Il y a depuis quelques ans une tendance dans les mangas d'heroic-fantasy à se mettre dans un cadre rappelant fortement celui des jeux de rôles, de leurs classes de personnages, de leurs guildes et de leurs niveaux d'expérience. C'était flagrant dans Gloutons & Dragons ou dans Moi, quand je me réincarne en Slime, ça l'est aussi dans Goblin Slayer. Sauf qu'au lieu de chercher à affronter des ennemis de plus en plus puissants, le héros éponyme, pourtant très expérimenté et bien équipé, n'a qu'une unique obsession : tuer des gobelins. Plus précisément, il a un désir ardent de les tuer TOUS, d'éliminer la race s'il le peut, même s'il sait que c'est désespéré.
Autant les raisons de cet obsession de la part du héros sont sombres et sérieuses, aussi sombres que la manière dont des personnages bons se font massacrer ou violer par les affreux gobelins, autant ce manga présente une dose d'humour pour équilibrer la balance de la noirceur C'est le cas notamment quand les héros de très haut classement se retrouvent désemparés face au comportement mono-obsessionnel du héros et réalisent qu'il est aussi bon voire meilleur qu'eux au combat. C'est le cas aussi quand ils doivent réagir à son côté extrêmement taciturne et mutique, vu qu'il répond toujours avec le strict minimum de mots, et se comporte très souvent comme un autiste incapable de se comporter en société et de comprendre les émotions des gens qui l'entourent.
On peut reprocher (ou apprécier c'est selon) le côté fan service de certaines scènes, notamment celles de viol puisque les fameux gobelins cherchent à se reproduire en utilisant pour cela des femmes humaines. C'est parfois assez gratuit, même si très bien dessiné. Mais ce qui était très présent dans les premiers chapitres se fait plus rare au fil des tomes.
Et au fur et à mesure, on s'attache de plus en plus au héros et aux autres compagnons qu'il finit par se faire malgré son caractère extrêmement renfermé et solitaire.
On s'intéresse aussi beaucoup à l'aspect stratégique de la manière dont il prépare ses combats, ou devrait-on dire ses exterminations de vermines, ou dont il réagit à des dangers nouveaux.
C'est une série que je suis maintenant régulièrement, guettant chaque nouvelle sortie, car je la trouve bien faite, agréable et prenante.
Bon, tout a été dit il me semble… Donc faisons cela vite et bien, je laisse à d’autres le soin d’argumenter sur le pourquoi du comment cette série va figurer parmi les prochains classiques. Oui, c’est le gros hit de la rentrée et même de cette année 2019. On peut se l’avouer sans trop de peine, forcément avec Alain Ayroles, le scénariste du cultissime De Cape et de Crocs, et Juanjo Guarnido, dessinateur du non moins culte Blacksad… résultat grandiose garanti, best-seller assuré. Si en plus on y ajoute le talent de Jean Bastide, le meilleur coloriste du moment selon moi, voilà, la messe est dite.
Et en plus c’est vachement bien. J’ai déjà fait plus original et développé comme avis mais on ne va pas tortiller du fion pour… C’est brillamment dessiné, intelligemment mis « en scène », c’est du grand roman graphique dont on continuera de parler dans les années à venir je pense. J’ai juste quelques réserves sur le troisième chapitre que je trouve un peu vite écrit, surtout comparé à la longueur du premier qui prend beaucoup de place dans le récit.
Deux semaines après sa sortie, déjà en tête des ventes malgré un tarif qui peu rebuter (une trentaine d’euros), et déjà bd RTL du mois, toute une chiée d’articles et d’interviews, de promotions, etc. Et ce n’est pas immérité. ;)
C'est clair que le sujet est totalement explosif. On n'avait jamais vu un président sous la Vème République aussi corrompu et pourtant, il n'a pas eu de mal avec des mouvements de contestation lors de son mandat. On préfèrera sans doute s'attaquer à un autre qui est pourtant l'incarnation d'une nouvelle République loin de ses pratiques douteuses et mafieuses. Mais bon, c'est un autre débat.
Attention, l'hypocrisie du système veut que même mis en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens, l'ancien président n'en demeure pas moins présumé innocent jusqu'à ce qu'un jury le déclare coupable. D'ailleurs, il dément catégoriquement alors que les preuves accumulées par ces cinq journalistes indépendants sont totalement accablantes. C'est une honte absolue. Reste à attendre le verdict final qui peut encore nous réserver des surprises si on doute de l'indépendance de l'institution judiciaire. Voir en effet Les Riches au tribunal. ;)
Cette bd est nécessaire pour comprendre. J'étais de ceux qui avait acclamé le courage héroïque de ce président qui nous débarassait de l'un des pires dictateurs et terroristes du XXème siècle. Si j'avais su que c'était pour se débarrasser d'une preuve génante ou pour des intérêts pétroliers et nucléaires. Il y a eu encore une fois de la désinformation de la part des médias contrôlés par des puissants hommes de droite. Heureusement qu'il existe de véritables journalistes qui font bien leur travail car ce sont eux les véritables justiciers de ce monde pourri.
C'est une bd enquête objective très bien construite. Je trouve que c'est une bonne idée de le faire sous le format de la bd car c'est un mode de communication qui passe mieux qu'un gros ouvrage à lire. La lecture a été assez facile avec un dessin assez froid qui ne tombera pas dans la caricature humoristique. A classer dans les bds d'utilité publique.
Cette aventure épique, dans la grande tradition du roman picaresque, nous narre les tribulations de don Pablos de Ségovie, mendiant magnifique mais peu recommandable, bien décidé, malgré les innombrables dangers, à se faire une place au soleil, celui d’Amérique du sud – qu’à cette époque on croyait être les Indes -, grâce à un lieu mythique et plein de promesses : l’Eldorado. Handicapé par des origines misérables, il ne reculera devant rien pour arriver à ses fins, accumulant les coups sans broncher et endossant mille personnages afin de traverser toutes les couches de la société et ainsi mieux tromper son monde…
Le dessinateur de Blacksad et le scénariste de De Cape et de Crocs ont uni leur talent pour produire une œuvre remarquable à tous points de vue. Tout comme leur héros Pablos, le lecteur embarque pour le Nouveau monde avec délectation. Certes, les rebondissements seront nombreux et les conséquences plus âpres pour le premier, dur à la douleur, qui parviendra néanmoins à retomber sur ses pieds à chaque coup du sort, en ressortant comme renforcé, comme dopé…
Alain Ayroles nous a concocté ici un scénario aux petits oignons, qui est en fait la continuation du roman picaresque « El Buscón (Vie de l’aventurier Don Pablos de Ségovie) », signé d’un certain Francisco de Quevedo, figure majeure des lettres ibériques au XVIIe siècle. A la fin du livre, qui se situait en Espagne, l’écrivain annonça une suite qui ne vit jamais le jour. Le créateur de Blacksad, Juanjo Guarnido, avait toujours été fasciné par ce classique de la littérature espagnole. Quant à Alain "DCEDC" Ayroles, il envisageait de raconter les aventures de Don Quichotte dans le Nouveau monde. C’est donc tout naturellement que les deux auteurs ont conçu ce projet haut en couleurs.
Dans un style littéraire soigné, Ayroles fait s’exprimer le narrateur principal, qui n’est autre que Pablos, en s’inspirant du langage de l’époque. L’histoire est extrêmement bien construite, respectant la linéarité du roman picaresque, avec plusieurs récits enchâssés au sein du récit central. C’est sans relâche que nous suivons les péripéties de Pablos, personnage ambigu qui suscite autant la pitié que la répulsion, même si cette fripouille pour le moins rusée a des raisons de vouloir s’extirper de sa condition sociale calamiteuse. Le twist final est juste ahurissant, mais l’auteur parvient à le rendre crédible de façon subtile, avec une ironie totalement subversive contre tous les puissants de ce monde. Du reste, le propos de cette saga au souffle épique reste tout à fait transposable à nos sociétés contemporaines, où la misère la plus noire côtoie plus que jamais la richesse la plus obscène.
Juanjo Guarnido de son côté ne fait que, preuve s’il en fallait, confirmer son talent, quand bien même les animaux ont repris ici leur rôle de figurants silencieux… De Blacksad, les humains ont conservé le sourire carnassier ou les yeux de chien battu selon les cas. Pour le reste, le dessinateur espagnol nous emmène littéralement au cinéma, tant la représentation des paysages de l’Altiplano et de l’Amazonie est époustouflante. Le passage décrivant la découverte de l’Eldorado par Don Diego et ses hommes est à couper le souffle. Confessant s’être rendu au Pérou pour parvenir à un rendu le plus réaliste possible, Guarnido n’a utilisé que des couleurs directes, à l’aquarelle, et le résultat est somptueux.
A n’en pas douter, « Les Indes fourbes » s’impose d’emblée comme une réussite et rencontrera le succès, plus que mérité. Cela apparaît presque comme une évidence quand on sait que ces deux auteurs talentueux avaient l’envie de travailler ensemble. Cette brillante épopée, qui prouve que l’alchimie entre les deux hommes a parfaitement fonctionné, figurera non seulement parmi les meilleurs albums de 2019 mais également au panthéon du neuvième art. À noter en outre que l’objet est publié en grand format et dans un superbe tirage.
Et oui, Le Petit Nicolas était une bande dessinée avant d'être le héros des hilarantes nouvelles que l'on connaît tous...
Bon, comme l'on dit mes prédécesseurs dans les trois avis précédents, cette bande dessinée n'a rien d'un chef-d'oeuvre. On sent que Sempé peine à trouver son aise dans le format BD, et son dessin est loin d'avoir la poésie dont il fera preuve dans sa période de maturité. Il n'en reste pas moins d'une efficace simplicité.
Le génie de Goscinny, en revanche, est déjà très présent, et l'auteur montre qu'il peut maîtriser à merveille le format du gag en une page. Certaines histoires sont véritablement hilarantes, tant Goscinny réussit à nous mettre à la place du pauvre papa de Nicolas, tandis que l'esprit d'enfance, comme celui de la famille, sont déjà merveilleusement croqués par cet entomologiste social dans ce qui préfigure l'humour domestique à la Boule et Bill ou Modeste et Pompon.
Notons que Goscinny s'y essaiera à nouveau dans quelques merveilleuses planches de La Famille Moutonet, avec un égal génie, mais avec la collaboration du meilleur dessinateur de BD qui soit, cette fois-ci : Uderzo. On peut retrouver ces lointains successeurs du Petit Nicolas en BD dans le tome intégrale de Benjamin et Benjamine.
Si les 28 récits d'une page font de cet album un album bien trop court à lire, on appréciera le petit supplément de la fin, qui met en exergue deux histoires courtes en bande dessinée, et leur quasi-transcription en nouvelles.
Cela permet de prendre la mesure des heureuses évolutions que connaître notre petit garçon préféré, tant au niveau du dessin que du récit. La prose de Goscinny et le format nouvelle lui permet d'étoffer considérablement l'humour dont il fait preuve dans ses gags, tandis que le trait de Sempé se montre bien plus abouti dans les dessins accompagnant le texte.
2 auteures, 2 histoires parallèles entre Périgueux en France et Montréal au Canada, et enfin une rencontre. Il est clair que les deux auteures ont dû se coordonner pour ne pas se mêler les pinceaux. Il y avait un vrai défi technique à relever à savoir la création partagée.
Je trouve également que le procédé d'une page par héroïne était fort bien trouvé bien qu'il fallait raccrocher à chaque fois le petit bout d'histoire. Pas pratique mais au final, cela se tenait parfaitement avec notament ces interconnections numériques malgré le décalage horaire de six heures. Et puis, ce voyage en France où enfin cela se rejoint. Oui, la démarche est d'une grande intelligence.
C'est une bd qui reste proche de la réalité avec des personnages bien ancrés dans un style différent. On va suivre d'ailleurs leur évolution sans aucune mièvrerie. Fraîcheur, sensibilité et émotion seront au rendez-vous. C'est une belle trouvaille assez originale dans le concept.
L’une des meilleures séries star wars à mes yeux.
D’une qualité constante malgré des dessinateurs différents, les histoires plus ou moins courtes prennent toutes place entre l'épisode 2 et 3, et permettent pour les amoureux de SW d’en apprendre bien plus que les films sur cette période de conflit.
La bonne idée est de suivre de nombreux Jedi aux 4 coins de la galaxie pour un maximum de dépaysement, Mission diplomatique, guerre des tranchées, conflit interne ... le contexte géopolitique n’est pas en reste, et la série permet de mettre en avant de nombreux personnages de la franchise.
Bref un immanquable pour les fans de l’univers, et bien mieux réalisé que d’autres séries estampillées SW.
Ce titre est réellement une bonne surprise. Cela part d'une très bonne idée de départ: que ferions-nous s'il nous restait plus qu'un an à vivre avant une apocalypse programmée à l'échelle mondiale ? Cependant, cela commence dans la joie et la clameur de toute une population devant un miracle alors qu'une jeune fille de 13 ans prénommée Magda semble totalement desespérée et en totale décalage. On vivra alors au fil de cette dernière année jusqu'au moment fatidique.
J'ai trouvé cet ouvrage dans le rayon jeunesse de ma médiathèque. C'est un réel classement par erreur qui m'a choqué. Je pense que le dessin un peu enfantin a présidé ce choix. Cependant, j'ai rarement vu une bd aussi dure traitant de sexe, de drogue et même de suicide. C'est une véritable descente aux enfers qui ne convient guère à la lecture de bambins de 7 ans. Oui, avant un classement de ce genre, il faut tout simplement la lire.
Au final, c'est un album assez surprenant et qui remue un peu les tripes. C'est bien de vivre sa vie à fond mais cela comporte également des risques et des dérapages...
Les fumeurs préfèrent généralement hausser les épaules face aux arguments, ressassés à l’envi, contre leur sale petite habitude tenace. Et pourtant ils les connaissent tous, plus ou moins. Ils savent que les chances d’attraper un cancer en sont multipliées et que la cigarette comprend en outre quantité d’additifs dangereux. Mais allez comprendre pourquoi, pour les accros à la cibiche, l’acte de fumer semble demeurer, depuis plusieurs décennies, un des plus forts symboles de liberté individuelle pour tous et d’émancipation quand il s’agit de la gent féminine. Et malgré les messages faisant ressembler les paquets de clopes à des faire-part de décès, certains pensent toujours que le fait de remplir ses poumons de fumée et de goudron constitue le summum de la transgression, procurant peut-être ce grand frisson que l’on ressent quand on danse avec la mort… De vrais rebelles, les fumeurs, c’est sûr !
Cette BD-docu pourrait pourtant bien provoquer chez eux un vrai déclic… Pierre Boisserie nous livre ici une enquête captivante sur une industrie née avec la conquête de l’Amérique et qui a réellement pris son essor lors des deux guerres mondiales. S’appuyant sur un découpage narratif rigoureux et une documentation fournie, l’auteur analyse et démonte méticuleusement les mécanismes de propagande à l’œuvre dans l’expansion hors-norme de cette pratique mortifère. Il en profite pour démasquer « Big Tobacco », mafia de nababs sans scrupules qui ont fait main basse sur cet « eldorado » à caractère agricole, détourné de son usage originel, principalement thérapeutique. Car les premiers à le consommer furent évidemment les Indiens qui ne l’absorbaient que lors de cérémonies chamaniques… avec modération, contrairement à nos fumeurs modernes ! Mais c’est lorsque la cigarette fut inventée que le marché explosa véritablement, avec la catastrophe sanitaire qui s'ensuivit…
La présence de « Mr Nico », maître de cérémonie peu amène, évoque avec un humour particulièrement cynique l’industrie sous tous ses aspects, historique, économique, sociologique, scientifique, sanitaire et culturel. Et tout cynique soit-il, ce personnage, sous sa caricature à l’image des fat cats de l’US Tobacco, rend l’exposé très vivant tout en médusant le lecteur, à la fois incrédule et terrifié devant ce « Joker » sinistre, rendu seulement sympathique par le fait qu’il « balance » son propre camp… On appréciera aussi le trait assuré, agile et expressif de Stéphane Brangier, qui dynamise la narration de façon très pertinente, avec moult trouvailles faisant que jamais l’ennui ne s’installe.
Alors si les lecteurs non-fumeurs ne pourront que souscrire, les accros à la clope resteront-ils insensibles à cette diatribe implacable contre la petite tige tellement stylée dans les soirées, si ce n’est qu’elle fait le désespoir de nos bronches ? Le seul léger bémol peut-être à cet excellent documentaire est que l’enquête est centrée uniquement sur l’industrie américaine. Le seul léger bémol peut-être à cet excellent documentaire est que l’enquête est centrée uniquement sur l’industrie américaine. Même si elle n’existe plus aujourd’hui, on aurait aimé connaître l’histoire de la SEITA française, avalée par le géant Imperial Tobacco... De même, un chapitre aurait pu être consacré à la cigarette électronique, dont on sait encore peu de choses, notamment si elle sert véritablement à arrêter de fumer ou si elle n’est pas juste une addiction destinée à en remplacer une autre… Quoi qu’il en soit, « Cigarettes, le dossier sans filtre » constitue une lecture providentielle pour les plus motivés à se désintoxiquer (oui, la nicotine est bien une drogue, et pas la moins addictive…), et pourra même provoquer un déclic chez les autres… « Cramer » son argent pour en faire don à cette richissime mafia qui ne dit pas son nom n’est pas l’acte le plus rebelle, tant s’en faut…
Et si dans un an, j’ai moi-même définitivement arrêté la cigarette, je mettrai la note maximale, promis !
Gros recueil (288 pages, tout de même) dévoré en une soirée, un verre de rhum posé sur le guéridon. Verre plus souvent posé que soulevé tant j’oubliais sa présence, plongé que j’étais dans ce récit. Pourtant, il s’agit là typiquement du genre de bande dessinée que je ne conseillerai à personne tant j’ai conscience que son sujet comme sa forme peuvent laisser plus d’un lecteur de marbre.
Seulement voilà, moi, ce récit, il m’a passionné.
Il raconte l’histoire d’une jeune femme allemande que nous allons suivre de 1934 jusqu’à la fin de la guerre avant de la retrouver dans les années ’80 pour une scène finale très pertinente. En quête d’indépendance, elle va d’abord partir étudier en Angleterre. Rien de folichon, juste une petite école commerciale où elle apprend le métier de dactylo internationale. Sur place, confrontée au climat politique de l’époque, elle se sent mise à l’écart et se lie d’amitié (et plus car affinité) avec un étudiant boursier noir.
Sur cette base qui nous décrit donc une jeune femme qui se veut moderne, ouverte et attachée à son pays sans s’occuper de la politique menée par ce pays, l’auteure va construire une histoire dans laquelle le renoncement, les petites lâchetés, les impératifs urgents (se nourrir, survivre), les ambitions (obtenir un meilleur train de vie, voyager) qui font le quotidien d’une existence normale seront analysés avec le recul qui est le nôtre aujourd’hui. Irmina n’en sortira pas grandie, elle la très ordinaire qui se décrit au début du récit comme une Allemande normale (en opposition aux Allemands en fuite ou aux Juifs). Pourtant, elle ne sera coupable de rien… sinon de continuer de rêver à un avenir meilleur.
J’ai trouvé dans ce portrait une dimension à la fois moderne et universelle. Ce portrait d’une femme très ordinaire nous montre pourquoi et comment un peuple peut accepter d’être dirigé par un mouvement extrémiste. Non par choix mais par absence de prise de position. Il nous montre aussi que nos vies peuvent basculer du noir au blanc sans que nous ne puissions y faire quoi que ce soit. En d’autres circonstances, Irmina aurait sans doute pu être une grande dame oeuvrant pour le bien d’un peuple. La vie va en décider autrement. Pourtant Irmina n’est coupable en rien, tout au plus peut-on lui reprocher d’avoir, à l’occasion, hurlé avec les loups.
Le dernier chapitre est celui de la prise de conscience, dans lequel Irmina lève un coin du voile. J’ai alors senti le poids du sentiment de culpabilité qui alourdit ses épaules, la tristesse d’être passée à côté de sa vie et la résignation d’une vieille dame qui doit bien accepter que sa vie ait été telle qu’elle a été.
C’est un récit fin, triste et profond, écrit avec une rigueur toute germanique, très méthodique sans être démonstratif. Il ne s’y passe rien d’exceptionnel et c’est dans cette absence de mouvement que réside sa force et sa pertinence.
Et puis le dessin de Barbara Yelin convient parfaitement au sujet. La mise en page est aérée, offrant régulièrement des doubles pages tout en ambiance. Le côté ébauché du trait apporte de la profondeur aux personnages, sa maladresse occasionnelle ne fait qu’accentuer l’humanité du propos.
Donc voilà, moi j’ai beaucoup aimé, ce livre m’a parlé. Il m’a touché… mais je suis convaincu que ce ne sera pas le cas pour tout le monde.
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Il y a depuis quelques ans une tendance dans les mangas d'heroic-fantasy à se mettre dans un cadre rappelant fortement celui des jeux de rôles, de leurs classes de personnages, de leurs guildes et de leurs niveaux d'expérience. C'était flagrant dans Gloutons & Dragons ou dans Moi, quand je me réincarne en Slime, ça l'est aussi dans Goblin Slayer. Sauf qu'au lieu de chercher à affronter des ennemis de plus en plus puissants, le héros éponyme, pourtant très expérimenté et bien équipé, n'a qu'une unique obsession : tuer des gobelins. Plus précisément, il a un désir ardent de les tuer TOUS, d'éliminer la race s'il le peut, même s'il sait que c'est désespéré. Autant les raisons de cet obsession de la part du héros sont sombres et sérieuses, aussi sombres que la manière dont des personnages bons se font massacrer ou violer par les affreux gobelins, autant ce manga présente une dose d'humour pour équilibrer la balance de la noirceur C'est le cas notamment quand les héros de très haut classement se retrouvent désemparés face au comportement mono-obsessionnel du héros et réalisent qu'il est aussi bon voire meilleur qu'eux au combat. C'est le cas aussi quand ils doivent réagir à son côté extrêmement taciturne et mutique, vu qu'il répond toujours avec le strict minimum de mots, et se comporte très souvent comme un autiste incapable de se comporter en société et de comprendre les émotions des gens qui l'entourent. On peut reprocher (ou apprécier c'est selon) le côté fan service de certaines scènes, notamment celles de viol puisque les fameux gobelins cherchent à se reproduire en utilisant pour cela des femmes humaines. C'est parfois assez gratuit, même si très bien dessiné. Mais ce qui était très présent dans les premiers chapitres se fait plus rare au fil des tomes. Et au fur et à mesure, on s'attache de plus en plus au héros et aux autres compagnons qu'il finit par se faire malgré son caractère extrêmement renfermé et solitaire. On s'intéresse aussi beaucoup à l'aspect stratégique de la manière dont il prépare ses combats, ou devrait-on dire ses exterminations de vermines, ou dont il réagit à des dangers nouveaux. C'est une série que je suis maintenant régulièrement, guettant chaque nouvelle sortie, car je la trouve bien faite, agréable et prenante.
Les Indes fourbes
Bon, tout a été dit il me semble… Donc faisons cela vite et bien, je laisse à d’autres le soin d’argumenter sur le pourquoi du comment cette série va figurer parmi les prochains classiques. Oui, c’est le gros hit de la rentrée et même de cette année 2019. On peut se l’avouer sans trop de peine, forcément avec Alain Ayroles, le scénariste du cultissime De Cape et de Crocs, et Juanjo Guarnido, dessinateur du non moins culte Blacksad… résultat grandiose garanti, best-seller assuré. Si en plus on y ajoute le talent de Jean Bastide, le meilleur coloriste du moment selon moi, voilà, la messe est dite. Et en plus c’est vachement bien. J’ai déjà fait plus original et développé comme avis mais on ne va pas tortiller du fion pour… C’est brillamment dessiné, intelligemment mis « en scène », c’est du grand roman graphique dont on continuera de parler dans les années à venir je pense. J’ai juste quelques réserves sur le troisième chapitre que je trouve un peu vite écrit, surtout comparé à la longueur du premier qui prend beaucoup de place dans le récit. Deux semaines après sa sortie, déjà en tête des ventes malgré un tarif qui peu rebuter (une trentaine d’euros), et déjà bd RTL du mois, toute une chiée d’articles et d’interviews, de promotions, etc. Et ce n’est pas immérité. ;)
Sarkozy Kadhafi - Des billets et des bombes
C'est clair que le sujet est totalement explosif. On n'avait jamais vu un président sous la Vème République aussi corrompu et pourtant, il n'a pas eu de mal avec des mouvements de contestation lors de son mandat. On préfèrera sans doute s'attaquer à un autre qui est pourtant l'incarnation d'une nouvelle République loin de ses pratiques douteuses et mafieuses. Mais bon, c'est un autre débat. Attention, l'hypocrisie du système veut que même mis en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens, l'ancien président n'en demeure pas moins présumé innocent jusqu'à ce qu'un jury le déclare coupable. D'ailleurs, il dément catégoriquement alors que les preuves accumulées par ces cinq journalistes indépendants sont totalement accablantes. C'est une honte absolue. Reste à attendre le verdict final qui peut encore nous réserver des surprises si on doute de l'indépendance de l'institution judiciaire. Voir en effet Les Riches au tribunal. ;) Cette bd est nécessaire pour comprendre. J'étais de ceux qui avait acclamé le courage héroïque de ce président qui nous débarassait de l'un des pires dictateurs et terroristes du XXème siècle. Si j'avais su que c'était pour se débarrasser d'une preuve génante ou pour des intérêts pétroliers et nucléaires. Il y a eu encore une fois de la désinformation de la part des médias contrôlés par des puissants hommes de droite. Heureusement qu'il existe de véritables journalistes qui font bien leur travail car ce sont eux les véritables justiciers de ce monde pourri. C'est une bd enquête objective très bien construite. Je trouve que c'est une bonne idée de le faire sous le format de la bd car c'est un mode de communication qui passe mieux qu'un gros ouvrage à lire. La lecture a été assez facile avec un dessin assez froid qui ne tombera pas dans la caricature humoristique. A classer dans les bds d'utilité publique.
Les Indes fourbes
Cette aventure épique, dans la grande tradition du roman picaresque, nous narre les tribulations de don Pablos de Ségovie, mendiant magnifique mais peu recommandable, bien décidé, malgré les innombrables dangers, à se faire une place au soleil, celui d’Amérique du sud – qu’à cette époque on croyait être les Indes -, grâce à un lieu mythique et plein de promesses : l’Eldorado. Handicapé par des origines misérables, il ne reculera devant rien pour arriver à ses fins, accumulant les coups sans broncher et endossant mille personnages afin de traverser toutes les couches de la société et ainsi mieux tromper son monde… Le dessinateur de Blacksad et le scénariste de De Cape et de Crocs ont uni leur talent pour produire une œuvre remarquable à tous points de vue. Tout comme leur héros Pablos, le lecteur embarque pour le Nouveau monde avec délectation. Certes, les rebondissements seront nombreux et les conséquences plus âpres pour le premier, dur à la douleur, qui parviendra néanmoins à retomber sur ses pieds à chaque coup du sort, en ressortant comme renforcé, comme dopé… Alain Ayroles nous a concocté ici un scénario aux petits oignons, qui est en fait la continuation du roman picaresque « El Buscón (Vie de l’aventurier Don Pablos de Ségovie) », signé d’un certain Francisco de Quevedo, figure majeure des lettres ibériques au XVIIe siècle. A la fin du livre, qui se situait en Espagne, l’écrivain annonça une suite qui ne vit jamais le jour. Le créateur de Blacksad, Juanjo Guarnido, avait toujours été fasciné par ce classique de la littérature espagnole. Quant à Alain "DCEDC" Ayroles, il envisageait de raconter les aventures de Don Quichotte dans le Nouveau monde. C’est donc tout naturellement que les deux auteurs ont conçu ce projet haut en couleurs. Dans un style littéraire soigné, Ayroles fait s’exprimer le narrateur principal, qui n’est autre que Pablos, en s’inspirant du langage de l’époque. L’histoire est extrêmement bien construite, respectant la linéarité du roman picaresque, avec plusieurs récits enchâssés au sein du récit central. C’est sans relâche que nous suivons les péripéties de Pablos, personnage ambigu qui suscite autant la pitié que la répulsion, même si cette fripouille pour le moins rusée a des raisons de vouloir s’extirper de sa condition sociale calamiteuse. Le twist final est juste ahurissant, mais l’auteur parvient à le rendre crédible de façon subtile, avec une ironie totalement subversive contre tous les puissants de ce monde. Du reste, le propos de cette saga au souffle épique reste tout à fait transposable à nos sociétés contemporaines, où la misère la plus noire côtoie plus que jamais la richesse la plus obscène. Juanjo Guarnido de son côté ne fait que, preuve s’il en fallait, confirmer son talent, quand bien même les animaux ont repris ici leur rôle de figurants silencieux… De Blacksad, les humains ont conservé le sourire carnassier ou les yeux de chien battu selon les cas. Pour le reste, le dessinateur espagnol nous emmène littéralement au cinéma, tant la représentation des paysages de l’Altiplano et de l’Amazonie est époustouflante. Le passage décrivant la découverte de l’Eldorado par Don Diego et ses hommes est à couper le souffle. Confessant s’être rendu au Pérou pour parvenir à un rendu le plus réaliste possible, Guarnido n’a utilisé que des couleurs directes, à l’aquarelle, et le résultat est somptueux. A n’en pas douter, « Les Indes fourbes » s’impose d’emblée comme une réussite et rencontrera le succès, plus que mérité. Cela apparaît presque comme une évidence quand on sait que ces deux auteurs talentueux avaient l’envie de travailler ensemble. Cette brillante épopée, qui prouve que l’alchimie entre les deux hommes a parfaitement fonctionné, figurera non seulement parmi les meilleurs albums de 2019 mais également au panthéon du neuvième art. À noter en outre que l’objet est publié en grand format et dans un superbe tirage.
Le Petit Nicolas
Et oui, Le Petit Nicolas était une bande dessinée avant d'être le héros des hilarantes nouvelles que l'on connaît tous... Bon, comme l'on dit mes prédécesseurs dans les trois avis précédents, cette bande dessinée n'a rien d'un chef-d'oeuvre. On sent que Sempé peine à trouver son aise dans le format BD, et son dessin est loin d'avoir la poésie dont il fera preuve dans sa période de maturité. Il n'en reste pas moins d'une efficace simplicité. Le génie de Goscinny, en revanche, est déjà très présent, et l'auteur montre qu'il peut maîtriser à merveille le format du gag en une page. Certaines histoires sont véritablement hilarantes, tant Goscinny réussit à nous mettre à la place du pauvre papa de Nicolas, tandis que l'esprit d'enfance, comme celui de la famille, sont déjà merveilleusement croqués par cet entomologiste social dans ce qui préfigure l'humour domestique à la Boule et Bill ou Modeste et Pompon. Notons que Goscinny s'y essaiera à nouveau dans quelques merveilleuses planches de La Famille Moutonet, avec un égal génie, mais avec la collaboration du meilleur dessinateur de BD qui soit, cette fois-ci : Uderzo. On peut retrouver ces lointains successeurs du Petit Nicolas en BD dans le tome intégrale de Benjamin et Benjamine. Si les 28 récits d'une page font de cet album un album bien trop court à lire, on appréciera le petit supplément de la fin, qui met en exergue deux histoires courtes en bande dessinée, et leur quasi-transcription en nouvelles. Cela permet de prendre la mesure des heureuses évolutions que connaître notre petit garçon préféré, tant au niveau du dessin que du récit. La prose de Goscinny et le format nouvelle lui permet d'étoffer considérablement l'humour dont il fait preuve dans ses gags, tandis que le trait de Sempé se montre bien plus abouti dans les dessins accompagnant le texte.
La Fille dans l'écran
2 auteures, 2 histoires parallèles entre Périgueux en France et Montréal au Canada, et enfin une rencontre. Il est clair que les deux auteures ont dû se coordonner pour ne pas se mêler les pinceaux. Il y avait un vrai défi technique à relever à savoir la création partagée. Je trouve également que le procédé d'une page par héroïne était fort bien trouvé bien qu'il fallait raccrocher à chaque fois le petit bout d'histoire. Pas pratique mais au final, cela se tenait parfaitement avec notament ces interconnections numériques malgré le décalage horaire de six heures. Et puis, ce voyage en France où enfin cela se rejoint. Oui, la démarche est d'une grande intelligence. C'est une bd qui reste proche de la réalité avec des personnages bien ancrés dans un style différent. On va suivre d'ailleurs leur évolution sans aucune mièvrerie. Fraîcheur, sensibilité et émotion seront au rendez-vous. C'est une belle trouvaille assez originale dans le concept.
Star Wars - La Guerre des Clones (Clone Wars)
L’une des meilleures séries star wars à mes yeux. D’une qualité constante malgré des dessinateurs différents, les histoires plus ou moins courtes prennent toutes place entre l'épisode 2 et 3, et permettent pour les amoureux de SW d’en apprendre bien plus que les films sur cette période de conflit. La bonne idée est de suivre de nombreux Jedi aux 4 coins de la galaxie pour un maximum de dépaysement, Mission diplomatique, guerre des tranchées, conflit interne ... le contexte géopolitique n’est pas en reste, et la série permet de mettre en avant de nombreux personnages de la franchise. Bref un immanquable pour les fans de l’univers, et bien mieux réalisé que d’autres séries estampillées SW.
L'Apocalypse selon Magda
Ce titre est réellement une bonne surprise. Cela part d'une très bonne idée de départ: que ferions-nous s'il nous restait plus qu'un an à vivre avant une apocalypse programmée à l'échelle mondiale ? Cependant, cela commence dans la joie et la clameur de toute une population devant un miracle alors qu'une jeune fille de 13 ans prénommée Magda semble totalement desespérée et en totale décalage. On vivra alors au fil de cette dernière année jusqu'au moment fatidique. J'ai trouvé cet ouvrage dans le rayon jeunesse de ma médiathèque. C'est un réel classement par erreur qui m'a choqué. Je pense que le dessin un peu enfantin a présidé ce choix. Cependant, j'ai rarement vu une bd aussi dure traitant de sexe, de drogue et même de suicide. C'est une véritable descente aux enfers qui ne convient guère à la lecture de bambins de 7 ans. Oui, avant un classement de ce genre, il faut tout simplement la lire. Au final, c'est un album assez surprenant et qui remue un peu les tripes. C'est bien de vivre sa vie à fond mais cela comporte également des risques et des dérapages...
Cigarettes - Le Dossier sans filtre
Les fumeurs préfèrent généralement hausser les épaules face aux arguments, ressassés à l’envi, contre leur sale petite habitude tenace. Et pourtant ils les connaissent tous, plus ou moins. Ils savent que les chances d’attraper un cancer en sont multipliées et que la cigarette comprend en outre quantité d’additifs dangereux. Mais allez comprendre pourquoi, pour les accros à la cibiche, l’acte de fumer semble demeurer, depuis plusieurs décennies, un des plus forts symboles de liberté individuelle pour tous et d’émancipation quand il s’agit de la gent féminine. Et malgré les messages faisant ressembler les paquets de clopes à des faire-part de décès, certains pensent toujours que le fait de remplir ses poumons de fumée et de goudron constitue le summum de la transgression, procurant peut-être ce grand frisson que l’on ressent quand on danse avec la mort… De vrais rebelles, les fumeurs, c’est sûr ! Cette BD-docu pourrait pourtant bien provoquer chez eux un vrai déclic… Pierre Boisserie nous livre ici une enquête captivante sur une industrie née avec la conquête de l’Amérique et qui a réellement pris son essor lors des deux guerres mondiales. S’appuyant sur un découpage narratif rigoureux et une documentation fournie, l’auteur analyse et démonte méticuleusement les mécanismes de propagande à l’œuvre dans l’expansion hors-norme de cette pratique mortifère. Il en profite pour démasquer « Big Tobacco », mafia de nababs sans scrupules qui ont fait main basse sur cet « eldorado » à caractère agricole, détourné de son usage originel, principalement thérapeutique. Car les premiers à le consommer furent évidemment les Indiens qui ne l’absorbaient que lors de cérémonies chamaniques… avec modération, contrairement à nos fumeurs modernes ! Mais c’est lorsque la cigarette fut inventée que le marché explosa véritablement, avec la catastrophe sanitaire qui s'ensuivit… La présence de « Mr Nico », maître de cérémonie peu amène, évoque avec un humour particulièrement cynique l’industrie sous tous ses aspects, historique, économique, sociologique, scientifique, sanitaire et culturel. Et tout cynique soit-il, ce personnage, sous sa caricature à l’image des fat cats de l’US Tobacco, rend l’exposé très vivant tout en médusant le lecteur, à la fois incrédule et terrifié devant ce « Joker » sinistre, rendu seulement sympathique par le fait qu’il « balance » son propre camp… On appréciera aussi le trait assuré, agile et expressif de Stéphane Brangier, qui dynamise la narration de façon très pertinente, avec moult trouvailles faisant que jamais l’ennui ne s’installe. Alors si les lecteurs non-fumeurs ne pourront que souscrire, les accros à la clope resteront-ils insensibles à cette diatribe implacable contre la petite tige tellement stylée dans les soirées, si ce n’est qu’elle fait le désespoir de nos bronches ? Le seul léger bémol peut-être à cet excellent documentaire est que l’enquête est centrée uniquement sur l’industrie américaine. Le seul léger bémol peut-être à cet excellent documentaire est que l’enquête est centrée uniquement sur l’industrie américaine. Même si elle n’existe plus aujourd’hui, on aurait aimé connaître l’histoire de la SEITA française, avalée par le géant Imperial Tobacco... De même, un chapitre aurait pu être consacré à la cigarette électronique, dont on sait encore peu de choses, notamment si elle sert véritablement à arrêter de fumer ou si elle n’est pas juste une addiction destinée à en remplacer une autre… Quoi qu’il en soit, « Cigarettes, le dossier sans filtre » constitue une lecture providentielle pour les plus motivés à se désintoxiquer (oui, la nicotine est bien une drogue, et pas la moins addictive…), et pourra même provoquer un déclic chez les autres… « Cramer » son argent pour en faire don à cette richissime mafia qui ne dit pas son nom n’est pas l’acte le plus rebelle, tant s’en faut… Et si dans un an, j’ai moi-même définitivement arrêté la cigarette, je mettrai la note maximale, promis !
Irmina
Gros recueil (288 pages, tout de même) dévoré en une soirée, un verre de rhum posé sur le guéridon. Verre plus souvent posé que soulevé tant j’oubliais sa présence, plongé que j’étais dans ce récit. Pourtant, il s’agit là typiquement du genre de bande dessinée que je ne conseillerai à personne tant j’ai conscience que son sujet comme sa forme peuvent laisser plus d’un lecteur de marbre. Seulement voilà, moi, ce récit, il m’a passionné. Il raconte l’histoire d’une jeune femme allemande que nous allons suivre de 1934 jusqu’à la fin de la guerre avant de la retrouver dans les années ’80 pour une scène finale très pertinente. En quête d’indépendance, elle va d’abord partir étudier en Angleterre. Rien de folichon, juste une petite école commerciale où elle apprend le métier de dactylo internationale. Sur place, confrontée au climat politique de l’époque, elle se sent mise à l’écart et se lie d’amitié (et plus car affinité) avec un étudiant boursier noir. Sur cette base qui nous décrit donc une jeune femme qui se veut moderne, ouverte et attachée à son pays sans s’occuper de la politique menée par ce pays, l’auteure va construire une histoire dans laquelle le renoncement, les petites lâchetés, les impératifs urgents (se nourrir, survivre), les ambitions (obtenir un meilleur train de vie, voyager) qui font le quotidien d’une existence normale seront analysés avec le recul qui est le nôtre aujourd’hui. Irmina n’en sortira pas grandie, elle la très ordinaire qui se décrit au début du récit comme une Allemande normale (en opposition aux Allemands en fuite ou aux Juifs). Pourtant, elle ne sera coupable de rien… sinon de continuer de rêver à un avenir meilleur. J’ai trouvé dans ce portrait une dimension à la fois moderne et universelle. Ce portrait d’une femme très ordinaire nous montre pourquoi et comment un peuple peut accepter d’être dirigé par un mouvement extrémiste. Non par choix mais par absence de prise de position. Il nous montre aussi que nos vies peuvent basculer du noir au blanc sans que nous ne puissions y faire quoi que ce soit. En d’autres circonstances, Irmina aurait sans doute pu être une grande dame oeuvrant pour le bien d’un peuple. La vie va en décider autrement. Pourtant Irmina n’est coupable en rien, tout au plus peut-on lui reprocher d’avoir, à l’occasion, hurlé avec les loups. Le dernier chapitre est celui de la prise de conscience, dans lequel Irmina lève un coin du voile. J’ai alors senti le poids du sentiment de culpabilité qui alourdit ses épaules, la tristesse d’être passée à côté de sa vie et la résignation d’une vieille dame qui doit bien accepter que sa vie ait été telle qu’elle a été. C’est un récit fin, triste et profond, écrit avec une rigueur toute germanique, très méthodique sans être démonstratif. Il ne s’y passe rien d’exceptionnel et c’est dans cette absence de mouvement que réside sa force et sa pertinence. Et puis le dessin de Barbara Yelin convient parfaitement au sujet. La mise en page est aérée, offrant régulièrement des doubles pages tout en ambiance. Le côté ébauché du trait apporte de la profondeur aux personnages, sa maladresse occasionnelle ne fait qu’accentuer l’humanité du propos. Donc voilà, moi j’ai beaucoup aimé, ce livre m’a parlé. Il m’a touché… mais je suis convaincu que ce ne sera pas le cas pour tout le monde.