Descender aurait pu n’être qu’un space-opera comme il en existe tant. On retrouve en effet dans ce récit les éléments essentiels du genre : une flopée de personnages d’importance (comptez-en une bonne dizaine), des mondes multiples et variés, des combats spatiaux, une lutte entre les ‘organiques’ et les ‘technologiques’, un personnage central objet de toutes les convoitises et catalyseur des passions.
Oui, Descender aurait pu n’être que cela… et ç’aurait déjà été pas mal. Sauf que ses deux auteurs ont, grâce à leurs talents respectifs, su placer la série un cran plus haut.
Au niveau du dessin, Dustin Nguyen nous propose un rendu personnel et original. Je trouve passablement injuste de traiter ce travail de brouillon ou de ne voir que de simples esquisses là où chaque planche est une peinture. Et si les arrière-plans des scènes se déroulant dans des vaisseaux peuvent choquer par leur blancheur, ce choix se justifie pleinement puisque nous sommes à l’intérieur de vaisseaux à l’éclairage clinique et froid. Après, c’est une question de goût et je peux parfaitement comprendre que ce style ne charme pas tout le monde. A titre personnel, j’ai beaucoup aimé, justement parce que c’était différent de ce que l’on m’offre d’habitude, tout en restant soigné, fignolé, très lisible, expressif et typé. Bien dans la ligné de ce que propose Jeff Lemire quand il est aux pinceaux (et je le soupçonne d’avoir réalisé beaucoup de croquis préparatoires) mais avec un rendu plus abouti et plus de profondeur dans les planches.
Au niveau du scénario, Jeff Lemire excelle une fois de plus dans la construction de ses personnages, classiques et complexes à la fois. Un des personnages essentiels de ce récit, personnage auquel en tant que lecteur nous sommes amenés à nous identifier, est lâche, faible et menteur. C’est, je trouve, hyper-casse-gueule de partir dans ce genre d’aventure avec un tel personnage comme ‘héros’, d’autant plus qu’il ne compense pas ses faiblesses par un sens de l’humour imparable ou une belle gueule… et pourtant ce personnage me touche. Je l’aime et le déteste à la fois : il est humain. Multipliez ce type de profil par 10, ajoutez des rôles secondaires marquants et vous comprendrez ma fascination pour le panel de personnages proposés.
Au niveau de la mise en page, le travail du duo est impressionnant. Structures en flash-backs, chapitres sans paroles où trois actions se déroulent dans trois lieux différents sur le même laps de temps, sauts constants d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre… et pourtant tout cela reste d’une simplicité de compréhension remarquable. J’ai aimé ce renouvellement constant, j’ai aimé les multiples recoupements qu’offre ce scénario… et j’ai adoré le fait que tout reste toujours d’une grande lisibilité. Pas besoin de revenir en arrière pour comprendre un passage, pas besoin d’avoir fumé un joint pour entrer dans un délire d’auteur, tout est ‘simple’, bien raconté et profondément humain.
Enfin, le final est à la hauteur de mes espérances… même s’il annonce un nouveau cycle (sous la forme d’une nouvelle série). Car il s’agit bel et bien d’une vraie fin, conforme à l’esprit de la série, belle et triste à la fois.
Je suis rentré dans Descender en me disant que c’était pas mal. J’en sors totalement conquis.
Deux femmes est un manhwa coréen que je m’empresserais de conseiller à tous les amateurs de romans graphiques, et surtout aux lecteurs réticents à se lancer dans ces récits venus d’Asie ! Parce que, cornebique, c’est exactement le genre de récit qui peut permettre à un certain lectorat de passer du genre européen au genre asiatique sans ressentir aucune douleur. En fait, s’il n’y avait le contexte de cette histoire, je pense même qu’une majorité de lecteurs ne remarqueront pas de différences techniques entre cet album et un album européen. Même sens de lecture, un trait dépouillé et expressif mais sans tomber dans la caricature agressive, une ambiance générale bien posée, une lente progression narrative : c’est non seulement du beau travail, mais aussi fort similaire à celui que réalisent les auteurs du genre en Europe ou ailleurs.
Le thème du livre est d’ailleurs universel puisqu’il nous parle de la situation féminine, en Corée dans le cas présent mais cette situation n’est fondamentalement pas vraiment différente de la situation en Europe ou aux Etats-Unis, sociétés traditionnellement bâties sur une dominance de l’homme et un statut de la femme active encore précaire. Et au travers de ses deux personnages, Song Aram va nous dresser un tableau réaliste et humble du statut actuel et du mal-être des jeunes femmes coréennes d’aujourd’hui.
Pourtant il s’agit bien d’une œuvre asiatique, et je l’ai ressenti dans la justesse du ton employé. Song Aram analyse ses personnages avec un recul qui peut ressembler à de la froideur. Ses deux personnages, alors qu’elles sont amies, ignorent beaucoup d’aspects de la vie de l’autre. Il y a dans l’approche de l’autre et la manière de se dévoiler une pudeur, une distanciation, une réserve qui passent souvent pour de la froideur aux yeux d’un Occidental mais qui sont avant tout des marques de respect… qui ne sont pas sans conséquences puisqu’elles peuvent entraîner certaines incompréhensions entre les personnages. Ce récit est d’une grande finesse, sa lente progression et sa construction nous permettent de saisir ces deux personnages dans leurs contradictions. C’est non seulement un beau récit mais aussi une belle occasion de saisir l’état d’esprit de ces jeunes Coréennes.
Bon, je m’arrête là parce que je vais finir par vous saouler. Mais si vous aimez les romans graphiques, je n’ai qu’un conseil à vous donner : foncer !
Une BD que je note large, mais plus parce que son sujet est important. Car oui, en vrai cette BD est à mon sens assez raté sur certains points, et je préfère commencer par eux.
Déjà, le dessin n'est franchement pas agréable. C'est souvent moche et pas très clair dans les cases, sans compter que le texte est prépondérant dans la BD, au point que j'ai du mal à la qualifier d'adaptation. C'est presque du littéral illustré, à ce stade-là.
Et justement, c'est ce que je trouve dommage : la bande-dessinée semble être utilisée ici comme moyen de communication mais sans en exploiter les avantages. C'est purement et simplement une transcription chapitres par chapitres du livre de Howard Zinn. Rien de plus, pas de tentatives de rendre ceci plus accessible par le dessin et la mise en page. C'est du gâchis de l'utilisation de la BD, et je trouve ça dommage.
Mais alors, pourquoi noter tellement bien une telle BD, me diriez-vous ? Eh bien parce que cette BD a le mérite de tenter de populariser quelque chose que j'admire beaucoup et pour lequel je me bat depuis des années également : l'histoire populaire.
Ce n'est pas si fréquent que ça de voir de la vulgarisation de l'histoire populaire, l'histoire qui va à l'encontre de celle qui est dite officielle, celle qu'on apprends par cœur sur les bancs de l'école et qu'on nous ressert à la télévision (que ce soit avec Stephane Bern ou le petit nouveau Laurent Deutsch). Une histoire des gens d'en bas, du peuple, de nous quoi. Une histoire qui prend à parti de dénoncer toutes les exactions des puissants, mais aussi tout ce qui a agité les masses. Incarné pendant un moment par Henri Guillemin chez nous, cette histoire qui tente de comprendre autrement les évènements du siècle à toute son importance aujourd'hui, et peut-être même plus d'importance. A l'heure de l'information facilement accessible, de la télé qui ne prend plus la peine de chercher une vérité, il y a encore des historiens et des historiennes qui travaillent à une compréhension du monde qui ne passe pas juste par les dirigeants. Et c'est là tout le travail derrière ce livre.
On pourrait se demander pourquoi ne pas lire tout de suite le livre, et je vous répondrais que c'est sans doute une bonne idée (bien que ne l'ayant pas lu moi-même), mais le passage par la bande-dessinée permettra peut-être à certains, dubitatif devant un pavé littéraire, de tenter la lecture. Et je trouve cela très sain, justement, de voir une lecture très différente de l'Histoire. Une lecture qui nous laisse apparaitre et tente de nous mettre en avant, la majorité silencieuse. C'est une lecture qui fait prendre conscience de notre place dans l'Histoire, qui existe, et qui peut aussi nous autoriser à penser différemment le monde. Nous sommes légitimes à le changer, et il n'est pas obligatoire d'être président ou ministre pour provoquer quelque chose. Et avec les nombreux débats qui fleurissent aujourd'hui, ce genre de livres a une place plus qu'essentielle : il est important.
Voilà sans doute le plus bel OVNI qui nous soit tombé dessus depuis quelques temps ! Et pour du lourd on prend du lourd ! Car hormis ces quelques 400 pages et des poussières, Emil Ferris nous plonge subrepticement dans un univers décalé qu'il va falloir apprivoiser au fil des pages, tant graphiquement que narrativement.
Son histoire prend place dans un Chicago des années 60 à travers les yeux de Karen Reyes, jeune fille de dix ans, qui voit des monstres un peu partout et se prend elle même pour un loup garou. Le suicide d'une de ses voisines auquel elle ne croit pas va la conduire à mener l'enquête dans son entourage...
Voilà un pitch bien singulier qui n'est pourtant que l'arbre qui cache la forêt d'une imagination débridée mais maîtrisée. Car malgré l'impression de touffeur qui pourrait sembler prendre le dessus au simple feuilletage de l'album (je vous mets au défi de trouver un espace suffisant pour une dédicace !), on est vite subjugué par l'histoire de cette jeune fille et le graphisme qu'impose Emil Ferris. Composé sur une trame de feuillets perforés avec des lignes, ses planches dessinées tout au crayon bic sont d'une rare beauté ! Que ce soit ses nuances de noir ou ses mélanges de couleurs audacieux, certaines de ses planches m'ont littéralement scotché !
Ce n'est certainement pas un hasard que cet album ait déjà été primé à maintes reprises au fil de cette année, tant il ne peut laisser indifférent. Après, c'est typiquement le genre d'album dans le quel on rentre ou on ne rentre pas, il n'y a pas d'entre deux. Alors avant de vous lancer dans son achat, jetez-y un œil pour vous en faire une idée, mais cela reste pour moi un de albums les plus audacieux et envoutant de l'année !
Ah, la voilà, la première série jeunesse réalisée par Chandre ! Il y a dans le trait de ce dessinateur une malice, une rondeur, qui le prédisposent à réaliser des récits pour les jeunes. Une clarté dans le trait, dans la gestion des couleurs, aussi.
Il le prouve donc de manière éclatante avec Séverin Blaireau, l'histoire de ce personnage débonnaire et intelligent qui rend service à son prochain. Ici il s'agit d'une jeune pirate, dont le galion s'est échoué dans la forêt, après qu'elle ait oublié le chemin pour repartir... Simple sur le papier, cette histoire est pourtant bien menée, sans temps mort, on ne lâche pas le livre jusqu'à sa conclusion.
Même s'il ne donne pas toute sa générosité, sa maturité dans ce récit jeunesse, le sens de la mise en scène de Chandre (la pleine page où l'on découvre le bateau !) permet d'en prendre plein les yeux. Les préados adorent.
A bientôt pour de nouvelles aventures avec Séverin Blaireau !
Située dans la petite ville de Colville de l'Ontario du Canada, David est un adolescent à problèmes en conditionnelle suite à un cambriolage raté.
Il lui faudrait un dernier coup pour changer sa vie de ce bled pourri et s'enfuir loin d'ici avec sa petite amie Tracy. Une seule issue pour éditer le comics qu'il a lui même dessiné et changer enfin de vie : accepter une dernière embrouille en volant une moto cross au hells angels local et la revendre au plus vite pour empocher 1000 dollars salutaires.
Mais rien n'est rose à Colville et rien ne va se dérouler comme prévu...
À l'origine de ce récit noir, Steven Gilbert est un fan absolu de comics et surtout un autodidacte. Le récit entamé il y a plus de 20 ans ne faisait que 64 pages et restait en soi inachevé malgré une conclusion déjà bien sombre et plus de nouvelles de l'auteur devenu libraire entre temps.
Un éditeur italien convaincu de la qualité de cet ouvrage raviva les espoirs de Steven Gilbert qui le compléta d'une centaine de pages additionnelles. C'est aujourd'hui cette édition intégrale augmentée que le tout nouvel éditeur Revival propose au public francophone.
Restons honnêtes, si la couverture et les premières pages n'attirent guère l'attention par un dessin noir et blanc hachuré et aux proportions de personnages non respectées, l'intérêt grandit au fur et à mesure. Les cases bien souvent muettes trouvent davantage de saveur dans l'exposition de décors silencieux couvrant la petite ville de Colville. Gilbert parvient à trouver un souffle salvateur dans la description d'un quotidien de paille au travers de personnages perturbés et perturbants trahissant ses influences, le Blue Velvet de David Lynch n'est jamais loin ainsi que les influences assumées de Charles Burns et de Daniel Clowes.
Sans en égaler le talent, Colville ne manque aucunement de qualité pour qui acceptera volontiers de s'immerger dans un récit dont l'issue semble fatale dès les premières pages. Il s'agit avant tout d'une question d'ambiance et de points de vue au travers de sombres personnages qui vont se révéler au fur et à mesure du récit...
Hommage également à Nick Cave dont le récit partage la mélancolie et à Brian de Palma pour ses histoires à tiroir, Colville rappelle les années 90 sans jamais les dénaturer (voir l'utilisation du téléphone dans des cabines qui revient plusieurs fois dans le récit) mais propose également de nombreuses scènes violentes à ne pas mettre devant tous les yeux par le biais d'un psychopathe amateur de snuff movies.
La fin n'en sera que plus cruelle malgré une toute petite lueur d'espoir disséminée dans les dernières planches.
Pourvu de décors écrasants et d'un éclairage étouffant, Colville se révèle comme une bien belle surprise dans un registre pourtant bien représenté dans le 9ème art.
Davantage COLDville que COOLville, le récit sort clairement des sentiers battus et mérite grandement d'être découvert ou redécouvert.
Leif Tande est un auteur canadien que j’aime beaucoup, et qui publie pas mal de choses proches des idées de l’Oubapo (c’est sans doute ça qui m’attire le plus chez lui). Il réussit en tout cas la plupart du temps à produire des albums vraiment sympas, en jouant sur ou avec certaines contraintes.
Avec ce « Morlac », nous retrouvons quelque chose proche par certains côtés du Sens de Marc-Antoine Mathieu ou du Vanille ou chocolat ? de Jason Shiga.
C’est un album relativement épais (dans les 150 pages), totalement muet, une sorte d’empilement de cases à première vue jetées au hasard comme les pièces d’un puzzle (manque le mode d’emploi) : il peut donc se lire assez vite. Mais si l’on accepte de jouer le jeu de Tande, d’entrer dans sa narration ludique, alors la lecture peut nous occuper pas mal de temps. D’autant plus qu’il n’est pas interdit de « tricher » un peu parfois, en optant pour une case voisine de celle qui devait être lue.
Car en fait il faut lire une case par page, suivre la direction la page suivante, et poursuivre l’aventure – qui le plus souvent se finit mal pour le petit personnage vêtu de Noir – chapeau melon compris. Plus que l’histoire elle-même, c’est donc l’aspect ludique, le côté « je décide moi-même du scénario » qui fait l’intérêt de cet album assez complexe et très original (les amateurs d’Oubapo et de Leif Tande – dont je suis – apprécieront sans aucun doute ce petit bijou).
Sept ans après son chef d’œuvre « Kililana Song », Benjamin Flao nous revient avec une « vraie » BD. Autant dire qu’il était attendu au tournant…
Et on peut l’affirmer sans faux-semblants, c’est un retour réussi, malgré une fin un peu décevante ! D’emblée, nous sommes plongés dans un univers très singulier, qui sous le pinceau de Flao, atteint une dimension grandiose. Le décor : un mélange perturbant de réalisme burlesque et d’onirisme exubérant, juste fascinant à regarder.
On le comprend assez vite même si cela n’est pas dévoilé d’emblée, c’est le purgatoire d’un homme qui est raconté ici. Cet homme, Achille, se retrouve dans un paysage post-apocalyptique quasiment inhabité où il doit trouver de l’essence, de plus en plus rare, pour pouvoir continuer à piloter sa voiture de sport à travers des étendues désertiques, parsemées de bâtiments crasseux, ruines en devenir. A ses côtés, un ange gardien au féminin qui va l’aider à chercher en lui-même les raisons de son arrivée dans ce monde intermédiaire, qui au fil du récit s’avérera n’être qu’une vaste prison à ciel ouvert. Mais si ce statut de fantôme semble lui convenir, dans la mesure où il peut assouvir sa passion des belles cylindrées (même s’il faut constamment se mettre en quête de carburant), ce road trip qui n’est en réalité qu’une fuite ne finira- t-il pas par atteindre son point de lassitude ? Pour en sortir, Achille sera condamné à faire son examen de conscience, à admettre ses failles et ses lâchetés, mais pas seulement, car il découvrira aussi le courage dont il fut capable pour l’amour d’une femme.
De par l’originalité de sa narration et de sa thématique, trop rarement abordée en fiction, ce tourbillonnant huis-clos en extérieur est franchement captivant. Une expérience comparable à un jeu vidéo où notre héros doit surmonter une foule d’obstacles, traverser des lieux labyrinthiques, aborder des personnages baroques et énigmatiques, dans un décor toujours changeant. Et c’est ainsi qu’on réalise ainsi la richesse du trait de Benjamin Flao, capable de produire de magnifiques planches, plus proches graphiquement de « Kililana Song », tout en lorgnant vers le style franco-belge, plus naïf mais parfait pour représenter les belles voitures d’une époque révolue et symboliser le côté immature d’Achille. On songe alternativement à Hergé, Franquin, Moebius… On appréciera les divers clins d’œil (notamment l’apparition de Gilles Villeneuve, le coureur canadien devenu ici artiste reclus et alcoolique).
Dans les dernières pages, le récit va si l’on peut dire revenir sur Terre, bifurquant de façon plus conventionnelle vers le thriller - un poil sanglant et assorti évidemment d’une course-poursuite. La fin laissera au lecteur une vague impression de bâclage, comme si le scénario avait dû être comprimé soudainement pour rentrer dans un format « one-shot ». C’est un peu dommage, même si cela ne remet pas en question la prouesse accomplie ici par Benjamin Flao et Fred Bernard. Nous, lecteurs humains masochistes, avions peut-être tout simplement le désir inconscient de voir cet extravagant purgatoire extra-terrestre se prolonger…
Beaucoup d’avis parlent de « trop peu », mais moi, j’ai adoré cette grande épopée très « road movie ».
Je suis tout d’abord tombé amoureux du dessin, sur la couverture, mais aussi à l’intérieur. J’adore les visages des personnages, les grands paysages alpins, et le style hachuré qui renforce bien la dureté des éléments mais aussi de l’époque.
Et j’ai trouvé l’histoire très juste. Au travers ce qui aurait pu être une bête échappée, l’auteur nous révèle un contexte historique passionnant (voir le complément informatif en fin d’album) sur fond d’après-guerre et de féminisme naissant. La situation des femmes est consternante (« c’est bien gentil d’avoir bossé pendant la guerre, merci, mais maintenant il faut repeupler la France mesdames »). Blanca est un personnage fort, implacable, mais qui doute malgré tout, et flanche par moment… je m’y suis beaucoup attaché.
La fin m’a plu, une porte ouverte vers d’autres aventures (voir La Vallée du Diable). Un excellent moment de lecture en ce qui me concerne.
Avant toutes choses, j’ai un aveu à faire : Blue Boy, je t’aime !!!!!!
Parce que sans son avis, au Blue Boy, je serais très certainement passé à côté de cet album. De prime abord, le dessin me semblait moche, le scénario d’une platitude parfaite, le sujet… en fait, je ne voyais même pas de sujet. Et puis vint Angoulême, la possibilité de me faire dédicacer l’album (assez horrible la dédicace, ceci dit en passant… mais son auteur, lui, est incroyablement sympathique), le souvenir de l’enthousiasme de Blue Boy et la conviction que lui et moi avons des goûts forts similaires pour ce registre littéraire. Il n’en fallait pas plus : j’ai craqué.
Courtes distances est un pur roman graphique, qui explore l’âme humaine sans avoir l’air d’y toucher, nous parlant de notre époque, de notre société sur un ton léger. Le personnage central -et narrateur- n’a jamais rien réussi dans sa vie. Après avoir abandonné ses études, avoir lancé sans succès une activité en freelance, il rentre à 27 ans chez sa maman. Décidé à avancer dans sa vie et à ne plus stresser son entourage, il opte pour la normalisation, est prêt à accepter n’importe quel travail et à s’en accommoder. Nous sommes clairement dans ce passage de l’enfance à l’âge adulte où les rêves d’hier doivent céder le champ aux réalités économiques d’aujourd’hui.
Seulement voilà, le boulot qu’il va trouver (qui va même lui être offert sur un plateau d’argent) n’a non seulement aucun intérêt mais, de plus, va l’obliger à passer énormément de temps à écouter son mentor. Un mentor empli de bonnes intentions –mais incapable de déléguer quoi que ce soit- aussi bavard que son disciple est taiseux, qui, lui, est à l’autre bout de la route de la loose. Solitaire, il n’a qu’un chien comme compagnon, la réunion Rôtisserie comme seule sortie bimensuelle et un boulot pour lequel il ne semble vraiment pas avoir besoin d’un assistant comme principale occupation.
Face à ce vide total, l’auteur parvient à nous raconter une histoire pleine. Il bouche chaque creux, chaque vide grâce aux observations de son narrateur. Tout ce qui paraissait sans intérêt devient touchant vu au travers du prisme de l’auteur. L’idiot du village, un vieux panneau rouillé, une Audi A4 avec conduite à gauche, des poils de nez, tout devient matière à réflexion pour peu que l’on se donne le temps d’observer. Et ce dessin que je trouvais moche, j’ai fini par le qualifier de quasi-génial tant son côté caricatural permet d’insister sur, justement, ces petits détails qui font tout le sel de ce récit.
Ajoutez à cela que la fin de l’album m’a touché et vous comprendrez mon enthousiasme. Franchement, cette lecture aura été un immense moment de plaisir pour moi et je ne regrette pas d’avoir investi les 24.00 € dans son achat. Il ne s’y passe rien sinon un long et lent processus de mûrissement mais, pute borgne, que c’est bien fait ! Cet album nous parle autant de l’inutilité de la vie que de sa beauté.
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Descender
Descender aurait pu n’être qu’un space-opera comme il en existe tant. On retrouve en effet dans ce récit les éléments essentiels du genre : une flopée de personnages d’importance (comptez-en une bonne dizaine), des mondes multiples et variés, des combats spatiaux, une lutte entre les ‘organiques’ et les ‘technologiques’, un personnage central objet de toutes les convoitises et catalyseur des passions. Oui, Descender aurait pu n’être que cela… et ç’aurait déjà été pas mal. Sauf que ses deux auteurs ont, grâce à leurs talents respectifs, su placer la série un cran plus haut. Au niveau du dessin, Dustin Nguyen nous propose un rendu personnel et original. Je trouve passablement injuste de traiter ce travail de brouillon ou de ne voir que de simples esquisses là où chaque planche est une peinture. Et si les arrière-plans des scènes se déroulant dans des vaisseaux peuvent choquer par leur blancheur, ce choix se justifie pleinement puisque nous sommes à l’intérieur de vaisseaux à l’éclairage clinique et froid. Après, c’est une question de goût et je peux parfaitement comprendre que ce style ne charme pas tout le monde. A titre personnel, j’ai beaucoup aimé, justement parce que c’était différent de ce que l’on m’offre d’habitude, tout en restant soigné, fignolé, très lisible, expressif et typé. Bien dans la ligné de ce que propose Jeff Lemire quand il est aux pinceaux (et je le soupçonne d’avoir réalisé beaucoup de croquis préparatoires) mais avec un rendu plus abouti et plus de profondeur dans les planches. Au niveau du scénario, Jeff Lemire excelle une fois de plus dans la construction de ses personnages, classiques et complexes à la fois. Un des personnages essentiels de ce récit, personnage auquel en tant que lecteur nous sommes amenés à nous identifier, est lâche, faible et menteur. C’est, je trouve, hyper-casse-gueule de partir dans ce genre d’aventure avec un tel personnage comme ‘héros’, d’autant plus qu’il ne compense pas ses faiblesses par un sens de l’humour imparable ou une belle gueule… et pourtant ce personnage me touche. Je l’aime et le déteste à la fois : il est humain. Multipliez ce type de profil par 10, ajoutez des rôles secondaires marquants et vous comprendrez ma fascination pour le panel de personnages proposés. Au niveau de la mise en page, le travail du duo est impressionnant. Structures en flash-backs, chapitres sans paroles où trois actions se déroulent dans trois lieux différents sur le même laps de temps, sauts constants d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre… et pourtant tout cela reste d’une simplicité de compréhension remarquable. J’ai aimé ce renouvellement constant, j’ai aimé les multiples recoupements qu’offre ce scénario… et j’ai adoré le fait que tout reste toujours d’une grande lisibilité. Pas besoin de revenir en arrière pour comprendre un passage, pas besoin d’avoir fumé un joint pour entrer dans un délire d’auteur, tout est ‘simple’, bien raconté et profondément humain. Enfin, le final est à la hauteur de mes espérances… même s’il annonce un nouveau cycle (sous la forme d’une nouvelle série). Car il s’agit bel et bien d’une vraie fin, conforme à l’esprit de la série, belle et triste à la fois. Je suis rentré dans Descender en me disant que c’était pas mal. J’en sors totalement conquis.
Deux femmes
Deux femmes est un manhwa coréen que je m’empresserais de conseiller à tous les amateurs de romans graphiques, et surtout aux lecteurs réticents à se lancer dans ces récits venus d’Asie ! Parce que, cornebique, c’est exactement le genre de récit qui peut permettre à un certain lectorat de passer du genre européen au genre asiatique sans ressentir aucune douleur. En fait, s’il n’y avait le contexte de cette histoire, je pense même qu’une majorité de lecteurs ne remarqueront pas de différences techniques entre cet album et un album européen. Même sens de lecture, un trait dépouillé et expressif mais sans tomber dans la caricature agressive, une ambiance générale bien posée, une lente progression narrative : c’est non seulement du beau travail, mais aussi fort similaire à celui que réalisent les auteurs du genre en Europe ou ailleurs. Le thème du livre est d’ailleurs universel puisqu’il nous parle de la situation féminine, en Corée dans le cas présent mais cette situation n’est fondamentalement pas vraiment différente de la situation en Europe ou aux Etats-Unis, sociétés traditionnellement bâties sur une dominance de l’homme et un statut de la femme active encore précaire. Et au travers de ses deux personnages, Song Aram va nous dresser un tableau réaliste et humble du statut actuel et du mal-être des jeunes femmes coréennes d’aujourd’hui. Pourtant il s’agit bien d’une œuvre asiatique, et je l’ai ressenti dans la justesse du ton employé. Song Aram analyse ses personnages avec un recul qui peut ressembler à de la froideur. Ses deux personnages, alors qu’elles sont amies, ignorent beaucoup d’aspects de la vie de l’autre. Il y a dans l’approche de l’autre et la manière de se dévoiler une pudeur, une distanciation, une réserve qui passent souvent pour de la froideur aux yeux d’un Occidental mais qui sont avant tout des marques de respect… qui ne sont pas sans conséquences puisqu’elles peuvent entraîner certaines incompréhensions entre les personnages. Ce récit est d’une grande finesse, sa lente progression et sa construction nous permettent de saisir ces deux personnages dans leurs contradictions. C’est non seulement un beau récit mais aussi une belle occasion de saisir l’état d’esprit de ces jeunes Coréennes. Bon, je m’arrête là parce que je vais finir par vous saouler. Mais si vous aimez les romans graphiques, je n’ai qu’un conseil à vous donner : foncer !
Une Histoire Populaire de l'Empire Américain
Une BD que je note large, mais plus parce que son sujet est important. Car oui, en vrai cette BD est à mon sens assez raté sur certains points, et je préfère commencer par eux. Déjà, le dessin n'est franchement pas agréable. C'est souvent moche et pas très clair dans les cases, sans compter que le texte est prépondérant dans la BD, au point que j'ai du mal à la qualifier d'adaptation. C'est presque du littéral illustré, à ce stade-là. Et justement, c'est ce que je trouve dommage : la bande-dessinée semble être utilisée ici comme moyen de communication mais sans en exploiter les avantages. C'est purement et simplement une transcription chapitres par chapitres du livre de Howard Zinn. Rien de plus, pas de tentatives de rendre ceci plus accessible par le dessin et la mise en page. C'est du gâchis de l'utilisation de la BD, et je trouve ça dommage. Mais alors, pourquoi noter tellement bien une telle BD, me diriez-vous ? Eh bien parce que cette BD a le mérite de tenter de populariser quelque chose que j'admire beaucoup et pour lequel je me bat depuis des années également : l'histoire populaire. Ce n'est pas si fréquent que ça de voir de la vulgarisation de l'histoire populaire, l'histoire qui va à l'encontre de celle qui est dite officielle, celle qu'on apprends par cœur sur les bancs de l'école et qu'on nous ressert à la télévision (que ce soit avec Stephane Bern ou le petit nouveau Laurent Deutsch). Une histoire des gens d'en bas, du peuple, de nous quoi. Une histoire qui prend à parti de dénoncer toutes les exactions des puissants, mais aussi tout ce qui a agité les masses. Incarné pendant un moment par Henri Guillemin chez nous, cette histoire qui tente de comprendre autrement les évènements du siècle à toute son importance aujourd'hui, et peut-être même plus d'importance. A l'heure de l'information facilement accessible, de la télé qui ne prend plus la peine de chercher une vérité, il y a encore des historiens et des historiennes qui travaillent à une compréhension du monde qui ne passe pas juste par les dirigeants. Et c'est là tout le travail derrière ce livre. On pourrait se demander pourquoi ne pas lire tout de suite le livre, et je vous répondrais que c'est sans doute une bonne idée (bien que ne l'ayant pas lu moi-même), mais le passage par la bande-dessinée permettra peut-être à certains, dubitatif devant un pavé littéraire, de tenter la lecture. Et je trouve cela très sain, justement, de voir une lecture très différente de l'Histoire. Une lecture qui nous laisse apparaitre et tente de nous mettre en avant, la majorité silencieuse. C'est une lecture qui fait prendre conscience de notre place dans l'Histoire, qui existe, et qui peut aussi nous autoriser à penser différemment le monde. Nous sommes légitimes à le changer, et il n'est pas obligatoire d'être président ou ministre pour provoquer quelque chose. Et avec les nombreux débats qui fleurissent aujourd'hui, ce genre de livres a une place plus qu'essentielle : il est important.
Moi, ce que j'aime, c'est les monstres
Voilà sans doute le plus bel OVNI qui nous soit tombé dessus depuis quelques temps ! Et pour du lourd on prend du lourd ! Car hormis ces quelques 400 pages et des poussières, Emil Ferris nous plonge subrepticement dans un univers décalé qu'il va falloir apprivoiser au fil des pages, tant graphiquement que narrativement. Son histoire prend place dans un Chicago des années 60 à travers les yeux de Karen Reyes, jeune fille de dix ans, qui voit des monstres un peu partout et se prend elle même pour un loup garou. Le suicide d'une de ses voisines auquel elle ne croit pas va la conduire à mener l'enquête dans son entourage... Voilà un pitch bien singulier qui n'est pourtant que l'arbre qui cache la forêt d'une imagination débridée mais maîtrisée. Car malgré l'impression de touffeur qui pourrait sembler prendre le dessus au simple feuilletage de l'album (je vous mets au défi de trouver un espace suffisant pour une dédicace !), on est vite subjugué par l'histoire de cette jeune fille et le graphisme qu'impose Emil Ferris. Composé sur une trame de feuillets perforés avec des lignes, ses planches dessinées tout au crayon bic sont d'une rare beauté ! Que ce soit ses nuances de noir ou ses mélanges de couleurs audacieux, certaines de ses planches m'ont littéralement scotché ! Ce n'est certainement pas un hasard que cet album ait déjà été primé à maintes reprises au fil de cette année, tant il ne peut laisser indifférent. Après, c'est typiquement le genre d'album dans le quel on rentre ou on ne rentre pas, il n'y a pas d'entre deux. Alors avant de vous lancer dans son achat, jetez-y un œil pour vous en faire une idée, mais cela reste pour moi un de albums les plus audacieux et envoutant de l'année !
Séverin Blaireau
Ah, la voilà, la première série jeunesse réalisée par Chandre ! Il y a dans le trait de ce dessinateur une malice, une rondeur, qui le prédisposent à réaliser des récits pour les jeunes. Une clarté dans le trait, dans la gestion des couleurs, aussi. Il le prouve donc de manière éclatante avec Séverin Blaireau, l'histoire de ce personnage débonnaire et intelligent qui rend service à son prochain. Ici il s'agit d'une jeune pirate, dont le galion s'est échoué dans la forêt, après qu'elle ait oublié le chemin pour repartir... Simple sur le papier, cette histoire est pourtant bien menée, sans temps mort, on ne lâche pas le livre jusqu'à sa conclusion. Même s'il ne donne pas toute sa générosité, sa maturité dans ce récit jeunesse, le sens de la mise en scène de Chandre (la pleine page où l'on découvre le bateau !) permet d'en prendre plein les yeux. Les préados adorent. A bientôt pour de nouvelles aventures avec Séverin Blaireau !
Colville
Située dans la petite ville de Colville de l'Ontario du Canada, David est un adolescent à problèmes en conditionnelle suite à un cambriolage raté. Il lui faudrait un dernier coup pour changer sa vie de ce bled pourri et s'enfuir loin d'ici avec sa petite amie Tracy. Une seule issue pour éditer le comics qu'il a lui même dessiné et changer enfin de vie : accepter une dernière embrouille en volant une moto cross au hells angels local et la revendre au plus vite pour empocher 1000 dollars salutaires. Mais rien n'est rose à Colville et rien ne va se dérouler comme prévu... À l'origine de ce récit noir, Steven Gilbert est un fan absolu de comics et surtout un autodidacte. Le récit entamé il y a plus de 20 ans ne faisait que 64 pages et restait en soi inachevé malgré une conclusion déjà bien sombre et plus de nouvelles de l'auteur devenu libraire entre temps. Un éditeur italien convaincu de la qualité de cet ouvrage raviva les espoirs de Steven Gilbert qui le compléta d'une centaine de pages additionnelles. C'est aujourd'hui cette édition intégrale augmentée que le tout nouvel éditeur Revival propose au public francophone. Restons honnêtes, si la couverture et les premières pages n'attirent guère l'attention par un dessin noir et blanc hachuré et aux proportions de personnages non respectées, l'intérêt grandit au fur et à mesure. Les cases bien souvent muettes trouvent davantage de saveur dans l'exposition de décors silencieux couvrant la petite ville de Colville. Gilbert parvient à trouver un souffle salvateur dans la description d'un quotidien de paille au travers de personnages perturbés et perturbants trahissant ses influences, le Blue Velvet de David Lynch n'est jamais loin ainsi que les influences assumées de Charles Burns et de Daniel Clowes. Sans en égaler le talent, Colville ne manque aucunement de qualité pour qui acceptera volontiers de s'immerger dans un récit dont l'issue semble fatale dès les premières pages. Il s'agit avant tout d'une question d'ambiance et de points de vue au travers de sombres personnages qui vont se révéler au fur et à mesure du récit... Hommage également à Nick Cave dont le récit partage la mélancolie et à Brian de Palma pour ses histoires à tiroir, Colville rappelle les années 90 sans jamais les dénaturer (voir l'utilisation du téléphone dans des cabines qui revient plusieurs fois dans le récit) mais propose également de nombreuses scènes violentes à ne pas mettre devant tous les yeux par le biais d'un psychopathe amateur de snuff movies. La fin n'en sera que plus cruelle malgré une toute petite lueur d'espoir disséminée dans les dernières planches. Pourvu de décors écrasants et d'un éclairage étouffant, Colville se révèle comme une bien belle surprise dans un registre pourtant bien représenté dans le 9ème art. Davantage COLDville que COOLville, le récit sort clairement des sentiers battus et mérite grandement d'être découvert ou redécouvert.
Morlac
Leif Tande est un auteur canadien que j’aime beaucoup, et qui publie pas mal de choses proches des idées de l’Oubapo (c’est sans doute ça qui m’attire le plus chez lui). Il réussit en tout cas la plupart du temps à produire des albums vraiment sympas, en jouant sur ou avec certaines contraintes. Avec ce « Morlac », nous retrouvons quelque chose proche par certains côtés du Sens de Marc-Antoine Mathieu ou du Vanille ou chocolat ? de Jason Shiga. C’est un album relativement épais (dans les 150 pages), totalement muet, une sorte d’empilement de cases à première vue jetées au hasard comme les pièces d’un puzzle (manque le mode d’emploi) : il peut donc se lire assez vite. Mais si l’on accepte de jouer le jeu de Tande, d’entrer dans sa narration ludique, alors la lecture peut nous occuper pas mal de temps. D’autant plus qu’il n’est pas interdit de « tricher » un peu parfois, en optant pour une case voisine de celle qui devait être lue. Car en fait il faut lire une case par page, suivre la direction la page suivante, et poursuivre l’aventure – qui le plus souvent se finit mal pour le petit personnage vêtu de Noir – chapeau melon compris. Plus que l’histoire elle-même, c’est donc l’aspect ludique, le côté « je décide moi-même du scénario » qui fait l’intérêt de cet album assez complexe et très original (les amateurs d’Oubapo et de Leif Tande – dont je suis – apprécieront sans aucun doute ce petit bijou).
Essence
Sept ans après son chef d’œuvre « Kililana Song », Benjamin Flao nous revient avec une « vraie » BD. Autant dire qu’il était attendu au tournant… Et on peut l’affirmer sans faux-semblants, c’est un retour réussi, malgré une fin un peu décevante ! D’emblée, nous sommes plongés dans un univers très singulier, qui sous le pinceau de Flao, atteint une dimension grandiose. Le décor : un mélange perturbant de réalisme burlesque et d’onirisme exubérant, juste fascinant à regarder. On le comprend assez vite même si cela n’est pas dévoilé d’emblée, c’est le purgatoire d’un homme qui est raconté ici. Cet homme, Achille, se retrouve dans un paysage post-apocalyptique quasiment inhabité où il doit trouver de l’essence, de plus en plus rare, pour pouvoir continuer à piloter sa voiture de sport à travers des étendues désertiques, parsemées de bâtiments crasseux, ruines en devenir. A ses côtés, un ange gardien au féminin qui va l’aider à chercher en lui-même les raisons de son arrivée dans ce monde intermédiaire, qui au fil du récit s’avérera n’être qu’une vaste prison à ciel ouvert. Mais si ce statut de fantôme semble lui convenir, dans la mesure où il peut assouvir sa passion des belles cylindrées (même s’il faut constamment se mettre en quête de carburant), ce road trip qui n’est en réalité qu’une fuite ne finira- t-il pas par atteindre son point de lassitude ? Pour en sortir, Achille sera condamné à faire son examen de conscience, à admettre ses failles et ses lâchetés, mais pas seulement, car il découvrira aussi le courage dont il fut capable pour l’amour d’une femme. De par l’originalité de sa narration et de sa thématique, trop rarement abordée en fiction, ce tourbillonnant huis-clos en extérieur est franchement captivant. Une expérience comparable à un jeu vidéo où notre héros doit surmonter une foule d’obstacles, traverser des lieux labyrinthiques, aborder des personnages baroques et énigmatiques, dans un décor toujours changeant. Et c’est ainsi qu’on réalise ainsi la richesse du trait de Benjamin Flao, capable de produire de magnifiques planches, plus proches graphiquement de « Kililana Song », tout en lorgnant vers le style franco-belge, plus naïf mais parfait pour représenter les belles voitures d’une époque révolue et symboliser le côté immature d’Achille. On songe alternativement à Hergé, Franquin, Moebius… On appréciera les divers clins d’œil (notamment l’apparition de Gilles Villeneuve, le coureur canadien devenu ici artiste reclus et alcoolique). Dans les dernières pages, le récit va si l’on peut dire revenir sur Terre, bifurquant de façon plus conventionnelle vers le thriller - un poil sanglant et assorti évidemment d’une course-poursuite. La fin laissera au lecteur une vague impression de bâclage, comme si le scénario avait dû être comprimé soudainement pour rentrer dans un format « one-shot ». C’est un peu dommage, même si cela ne remet pas en question la prouesse accomplie ici par Benjamin Flao et Fred Bernard. Nous, lecteurs humains masochistes, avions peut-être tout simplement le désir inconscient de voir cet extravagant purgatoire extra-terrestre se prolonger…
Le Sentier des Reines
Beaucoup d’avis parlent de « trop peu », mais moi, j’ai adoré cette grande épopée très « road movie ». Je suis tout d’abord tombé amoureux du dessin, sur la couverture, mais aussi à l’intérieur. J’adore les visages des personnages, les grands paysages alpins, et le style hachuré qui renforce bien la dureté des éléments mais aussi de l’époque. Et j’ai trouvé l’histoire très juste. Au travers ce qui aurait pu être une bête échappée, l’auteur nous révèle un contexte historique passionnant (voir le complément informatif en fin d’album) sur fond d’après-guerre et de féminisme naissant. La situation des femmes est consternante (« c’est bien gentil d’avoir bossé pendant la guerre, merci, mais maintenant il faut repeupler la France mesdames »). Blanca est un personnage fort, implacable, mais qui doute malgré tout, et flanche par moment… je m’y suis beaucoup attaché. La fin m’a plu, une porte ouverte vers d’autres aventures (voir La Vallée du Diable). Un excellent moment de lecture en ce qui me concerne.
Courtes Distances
Avant toutes choses, j’ai un aveu à faire : Blue Boy, je t’aime !!!!!! Parce que sans son avis, au Blue Boy, je serais très certainement passé à côté de cet album. De prime abord, le dessin me semblait moche, le scénario d’une platitude parfaite, le sujet… en fait, je ne voyais même pas de sujet. Et puis vint Angoulême, la possibilité de me faire dédicacer l’album (assez horrible la dédicace, ceci dit en passant… mais son auteur, lui, est incroyablement sympathique), le souvenir de l’enthousiasme de Blue Boy et la conviction que lui et moi avons des goûts forts similaires pour ce registre littéraire. Il n’en fallait pas plus : j’ai craqué. Courtes distances est un pur roman graphique, qui explore l’âme humaine sans avoir l’air d’y toucher, nous parlant de notre époque, de notre société sur un ton léger. Le personnage central -et narrateur- n’a jamais rien réussi dans sa vie. Après avoir abandonné ses études, avoir lancé sans succès une activité en freelance, il rentre à 27 ans chez sa maman. Décidé à avancer dans sa vie et à ne plus stresser son entourage, il opte pour la normalisation, est prêt à accepter n’importe quel travail et à s’en accommoder. Nous sommes clairement dans ce passage de l’enfance à l’âge adulte où les rêves d’hier doivent céder le champ aux réalités économiques d’aujourd’hui. Seulement voilà, le boulot qu’il va trouver (qui va même lui être offert sur un plateau d’argent) n’a non seulement aucun intérêt mais, de plus, va l’obliger à passer énormément de temps à écouter son mentor. Un mentor empli de bonnes intentions –mais incapable de déléguer quoi que ce soit- aussi bavard que son disciple est taiseux, qui, lui, est à l’autre bout de la route de la loose. Solitaire, il n’a qu’un chien comme compagnon, la réunion Rôtisserie comme seule sortie bimensuelle et un boulot pour lequel il ne semble vraiment pas avoir besoin d’un assistant comme principale occupation. Face à ce vide total, l’auteur parvient à nous raconter une histoire pleine. Il bouche chaque creux, chaque vide grâce aux observations de son narrateur. Tout ce qui paraissait sans intérêt devient touchant vu au travers du prisme de l’auteur. L’idiot du village, un vieux panneau rouillé, une Audi A4 avec conduite à gauche, des poils de nez, tout devient matière à réflexion pour peu que l’on se donne le temps d’observer. Et ce dessin que je trouvais moche, j’ai fini par le qualifier de quasi-génial tant son côté caricatural permet d’insister sur, justement, ces petits détails qui font tout le sel de ce récit. Ajoutez à cela que la fin de l’album m’a touché et vous comprendrez mon enthousiasme. Franchement, cette lecture aura été un immense moment de plaisir pour moi et je ne regrette pas d’avoir investi les 24.00 € dans son achat. Il ne s’y passe rien sinon un long et lent processus de mûrissement mais, pute borgne, que c’est bien fait ! Cet album nous parle autant de l’inutilité de la vie que de sa beauté.