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Couverture de la série Moi, Jules César
Moi, Jules César

Cette série pourrait très bien avoir sa place dans une bibliothèque dévolue à l'histoire de Rome. En effet les auteurs proposent un récit historique très détaillé et référencé comme le prouve les nombreuses pages de notes en fin d'ouvrage. De nombreux passages sont basés sur les écrit de Suétone ou de Plutarque mais aussi sur les recherches de nombreux spécialistes de la période et bien sûr avec les écrits de César pendant la Guerre des Gaules. Contrairement à une série comme Murena fiction historique qui fait place à beaucoup d'émotionnel, ici il s'agit bien d'un récit historique complet et détaillé où quelques situations fictives donnent de la souplesse et de la fluidité à la narration. La lecture est soutenue mais accessible. Le personnage peu, sympathique de César mérite cette attention tellement il a marqué la destinée européenne comme modèle politique ou militaire. La vie familiale du dictateur n'est pas oublié tant qu'elle sert la destinée politique de l'homme. Les auteurs évitent le voyeurisme intime même si le fameux "le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris" est évoqué brièvement. Les auteurs donnent une bonne visibilité à un récit qui aurait pu être très confus tellement il y a de personnages, d'alliances et de trahisons pendant ces plus de vingt ans de pouvoir. J'ai beaucoup aimé la partie jeunesse de César très bien mis en perspective par les auteurs. A travers la guerre civile des Optimates contre les Plébéiens ce passage fonde une grande partie des actions postérieures du maitre de Rome. Le portrait est implacable tout en évitant un jugement de valeur d'une vision contemporaine. César était sans état d'âme un horrible génocidaire, esclavagiste et impérialiste. Pourtant il est resté un modèle historique qui a même eu sa place de façon humoristique dans nos albums préférés. Je trouve que cela à de quoi faire réfléchir. Le graphisme est précis . On pourrait lui reprocher son côté scolaire mais cela correspond à l'esprit d'enquête historique sérieuse que propose la série. La violence est très présente mais contenue sans volonté malsaine de voyeurisme. Ainsi le dessin équilibre bien un texte recherché qui essaye du mieux possible de rendre la pensée politique de César. Une bonne lecture pour les amateurs d'Histoire et plus.

07/10/2025 (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Ulysse & Cyrano
Ulysse & Cyrano

Je crois que l'essentiel a été dit sur cet album. En effet on passe un très bon moment et cela malgré les petits points négatifs relevés par les uns et les autres. A commencer par les clichés qui entourent le jeune héros, Ulysse. Héritier d'un riche industriel, sa voie est toute tracée : reprendre l'affaire familiale. Son père est un dur, sa mère est effacée et lui ne veut pas de cette destinée, il rêve d'une autre vie. En l'occurence sa rencontre avec Cyrano sera le révélateur : c'est la cuisine qui le fait vibrer. Ce qui amène peut être l'autre bémol : les énumérations de plats qui s'enchainent donnent l'impression de regarder une énieme saison de top chef. Mais malgré ces détails, c'est très plaisant à suivre. Car si c'est très classique, c'est surtout bien dessiné et très bien raconté. Ulysse est attachant, on est assez curieux de voir où son apprentissage progressif de la cuisine, en parallèle de ses révisions du bac, va le mener. Son binôme avec Cyrano, le cuistot bourru qui devient son mentor, fonctionne bien. Les péripéties sont un peu convenues, on sait déjà qu'ils vont se disputer puis se réconcilier... mais c'est pas grave, on ne s'ennuie jamais avec ces deux là. C'est vraiment une BD feel good qui donne le sourire, à défaut de surprendre.

07/10/2025 (modifier)
Couverture de la série Moi, Fadi - Le Frère volé
Moi, Fadi - Le Frère volé

Riad Sattouf réussit encore une fois à toucher en plein cœur avec Moi, Fadi, le frère volé. Cette BD raconte l’enfance de Fadi, entre la Bretagne et la Syrie, avec des moments bouleversants mais toujours racontés avec justesse et un brin d’humour. On ressent toute la complexité de la famille et le poids de certaines décisions, mais aussi les instants de tendresse et de complicité qui subsistent malgré tout. Le dessin simple de Sattouf rend le récit vivant et authentique. Ce qui m’a le plus marqué, c’est de voir le monde à travers les yeux de Fadi, longtemps resté dans l’ombre, et de comprendre enfin son histoire. Et maintenant, je n’ai qu’une envie : lire la suite ! On attend de voir comment Fadi va grandir et affronter la suite de son histoire.

07/10/2025 (modifier)
Couverture de la série Sainte Famille
Sainte Famille

Les éditions Ego comme x ont publié pas mal d’œuvres autobiographiques, dont certaines très fortes (je pense par exemple au Journal de Fabrice Neaud). Cette « Sainte famille », par son caractère d’introspection, par sa volonté de ne rien cacher des sentiments et réflexions de l’auteur, voire de ses travers, se situe dans la lignée du Journal, ou de Douce confusion d’Olivier Josso, chez le même éditeur. L’essentiel de la narration suit les commentaires de l’auteur lui-même, sous forme d’un long monologue (rares sont les dialogues dans des phylactères), mais ça n’alourdit pas le récit, très autobiographique, mais pas uniquement autocentré. En effet, les figures du père et de la mère – et les conséquences de leur séparation – occupent pas mal de place. La mise à nu à laquelle se contraint Xavier Mussat (mise à nu poursuivie dans le très intéressant Carnation) intéresse au-delà du simple aspect voyeurisme, il y a dans son récit beaucoup de pudeur – qui n’empêche pas la violence de s’inviter. Il y a aussi une sensibilité et un talent qui donne à cet album qui transcende l’aspect psychanalytique dans lequel le lecteur se trouve embarqué ici, à écouter – lire plutôt – le « patient » Mussat, qui nous expose son mal-être, les étapes de sa construction personnelle. Un album sincère, fort, que le dessin faussement maladroit et une belle utilisation du Noir et Blanc accompagnent très bien.

06/10/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Terres d'Ynuma
Terres d'Ynuma

Après les Elfes, les Nains, les Ocs, l'ouverture vers un semblant de continent africain avec les Terres d'Ogon, un nouvel horizon s'ouvre dans le Monde d'Aquilon : Les Terres d'Ynuma, qui revisite façon fantasy la mythologie japonaise. Si j'ai commencé par me dire "Allez... Encore une nouvelle extension de l'univers déjà mastard du monde d'Aquilon !", j'avoue avoir un faible pour la mythologie japonaise, et j'ai donc plongé empli de curiosité dans ce nouveau cycle. On retrouve Nicolas Jarry au scénario, déjà bien investi dans l'univers, et Vax au dessin, que j'avais découvert avec Guerres & Dragons et le cycle Terres d'Ogon. Son trait est agréable et je l'ai trouvé très inspiré dans ce nouvel univers asiatique. Ses personnages sont bons, ses décors très réussis et immergeants, et les créatures fantastiques du folklore japonais magnifiquement réalisées. Si le coup du duo improbable ne brille pas par son originalité, il fonctionne pour autant très bien. Le titre de cet album tient au légendaire Samouraï rouge qui accompagne la prêtresses Mei-Jen dans ses exorcismes. Et nos deux compères ne chaument pas ! Chaque petite aventure s'ouvre sur un haïku formant au fil des pages un récit au long cours. Voici donc un nouveau pan de cet univers qui s'ouvre de façon très plaisante ; on est vite happé quand, comme moi, le folklore japonais et la fantasy vous titillent. Espérons juste que nous ne soyons pas partis pour une trop longue série de tomes qui finissent par noyer le lecteur (5 tomes sont pour l'instant annoncé).

06/10/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série French Theory
French Theory

La French Theory, c’est quoi ? C’est un courant de pensée initié par des philosophes français dans les années 60 où le concept de déconstruction tenait une place centrale. Le fait que l’appellation soit en anglais démontre à lui seul l’importance de ce mouvement et l’engouement qu’il suscita aux États-Unis, bien plus qu’en France, même si cela se limitait aux universités et que seuls les initiés en maîtrisait le concept. Pourtant, ces textes philosophiques, si puissants dans leurs contenus, ont fini par déborder des bibliothèques et des conférences universitaires, se propageant dans le reste de la société et infusant les mœurs et la culture… Pour faire simple, c’est ce mouvement qui a inspiré la lutte des minorités, qui recouvre un vaste champ thématique, de la question coloniale aux combats féministes, en passant par la notion d’identité et de genre, la contestation sociale, la conquête de nouveaux droits…dans un contexte où le capitalisme, moins menacé à l’époque, n’avait pas encore révélé toute la férocité dont il est capable… Une férocité qui s’exprime à travers le « backlash » auquel on assiste depuis quelques années, « le retour de bâton après des progrès et des avancées », en somme une attaque en règle contre le fameux « wokisme » qui, aux yeux de ses adversaires, est devenu l’insulte ultime évitant toute justification… et pour cela, la fin justifie les moyens : répression violente, privatisation tous azimuts, individualisme, technologies de contrôle… et désormais tentatives de miner la liberté d’expression, comme on peut le voir avec Trump n°2, qui ne ménage pas ses efforts pour remettre en cause le premier amendement de la constitution US ! Face aux slogans simplistes assénés par les réactionnaires de tout poil pour toucher les foules qu’ils préfèrent déculturées, on serait tentés de croire que la pensée déconstructiviste ne fait guère le poids. En effet, peut-on envisager une seule seconde de s’appuyer sur un ouvrage au contenu ardu d’un Foucault ou d’un Deleuze pour répondre à un interlocuteur qui clamera, en se contrefoutant éperdument de vos arguments, sa détestation des intellos woke-islamo-gaucho-bobos ? Et c’est bien en cela que « French Theory » coche toutes les cases. C’est une synthèse parfaite et rafraichissante d’une pensée parfois complexe, et qui incitera les plus motivés — les plus « rebelles » aussi — à creuser le sujet, grâce à la bibliographie en fin d’ouvrage. La narration fluide rend le concept de déconstruction accessible – y compris pour moi qui je le confesse n’ai lu aucun ouvrage de ces philosophes. Plutôt que de développer en détail cette théorie (ce qui est fait sur un seul chapitre), les auteurs ont choisi de privilégier l’histoire du mouvement, ses implications hors du cadre universitaire, à l’échelle internationale, ses influences à travers la peinture, l’architecture, le cinéma, la musique, la littérature, sans oublier… la bande dessinée. De même, les autres protagonistes du mouvement sont évoqués — et il n’y avait pas seulement les cinq représentés en couverture (Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jean Baudrillard), loin de là. Bon nombre d’entre eux n’étaient pas français, beaucoup étaient évidemment étatsuniens, et parmi eux : Bernard Said, Homi Bhabhaj et G.C. Spivak (tous deux nés en Inde), Judith Butler, Eve Kosofsky Sedgwick… Pour accompagner le texte, Thomas Daquin nous propose une ligne claire pop et colorée, aux accents parfois psychédéliques, reflétant bien l’atmosphère de l’époque. Ce dernier sait faire preuve d’inventivité et de fantaisie pour mettre en images des concepts pouvant paraître abstraits, conférant au livre un côté très ludique. Si l’ouvrage décrit un monde en décomposition où les mouvements progressistes se voient férocement attaqués de toute part par les politiques autoritaires voire fascisantes, il permet aussi de prendre du recul et fait appel à notre aptitude à l’analyse. Il nous oblige à faire un pas de côté, nous conduit à voir les choses sous une perspective nouvelle, moins désespérante. Car en effet, la French Theory se veut aussi « une boîte à outils politique, qui inclut sa propre critique, mais pas vraiment de notice d’utilisation ». En suscitant ainsi la réflexion, il poussera peut-être les plus révoltés et/ou démoralisés par le contexte actuel à être créatifs en inventant de nouvelles formes d’action. La bonne nouvelle, nous dit François Cusset, c’est que l’œuvre de ces philosophes est redevenue vivante en France, au grand dam des propagandistes anti-woke. Cette bande dessinée, qui dérive de l’essai éponyme de François Cusset, demeurant ici co-auteur, est donc une réussite totale en termes de vulgarisation, prouvant s’il était besoin la capacité du neuvième art à attirer un lectorat pas forcément porté sur ce type d’ouvrages, et à lui faire découvrir des écrits théoriques souffrant — quoi qu’on en dise — d’une image rébarbative pour le commun des mortels. Évoquer sur 144 pages seulement un mouvement philosophique réunissant autant d’acteurs, et par ailleurs assez disparate — certains d’entre eux étaient même en opposition sur certains sujets —, relevait incontestablement du challenge. Les auteurs ont parfaitement relevé le défi, qui fait de « French Theory » un vrai coup de cœur et l’une des lectures indispensables de l’année. En guise de conclusion à cet avis, n’oublions pas cette puissante citation de Gilles Deleuze mentionnée en fin d’ouvrage : « LE POUVOIR NOUS VEUT TRISTES ». En espérant que ça vous donne la patate et le smile ;-)

06/10/2025 (modifier)
Par grogro
Note: 4/5
Couverture de la série L'Orangeraie
L'Orangeraie

Achetée un peu à l’aveuglette pour mon boulot sur la foi d’un papier plutôt favorable, cette BD m’a conquis. Je ne connaissais pas du tout le récit original, mais les auteurs évoquent un sujet d’actualité douloureux (le terrorisme en l’occurrence) qu’ils parviennent à élever au-dessus d’un contexte précis et à rendre accessible à un public plus jeune. Bon, graphiquement, j’avoue, ce n’est pas la grosse éclate, même si le dessin est tout à fait correct. Disons que l’ensemble manque un peu de personnalité, et le trait d'un peu de finesse, et que vu le style, on aurait apprécié davantage de détails. C’est surtout le scénario qui marque les esprits, ainsi que son cheminement émotionnel. L’histoire commence lors d’une répétition de théâtre qui voit l’un des acteurs quitter la scène précipitamment, affirmant qu’il est incapable de jouer le rôle qui lui est assigné. Le metteur en scène le rattrape, et notre homme révèle qu’il porte en réalité un tout autre nom. Et puis hop ! Flashback ! Le truc monte gentiment, puis il s'installe une ambiance pesante mais pudique. On devine les choses bien davantage qu'on ne les voit, et c'est la grande force de ce récit qui se fait comprendre à demi-mot (d'où une frustration éprouvée du côté des dessins, mais peut-être qu'après tout, il fallait cette douceur de trait...). J'ignore bien entendu si cela est le fait du roman à l'origine de cette adaptation, mais en tout cas, le sujet n'en est que bien plus fort car il s'infiltre dans tous vos pores, dans tous vos neurones tout en ne vous imposant rien. Très chouette histoire, très forte, qui en outre sait se mettre à hauteur d'adolescent. Une belle surprise.

05/10/2025 (modifier)
Couverture de la série L'Arabe du futur
L'Arabe du futur

L’Arabe du futur, de Riad Sattouf, est bien plus qu’une simple autobiographie dessinée : c’est un véritable voyage à travers l’enfance, la mémoire et les contradictions du monde contemporain. En racontant sa jeunesse entre la France, la Libye et la Syrie, Sattouf livre un témoignage à la fois intime et universel, où se mêlent les notions d’identité, d’éducation, de culture et de liberté. Le regard d’enfant, parfois candide, parfois d’une lucidité désarmante, donne au récit une force émotionnelle rare. À travers ses yeux, on découvre la vie quotidienne dans des régimes autoritaires, les différences culturelles parfois incompréhensibles, mais aussi la tendresse et la complexité des relations familiales. Son père, personnage central et paradoxal, incarne à lui seul le tiraillement entre idéalisme et autoritarisme, modernité et tradition. Le dessin de Sattouf, d’apparence simple, est d’une efficacité remarquable : les visages expressifs, la mise en couleur monochrome propre à chaque tome, et la composition fluide rendent la lecture aussi claire qu’immersive. Le ton oscille constamment entre humour et gravité, ce qui rend l’ensemble profondément humain. L’Arabe du futur réussit à captiver aussi bien les amateurs de récits autobiographiques que ceux qui s’intéressent aux questions de société, d’histoire ou de culture. C’est une œuvre marquante, sincère et intelligente, qui pousse à réfléchir sur la notion d’identité et sur la manière dont nos origines façonnent notre regard sur le monde.

05/10/2025 (modifier)
Couverture de la série La Montagne entre nous
La Montagne entre nous

Le dessin – et la colorisation – sont pleins de qualités, mais je ne les trouvais pas à mon goût, et ma lecture a été au départ un peu réticente. Mais je suis passé outre, comme j’ai accepté d’attendre que se mettent en place toutes les pièces d’un joli puzzle, l’intrigue prenant peu à peu de la densité et de l’intérêt – comme les personnages et leur histoire personnelle et intime, tout cela étant vraiment bien construit par Marcel Shorjian. Jusqu’à la dernière page, les révélations sur le passé des quelques personnages que nous suivons apportent de la profondeur et de la dureté à leur vie. Avec des questionnements évidents : quels sont les moments charnières ? Peut-on revenir en arrière ? Ou recommencer, non pas à zéro, mais sur un chemin parallèle, la route qu’on aurait pu et dû faire ensemble ? Le début est assez classique : Marcia revient dans le village de son enfance à l’occasion d’un enterrement, retrouve sa mère (qui l’avait mise à la porte) et surtout Florence, son amour d’adolescence, avec laquelle elle avait voulu partir. Sur ce canevas déjà vu, l’intrigue se développe de façon plaisante, avec au cœur une thématique rappelée à plusieurs moments et à plusieurs niveaux : le rejet de l’autre, les préjugés néfastes. Le lourd secret de la mère de Marcia en est un exemple, mais surtout l’homosexualité de Marcia, rejetée par sa mère et le village (brutalement sur la fin !), alors qu’à la radio en bruit de fond passent des débats diffusés au moment de la discussion de la loi sur « le mariage pour tous ». Il ne faut pas vivre avec ses regrets semblent nous dire Marcia et Florence, et l’histoire de Shorjian en général. La narration est pleine de subtilité, agréable, et si la bêtise humaine est dénoncée (les femmes tondues à la libération, les propos homophobes de la Manif pour tous et/ou des villageois), c’est avant tout le positif qui est mis en avant, un positif incarné par le personnage de Marcia. Une chouette histoire en tout cas.

04/10/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Repos des guerriers
Le Repos des guerriers

Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie. - Ce tome contient un reportage complet et indépendant de tout autre, réalisé par l’auteur, par le prisme de sa sensibilité propre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comporte quarante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc. L’association de Marseille Des livres comme des idées a proposé à Edmond Baudoin, une résidence dans le domaine du Capitaine Danjou. Il est là. Tout est propre, tirée au cordeau, à deux kilomètres de Puyloubier, un village des bouches du Bouches du Rhône, sous la montagne Sainte-Victoire. Petit-déjeuner 6 heures, déjeuner 12, dîner 18. Une chambre d’environ 12 mètres carrés, douche WC. Qu’est-ce qu’il fait là ? Invité 15 jours en juin 2023 dans un hôpital – une maison de repos – maison de retraite de la Légion étrangère. Vivre quinze jours avec des légionnaires anciens et nouveaux, faire leurs portraits, leur donner des cours de dessin, vivre avec eux. Et marcher sur les contreforts de Sainte-Victoire. Quand il commence la rédaction de ce livre, c’est le 1er novembre 2023. Des bombardements incessants tuent la population de Gaza. Une bande de terre de 41km et d’une largeur allant de 6 à 12km sur laquelle vivent environ 2 millions 300.000 habitants. Les pays occidentaux regardent ce massacre qui est un crime de masse, et laissent faire. Ce sera une honte de plus dans l’histoire des homo-sapiens. Alors à quoi bon ce livre ? Pour continuer la vie. L’auteur continue pour donner la parole à des humains, à des vieux. Qui sont tous plus jeunes que lui (sauf Berthold). Berthold, 87 ans, réfléchit : Le monde ne tourne pas bien, il marche sur la tête. Il continue : Et à son âge, il n’a pas la réponse à comment il faudrait faire pour qu’il puisse tourner bien. Il termine avec une pirouette : Si on creuse, on tombe sur l’Australie, est-ce que les Australiens marchent sur les pieds ? Berthold est dans son lit. Il ne sort plus de sa chambre. On a dit à l’auteur que c’était une légende pour ses co-légionnaires. Le seize juin 2023, des Légionnaires à la retraite écoutent de la musique. L’interprète joue de plusieurs instruments. Son nom : Delphine Ragonot. Le réfectoire du domaine du Capitaine Danjou est aussi une galerie où on peut voir des affiches de films sur la Légion. Baudoin est étonné qu’il y en ait eu autant. Il n’en a jamais vu autant. Si l’on l’a lu, on sait qu’il se tient à l’écart des militaires. Mais il est ici pour rencontrer des hommes et des femmes, des infirmières, du personnel d’entretien, faire leurs portraits et l’échanger avec une réponse à : Dites-moi ce que vous voulez sur la vie. Rencontrer encore une fois des êtres humains, Baudoin estime qu’il a de la chance. La réponse Khristophe, soixante ans, à la question : La vie c’est bringuer, baiser, bagarrer. Il y a un grand domaine vignoble autour du domaine. La Légion fait du vin, et en est fière. Christophe, toujours valide, travaille à la vigne. La réponse de Sergiou, vingt ans, moldave, blessé lors d’un saut en parachute : La vie, c’est comme Game, il faut jouer joli. La réponse de Vadis, quarante ans : Il cherche la rigueur, la propreté et la clarté. Le lecteur jette un coup d’œil rapide à la couverture, et il se dit que cette fois-ci Edmond Baudoin est allé interroger des retraités, en plus que des hommes, pas sûr que ce soit très passionnant. Il commence sa lecture et tout de suite la perspective change : voilà ce bédéaste de quatre-vingt-deux en train de faire un séjour dans maison de retraite de la Légion étrangère. Mais qu’allait-il faire là-bas ? Certes, d’un côté il va à la rencontre de personnes qu’il ne connaît pas comme il en a pris l’habitude depuis des décennies, d’abord avec Troubs : des Mexicains à Ciudad Juarez dans Viva la vida - Los Sueños de Ciudad Juàrez (2011), des Colombiens dans Le Goût de la Terre (2013), des Français, des Italiens et des immigrés clandestins dans Humains - La Roya est un fleuve (2018), des artistes indigènes dans Inuit (2023). Tout seul il est également allé à la rencontre des Grenoblois dans Grenoble en portrait(s) (2022), ou encore de Chinois dans Carnet chinois (20219). Ou encore des Gens de Clamecy (2017) avec Mireille Hannon. La démarche reste identique : poser une question à son interlocuteur, pour obtenir une réponse en échange d’un portrait réalisé par l’artiste. Comme d’habitude, le charme de Baudoin opère et les personnes lui répondent bien gentiment, avec une sincérité qui semble avérée. De prime abord, le lecteur est tenté de se dire que le bédéaste ne se foule pas trop, qu’il reste dans ce qu’il sait faire, pour réaliser une bande dessinée à moindre coût. Il a bien sûr conservé sa forme très libre : la reproduction des portraits réalisés, de rares phylactères, des images juxtaposées, sans bordure, à peine une bande dessinée en apparence. Il réalise toujours des dessins dans un mélange de coups de pinceau épais et irréguliers, et de traits encrés, parfois comme griffés sous l’impulsion du moment, parfois tracés avec application, et peaufinés. Il ne lui reste plus qu’à indiquer le prénom de chacun de ses interlocuteurs, leur âge (avec cette bizarrerie que tout en étant le plus vieux, il reste le plus autonome), la réponse à la question, une information souvent très succincte sur la personne rencontrée (le plus souvent uniquement son métier), et quelques réflexions comme ça en passant (par exemple mentionner les bombardements sur Gaza). Et hop ! le tour est joué : une bande dessinée d’une quarantaine de pages, prête à être livrée et publiée. Comme d’habitude, la magie narrative opère dès la première page. Ce phénomène si singulier se produit comme à chaque fois : le lecteur découvre une histoire, celle de l’humanisme de l’auteur qui lui permet d’établir un contact profond avec des êtres humains qu’il rencontre pour la première fois, et pour un laps de temps très court. Dans le même, il répète ce qu’il a déjà écrit dans un ouvrage précédent : Faire le portrait de quelqu’un, c‘est le regarder pendant près de vingt minutes dans les yeux, et elle, et lui le regarde pareillement dans le même temps, c’est beaucoup dans une vie. De fait chaque portrait est singulier : le dessin d’une tête, chaque fois incroyablement vivante, avec une personnalité unique, un tour de force. Il suffit que le lecteur s’arrête un peu pour considérer l’un de ces visages : un drôle d’assemblage de traits et de coups de pinceau, souvent disgracieux, sans chercher ni à faire joli, ni à plaire. Puis un mouvement de recul, et cet assemblage de lignes et de zones noires redevient un être humain animé de vie. Ces images incarnent littéralement la citation de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) : Ce dessin m'a pris cinq minutes, mais j'ai mis soixante ans pour y arriver. Le lecteur se délecte tout autant des paysages : la vue depuis le couloir de la résidence, l’atelier de céramique, une marche dans la nature, le château du Capitaine Danjou, et bien sûr des arbres (spécialité de l’artiste), y compris une récolte de branchages, d’écorces, de brindilles. À la réflexion, l’admiration et le respect du lecteur pour l’auteur grandissent encore : non seulement Baudoin est sorti de sa zone de conforts en posant sa question à des militaires de carrière endurcis, mais en plus il a conservé toute sa capacité d’écoute. À quatre-vingt-deux ans, son esprit a conservé assez d’agilité pour ne pas être fossilisé sur des idées définitives, encore moins réactionnaires ou cyniques : il se montre capable de recevoir la parole d’autrui, de la retranscrire en l’état, et de faire preuve d’empathie. Il conclut même son ouvrage en écrivant qu’il a de la chance d’avoir, encore une fois, été en présence de l’humanité, avec son intelligence, avec sa complexité. Cet artiste est un véritable amoureux des êtres humains, quand bien même ils ont choisi un engagement qui lui répugne. Il n’y a qu’une seule fois où la réponse le met mal à l’aise. Kaiser (c’est un surnom) vingt-sept ans répond qu’il est d’origine allemande, que son grand-père a fait l’armée dans les SS, que son rêve était que son petit-fils suive son exemple. Il conclut en disant que c’est pour cela qu’il s’est engagé dans la Légion étrangère. En aparté, Baudoin se dit qu’il s’est trompé sur le lieu de son engagement. L’auteur explique qu’il est né en 1942, que quand il était jeune, ça lui semblait impossible que l’extrême droite puisse un jour, à nouveau, exister. Après ce portrait, il lui a fallu aller se laver en marchant dans la nature et jouer avec Cézanne. Edmond Baudoin rencontre des personnes qui l’étonnent : profondément humaines, sans rapport avec ce qu’il pouvait imaginer de militaires de carrière. Cela l’amène à se faire des réflexions de différents ordres. Il y a bien sûr la réalité de la guerre, il évoque le massacre de Gaza, qui induit la nécessité de l’existence d’armées pour pouvoir se défendre, composée d’hommes comme ceux qu’il rencontre. Il relate également le fait qu’il donne des cours de dessins : lors de cette résidence, il a proposé le même cours aux résidents légionnaires et à des enfants dans une école de Puyloubier. Il a été étonné de la similitude des dessins réalisés à partir des propositions de branchages, d’écorces, de brindilles semblables. Ce trait d’union entre deux mondes lui a fait constater que le sentiment que l’on éprouve quand on regarde la nature est le même si on a les yeux neufs d’un enfant ou ceux d’un homme qui a vu mille nuits. Plus loin, il s’interroge : Depuis ou quand les armes, le pouvoir, la maîtrise ont fait bander les hommes ? Et pourquoi ? Parce qu’ils sont faibles ? C’est sexuel, sûr. Mais pourquoi cette sexualité de merde fascine beaucoup de femmes ? Quand est-ce qu’on en sortira ? Cela l’amène au fait qu’il a toujours préféré la compagnie des filles à celle des garçons, peut-être parce que les filles ne le mettaient pas en situation de compétition. Plus tard il a compris que si la plupart des filles n’avaient pas besoin de compétitions c’est parce qu’elles détenaient la vie. La possibilité de la récréer à l’intérieur de leur corps. […] Jusqu’au jour où il a vu la photo d’une femme de l’armée des États-Unis au-dessus d’hommes nus, des Irakiens qu’elle torturait en compagnie d’autres brutes. Cette femme a tué son rêve : celui que la femme pouvait être l’avenir de l’homme (Louis Aragon). Une BD de plus de cet auteur ? Oui, de nouvelles rencontres pour continuer à dire la vie. Une maestria aussi bien graphique qu’empathique, pour rendre compte de ces êtres humains uniques, vivants, façonnés par leur vie si différente de celle de l’artiste, avec pour autant des rêves et des aspirations si proches. Le lecteur rend grâce à l’artiste de lui avoir fait rencontrer ces hommes et ces femmes, en toute sincérité, pour un moment vrai et honnête. Miraculeux.

04/10/2025 (modifier)