C'est avec son album Couleur de peau : miel que Jung s'est fait connaître, en relatant son histoire d'enfant orphelin en Corée du Sud, puis son adoption pas vraiment réussie en Belgique. Il a continué sur le sujet avec Babybox en nous racontant comment en Corée du Sud, il existait des boîtes où les mères peuvent venir déposer et abandonner leur enfant... Avec "Destins coréens", Jung remet le couvert une dernière fois ; à l'occasion d'un voyage en Corée pour son travail, il compte en profiter pour rencontrer une jeune fille enceinte qui l'avait contacté après avoir lu sa BD. C'est cette rencontre entre un "enfant abandonné" et une mère sur le point de faire de même que nous propose l'auteur, et c'est puissant !
Comme pour Babybox, il use d'un graphisme sobre et élégant, d'une grande délicatesse, rehaussé cette fois-ci jaune, qu'il place avec justesse et parcimonie pour servir au mieux son propos. C'est beau et efficace, très esthétique. Ce qui n'enlève en rien à la qualité narrative de l'album, servant au contraire parfaitement son propos.
Encore une fois, Jung réussi un magnifique album sur un sujet douloureux, mais qui semble boucler une boucle de sa vie et donner totalement sens à son travail.
Tu vois, mais tu ne regardes pas.
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Ce tome constitue une anthologie d’une quinzaine de récits courts, tous écrits par le même scénariste. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Zabus pour les scénarios. Chaque histoire est illustrée par un artiste différent : Hippolyte, Efa, Alexandre Clérisse, Thomas Campi, Antoine Carrion, Pierre Maurel, Valérie Vernay, Christian Cailleaux, Javi Rey, Amélia Navarro, Piero Macola, Christian Durieux, Jean-Denis Pendanx, Alfred et Charles Berberian. Il compte quatre-vingt-quatre pages de bande dessinée, répartie en quatorze chapitres, chacun comprenant six pages, à l’exception du cinquième en cinq pages et du sixième en sept pages.
Par un temps humide d’hiver, une jeune femme pousse la porte de Pôle Emploi, dans un manteau bleu avec une longue écharpe rouge. Elle se fraie un chemin au milieu des gens qui attendent pour aller prendre un ticket au distributeur : numéro 214H. Elle va s’assoir avec tous les autres, en attendant son tour. Dans sa tête, elle entend ce que va lui dire la dame qui la reçoit : Toujours pas de diplôme ? C’est difficile de trouver un job dans ces conditions. Un boulot sympa ? Pas de formation, pas de voiture, pas d’expérience convaincante… La jeune femme se lève prête à partir, et elle avise un livre laissé là sur une petite table. Elle le prend et se rassoit : elle se met à lire le guide des petits métiers méconnus. Première entrée : le balayeur des regrets. Sur la berge d’une rivière, un jeune garçon est en train de se déshabiller à l’abri des regards pour revêtir son maillot de bain. Puis il rejoint Camille déjà dans l’eau de la rivière, ayant étendu sa serviette sur la berge. Elle se jette à l’eau et l’éclabousse, il la rejoint et l’éclabousse à son tour, les deux riant de bon cœur. Puis ils profitent du soleil. Après ils rentrent au village. Devant eux passent un homme assis sur une cariole tirée par un cheval et s’adressant aux villageois : Le printemps est arrivé ! Il les enjoint à se libérer, à se soulager, à laisser l’hiver derrière eux, à se présenter léger pour l’été. Camille explique le rituel à son ami.
Le souffleur de rue. Monsieur Lepic est le gardien du parc Pont-aux-Herbes. Son caractère rigide et sourcilleux l’amène à vouloir contrôler tout ce qu’il s’y passe. Chaque visiteur, la moindre allée et venue, tout est scruté par son œil inquisiteur. Or, ce qu’il découvre ce samedi matin le surprend fortement. Un grand costaud avec un petit bouquet de fleurs dans ses grandes mains essaye de sortir deux phrases d’amour, en bafouillant lamentablement. La jeune femme attendue arrive tranquillement à sa hauteur. Il se lève et il se met à déclamer avec aisance un poème de Paul Éluard. Elle est sous le charme. Le gardien Lepic apprécie la qualité littéraire du discours mais s’étonne grandement que le boucher du quartier, qui n’a jamais ouvert que des livres de compte, se soit montré capable de déclamer des poèmes. Ils voient trois jeunes hommes en train de traiter une autre jeune femme de boudin. Madame Boulet leur répond du tac au tac, et monsieur Lepic a du mal à croire que cette femme d’une timidité maladive se mette elle aussi à avoir de la répartie !
En découvrant ce tome, le lecteur comprend qu’il est construit sur un dispositif simple : des métiers qui n’existent pas et qui vont être mis en scène. Cela comporte de fait une forme de poésie : mettre en scène des êtres humains qui utilisent leurs compétences particulières dans des tâches qui ne sont pas valorisées par la société, qui ne présentent pas une valeur marchande. Le lecteur commence par accompagner un jeune adolescent qui découvre une coutume locale : un monsieur qui recueille des petits papiers froissés sur lesquels les gens ont écrit leurs regrets, tous leurs regrets de l’année écoulée, tout ce qu’ils n’ont pas osé faire, ce qu’ils n’ont pas vécu. Cela s’apparente à un rituel de printemps, une saison correspondant au réveil de la nature, avec un radoucissement de la température, un moment propice à de nouveaux projets, en laissant derrière soi les échecs, et en l’occurrence les regrets. Dans la deuxième histoire, une femme fournit des répliques littéraires à des personnes importunées ou harcelées. Puis une jeune femme aide à raviver les souvenirs de son grand-père atteint d’une maladie neurodégénérative. Le scénariste a l’art et la manière de mettre en scène des individus qui semblent avoir échoué au regard des critères de la société capitaliste, et qui apporte quelque chose qui n’a pas de prix à des personnes autour d’eux. Des récits qui rassérénèrent sans occulter la violence systémique de la société.
Le scénariste fait preuve d’un savoir-faire impressionnant pour se renouveler dans chaque histoire. Des métiers inventifs et décalés, des situations de départ renouvelées à chaque fois, une chute qui vient clore une intrigue menée à un rythme qui donne la sensation de consacrer le temps nécessaire à chaque personnage, tout en étant rapide du fait de la pagination. En fonction de ses goûts, le lecteur se trouve sensible à telle ou telle composante. Il commence tout naturellement par apprécier le fait que les histoires sont majoritairement racontées par les dessins, et que le scénariste a conçu ses récits en ayant cette caractéristique en tête, avec des phylactères et des cartouches maîtrisés. Le lecteur découvre avec plaisir chaque métier, surtout s’il a évité de consulter la quatrième de couverture qui propose une couverture pour chaque histoire avec le titre figurant dessus. Tout en préservant la surprise de chaque emploi inattendu, il est possible d’évoquer les différentes situations initiales : une demandeuse d’emploi, un jeune homme n’osant pas évoquer ses sentiments avec une jeune fille, un gardien de square attentif aux échanges entre usagers, un homme s’étant retiré à la campagne loin de ses semblables, une factrice, une propriétaire de bar, un jeune garçon affecté par la tristesse de son père, un menuisier au chômage, une libraire dépité par le manque de succès d’un auteur venu pour une séance de dédicaces, etc. Autant de personnages d’âge varié, d’origine sociale différente.
Le scénariste prend soin de raconter une histoire complète qui met en avant le petit métier méconnu, au travers de personnes incarnées. Parfois le personnage principal exerce le métier du titre, c’est par exemple le cas pour la restauratrice de souvenirs. D’autre fois, il s’agit d’un personnage secondaire, comme le balayeur des regrets. Chaque artiste vient donner à voir les personnages à sa manière, alors même que l’ouvrage donne l’impression d’une cohérence graphique. Pourtant, les traits de contours vont de tracés appuyés aux beaux déliés, à l’absence de trait de contour, en passant par des traits très fins et cassants, voire parfois un mélange entre formes détourées et couleur directe. La mise en couleur elle-même varie d’aplats aux teintes vives pour Clérisse ou profondes pour EFA, à de magnifiques peintures habillant les contours pour Campi, Carrion, Macola, à une approche plus conceptuelle pour Berberian, ou Cailleaux. Il faut un peu de temps pour déterminer ce qui génère cette sensation de cohérence : le respect et la bienveillance avec lequel les personnages sont représentés, l’absence de jugement sur leur comportement ou sur leur physique.
De la même manière, il faut un peu de temps au lecteur pour cerner un effet discret : une nostalgie sous-jacente. Seuls deux récits montrent un téléphone portable et une personne en faisant usage. Dans un récit, un personnage utilise même un téléphone filaire. Dans Le balayeur de regrets, la narration visuelle met en scène un bal de village, visiblement d’une décennie passée du vingtième siècle. Dans le deuxième récit, l’emploi de gardien de square renvoie à une fonction en voie de disparition. Le quatrième récit pourrait se situer dans un passé plus lointain, début du vingtième siècle éventuellement. Le lecteur ressent ce décalage temporel comme si chaque récit s’apparente à un conte, sensation renforcée par ces métiers méconnus, doucement farfelus, gentiment en marge de la réalité et tous tournés vers l’autre, apportant une forme de réconfort, de chaleur humaine librement diffusée, sans attente de retour, tout d’abord pour le bien-être de la personne qui l’exerce, en accord avec ses valeurs profondes, avec ce réconfort ineffable d’être constructif, et de rendre service.
Tout commence avec cette jeune femme sans qualification, sans diplôme, sans voiture, sans expérience convaincante… sans utilité pratique d’un certain point de vue. Le premier métier remplit une fonction dans un rituel, dans un rite du printemps : il s’agit pour le balayeur de regrets d’accomplir sa fonction, de jouer un rôle dans un processus. La deuxième personne est mue par un amour des mots des grands auteurs, pour lesquels elle fait office de passeuse vers des individus manquant de répartie. La suivante intervient pour ses grands-parents, aidant leur mémoire. Par la suite, le lecteur fait connaissance avec un homme mal à l’aise en société, tout en étant capable d’apporter du réconfort par les lettres qu’il écrit, avec une femme sachant voir ce qu’il y a de bon dans une personne, avec un amuseur de rue qui aide les autres à s’exprimer à l’aide de gros mots (ou en tout cas d’expressions fleuries), avec un aveugle aidant un adolescent à voir, avec une jeune femme souhaitant rendre hommage à la mémoire de gens ordinaires, etc. Le lecteur se sent ragaillardi par ces personnes normales et gentilles, constructives et acceptant leurs limites, capables d’apprécier la vie comme elle est.
Une couverture douce, un titre qui promet des métiers fantaisistes, une anthologie réalisée par quatorze dessinateurs et un scénariste. Le lecteur est curieux de découvrir ces métiers farfelus dont le décalage génère une sensation poétique. Chaque artiste donne un caractère propre à la nouvelle qu’il illustre et aux personnages, chaque métier se distinguant ainsi des autres. Le scénariste met en scène la banalité d’individus possédant un talent inexploitable pour générer des revenus et des bénéfices, tout en rendant des services qui n’ont pas de prix pour les autres. Rassérénant.
Une série inclassable, mais sympathique.
Même si j’ai trouvé qu’il y a avait quelques petits passages un peu plus mollassons (dans le deuxième tome essentiellement), c’est globalement de l’aventure assez rythmée. L’intrigue en elle-même est plutôt légère. Mais plusieurs choses la dynamisent et la rendent intéressante à suivre.
D’abord un mélange des genres plutôt réussi (même si ça donne parfois un récit très décousu). Pas mal de fantastique, auquel s’ajoute un ancrage dans les soubresauts de l’histoire politique française, au moment où la République est encore menacée par les dernières flammèches monarchistes (cet aspect prend se développe dans les deux derniers tomes). Mais aussi des touches humoristiques (surtout dans le premier tome – et j’aurais aimé que cela se développe davantage, en particulier autour des arnaques au spiritisme et aux fantôme réalisées par la famille de héros), avec des jeux de mots, quelques réparties amusantes. Et aussi les trognes impayables de certains personnages.
Car j’ai trouvé le dessin vraiment chouette. Un trait moderne et vif, qui fait la part belle aux personnages typés, avec une famille aux faux airs de « famille Adams », à moitié freaks : le lecteur est d’emblée placé en face de personnages improbables, mais pourtant la mayonnaise prend.
La lecture est rapide, car il n’y a pas beaucoup de texte, et l’intrigue n’est pas très étoffée. Mais c’est une lecture agréable.
Note réelle 3,5/5.
Après Billy Lavigne, je continue ma découverte de l'univers de Pastor et une fois de plus, ce fut une lecture très plaisante, très convaincante.
" La femme à l'étoile " est un récit classique, mais qui reste en tête.
La grande force de cet auteur est certainement de nous faire croire à ses personnages en donnant corps à leur existence par petites touches, en révélant progressivement leur parcours à travers une parole, un cauchemar, un objet dérobé (ici, l'histoire de l'étoile agrafée au veston de la jeune femme). C'est aussi un récit sensoriel où le décor enneigé devient un personnage à part entière.
Même les pauses dans ce récit sont signifiantes : loin d'être des longueurs, elles permettent de resserrer les liens entre les protagonistes qui se confient par bribes alors qu'ils accomplissent des gestes a priori banals. Mais comme dans tout bon western, la tension n'est jamais véritablement évacuée et Pastor sait aussi soigner l'univers sonore de ses histoires en distillant ici ou là une onomatopée discrète qui rappelle que le danger peut surgir à tout moment.
Avec cette histoire habilement contée, certes classique, mais réactualisée (l'artiste aime injecter des thèmes plus modernes dans ses récits), Pastor raconte une traque prenante où ses protagonistes auxquels le lecteur s'attache au fil des pages paraissent bien fragiles, écrasés par les habitudes d'un monde patriarcal dur et sans concession.
Le travail au lavis et les teintes bleutées sont très réussis et plongent le lecteur dans cette ambiance oppressante. Quelques touches de couleurs viennent par contraste souligner la permanence des cauchemars qui hantent les deux héros de cette histoire et qui doivent composer avec un passé douloureux.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des réussites de cet album, l'auteur raconte surtout une belle histoire d'amour qui, sans jamais être niaise, donne un tour romantique appréciable à ce western.
Une couverture qui attire l'œil et le nom de Jakub Rebelka, il n'en fallait pas plus pour me décider à repartir avec l'album.
Créé par Arash Amel, Joseph Oxford, Lee Toland Krieger et scénarisé par Clay McLeod Chapman, "Origines" est une œuvre ambitieuse, puisqu'elle nous plonge dans un futur crédible, celui où l'Homme est supplanté par l'Intelligence Artificielle. Une I.A. qui infecte le vivant jusqu'à en prendre le contrôle.
Dans ce monde post-apocalyptique où l'humanité a disparu depuis bientôt mille ans, Chloé - une androïde dotée de l'I.A. - va faire renaître son créateur (David Adams), créateur qui est la cause de l'extinction humaine.
Une œuvre ambitieuse puisqu'elle nous interroge sur de nombreux sujets. Elle met en garde sur une science qui va toujours plus loin dans la recherche sans toujours en mesurer les conséquences. Elle questionne aussi sur la place des robots (esclaves des temps modernes) et sur l'I.A. - ne pourrait-elle pas se doter d'une conscience et disposer de son libre arbitre ?
La narration est maîtrisée, elle passe régulièrement du présent au passé naturellement et les dialogues sonnent juste. J'ai aimé le choix qu'une femme (certes robotisée) soit la clé de la renaissance de l'humanité, ainsi que les références bibliques. David en quête d'identité et Chloé en mère protectrice sont attachants.
Par contre, la fin est trop convenue à mon goût et certaines situations m'ont laissé perplexe.
La lecture est rapide, le texte est réduit à sa juste nécessité.
Adepte de la ligne claire, passez votre chemin. Jakub Rebelka nous gratifie de son trait anguleux qui me plaît tant. Je remarque néanmoins des visages moins travaillés, je dois signaler que cette BD est antérieure à Judas et à Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft. Par contre les décors sont superbes. Une mise en page toujours aussi dynamique et inventive.
Les couleurs de Patricio Delpeche sont magnifiques et contribuent au rendu post-apocalyptique.
Un 4 étoiles généreux pour l'ambiance que dégage ce comics.
Voilà une BD vraiment surprenante à bien des égards. Tout d’abord, si la couverture, malgré son côté un peu inquiétant, pourrait suggérer qu’on a affaire à un ouvrage jeunesse, il ne faut absolument pas s’y fier. Dès les premières pages, ce sont deux enfants qui sont mis en scène, une fille et un garçon, celui-ci se noyant tragiquement sous les yeux de sa compagne après une violente tempête en mer… D’ailleurs, on n’est pas sûr que cette dernière soit vraiment une fille avec ses cheveux courts en bataille et sa tenue masculine (l’action se situe tout de même dans un passé lointain, au XVIIIe siècle environ, même si cela n’est pas précisé). Bref… L’île où elle échoue est loin d’être un paradis perdu à la Robinson Crusoé… En effet, très vite on bascule dans une sorte de cauchemar où, au cœur d’une nature peu avenante, un monstre effrayant ne va pas tarder à surgir, avec d’autres créatures qui semblent appartenir à une autre planète… Et tout cela n’est que le début. Car la suite viendra confirmer que ce n’est pas vraiment un album adapté aux gosses.
Alouette, la jeune « garçonne » présente un caractère énergique et souvent agressif, on la découvre rongée par la culpabilité et en proie à ses démons, se sentant responsable de la mort supposée de Pilou. Constamment sur la défensive, on perçoit la tempête sous son crâne, mais elle semble malgré tout avoir trouvé une forme d’apaisement en compagnie d’Orville et de Wiks. Mais comment tout cela est-il arrivé ? Dans une narration alternant présent et flashbacks, on découvre qu’Alouette et Pilou, contraints de mendier ou de se prostituer pour survivre, étaient pourchassés par la soldatesque royale, après que le gamin ait tué accidentellement un garde. Dans cette société médiévale où règne la misère et l’injustice, les enfants vagabonds peuvent très bien finir dans les geôles royales. Sans trop spolier le récit, on dira que les deux enfants se retrouvèrent passagers clandestins d’un navire, juste avant le naufrage ayant entrainé la mort de Pilou, du moins c’est ce que semble s’imaginer Alouette…
La thématique centrale du récit, la culpabilité et la rédemption, l’éloigne encore davantage du registre jeunesse, pour un dénouement terrible qui laisse le lecteur littéralement pétrifié. Andréa Delcorte donne par ailleurs quelques coups de canifs discrets aux stéréotypes de genre ; d’abord avec Alouette et ses allures de « garçonne » qui ne veut pas s’en laisser conter, puis avec Wiks, la jeune femme autochtone, d’une rare bienveillance, à la fois douce, maternelle, et forte comme un roc… Et c’est aussi ce qui ajoute à la force du récit : des personnages bien construits et attachants.
C’est très bien raconté, et le dessin, qui pourrait paraître simpliste au premier abord, sert parfaitement bien cette histoire comme un fil tendu qui respire l’urgence. Le trait est extrêmement nerveux mais parfaitement lisible, la mise en page dynamique, accompagnant très bien la tension narrative qui enserre le livre sans relâche. Certaines planches sont même très belles, notamment celles où Orville et Andrea quittent l’île à bord de leur coquille de noix pour se retrouver plus tard au cœur d’une tempête en pleine mer… De même, les huit scènes médiévales qui clôturent le livre évoquent certaines peintures de Bruegel.
« Alouette », c’est la très bonne surprise qu’on n’attendait pas, et qui place d'emblée Andréa Delcorte sur la liste des auteurs à suivre. Un récit extrêmement âpre sur l’enfance, se déroulant dans un monde impitoyable, qui ne s’adresse donc pas aux enfants mais reste transcendé par son onirisme vénéneux et véritablement fascinant.
Voilà là un traitement fort original de la thématique du genre. Original parce qu'à l'ancienne, sans véritable développement de la sous-thématique de l'identité comme l'on s'y attendrait en 2025, via une interrogation intime simultanée de l'identité de genre et de celle sexuelle engendrant trouble sinon indécision. Sans non plus jeu et humour sur l'incongruité de la situation, comme dans le merveilleux "Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder ou dans le moins glorieux Blake Edwards "Dans la peau d'une blonde" (néanmoins proche dans ses développements finaux). Non, on flirte ici davantage vers la SF du côté de "L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Siegel, navigant dans des ambiances malaisantes à la Cronenberg. La BD est une indéniable réussite sur ce point, puisque bousculant fortement notre horizon d'attente, tout en nous amenant dans des sphères tout à fait intéressantes.
Les illustrations et les couleurs ultra contrastées, l'aspect un peu figé du dessin, évoquent pour leur part une certaine vision du comics. Elles créent des formes distanciées particulièrement pertinentes ici, le discret "vide de vie" renforçant le malaise général. L'ensemble engendre des fulgurances ici ou là, notamment ce texte inaugural "Que peut-on deviner de quelqu'un par la seule observation de son appartement ?" générant le trouble à sa seule lecture tandis que nos yeux encore interrogatifs parcourent des décors silencieux.
Malheureusement, la BD ne parvient totalement à tenir sa ligne de crête malaisante. Le scénario prend rapidement des tournures classiquement policières, puis semble trancher pour de la SF, avant de finalement s'aventurer vers la tranche de vie là. L'évolution de l'histoire est légèrement décevante, comme si les auteurs ne savaient que faire de cette merveilleuse situation initiale : les développements de l'histoire intriguent, mais ne captivent véritablement, notre attention est bien davantage accaparée par l'ambiance générale plutôt que par les circonvolutions du scénario.
Une BD qui reste en mémoire (d'où ce généreux 4), mais à laquelle il a manqué un scénario à la hauteur susceptible de relayer le merveilleux trouble que des bases particulièrement intrigantes avaient admirablement posé.
C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance.
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Début d’une série indépendante de toute autre. L'édition originale de ce tome date de 2024. Il a été réalisé par Éric Warnauts & Raives (Guy Servais) qui travaillent à quatre mains sur le scénario et les dessins, Raives se chargeant des couleurs. Il compte soixante-deux pages de bande dessinée.
Quelque part au-dessus des côtes de l’Angleterre, une escadrille d’avions de guerre allemands arrive, comprenant plusieurs bombardiers. Une escadrille de Supermarine Spitfire surgit dans le ciel pour les intercepter et le combat aérien s’engage. Un Spitfire touche un Bristol Blenheim, mais il est pris en chasse par un Messerschmitt Bf 109. Un autre Spitfire vient à sa rescousse. La mission britannique a été victorieuse, les pilotes peuvent rentrer boire le thé. Winston Churchill prononce son célèbre discours à la Chambre des Communes du 18 juin 1940 : La bataille d’Angleterre a débuté. De cette bataille, dépend la survie de la civilisation chrétienne. Toutefois la rage et la toute-puissance de l’ennemi vont bientôt se déchaîner contre le Royaume Uni. Hitler sait qu’il devra briser les Britanniques sur cette île ou qu’il perdra la guerre. S’ils parviennent à lui résister, toute l’Europe pourra être libre. Mais s’ils échouent, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce qu’ils ont connu et aimé, sombrera dans les abîmes d’un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre et peut-être plus pérenne par les lumières d’une science pervertie. Aussi doivent-ils se préparer à accomplir leur devoir, à se conduire de telle sorte que si l’empire britannique et son Commonwealth durent mille ans, les hommes diront encore : Ce fut leur heure de gloire.
Le soir, dans le mess des officiers, une soirée dansante est organisée avec un orchestre. Kate Kavendish, pilote de bombardier, danse, puis retrouve ses copines, et découvre un mot sous le sous-bock de son verre que Jimmy Kane a réussi à glisser, sans que sa cavalière Missy Collins ne s’en aperçoive. Elle prend le billet discrètement. Elle se rend dans la chambre 116 de l’hôtel comme indiqué sur le mot, et elle y retrouve son amant Jimmy. Les sirènes de l’alerte aérienne retentissent : encore un raid des Teutons. Kate refuse qu’ils descendent dans le Tube, ils se couchent et font l’amour, et Kate rappelle à Jimmy ce dont ils ont convenu : pas de sentiments ! Dans le ciel, la bataille aérienne fait rage. Bien que la propagande allemande affirme que seuls les objectifs militaires sont visés, les bombardiers ennemis déversent des tonnes d’explosifs et de bombes incendiaires sur les grandes villes britanniques. Une fois encore, la Luftwaffe a percé les défenses de la capitale et a incendié les entrepôts du port. L’enfer aura duré neuf heures. De la peinture, du rhum et du sucre en feu flottent sur la Tamise… Au matin, le quartier des docks brûle encore, enveloppant la capitale d’une épaisse fumée âcre. Le lendemain matin, Kate et Jimmy se quittent, elle lui rappelle qu’ils se voient bientôt chez tante Beth, pour le baptême du petit Louis.
C’est toujours un plaisir visuel de retrouver le duo de Warnauts & Raives, une narration à base de contours réalisés avec un mélange de traits fins et cassants et de traits un peu plus épais et souples, complétés par une mise en couleurs pouvant aller jusqu’à la couleur directe pour intégrer d’autres informations visuelles dans les cases. Ils sont adeptes de dessins réalistes et descriptifs, pour une reconstitution soignée et documentée. Ainsi le lecteur identifie aisément les différents modèles d’avions de guerre même s’ils ne sont pas nommés par les personnages : ME109, Spitfire De Havilland, Arado Ar196, Bristol Blenheim, Stirling. Il peut prendre son temps pour examiner les cocardes, c’est-à-dire les marques d’identification de ces aéronefs militaires. Cet album s’ouvre avec un combat aérien de quatre pages, exercice visuel demandant un solide sens de la mise en scène pour pouvoir donner la sensation du positionnement respectif des différents avions, et de leurs déplacements les uns par rapport aux autres, pour pouvoir suivre le déroulement de l’affrontement. Les artistes ont recours à des grandes cases avec des cases en insert, des cases en trapèze pour accentuer l’impression de mouvement, des cases verticales et des cases inclinées pour insister sur un mouvement soudain ou une situation dramatique. Ainsi tout au long de l’album, le lecteur peut contempler le spectacle souvent dramatique et une fois paisible de l’aviation : bombardement dans le ciel de Londres avec le faisceau des puissants projecteurs et le tir nourri de la Défense Contre l’Aviation (DCA), deux pages de toute beauté au cours desquelles Kavendish fait atterrir son avion dans un petit aéroport de la verdoyante campagne anglaise, deux pages pour l’amerrissage d’un hydravion Arado Ar196, un deuxième combat aérien au-dessus des côtes britanniques pendant sept pages, un vol de transit de deux pages du bombardier piloté par Kavendish, un combat au-dessus de la mer celtique pendant six pages, le vol de deux chasseurs au-dessus d’un pré occupé par de paisibles moutons, et enfin le vol d’in biplan au-dessus des montagnes.
La reconstitution historique comprend les autres composantes attendues, en plus des avions militaires. Les uniformes et les armes, les tenues civiles, jusqu’aux sous-vêtements de Kate, les façades londoniennes et quelques monuments comme Tower Bridge, sans oublier les toits et le ciel crevé par les faisceaux de projecteurs avec les ballons flottants, les modèles de véhicules de l’époque et les double-deckers, plusieurs paysages du pays. Le lecteur circule dans une ou deux bases aériennes, il va se réfugier dans les souterrains du métro (Tube) avec Nicole et son amant Lewis, il passe une nuit torride dans une chambre d’hôtel de grand standing, et il séjourne dans une chambre d’hôpital à Londres. Il peut voir les immeubles détruits après une nuit de bombardements. Pour les fêtes de fin d’année, il accompagne Kate dans la résidence de famille : c’est l’occasion d’admirer la campagne anglaise verdoyante et ses animaux d’élevage. Il pénètre avec elle à l’intérieur d’un somptueux manoir, et garde les yeux bien ouverts pour admirer la riche décoration et l’ameublement. Puis il ressort pour profiter du parc soigneusement entretenu. Il est très impressionné par le naturel avec lequel les artistes représentent chaque endroit de manière organique, avec un dosage parfait entre les détails concrets et les couleurs donnant la sensation de la grisaille urbaine, ou du calme de la campagne.
Bienvenu en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale alors que les bombardements ennemis surviennent avec une régularité terrifiante. L’armée de l’air Royal Air Force britannique a compté des dizaines de femmes pilotes, dont la plus célèbre fut Joy Lofthouse (1923- 2017) qui a volé avec des Spitfire ou des bombardiers pour l’ATA (Air Transport Auxiliary), une organisation britannique de la Seconde Guerre mondiale pour assurer le convoyage des avions neufs, des avions réparés ou endommagés. Comme à leur habitude, les auteurs écrivent une bande dessinée solidement documentée. Le lecteur peut relever de nombreuses références historiques : le discours de Winston Churchill du 18 juin 1940, les relations du président Edvard Benes (1884-1948) du gouvernement provisoire tchécoslovaque et Josef Tiso (1887-1947) président de la République slovaque auto-proclamée, l’histoire de la création du V de la Victoire par Victor de Laveleye (1894-1945), l’évasion des ministres Pierlot et Spaak d’Espagne le 18 octobre 1940, les activités d’Oswald Mosley (1896-1980, fondateur en 1932 de l’Union des Fascistes Britanniques), les activités du Service des Opérations Spéciales (SOE, Special Operations Executive), etc.
À l’évidence, il faut un peu de temps pour que les personnages se mettent en place dans la grande Histoire. Les auteurs commencent par mettre en scène les aspects les plus spectaculaires : les combats aériens et les passions extra-conjugales. Toutefois, leurs personnages ne se résument pas à des pantins taillés sur mesure pour porter artificiellement l’intrigue sur leurs épaules. Il apparaît progressivement que Kate Kavendish dispose d’une histoire personnelle : une riche famille installée dans le Gloucestershire, des origines polonaises qui complexifie sa situation personnelle dans ce conflit mondial, voire qui pourraient la rendre suspecte. Les auteurs ont déplacé le point de vue de ce récit de guerre des hommes vers les femmes, et des femmes actives dans la guerre. Les risques auxquels sont exposés les individus, la mort pouvant survenir de manière arbitraire à tout moment, sous un bombardement ou lors d’un combat aérien, rend chaque moment plus capital, plus intense. Chaque personnage se retrouvant en situation de combat fait l’expérience de la fragilité de la vie, chaque traumatisme provoque un comportement d’adaptation en retour. Les deux créateurs ont l’art et la manière pour insuffler de la vie à leurs personnages, les faire exister, leur donner un caractère et des motivations propres. Le lecteur en vient à se demander comment leur existence peut conserver un sens, entre le contraste total du bruit et de la fureur d’un combat aérien, ou d’un bombardement, et le calme surréaliste de la campagne et des grands espaces naturels. Comment réconcilier les petits drames personnels et les destructions massives occasionnées par le largage de plusieurs tonnes d’explosifs en une nuit ? Jimmy Kane parle de sa tante et il dit : C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance, pas la moindre fissure ne doit apparaître sous peine de rompre dans la tempête… Le lecteur se dit que chaque personnage forge sa propre carapace à sa manière, luttant pour éviter la moindre fissure que pourrait provoquer une nouvelle horreur.
Une série de plus qui évoque la Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale au travers d’une aviatrice militaire… Il s’avère que ce point de vue et la maîtrise des deux créateurs transforment une situation souvent traitée en un récit poignant, celui d’une femme combative, pilote de bombardier, ayant adapté son comportement de vie aux circonstances, avec de magnifiques séquences de combats aériens. Tragique.
Comme c'est étrange... Moi qui suis d'habitude très hermétique à ce genre de récit abscons qui s'affranchit de la réalité pour nous emmener dans un trip psychédélique, j'ai adoré !
Alors que je regrettais récemment que mon auteur (vivant) préféré, Alain Ayroles, s'enferme un peu trop dans le même type d'histoire (Les Indes fourbes, L'Ombre des Lumières, La Terre verte, même si chacune de ces BD est réussie), on peut clairement dire que ce n'est pas ce qui menace Fabien Nury, mon deuxième auteur vivant préféré.
Ici, l'auteur s'engage dans un terrain qu'à ma connaissance, il n'a encore jamais exploré. Un terrain difficile à décrire, quelque chose qui relèverait du polar métaphysique sous substances. A priori, je déteste plutôt ça, mais là, Nury parvient à nous prendre par la main et à nous emmener dans son délire avec un art impressionnant. Très aidé par le dessin de Brüno, dont je ne suis là aussi pas toujours client mais parfaitement exploité ici, il crée une atmosphère incroyable, qui convoque les plus grandes heures de Lovecraft et de ses disciples (difficile de ne pas penser à L'Antre de la folie de Carpenter).
Il se lance dans un jeu de pistes qui efface peu à peu les frontières de la réalité, et même si ce premier tome n'est "que" une longue introduction, on est pris du début à la fin. Il y a là un fascinant puzzle que j'ai certes hâte de résoudre, mais que je n'ai pas envie de résoudre trop vite. Et en cela, je suis très heureux d'être soumis au rythme des parutions. Comme ça, on profite du délire poético-ésotérique de Nury sans se précipiter sur la fin. Il faut dire qu'il y a des moments où la mise en scène touche des sommets, comme cette séquence où des femmes discutent d'une nouvelle forme de discipline censée libérer leur cerveau, la tête emprisonnée dans le casque du coiffeur qui prend alors un air menaçant.
C'est drôle, simple et génial. Comme tout ce premier tome, en fait. Vivement que la suite paraisse !
Je note large, parce qu'une BD ne se résume pas à son histoire, qui est certes bonne mais de facture tout à fait classique. Certes, ce n'est pas l'originalité qui prime tout le temps pour un récit, et cette BD me semble très bien le démontrer.
C'est le genre de lecture que j'apprécie, malgré les ficelles scénaristiques assez visible et des personnages très (trop) typés dans leurs genres. On évolue dans des codes précis, simples et efficaces, mais j'ai vraiment eu un petit plaisir de lecture qui est ressorti avec ce qui se dégage de cette boule rouge, problématique insoluble de cette société d'après-guerre. J'ai une idée de la métaphore qui pourrait s'appliquer ici, mais je trouve que ça ajoute cette petite touche d'étrangeté qui implique de faire autrement, d'accepter de voir le monde un peu différemment. Et je trouve qu'il y a une légère poésie dans cette boule rouge qui apparait. C'est léger, en filigrane, pas important, mais ça m'a plu.
L'autre aspect que j'apprécie de la BD c'est l'utilisation de la couleur dans un dessin en sépia. Le rouge tranche dans la BD (et d'ailleurs me semble être un bon indice de ce que la boule peut représenter) donnant des compositions assez jolies à l’œil. Je ne dirais pas que la BD est une merveille, certaines cases semblent étrange de par leurs cadrages et leurs rigidité dans les personnages (notamment le commissaire Bertille) mais j'avoue qu'il y a une vraie patte visuelle et une ambiance qui se dégage de tout ça.
Au global, c'est une BD que je recommande comme petite BD sympathique à ne pas lire comme la prochaine merveille. C'est juste bien, assez beau et j'ai trouvé l'ambiance plaisante. Peut-être parce que j'aime bien ce que j'y vois, sans doute, mais je note la BD un peu large. Considérez que c'est un bon 3.5 et on est dans le bon !
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Destins coréens
C'est avec son album Couleur de peau : miel que Jung s'est fait connaître, en relatant son histoire d'enfant orphelin en Corée du Sud, puis son adoption pas vraiment réussie en Belgique. Il a continué sur le sujet avec Babybox en nous racontant comment en Corée du Sud, il existait des boîtes où les mères peuvent venir déposer et abandonner leur enfant... Avec "Destins coréens", Jung remet le couvert une dernière fois ; à l'occasion d'un voyage en Corée pour son travail, il compte en profiter pour rencontrer une jeune fille enceinte qui l'avait contacté après avoir lu sa BD. C'est cette rencontre entre un "enfant abandonné" et une mère sur le point de faire de même que nous propose l'auteur, et c'est puissant ! Comme pour Babybox, il use d'un graphisme sobre et élégant, d'une grande délicatesse, rehaussé cette fois-ci jaune, qu'il place avec justesse et parcimonie pour servir au mieux son propos. C'est beau et efficace, très esthétique. Ce qui n'enlève en rien à la qualité narrative de l'album, servant au contraire parfaitement son propos. Encore une fois, Jung réussi un magnifique album sur un sujet douloureux, mais qui semble boucler une boucle de sa vie et donner totalement sens à son travail.
Les Petits Métiers méconnus
Tu vois, mais tu ne regardes pas. - Ce tome constitue une anthologie d’une quinzaine de récits courts, tous écrits par le même scénariste. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Zabus pour les scénarios. Chaque histoire est illustrée par un artiste différent : Hippolyte, Efa, Alexandre Clérisse, Thomas Campi, Antoine Carrion, Pierre Maurel, Valérie Vernay, Christian Cailleaux, Javi Rey, Amélia Navarro, Piero Macola, Christian Durieux, Jean-Denis Pendanx, Alfred et Charles Berberian. Il compte quatre-vingt-quatre pages de bande dessinée, répartie en quatorze chapitres, chacun comprenant six pages, à l’exception du cinquième en cinq pages et du sixième en sept pages. Par un temps humide d’hiver, une jeune femme pousse la porte de Pôle Emploi, dans un manteau bleu avec une longue écharpe rouge. Elle se fraie un chemin au milieu des gens qui attendent pour aller prendre un ticket au distributeur : numéro 214H. Elle va s’assoir avec tous les autres, en attendant son tour. Dans sa tête, elle entend ce que va lui dire la dame qui la reçoit : Toujours pas de diplôme ? C’est difficile de trouver un job dans ces conditions. Un boulot sympa ? Pas de formation, pas de voiture, pas d’expérience convaincante… La jeune femme se lève prête à partir, et elle avise un livre laissé là sur une petite table. Elle le prend et se rassoit : elle se met à lire le guide des petits métiers méconnus. Première entrée : le balayeur des regrets. Sur la berge d’une rivière, un jeune garçon est en train de se déshabiller à l’abri des regards pour revêtir son maillot de bain. Puis il rejoint Camille déjà dans l’eau de la rivière, ayant étendu sa serviette sur la berge. Elle se jette à l’eau et l’éclabousse, il la rejoint et l’éclabousse à son tour, les deux riant de bon cœur. Puis ils profitent du soleil. Après ils rentrent au village. Devant eux passent un homme assis sur une cariole tirée par un cheval et s’adressant aux villageois : Le printemps est arrivé ! Il les enjoint à se libérer, à se soulager, à laisser l’hiver derrière eux, à se présenter léger pour l’été. Camille explique le rituel à son ami. Le souffleur de rue. Monsieur Lepic est le gardien du parc Pont-aux-Herbes. Son caractère rigide et sourcilleux l’amène à vouloir contrôler tout ce qu’il s’y passe. Chaque visiteur, la moindre allée et venue, tout est scruté par son œil inquisiteur. Or, ce qu’il découvre ce samedi matin le surprend fortement. Un grand costaud avec un petit bouquet de fleurs dans ses grandes mains essaye de sortir deux phrases d’amour, en bafouillant lamentablement. La jeune femme attendue arrive tranquillement à sa hauteur. Il se lève et il se met à déclamer avec aisance un poème de Paul Éluard. Elle est sous le charme. Le gardien Lepic apprécie la qualité littéraire du discours mais s’étonne grandement que le boucher du quartier, qui n’a jamais ouvert que des livres de compte, se soit montré capable de déclamer des poèmes. Ils voient trois jeunes hommes en train de traiter une autre jeune femme de boudin. Madame Boulet leur répond du tac au tac, et monsieur Lepic a du mal à croire que cette femme d’une timidité maladive se mette elle aussi à avoir de la répartie ! En découvrant ce tome, le lecteur comprend qu’il est construit sur un dispositif simple : des métiers qui n’existent pas et qui vont être mis en scène. Cela comporte de fait une forme de poésie : mettre en scène des êtres humains qui utilisent leurs compétences particulières dans des tâches qui ne sont pas valorisées par la société, qui ne présentent pas une valeur marchande. Le lecteur commence par accompagner un jeune adolescent qui découvre une coutume locale : un monsieur qui recueille des petits papiers froissés sur lesquels les gens ont écrit leurs regrets, tous leurs regrets de l’année écoulée, tout ce qu’ils n’ont pas osé faire, ce qu’ils n’ont pas vécu. Cela s’apparente à un rituel de printemps, une saison correspondant au réveil de la nature, avec un radoucissement de la température, un moment propice à de nouveaux projets, en laissant derrière soi les échecs, et en l’occurrence les regrets. Dans la deuxième histoire, une femme fournit des répliques littéraires à des personnes importunées ou harcelées. Puis une jeune femme aide à raviver les souvenirs de son grand-père atteint d’une maladie neurodégénérative. Le scénariste a l’art et la manière de mettre en scène des individus qui semblent avoir échoué au regard des critères de la société capitaliste, et qui apporte quelque chose qui n’a pas de prix à des personnes autour d’eux. Des récits qui rassérénèrent sans occulter la violence systémique de la société. Le scénariste fait preuve d’un savoir-faire impressionnant pour se renouveler dans chaque histoire. Des métiers inventifs et décalés, des situations de départ renouvelées à chaque fois, une chute qui vient clore une intrigue menée à un rythme qui donne la sensation de consacrer le temps nécessaire à chaque personnage, tout en étant rapide du fait de la pagination. En fonction de ses goûts, le lecteur se trouve sensible à telle ou telle composante. Il commence tout naturellement par apprécier le fait que les histoires sont majoritairement racontées par les dessins, et que le scénariste a conçu ses récits en ayant cette caractéristique en tête, avec des phylactères et des cartouches maîtrisés. Le lecteur découvre avec plaisir chaque métier, surtout s’il a évité de consulter la quatrième de couverture qui propose une couverture pour chaque histoire avec le titre figurant dessus. Tout en préservant la surprise de chaque emploi inattendu, il est possible d’évoquer les différentes situations initiales : une demandeuse d’emploi, un jeune homme n’osant pas évoquer ses sentiments avec une jeune fille, un gardien de square attentif aux échanges entre usagers, un homme s’étant retiré à la campagne loin de ses semblables, une factrice, une propriétaire de bar, un jeune garçon affecté par la tristesse de son père, un menuisier au chômage, une libraire dépité par le manque de succès d’un auteur venu pour une séance de dédicaces, etc. Autant de personnages d’âge varié, d’origine sociale différente. Le scénariste prend soin de raconter une histoire complète qui met en avant le petit métier méconnu, au travers de personnes incarnées. Parfois le personnage principal exerce le métier du titre, c’est par exemple le cas pour la restauratrice de souvenirs. D’autre fois, il s’agit d’un personnage secondaire, comme le balayeur des regrets. Chaque artiste vient donner à voir les personnages à sa manière, alors même que l’ouvrage donne l’impression d’une cohérence graphique. Pourtant, les traits de contours vont de tracés appuyés aux beaux déliés, à l’absence de trait de contour, en passant par des traits très fins et cassants, voire parfois un mélange entre formes détourées et couleur directe. La mise en couleur elle-même varie d’aplats aux teintes vives pour Clérisse ou profondes pour EFA, à de magnifiques peintures habillant les contours pour Campi, Carrion, Macola, à une approche plus conceptuelle pour Berberian, ou Cailleaux. Il faut un peu de temps pour déterminer ce qui génère cette sensation de cohérence : le respect et la bienveillance avec lequel les personnages sont représentés, l’absence de jugement sur leur comportement ou sur leur physique. De la même manière, il faut un peu de temps au lecteur pour cerner un effet discret : une nostalgie sous-jacente. Seuls deux récits montrent un téléphone portable et une personne en faisant usage. Dans un récit, un personnage utilise même un téléphone filaire. Dans Le balayeur de regrets, la narration visuelle met en scène un bal de village, visiblement d’une décennie passée du vingtième siècle. Dans le deuxième récit, l’emploi de gardien de square renvoie à une fonction en voie de disparition. Le quatrième récit pourrait se situer dans un passé plus lointain, début du vingtième siècle éventuellement. Le lecteur ressent ce décalage temporel comme si chaque récit s’apparente à un conte, sensation renforcée par ces métiers méconnus, doucement farfelus, gentiment en marge de la réalité et tous tournés vers l’autre, apportant une forme de réconfort, de chaleur humaine librement diffusée, sans attente de retour, tout d’abord pour le bien-être de la personne qui l’exerce, en accord avec ses valeurs profondes, avec ce réconfort ineffable d’être constructif, et de rendre service. Tout commence avec cette jeune femme sans qualification, sans diplôme, sans voiture, sans expérience convaincante… sans utilité pratique d’un certain point de vue. Le premier métier remplit une fonction dans un rituel, dans un rite du printemps : il s’agit pour le balayeur de regrets d’accomplir sa fonction, de jouer un rôle dans un processus. La deuxième personne est mue par un amour des mots des grands auteurs, pour lesquels elle fait office de passeuse vers des individus manquant de répartie. La suivante intervient pour ses grands-parents, aidant leur mémoire. Par la suite, le lecteur fait connaissance avec un homme mal à l’aise en société, tout en étant capable d’apporter du réconfort par les lettres qu’il écrit, avec une femme sachant voir ce qu’il y a de bon dans une personne, avec un amuseur de rue qui aide les autres à s’exprimer à l’aide de gros mots (ou en tout cas d’expressions fleuries), avec un aveugle aidant un adolescent à voir, avec une jeune femme souhaitant rendre hommage à la mémoire de gens ordinaires, etc. Le lecteur se sent ragaillardi par ces personnes normales et gentilles, constructives et acceptant leurs limites, capables d’apprécier la vie comme elle est. Une couverture douce, un titre qui promet des métiers fantaisistes, une anthologie réalisée par quatorze dessinateurs et un scénariste. Le lecteur est curieux de découvrir ces métiers farfelus dont le décalage génère une sensation poétique. Chaque artiste donne un caractère propre à la nouvelle qu’il illustre et aux personnages, chaque métier se distinguant ainsi des autres. Le scénariste met en scène la banalité d’individus possédant un talent inexploitable pour générer des revenus et des bénéfices, tout en rendant des services qui n’ont pas de prix pour les autres. Rassérénant.
Chambres Noires
Une série inclassable, mais sympathique. Même si j’ai trouvé qu’il y a avait quelques petits passages un peu plus mollassons (dans le deuxième tome essentiellement), c’est globalement de l’aventure assez rythmée. L’intrigue en elle-même est plutôt légère. Mais plusieurs choses la dynamisent et la rendent intéressante à suivre. D’abord un mélange des genres plutôt réussi (même si ça donne parfois un récit très décousu). Pas mal de fantastique, auquel s’ajoute un ancrage dans les soubresauts de l’histoire politique française, au moment où la République est encore menacée par les dernières flammèches monarchistes (cet aspect prend se développe dans les deux derniers tomes). Mais aussi des touches humoristiques (surtout dans le premier tome – et j’aurais aimé que cela se développe davantage, en particulier autour des arnaques au spiritisme et aux fantôme réalisées par la famille de héros), avec des jeux de mots, quelques réparties amusantes. Et aussi les trognes impayables de certains personnages. Car j’ai trouvé le dessin vraiment chouette. Un trait moderne et vif, qui fait la part belle aux personnages typés, avec une famille aux faux airs de « famille Adams », à moitié freaks : le lecteur est d’emblée placé en face de personnages improbables, mais pourtant la mayonnaise prend. La lecture est rapide, car il n’y a pas beaucoup de texte, et l’intrigue n’est pas très étoffée. Mais c’est une lecture agréable. Note réelle 3,5/5.
La Femme à l'étoile
Après Billy Lavigne, je continue ma découverte de l'univers de Pastor et une fois de plus, ce fut une lecture très plaisante, très convaincante. " La femme à l'étoile " est un récit classique, mais qui reste en tête. La grande force de cet auteur est certainement de nous faire croire à ses personnages en donnant corps à leur existence par petites touches, en révélant progressivement leur parcours à travers une parole, un cauchemar, un objet dérobé (ici, l'histoire de l'étoile agrafée au veston de la jeune femme). C'est aussi un récit sensoriel où le décor enneigé devient un personnage à part entière. Même les pauses dans ce récit sont signifiantes : loin d'être des longueurs, elles permettent de resserrer les liens entre les protagonistes qui se confient par bribes alors qu'ils accomplissent des gestes a priori banals. Mais comme dans tout bon western, la tension n'est jamais véritablement évacuée et Pastor sait aussi soigner l'univers sonore de ses histoires en distillant ici ou là une onomatopée discrète qui rappelle que le danger peut surgir à tout moment. Avec cette histoire habilement contée, certes classique, mais réactualisée (l'artiste aime injecter des thèmes plus modernes dans ses récits), Pastor raconte une traque prenante où ses protagonistes auxquels le lecteur s'attache au fil des pages paraissent bien fragiles, écrasés par les habitudes d'un monde patriarcal dur et sans concession. Le travail au lavis et les teintes bleutées sont très réussis et plongent le lecteur dans cette ambiance oppressante. Quelques touches de couleurs viennent par contraste souligner la permanence des cauchemars qui hantent les deux héros de cette histoire et qui doivent composer avec un passé douloureux. Enfin, et ce n'est pas la moindre des réussites de cet album, l'auteur raconte surtout une belle histoire d'amour qui, sans jamais être niaise, donne un tour romantique appréciable à ce western.
Origines
Une couverture qui attire l'œil et le nom de Jakub Rebelka, il n'en fallait pas plus pour me décider à repartir avec l'album. Créé par Arash Amel, Joseph Oxford, Lee Toland Krieger et scénarisé par Clay McLeod Chapman, "Origines" est une œuvre ambitieuse, puisqu'elle nous plonge dans un futur crédible, celui où l'Homme est supplanté par l'Intelligence Artificielle. Une I.A. qui infecte le vivant jusqu'à en prendre le contrôle. Dans ce monde post-apocalyptique où l'humanité a disparu depuis bientôt mille ans, Chloé - une androïde dotée de l'I.A. - va faire renaître son créateur (David Adams), créateur qui est la cause de l'extinction humaine. Une œuvre ambitieuse puisqu'elle nous interroge sur de nombreux sujets. Elle met en garde sur une science qui va toujours plus loin dans la recherche sans toujours en mesurer les conséquences. Elle questionne aussi sur la place des robots (esclaves des temps modernes) et sur l'I.A. - ne pourrait-elle pas se doter d'une conscience et disposer de son libre arbitre ? La narration est maîtrisée, elle passe régulièrement du présent au passé naturellement et les dialogues sonnent juste. J'ai aimé le choix qu'une femme (certes robotisée) soit la clé de la renaissance de l'humanité, ainsi que les références bibliques. David en quête d'identité et Chloé en mère protectrice sont attachants. Par contre, la fin est trop convenue à mon goût et certaines situations m'ont laissé perplexe. La lecture est rapide, le texte est réduit à sa juste nécessité. Adepte de la ligne claire, passez votre chemin. Jakub Rebelka nous gratifie de son trait anguleux qui me plaît tant. Je remarque néanmoins des visages moins travaillés, je dois signaler que cette BD est antérieure à Judas et à Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft. Par contre les décors sont superbes. Une mise en page toujours aussi dynamique et inventive. Les couleurs de Patricio Delpeche sont magnifiques et contribuent au rendu post-apocalyptique. Un 4 étoiles généreux pour l'ambiance que dégage ce comics.
Alouette
Voilà une BD vraiment surprenante à bien des égards. Tout d’abord, si la couverture, malgré son côté un peu inquiétant, pourrait suggérer qu’on a affaire à un ouvrage jeunesse, il ne faut absolument pas s’y fier. Dès les premières pages, ce sont deux enfants qui sont mis en scène, une fille et un garçon, celui-ci se noyant tragiquement sous les yeux de sa compagne après une violente tempête en mer… D’ailleurs, on n’est pas sûr que cette dernière soit vraiment une fille avec ses cheveux courts en bataille et sa tenue masculine (l’action se situe tout de même dans un passé lointain, au XVIIIe siècle environ, même si cela n’est pas précisé). Bref… L’île où elle échoue est loin d’être un paradis perdu à la Robinson Crusoé… En effet, très vite on bascule dans une sorte de cauchemar où, au cœur d’une nature peu avenante, un monstre effrayant ne va pas tarder à surgir, avec d’autres créatures qui semblent appartenir à une autre planète… Et tout cela n’est que le début. Car la suite viendra confirmer que ce n’est pas vraiment un album adapté aux gosses. Alouette, la jeune « garçonne » présente un caractère énergique et souvent agressif, on la découvre rongée par la culpabilité et en proie à ses démons, se sentant responsable de la mort supposée de Pilou. Constamment sur la défensive, on perçoit la tempête sous son crâne, mais elle semble malgré tout avoir trouvé une forme d’apaisement en compagnie d’Orville et de Wiks. Mais comment tout cela est-il arrivé ? Dans une narration alternant présent et flashbacks, on découvre qu’Alouette et Pilou, contraints de mendier ou de se prostituer pour survivre, étaient pourchassés par la soldatesque royale, après que le gamin ait tué accidentellement un garde. Dans cette société médiévale où règne la misère et l’injustice, les enfants vagabonds peuvent très bien finir dans les geôles royales. Sans trop spolier le récit, on dira que les deux enfants se retrouvèrent passagers clandestins d’un navire, juste avant le naufrage ayant entrainé la mort de Pilou, du moins c’est ce que semble s’imaginer Alouette… La thématique centrale du récit, la culpabilité et la rédemption, l’éloigne encore davantage du registre jeunesse, pour un dénouement terrible qui laisse le lecteur littéralement pétrifié. Andréa Delcorte donne par ailleurs quelques coups de canifs discrets aux stéréotypes de genre ; d’abord avec Alouette et ses allures de « garçonne » qui ne veut pas s’en laisser conter, puis avec Wiks, la jeune femme autochtone, d’une rare bienveillance, à la fois douce, maternelle, et forte comme un roc… Et c’est aussi ce qui ajoute à la force du récit : des personnages bien construits et attachants. C’est très bien raconté, et le dessin, qui pourrait paraître simpliste au premier abord, sert parfaitement bien cette histoire comme un fil tendu qui respire l’urgence. Le trait est extrêmement nerveux mais parfaitement lisible, la mise en page dynamique, accompagnant très bien la tension narrative qui enserre le livre sans relâche. Certaines planches sont même très belles, notamment celles où Orville et Andrea quittent l’île à bord de leur coquille de noix pour se retrouver plus tard au cœur d’une tempête en pleine mer… De même, les huit scènes médiévales qui clôturent le livre évoquent certaines peintures de Bruegel. « Alouette », c’est la très bonne surprise qu’on n’attendait pas, et qui place d'emblée Andréa Delcorte sur la liste des auteurs à suivre. Un récit extrêmement âpre sur l’enfance, se déroulant dans un monde impitoyable, qui ne s’adresse donc pas aux enfants mais reste transcendé par son onirisme vénéneux et véritablement fascinant.
Le Cas David Zimmerman
Voilà là un traitement fort original de la thématique du genre. Original parce qu'à l'ancienne, sans véritable développement de la sous-thématique de l'identité comme l'on s'y attendrait en 2025, via une interrogation intime simultanée de l'identité de genre et de celle sexuelle engendrant trouble sinon indécision. Sans non plus jeu et humour sur l'incongruité de la situation, comme dans le merveilleux "Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder ou dans le moins glorieux Blake Edwards "Dans la peau d'une blonde" (néanmoins proche dans ses développements finaux). Non, on flirte ici davantage vers la SF du côté de "L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Siegel, navigant dans des ambiances malaisantes à la Cronenberg. La BD est une indéniable réussite sur ce point, puisque bousculant fortement notre horizon d'attente, tout en nous amenant dans des sphères tout à fait intéressantes. Les illustrations et les couleurs ultra contrastées, l'aspect un peu figé du dessin, évoquent pour leur part une certaine vision du comics. Elles créent des formes distanciées particulièrement pertinentes ici, le discret "vide de vie" renforçant le malaise général. L'ensemble engendre des fulgurances ici ou là, notamment ce texte inaugural "Que peut-on deviner de quelqu'un par la seule observation de son appartement ?" générant le trouble à sa seule lecture tandis que nos yeux encore interrogatifs parcourent des décors silencieux. Malheureusement, la BD ne parvient totalement à tenir sa ligne de crête malaisante. Le scénario prend rapidement des tournures classiquement policières, puis semble trancher pour de la SF, avant de finalement s'aventurer vers la tranche de vie là. L'évolution de l'histoire est légèrement décevante, comme si les auteurs ne savaient que faire de cette merveilleuse situation initiale : les développements de l'histoire intriguent, mais ne captivent véritablement, notre attention est bien davantage accaparée par l'ambiance générale plutôt que par les circonvolutions du scénario. Une BD qui reste en mémoire (d'où ce généreux 4), mais à laquelle il a manqué un scénario à la hauteur susceptible de relayer le merveilleux trouble que des bases particulièrement intrigantes avaient admirablement posé.
Ciel d'orages
C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance. - Début d’une série indépendante de toute autre. L'édition originale de ce tome date de 2024. Il a été réalisé par Éric Warnauts & Raives (Guy Servais) qui travaillent à quatre mains sur le scénario et les dessins, Raives se chargeant des couleurs. Il compte soixante-deux pages de bande dessinée. Quelque part au-dessus des côtes de l’Angleterre, une escadrille d’avions de guerre allemands arrive, comprenant plusieurs bombardiers. Une escadrille de Supermarine Spitfire surgit dans le ciel pour les intercepter et le combat aérien s’engage. Un Spitfire touche un Bristol Blenheim, mais il est pris en chasse par un Messerschmitt Bf 109. Un autre Spitfire vient à sa rescousse. La mission britannique a été victorieuse, les pilotes peuvent rentrer boire le thé. Winston Churchill prononce son célèbre discours à la Chambre des Communes du 18 juin 1940 : La bataille d’Angleterre a débuté. De cette bataille, dépend la survie de la civilisation chrétienne. Toutefois la rage et la toute-puissance de l’ennemi vont bientôt se déchaîner contre le Royaume Uni. Hitler sait qu’il devra briser les Britanniques sur cette île ou qu’il perdra la guerre. S’ils parviennent à lui résister, toute l’Europe pourra être libre. Mais s’ils échouent, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce qu’ils ont connu et aimé, sombrera dans les abîmes d’un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre et peut-être plus pérenne par les lumières d’une science pervertie. Aussi doivent-ils se préparer à accomplir leur devoir, à se conduire de telle sorte que si l’empire britannique et son Commonwealth durent mille ans, les hommes diront encore : Ce fut leur heure de gloire. Le soir, dans le mess des officiers, une soirée dansante est organisée avec un orchestre. Kate Kavendish, pilote de bombardier, danse, puis retrouve ses copines, et découvre un mot sous le sous-bock de son verre que Jimmy Kane a réussi à glisser, sans que sa cavalière Missy Collins ne s’en aperçoive. Elle prend le billet discrètement. Elle se rend dans la chambre 116 de l’hôtel comme indiqué sur le mot, et elle y retrouve son amant Jimmy. Les sirènes de l’alerte aérienne retentissent : encore un raid des Teutons. Kate refuse qu’ils descendent dans le Tube, ils se couchent et font l’amour, et Kate rappelle à Jimmy ce dont ils ont convenu : pas de sentiments ! Dans le ciel, la bataille aérienne fait rage. Bien que la propagande allemande affirme que seuls les objectifs militaires sont visés, les bombardiers ennemis déversent des tonnes d’explosifs et de bombes incendiaires sur les grandes villes britanniques. Une fois encore, la Luftwaffe a percé les défenses de la capitale et a incendié les entrepôts du port. L’enfer aura duré neuf heures. De la peinture, du rhum et du sucre en feu flottent sur la Tamise… Au matin, le quartier des docks brûle encore, enveloppant la capitale d’une épaisse fumée âcre. Le lendemain matin, Kate et Jimmy se quittent, elle lui rappelle qu’ils se voient bientôt chez tante Beth, pour le baptême du petit Louis. C’est toujours un plaisir visuel de retrouver le duo de Warnauts & Raives, une narration à base de contours réalisés avec un mélange de traits fins et cassants et de traits un peu plus épais et souples, complétés par une mise en couleurs pouvant aller jusqu’à la couleur directe pour intégrer d’autres informations visuelles dans les cases. Ils sont adeptes de dessins réalistes et descriptifs, pour une reconstitution soignée et documentée. Ainsi le lecteur identifie aisément les différents modèles d’avions de guerre même s’ils ne sont pas nommés par les personnages : ME109, Spitfire De Havilland, Arado Ar196, Bristol Blenheim, Stirling. Il peut prendre son temps pour examiner les cocardes, c’est-à-dire les marques d’identification de ces aéronefs militaires. Cet album s’ouvre avec un combat aérien de quatre pages, exercice visuel demandant un solide sens de la mise en scène pour pouvoir donner la sensation du positionnement respectif des différents avions, et de leurs déplacements les uns par rapport aux autres, pour pouvoir suivre le déroulement de l’affrontement. Les artistes ont recours à des grandes cases avec des cases en insert, des cases en trapèze pour accentuer l’impression de mouvement, des cases verticales et des cases inclinées pour insister sur un mouvement soudain ou une situation dramatique. Ainsi tout au long de l’album, le lecteur peut contempler le spectacle souvent dramatique et une fois paisible de l’aviation : bombardement dans le ciel de Londres avec le faisceau des puissants projecteurs et le tir nourri de la Défense Contre l’Aviation (DCA), deux pages de toute beauté au cours desquelles Kavendish fait atterrir son avion dans un petit aéroport de la verdoyante campagne anglaise, deux pages pour l’amerrissage d’un hydravion Arado Ar196, un deuxième combat aérien au-dessus des côtes britanniques pendant sept pages, un vol de transit de deux pages du bombardier piloté par Kavendish, un combat au-dessus de la mer celtique pendant six pages, le vol de deux chasseurs au-dessus d’un pré occupé par de paisibles moutons, et enfin le vol d’in biplan au-dessus des montagnes. La reconstitution historique comprend les autres composantes attendues, en plus des avions militaires. Les uniformes et les armes, les tenues civiles, jusqu’aux sous-vêtements de Kate, les façades londoniennes et quelques monuments comme Tower Bridge, sans oublier les toits et le ciel crevé par les faisceaux de projecteurs avec les ballons flottants, les modèles de véhicules de l’époque et les double-deckers, plusieurs paysages du pays. Le lecteur circule dans une ou deux bases aériennes, il va se réfugier dans les souterrains du métro (Tube) avec Nicole et son amant Lewis, il passe une nuit torride dans une chambre d’hôtel de grand standing, et il séjourne dans une chambre d’hôpital à Londres. Il peut voir les immeubles détruits après une nuit de bombardements. Pour les fêtes de fin d’année, il accompagne Kate dans la résidence de famille : c’est l’occasion d’admirer la campagne anglaise verdoyante et ses animaux d’élevage. Il pénètre avec elle à l’intérieur d’un somptueux manoir, et garde les yeux bien ouverts pour admirer la riche décoration et l’ameublement. Puis il ressort pour profiter du parc soigneusement entretenu. Il est très impressionné par le naturel avec lequel les artistes représentent chaque endroit de manière organique, avec un dosage parfait entre les détails concrets et les couleurs donnant la sensation de la grisaille urbaine, ou du calme de la campagne. Bienvenu en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale alors que les bombardements ennemis surviennent avec une régularité terrifiante. L’armée de l’air Royal Air Force britannique a compté des dizaines de femmes pilotes, dont la plus célèbre fut Joy Lofthouse (1923- 2017) qui a volé avec des Spitfire ou des bombardiers pour l’ATA (Air Transport Auxiliary), une organisation britannique de la Seconde Guerre mondiale pour assurer le convoyage des avions neufs, des avions réparés ou endommagés. Comme à leur habitude, les auteurs écrivent une bande dessinée solidement documentée. Le lecteur peut relever de nombreuses références historiques : le discours de Winston Churchill du 18 juin 1940, les relations du président Edvard Benes (1884-1948) du gouvernement provisoire tchécoslovaque et Josef Tiso (1887-1947) président de la République slovaque auto-proclamée, l’histoire de la création du V de la Victoire par Victor de Laveleye (1894-1945), l’évasion des ministres Pierlot et Spaak d’Espagne le 18 octobre 1940, les activités d’Oswald Mosley (1896-1980, fondateur en 1932 de l’Union des Fascistes Britanniques), les activités du Service des Opérations Spéciales (SOE, Special Operations Executive), etc. À l’évidence, il faut un peu de temps pour que les personnages se mettent en place dans la grande Histoire. Les auteurs commencent par mettre en scène les aspects les plus spectaculaires : les combats aériens et les passions extra-conjugales. Toutefois, leurs personnages ne se résument pas à des pantins taillés sur mesure pour porter artificiellement l’intrigue sur leurs épaules. Il apparaît progressivement que Kate Kavendish dispose d’une histoire personnelle : une riche famille installée dans le Gloucestershire, des origines polonaises qui complexifie sa situation personnelle dans ce conflit mondial, voire qui pourraient la rendre suspecte. Les auteurs ont déplacé le point de vue de ce récit de guerre des hommes vers les femmes, et des femmes actives dans la guerre. Les risques auxquels sont exposés les individus, la mort pouvant survenir de manière arbitraire à tout moment, sous un bombardement ou lors d’un combat aérien, rend chaque moment plus capital, plus intense. Chaque personnage se retrouvant en situation de combat fait l’expérience de la fragilité de la vie, chaque traumatisme provoque un comportement d’adaptation en retour. Les deux créateurs ont l’art et la manière pour insuffler de la vie à leurs personnages, les faire exister, leur donner un caractère et des motivations propres. Le lecteur en vient à se demander comment leur existence peut conserver un sens, entre le contraste total du bruit et de la fureur d’un combat aérien, ou d’un bombardement, et le calme surréaliste de la campagne et des grands espaces naturels. Comment réconcilier les petits drames personnels et les destructions massives occasionnées par le largage de plusieurs tonnes d’explosifs en une nuit ? Jimmy Kane parle de sa tante et il dit : C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance, pas la moindre fissure ne doit apparaître sous peine de rompre dans la tempête… Le lecteur se dit que chaque personnage forge sa propre carapace à sa manière, luttant pour éviter la moindre fissure que pourrait provoquer une nouvelle horreur. Une série de plus qui évoque la Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale au travers d’une aviatrice militaire… Il s’avère que ce point de vue et la maîtrise des deux créateurs transforment une situation souvent traitée en un récit poignant, celui d’une femme combative, pilote de bombardier, ayant adapté son comportement de vie aux circonstances, avec de magnifiques séquences de combats aériens. Tragique.
Electric Miles
Comme c'est étrange... Moi qui suis d'habitude très hermétique à ce genre de récit abscons qui s'affranchit de la réalité pour nous emmener dans un trip psychédélique, j'ai adoré ! Alors que je regrettais récemment que mon auteur (vivant) préféré, Alain Ayroles, s'enferme un peu trop dans le même type d'histoire (Les Indes fourbes, L'Ombre des Lumières, La Terre verte, même si chacune de ces BD est réussie), on peut clairement dire que ce n'est pas ce qui menace Fabien Nury, mon deuxième auteur vivant préféré. Ici, l'auteur s'engage dans un terrain qu'à ma connaissance, il n'a encore jamais exploré. Un terrain difficile à décrire, quelque chose qui relèverait du polar métaphysique sous substances. A priori, je déteste plutôt ça, mais là, Nury parvient à nous prendre par la main et à nous emmener dans son délire avec un art impressionnant. Très aidé par le dessin de Brüno, dont je ne suis là aussi pas toujours client mais parfaitement exploité ici, il crée une atmosphère incroyable, qui convoque les plus grandes heures de Lovecraft et de ses disciples (difficile de ne pas penser à L'Antre de la folie de Carpenter). Il se lance dans un jeu de pistes qui efface peu à peu les frontières de la réalité, et même si ce premier tome n'est "que" une longue introduction, on est pris du début à la fin. Il y a là un fascinant puzzle que j'ai certes hâte de résoudre, mais que je n'ai pas envie de résoudre trop vite. Et en cela, je suis très heureux d'être soumis au rythme des parutions. Comme ça, on profite du délire poético-ésotérique de Nury sans se précipiter sur la fin. Il faut dire qu'il y a des moments où la mise en scène touche des sommets, comme cette séquence où des femmes discutent d'une nouvelle forme de discipline censée libérer leur cerveau, la tête emprisonnée dans le casque du coiffeur qui prend alors un air menaçant. C'est drôle, simple et génial. Comme tout ce premier tome, en fait. Vivement que la suite paraisse !
Bertille & Bertille
Je note large, parce qu'une BD ne se résume pas à son histoire, qui est certes bonne mais de facture tout à fait classique. Certes, ce n'est pas l'originalité qui prime tout le temps pour un récit, et cette BD me semble très bien le démontrer. C'est le genre de lecture que j'apprécie, malgré les ficelles scénaristiques assez visible et des personnages très (trop) typés dans leurs genres. On évolue dans des codes précis, simples et efficaces, mais j'ai vraiment eu un petit plaisir de lecture qui est ressorti avec ce qui se dégage de cette boule rouge, problématique insoluble de cette société d'après-guerre. J'ai une idée de la métaphore qui pourrait s'appliquer ici, mais je trouve que ça ajoute cette petite touche d'étrangeté qui implique de faire autrement, d'accepter de voir le monde un peu différemment. Et je trouve qu'il y a une légère poésie dans cette boule rouge qui apparait. C'est léger, en filigrane, pas important, mais ça m'a plu. L'autre aspect que j'apprécie de la BD c'est l'utilisation de la couleur dans un dessin en sépia. Le rouge tranche dans la BD (et d'ailleurs me semble être un bon indice de ce que la boule peut représenter) donnant des compositions assez jolies à l’œil. Je ne dirais pas que la BD est une merveille, certaines cases semblent étrange de par leurs cadrages et leurs rigidité dans les personnages (notamment le commissaire Bertille) mais j'avoue qu'il y a une vraie patte visuelle et une ambiance qui se dégage de tout ça. Au global, c'est une BD que je recommande comme petite BD sympathique à ne pas lire comme la prochaine merveille. C'est juste bien, assez beau et j'ai trouvé l'ambiance plaisante. Peut-être parce que j'aime bien ce que j'y vois, sans doute, mais je note la BD un peu large. Considérez que c'est un bon 3.5 et on est dans le bon !