Les derniers avis (39205 avis)

Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Guerres de Lucas
Les Guerres de Lucas

Avis modifié après lecture de l'inattendu tome 2 : Rhaaaaa ! Allez ! Je lui mets un coup de cœur ! Difficile de faire autrement, eu égard à mes souvenirs de gosse. J'avais quatre ans, donc bien trop jeune à la sortie du premier volet de la saga Star Wars. En revanche, je me souviens parfaitement du choc qu'a été la découverte des premières images de L'Empire contre attaque. A l'époque, mes parents possédaient une télévision en noir et blanc, et malgré cela, l'extrait diffusé pendant la Séquence du spectateur a eu sur moi un tel impact que j'ai tanné mon père, d'abord réticent, pour qu'il m'emmène voir le film au cinéma, ce qu'il a finalement consenti à faire. L'extrait en question se déroulait pendant l'attaque de l'armée impériale sur Hoth, donc dans la neige. Mais (et c'est le fait du noir et blanc) j'étais alors persuadé que la scène avait lieu dans un désert de sable. Or quelle ne fut pas ma surprise de découvrir sous mes yeux ébahis la réalité soudain colorisée ! Je me souviens également avoir prolongé l'envoutement pendant des mois, recréant sans cesse les vaisseaux avec mes legos. Bref ! Tout cela pour dire que j'ai abordé cette BD avec un intérêt tout particulier. Comme Lucas lui-même, je recherchais sans doute en partie la magie de mon enfance. Gagné ! Les guerres de Lucas, ça a d'abord été cette belle couverture, très poétique, que les auteurs ont eu raison de préférer à celle envisagée au départ. Tout cela est très bien expliqué dans le petit portofolio final. Bien que nourrissant quelques réserves au sujet du dessin, que je trouvais un peu trop anguleux à mon goût, j'ai fini par me rendre à l'évidence : il est très maîtrisé, surtout en ce qui concerne les visages et expressions. On reconnait immédiatement chacun des protagonistes. George Lucas lui-même, mais également Harrison Ford, Carrie Fisher, Mark Hamill, Coppola, Spielberg ou bien encore Alec Guinness. En outre, tout cela est très dynamique, ce qui fait que rapidement, on se trouve complètement embarqué dans "l'aventure de l'aventure". Je ne vais pas dévoiler tout ce que l'on y apprend, mais juste à titre d'exemple, je me contenterai de cette petite anecdote : le sachiez-tu ? C'est Christopher Walken qui avait initialement été pressenti pour incarner Ian Solo, et ce dernier devait donner la réplique à Jodie Foster dans le rôle de la princesse Leia ! Inimaginable ! Extrêmement documentée (il faut voir la double page consacrée à la bibliographie pour le croire), cette BD montre l'obstination d'un homme visionnaire d'une créativité folle (aux traits neuro-atypiques probables), et les mégatonnes d'obstacles qu'il a dû affronter jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'à la veille de la sortie en salle. La réalisation du film a nécessité des innovations techniques démentes, ainsi qu'une bonne dose de bricolage et d'improvisation. D'où ce titre, parfaitement adapté. On découvre que ce film a bien failli ne jamais voir le jour, qu'il s'en est fallu d'un cheveu pour que tout s'effondre. Au sein même de l'équipe constituée par Lucas, personne n'y croyait réellement, au point que beaucoup méprisaient le réalisateur, ne lui accordant aucun crédit, défiant constamment son autorité. Voilà ! Voilà le menu de cette copieuse BD qui s'adresse peut-être avant tout aux fans de la première heure, mais qu'il serait dommage de cantonner à cela. Franchement, c'est un petit morceau de cinoche qui est dévoilé ici. On pense ce que l'on veut de cette saga (les trois premiers, hein ? Parce qu'on oublie les autres, on est bien d'accord ?), mais qu'on le veuille ou non, son empreinte a définitivement changé le visage du cinéma, et notamment de science-fiction. Demandez à Ridley Scott ou James Cameron ce qu'ils en pensent, eux qui ont eu la révélation de leur vie devant Star Wars, ou même à Spielberg, l'une des rares personnes a avoir soutenu inconditionnellement Lucas, Spielberg qui a d'ailleurs fait une mini dépression lors de la sortie du film, au point que, par crainte d'un échec commercial, il choisit de décaler la date de sortie de son Rencontre du 3e type... Merci à nos deux auteurs pour ce très bon scénar, et ce dessin épatant qui, sans en mettre plein la poire, emporte l'adhésion du lecteur. Le charme opère d'abord et avant tout parce que tout est solide. To be continued ?... Et le tome 2 alors ? Ben oui, the show goes on : et j'en suis très heureux puisque c'est avec cet épisode (l'Empire contre-attaque) que j'ai découvert l'univers de Star Wars étant gamin. Le moins que l'on puisse dire est que cette suite est à la hauteur du premier tome que je pensais voir demeurer fils unique. C'est aussi bon, fourmillant d'anecdotes et très bien rythmé, avec ce chouette dessin à la fois précis et sans chichi. Franchement, on se prend à rêver d'un troisième (et ultime) tome. Je réalise (il n'est jamais trop tard) que le titre Les guerres de Lucas fait également référence au titre original de la saga qui devrait être traduit par Les guerres de l'Etoile. Du coup, c'est doublement bien trouvé. J'en profite enfin pour remonter ma note.

25/11/2023 (MAJ le 09/10/2025) (modifier)
Couverture de la série Dynamite Diva - Rumeur mécanique
Dynamite Diva - Rumeur mécanique

Wouahouh, ça décoiffe ! Et c’est bien à réserver à un lectorat adulte, tant le récit, qui mélange pas mal de genres – du polar, du fantastique, de l’érotisme – se développe dans une atmosphère trash et provocatrice. On pourrait en effet dire que c’est un polar noir, glauque et désespéré, avec des personnages ayant du mal à vivre avec leurs névroses (le chauffeur de taxi psychopathe et meurtrier en tête). Mais l’enquête sur des meurtres violents est menée par un inspecteur vieille école désabusé et bourré de préjugés, et une jeune profileuse amoureuse de la principale suspecte, Dynamite Diva, héroïne au look gothique improbable, qui elle-même se lance à la poursuite du suspect, mais dans le rôle de l’ange exterminateur. Plus que le récit lui-même, c’est l’ambiance développée par Jasper Jubenvill (que je découvre avec cet ovni) qui vaut le détour, et qui ne manquera pas d’interpeler et d’attirer les amateurs d’underground et plus généralement de folie indé déjantée. Au service de cette histoire – tout aussi facilement ou difficilement résumable – Jubenvill nous propose un travail graphique lui aussi original, et plutôt à mon goût. Il y a un peu de Crumb dans les personnages – féminins en tête – bien en chairs. Et j’aime bien le rendu de son Noir et Blanc. Au milieu du récit sont glissées plusieurs pages remplies de fausses pubs, de gadgets et autres produits dérivés autour de Dynamite Diva, et ça donne une patine vintage pas désagréable. La dernière page laisse entendre qu’une suite est possible. Pourquoi pas ? En tout cas cet album m’a suffisamment intrigué pour que j’en sois si elle voit le jour. Pour finir, ajoutons que les éditions Ici Même ont encore fait du très beau travail.

08/10/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Le Dernier Atlas
Le Dernier Atlas

Ça fait quelques temps que je n'avais pas eu de série qui m'avait happée au point de ne pas la lâcher tant qu'elle n'est pas finie. Et c'est tant mieux, parce que cette série assez blockbuster dans le fond est carrément bien écrite ! J'ai commencé la série sans même savoir ce qu'elle contiendrait et grand bien m'en a pris, c'était sans aucun doute la meilleure façon de faire. Puisqu'un résumé ne rend pas justice à la complexité de la BD, qui est une sacrée collection de sujets. Que ce soit la mafia, le changement climatique, le nucléaire, les relations franco-algériennes, la question des origines, la guerre, la géopolitique (et la politique tout court d'ailleurs), la BD se développe autour de nombreux sujets et surtout autour d'une pléthore de petits détails annexes bien vu. Ça commence par cette uchronie algérienne détaillée à la fin du premier volume qui permet de parler de nombreux sujets de la vraie vie véritable dans un contexte où la réalité historique n'est pas un poids et permet de s'amuser avec le scénario. Mais ça se poursuit avec toute ces questions soulevées sans cesse dans le récit et qui finissent par devenir prépondérante à l'intrigue principale. On a quand même une BD sur des gros robots et un truc extra-terrestre qui parle de zadistes (et de fermes bio), des clans de mafias se disputant, de l'Inde et de l'Algérie, des relations politiques et de la réécriture de l'Histoire par les États ... Non, vraiment, je me dois d'insister mais le contexte développé est touffu et prenant, presque trop pourrait-on dire, tout en permettant à une histoire de se développer. Histoire dont la résolution est somme toute classique mais parce que l'essentiel n'est pas dans celle-ci mais dans tout ce dont elle permet de parler. Je veux dire, vous en connaissez beaucoup des histoires blockbuster à ce point qui finissent avec un tel sentiment d'amertume et de fatalisme ? Ça détruit à tout va et la fin semble parler de paix presque illusoire, tandis que la mafia reste plus puissante que jamais. Et le tout sur fond de corruption politique, Histoire réécrite et passée violent qui refait surface. La série est clairement dans l'air du temps, d'ailleurs elle est à mon avis nourri de l'anxiété qu'a fait monter le covid (le tome 3 sent plus clairement l'impact du covid), mais c'est aussi et surtout une réflexion longue et lente sur l'humanité à l'aube des années 2020. On sent les commentaires sociaux et politiques, clairs et jamais dissimulés, mais avec une touche de grand spectacle, de scénario rocambolesque qui ne s’embarrasse pas toujours de détails techniques. Et je dois dire que je suis très client de cette approche à la fois simple dans le récit mais complexe dans le propos. Une série passionnante aux personnages hauts en couleurs, menée tambour battant autour de questions de plus en plus importantes dans nos sociétés. Non, franchement, je ne peux que vous recommander cette lecture !

08/10/2025 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série Dr Wertham
Dr Wertham

Plutôt fan du coup de crayon d'Eric Powell, j'étais curieux de découvrir cette biographie du Dr Wertham, personnage que j'avais découvert grâce à une autre BD : Fredric, William et l'Amazone de Jean-Marc Lainé et Thierry Olivier. Dans cet album j'avais découvert ce personnage parti en croisade contre les comics en plein Maccarthysme s'affrontait avec William Moulton Marston, le créateur de Wonder Woman, qui défendait lui l'intérêt pédagogique de ces créations. Ici, point de William Moulton Marston, on se recentre sur Fredric Wertham, un psychiatre d'origine allemande gorgé d'ambition qui va immigrer aux Etats-Unis et s'imposer au fil des ans comme un spécialiste des criminels. Car s'il est avant tout connu pour sa guerre contre les comics, Fredric Wertham fut avant tout un spécialiste des tueurs en série ; c'est ce que montre parfaitement la première partie de l'album. C'est en cherchant à déterminer les causes et les influences menant au crime que le Dr Fredric Wertham va se focaliser sur les comics qui apparaissent et pullulent après-guerre. Ce sont pour lui la cause de tous les maux de cette jeunesse dévoyée... Si c'est ce fanatisme qui restera comme image du personnage, nos auteurs n'en oublient pas pour autant la part humaniste de Wertham. C'est en effet grâce à lui que la ségrégation à été supprimée dans les écoles ou encore qu'il fût l'un des premiers à ouvrir une clinique psychiatrique pour les défavorisés à Harlem. En tout cas, voilà un album, un brin bavard, mais qui met en lumière un personnage central de l'histoire de la BD américaine. Peu s'en est fallu que celles-ci disparaissent sous ses coups de boutoir, aboutissant tout de même au fameux Comics Code Authority. Le graphisme d'Eric Powell est parfait pour l'exercice, avec cette colorisation tout en sepia, rendant à merveille le côté autoritaire du personnage et l'ambiance de chasse aux sorcières de l'époque.

08/10/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Effet papillon - Carnet en territoire zéro chômeur longue durée
L'Effet papillon - Carnet en territoire zéro chômeur longue durée

Personne n’est inemployable, ce n’est pas le travail qui manque, ni l’argent. - Ce tome contient un reportage complet, qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Mathieu Siam pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quarante-sept pages de bande dessinées. Il se termine avec deux pages comprenant six photographies au total des locaux de l’association Papiole ainsi que quelques-unes de ses activités, un texte de deux pages de Laurent Grandguillaume (président de TZCLD), et une page de chronologie sur le droit à l’emploi, commençant avec les années 1830 (Louis Blanc, utopiste, propose de créer des ateliers sociaux pour les personnes sans travail et pour un travail qui permette de vivre dignement) à l’année 2024 (dix-sept structures nationales engagées pour l’emploi et la solidarité lance une Concertation nationale pour une loi du droit à l’emploi pour toutes et tous.). L’ouvrage s’achève avec une page de remerciements. D’aussi loin qu’il se souvienne, Mathieu revoit les visages fermés des journalistes annonçant les chiffres du chômage. Les chiffres viennent de tomber. Les chiffres tombent. La classe politique chargée de résoudre ce fléau peine à trouver les mots. Certains dans le déni : Je traverse la rue et je vous trouve un travail. D’autres dans la résignation : Sur le chômage on a tout essayé. Le fléau continue de remplir les écrans avec des usines qui ferment et des familles qui se brisent. Et avec eux, une population qui craint le déclassement. Je fais comment pour trouver du boulot ? Y a rien dans la région. J’ai déjà été au chômage. Le chômage, c’est passer de la vie à la survie. Puis la télé se tait. Et après ? Que se passe-t-il loin des caméras ? Que deviennent ces femmes ? Que deviennent ces hommes ? Ceux qui ne retrouvent pas d’emploi durant des mois ? Ceux qui ont un corps trop usé ? Ou une valise trop lourde à porter ? Avons-nous définitivement accepté l’obscurité ? Non loin de chez Mathieu, des habitants ont décidé de ne pas se résigner. Ils ont rallumé une étincelle d’espoir. Il se sent attiré vers cette lueur naissante, comme un papillon dans la nuit. Il veut s’enivrer et témoigner de cette chaleur sociale. Si rare, si précieuse. Cette étincelle vient d’une expérimentation de lutte contre le chômage durable. Elle va naître aujourd’hui sous la forme d’un territoire. Il a acheté un carnet. Couverture moleskine. Format 18x25cm, 220g, 150 feuilles. 150 feuilles pour tourner une page. L’expérimentation se nomme Territoires Zéro Chômeur Longue Durée dont l’acronyme est TZCLD. TZCLD, Mathieu aime bien. On dirait le nom d’un vaisseau spatial. En route vers un nouveau monde dans une BD de science-fiction. Pourtant, le lieu n’a rien de surnaturel. Il se situe entre la campagne et la ville, juste à côté d’une zone commerciale. Un territoire comme il en existe partout en France. D’ailleurs il a rendez-vous place de France. Une femme traverse la place avec un caddie. Un homme promène son meilleur ami, son chien. Il est neuf heures et demie. L’auteur pénètre dans les locaux de l’association TZCLD et il est accueilli par Gwen, président de l’entreprise Papiole, qui lui explique la nature du projet et sa genèse. Le sous-titre explicite la nature de cette bande dessinée : Carnet en territoire zéro chômeur longue durée. Dans la première séquence, l’auteur évoque son rapport au chômage : les annonces perçues comme catastrophiques par un enfant regardant les journaux télévisés à l’époque, assimilant plus leur tonalité que leur réalité : entre une fatalité inéluctable et une condamnation. Le temps est venu pour lui de découvrir ce qui peut se passer après que cette terrible sentence se soit abattue sur un individu. Il effectue cette démarche de manière positive : aller à la découverte d’un dispositif de réinsertion dans le monde du travail, entre le retour à une vie normale et le miracle d’une grâce ou d’un pardon. L’ouvrage est divisé en quatre chapitres : la signature (du contrat des employés de l’entreprise Papiole), les clés (de fonctionnement de l’entreprise Papiole), les super-héros (assimilés aux Quatre Fantastiques /Fantastic Four), les activités (c’est-à-dire la production professionnelle de l’entreprise Papiole), Le vent. À chaque fois, Mathieu rencontre les personnes directement concernées, et il retranscrit leur parole. Pour les novices, le premier présente l’entreprise Papiole, ses débuts et ses premiers recrutements. Dans le troisième chapitre, Catherine (responsable du centre de ressources et de développement) présente les différentes institutions parties prenantes. Le lecteur habitué à la bande dessinée de reportage se prépare à découvrir soit des dessins très minutieux et descriptifs dans une veine réaliste, soit des dessins dans une veine plus épurée avec une touche d’exagération comique pour les avatars des individus. Il découvre une approche plus originale : des dessins avec des traits de contour fins et un peu irréguliers, comme réalisés sur le vif, sans phase de repassage pour les peaufiner, de nature réaliste, avec un niveau de détails assez épuré, et une mise en couleurs légère, comme réalisée à l’aquarelle, jouant beaucoup sur des formes de bichromie. Ces choix graphiques apportent une identité visuelle très personnelle à l’ouvrage, mariant à la fois le concret et la banalité des personnes rencontrées, des lieux très ordinaires, et une sensibilité exprimant un grand respect, une volonté de se montrer fidèle aux propos tenus, sans s’imposer, sans être intrusif. Le lecteur absorbe inconsciemment des particularités diverses : la grande place laissée au blanc comme si l’artiste ne souhaitait pas encombrer ces moments, le passage de noir& blanc (avec des nuances de gris) de la télévision quand il était jeune, à un monde avec des touches de couleurs, pas forcément gaies, mais bien présentes, comme si le travail rendait de la consistance, ramenait des couleurs dans la vie de ces êtres humains. Il note de ci de là quelques silhouettes uniquement à l’aquarelle sans trait de contour. Il ralentit sa lecture pour apprécier le portrait de plusieurs travailleurs sociaux (pages quatre-vingt-dix et quatre-vingt-onze), à l’encre. Puis le recours à une famille de Playmobil le temps d’une case dans le contexte de la ressourcerie de jouets. Ou encore la représentation de branches d’arbres, pour un effet métaphorique, digne d’Edmond Baudoin lui-même. La narration visuelle s’émancipe donc d’une illustration la plus réaliste possible d’un reportage, ou de la mise en scène de l’auteur sous un format humoristique, pour transcrire le respect et la délicatesse de l’auteur vis-à-vis de ses différents interlocuteurs. Ce n’est pas tant qu’il se montre précautionneux comme si ces futurs ex-chômeurs pouvaient être fragiles ou susceptibles ; il les aborde avec prévenance et même timidité conscient d’être dans une position plus privilégiée que la leur. D’un côté, le lecteur voit bien que certaines mises en page sont aérées jusqu’à l’économie, ou que la mise en scène consiste d’un plan taille et d’une personne parlant pour exposer son rôle ou son histoire, ou expliquer un dispositif. Dans le même temps, ces prises de vue correspondent parfaitement au moment, à la démarche de l’auteur, à l’objet de la rencontre et des questions posées. En outre, la narration visuelle s’avère diversifiée et variée, sans lassitude du lecteur du fait d’une narration qui serait trop aride ou trop minimaliste. Une fois l’ouvrage terminé, il conserve de nombreux visuels en tête : la sensation accablante des chiffres du chômage énoncés par les présentateurs télé, la magnifique fleur en origami, les branches d’arbre dénudées, le drapeau planté au sommet d’un pic de montagne, le ciel étoilé, la combinaison de ski de très grande taille, la cartographie des différentes entreprises publiques et privées participant à la réinsertion, le groupe de punk dont a fait partie Mathieu, les champs cultivés. Et surtout les différentes personnes rencontrées. Le lecteur suit littéralement l’auteur allant à la découverte de l’entreprise Papiole, rencontrant ses responsables, ses bénévoles, et ses ex-chômeurs de longue durée ayant signé un contrat. Gwen lui explique le principe de l’entreprise créée dans le cadre de l'expérimentation nationale Territoire Zéro Chômage Longue Durée (TZCLD). Elle vise à lutter contre le chômage de longue durée en créant des emplois durables dans les secteurs utiles au territoire. Il fait le tour des locaux, rencontre un encadrant, assiste à la signature des premiers contrats, voit l’émotion de ces nouveaux employés réintégrant une forme considérée comme normale de citoyenneté. Impossible de résister à l’émotion organique et sincère de voir des personnes qui peuvent se remettre à un envisager un avenir. La compréhension de cette initiative se trouve augmentée par la présentation de l’écosystème des autres dispositifs tels que les ACI (Ateliers et Chantiers d’Insertion), les ESAT (Établissements et Service d’Accompagnement par le Travail), ou les ETTI (Entreprises de Travail Temporaire et d’Insertion). Et après, l’île d’EBE. L’île d’Entreprises à But d’Emploi. Par la suite, Mathieu retrace sa discussion avec Claudy, bénévole de l’épicerie sociale Pom Cassis, qui dit si bien la fragilité économique des personnes venant acheter des fruits et légumes, et aussi la fragilité économique de l’épicerie elle-même, et celle tout aussi terrible des employés de Papiole qui y travaillent. Le lecteur se trouve intimement touché par les différents témoignages : la terrible possibilité que l’État se désengage de ce dispositif, les espoirs régénérés par la signature d’un contrat, le souvenir de ceux qui ont succombé aux conséquences de la désocialisation, encore plus qu’à celles de l’absence de salaire ou de revenus financiers, l’importance à la fois démesurée et insoupçonnée, aussi bien financière que sociale, d’avoir un emploi. Il fait l’expérience indicible de la solidarité dans ce qu’elle a de plus pragmatique. Le texte de la quatrième de couverture annonce : Face aux réalités de la vie économique et à l'augmentation du chômage, Mathieu Siam s'intéresse à la naissance d'une expérience territoriale près de chez lui : Territoires zéro chômeur longue durée (TZCLD). Un programme pas forcément enthousiasmant. Au contraire, le lecteur découvre une narration visuelle personnelle, aussi respectueuse que curieuse, timide et constructive. L’auteur présente avec une clarté simple et limpide ce qu’il découvre, à la fois l’expérience des encadrants, des employés, des bénévoles de Papiole, à la fois l’écosystème dans lequel cette entreprise évolue. Son empathie irradie littéralement le portrait qu’il dresse des individus qu’il rencontre, une chaleur humaine peu commune. Essentiel.

08/10/2025 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5
Couverture de la série Saint Rose - À la recherche du dessin ultime
Saint Rose - À la recherche du dessin ultime

Saint Rose, c'est un peu la rencontre entre Jean-Pierre Mocky et Jules Verne... Moi qui ne suis pourtant pas toujours un adepte de l'humour absurde (dans mon souvenir, j'avais moyennement aimé Les Miettes de Peeters par exemple), j'ai lu avec délectation ce récit d'aventures décalé, mais enlevé, bourré d'énergie et franchement drôle. Il y a du James Bond dans cette histoire, un peu d'Indiana Jones, des personnages hauts en couleur (dont un papou téméraire et un aventurier élégant et généreux, le dénommé Saint Rose, et Micol qui se met en scène avec beaucoup d'autodérision), des gangsters rappelant de célèbres philosophes et même Scarlett Johansson ! La somme de ces éléments pourrait paraître bien baroque, mais l'auteur parvient pourtant à garder le cap jusqu'au bout et à nous offrir un récit d'aventures palpitant. J'ai également beaucoup apprécié la partie graphique, on navigue entre le trait d'Oubrerie je trouve (mais là, " Renée Stone " est bien dépoussiéré !) et celui de Sfar. Pas complètement convaincu par " Mimesia " dont j'attendais beaucoup, je vais maintenant découvrir : Le Chien dans la Vallée de Chambara qui semble plus classique.

07/10/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Loup des Mers
Le Loup des Mers

Je pense qu'Emka a exprimé avec brio l'essentiel de ce que je voulais dire sur cet ouvrage dans son avis précédent ! J'ai moi-même beaucoup apprécié ce roman graphique, basé sur l’œuvre originale de Jack London. Je n'ai, pour ma part, pas encore lu les deux autres ouvrages composant la trilogie de la mer de Riff Reb's donc je ne pourrai malheureusement pas les comparer. Le découpage de l'histoire en chapitres courts, denses, rend l'histoire très rythmée. Le graphisme de Riff Reb's au trait bien appuyé et dynamique confère aux marins de vraies gueules cassées, tranchant avec le raffinement des naufragés accueillis sur le bateau. L'idée de traiter chaque chapitre en monochromie avec des tons allant du bleu au rouge selon l’enchainement des événements est également très astucieuse et renforce l'immersion du lecteur. La confrontation des personnages de Loup Larsen (en français dans le texte), capitaine brutal faisant régner la terreur sur son bateau mais qui témoigne tout de même d'une certaine intelligence, et d'Humphrey Van Weyden, critique littéraire peu habitué aux travaux manuels et qui ignore tout de la rudesse de la vie en mer, est particulièrement intense et donne lieu à des échanges et débats philosophiques très intéressants (vie après la mort, culture, sens de la vie, etc). J'ai ainsi beaucoup apprécié la profondeur de ces deux personnages qui ne tombent pas dans la caricature de la brute écervelée contre le faible mais intelligent critique littéraire. Le final, beaucoup plus sombre que l’œuvre initiale de J. London, clôt de manière très juste ce huis-clos se déroulant dans l'immensité d'une mer souvent déchainée et avalant goulument les marins. Un roman graphique qui mérite sans nul doute de figurer dans les immanquables de BDthèque. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation, mise en page) : 8/10 NOTE GLOBALE : 16/20

07/10/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Green Witch Village
Green Witch Village

Tout m'attirait dans cette BD, et je n’ai pas su y résister. Le décor fascinant du New York des années 50, dessiné avec élégance et minutie, ce cadre historique évoquant l'apogée des États-Unis en pleine Guerre froide, une trame de départ mêlant voyage temporel, possible histoire de fantômes et quelques références à la culture pop, comme cette Tabatha au minois d'Audrey Hepburn qui joue le rôle d'une jolie sorcière qu'on imagine facilement bien aimée… Tout semblait réuni pour me plaire. Sans oublier Trondheim au scénario, gage d’une intrigue dense, intelligente et souvent drôle. Même si je suis d'ordinaire peu friand des récits d’espionnage, tout le reste m'a conquis. Graphiquement, j'ai été séduit dès les premières pages, puis franchement impressionné en découvrant le dossier graphique en fin d'album. J'aimais déjà la finesse du trait, le sens du détail, la mise en scène claire et soignée. Les couleurs, sobres et volontairement classiques, jouent sur des aplats sans dégradés, avec parfois des teintes inattendues (notamment ces violets qui rappellent par instants l'ambiance d'un Watchmen). Mais apprendre que chaque planche avait été pensée pour pouvoir être découpée en strips indépendants, avec une grande vignette d'ouverture et une chute à la fin, m'a encore plus bluffé : cette contrainte, pourtant lourde, ne se ressent jamais à la lecture puisque je ne m'en étais même pas rendu compte. La fluidité narrative reste totale. L'album se révèle en fait un hommage aux comics hebdomadaires américains des années 50. Ce format feuilletonesque donne à l'ensemble un charme rétro et une énergie singulière. L'histoire, à la fois légère et mystérieuse, combine des thématiques très diverses, enquête, fantastique et espionnage dans une harmonie étonnante. Entre le secret du voyage temporel, la présence du fantôme et la menace d'un possible attentat nucléaire, les fils narratifs s'entrecroisent habilement sans jamais se perdre. Le tout est porté par une héroïne vive et moderne, dont le féminisme avant l'heure vient heurter une Amérique encore très patriarcale. Son esprit, son humour et son aplomb en font un personnage immédiatement attachant. J'ai passé un excellent moment avec cet album dense, intelligent et visuellement superbe. À la fois hommage et réinvention, il réussit le rare équilibre entre divertissement et profondeur. C'est une œuvre complète, maîtrisée dans ses moindres détails, et dont la lecture laisse un vrai sentiment de satisfaction, comme si l'on avait retrouvé un classique oublié.

07/10/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Arcana
Arcana

Le monde d'Arcana est un univers de Fantasy régi par la magie du Tarot. Les 4 îles principales qui le composent, Bâtons, Coupes, Epées et Deniers, sont protégées par 22 Arcanes Majeures, humains dotés de pouvoirs magiques très puissants relatifs aux symboles de leur arcane, et par 56 Arcanes mineures, 14 par île, qui sont autant de dignitaires là encore destinés à un rôle bien particulier. Tous les ans, une sélection magique est réalisée parmi les adolescents de quinze ans de chaque île pour déterminer qui seront appelés à devenir apprentis de l'une des brigades de chaque Arcane Majeure et iront étudier sur l'île centrale d'Arcana. Fauna et Flora font toutes deux parties des élus de cette année là et ce n'est qu'en arrivant sur l'île qu'elles vont se rencontrer pour la première fois et découvrir qu'elles sont soeurs jumelles. Une prophétie se fait alors entendre, liée à de fameuses soeurs de sang qui apporteront mort et destruction. S'agit-il de Flora et Fauna ? Est-ce une véritable prophétie ? Et qui rôde dans l'ombre et semble vouloir s'en prendre à elles ? Arcana était initialement prévue en 4 tomes mais finalement achevée avec un très gros 3e tome. Et je suis tombé sous le charme de son premier. Pour commencer, ces albums sont physiquement beaux. Au format moyen, épais à très épais, ils sont recouverts d'une belle couverture en surbrillance aux allures de carte de Tarot. L'intérieur est de la même qualité matérielle, avec un papier lisse et solide. Le graphisme est plein de personnalité. Le trait lui-même est relativement simple dans la forme, mais soigné dans les détails, décors et costumes. Il empreinte régulièrement à l'atmosphère visuelle du tarot et de l'ésotérisme pour sa mise en page et ses symboles. Il n'est pas parfait techniquement, notamment le dessin des yeux qui est parfois étrange et peu symétrique. Mais il se démarque surtout par ses couleurs intenses. Je ne saurais dire quelle technique est employée ici, informatique ou autre, mais le résultat rappelle certains dessins au feutre par la force et le contraste de ses couleurs. Le résultat est plein de charme et objectivement joli. L'histoire, pour sa part, ne marque pas tellement pour la complexité ou l'originalité de son intrigue de base, mais davantage par celle de son univers très inspiré d'ésotérisme et de pratiques divinatoires. Le Tarot est au cœur du sujet évidemment, mais aussi l'astrologie, les runes, les objets chamaniques et autres cristaux de lithothérapie. On se croirait parfois dans le guide d'achat d'une boutique ésotérique, même si heureusement le tout est ici adapté à l'univers de fantasy de cette histoire et les pages explicatives sur le sujet s'intègrent bien à la narration. Je ne suis absolument pas versé dans ce type d'ésotérisme superstitieux mais j'aime bien l'atmosphère visuelle et évocatrice de ces sujets, de même que toute la symbolique derrière le Tarot et ses Arcanes. L'autrice appuie assez fortement sur ce qu'on pourrait appeler la dimension woke de son univers. Langage inclusif, diversité des orientations sexuelles, présence de personnages non genrés : tout cela traduit une volonté affirmée d'assumer un monde plus ouvert, quitte à froisser les lecteurs les plus conservateurs. Pour ma part, cela ne me gêne pas vraiment, car cet aspect s'intègre plutôt bien à l'ambiance singulière de cette fantasy. En revanche, la façon dont c'est amené manque parfois de naturel, sans doute parce que j'avoue avoir du mal avec l'écriture inclusive. Au-delà de cela, les personnages sont plutôt bons et attachants, avec quelques personnalités intéressantes et crédibles. On a envie de les suivre et de voir où l'histoire va nous mener et ce qu'elle va révéler. J'ai pris plaisir à lire cette série, doté d'un beau visuel et portée par une intrigue bien construite, suffisamment mystérieuse pour maintenir l'intérêt du lecteur tout en offrant un univers coloré aux influences ésotériques multiples. Le récit global tient la route et se distingue par une réelle originalité. La conclusion, un peu moralisatrice, reste cohérente et satisfaisante.

02/10/2021 (MAJ le 07/10/2025) (modifier)
Couverture de la série Moi, Jules César
Moi, Jules César

Cette série pourrait très bien avoir sa place dans une bibliothèque dévolue à l'histoire de Rome. En effet les auteurs proposent un récit historique très détaillé et référencé comme le prouve les nombreuses pages de notes en fin d'ouvrage. De nombreux passages sont basés sur les écrit de Suétone ou de Plutarque mais aussi sur les recherches de nombreux spécialistes de la période et bien sûr avec les écrits de César pendant la Guerre des Gaules. Contrairement à une série comme Murena fiction historique qui fait place à beaucoup d'émotionnel, ici il s'agit bien d'un récit historique complet et détaillé où quelques situations fictives donnent de la souplesse et de la fluidité à la narration. La lecture est soutenue mais accessible. Le personnage peu, sympathique de César mérite cette attention tellement il a marqué la destinée européenne comme modèle politique ou militaire. La vie familiale du dictateur n'est pas oublié tant qu'elle sert la destinée politique de l'homme. Les auteurs évitent le voyeurisme intime même si le fameux "le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris" est évoqué brièvement. Les auteurs donnent une bonne visibilité à un récit qui aurait pu être très confus tellement il y a de personnages, d'alliances et de trahisons pendant ces plus de vingt ans de pouvoir. J'ai beaucoup aimé la partie jeunesse de César très bien mis en perspective par les auteurs. A travers la guerre civile des Optimates contre les Plébéiens ce passage fonde une grande partie des actions postérieures du maitre de Rome. Le portrait est implacable tout en évitant un jugement de valeur d'une vision contemporaine. César était sans état d'âme un horrible génocidaire, esclavagiste et impérialiste. Pourtant il est resté un modèle historique qui a même eu sa place de façon humoristique dans nos albums préférés. Je trouve que cela à de quoi faire réfléchir. Le graphisme est précis . On pourrait lui reprocher son côté scolaire mais cela correspond à l'esprit d'enquête historique sérieuse que propose la série. La violence est très présente mais contenue sans volonté malsaine de voyeurisme. Ainsi le dessin équilibre bien un texte recherché qui essaye du mieux possible de rendre la pensée politique de César. Une bonne lecture pour les amateurs d'Histoire et plus.

07/10/2025 (modifier)