série, une des plus originales et les plus brillantes de la décennie, signée par l’auteur du multi-récompensé Lucille.

30/09/2017 (MAJ le 09/11/2019) (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Les Larmes du Seigneur Afghan
Les Larmes du Seigneur Afghan

L'Afghanistan est un pays qui me fascine de plus en plus, surtout au vu de la quantité de BD documentaires qui sont sorties dessus, mais aussi parce que ce qui se passe dans ce coin du monde est assez révélateur de toutes les failles de notre système actuel, en terme de politique extérieure, de façon de voir le monde mais aussi dans les limites de notre compréhension des autres, de tout ce qui n'est pas issu de notre monde occidental. Les compréhensions de ce coin du monde se heurtent souvent à la réalité du lieu, des coutumes et des religions. Et c'est ce que j'aime dans ces BD documentaires, qui proposent de confronter la vision du monde de nous autres occidentaux à celle des Afghans, qui vivent quand même dans un pays en guerre depuis près de 30 ans. Et pour le coup, cette BD est une belle continuité de ce qu'on peut lire dans Kaboul Disco, Le photographe ou Passage Afghan. C'est encore une fois une journaliste qui explore ce pays, qu'elle connait bien. Mais là où elle se démarque, c'est dans cette vision qui est déjà plus récente (seulement dix ans) et qui permet de revenir sur la période d'occupation des Américains face aux Talibans. Et c'est tout le propos de la BD : comprendre comment le pays peut encore accueillir les Talibans après tout ce qu'ils firent. C'est d'autant plus intéressant que l'apparition de l'état islamique qui arrivera dans les années suivantes est assez compréhensible quand l'on regarde la situation qui était celle de l'Afghanistan. L'histoire est un beau reportage de l'auteure, avec sa propre perception (qui n'est pas sans défaut, notamment lorsque son caméraman lui fait remarquer les erreurs) des choses mais aussi son expérience de l'Afghanistan qui remonte à dix ans. Cela dit, comprendre un pays qui est dans une telle situation depuis maintenant trente ans, ou plus, ça n'est pas évident. Et les propos que l'auteure va soulever sont souvent empreints de ce problème de compréhension du pays (je pense à ce qui se dit sur la burqa, ou la morale européenne est bien remise en place). C'est intéressant, mais aussi ça fait réfléchir à la façon dont nous regardons le monde. Et il faut bien penser que dans ce genre de pays où nous intervenons militairement, où les actions que nous entretenons dans chaque pays voisin ont une conséquence parfois dramatique, notre avis et notre vision du monde ont une importance. C'est aussi de notre responsabilité (et la bavure des soldats allemands est éclairante là-dessus pour le coup). Le dessin est très agréable, coloré et chaleureux, bien loin d'un noir et blanc souvent utilisé en reportage, et qui permet d'apprécier aussi bien les couleurs des vêtements que les paysages de l'Afghanistan, trop souvent vu comme un désert ou un paysage de guerre. C'est agréable que de pouvoir voir la beauté de ce pays, mais aussi donner une image plus vivante de ces personnes rencontrées. C'est le genre de BD qui donne envie de découvrir encore plus avant la réalité de ces pays dans lesquels nous intervenons sans forcément nous en rendre compte, et surtout cette BD permet de reprendre en pleine face l'arrogance que nous avons souvent face aux autres pays (surtout au Moyen-Orient). En tant qu'occidentaux, notre regard est bien trop biaisé et il faut ce genre de livres pour nous rappeler que notre regard n'est pas universel. Une lecture recommandée !

08/11/2019 (modifier)