Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc.
Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ?
Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup.
C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc.
Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence.
L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit.
Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens.
Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.
Les personnages féminins qui incarnent le Mal absolu ne sont pas légion dans la littérature. Serena est rentrée dans un club très fermé au côté de Lady Mac Beth et de Médée. Je n'ai pas lu le roman de Ron Rash mais on sent que l'auteur s'est inspiré avec doigté de la personnalité des illustres ancêtres de Serena. Toute la maîtrise d'Anne-Caroline Pandolfo est de ne pas trahir le personnage dans sa complexité. Comme ces rudes bucherons des Appalaches le lecteur passe de la surprise amusée, à un étonnement respectueux pour finir à la détestation horrifiée devant cette quête du pouvoir absolu. Aucun ours n'est assez sauvage, aucune pente assez abrupte ou aucun homme assez fort pour empêcher cette Médée moderne d'atteindre son but. Pandolfo a très bien su rendre cette ambiance de tragédie théâtrale orchestrée par un cercle restreint de personnages et commentée par le chœur des bucherons. Contrairement au mythe de Médée, Rash déplace le climax de sa tragédie du fils vers le père. C'est probablement le seul souffle de légèreté dans ce récit aride.
Même si la personnalité de Serena écrase l'histoire, le récit est riche de nombreuses autres thématiques modernes (la déforestation, le conflit entre un travail vital pour le bucheron et la sauvegarde de l'environnement pour les générations futures, les conditions de travail et leurs risques, la crise économique et sociale).
Le graphisme de Risbjerg peut détourner certains lecteurs par son âpreté et son aridité. Pourtant l'essentiel est là et je me suis très vite approprié cette raideur du trait qui rend merveilleusement bien la dureté du caractère de Serena et les innombrables rudesses des conditions de vie des travailleurs. Cela fait même plaisir de rencontrer de tels graphismes avec une patte qui sort du classicisme habituel.
Une très belle lecture qui m'a vraiment séduit par la justesse de son traitement.
La caste des métabarons...
Une série déjà tellement commentée sur le site, à tel point que je me suis demandé si cela avait encore un quelconque intérêt de donner mon avis...
Mais bon, en ce moment je ressens le besoin de laisser par écrit mes impressions et je viens enfin d'en terminer la lecture.
Note du rédacteur : au moment où je démarre l'écriture de cet avis, j'ai encore quelques tomes à dévorer. Ceci est donc une critique publiée dans un proche futur et écrite dans un passé récent à l'instant où vous lisez ces lignes. Woh, on nage en pleine SF !
Justement! Jodoroswky choisit le personnage du meta-baron aperçu dans l'Incal pour nous conter cette fois-ci une grande saga de science fiction.
J'avais interrompu ma lecture il y a un an et je ne me souvenais plus pourquoi. En relisant les premiers tomes, la mémoire m'est revenue : ces satanés robots !!!
En effet les conteurs de cette histoire sont deux petits androïdes qui vous racontent la généalogie des méta-barons en faisant des blagues pourries toutes les 10 pages environ. Mais c'est suffisant pour les détester puisque leur humour ne s'accorde pas du tout au ton de l'histoire. Ce sont eux les véritables antagonistes de cette saga, vous allez apprendre à les haïr intensément... Jusqu'à leur pardonner à la fin grâce à un tour de magie de Jodoroswky.
Passé ce défaut qui n'est pas rédhibitoire,
les deux talents du scénariste et du dessinateur s'additionnent vraiment dans cette œuvre pour nous livrer un récit où l'épique côtoie le grandiloquent, où le bizarre s'accouple avec le malsain : on retrouve dans cette série tout le spectre des obsessions de Jodoroswky.
La narration est très fluide, rien n'est jamais compliqué. Jodo enchaine les situations et péripéties rocambolesques en poussant le curseur à chaque tome un peu plus loin, ce qui provoque chez le lecteur de bon goût un véritable plaisir ludique.
Et le dessin ? Le trait de Gimenez donne corps aux descriptions hallucinatoires de Jodoroswky. Vous allez passer du temps à admirer les vaisseaux et les explosions de couleurs sur certaines pages !
On a parfois l'impression que Jodo, tout à sa joie de travailler avec un tel dessinateur, cherche en permanence à le pousser dans ses retranchements, en inventant des situations qui semblent impossible à mettre en images.
Mais Gimenez ne fléchira jamais.
Pendant huit albums.
Il va s'améliorer même !
Un véritable exploit.
Un 5 au présent, au passé et au futur.
Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps.
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Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective.
Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît.
En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire.
Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante.
En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations.
Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc.
Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende.
Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
J'apprécie généralement les albums sans texte pour la jeunesse. Pour une fois ce ne sont pas les éditions de la Gouttière (Anuki,Passe-passe, Myrmidon) mais une autre petite maison, Le Diplodocus, qui propose cet excellent récit graphique de David Wautier. Cette série s'adresse surtout aux jeunes lecteurs et lectrices de 4/5 ans comme une initiation à la BD mais pas seulement. En effet j'ai immédiatement été séduit par l'intelligence du scénario qui peut facilement parler à un lectorat plus âgé (comme moi). Tout d'abord 44 pages, c'est beaucoup pour un très jeune lectorat. Cela demande un effort de concentration assez intense pour ne pas lâcher sa lecture. C'est tout le talent de l'auteur de proposer des "rebondissements", une montée dans l'intensité dramatique des évènements puis un final classique mais libérateur pour réussir à capter l'attention jusqu'au bout.
Wautier choisit un environnement inhabituel pour un très jeune public : une ferme isolée au pied de la Monument Valley dans le désert de l'Arizona. Un jeune garçon de 5/6 ans s'y promène avec sa petite sœur (et sa poupée) seuls à quelques centaines de mètre de la ferme où la maman est seule à faire le linge. Une entrée en matière particulière car si elle permet une appropriation immédiate pour un très jeune lectorat, elle installe un climat assez fort d'angoisse pour une vision adulte (isolement, vulnérabilité des personnages). Ce sentiment augmente quand on sent le danger invisible arriver. Des Indiens ? des hors la loi ? ce serait un imaginaire adulte sur lequel Wautier joue avec malice. Non ce ne sont que des nuages noirs qui soulagent le lecteur adulte mais pas forcément l'enfant qui voit son espace de confort malmené par des événements qu'il connait bien.
Ce (trop) long développement pour montrer comment j'ai trouvé intelligente la construction du récit de l'auteur.
Le reste n'est que plaisir des yeux ! le graphisme de Wautier pouvant parler à un public très large. La construction des planches reste dans le classique gaufrier émotionnel et actif avec quelques pleines pages contemplatives.
Une très belle lecture pour tous à faire seul.e ou partagée.
Ma connaissance des kaiju se limite, pour l'heure, à des films comme Godzilla (celui d'Emmerich, à ma grande honte), ainsi que Pacific Rim (ok, c'est un peu mieux. Sans oublier le roman original japonais qui a inspiré la franchise Gojira à partir des années 1950. C'est maigre, et ce manga est l'occasion de saisir un peu plus l'essence de ce sous-genre très populaire au Pays du Soleil Levant.
Ici Gaea-Tima est un monstre qui a provoqué la destruction de toute une ville avant de se dissoudre dans la Mer du Japon, avant de réapparaître dix ans plus tard, dans le sillage d'une survivante de la catastrophe, avec un lien tout particulier, et cette fois peut-être dans la peau du sauveur... L'histoire est assez intéressante pour qui s'intéresse aux mythes shintô, qui ont par exemple inspiré les films de Miyazaki, comme Nausicaä de la Vallée du Vent. Ainsi le Japon, qui subit nombre de catastrophes climatiques tous les ans, a intégré cela dans son quotidien, dans sa culture, dans sa littérature. Et y voit parfois des bienfaits, comme lorsque la nature reprend ses droits après telle ou telle catastrophe... Cette dualité est présente dans les personnages de Miyako et Tatsurumi, chacun incarnant un sentiment opposé concernant Gaea-Tima, le kaiju qui a ravagé la ville une décennie plus tôt.
C'est plutôt sympa, et cet aspect sociologique lié au folklore m'intéresse particulièrement? je suis curieux de voir comment cela va évoluer dans les tomes à venir...
Cerise, Cerise, Cerise, voilà une bien jolie surprise.
Je ne suis clairement pas le public visé d'une telle série et c'est avec pas mal d'appréhension que je me suis lancé dans sa lecture
Cerise est donc une fillette d'une dizaine d'années qui est curieuse de tout et surtout des inconnus qui l'entourent. Sa curiosité (qu'on pourrait aisément qualifiée de mal placée) l'entraine dans des aventures qu'elle consigne dans des carnets. Car Cerise souhaite devenir auteure.
A l'heure où les enfants sont plus connectés que jamais (mais toujours moins que demain) c'est très rafraichissant de voir une enfant aimer lire et écrire.
Les dessins sont très agréables et alternent habilement entre BD et extraits des Carnets de Cerises.
On regrettera juste une colorisation trop informatisée.
Tout s'enchaine facilement et la lecture est assez fluide, ce qui est "normal" pour une BD jeunesse.
Bien que chaque tome soit indépendant il est quand même préférable de les lire dans l'ordre car cela permet de suivre l'évolution de Cerise et ses amies. D'ailleurs on peut trouver certains clins d'œil aux tomes précédents en cours de lecture
Les histoires n'ont pas toutes les même qualités narratives ainsi s'il fallait noter les différents tomes :
* Tome 1 : 3/5 une très belle histoire se prêtant parfaitement aux dessins et couleurs de la série.
* Tome 2 : 1/5 J'ai détesté cet album pas à cause de l'histoire ou des dessins mais à cause des conflits qui éclatent entre Cerise et son entourage (maman et amies). En continuant la série je pense que ce passage était obligé afin de faire grandir Cerise
* Tome 3 : 5/5 Et oui cette histoire de chasse au trésor est ultra touchante, humainement parlant. Certaines blessures de l'enfance mettent très longtemps à guérir. On découvre par la même un peu plus l'histoire de notre héroïne
* Tome 4 : 3/5 On redescend d'intensité. L'intrigue, toujours pleine de bons sentiments, est moins touchante que la précédente. Cerise arrivera t'elle enfin à mettre des mots sur ses maux ?
* Tome 5 : 5/5 Cette fois c'est Cerise qui enquête sur son passé et c'est très émouvant. Les blessures de Cerise sont contées avec pudeur et empathie. C'est très prenant et ultra touchant
Ma note est légèrement gonflée mais il serait dommage de pénaliser la série à cause d'un seul tome.
Ce fut sincèrement une belle découverte
C'est certainement l'album que j'attendais avec impatience cette année, pour plusieurs raisons. D'une part il est signé Xavier Dorison, dont j'achète la plupart des albums, et d'autre part, ce récit couvre une période de l'histoire qui m'intéresse particulièrement , les débuts de la Vème République sur fonds de guerre d'Algérie. J'avais à ce titre adoré Un général, des généraux de Juncker et Boucq, et je ne compte plus le nombre de livres ou d'essais que je possède sur le Général de Gaulle.
Ici, Xavier Dorsion nous fait découvrir les coulisses de la Vème République, à travers l'histoire un peu romancée, des 4 gardes du corps du Général de Gaulle. Et c'est fort réussi.. Les dialogues font mouches, les personnages sont charismatiques et le lecteur est plongé dans le récit comme dans un film.
Mais ce qui fait la force de ce premier volume c'est le dessin de Julien Télo, que je découvre ici. Son style me fait songer à celui de Sylvain Vallée. L'ambiance des années 50 est parfaitement retranscrite, des costumes aux voitures, tout y est..
En plus, j'ai lu cette aventure dans l'édition proposée en grand format et en noir et blanc, sous une couverture plus réussie, à mon goût, que l'édition courante.
Ce tirage de luxe rend parfaitement hommage au magnifique dessin de Julien Télo et j'espère que les éditions Casterman feront de même pour les autres albums prévus pour cette série.
J'ai lu dans un entretien donné par Dorison, que la série est prévue en 10 volumes , vaste programme ! comme dirait de Gaulle.
Les auteurs ont certainement signé ici, un des albums qui marquera cette année.
Une réussite.
Les avis de Ro et bab m'ont convaincu de me pencher sur ce comics. Comics qui partait avec deux handicaps. Le premier c'est d'avoir des animaux pour personnages principaux, j'ai souvent du mal à adhérer à ce type de récit. Et le second c'est la partie graphique, son rendu ne m'attirait pas vraiment. Deux handicaps qui ont volé en éclats lors de ma lecture.
Les éditions "Monsieur Toussaint Louverture" ont, comme toujours, réalisé un superbe travail. Un magnifique écrin pour cette adaptation du chef-d’œuvre de Richard Adams.
Des lapins pour personnages principaux, ils sont à la recherche d'une nouvelle garenne, l'un d'eux a eu un mauvais pressentiment. Ils doivent quitter sur le champ leur logis s'ils veulent survivre. A partir de là, on va suivre ce petit groupe aux grandes oreilles à la recherche d'un coin de paradis et de liberté. L'aventure avec un grand A, elle sera semée d'embûches.
Un récit qui nous fait découvrir tout un monde complexe, la hiérarchisation est de mise dans la garenne, une société qui fera écho à certains régimes totalitaires.
Une fresque touchante et âpre, elle doit énormément à l'humanité qui émane de ce petit groupe de rebelles. Une quête captivante, très bien construite et qui m'a touché en plein cœur.
Le dessin de Joe Sutphin m'a conquis par le soin apporté aux détails, mais surtout les émotions qu'il arrive à faire passer au travers une attitude ou d'un regard de nos chers lapins. Un trait gras, légèrement charbonneux et de tristes couleurs retranscrivent toute l'âpreté de ce monde animalier.
Rien ne ressemble plus à un lapin qu'un autre lapin, pourtant (cela demandera un peu de concentration) il n'est pas si difficile de reconnaître chaque protagoniste suivant la couleur du pelage, le positionnement des oreilles, une particularité physique.... Ça permet de faire travailler la mémoire.
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Le Chemin de Saint-Jean
Une vie comme marcher, courir, devenir une route, un chemin. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, entre évocation du chemin et association libre d’idées. Son édition originale date de 2002. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-huit pages de bande dessinée en noir & blanc. Un chemin ensoleillé dans l’arrière-pays niçois, partant de Villars-sur-Var dans les Alpes-Maritimes. Edmond n’est pas le seul à marcher sur ce chemin. Les chasseurs y viennent en automne, les randonneurs au printemps, le berger souvent. Le berger y vient peut-être plus souvent que lui. Mais son problème principal consiste à faire vivre en belle harmonie des chèvres, des moutons, un chien. Alors que lui Edmond ne m’intéresse qu’à lui et il s’étale ensuite sur du papier. Cette préoccupation constante ressemble un peu à une maladie. Elle ne le place pas au-dessus du berger, des chasseurs, des randonneurs. Elle a fait simplement qu’avec le temps et quelque chose de l’apprentissage, il veut essayer de dessiner le chemin et d’écrire sur lui. Il y a dans le monde des chemins plus beaux, mais c’est de celui-là qu’il veut parler. C’est son chemin. Il ne lui appartient pas, mais c’est un peu lui qui l’a fait. Il dit Son chemin comme on dit Sa mère. Quand il a fait le premier dessin, il était assis sur une pierre avec une sorte de fatigue. C’est souvent comme ça au début d’une promenade. Son chemin fait un cercle, où commence un cercle ? Il peut décider qu’il commence à partir de cette pierre, c’est bien une pierre, c’est ancien. Mais ensuite ? Comment choisir une image plutôt qu’une autre ? Il lui faudrait s’arrêter à chaque pas, faire un dessin, se retourner, en faire un autre. Et puis dessiner ce qu’il voit sur le côté, à droite, à gauche. Et pourquoi à chaque pas ? Pourquoi pas tous les dix centimètres ? Ou tous les un ? Il faudrait aussi refaire le même paysage plusieurs fois. Dans des heures différentes, dans d’autres jours, dans d’autres saisons. Avec le temps il comprendrait ses erreurs, il affinerait son trait. Son style changerait, il viendrait avec d’autres papiers, de la couleur. Tout est trop ou trop peu. Qu’est-ce qu’il doit faire ? Dessiner simplement la pierre sur laquelle il se trouve ? À elle aussi, il appartient. Il la recopierait sous tous les angles. Ensuite pourquoi pas, il irait chercher une loupe. Mais il deviendrait fou. Et il voudrait avec un microscope peindre jusqu’aux atomes de ce stupide bloc de calcaire qui lui fait mal aux fesses. Vers la fin de l’été avec son frère Piero, ils venaient là avec des sacs de charbonnier. La forêt de pins était dense. C’était avant l’incendie, bien avant, ils étaient encore des petits. La mère voulait des provisions de pignes pour les feux de l’hiver. En français, on dit pommes de pins. Edmond n’a jamais mangé de pignes. Un des deux restait sur le chemin, l’autre allait en amont et provoquait des avalanches de pignes que celui d’en bas essayait de stopper. Ils s’écorchaient les mains, ils détestaient cette corvée. Ils riaient beaucoup. C’est du Baudoin pur jus… Ce créateur a fait preuve d’une voix aussi personnelle qu’originale dès le début de sa carrière. De prime abord, soit en feuilletant, soit en lisant quelques cartouches de texte, le lecteur se trouve bien en peine de déterminer la nature de l’ouvrage, son thème principal, ou même s’il y a une histoire. Voire il peut s’interroger sur la cohérence de ce qu’il va lire. Le titre s’avère très premier degré : l’auteur raconte ce chemin dit de Saint-Jean qui part du village de Villars-sur-Var. Déjà, la démarche de raconter un chemin le place à part de 99% de la production de bande dessinée, voire littéraire. Ensuite, difficile d’envisager un dessin de couverture plus cryptique. Avec ses coups de pinceau si caractéristiques de son art, il représente un homme assis sur le bord du chemin, certainement lui-même avec une large pierre à la place de la tête, flottant au-dessus des épaules, sans cou. La première planche comprend deux cases : une avec bordure certainement le point de départ du chemin de Saint-Jean, et une autre sans bordure avec le même dessin que la couverture et un arbuste sur la droite. Par la suite, en feuilletant, le regard du lecteur peut être attiré par des éléments aussi disparates que l’esquisse du plan de principe du chemin, de magnifiques représentations du chemin et de la nature en bordure, quelques cases à l’encre proches de l’épure chinoise allant vers l’abstraction, et puis une décomposition des mouvements d’un homme qui danse, une église, une case blanche, des fleurs, etc. Oui, la promesse contenue dans le titre est tenue : le lecteur parcourt le chemin de Saint-Jean avec Edmond Baudoin. Dans la troisième planche, il découvre ce fac-similé de plan qui montre la boucle que fait le chemin autour du mont sur lequel se trouve la chapelle Saint-Jean. Il voit le point où se situe la pierre qui sert de tête au personnage sur la couverture. Il marche tranquillement, avec la vision du chemin devant lui, les arbres en bordure, le précipice à un moment, la végétation propre à cette région. L’auteur évoque la boucle comme un cercle. Il explique donc son attachement à ce chemin, ainsi que cette notion de cercle. Avec cette capacité extraordinaire, il donne la sensation de balade, chaque dessin correspondant à son regard, à sa façon de voir le monde. Le lecteur se dit qu’il pourrait très bien considérer cette bande dessinée comme un simple recueil de dessins du chemin, les différents endroits, ce qui constituerait déjà un ouvrage extraordinaire, une transcription d’un lieu souvent parcouru, chargé de souvenirs. Il se laisse aller dans sa lecture, chaque dessin commençant par produire un effet d’ensemble, chaque dessin capturant un état d’esprit, un moment particulier, transcrivant des sensations, à la fois dans la continuité des précédents, à la fois unique. Régulièrement le lecteur s’attarde sur l’un ou l’autre, sur un élément particulier : l’équilibre entre les traits noirs et les surfaces blanches, les grands coups de pinceaux, leurs contours charbonneux, les traits plus fins, les surfaces patinées. Il se perd dans une portion, voyant un assemblage tracés hétéroclites, de formes abstraites, une réunion de trucs et de machins sans rapport. Puis il reprend du recul et l’harmonie de l’ensemble lui apparaît comme une évidence. L’approche picturale de Baudoin exprime son originalité dans chaque trait. Il mystifie le lecteur jusqu’à un état mêlant confusion et exaltation. Finalement, il ne s’agit que de dessin d’après nature, d’un chemin comme il en existe beaucoup d’autres dans la région. Dans le même temps, comment fait-on pour exprimer ses ressentis avec des constructions de traits aussi improbables ? De surcroît, ce voyage s’avère plein de surprises, allant au-delà d’une collection de photographies prises sous l’inspiration du moment. Le lecteur ressent à chaque page que ce chemin a fait l’auteur, comme il l’écrit. Tel endroit lui rappelle son frère Piero (à qui il a consacré un album en 1998)quand il ramassait des pignes, tel autre son père assis au bord d’un petit canal (une construction de page bizarre : le portrait du père assis comme son fils plus tard, encadré par douze représentations différentes de son visage, plus ou moins précises, comme si la mémoire fluctuait), un surplomb au-dessus du ravin qui lui rappelle sa mère dont il tenait la main à cet endroit, les ruines d’une maison qui se dégrade au fil des années, l’église Saint-Jean qui lui évoque la procession dont il ne comprenait pas le sens du chant, etc. L’auteur développe chaque élément au fil de sa balade, pas comme une suite de souvenirs ponctuels, car le lecteur ressent bien qu’ils appartiennent tous à la même personne, qu’ils apparaissent de manière organique à tel ou tel endroit. Puis en planche quarante, le lecteur tombe sur une case évoquant Michel, ami défunt, avec un dessin fait à partir de l’œuvre picturale : Happé par un oiseau (1980), réalisée par Pootoogook, une femme artiste inuit. Planche quarante-sept, l’auteur raconte que début août 2001, il est de retour au Québec pour une deuxième année à l’université, en tant que professeur (il digresse pour ajouter qu’il n’est pas professeur, comme il n’est pas auteur de bandes dessinées, comme il n’est pas grand-père, comme il n’a jamais été comptable). Puis viennent deux planches totalisant dix-neuf cases, et autant de fleurs différentes. Puis retour à l’évocation de son séjour au Québec. Le même phénomène se produit à nouveau : une association d’éléments hétéroclites reliés par le flux des souvenirs, ou du vagabondage de l’esprit de l’auteur… tout en formant un tout d’une grande cohérence. Au fil du flux de pensée : le vol de forteresses volantes de la seconde guerre mondiale, l’artiste Napache Pootoogook, femme artiste inuit, des paysages du Québec, le rapprochement visuels des traits des coureurs et des traits des balles, un Inuksuk, la considération que le Québec n’a pas d’Histoire mais beaucoup de Géographie, la considération de voir les plus vieilles pierres, une anecdote sur un ami qui lui avait vendu un lot de toiles (ses peintures recouvertes de blanc, redevenues vierges), et pour finir le sort de la pierre sur laquelle il a fait le premier dessin. C’est du Baudoin, et même du Baudoin de haute volée : pas de récit, et pourtant une structure rigoureuse, une longue digression au Québec, et pourtant une thématique filée avec élégance, des considérations d’ordre générale sur la beauté de la nature et la vilenie de l’être humain, des souvenirs éminemment personnels partagés avec une honnêteté émotionnelle totale au point que le lecteur les fait siens. Une bande dessinée entre carnet de voyage, réminiscences, réflexions existentielles, parsemés des thèmes habituels de l’auteur, de ce créateur sans pareil. Le lecteur se laisse porter par la balade sur le chemin de Saint-Jean, par les souvenirs intimes, éprouve des sensations et des états d’esprit uniques, personnels à partir des moments de vie qui lui sont étrangers, attestant de sa qualité de frère en humanité. Avec cet ouvrage, Edmond Baudoin atteint un nouveau sommet : un récit libre et une narration visuelle libre, affranchis de toute convention, et dans le même temps une œuvre construite et réfléchie, une expérience littéraire de haute volée. Transcendant.
Serena
Les personnages féminins qui incarnent le Mal absolu ne sont pas légion dans la littérature. Serena est rentrée dans un club très fermé au côté de Lady Mac Beth et de Médée. Je n'ai pas lu le roman de Ron Rash mais on sent que l'auteur s'est inspiré avec doigté de la personnalité des illustres ancêtres de Serena. Toute la maîtrise d'Anne-Caroline Pandolfo est de ne pas trahir le personnage dans sa complexité. Comme ces rudes bucherons des Appalaches le lecteur passe de la surprise amusée, à un étonnement respectueux pour finir à la détestation horrifiée devant cette quête du pouvoir absolu. Aucun ours n'est assez sauvage, aucune pente assez abrupte ou aucun homme assez fort pour empêcher cette Médée moderne d'atteindre son but. Pandolfo a très bien su rendre cette ambiance de tragédie théâtrale orchestrée par un cercle restreint de personnages et commentée par le chœur des bucherons. Contrairement au mythe de Médée, Rash déplace le climax de sa tragédie du fils vers le père. C'est probablement le seul souffle de légèreté dans ce récit aride. Même si la personnalité de Serena écrase l'histoire, le récit est riche de nombreuses autres thématiques modernes (la déforestation, le conflit entre un travail vital pour le bucheron et la sauvegarde de l'environnement pour les générations futures, les conditions de travail et leurs risques, la crise économique et sociale). Le graphisme de Risbjerg peut détourner certains lecteurs par son âpreté et son aridité. Pourtant l'essentiel est là et je me suis très vite approprié cette raideur du trait qui rend merveilleusement bien la dureté du caractère de Serena et les innombrables rudesses des conditions de vie des travailleurs. Cela fait même plaisir de rencontrer de tels graphismes avec une patte qui sort du classicisme habituel. Une très belle lecture qui m'a vraiment séduit par la justesse de son traitement.
La Caste des Méta-barons
La caste des métabarons... Une série déjà tellement commentée sur le site, à tel point que je me suis demandé si cela avait encore un quelconque intérêt de donner mon avis... Mais bon, en ce moment je ressens le besoin de laisser par écrit mes impressions et je viens enfin d'en terminer la lecture. Note du rédacteur : au moment où je démarre l'écriture de cet avis, j'ai encore quelques tomes à dévorer. Ceci est donc une critique publiée dans un proche futur et écrite dans un passé récent à l'instant où vous lisez ces lignes. Woh, on nage en pleine SF ! Justement! Jodoroswky choisit le personnage du meta-baron aperçu dans l'Incal pour nous conter cette fois-ci une grande saga de science fiction. J'avais interrompu ma lecture il y a un an et je ne me souvenais plus pourquoi. En relisant les premiers tomes, la mémoire m'est revenue : ces satanés robots !!! En effet les conteurs de cette histoire sont deux petits androïdes qui vous racontent la généalogie des méta-barons en faisant des blagues pourries toutes les 10 pages environ. Mais c'est suffisant pour les détester puisque leur humour ne s'accorde pas du tout au ton de l'histoire. Ce sont eux les véritables antagonistes de cette saga, vous allez apprendre à les haïr intensément... Jusqu'à leur pardonner à la fin grâce à un tour de magie de Jodoroswky. Passé ce défaut qui n'est pas rédhibitoire, les deux talents du scénariste et du dessinateur s'additionnent vraiment dans cette œuvre pour nous livrer un récit où l'épique côtoie le grandiloquent, où le bizarre s'accouple avec le malsain : on retrouve dans cette série tout le spectre des obsessions de Jodoroswky. La narration est très fluide, rien n'est jamais compliqué. Jodo enchaine les situations et péripéties rocambolesques en poussant le curseur à chaque tome un peu plus loin, ce qui provoque chez le lecteur de bon goût un véritable plaisir ludique. Et le dessin ? Le trait de Gimenez donne corps aux descriptions hallucinatoires de Jodoroswky. Vous allez passer du temps à admirer les vaisseaux et les explosions de couleurs sur certaines pages ! On a parfois l'impression que Jodo, tout à sa joie de travailler avec un tel dessinateur, cherche en permanence à le pousser dans ses retranchements, en inventant des situations qui semblent impossible à mettre en images. Mais Gimenez ne fléchira jamais. Pendant huit albums. Il va s'améliorer même ! Un véritable exploit. Un 5 au présent, au passé et au futur.
Rolqwir
Si vous aimez la bd "Gobelin's" ou Trolls de Troy je pense que vous aimerez rolqwir. Un jeune chevalier français qui rêve d'aventures mais qui n'est pas bien futé, se retrouve au Japon. Beaucoup de références sur notre culture française, clichés et pop culture, tout cela détourné de façon humoristique. A lire.
Django Main de feu
Django a peut-être été l’homme le plus libre de tous les temps. - Ce tome contient une biographie des jeunes années de Django Reinhardt (1910-1953) qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur ce musicien. Son édition originale date 2020. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et par Ricard Efa pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il débute par un texte introductif d’une page, rédigé par Thomas Dutronc qui déclare que Django était un dieu de la guitare, et qui développe son admiration pour ce musicien. Il se termine avec un copieux cahier thématique de seize pages avec de nombreuses photographies abordant la réalité historique de la vie de Django Reinhardt, entre ce qui est connu des circonstances de sa naissance, l’environnement dans lequel il a grandi (la Zone), le choix des morceaux interprétés par Django au cours de la bande dessinée (Les yeux noirs, La Madelon, La Montmartroise, et bien sûr Nuages, Everybody loves my baby, Ma régulière, Dinah, The sheik, Hard hearted Hannah), ses débuts un peu décalés dans le monde du bal musette, ses premiers contacts avec le jazz, ses premiers enregistrements et son nom mal orthographié, ainsi que son séjour à l’hôpital. Vient enfin une bibliographie sélective. Par une rude journée d’hiver, dans une épaisse robe, avec un châle et un fichu, Laurence Reinhart marche d’un bon pas dans le chemin enneigé. Elle se hâte de gagner le village, tout en tenant fermement son ventre rebondi de femme enceinte. Soudain, elle sent qu’elle perd les eaux, et elle peut voir la flaque fumante dans la neige. Le vingt-trois janvier 1910, sur la grand-place du village de Liberchies, près de Charleroi, en Belgique, un groupe de musiciens est en train de monter sur l’estrade. Jean-Baptiste Reinhardt s’agace que sa femme ne soit pas encore arrivée, qu’elle n’en fasse qu’à sa tête. Une dame lui dit que le bébé est arrivé. Dans une roulotte, la jeune mère est allongée, le nouveau-né dans ses bras. Le père finit par arriver et il lui donne un nom : Django. Oui, Django était arrivé parmi eux. Mais Django Reinhardt a eu deux naissances. Celle-ci ne fut que la première. Et chacun sait, c’est de la souffrance que l’on naît. En 1922, la Zone, près de la porte à Choisy, Django a gagné en confiance et il est en train de déclarer à son petit frère et à sa petite sœur que c’est lui le maître de la Zone, le chef de la bande des Foulards Rouges, il est le gangster Django Reinhardt. Et il leur proclame que maintenant ce territoire leur appartient. Et d’ici, ils vont conquérir l’Amérique. Il se tourne vers eux pour les enjoindre d’aller de l’avant, et il se rend compte qu’ils sont restés cachés derrière un talus. Son petit frère Nin-Nin lui rappelle qu’ils sont sur le territoire des Foulards bleus, que ces derniers vont les attraper et leur fichent une raclée. En effet, cinq autres enfants arrivent et les tapent. De retour au camp tzigane, la mère soigne Django et lui déclare qu’elle est bien contente que les autres leur aient flanqué une raclée. Elle ajoute : tant qu’à se bagarrer, ils auraient pu se débrouiller au moins pour gagner. Un ancien intervient pour les réprimander et rappeler que Django pourrait au moins aller à l’école pour apprendre à lire. Le lecteur peut être alléché à l’idée de découvrir un récit de la jeunesse de ce grand guitariste, couvrant majoritairement la période allant de ses douze ans en 1922, à ses vingt ans en 1930. Il peut aussi avoir déjà lu d’autres ouvrages de ce duo de créateurs et être tombé sous le charme de leur narration : Monet - Nomade de la lumière (2017) ou Degas - La Danse de la solitude (2021). Après avoir lu la bande dessinée, il se plonge dans le copieux dossier et il découvre la postface, dans laquelle le scénariste explicite sa démarche. Il rappelle que : Personne, bien sûr, ne rassemble de la documentation sur les premières années de vie d’une personne ordinaire dont on ne s’attend aucunement à ce qu’elle devienne un jour l’un des plus grands génies musicaux du siècle. Il ajoute que : dans l’univers manouche, c’était seulement par la tradition que l’histoire était transmise, volontairement embellie d’anecdotes, d’exagérations et de contes rarement fiables. Enfin il indique qu’un scénariste historien comme lui accomplit une triple tâche. Un : se mettre en quête de témoignages, sources et récits qui fourniront des faits, des scènes et des rencontres dont la bande dessinée rendra compte. Deux : les transformer en un récit fluide, logique et efficace. Trois : atteindre un équilibre entre les deux précédents pour transmettre au lecteur ce qui est su et ce qu’il est impossible de savoir, de la façon la plus fiable possible, mais aussi la plus passionnante. En commentant une illustration en double page, le scénariste a ce mot : Il restait si peu d’espace libre, dans une vie si pleine… Effectivement, la lecture peut donner une impression de narration dense, à commencer par la taille des lettres plus petite que d’habitude, ainsi régulièrement que la densité d’informations visuelles. Dans le même temps, chaque case s’assimile au premier coup d’œil et se lit facilement. L’artiste utilise un mode amalgamant des traits de contour relativement fins et souples avec de discrets arrondis convenant parfaitement à la jeunesse du musicien, et la technique de la couleur directe pour apporter d’autres informations visuelles, des textures et des ambiances lumineuses. Ainsi il réalise une reconstitution historique étoffée aussi remarquable que naturelle. Le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention plus que ça au début. Bien vite, il prend conscience qu’il trouve les éléments qu’il attendait : les roulottes, les tenues manouches, les costumes de gadjé musiciens de Paris avec leur feutre mou, les scènes communautaires des gens du voyage, etc. À l’occasion d’une scène ou d’une autre, la curiosité ou un détail l’intrigue et il prête plus d’attention à une case ou un élément visuel. Il se rend alors compte de l’investissement du dessinateur dans ses représentations. Efa va au-delà de la simple impression globale ou de l’apparence au premier coup d’œil. Il soigne chaque aspect historique : les tenues vestimentaires en différenciant celles plus traditionnelles des Manouches, entre femmes et hommes, ou encore les enfants. Il évoque aussi bien les terrains vagues de la Zone, que les rues pavées de Paris, les rails du tramway, la cour intérieure de l’hôpital Lariboisière. Il soigne également les intérieurs, tant dans leur aménagement que leur décoration, ou encore les accessoires : les roulottes, les bistrots accueillant un orchestre, la chambre d’hôpital, les couloirs de Lariboisière. Dans la première partie, le lecteur se régale avec les quatre cents coups de Django : bagarre de bande, attaque de voiture automobile pour provoquer un accident, tentative de faire dérailler un tramway, et puis l’apprentissage obsessionnel du banjo-guitare avec l’intensité propre à cet âge. Alors que Django devient majeur, sa confiance en lui et son arrogance en impose, avec toujours cette implication dans son art qui le rend sympathique (et puis le lecteur sait qu’il va devenir un dieu de la guitare, mondialement reconnu). Après l’accident, le lecteur regarde le jeune homme à la fois abattu par la perte de son talent, à la fois accablé à la perspective d’une vie de mendiant. La direction d’acteurs insuffle une vie et une plausibilité dans les comportements, au point que le lecteur ressent comme une vérité ce qu’il voit. La mise en scène apporte également une grande clarté dans chaque scène, ainsi qu’une évidence narrative : l’apaisement procuré par la concentration de la pratique du banjo, le contentement ineffable de pouvoir jouer dans un ensemble d’adultes, l’attraction amoureuse magnétique entre Django et Florine Mayer, la communauté manouche unie pour récupérer Django et l’extraire de l’hôpital, les magnifiques deux pages de réapprentissage avec la position de la main gauche sur le manche, etc. Le scénariste a fourni un travail tout aussi remarquable de reconstitution historique que ce soit pour les lieux comme la Zone (espace résultant de l’enceinte de Thiers, surnommé aussi les fortifications ou les fortif’) ou l’hôpital Lariboisière, pour l’évocation de la première carrière de Django avec ses différents chefs de formation musicale : Pierre Vettese dit Guérino (1895-1952), accordéoniste français d'origine sinti piémontaise, Jean Vaissade (1911-1979), accordéoniste et un compositeur français, Jack Hylton (1892-1965), chef d'ensemble à vent, chef d'orchestre, impresario, Émile Audiffred (1894-1948), chanteur, librettiste, parolier et producteur français. S’il connaît le répertoire de l’époque, le lecteur relève les références aux airs populaires, sinon il les découvre dans le dossier en fin d’ouvrage, à commencer par Nuages. Bientôt le lecteur suit Django, en pleine empathie, sans plus se préoccuper de faire preuve de distanciation ou d’esprit critique. Il poursuit sa lecture avec le dossier dans lequel l’auteur expose ce qui relève de faits établis, et ce qui relève d’une interprétation, assimilant par là-même les informations historiques et leur contexte dont il ne disposait pas forcément. Il prend connaissance de l’état d’esprit du scénariste ou de sa ligne directrice : Quand l’historien et le scénariste se mettent finalement d’accord, ils en arrivent à une conclusion claire, il n’existe pas de héros réel qui n’ait sa part de légende. Qu’il ait déjà succombé au charme de Nuages ou non, le lecteur peut éprouver de la curiosité pour les jeunes années de Django Reinhardt, avant la célébrité, ou vouloir retrouver ce duo d’auteurs. Il apprécie immédiatement la narration visuelle colorée et agréable, tout autant que rigoureuse, documentée, à la mise en scène fluide et sophistiquée. Il suit un jeune délinquant sur une mauvaise pente, trouvant sa raison de vivre dans le banjo qui lui permet d’intégrer le monde des adultes en avance, puis le terrible accident et la force de caractère permettant de construire une seconde vie, avec l’aide de sa communauté. Singulier.
La Tempête (David Wautier)
J'apprécie généralement les albums sans texte pour la jeunesse. Pour une fois ce ne sont pas les éditions de la Gouttière (Anuki,Passe-passe, Myrmidon) mais une autre petite maison, Le Diplodocus, qui propose cet excellent récit graphique de David Wautier. Cette série s'adresse surtout aux jeunes lecteurs et lectrices de 4/5 ans comme une initiation à la BD mais pas seulement. En effet j'ai immédiatement été séduit par l'intelligence du scénario qui peut facilement parler à un lectorat plus âgé (comme moi). Tout d'abord 44 pages, c'est beaucoup pour un très jeune lectorat. Cela demande un effort de concentration assez intense pour ne pas lâcher sa lecture. C'est tout le talent de l'auteur de proposer des "rebondissements", une montée dans l'intensité dramatique des évènements puis un final classique mais libérateur pour réussir à capter l'attention jusqu'au bout. Wautier choisit un environnement inhabituel pour un très jeune public : une ferme isolée au pied de la Monument Valley dans le désert de l'Arizona. Un jeune garçon de 5/6 ans s'y promène avec sa petite sœur (et sa poupée) seuls à quelques centaines de mètre de la ferme où la maman est seule à faire le linge. Une entrée en matière particulière car si elle permet une appropriation immédiate pour un très jeune lectorat, elle installe un climat assez fort d'angoisse pour une vision adulte (isolement, vulnérabilité des personnages). Ce sentiment augmente quand on sent le danger invisible arriver. Des Indiens ? des hors la loi ? ce serait un imaginaire adulte sur lequel Wautier joue avec malice. Non ce ne sont que des nuages noirs qui soulagent le lecteur adulte mais pas forcément l'enfant qui voit son espace de confort malmené par des événements qu'il connait bien. Ce (trop) long développement pour montrer comment j'ai trouvé intelligente la construction du récit de l'auteur. Le reste n'est que plaisir des yeux ! le graphisme de Wautier pouvant parler à un public très large. La construction des planches reste dans le classique gaufrier émotionnel et actif avec quelques pleines pages contemplatives. Une très belle lecture pour tous à faire seul.e ou partagée.
Great Kaiju - Gaea-Tima
Ma connaissance des kaiju se limite, pour l'heure, à des films comme Godzilla (celui d'Emmerich, à ma grande honte), ainsi que Pacific Rim (ok, c'est un peu mieux. Sans oublier le roman original japonais qui a inspiré la franchise Gojira à partir des années 1950. C'est maigre, et ce manga est l'occasion de saisir un peu plus l'essence de ce sous-genre très populaire au Pays du Soleil Levant. Ici Gaea-Tima est un monstre qui a provoqué la destruction de toute une ville avant de se dissoudre dans la Mer du Japon, avant de réapparaître dix ans plus tard, dans le sillage d'une survivante de la catastrophe, avec un lien tout particulier, et cette fois peut-être dans la peau du sauveur... L'histoire est assez intéressante pour qui s'intéresse aux mythes shintô, qui ont par exemple inspiré les films de Miyazaki, comme Nausicaä de la Vallée du Vent. Ainsi le Japon, qui subit nombre de catastrophes climatiques tous les ans, a intégré cela dans son quotidien, dans sa culture, dans sa littérature. Et y voit parfois des bienfaits, comme lorsque la nature reprend ses droits après telle ou telle catastrophe... Cette dualité est présente dans les personnages de Miyako et Tatsurumi, chacun incarnant un sentiment opposé concernant Gaea-Tima, le kaiju qui a ravagé la ville une décennie plus tôt. C'est plutôt sympa, et cet aspect sociologique lié au folklore m'intéresse particulièrement? je suis curieux de voir comment cela va évoluer dans les tomes à venir...
Les Carnets de Cerise
Cerise, Cerise, Cerise, voilà une bien jolie surprise. Je ne suis clairement pas le public visé d'une telle série et c'est avec pas mal d'appréhension que je me suis lancé dans sa lecture Cerise est donc une fillette d'une dizaine d'années qui est curieuse de tout et surtout des inconnus qui l'entourent. Sa curiosité (qu'on pourrait aisément qualifiée de mal placée) l'entraine dans des aventures qu'elle consigne dans des carnets. Car Cerise souhaite devenir auteure. A l'heure où les enfants sont plus connectés que jamais (mais toujours moins que demain) c'est très rafraichissant de voir une enfant aimer lire et écrire. Les dessins sont très agréables et alternent habilement entre BD et extraits des Carnets de Cerises. On regrettera juste une colorisation trop informatisée. Tout s'enchaine facilement et la lecture est assez fluide, ce qui est "normal" pour une BD jeunesse. Bien que chaque tome soit indépendant il est quand même préférable de les lire dans l'ordre car cela permet de suivre l'évolution de Cerise et ses amies. D'ailleurs on peut trouver certains clins d'œil aux tomes précédents en cours de lecture Les histoires n'ont pas toutes les même qualités narratives ainsi s'il fallait noter les différents tomes : * Tome 1 : 3/5 une très belle histoire se prêtant parfaitement aux dessins et couleurs de la série. * Tome 2 : 1/5 J'ai détesté cet album pas à cause de l'histoire ou des dessins mais à cause des conflits qui éclatent entre Cerise et son entourage (maman et amies). En continuant la série je pense que ce passage était obligé afin de faire grandir Cerise * Tome 3 : 5/5 Et oui cette histoire de chasse au trésor est ultra touchante, humainement parlant. Certaines blessures de l'enfance mettent très longtemps à guérir. On découvre par la même un peu plus l'histoire de notre héroïne * Tome 4 : 3/5 On redescend d'intensité. L'intrigue, toujours pleine de bons sentiments, est moins touchante que la précédente. Cerise arrivera t'elle enfin à mettre des mots sur ses maux ? * Tome 5 : 5/5 Cette fois c'est Cerise qui enquête sur son passé et c'est très émouvant. Les blessures de Cerise sont contées avec pudeur et empathie. C'est très prenant et ultra touchant Ma note est légèrement gonflée mais il serait dommage de pénaliser la série à cause d'un seul tome. Ce fut sincèrement une belle découverte
Les Gorilles du Général
C'est certainement l'album que j'attendais avec impatience cette année, pour plusieurs raisons. D'une part il est signé Xavier Dorison, dont j'achète la plupart des albums, et d'autre part, ce récit couvre une période de l'histoire qui m'intéresse particulièrement , les débuts de la Vème République sur fonds de guerre d'Algérie. J'avais à ce titre adoré Un général, des généraux de Juncker et Boucq, et je ne compte plus le nombre de livres ou d'essais que je possède sur le Général de Gaulle. Ici, Xavier Dorsion nous fait découvrir les coulisses de la Vème République, à travers l'histoire un peu romancée, des 4 gardes du corps du Général de Gaulle. Et c'est fort réussi.. Les dialogues font mouches, les personnages sont charismatiques et le lecteur est plongé dans le récit comme dans un film. Mais ce qui fait la force de ce premier volume c'est le dessin de Julien Télo, que je découvre ici. Son style me fait songer à celui de Sylvain Vallée. L'ambiance des années 50 est parfaitement retranscrite, des costumes aux voitures, tout y est.. En plus, j'ai lu cette aventure dans l'édition proposée en grand format et en noir et blanc, sous une couverture plus réussie, à mon goût, que l'édition courante. Ce tirage de luxe rend parfaitement hommage au magnifique dessin de Julien Télo et j'espère que les éditions Casterman feront de même pour les autres albums prévus pour cette série. J'ai lu dans un entretien donné par Dorison, que la série est prévue en 10 volumes , vaste programme ! comme dirait de Gaulle. Les auteurs ont certainement signé ici, un des albums qui marquera cette année. Une réussite.
Watership Down
Les avis de Ro et bab m'ont convaincu de me pencher sur ce comics. Comics qui partait avec deux handicaps. Le premier c'est d'avoir des animaux pour personnages principaux, j'ai souvent du mal à adhérer à ce type de récit. Et le second c'est la partie graphique, son rendu ne m'attirait pas vraiment. Deux handicaps qui ont volé en éclats lors de ma lecture. Les éditions "Monsieur Toussaint Louverture" ont, comme toujours, réalisé un superbe travail. Un magnifique écrin pour cette adaptation du chef-d’œuvre de Richard Adams. Des lapins pour personnages principaux, ils sont à la recherche d'une nouvelle garenne, l'un d'eux a eu un mauvais pressentiment. Ils doivent quitter sur le champ leur logis s'ils veulent survivre. A partir de là, on va suivre ce petit groupe aux grandes oreilles à la recherche d'un coin de paradis et de liberté. L'aventure avec un grand A, elle sera semée d'embûches. Un récit qui nous fait découvrir tout un monde complexe, la hiérarchisation est de mise dans la garenne, une société qui fera écho à certains régimes totalitaires. Une fresque touchante et âpre, elle doit énormément à l'humanité qui émane de ce petit groupe de rebelles. Une quête captivante, très bien construite et qui m'a touché en plein cœur. Le dessin de Joe Sutphin m'a conquis par le soin apporté aux détails, mais surtout les émotions qu'il arrive à faire passer au travers une attitude ou d'un regard de nos chers lapins. Un trait gras, légèrement charbonneux et de tristes couleurs retranscrivent toute l'âpreté de ce monde animalier. Rien ne ressemble plus à un lapin qu'un autre lapin, pourtant (cela demandera un peu de concentration) il n'est pas si difficile de reconnaître chaque protagoniste suivant la couleur du pelage, le positionnement des oreilles, une particularité physique.... Ça permet de faire travailler la mémoire. Une très belle surprise. Ne pas oublier de vérifier que le carton reprenant la carte géographique des garennes et le glossaire "Lapine" est bien présent dans la BD. Très important ! Je ne peux que recommander.