Cinq Branches de Coton Noir s'attarde sur le destin de 3 jeunes soldats noirs, engagés volontaires durant la seconde guerre mondiale, à qui on a confié une mission hautement importante : retrouver un des premiers drapeaux des Etats Unis.
Au gré du récit nous naviguons entre 2 périodes charnières de l'histoire des Etats Unis : la guerre d'indépendance et la 2nde GM. Même si l'essentiel de l'histoire se déroule en 1944, le saut dans le passé se fait de manière très fluide à travers la lecture d'un journal retrouvé par une étudiante en histoire (le hasard faisant bien les choses) dans les affaires d'une défunte tante.
Y SENTE a imagé une très belle histoire qui à mon sens à la qualité première de ne pas réécrire l'Histoire. J'avoue que j'aurai bien aimé qu'elle soit vraie.
Certains passages sont un peu tirés par les cheveux mais finalement pas plus que dans d'autres ouvrages
Graphiquement j'ai beaucoup apprécié le choix des couleurs. J'ai trouvé que le dessin collait parfaitement avec la dramaturgie du texte. Du travail de premier ordre.
La place des "Noirs" dans la société américaine a toujours été un sujet sensible et épineux, encore aujourd'hui. Ma lecture m'a fait réalisé qu'effectivement je ne voyais que peu de noirs dans les films sur la 2nde GM. Je n'y avais jamais prêté attention et c'est pourtant assez flagrant, preuve d'une ségrégation encore bien présente au milieu du XXème siècle.
Cinq Branches de Coton Noir est un bel ouvrage, avec quelques petits défauts pardonnables.
A découvrir indubitablement et pour ma part un petit coup de cœur
L’objet est très joli, la couverture et le quatrième de couverture en camaïeu de roses avec dos toilé, édité dans un format parfait pour un livre de contes, ni trop petit, ni trop grand ; il s’agit encore d’une belle œuvre des éditions 6 Pieds Sous Terre.
Cet ouvrage est une succession de contes.
Chaque conte est bichromatique, composé de noir et d’un dégradé d’une unique couleur.
Les teintes choisies sont mates et très belles : violet, ocre, émeraude, terre de sienne etc.
Ce traitement chromatique est superbe.
Un roman graphique original qui ne laissera pas indifférent dans un sens ou dans l’autre.
Il est nécessaire de se laisser imprégner par l’atmosphère des couleurs, des dessins et des textes pour pleinement profiter de cette bd.
Elle incite à la rêverie, celle de nos vieux contes moyenâgeux empreints de merveilleux.
Il se dégage de cette lecture une certaine poésie et un sentiment d’étrangeté parce que l’histoire qui nous est contée paraît à la fois intime et lointaine.
Les représentations et les personnages en rapport avec la lune et le soleil m’ont évoqué le cinéma de Méliès.
Les contes sont très bien écrits avec juste ce qu’il faut de texte.
Ils n’ont pas tous la même longueur ni la même profondeur, certains nous touchent plus que d’autres.
Cette hétérogénéité apporte une richesse à l’ensemble et est très plaisante.
A la lecture, je me rappelle m’être dit « quel dommage que l’auteur n’ait pas écrit une seule et même histoire et que tous ces contes soient séparés » et puis j’ai eu l’agréable surprise de voir se tisser un lien entre tous ces contes et personnages dans les derniers chapitres.
J’ai eu envie de me replonger dans cette ambiance très singulière une seconde fois et je me suis aperçu d’un clin d’œil de l’auteur : le mendiant présent à la page 3 figure de façon plus ou moins discrète dans plusieurs contes avec différents rôles, mendiant donc, mage, client d’auberge etc.
Il y a certainement beaucoup de messages sous-jacents dans ces fables, pour ma part celui que je retiens est la perte du lien originel qui unissait l’homme à la nature.
In fine, il s’est agi pour moi d’une très belle respiration contemplative entre deux lectures détente « pop-corn », ce que je recherche en général dans une bd.
Je regarderai les autres productions de cet auteur que je ne connaissais pas.
« Le Voyageur » restera sans doute comme l’une des œuvres les plus marquantes de Koren Shadmi. Pour preuve, publiée pour la première fois en 2017 par Ici Même, elle vient d’être rééditée par Marabulles. Et en effet, il faut bien avouer que l’ouvrage fait forte impression.
Ce mystérieux voyageur qui traverse les pays et les époques apparaît d’abord énigmatique : taiseux, détaché, il semble presque indifférent envers son prochain. Au fil du récit, il va pourtant dévoiler toute son humanité, tandis que les personnes qu’il va croiser sur sa route révéleront leur bêtise, leur arrogance, leur égoïsme, leur cupidité ou leur désinvolture, en bref, toutes les tares qui font de l’être humain ce qu’il est. Et cela n’est guère glorieux… L’homme semble bénéficier d’un don qui lui fait percevoir au-delà de la surface des choses et prévoir l’avenir… une sorte de lucidité très aiguisée en somme, mais comme il s’interroge lui-même, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une malédiction… Et c’est bien son aura unique qui fait du « Voyageur » un ouvrage puissant. Voilà un personnage qui vous hantera longtemps après lecture.
Les époques diffèrent selon chaque chapitre, mais la toile de fond demeure toujours la folie d’une humanité courant à sa perte, sur un mode pré ou post-apocalyptique, une humanité qui vous file parfois des haut-le-cœur et nous ramène au contexte actuel de guerres et de massacres, de disparition de la biodiversité et de bouleversements climatiques, sans parler de l’appauvrissement intellectuel des masses et de l’individualisme exacerbé par les réseaux sociaux.
La narration est extrêmement fluide et chaque chapitre se conclut de façon étrange, soulevant quelques interrogations chez le lecteur. Un peu comme si un genre de puzzle s’assemblait au fil de la lecture, sans la promesse toutefois que la dernière pièce serait disponible, et il faudra sans doute plusieurs lectures pour en saisir le sens caché. En cela, le lecteur peut s’identifier à ce voyageur qui lui-même est en quête de cette « source » dont il ignore où elle se trouve.
Présenté en gaufrier de six cases, l’ouvrage reste simple dans sa mise en page. La ligne claire précise et maîtrisée de Shadmi, dans son minimalisme un peu froid, n’est pas là pour jouer l’esbroufe et colle bien au propos. On ne saurait dire si cela est intentionnel de la part de l’auteur, mais ce voyageur aux yeux vairons évoque immédiatement un certain Ziggy Stardust, mais au-delà de l’aspect physique, le personnage créé par David Bowie est aussi le messager d’une humanité menacée d’extinction, un être un rien biblique, hors du monde, en quête de cette fameuse « source », graal de pureté. Un messie incompris qui a compris qu’il était trop tard pour sauver le monde, alpha et oméga malgré lui…
On ne pourra que féliciter les éditions Marabulles d’avoir remis en lumière ce récit hors du commun et intemporel. « Le Voyageur », en ces temps où le monde est chauffé à blanc (dans tous les sens du terme !), apparaît comme une œuvre miroir particulièrement intrigante, qui invite à la réflexion sans toutefois livrer tous ses mystères, et c’est tout ce qu’on aime.
Après Sang Barbare, El Torres rend de nouveau hommage à Robert E. Howard, il puise dans son roman Le Puritain pour réaliser ce récit fantastique. N'ayant pas lu cet ouvrage, je ne sais pas à quel point la BD lui est fidèle.
Décidément El Torres a du savoir faire pour tenir en haleine son lecteur.
Changement de genre, il va être question de religion avec dieu et le diable, de sorcellerie, de chasse aux sorcières, de vie éternelle et d'un chouïa de lesbianisme. Mais il introduit aussi les amérindiens avec la tribu des Wampanoag et de mysticisme africain. Une délicieuse recette au goût amer et mortifère.
Une intrigue qui tient la route et qui dévoile ses secrets avec habileté. L'instrumentation du diable est à son paroxysme et la vie des < sauvages > est tout à fait secondaire.
Un récit aux très nombreuses références, je vous laisse les découvrir, sachez seulement que la ville de Providence se situe non loin des faits.
Des personnages qui tiennent à merveille leur rôle, de Constance la jeune fille naïve à l'homme de dieu extrémiste en passant par l'ambiguïté de Salomon Kane (le puritain).
Une lecture très plaisante dans un genre que j'affectionne énormément.
Un dessin efficace au trait appuyé qui joue beaucoup sur les ombres et sur les gros plans. Une colorisation au diapason pour un beau rendu. Une mise en page dynamique.
Du bon boulot.
Pour les aficionados du genre.
"Un sceptre fut créé pour détruire le mal... en utilisant le pouvoir du mal."
Belle comme un mirage, une hallucination, un rêve rimbaldien.
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Ce tome contient un récit de nature biographique, relatant quarante-huit heures de la vie d’Ava Gardner. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Emilio Ruiz pour le scénario, et par Ana Miralles pour les dessins et les couleurs. La traduction a été réalisée par Geneviève Maubille, avec une relecture assurée par Murielle Briot. Il comprend cent pages de bande dessinée. Il commence par un texte d’introduction d’une page, rédigé par Elizabeth Gouslan, autrice du livre Ava, la femme qui aimait les hommes (2012). Elle évoque la beauté inouïe de l’actrice, qualifiée de Plus bel animal du monde par Jean Cocteau, la couleur changeante de ses yeux, le film La comtesse aux pieds nus qui s’inspirent de sa vraie vie, et sa relation avec Frank Sinatra.
Le sept septembre 1954, à Rio de Janeiro, le film La comtesse aux pieds nu est à l’affiche. Dans son beau costume blanc, Gilberto Souto contemple la marquise de l’Odéon qui porte le nom des acteurs et du réalisateur. Avec les journaux sous le bras, il regagne ses bureaux, où il est accueilli par sa secrétaire Belem qui lui indique qu’elle a l’agent d’Ava Gardner au téléphone. Il lui demande de lui passer l’appel dans son bureau. Souto rassure David Hanna : L’hôtel Gloria est magnifique, il est parfait pour une star telle qu’Ava Gardner. Il continue : Certes le Copacabana Palace est plus réputé, mais il est aussi moins sûr, et la situation du pays est telle qu’ils doivent avant tout veiller à la sécurité de Miss Gardner. En réponse à un question, il indique que tout est en ordre, qu’il vient de s’entretenir avec le chef de la police. En effet la venue d’Ava risque d’attirer beaucoup de monde, et on est à Rio. Hanna doit comprendre que cette ville n’est pas Lima ni Buenos Aires, encore moins Montevideo. Les Cariocas n’éprouvent pas simplement de la passion pour Miss Gardner, c’est carrément de la frénésie ! Il termine la conversation avec une recommandation : quand ils atterriront à Galejão, ils ne doivent pas descendre de l’avion, avant son arrivée.
Belem, la secrétaire, rentre dans le bureau alors que Gilberto Souto a commencé à lire les journaux. Elle l’informe que M. Krymchantowsky a appelé pour organiser la journée avec les hommes d’affaires, que les responsables du festival de poésie aimeraient savoir si Ava accepterait de réciter quelques vers en portugais lors de la cérémonie de remise des prix. Souto lui indique qu’il faudra prévenir les journalistes et l’hôtel que l’avion atterrira avec du retard. Puis il enfile sa veste et lui indique qu’il se rend à l’ambassade demander des passeports diplomatiques, car l’actrice et son agent veulent se rendre directement à l’hôtel sans passer par la douane. Qui ne tente rien n’a rien… À bord de l’avion, Ava Gardner répond aux questions d’un journaliste. Que dirait-elle aux lecteurs de la Ava Gardner qui fait la une des journaux ? Sa réponse : Qu’elle ne correspond en rien à la femme qu’elle est en réalité. L’image que la presse donne d’elle l’attriste beaucoup. Question suivante : Pourquoi Ava Gardner ne conteste-t-elle jamais ces fausses informations ?
Irrésistiblement attiré par la magnifique couverture, le lecteur se retrouve impuissant face à la promesse de passer du temps avec cette actrice hors du commun, ou par celle de retrouver les planches tout aussi extraordinaires d’Ana Miralles, après la série extraordinaire Djinn (2001-2016, treize tomes et trois hors-série), scénarisée par Jean Dufaux. L’expression d’Ava est indéchiffrable sur la couverture : un moment paisible hors du temps, un instant d’attente entre deux prestations à se donner en spectacle, ou une forme de résignation en train d’évoluer vers l’acceptation. Le lecteur aura la satisfaction de découvrir les circonstances de cette pause, ainsi d’avoir une vue plus large sur le lieu. Il focalise ensuite son attention sur le sous-titre : il s’agit de suivre cette beauté féminine pendant un court laps de temps : quarante-huit heures. L’introduction fournit des éléments de contexte intéressants pour celui qui découvre cette actrice : sa beauté inouïe, les réalisateurs avec qui elle a déjà tourné (John Ford, Henry King, Gorge Cuckor, John Huston, Nicholas Ray) et récemment Joseph Mankiewicz, la raison pour laquelle elle se rend à Rio de Janeiro. La planche d’ouverture contient déjà toutes les qualités du récit : différents endroits de Rio de Janeiro, la reconstitution historique, les personnages élégants, la curiosité de savoir comment va se dérouler ce séjour, à quoi va être confronté Ava Gardner, comment elle va se comporter par rapport à ce qui est attendu d’elle.
C’est donc l’occasion de réaliser une visite touristique à Rio de Janeiro. Le lecteur se plaît autant à prendre le temps de laisser son regard lors des scènes en extérieur, que lors de celles en intérieur. Il rentre donc avec Gilberto Souto dans les locaux de son agence : bureaux en bois, chaises en bois, classeurs métalliques, affiches au mur, sous-main, lampe de bureau, tout est d’époque. Une fois passé la fin du voyage en avion et la douane, il prend le temps d’apprécier la décoration de l’hôtel Gloria : le tissu des larges fauteuils, les dorures de la salle de bain, le mobilier épuré dans la chambre, le grand hall de l’hôtel avec l’estrade qui a été installée et les tentures bleues. Il peut ensuite comparer avec la décoration de l’hôtel Copacabana Palace : sa piscine qui fait envie, les tables plutôt rondes que carrées et leur nappe, le magnifique lobby, la chambre aménagée avec plus de retenue, le balcon et sa vue extraordinaire sur l’océan, etc. Les décors en extérieur coupent le souffle du lecteur : le trajet en voiture de Souto pour rejoindre l’aéroport ce qui laisse le temps de regarder les façades, la perspective sur l’océan alors que l’avion achève sa descente vers la piste, la vue de la baie avec la monumentale statue du Christ rédempteur, la virée nocturne de Rene dans un autre quartier de la ville, et une virée nocturne exceptionnelle d’Ava et David qui les emmène au pied de la statue du Christ rédempteur, durant une dizaine de pages.
L’artiste s’implique pour une reconstitution historique présente dans chaque élément : les accessoires du quotidien, les modèles de voitures, les robes d’Ava Gardner et ses gants, les sous-vêtements de Rene, les costumes de de ces messieurs, sans oublier les chapeaux et les cravates unies ou à motif, etc. Bien sûr, la dessinatrice soigne la ressemblance physique d’Ava Gardner, et la délicatesse de son trait convient à merveille à la pureté du visage de l’actrice, à sa silhouette gracieuse, et à ses gestes étudiés. Le lecteur peut la voir resplendir par comparaison aux autres personnages féminins, quel que soit leur degré de beauté. Il admire le maintien des hommes, souvent splendides dans leur costume formel. La qualité de la narration visuelle s’exprime également dans le naturel de chaque prise de vue, dans leur évidence et leur plausibilité. Le lecteur peut voir comment Ava Gardner joue avec le journaliste dans sa cinquantaine, lors des questions posées pendant le voyage en avion. Il apprécie l’écho qui se produit lors d’une séance d’interview beaucoup plus inquisitrice face à plusieurs journalistes, et l’actrice qui déploie tout son savoir-faire en matière de charme et de séduction. Il sent la tension monter lors du face-à-face avec Howard Hughes dans la chambre d’hôtel, alors qu’il se montre de plus en plus pressant. Il découvre les circonstances correspondant à l’illustration de couverture, et il ressent une forte empathie au vu des émotions qui secouent Ava Gardner.
Au bout de quelques pages, le lecteur peut trouver la narration un peu trop factuelle, un peu explicative comme si le scénariste prenait bien soin d’éviter toute incompréhension. Il suit une femme que l’on peut qualifier de beauté fatale, soumise à l’incroyable pression créée par l’attente de tous ses admirateurs. Il ressort comme elle meurtri de la sortie d’avion pour rejoindre la douane : scénariste et artiste réalisent une séquence oppressante et claustrophobique au cours laquelle l’actrice se retrouve assaillie par une foule compacte au sein de laquelle chacun veut la toucher créant ainsi un mouvement d’écrasement terrifiant. Il prend pleinement fait et cause pour cette femme qui a besoin d’être plus que l’image publique que tout le monde exige d’elle tout le temps. Il comprend parfaitement qu’elle ait besoin d’évacuer cette pression, qu’elle ait des mouvements d’humeur… même s’il lui conseillerait d’y aller mollo sur le tabac et l’alcool.
En progressant dans le récit, le lecteur se rend compte que le scénariste a tout annoncé dans les premières pages : les relations compliquées avec les hommes, une femme réduite à une image publique parfaite, le fait qu’elle ne conteste jamais les fausses informations, etc. Tout est là. Il découvre alors que le récit va au-delà de ces éléments attendus. La virée nocturne de David & Ava exprime avec force le besoin de liberté, de sortir des apparences attendues. Il comprend le pourquoi d’une séquence dans le passé avec son père qui lui dit que : Les poupées ne sont pas idiotes, elles savent se débrouiller. Une métaphore sur l’image de poupée d’Ava, qui ne veut certainement pas finir comme celle qu’elle a eu étant petite. La réception d’Ava Gardner s’inscrit également dans un contexte politique et social très concret. Le lecteur ressent également de l’empathie pour Mearene (Rene) Jordan la dame de compagnie de l’actrice, et il s’insurge contre le piège qui lui est tendu. Il commence par sourire en voyant comment certaines personnes essayent de tirer profit par tous les moyens de la présence de l’actrice célèbre, y compris par des moyens malhonnêtes. Il se rend compte que la réflexion va plus loin, en mettant en scène comment cette femme représente Hollywood, c’est-à-dire à la fois l’impérialisme culturel américain et la richesse financière hors de proportion avec la réalité des habitants du Brésil. Ce qui induit une différence de situation sans comparaison possible entre des individus faisant tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leur ordinaire avec les moyens dont ils disposent quelle qu’en soit la légalité, dans une société fonctionnant sur la débrouille et la corruption, par opposition à une femme courtisée par tout le monde, prisonnière de son image et du rôle que les autres lui imposent, dans lequel ils la cantonnent, malgré son aisance financière.
C’est un plaisir ineffable que de retrouver l’élégance de la narration visuelle d’Ana Miralles, son implication extraordinaire dans l’élégance et la reconstitution historique, sa justesse dans la narration visuelle. Venu pour partager deux jours dans la vie d’une actrice magnifique, le lecteur se retrouve à endurer les conséquences de sa beauté incomparable qui la réduit à un objet du désir pour la foule, ainsi que la convoitise qu’elle suscite en tant qu’incarnation de l’impérialisme américain.
Les éditions Graph Zeppelin commencent une nouvelle collection avec El Torres à la barre. Quatre albums sortent ce 18 juillet.
Cette BD est un hommage d'El Torres à Robert E. Howard et à son personnage fétiche : Conan. J'ai une tendresse particulière pour ce barbare qui a bercé mon adolescence sous la plume de Roy Thomas et le trait félin de Barry Windsor-Smith puis ensuite celui plus musclé de John Buscema. La référence pour ce guerrier sanguinaire.
Il ne s'agit pas d'une adaptation d'un roman mais d'une histoire basée sur l'œuvre de Robert E. Howard. El Torres s'en tire plutôt bien, il arrive à en retranscrire l'essence tout en faisant preuve d'une certaine originalité en faisant du fils de Conan le personnage principal. Le temps a passé et Conan est devenu Roi et vieux. Son royaume d'Aquilonnie prospère, mais il est toujours sous la menace des Pictes.
Même en ces temps anciens, les conflits intergénérationnels existaient déjà, avec d'un côté le prince Conan qui souhaite la civilisation, sa mère lui a donné une éducation. Le contraire de Conan qui a bâti son royaume sur la barbarie.
Un récit captivant, les protagonistes sont bien campés (j'ai un petit faible pour Ramla, une sorcière qui voit le futur) et la narration, qui passe successivement du fils au père, dynamise le récit. Évidemment la violence sera omniprésente, la magie viendra s'inviter et les rebondissements seront présents. Et la surprise de découvrir un Conan vieillissant.
Une lecture très agréable, la conclusion est un peu trop convenue à mon goût, elle n'a cependant pas gâché mon plaisir.
Le binôme Joe Bocardo (pour le dessin) et Manoli Martinez (pour la couleur) nous offrent de superbes planches. J'ai aimé la texture du trait, il est expressif, bestial et distille une touche de sensualité lorsque c'est nécessaire. Les couleurs sombres maintiennent le lecteur sur ses gardes.
La mise est en page est précise et efficace.
Quelques rares planches en noir et blanc, elles mettent en avant le talent de Joe Bocardo. Un artiste à suivre.
En fin d'album, une lettre d'El Torres sur la passion qu'il voue à Conan et à son auteur. Quelques dessins en noir et blanc de Bocardo pour terminer.
Hommage réussi.
Le premier aperçu de la couverture m'a laissé penser à une série de l'univers de Troy. Et c'est vrai qu'on trouve dans ce diptyque de fantasy beaucoup de similitudes avec le monde d'Arleston, tant dans la forme que dans l'esprit. C'est de l'héroic-fantasy légère, volontiers humoristique, qui bâtit son univers autour de l'action qu'elle veut mettre en place et du concept qu'elle veut utiliser. Ici, point de pouvoirs différents pour chaque habitant comme dans le monde de Troy, pas de spécialistes de l'invocation de démons comme dans Démonistes du même scénariste, ni d'experts en poisons comme dans Dragon & Poisons, ou de magie plus générique comme dans Danthrakon, mais des experts en nécromancie. Dans cet univers en effet, la magie la plus répandue consiste à réveiller l'esprit des morts et permettre aux nécromants de s'adjoindre les services de leurs fantômes qui dès lors pourront transmettre leur savoir et leurs pouvoirs à ceux à qui ils se lient. Besoin de participer à un combat, liez-vous au fantôme d'un puissant guerrier et acquérez toutes ses compétences martiales le temps de la bagarre.
Acher, le héros, est pour sa part un bien piètre nécromant. Les trois fantômes auxquels il s'est lié sont un vieil érudit pas très doué, un jeune guerrier maladroit, et... une danseuse du ventre. Aussi, quand sa sœur bien plus douée libère par erreur le fantôme d'un antique archimage maléfique qui prend possession d'elle et menace de conquérir le monde, il va avoir bien du mal à tenter de sauver la situation.
J'ai aimé la maîtrise de cette série. La narration est impeccable, claire et concise, permettant de faire tenir en 48 pages une intrigue dense et prenante. On comprend très vite le fonctionnement de ce monde et de sa magie. Et les personnages sont bien posés et plutôt intéressants.
L'ensemble est soutenu par un graphisme de très bonne qualité, tant pour le dessin que pour les couleurs. Les planches sont soignées, parfois presque un peu trop. Ce que je veux dire, c'est que le trait est fin et les détails sont parfois un peu petits, comme si un format plus grand encore avait été préférable. Mais c'est du beau boulot et c'est plaisant à regarder et bien efficace à la lecture.
J'ai pris plaisir à lire cette BD et je me suis rapidement laisser prendre à son intrigue. La faiblesse du héros et de ses fantômes est parfois un peu frustrante, mais il s'en sort convenablement et finit heureusement par remonter la pente tout en restant crédible. Et j'aime bien sa relation avec ses fantômes d'une part, et avec la fille qui va l'accompagner ensuite.
Hormis un petit au départ à propos des Biblysophiles, j'ai été agréablement surpris de ne pas voir de jeux de mots lourdauds dans les noms des différents lieux et personnages de ce monde de fantasy. Cependant, à partir de la seconde moitié du tome 1, de plus en plus de dialogues font directement des clins d'œil parfois pas discrets du tout à des paroles de chansons et autres références geeks. Les deux premiers étaient assez amusants quoiqu'incongrus comparé au sérieux relatif de l'intrigue, mais au-delà j'ai commencé à trouver ces tentatives d'humour un peu pénibles et brisant le charme du récit. Cela a réduit la très bonne opinion que j'avais de la série jusque là. Heureusement, ce défaut disparait dans le second tome.
Au final, c'est un diptyque divertissant, amusant et très bien mené qui nous est offert là. L'intrigue tient la route avec un bon rythme, les personnages sont tous attachants, et le final est convaincant, avec juste les petits retournements de situation qu'il faut pour entretenir le suspense. Série courte mais très sympa.
J’avais adoré La Favorite du même co-auteur (d’ailleurs c’est assez marrant il cite son livre dans cette bd mais en changeant le nom et j’ai juste reconnu parce que le dessin de la couverture ressemble vaguement au dessin qu’il montre a un moment ) et j’ai pris cette bd au hasard sans savoir à quoi m’attendre à part a un road trip entre ami. En fait le road trip ne dure que la première partie du récit, après on passe à une partie assez amusante où les deux compères essayent de percer avec leur groupe et d’autre copains, puis on les retrouve en France à galerer pour trouver du taf. J’ai préféré la première partie et j’aurai aimé qu’on reste sur cette idée de journal de voyage scénarisé, les rencontres qu’ils font sont celles qu’on peut attendre de ce type de baroudage : parfois triste, glauque, drôle, et on sent bien leur amitié avec les deux passions qui les rassemblent : bd et musique. La partie groupe est sympa mais on voit moins leur amitié qui est pourtant l’idée maîtresse de l’œuvre (normal comme ils sont en groupe les interactions sont moins intimes). Je recommande la lecture surtout pour le début qui fait très « vacances » finalement et donne envie de voyager.
Je voudrais penser comme un fleuve.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Étienne Davodeau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée. En exergue se trouvent deux citations, une de Philippe Descola, extraite de son ouvrage Par-delà nature et culture (2005), une autre d’une allocution de Bruno Latour, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019.
Un homme traverse à pied le long pont qui enjambe la Loire à Les Ponts-de-Cé. Il parvient au carrefour sur l’autre rive. Cela fait longtemps que Louis n’est pas revenu ici, depuis des années. Il fait encore une partie du chemin en auto-stop, puis il se fait déposer à quelques distances de sa destination, car il a décidé de finir son chemin à pied. Avec son petit sac baluchon à l’épaule, il marche tranquillement le long de la berge. Il croise un cycliste, il passe devant une maison isolée, le fleuve est calme et tranquille, la lumière orangée. Au beau milieu d’un chemin longeant un champ, totalement isolé, il cède à une impulsion du moment, il n’y a personne. Il se déshabille et laisse ses vêtements sur la rive. Il entre progressivement dans l’eau, il s’asperge le visage. Il s’immerge totalement, il se laisse flotter sur le dos, il fait quelques mouvements de crawl. C’est vrai, c’était il y a quelques années et il était plus jeune. Mais il s’est baigné là des dizaines de fois, et jamais il ne s’était fait piéger pas le courant. Lutter ne sert à rien. Essayer de se détendre. Laisser faire. Flotter. Il passe devant un pêcheur et son fils qui lui demandent si tout va bien, il répond : Impeccable. Il dérive le long d’un bateau et il répond qu’il n’a pas besoin d’aide, que tout va bien. Le batelier l’avertit que le coin est dangereux et que ce n’est pas très malin de nager juste dans le chenal.
Louis a dérivé sur deux ou trois kilomètres. Passé le premier moment d’inquiétude, c’est une belle balade. Bon, ça aurait pu être plus simple si le courant ne l’avait pas déposé sur la rive d’en face. Il ne se voit pas sonner à poil chez des gens. Il lui reste donc une solution qui devrait lui sembler complètement idiote. Mais là, non. Attendre la nuit noire. Et hop ! Lui, il est juste revenu pour revoir une vieille amie. Et bien sûr, à ce moment-là, il ignorait tout de ce qui allait suivre. Mais quoi ? Maintenant, il se dit que c’est sans doute la plus belle façon de revenir vers elle. On peut trouver ça un peu ridicule. Passé le pont, il remonte le courant. Et ces quelques kilomètres, c’est comme une remise à flot d’une période de sa vie. Une période heureuse. Avec elle. Tout nu, Louis marche sur le chemin de halage, remontant vers l’endroit où il a laissé ses affaires. Il effraie un oiseau de nuit. Il passe sur un pont en se détournant au passage d’une voiture, il traverse un village totalement endormi. Il continue à marcher le long de la berge. Il découvre qu’il est en train de traverser un champ d’orties, mais après y être entré. Malgré tout ça, il ne regrette rien. C’est une nuit magique.
Le titre se résume à un mot unique qui met en avant le fleuve Loire, et l’image de couverture se trouve dépourvue de présence humaine, le personnage principal étant également la Loire. Au cours du récit, le lecteur parcourt plusieurs pages contemplatives, dépourvues de mot, focalisées sur différents endroits du fleuve et de ses berges, parfois avec des activités humaines : au total vingt-et-une pages, souvent construites sur la base de quatre cases de la largeur de la page pour jouir d’un effet panoramique. Avec le personnage principal, le lecteur observe ainsi les belles couleurs de l’eau, en particulier quand Louis s’y baigne, un impressionnant travail de restitution en couleur directe. Il constate que l’eau est aussi calme de jour que de nuit, avec des teintes nocturnes beaucoup plus restreintes. Il reconnaît aussi bien les chemins de halage que les rives boueuses, les clôtures de champ, les herbes folles, sans oublier l’épisode avec les orties. Il constate à quel point le paysage s’avère changeant en fonction du moment de la journée et des conditions climatiques. Au fil des séquences, il voit également différentes formes de l’activité humaine : les barques de plaisance échouées sur la grève, un petit bateau à moitié coulé, des pécheurs isolés, des enfants qui sautent dans l’eau, un barrage, une station de pompage, une installation artistique, etc.
Le lecteur prend plaisir à cette forme de vagabondage dans des zones semi-naturelles, une balade ordinaire au bord du fleuve, à différents niveaux, chaque fois, avec ce fleuve quasi immobile et toujours indifférent. Il s’adapte au rythme des promenades et des contemplations, qui s’avère parfaitement en phase avec l’histoire. Plutôt qu’une intrigue à proprement parler, il s’agit d’un moment à la fois banal, à la fois totalement particulier dans l’histoire d’une demi-douzaine de personnes qui font connaissance pour la première fois ou presque pour certaines. Le point de départ est exposé dans les premières pages : Agathe a convié, par personne interposée, ses anciens amants à venir la rejoindre dans sa maison à proximité de la Loire. Ainsi, Louis, qui a vécu cinq ans avec elle se rend chez Lydia & Samuel qui ont hérité de la maison d’Agathe, et arrivent bientôt Djalil, qui a vécu trois ans avec elle, Suzanne, puis Nicolas. Ce sera l’occasion également de retrouver Laure, la fille d’Agathe, et de faire connaissance avec Zélie, la fille de Laure. Puis viendra le temps que chacun rentre chez soi. Au travers des brefs échanges, le lecteur comprend que Agathe était une femme très indépendante et libre, qu’elle a dû avoir de nombreux amants et conjoints, dont seulement quatre ont accepté son invitation. Elle a donc eu une fille sans jamais indiquer qui en est le père. Le lecteur adopte le point de vue de Louis, et se projette dans ses attentes. Il lui tarde de retrouver Agathe, ce qui ne se produira pas pour une raison incontournable. Il espère bien en apprendre plus sur cette femme et sur sa vie, au cours des échanges entre ses anciens amants qui vont ainsi l’évoquer, et… il en sera pour ses frais. La présence d’Agathe se fait sentir, toutefois l’objet du récit se trouve ailleurs.
Voilà un récit très particulier dans son approche : le titre est explicite, l’argument initial semble annoncer l’importance d’une femme, son déroulement correspond bien à la Loire comme personnage principal, perçue au travers des protagonistes. La narration visuelle emmène le lecteur au bord du fleuve, avec des traits de contour fins et légers, complétés par une mise en couleur directe nuancée et observatrice. En fonction de son état d’esprit à tel ou tel moment du récit, le lecteur va être plutôt sensible à telle caractéristique qu’à telle autre. Ainsi lors de la promenade nocturne dans le plus simple appareil, son intérêt peut se porter sur la représentation du pont au-dessus de la Loire : la forme du tablier, des piles, le motif géométrique de l’entrecroisement des poutrelles, les courbes inattendues du garde-corps en contraste les angles droits des poutrelles. Plus loin, il ne demande qu’à participer lui aussi à la préparation du repas en terrasse de la maison, une scène banale : découper les tomates, préparer le melon utiliser le moulin à salade, aller chercher de la ciboulette dans un pot derrière a cabane, sortir la bouteille qui est au frais, etc. Il sent une pointe de tristesse s’enfoncer en lui quand Louis se tient sur une chaise dans une chambre d’hôpital au chevet de José que la maladie a empêché de venir. Le bédéaste a opté pour une direction d’acteurs naturaliste, calme et mesurée, sans dramatisation particulière.
D’un côté, ce court séjour en bord de Loire peut paraître bien commun aux yeux du lecteur, s’interrogeant sur l’intérêt d’un séjour si peu touristique. De l’autre, il remarque la diversité de ce qui est représenté, la richesse de l’environnement. Il se fait la réflexion qu’il ne prend parfois conscience de cette multitude de petites choses que fortuitement. En page dix dans une petite case, un oiseau est dérangé par le passage nocturne de Louis. En page vingt-et-un, un bel oiseau prend son envol au-dessus de la surface de l’eau sur un magnifique camaïeu jaune en arrière-plan. En page trente, un renard se tient à l’abri des herbes en observant un point devant lui. En page quarante-six, un héron avance précautionneusement dans l’eau. De temps à autre, un vol d’oiseaux parcourt le ciel. L’auteur a dû effectuer un séjour conséquent dans cette région, et il est doué d’un sens de l’observation attentionné pour rendre ainsi compte des détails d’autant de facettes de cet environnement, pour pouvoir restituer autant de particularités, avec une telle justesse. Au point que l’ouvrage se conclut avec Louis indiquant qu’il voudrait penser comme un fleuve.
La narration visuelle raconte donc les différents aspects des vies humaines, ainsi que de la faune et de la flore dans cette région. Rapidement, l’esprit du lecteur en vient à établir des connexions entre différents éléments, à effectuer des rapprochements, à en déduire des liens de causalités, à y voir des métaphores. Au travers des propos de Louis, il apparaît que sa relation avec Agathe est indissociable de ce lieu, au point que la présence de la Loire peut être ressentie comme une métaphore de celle d’Agathe. Si cette dernière est absente voire morte, qu’est-ce que cela signifie pour le regard que porte Louis sur la Loire ? Il prend l’envie irrépressible à Louis de se baigner nu dans le fleuve, de se défaire de tous ses vêtements : une autre métaphore ? Une façon de se débarrasser de sa façade sociale, entre le déguisement et le fardeau, pour se plonger dans l’élément liquide comme un retour à la naissance ? Lorsqu’elle se présente aux anciens amants, Laure se livre à une véritable profession de foi : elle sait d’où elle vient, elle vient d’ici, elle est d’ici. Elle rend explicite que l’environnement dans lequel elle a grandi et s’est développée l’a façonnée, qu’elle est un produit du terroir. Au cours du récit, il est également question de ne pas opposer ses émotions à sa raison, de ne pas vivre dans le passé, avec un constat conscient du temps qui passe, de la confiance à accorder aux jeunes. Au cours d’un repas, Suzanne raconte une anecdote sur un chevreuil blessé, que l’inconscient de Louis transforme en symbole pendant un rêve, voire en métaphore pour Agathe. Finalement sur le plan narratif, il se passe bien plus de choses qu’un simple séjour en bord de Loire.
Un ouvrage en forme d’ode à la Loire ? Oui, l’auteur la représente avec plaisir, avec un sens de l’observation remarquable, avec des dessins faisant honneur aux ambiances lumineuses, au cours paisible, aux différentes composantes de son écosystème, aussi bien naturelles que la faune et la flore, aussi bien relevant des nombreuses manifestations de l’activité humaine. Un récit nonchalant et indolent, au rythme de l’écoulement quasiment insensible du fleuve ? Les enjeux et les réflexions du récit imprègnent doucement et discrètement le lecteur : le temps qui passe, les disparus et ce que la mémoire garde d’eux, les rencontres qui rapprochent, les souvenirs communs ténus et la distance qui sépare les existences, la pertinence des nouvelles générations, la fugacité de certaines choses (comme l’essor des voyages en avion). Une balade en mode détente, révélant ses saveurs et sa profondeur avec une infinie douceur.
Très sympathique BD humoristique récompensée par moi aussi d'un flatteur 4/5.
La réelle construction d'une intrigue globale distingue cette BD humoristique de la majorité des représentants du genre, davantage articulée en des gags plus ou moins autonomes. Par contre, le ressort comique principal demeure l'habituelle bêtise humaine ; et l'essentiel de l'humour repose sur l'absurde et est très majoritairement contenu dans les dialogues.
Une fois le personnage de César bien défini (présenté tel un crétin immature), l'intrigue prend son envol : le complot anti César trouve là une motivation inattendue, l'humour autour du complexe d'Œdipe est une merveilleuse idée, même les running gags sont relativement peu lourds.
Côté illustrations, l'on demeure dans les standards habituels du genre : du noir et blanc (ici teinté de bleu), des cases souvent répétées et peu de décors afin de valoriser le texte. Mais le job est fait, la clarté notamment est là : aucune confusion entre les personnages.
Mes rires sont formels : un bon crû, indéniablement !
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Cinq branches de coton noir
Cinq Branches de Coton Noir s'attarde sur le destin de 3 jeunes soldats noirs, engagés volontaires durant la seconde guerre mondiale, à qui on a confié une mission hautement importante : retrouver un des premiers drapeaux des Etats Unis. Au gré du récit nous naviguons entre 2 périodes charnières de l'histoire des Etats Unis : la guerre d'indépendance et la 2nde GM. Même si l'essentiel de l'histoire se déroule en 1944, le saut dans le passé se fait de manière très fluide à travers la lecture d'un journal retrouvé par une étudiante en histoire (le hasard faisant bien les choses) dans les affaires d'une défunte tante. Y SENTE a imagé une très belle histoire qui à mon sens à la qualité première de ne pas réécrire l'Histoire. J'avoue que j'aurai bien aimé qu'elle soit vraie. Certains passages sont un peu tirés par les cheveux mais finalement pas plus que dans d'autres ouvrages Graphiquement j'ai beaucoup apprécié le choix des couleurs. J'ai trouvé que le dessin collait parfaitement avec la dramaturgie du texte. Du travail de premier ordre. La place des "Noirs" dans la société américaine a toujours été un sujet sensible et épineux, encore aujourd'hui. Ma lecture m'a fait réalisé qu'effectivement je ne voyais que peu de noirs dans les films sur la 2nde GM. Je n'y avais jamais prêté attention et c'est pourtant assez flagrant, preuve d'une ségrégation encore bien présente au milieu du XXème siècle. Cinq Branches de Coton Noir est un bel ouvrage, avec quelques petits défauts pardonnables. A découvrir indubitablement et pour ma part un petit coup de cœur
Adieu mon royaume
L’objet est très joli, la couverture et le quatrième de couverture en camaïeu de roses avec dos toilé, édité dans un format parfait pour un livre de contes, ni trop petit, ni trop grand ; il s’agit encore d’une belle œuvre des éditions 6 Pieds Sous Terre. Cet ouvrage est une succession de contes. Chaque conte est bichromatique, composé de noir et d’un dégradé d’une unique couleur. Les teintes choisies sont mates et très belles : violet, ocre, émeraude, terre de sienne etc. Ce traitement chromatique est superbe. Un roman graphique original qui ne laissera pas indifférent dans un sens ou dans l’autre. Il est nécessaire de se laisser imprégner par l’atmosphère des couleurs, des dessins et des textes pour pleinement profiter de cette bd. Elle incite à la rêverie, celle de nos vieux contes moyenâgeux empreints de merveilleux. Il se dégage de cette lecture une certaine poésie et un sentiment d’étrangeté parce que l’histoire qui nous est contée paraît à la fois intime et lointaine. Les représentations et les personnages en rapport avec la lune et le soleil m’ont évoqué le cinéma de Méliès. Les contes sont très bien écrits avec juste ce qu’il faut de texte. Ils n’ont pas tous la même longueur ni la même profondeur, certains nous touchent plus que d’autres. Cette hétérogénéité apporte une richesse à l’ensemble et est très plaisante. A la lecture, je me rappelle m’être dit « quel dommage que l’auteur n’ait pas écrit une seule et même histoire et que tous ces contes soient séparés » et puis j’ai eu l’agréable surprise de voir se tisser un lien entre tous ces contes et personnages dans les derniers chapitres. J’ai eu envie de me replonger dans cette ambiance très singulière une seconde fois et je me suis aperçu d’un clin d’œil de l’auteur : le mendiant présent à la page 3 figure de façon plus ou moins discrète dans plusieurs contes avec différents rôles, mendiant donc, mage, client d’auberge etc. Il y a certainement beaucoup de messages sous-jacents dans ces fables, pour ma part celui que je retiens est la perte du lien originel qui unissait l’homme à la nature. In fine, il s’est agi pour moi d’une très belle respiration contemplative entre deux lectures détente « pop-corn », ce que je recherche en général dans une bd. Je regarderai les autres productions de cet auteur que je ne connaissais pas.
Le Voyageur
« Le Voyageur » restera sans doute comme l’une des œuvres les plus marquantes de Koren Shadmi. Pour preuve, publiée pour la première fois en 2017 par Ici Même, elle vient d’être rééditée par Marabulles. Et en effet, il faut bien avouer que l’ouvrage fait forte impression. Ce mystérieux voyageur qui traverse les pays et les époques apparaît d’abord énigmatique : taiseux, détaché, il semble presque indifférent envers son prochain. Au fil du récit, il va pourtant dévoiler toute son humanité, tandis que les personnes qu’il va croiser sur sa route révéleront leur bêtise, leur arrogance, leur égoïsme, leur cupidité ou leur désinvolture, en bref, toutes les tares qui font de l’être humain ce qu’il est. Et cela n’est guère glorieux… L’homme semble bénéficier d’un don qui lui fait percevoir au-delà de la surface des choses et prévoir l’avenir… une sorte de lucidité très aiguisée en somme, mais comme il s’interroge lui-même, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une malédiction… Et c’est bien son aura unique qui fait du « Voyageur » un ouvrage puissant. Voilà un personnage qui vous hantera longtemps après lecture. Les époques diffèrent selon chaque chapitre, mais la toile de fond demeure toujours la folie d’une humanité courant à sa perte, sur un mode pré ou post-apocalyptique, une humanité qui vous file parfois des haut-le-cœur et nous ramène au contexte actuel de guerres et de massacres, de disparition de la biodiversité et de bouleversements climatiques, sans parler de l’appauvrissement intellectuel des masses et de l’individualisme exacerbé par les réseaux sociaux. La narration est extrêmement fluide et chaque chapitre se conclut de façon étrange, soulevant quelques interrogations chez le lecteur. Un peu comme si un genre de puzzle s’assemblait au fil de la lecture, sans la promesse toutefois que la dernière pièce serait disponible, et il faudra sans doute plusieurs lectures pour en saisir le sens caché. En cela, le lecteur peut s’identifier à ce voyageur qui lui-même est en quête de cette « source » dont il ignore où elle se trouve. Présenté en gaufrier de six cases, l’ouvrage reste simple dans sa mise en page. La ligne claire précise et maîtrisée de Shadmi, dans son minimalisme un peu froid, n’est pas là pour jouer l’esbroufe et colle bien au propos. On ne saurait dire si cela est intentionnel de la part de l’auteur, mais ce voyageur aux yeux vairons évoque immédiatement un certain Ziggy Stardust, mais au-delà de l’aspect physique, le personnage créé par David Bowie est aussi le messager d’une humanité menacée d’extinction, un être un rien biblique, hors du monde, en quête de cette fameuse « source », graal de pureté. Un messie incompris qui a compris qu’il était trop tard pour sauver le monde, alpha et oméga malgré lui… On ne pourra que féliciter les éditions Marabulles d’avoir remis en lumière ce récit hors du commun et intemporel. « Le Voyageur », en ces temps où le monde est chauffé à blanc (dans tous les sens du terme !), apparaît comme une œuvre miroir particulièrement intrigante, qui invite à la réflexion sans toutefois livrer tous ses mystères, et c’est tout ce qu’on aime.
Le Puritain
Après Sang Barbare, El Torres rend de nouveau hommage à Robert E. Howard, il puise dans son roman Le Puritain pour réaliser ce récit fantastique. N'ayant pas lu cet ouvrage, je ne sais pas à quel point la BD lui est fidèle. Décidément El Torres a du savoir faire pour tenir en haleine son lecteur. Changement de genre, il va être question de religion avec dieu et le diable, de sorcellerie, de chasse aux sorcières, de vie éternelle et d'un chouïa de lesbianisme. Mais il introduit aussi les amérindiens avec la tribu des Wampanoag et de mysticisme africain. Une délicieuse recette au goût amer et mortifère. Une intrigue qui tient la route et qui dévoile ses secrets avec habileté. L'instrumentation du diable est à son paroxysme et la vie des < sauvages > est tout à fait secondaire. Un récit aux très nombreuses références, je vous laisse les découvrir, sachez seulement que la ville de Providence se situe non loin des faits. Des personnages qui tiennent à merveille leur rôle, de Constance la jeune fille naïve à l'homme de dieu extrémiste en passant par l'ambiguïté de Salomon Kane (le puritain). Une lecture très plaisante dans un genre que j'affectionne énormément. Un dessin efficace au trait appuyé qui joue beaucoup sur les ombres et sur les gros plans. Une colorisation au diapason pour un beau rendu. Une mise en page dynamique. Du bon boulot. Pour les aficionados du genre. "Un sceptre fut créé pour détruire le mal... en utilisant le pouvoir du mal."
Ava - Quarante-huit heures dans la vie d'Ava Gardner
Belle comme un mirage, une hallucination, un rêve rimbaldien. - Ce tome contient un récit de nature biographique, relatant quarante-huit heures de la vie d’Ava Gardner. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Emilio Ruiz pour le scénario, et par Ana Miralles pour les dessins et les couleurs. La traduction a été réalisée par Geneviève Maubille, avec une relecture assurée par Murielle Briot. Il comprend cent pages de bande dessinée. Il commence par un texte d’introduction d’une page, rédigé par Elizabeth Gouslan, autrice du livre Ava, la femme qui aimait les hommes (2012). Elle évoque la beauté inouïe de l’actrice, qualifiée de Plus bel animal du monde par Jean Cocteau, la couleur changeante de ses yeux, le film La comtesse aux pieds nus qui s’inspirent de sa vraie vie, et sa relation avec Frank Sinatra. Le sept septembre 1954, à Rio de Janeiro, le film La comtesse aux pieds nu est à l’affiche. Dans son beau costume blanc, Gilberto Souto contemple la marquise de l’Odéon qui porte le nom des acteurs et du réalisateur. Avec les journaux sous le bras, il regagne ses bureaux, où il est accueilli par sa secrétaire Belem qui lui indique qu’elle a l’agent d’Ava Gardner au téléphone. Il lui demande de lui passer l’appel dans son bureau. Souto rassure David Hanna : L’hôtel Gloria est magnifique, il est parfait pour une star telle qu’Ava Gardner. Il continue : Certes le Copacabana Palace est plus réputé, mais il est aussi moins sûr, et la situation du pays est telle qu’ils doivent avant tout veiller à la sécurité de Miss Gardner. En réponse à un question, il indique que tout est en ordre, qu’il vient de s’entretenir avec le chef de la police. En effet la venue d’Ava risque d’attirer beaucoup de monde, et on est à Rio. Hanna doit comprendre que cette ville n’est pas Lima ni Buenos Aires, encore moins Montevideo. Les Cariocas n’éprouvent pas simplement de la passion pour Miss Gardner, c’est carrément de la frénésie ! Il termine la conversation avec une recommandation : quand ils atterriront à Galejão, ils ne doivent pas descendre de l’avion, avant son arrivée. Belem, la secrétaire, rentre dans le bureau alors que Gilberto Souto a commencé à lire les journaux. Elle l’informe que M. Krymchantowsky a appelé pour organiser la journée avec les hommes d’affaires, que les responsables du festival de poésie aimeraient savoir si Ava accepterait de réciter quelques vers en portugais lors de la cérémonie de remise des prix. Souto lui indique qu’il faudra prévenir les journalistes et l’hôtel que l’avion atterrira avec du retard. Puis il enfile sa veste et lui indique qu’il se rend à l’ambassade demander des passeports diplomatiques, car l’actrice et son agent veulent se rendre directement à l’hôtel sans passer par la douane. Qui ne tente rien n’a rien… À bord de l’avion, Ava Gardner répond aux questions d’un journaliste. Que dirait-elle aux lecteurs de la Ava Gardner qui fait la une des journaux ? Sa réponse : Qu’elle ne correspond en rien à la femme qu’elle est en réalité. L’image que la presse donne d’elle l’attriste beaucoup. Question suivante : Pourquoi Ava Gardner ne conteste-t-elle jamais ces fausses informations ? Irrésistiblement attiré par la magnifique couverture, le lecteur se retrouve impuissant face à la promesse de passer du temps avec cette actrice hors du commun, ou par celle de retrouver les planches tout aussi extraordinaires d’Ana Miralles, après la série extraordinaire Djinn (2001-2016, treize tomes et trois hors-série), scénarisée par Jean Dufaux. L’expression d’Ava est indéchiffrable sur la couverture : un moment paisible hors du temps, un instant d’attente entre deux prestations à se donner en spectacle, ou une forme de résignation en train d’évoluer vers l’acceptation. Le lecteur aura la satisfaction de découvrir les circonstances de cette pause, ainsi d’avoir une vue plus large sur le lieu. Il focalise ensuite son attention sur le sous-titre : il s’agit de suivre cette beauté féminine pendant un court laps de temps : quarante-huit heures. L’introduction fournit des éléments de contexte intéressants pour celui qui découvre cette actrice : sa beauté inouïe, les réalisateurs avec qui elle a déjà tourné (John Ford, Henry King, Gorge Cuckor, John Huston, Nicholas Ray) et récemment Joseph Mankiewicz, la raison pour laquelle elle se rend à Rio de Janeiro. La planche d’ouverture contient déjà toutes les qualités du récit : différents endroits de Rio de Janeiro, la reconstitution historique, les personnages élégants, la curiosité de savoir comment va se dérouler ce séjour, à quoi va être confronté Ava Gardner, comment elle va se comporter par rapport à ce qui est attendu d’elle. C’est donc l’occasion de réaliser une visite touristique à Rio de Janeiro. Le lecteur se plaît autant à prendre le temps de laisser son regard lors des scènes en extérieur, que lors de celles en intérieur. Il rentre donc avec Gilberto Souto dans les locaux de son agence : bureaux en bois, chaises en bois, classeurs métalliques, affiches au mur, sous-main, lampe de bureau, tout est d’époque. Une fois passé la fin du voyage en avion et la douane, il prend le temps d’apprécier la décoration de l’hôtel Gloria : le tissu des larges fauteuils, les dorures de la salle de bain, le mobilier épuré dans la chambre, le grand hall de l’hôtel avec l’estrade qui a été installée et les tentures bleues. Il peut ensuite comparer avec la décoration de l’hôtel Copacabana Palace : sa piscine qui fait envie, les tables plutôt rondes que carrées et leur nappe, le magnifique lobby, la chambre aménagée avec plus de retenue, le balcon et sa vue extraordinaire sur l’océan, etc. Les décors en extérieur coupent le souffle du lecteur : le trajet en voiture de Souto pour rejoindre l’aéroport ce qui laisse le temps de regarder les façades, la perspective sur l’océan alors que l’avion achève sa descente vers la piste, la vue de la baie avec la monumentale statue du Christ rédempteur, la virée nocturne de Rene dans un autre quartier de la ville, et une virée nocturne exceptionnelle d’Ava et David qui les emmène au pied de la statue du Christ rédempteur, durant une dizaine de pages. L’artiste s’implique pour une reconstitution historique présente dans chaque élément : les accessoires du quotidien, les modèles de voitures, les robes d’Ava Gardner et ses gants, les sous-vêtements de Rene, les costumes de de ces messieurs, sans oublier les chapeaux et les cravates unies ou à motif, etc. Bien sûr, la dessinatrice soigne la ressemblance physique d’Ava Gardner, et la délicatesse de son trait convient à merveille à la pureté du visage de l’actrice, à sa silhouette gracieuse, et à ses gestes étudiés. Le lecteur peut la voir resplendir par comparaison aux autres personnages féminins, quel que soit leur degré de beauté. Il admire le maintien des hommes, souvent splendides dans leur costume formel. La qualité de la narration visuelle s’exprime également dans le naturel de chaque prise de vue, dans leur évidence et leur plausibilité. Le lecteur peut voir comment Ava Gardner joue avec le journaliste dans sa cinquantaine, lors des questions posées pendant le voyage en avion. Il apprécie l’écho qui se produit lors d’une séance d’interview beaucoup plus inquisitrice face à plusieurs journalistes, et l’actrice qui déploie tout son savoir-faire en matière de charme et de séduction. Il sent la tension monter lors du face-à-face avec Howard Hughes dans la chambre d’hôtel, alors qu’il se montre de plus en plus pressant. Il découvre les circonstances correspondant à l’illustration de couverture, et il ressent une forte empathie au vu des émotions qui secouent Ava Gardner. Au bout de quelques pages, le lecteur peut trouver la narration un peu trop factuelle, un peu explicative comme si le scénariste prenait bien soin d’éviter toute incompréhension. Il suit une femme que l’on peut qualifier de beauté fatale, soumise à l’incroyable pression créée par l’attente de tous ses admirateurs. Il ressort comme elle meurtri de la sortie d’avion pour rejoindre la douane : scénariste et artiste réalisent une séquence oppressante et claustrophobique au cours laquelle l’actrice se retrouve assaillie par une foule compacte au sein de laquelle chacun veut la toucher créant ainsi un mouvement d’écrasement terrifiant. Il prend pleinement fait et cause pour cette femme qui a besoin d’être plus que l’image publique que tout le monde exige d’elle tout le temps. Il comprend parfaitement qu’elle ait besoin d’évacuer cette pression, qu’elle ait des mouvements d’humeur… même s’il lui conseillerait d’y aller mollo sur le tabac et l’alcool. En progressant dans le récit, le lecteur se rend compte que le scénariste a tout annoncé dans les premières pages : les relations compliquées avec les hommes, une femme réduite à une image publique parfaite, le fait qu’elle ne conteste jamais les fausses informations, etc. Tout est là. Il découvre alors que le récit va au-delà de ces éléments attendus. La virée nocturne de David & Ava exprime avec force le besoin de liberté, de sortir des apparences attendues. Il comprend le pourquoi d’une séquence dans le passé avec son père qui lui dit que : Les poupées ne sont pas idiotes, elles savent se débrouiller. Une métaphore sur l’image de poupée d’Ava, qui ne veut certainement pas finir comme celle qu’elle a eu étant petite. La réception d’Ava Gardner s’inscrit également dans un contexte politique et social très concret. Le lecteur ressent également de l’empathie pour Mearene (Rene) Jordan la dame de compagnie de l’actrice, et il s’insurge contre le piège qui lui est tendu. Il commence par sourire en voyant comment certaines personnes essayent de tirer profit par tous les moyens de la présence de l’actrice célèbre, y compris par des moyens malhonnêtes. Il se rend compte que la réflexion va plus loin, en mettant en scène comment cette femme représente Hollywood, c’est-à-dire à la fois l’impérialisme culturel américain et la richesse financière hors de proportion avec la réalité des habitants du Brésil. Ce qui induit une différence de situation sans comparaison possible entre des individus faisant tout ce qu’ils peuvent pour améliorer leur ordinaire avec les moyens dont ils disposent quelle qu’en soit la légalité, dans une société fonctionnant sur la débrouille et la corruption, par opposition à une femme courtisée par tout le monde, prisonnière de son image et du rôle que les autres lui imposent, dans lequel ils la cantonnent, malgré son aisance financière. C’est un plaisir ineffable que de retrouver l’élégance de la narration visuelle d’Ana Miralles, son implication extraordinaire dans l’élégance et la reconstitution historique, sa justesse dans la narration visuelle. Venu pour partager deux jours dans la vie d’une actrice magnifique, le lecteur se retrouve à endurer les conséquences de sa beauté incomparable qui la réduit à un objet du désir pour la foule, ainsi que la convoitise qu’elle suscite en tant qu’incarnation de l’impérialisme américain.
Sang Barbare
Les éditions Graph Zeppelin commencent une nouvelle collection avec El Torres à la barre. Quatre albums sortent ce 18 juillet. Cette BD est un hommage d'El Torres à Robert E. Howard et à son personnage fétiche : Conan. J'ai une tendresse particulière pour ce barbare qui a bercé mon adolescence sous la plume de Roy Thomas et le trait félin de Barry Windsor-Smith puis ensuite celui plus musclé de John Buscema. La référence pour ce guerrier sanguinaire. Il ne s'agit pas d'une adaptation d'un roman mais d'une histoire basée sur l'œuvre de Robert E. Howard. El Torres s'en tire plutôt bien, il arrive à en retranscrire l'essence tout en faisant preuve d'une certaine originalité en faisant du fils de Conan le personnage principal. Le temps a passé et Conan est devenu Roi et vieux. Son royaume d'Aquilonnie prospère, mais il est toujours sous la menace des Pictes. Même en ces temps anciens, les conflits intergénérationnels existaient déjà, avec d'un côté le prince Conan qui souhaite la civilisation, sa mère lui a donné une éducation. Le contraire de Conan qui a bâti son royaume sur la barbarie. Un récit captivant, les protagonistes sont bien campés (j'ai un petit faible pour Ramla, une sorcière qui voit le futur) et la narration, qui passe successivement du fils au père, dynamise le récit. Évidemment la violence sera omniprésente, la magie viendra s'inviter et les rebondissements seront présents. Et la surprise de découvrir un Conan vieillissant. Une lecture très agréable, la conclusion est un peu trop convenue à mon goût, elle n'a cependant pas gâché mon plaisir. Le binôme Joe Bocardo (pour le dessin) et Manoli Martinez (pour la couleur) nous offrent de superbes planches. J'ai aimé la texture du trait, il est expressif, bestial et distille une touche de sensualité lorsque c'est nécessaire. Les couleurs sombres maintiennent le lecteur sur ses gardes. La mise est en page est précise et efficace. Quelques rares planches en noir et blanc, elles mettent en avant le talent de Joe Bocardo. Un artiste à suivre. En fin d'album, une lettre d'El Torres sur la passion qu'il voue à Conan et à son auteur. Quelques dessins en noir et blanc de Bocardo pour terminer. Hommage réussi.
Nécromants
Le premier aperçu de la couverture m'a laissé penser à une série de l'univers de Troy. Et c'est vrai qu'on trouve dans ce diptyque de fantasy beaucoup de similitudes avec le monde d'Arleston, tant dans la forme que dans l'esprit. C'est de l'héroic-fantasy légère, volontiers humoristique, qui bâtit son univers autour de l'action qu'elle veut mettre en place et du concept qu'elle veut utiliser. Ici, point de pouvoirs différents pour chaque habitant comme dans le monde de Troy, pas de spécialistes de l'invocation de démons comme dans Démonistes du même scénariste, ni d'experts en poisons comme dans Dragon & Poisons, ou de magie plus générique comme dans Danthrakon, mais des experts en nécromancie. Dans cet univers en effet, la magie la plus répandue consiste à réveiller l'esprit des morts et permettre aux nécromants de s'adjoindre les services de leurs fantômes qui dès lors pourront transmettre leur savoir et leurs pouvoirs à ceux à qui ils se lient. Besoin de participer à un combat, liez-vous au fantôme d'un puissant guerrier et acquérez toutes ses compétences martiales le temps de la bagarre. Acher, le héros, est pour sa part un bien piètre nécromant. Les trois fantômes auxquels il s'est lié sont un vieil érudit pas très doué, un jeune guerrier maladroit, et... une danseuse du ventre. Aussi, quand sa sœur bien plus douée libère par erreur le fantôme d'un antique archimage maléfique qui prend possession d'elle et menace de conquérir le monde, il va avoir bien du mal à tenter de sauver la situation. J'ai aimé la maîtrise de cette série. La narration est impeccable, claire et concise, permettant de faire tenir en 48 pages une intrigue dense et prenante. On comprend très vite le fonctionnement de ce monde et de sa magie. Et les personnages sont bien posés et plutôt intéressants. L'ensemble est soutenu par un graphisme de très bonne qualité, tant pour le dessin que pour les couleurs. Les planches sont soignées, parfois presque un peu trop. Ce que je veux dire, c'est que le trait est fin et les détails sont parfois un peu petits, comme si un format plus grand encore avait été préférable. Mais c'est du beau boulot et c'est plaisant à regarder et bien efficace à la lecture. J'ai pris plaisir à lire cette BD et je me suis rapidement laisser prendre à son intrigue. La faiblesse du héros et de ses fantômes est parfois un peu frustrante, mais il s'en sort convenablement et finit heureusement par remonter la pente tout en restant crédible. Et j'aime bien sa relation avec ses fantômes d'une part, et avec la fille qui va l'accompagner ensuite. Hormis un petit au départ à propos des Biblysophiles, j'ai été agréablement surpris de ne pas voir de jeux de mots lourdauds dans les noms des différents lieux et personnages de ce monde de fantasy. Cependant, à partir de la seconde moitié du tome 1, de plus en plus de dialogues font directement des clins d'œil parfois pas discrets du tout à des paroles de chansons et autres références geeks. Les deux premiers étaient assez amusants quoiqu'incongrus comparé au sérieux relatif de l'intrigue, mais au-delà j'ai commencé à trouver ces tentatives d'humour un peu pénibles et brisant le charme du récit. Cela a réduit la très bonne opinion que j'avais de la série jusque là. Heureusement, ce défaut disparait dans le second tome. Au final, c'est un diptyque divertissant, amusant et très bien mené qui nous est offert là. L'intrigue tient la route avec un bon rythme, les personnages sont tous attachants, et le final est convaincant, avec juste les petits retournements de situation qu'il faut pour entretenir le suspense. Série courte mais très sympa.
True Stories of Nic & Matt
J’avais adoré La Favorite du même co-auteur (d’ailleurs c’est assez marrant il cite son livre dans cette bd mais en changeant le nom et j’ai juste reconnu parce que le dessin de la couverture ressemble vaguement au dessin qu’il montre a un moment ) et j’ai pris cette bd au hasard sans savoir à quoi m’attendre à part a un road trip entre ami. En fait le road trip ne dure que la première partie du récit, après on passe à une partie assez amusante où les deux compères essayent de percer avec leur groupe et d’autre copains, puis on les retrouve en France à galerer pour trouver du taf. J’ai préféré la première partie et j’aurai aimé qu’on reste sur cette idée de journal de voyage scénarisé, les rencontres qu’ils font sont celles qu’on peut attendre de ce type de baroudage : parfois triste, glauque, drôle, et on sent bien leur amitié avec les deux passions qui les rassemblent : bd et musique. La partie groupe est sympa mais on voit moins leur amitié qui est pourtant l’idée maîtresse de l’œuvre (normal comme ils sont en groupe les interactions sont moins intimes). Je recommande la lecture surtout pour le début qui fait très « vacances » finalement et donne envie de voyager.
Loire
Je voudrais penser comme un fleuve. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Étienne Davodeau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-seize pages de bande dessinée. En exergue se trouvent deux citations, une de Philippe Descola, extraite de son ouvrage Par-delà nature et culture (2005), une autre d’une allocution de Bruno Latour, devant la Commission du Parlement de Loire, Tours, le 19 octobre 2019. Un homme traverse à pied le long pont qui enjambe la Loire à Les Ponts-de-Cé. Il parvient au carrefour sur l’autre rive. Cela fait longtemps que Louis n’est pas revenu ici, depuis des années. Il fait encore une partie du chemin en auto-stop, puis il se fait déposer à quelques distances de sa destination, car il a décidé de finir son chemin à pied. Avec son petit sac baluchon à l’épaule, il marche tranquillement le long de la berge. Il croise un cycliste, il passe devant une maison isolée, le fleuve est calme et tranquille, la lumière orangée. Au beau milieu d’un chemin longeant un champ, totalement isolé, il cède à une impulsion du moment, il n’y a personne. Il se déshabille et laisse ses vêtements sur la rive. Il entre progressivement dans l’eau, il s’asperge le visage. Il s’immerge totalement, il se laisse flotter sur le dos, il fait quelques mouvements de crawl. C’est vrai, c’était il y a quelques années et il était plus jeune. Mais il s’est baigné là des dizaines de fois, et jamais il ne s’était fait piéger pas le courant. Lutter ne sert à rien. Essayer de se détendre. Laisser faire. Flotter. Il passe devant un pêcheur et son fils qui lui demandent si tout va bien, il répond : Impeccable. Il dérive le long d’un bateau et il répond qu’il n’a pas besoin d’aide, que tout va bien. Le batelier l’avertit que le coin est dangereux et que ce n’est pas très malin de nager juste dans le chenal. Louis a dérivé sur deux ou trois kilomètres. Passé le premier moment d’inquiétude, c’est une belle balade. Bon, ça aurait pu être plus simple si le courant ne l’avait pas déposé sur la rive d’en face. Il ne se voit pas sonner à poil chez des gens. Il lui reste donc une solution qui devrait lui sembler complètement idiote. Mais là, non. Attendre la nuit noire. Et hop ! Lui, il est juste revenu pour revoir une vieille amie. Et bien sûr, à ce moment-là, il ignorait tout de ce qui allait suivre. Mais quoi ? Maintenant, il se dit que c’est sans doute la plus belle façon de revenir vers elle. On peut trouver ça un peu ridicule. Passé le pont, il remonte le courant. Et ces quelques kilomètres, c’est comme une remise à flot d’une période de sa vie. Une période heureuse. Avec elle. Tout nu, Louis marche sur le chemin de halage, remontant vers l’endroit où il a laissé ses affaires. Il effraie un oiseau de nuit. Il passe sur un pont en se détournant au passage d’une voiture, il traverse un village totalement endormi. Il continue à marcher le long de la berge. Il découvre qu’il est en train de traverser un champ d’orties, mais après y être entré. Malgré tout ça, il ne regrette rien. C’est une nuit magique. Le titre se résume à un mot unique qui met en avant le fleuve Loire, et l’image de couverture se trouve dépourvue de présence humaine, le personnage principal étant également la Loire. Au cours du récit, le lecteur parcourt plusieurs pages contemplatives, dépourvues de mot, focalisées sur différents endroits du fleuve et de ses berges, parfois avec des activités humaines : au total vingt-et-une pages, souvent construites sur la base de quatre cases de la largeur de la page pour jouir d’un effet panoramique. Avec le personnage principal, le lecteur observe ainsi les belles couleurs de l’eau, en particulier quand Louis s’y baigne, un impressionnant travail de restitution en couleur directe. Il constate que l’eau est aussi calme de jour que de nuit, avec des teintes nocturnes beaucoup plus restreintes. Il reconnaît aussi bien les chemins de halage que les rives boueuses, les clôtures de champ, les herbes folles, sans oublier l’épisode avec les orties. Il constate à quel point le paysage s’avère changeant en fonction du moment de la journée et des conditions climatiques. Au fil des séquences, il voit également différentes formes de l’activité humaine : les barques de plaisance échouées sur la grève, un petit bateau à moitié coulé, des pécheurs isolés, des enfants qui sautent dans l’eau, un barrage, une station de pompage, une installation artistique, etc. Le lecteur prend plaisir à cette forme de vagabondage dans des zones semi-naturelles, une balade ordinaire au bord du fleuve, à différents niveaux, chaque fois, avec ce fleuve quasi immobile et toujours indifférent. Il s’adapte au rythme des promenades et des contemplations, qui s’avère parfaitement en phase avec l’histoire. Plutôt qu’une intrigue à proprement parler, il s’agit d’un moment à la fois banal, à la fois totalement particulier dans l’histoire d’une demi-douzaine de personnes qui font connaissance pour la première fois ou presque pour certaines. Le point de départ est exposé dans les premières pages : Agathe a convié, par personne interposée, ses anciens amants à venir la rejoindre dans sa maison à proximité de la Loire. Ainsi, Louis, qui a vécu cinq ans avec elle se rend chez Lydia & Samuel qui ont hérité de la maison d’Agathe, et arrivent bientôt Djalil, qui a vécu trois ans avec elle, Suzanne, puis Nicolas. Ce sera l’occasion également de retrouver Laure, la fille d’Agathe, et de faire connaissance avec Zélie, la fille de Laure. Puis viendra le temps que chacun rentre chez soi. Au travers des brefs échanges, le lecteur comprend que Agathe était une femme très indépendante et libre, qu’elle a dû avoir de nombreux amants et conjoints, dont seulement quatre ont accepté son invitation. Elle a donc eu une fille sans jamais indiquer qui en est le père. Le lecteur adopte le point de vue de Louis, et se projette dans ses attentes. Il lui tarde de retrouver Agathe, ce qui ne se produira pas pour une raison incontournable. Il espère bien en apprendre plus sur cette femme et sur sa vie, au cours des échanges entre ses anciens amants qui vont ainsi l’évoquer, et… il en sera pour ses frais. La présence d’Agathe se fait sentir, toutefois l’objet du récit se trouve ailleurs. Voilà un récit très particulier dans son approche : le titre est explicite, l’argument initial semble annoncer l’importance d’une femme, son déroulement correspond bien à la Loire comme personnage principal, perçue au travers des protagonistes. La narration visuelle emmène le lecteur au bord du fleuve, avec des traits de contour fins et légers, complétés par une mise en couleur directe nuancée et observatrice. En fonction de son état d’esprit à tel ou tel moment du récit, le lecteur va être plutôt sensible à telle caractéristique qu’à telle autre. Ainsi lors de la promenade nocturne dans le plus simple appareil, son intérêt peut se porter sur la représentation du pont au-dessus de la Loire : la forme du tablier, des piles, le motif géométrique de l’entrecroisement des poutrelles, les courbes inattendues du garde-corps en contraste les angles droits des poutrelles. Plus loin, il ne demande qu’à participer lui aussi à la préparation du repas en terrasse de la maison, une scène banale : découper les tomates, préparer le melon utiliser le moulin à salade, aller chercher de la ciboulette dans un pot derrière a cabane, sortir la bouteille qui est au frais, etc. Il sent une pointe de tristesse s’enfoncer en lui quand Louis se tient sur une chaise dans une chambre d’hôpital au chevet de José que la maladie a empêché de venir. Le bédéaste a opté pour une direction d’acteurs naturaliste, calme et mesurée, sans dramatisation particulière. D’un côté, ce court séjour en bord de Loire peut paraître bien commun aux yeux du lecteur, s’interrogeant sur l’intérêt d’un séjour si peu touristique. De l’autre, il remarque la diversité de ce qui est représenté, la richesse de l’environnement. Il se fait la réflexion qu’il ne prend parfois conscience de cette multitude de petites choses que fortuitement. En page dix dans une petite case, un oiseau est dérangé par le passage nocturne de Louis. En page vingt-et-un, un bel oiseau prend son envol au-dessus de la surface de l’eau sur un magnifique camaïeu jaune en arrière-plan. En page trente, un renard se tient à l’abri des herbes en observant un point devant lui. En page quarante-six, un héron avance précautionneusement dans l’eau. De temps à autre, un vol d’oiseaux parcourt le ciel. L’auteur a dû effectuer un séjour conséquent dans cette région, et il est doué d’un sens de l’observation attentionné pour rendre ainsi compte des détails d’autant de facettes de cet environnement, pour pouvoir restituer autant de particularités, avec une telle justesse. Au point que l’ouvrage se conclut avec Louis indiquant qu’il voudrait penser comme un fleuve. La narration visuelle raconte donc les différents aspects des vies humaines, ainsi que de la faune et de la flore dans cette région. Rapidement, l’esprit du lecteur en vient à établir des connexions entre différents éléments, à effectuer des rapprochements, à en déduire des liens de causalités, à y voir des métaphores. Au travers des propos de Louis, il apparaît que sa relation avec Agathe est indissociable de ce lieu, au point que la présence de la Loire peut être ressentie comme une métaphore de celle d’Agathe. Si cette dernière est absente voire morte, qu’est-ce que cela signifie pour le regard que porte Louis sur la Loire ? Il prend l’envie irrépressible à Louis de se baigner nu dans le fleuve, de se défaire de tous ses vêtements : une autre métaphore ? Une façon de se débarrasser de sa façade sociale, entre le déguisement et le fardeau, pour se plonger dans l’élément liquide comme un retour à la naissance ? Lorsqu’elle se présente aux anciens amants, Laure se livre à une véritable profession de foi : elle sait d’où elle vient, elle vient d’ici, elle est d’ici. Elle rend explicite que l’environnement dans lequel elle a grandi et s’est développée l’a façonnée, qu’elle est un produit du terroir. Au cours du récit, il est également question de ne pas opposer ses émotions à sa raison, de ne pas vivre dans le passé, avec un constat conscient du temps qui passe, de la confiance à accorder aux jeunes. Au cours d’un repas, Suzanne raconte une anecdote sur un chevreuil blessé, que l’inconscient de Louis transforme en symbole pendant un rêve, voire en métaphore pour Agathe. Finalement sur le plan narratif, il se passe bien plus de choses qu’un simple séjour en bord de Loire. Un ouvrage en forme d’ode à la Loire ? Oui, l’auteur la représente avec plaisir, avec un sens de l’observation remarquable, avec des dessins faisant honneur aux ambiances lumineuses, au cours paisible, aux différentes composantes de son écosystème, aussi bien naturelles que la faune et la flore, aussi bien relevant des nombreuses manifestations de l’activité humaine. Un récit nonchalant et indolent, au rythme de l’écoulement quasiment insensible du fleuve ? Les enjeux et les réflexions du récit imprègnent doucement et discrètement le lecteur : le temps qui passe, les disparus et ce que la mémoire garde d’eux, les rencontres qui rapprochent, les souvenirs communs ténus et la distance qui sépare les existences, la pertinence des nouvelles générations, la fugacité de certaines choses (comme l’essor des voyages en avion). Une balade en mode détente, révélant ses saveurs et sa profondeur avec une infinie douceur.
Salade César
Très sympathique BD humoristique récompensée par moi aussi d'un flatteur 4/5. La réelle construction d'une intrigue globale distingue cette BD humoristique de la majorité des représentants du genre, davantage articulée en des gags plus ou moins autonomes. Par contre, le ressort comique principal demeure l'habituelle bêtise humaine ; et l'essentiel de l'humour repose sur l'absurde et est très majoritairement contenu dans les dialogues. Une fois le personnage de César bien défini (présenté tel un crétin immature), l'intrigue prend son envol : le complot anti César trouve là une motivation inattendue, l'humour autour du complexe d'Œdipe est une merveilleuse idée, même les running gags sont relativement peu lourds. Côté illustrations, l'on demeure dans les standards habituels du genre : du noir et blanc (ici teinté de bleu), des cases souvent répétées et peu de décors afin de valoriser le texte. Mais le job est fait, la clarté notamment est là : aucune confusion entre les personnages. Mes rires sont formels : un bon crû, indéniablement !