Les derniers avis (39395 avis)

Par Pierig
Note: 4/5
Couverture de la série Le Captivé
Le Captivé

Je remarque que le petit monde de la bd se penche de plus en plus sur des personnages lambda qui ont été sous les feux des projecteurs malgré eux avant de retomber dans l’oubli. Albert Dadas est l’un d’eux. Dadas est, dans le jargon populaire, un fada. Pour la médecine, c’est une perle rare … un captif captivé, un prisonnier voyageur. Pour moi, c’est un somnambule de l’extrême, un Forrest Gump avant l’heure. Dadas est atteint d’un trouble nouveau qui laisse perplexe les spécialistes. Mais sa route l’amène à croiser Tissié qui va en faire son sujet de thèse. Ce jeune médecin va essayer de guérir Albert de ses fugues amnésiques et de sa frénésie masturbatoire. Le récit a un pouvoir quasi hypnotique. Il est, en plus, finement travaillé pour brosser plusieurs années de la vie d’Albert sans à-coups. Il en résulte une narration fluide pour une lecture des plus confortables. L’histoire se conclu avec des annotations sur le cheminement des protagonistes après leur rencontre qui durera quelques années. Mais le récit n’aurait pas eu la même réussite sans le coup de crayon de Christian Durieux qui se colle au mieux à l’époque en insufflant un côté vintage aux vignettes (style vieilles photos) et en donnant réellement vie aux protagonistes (la physionomie de Dadas et Tissié sont parfaitement rendues). Du bel ouvrage, assurément !

28/02/2017 (modifier)
Couverture de la série Les Terres creuses - Nogegon
Les Terres creuses - Nogegon

Comme son titre, cet album tire clairement vers le palindrome – même s'il est imparfait. C'est déjà le cas pour l’histoire elle-même, dans laquelle le personnage de Nellen vit comme à rebours les aventures d’Olive. Mais c'est aussi sensible dans cette fascination/obsession des habitants de cette « Terre creuse » pour la symétrie, de laquelle rien ni personne ne doit dévier. J’ai bien aimé cette histoire assez poétique, dans laquelle on n’échappe pas à son destin (beaucoup de tragédie grecque dans cette intrigue). La narration est posée, tranquille, ce n’est pas de la Science-Fiction pleine d’action ! Le dessin est bon – même si les personnages sont un peu statiques. En tout cas j’ai bien aimé l’univers des décors, et la colorisation. Un chouette album dont je vous recommande la lecture. Note réelle 3,5/5.

27/02/2017 (modifier)
Par montane
Note: 5/5
Couverture de la série Pereira prétend
Pereira prétend

Je ne me souviens pas avoir lu une Bande Dessinée aussi remarquable depuis bien longtemps, et je comprends pourquoi cette histoire a fait l'objet de critiques aussi positives. De quoi s'agit-il? A l'époque de la Dictature du général Salazar au Portugal, le "Doutor Pereira" comme on l'appelle, écrit des articles dans la rubrique culturelle du plus grand journal de Lisbonne. Bien sur , il est conscient que la censure veille sur ses écrits, et que le pouvoir en place commet des actes bien peu catholiques. Mais il s'en accommode. Sa femme est morte, il n'a pas d'enfant et plus rien ne semble avoir d'importance. Pourtant il croise un jour le chemin d'un jeune Italien, soutien des troupes républicaines, qui luttent contre Franco dans l'Espagne voisine. Ayant besoin d'argent, il lui propose d'écrire sur des écrivains de son temps. Mais ces écrits très engagés s'avèrent impubliables. Pereira a bien mauvaise conscience, il aimerait l'aider mais n'ose pas franchir le pas, et rompre avec son petit confort. Alors qu'il se trouve en soin sur la cote Portugaise, bien loin de Lisbonne, il rencontre alors un médecin qui l'aide à résoudre le conflit entre ses sentiments ambivalents et à enfin prendre une décision de rupture. Adaptation du livre d'un écrivain Italien que je ne connaissais pas, cette histoire nous décrit un peu le dilemme qui a du se poser à bien des gens pendant l'occupation allemande en France par exemple. Doit-on se soumettre et se compromettre ou doit-on lutter en coulisse ? Si on nous posait cette question aujourd'hui, tout le monde serait résistant bien entendu. Oui mais à l'époque, en aurait -il été de même ? Cette histoire ravira les amateurs d'histoires contemporaines. Je ne connaissais pas non plus ce dessinateur dont le trait se rapproche parfois de l'italien Fiore, avec des couleurs pastel qui changent au gré des ambiances. On y voit aussi Pereira converser avec le portrait de son épouse décédée, et avec des petits bonhommes qui représentent ses sentiments contradictoires. Une manière efficace de représenter les contradictions de ce héros qui s'ignore. Je vous laisse le soin de lire cette histoire pour en connaitre la suite. Vous ne le regretterez pas.

27/02/2017 (modifier)
Par Pingu
Note: 5/5
Couverture de la série L'Armée de l'ombre
L'Armée de l'ombre

Sans aucun doute la meilleure BD traitant de la seconde guerre mondiale que j'ai pu lire. Des dessins très bien faits qui donnent une impression de réalisme impressionnante.

26/02/2017 (modifier)
Couverture de la série L'Ile aux Mille Mystères
L'Ile aux Mille Mystères

Dès la page de présentation du « casting » (les cinq personnages principaux), j’ai su que j’allai aimer cet album. Ce casting (nom et « qualité » des personnages) annonce déjà les influences majeures qui vont irriguer cette histoire. Influences que l’on retrouve un peu partout ensuite, de manière plus ou moins affichées. Les débuts du cinéma et ses prolongements d’une poésie noire dans l’expressionnisme allemand (avec les personnages de Méliès et Murnau, entre autres). Mais Picasso est aussi convoqué pour les décors (une pleine page est directement inspirée d’un de ses tableaux), comme Klimt pour Fu Jong-Chu. Un officier allemand, un chien au langage argotique et une pin-up asiatique toute droit sortie d’un film de série B complètent la fine équipe qui se retrouve prisonnière d’une « île mystérieuse ». Vous l’aurez compris avec cette dernière expression, c’est avant tout sous les auspices de Jules Verne que cette aventure se présente (décor, noms, certains dialogues), Verne et ses continuateurs (l’éléphant mécanique du début ressemble à l’éléphant des Machines de l’île de Nantes, dans lequel j’ai fait une petite balade avec mes enfants il y a deux-trois ans). Mais sont aussi convoqués certains inventeurs de voyages dans le temps, comme H.G. Wells (certes on ne s’éloigne pas de Verne avec lui !), mais aussi Emmett Brown (le savant du film « Retour vers le futur » !, ici personnage truculent avec sa femme et son franglais de pacotille). Ajoutez à ce casting improbable un savant asiatique, Fu Jong-Chu (démarque de Fu Manchu, qui incarnait le génie du mal asiatique dans des romans populaires de l’entre-deux guerres), qui n’est autre que Kim Jong-Il, le délirant dictateur nord-coréen. Vous comprendrez qu’on est là dans la farce autant que dans le récit d’aventure ! D’autant plus qu’est avancée ici une explication improbable aux disparitions mystérieuses dans le Triangle des Bermudes ! Mais l’histoire ne fait pas qu’empiler les références et les clins d’œil (auxquels certains lecteurs sont peut-être insensibles), elle se laisse lire agréablement, y compris par un lectorat plus jeune et vierge de toutes les références évoquées précédemment. Le dessin est lui aussi original. Les cases brinquebalantes – voire totalement absentes, dans lesquelles la perspective est parfois refoulée, les personnages parfois en chute libre sur des à plats, tout ceci nourrit aussi l’impression à la fois enfantine (une colorisation qui « fait » parfois coloriage d’enfant ?, mais qui est en tout cas très chouette) et poétique du dessin. Cela ressemble souvent à une sorte de court métrage d’animation. Lecture chaudement recommandée en tout cas !

26/02/2017 (modifier)
Couverture de la série Hel'Blar
Hel'Blar

Il y a des bandes dessinées sur lesquelles on tombe au petit bonheur la chance et où on perçoit d’instinct qu’elles vont nous conquérir sans difficulté, simplement en lisant le pitch, en feuilletant et zieutant quelques secondes sur les planches. On se dit « ça sent bon », puis ensuite, après lecture, on est tout simplement ravi de constater qu’on ne s'est pas trompé et qu’en plus, c’est largement mieux que ce qu’on présupposait. C’est l’effet que provoque cette nouveauté du clan Sierra qui débarque un peu dans l’anonymat sur la pointe des pieds, petit éditeur, sans gros moyens, mais dont l’entrée fracassante sera sûrement remarquée des amateurs de fantasy. Alors qu’il est de retour d’un fructueux raid, le jarl Harek et ses vikings ont le malheur de découvrir que leur village Lagarvik a été attaqué par cinq Draugar, des créatures immortelles issues du Helheim que personne ne s’imaginait réelles. Certains ont échappé au massacre, aussi Harek apprend que ses propres enfants et neveux ont été enlevés pour d’obscurs desseins. Selon la Völva, sa lignée serait maudite, de sombres forces se mettraient en marche, le compte à rebours est lancé. Parce que ce bain de sang ne saurait resté impuni et parce qu’il y a encore un espoir de sauver les siens et de déjouer le Wyrd (son destin), Harek rassemblent ses meilleurs guerriers. Le scénario n’est pas totalement original, « encore des vikings » répliqueront certains rabats-joie. Certes, mais c’est sans complexe et avec honnêteté que les auteurs affichent leurs références éparses principalement issues de la culture populaire : Aucune suffisance à admettre les inspirations cinématographiques comme Le 13ème Guerrier dans la composition du groupe, des jeux vidéo comme The Elder Scrolls Skyrim pour les Draugar vampires (Harek serait-il le Dovahkiin ? ^^ ), des romans comme les Marcheurs Blancs du Trône de Fer voir aussi des Unis (mi-homme mi-loup) de David Gemmell, du comics comme Northlanders, et même de la musique thrash metal nordique ainsi que de l’instrumental comme le compositeur de Conan le Barbare, Basil Poledouris, snobé aux Oscars. Cependant, pas de redite ni de patchwork répulsif et sans saveurs ici, les auteurs viennent jouer avec leurs propres billes et le background est encore trop brumeux pour qu’on puisse se livrer au petit jeu des pronostics. C’est cela qui est bon dans Hel’Blar, qu’est-ce que ça fait du bien de lire des auteurs qui savent de quoi ils parlent et qui comprennent les attentes des lecteurs fantasy d’aujourd’hui. Ici on cause entre passionnés, parce qu’il y en a marre des scénaristes qui rabâchent les mêmes vieilles histoires rances ersatz du Seigneur des Anneaux et qui ne sont publiés que parce qu’ils ont un nom et leur rond de serviette chez un éditeur. C’est tout à l’honneur des frères Sierra, ces Karls (hommes libres), d’avoir refusé certaines propositions pour écrire l’histoire qu’ils rêvaient. Mais une chouette histoire et de bons dialogues ne suffisent pas. Il fallait des graphismes à la hauteur et pour cela, Alex Sierra a réalisé un travail à faire pleurer les Ases. En toute franchise je n’ai pas été autant sur le cul depuis Siegfried d’Alex Alice. D’ailleurs si vous appréciez celui-ci, les graphismes d’Alex Sierra sont du même tonneau avec un style semi-réaliste d’une grande finesse, l’encrage permet de suggérer toute une palette d’émotions des personnages lorsqu’ils sont en arrière plan, cela joue admirablement bien sur les ombres, et comme si cela ne suffisait pas les couleurs déploient un faste, du flamboyant selon l’ambiance du moment. Saluons également le travail de recherche car il n’y a pas un visage qui ressemble à un autre, il est aisé de distinguer les 13 vikings dotés chacun d’un certain charisme, le passage fantasmagorique avec les Nornes (équivalent des Moires grecques) est renversant. On est vraiment trop gâté sur certaines compositions où il parvient à mettre du rythme dans les scènes d’action tout en les ponctuant de dessins en pleine page franchement jouissifs. Je ne me suis toujours pas remis du passage de Leif invoquant tour à tour le « cyclone » des corbeaux d’Odin ni du grand « flash » de la foudre de Thor (« VOUS NE PASSEREZ PAS ! »), et encore moins des passages inspirés des mangas de baston (ou des comics de super héros au choix) comme DBZ où ça se met méchamment sur la tronche. J’ai rarement été aussi enthousiaste sur une nouveauté, et pourtant je ne suis pas édinaute (édition basée sur le crowdfunding), fâcheusement arrivé après la bataille. Mais qu’Heimdall le père des hommes m’en soit témoin, pour la suite j’en serai. Skål !

25/02/2017 (modifier)
Par Blue Boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Famille Fun
La Famille Fun

Surtout, ne vous fiez pas au graphisme typiquement « cartoon » de cette BD qui semble s’adresser aux enfants de sept ans ! Et si le titre vous laisse penser que vous allez vous payer une bonne tranche de rigolade, ce n’est peut-être pas tout à fait de la façon que vous imaginez… Car sous ses atours bien trop lisses pour être honnêtes, « La Famille Fun » comporte aussi un humour terriblement grinçant ! Comme si ses petits personnages tout en rondeur cherchaient à vous attendrir pour mieux vous déstabiliser ensuite… A l’image de son auteur, car quand vous voyez Benjamin Frisch pour la première fois, vous lui donneriez le bon dieu sans confession. Et pour lui qui est américain, il ne risque pas de se faire beaucoup d'amis parmi les instances morales et religieuses de son pays, dont la bigoterie est proverbiale. A sa manière, Frisch se moque des codes sociaux et religieux en se livrant à un dézingage subversif - soft mais implacable - de la famille américaine type représentée par notre famille Fun. Et dans cette famille, la vie ne restera un long fleuve tranquille que pendant les trois premières pages, jusqu’à la mort de « Mamie Virginia ». A partir de là, tout va partir en vrille, le père Fun va sombrer dans la déprime, conduisant son épouse à quitter le foyer en emmenant avec elle la moitié des enfants, puis à goûter quasi outrageusement à sa liberté retrouvée. Du coup c’est Robert, le fils aîné mais encore haut comme trois pommes, qui va s’improviser chef de famille, préparer les repas, tenir la maison, et reprendre le job de dessinateur de son géniteur pour nourrir ce dernier et sa jeune sœur Molly, et qui plus est payer la pension alimentaire de la mère ! Et comme si tout cela ne suffisait pas, Molly se met à avoir des visions angéliques de la grand-mère tout juste décédée. Depuis l’au-delà, cette dernière va lui susurrer des paroles doucereuses qui vont en faire progressivement une fanatique, ne faisant qu’accentuer cette spirale de folie incontrôlable. A la lecture, c’est à la fois étrange, hystérique, extravagant, cruel et jubilatoire. C’est surtout totalement imprévisible, et au final moins « fun » que désabusé voire pessimiste quant à la nature humaine. Benjamin Frisch ne se contente pas de saborder les valeurs familiales, mais s’en prend également à la religion et aux psychologues-gourous du développement personnel – apparemment une spécialité américaine -, en somme tout ce qui est susceptible de laver les cerveaux et générer les névroses les plus spectaculaires. Bref, l’objet a quelque chose d’inédit et c’est bien ce qu’on aime dans toute création artistique. Indubitablement, une première œuvre originale par un auteur à suivre.

25/02/2017 (modifier)
Par vidal
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Calcutta
Calcutta

Magnifique d'humour et d’autodérision car vu le nom de l'écrivain c'est un indien ! J'ai appris plein de choses sur l'Inde les mœurs et us et coutumes très étranges pour nous occidentaux comme le malheur et le déshonneur de mourir chez soi !!!!

24/02/2017 (modifier)
Couverture de la série Les Mange-bitume
Les Mange-bitume

Voilà un album que je recherchais depuis pas mal de temps, en ayant beaucoup entendu parler – et en bien. Publié au début des années 1970, cet album est par certains côtés sacrement « daté ». Et en particulier par le dessin et surtout la colorisation, typiques de cette période. Le sujet ensuite. Dès le prologue, on sent le contexte de la fin des Trente glorieuses et des années Pompidou, avec la modernisation du pays, et en particulier les infrastructures de transport (c’est le moment de la construction du périphérique de Paris par exemple). Ce prologue nous lance peu à peu dans une sorte d’anticipation « modérée » des développements de la civilisation de l’automobile, pour en arriver à une situation où tout se passe sur la route, chacun errant sans cesse sur les rubans d’autoroute, vivant dans des « cars » (un peu comme dans un sketch de Raymond Devos). S’ensuivent plusieurs petites histoires, montrant l’absurdité, la froideur de ce monde dans lequel nul ne sort plus du rang – et de sa voiture. Je regrette juste des commentaires off trop verbeux, un peu lourds. Mais pour le reste, c’est vraiment un album intéressant. D’abord par sa dénonciation – par l’absurde (et parfois quelques moments de poésie et d’humour un peu noir) de la civilisation de l’automobile. Mais cela va aussi plus loin, en s’attaquant à la société de consommation, plus généralement, chaque automobiliste n’étant plus qu’un consommateur captif, voyageant et/ou achetant, consommant sans état d’âme ni volonté propre. Enfin, l’une des histoires (la plus longue) est une critique très bien faite du fonctionnement de la démocratie, qui écarte les vrais débats au profit d’autres complètement annexes, et qui fait croire aux électeurs qu’ils décident vraiment de choses que d’autres (ici des machines) décident en fait pour eux. La prise de pouvoir finale par les machines est un amusant pied de nez à cette civilisation du consommateur automobiliste, sensé acquérir sa liberté (de déplacement entre autres) grâce à l’outil qui pourtant l’asservit. Après un prologue faisant l’apologie (ironique) du progrès, la chute est un amusant contrepied ! Pas facile à trouver –et pas toujours en bon état, comme souvent pour cette collection de Dargaud, très fragile – cet album est clairement à redécouvrir. Note réelle 3,5/5.

23/02/2017 (modifier)
Couverture de la série Je, François Villon
Je, François Villon

A partir d'un roman truculent, rempli d'une poésie souvent morbide, Critone adopte un trait un peu moins soigné que dans Sept Missionnaires, use du lavis et de couleur directe selon l'ambiance qu'il veut donner à ce récit ; il réussit un brillant hommage au poète-brigand du XVème siècle qui savait mieux que personne manier l'art de la ballade, comme La Fontaine sera 2 siècles plus tard maître de la fable, personne ne l'égalera dans ce domaine. Villon m'a fasciné très jeune alors que j'étais ado, et dernièrement, je lui ai consacré une conférence pour mon association. Poète au verbe brillant qui fréquentait les tavernes, les bordels, et s'acoquinait avec de sinistres assassins et détrousseurs dont certains finiront au gibet de Montfaucon, il a connu plusieurs fois le cachot où il composait ses poésies qui parlaient du peuple, des truands et des putains qu'il connaissait, et où planait son obsession de la mort et de la pourriture (la ballade des Pendus en témoigne). Il a heureusement échappé à chaque fois à l'issue fatale grâce à ses appuis dans le clergé et surtout des princes de sang royal (dont Charles d'Orléans) qu'on ne voit pas encore dans cet album. Sa vie fut donc étrangement partagée entre la rue et les fastes de la cour de Blois. J'ai visité le cul-de-basse-fosse du château de Meung-s/Loire, et je me suis toujours demandé comment un type comme Villon, de constitution chétive, avait pu survivre dans ce trou infect pendant 6 mois, avant d'être libéré sur les bonnes grâces de Louis XI qui venait à passer dans la ville, nouvellement couronné en 1461. C'est après cette date qu'on perd la trace du poète, définitivement et mystérieusement, suite au bannissement définitif qui le chasse de Paris en raison d'un ultime larcin qui a mal tourné ; cette disparition , ce silence s'ajoute à la fascination que l'on éprouve pour Villon. Aussi, raconter cette vie de beaux vers noyés dans la débauche et le crime, était donc un challenge délicat pour Critone, d'autant plus qu'il n'est pas Français ; le sujet était en même temps difficile à cause des vers en vieux français qui peuvent rebuter plus d'un lecteur. Lorsqu'on lit une édition poche de ses vers, il faut qu'elle comporte un décryptage et une bonne traduction. L'ampleur du roman de Teulé était en elle-même difficile à retranscrire en bande dessinée ; le texte est respecté, mais la narration est celle de la BD, l'image remplace l'écrit quand elle lui est supérieure, aussi ceux qui ont lu le livre, ne seront pas gênés par cette adaptation. Critone communique au lecteur son plaisir évident qu'il a de décrire cette vie dissolue, fondée sur une bonne instruction au départ, grâce au bon chanoine qui lui sert de père, et où la beauté côtoie l'horreur. Et encore, ce tome 1 ne montre pas le pire ; pendaison, mutilation, prostitution, vol... tout y passe, mais sans exagération et sans voyeurisme, le dessinateur ayant édulcoré certains passages du livre plus crus. Le tome 2 fut long à venir, car depuis 2011, je commençais à désespérer. Villon connait les périodes les plus sombres de sa vie mais aussi une agréable période consacrée à la poésie. ll rencontre Colin de Cayeux qui l'initie et le fait entrer dans la confrérie des Coquillards, résidus des mercenaires issus de la Guerre de Cent Ans et dont on n'a plus besoin ; c'était de sinistres assassins et détrousseurs dont beaucoup iront se balancer à Montfaucon. Après des peccadilles et les désordres carnavalesques d'étudiant au quartier Latin, le poète entre de plain pied dans le crime, le vrai. Il se passe plusieurs choses dans ce tome : d'abord cette intronisation, puis le meurtre du prêtre débauché Philippe Sermoise à propos d'une catin, le vol du Collège de Navarre, puis le départ pour Angers afin de se faire oublier, où il se rend à la cour du roi René. A partir de là, c'est sa période la plus faste, il fréquente les princes, puisqu'après, il se rend à Blois à la cour de Charles d'Orléans (père du futur Louis XII) qui lui impose comme thème poétique, le fameux vers "Je meurs de soif auprès de la fontaine" qu'il doit compléter. Ce poème est livré en entier ici, il est charmant. Le récit s'arrête lorsqu'il quitte cette cour, et le tome 3 s'attache aux dernières années de Villon, entre 1457 et 1461, plus précisément l'année 1461 qui est la dernière sur ce qu'on sait du poète. Le récit s' enrichit et devient plus resserré, Villon est confronté à la torture d'abord dans le cul de basse fosse de Meung (d'où il est sauvé par Louis XI devenu le nouveau roi de France), puis au Châtelet où ses complices sont pendus, tandis que sa demande d'appel est entendue et sa condamnation est commuée en bannissement. Ces 2 épreuves l'ont rendu amer, il règle des comptes car il en profite pour écrire avant son départ le Testament qui sera son ultime oeuvre poétique en forme de repentance, qui s'exprime à travers le mot " merci " qui voulait dire "pitié" à cette époque. Au niveau graphique, Critone a peaufiné son trait que j'ai trouvé plus doux et plus travaillé, il tranche avec celui du tome 1, ses pleines pages de Paris sont superbes à détailler, les monuments sont plus soignés et bien reproduits, notamment l'extérieur du Châtelet et le château de Meung. La fin qui voit Villon quitter Paris et se retrouver en pleine campagne, cheminant vers l'inconnu et un destin qu'on devine mélancolique ou chaotique, est très belle. Ma note reste donc inchangée, c'est un triptyque un peu décalé, différent d'un biopic historique traditionnel, la part de réel et d'aventure mélangés aux textes du poète, donnent un récit étrange et en même temps prenant.

18/06/2014 (MAJ le 22/02/2017) (modifier)