Le meilleur des scénarios de Kris servi par le sublimissime et maginifique graphisme de Maël.
Une bien belle épopée psychologique et humaine sur fond de première guerre mondiale !
Il y a aussi accessoirement en enquête le long des tomes ... et elle sert de fil conducteur pour nous peindre cette tragédie des tranchées avec brio, et donner une fin au récit.
A lire et à relire ....
La Bible et l'épée !
1537, à la charnière du Moyen-Âge et de la Renaissance, Hans Stalhoffer, Gauvin de Brême et Casper convoient de quoi faire chanceler le dogme catholique en place : une bible traduite en français ! Errant dans les montagnes jurassiennes, l’enseignant d'escrime déchu escorte ses deux compagnons protestants en direction de la Suisse pour y imprimer cet ouvrage suscitant tant de convoitises. Un voyage qui sera loin d'être une sinécure ! Et pour cause, la chasse à l'homme est vite lancée contre ces hérétiques, sous l'impulsion d'un émissaire de la Sorbonne qui envoie sur les traces de Hans, à qui il voue une haine farouche, une horde de montagnards. Face à cette belliqueuse compagnie, les statistiques ne sont pas en faveur des trois proies, mais ce serait oublier que le vieux guide fut le maître d'armes de François Ier. Expérimenté et encore vif, il est bien décidé à traquer ceux qui l'ont pris pour cible.
Bien que la trame du récit s'axe sur cette course poursuite, les auteurs explorent, à travers Le Maître d'Armes, la dualité. Une opposition que l'on retrouve tout au long de l'intrigue : l'affrontement des papistes et des réformistes, l'épée contre la rapière, l'ancienne génération lettrée et pessimiste sur la société face à la nouvelle, candide mais optimiste.
Derrière cette aventure impitoyable et sanglante, Xavier Dorison nous livre une réflexion sociopolitique sur un monde en pleine mutation. Diffuser à tous les saints écrits, jusqu'alors uniquement disponibles en latin, en des termes que chacun peut comprendre était un immense pas que beaucoup de détenteurs de la parole divine n'étaient pas prêts à franchir de peur de perdre le contrôle et le pouvoir que leur conférait la connaissance d'une langue qu'eux seuls maîtrisaient encore. Profondément d'actualité, le propos qu'il développe montre combien les sujets gravitant autour de la spiritualité sont sensibles et cloisonnés par des instances religieuses minoritairement favorables au changement.
De son trait fin, précis et dynamique, Joël Parnotte orchestre à la perfection l'action, notamment par un découpage magnifique des cases. Par des cadrages serrés et intimistes, laissant place aux regards détaillés avec minutie, jusqu'aux vues panoramiques magistrales des montagnes balayées par l'hiver, il fait tour à tour partager au lecteur les émotions de ses personnages et l'ivresse des grands espaces. On est saisi par l'ambiance glaciale, austère et nocturne, mais aussi par le travail réalisé sur les postures de combats, traduisant un gros labeur de documentation tant les séquences semblent chorégraphiées.
Voilà une œuvre très immersive, qui dépasse le cadre de la bande dessinée pour flirter avec la mise en scène cinématographique !
KanKr
Derf Backderf est en train de devenir un des mes auteurs préférés. Après son excellent one shot sur Jeff Dahmer, il livre un travail qui réussit le tour de force d'être encore meilleur que son travail sur le célèbre tueur en série qu'il a côtoyé (d'ailleurs il parle un peu de Jeff dans ses notes vu qu'il a jeté les restes de sa première victime dans les ordures et seulement que quelques mois avant que l'auteur soit devenu éboueur, ça fait un peu peur!).
Donc cet album mélange le documentaire (il y a quelques pages qui nous montrent comment les ordures sont gérées et l'auteur fait des réflexions sur le problème de la surconsommation qui fait en sorte qu'il y ait beaucoup d'ordures) et le roman graphique vu qu'on suit les mésaventures de deux nouveaux éboueurs durant une année. Cette histoire est basée sur l'expérience que l'auteur a vécue quoique cela reste de la fiction. Ainsi, l'action ne se passe pas en 1979-1980, mais de nos jours et les noms sont changés (les deux personnages principaux ressemblent à l'auteur et un des potes vu dans le livre sur Dahmer).
J'ai vraiment trouvé cette lecture palpitante et j'ai même relu certaines scènes plusieurs fois. Non seulement c'est intéressant de voir ce qui peut arriver dans la vie d'un éboueur municipal américain (ordures trop lourdes, magouilles dans le monde municipal, etc.), mais en plus c'est très marrant. L'auteur décrit une belle galerie de personnages hauts en couleurs (mention spéciale pour le vieux de la fourrière complètement cinglé) et son humour marche très bien. J'ai beaucoup ri en lisant les malheurs des éboueurs même si au fond je les respectais car ce n'est pas un métier que je voudrais faire !
Le dessin est du pur underground américain et j'aime bien le style de l'auteur. C'est vraiment une des meilleures bandes dessinées que j'ai lue depuis longtemps et j'espère qu'il deviendra un jour un classique.
Avant cette série, on aurait pu oublier que les BDs historiques pouvaient à la fois être totalement réalistes, superbement dessinées et en même temps passionner le lecteur par un récit plein d'aventure, de politique et d'action. Le Trône d'Argile possède toutes ces qualités.
Le dessin est vraiment excellent. Moderne, dynamique, détaillé, il donne vie et beauté aux décors français du 15e siècle. Personnages et décors sont soignés, détaillés, beaux et parfaitement documentés sur le plan historique. La narration est impeccable, réalisée aux petits oignons. Et les couvertures rivalisent d'excellence.
Le récit nous place dans une époque peu usitée dans le domaine de la BD historique.
Je me suis en effet rendu compte à sa lecture que je ne connaissais quasiment rien de l'époque de la Guerre de Cent Ans, ou du moins que j'avais oublié ce que j'en avais appris en lisant la série Jhen. Ma surprise en découvrant la vision du Louvre tel qu'il était à l'époque en début du tome 1 est assez symptomatique de ma méconnaissance par exemple. J'avais oublié la folie du Roi Charles VI ou du moins je ne l'imaginais pas à ce point là. Et je ne savais (plus) rien de ce conflit entre Bourguignons et Armagnacs qui offrait ainsi le Royaume de France à la merci des Anglais.
Gros avantage de cette BD, le réalisme historique cède parfaitement le pas à l'aventure et on suit l'Histoire avec un grand H comme on suivrait un récit de cape et d'épée, avec des chevaliers sans peur et sans reproche, un dauphin de France attachant et des intrigues politiques et stratégiques tout à fait prenantes.
Le récit de la guerre de 100 ans se révèle incroyablement dense en événements variés et complexes. C'est très instructif, souvent épique et en même temps parfois édifiant. J'ai appris une somme incroyable de choses grâce à cette lecture qui donne vie aux événements de l'époque.
J'ai ressenti un petite baisse de rythme aux alentours du 4e tome, ou plutôt une légère confusion, mais c'est essentiellement parce que la chronologie avance un peu plus vite alors que les faits eux-mêmes restent toujours aussi denses.
Quand, à cela, s'ajoute un dessin superbe et très vivant, une narration dynamique et des personnages aussi charismatiques que réalistes, c'est vraiment là un chef d'oeuvre de la BD historique.
Vraiment à conseiller !
La guerre des Sambre est un projet ambitieux qui semble tenir la route et qui se bonifie avec les années. L’auteur a changé son fusil d’épaule pour nous proposer un récit à chaque fois original et qui a le don de surprendre. Il faut dire que le cycle sur Werner et Charlotte avait mis la barre tellement haut qu’il ne pouvait être que difficile de faire mieux. Et pourtant, ce nouveau cycle qui porte sur une autre génération mérite notre attention. Cela sera d’ailleurs le troisième et dernier cycle.
Le choix du dessinateur est judicieux puisqu’il s’agit de Marc-Antoine Boidin qui a déjà fait ses preuves. C’est franchement d’une beauté graphique absolue. Que dire ? On reste sans voix. Reste la vue.
On a hâte de savoir ce qui est à l’origine du mystère qui entoure la saga depuis ses débuts. Ce premier tome est très prometteur car on est déjà dans la passion. Vivement la suite !
Et cette suite semble être à la hauteur de nos espérances. Le personnage de Maxime devient de plus en plus détestable alors que je l'avais pris en pitié et en compassion dans le premier tome. Volage, colérique et cruel: voilà pour résumer. Il y a toujours aussi peu de révélations alors que la saga va bientôt se terminer dans cet ultime trilogie. Le récit est toujours aussi prenant. On sent que la tragédie n'est pas très loin.
Note Dessin: 4.5/5 - Note Scénario: 4.5/5 - Note Globale: 4.5/5
L'adaptation du récit de Cataldo en BD/manga par Valeni et Caselli peut au premier abord étonner par son originalité.
On s'attend à feuilleter un livre dont le thème principal est l'enquête policière menée par le héros dans une Rome en proie à la noirceur sociale. Mais, dès les premières pages, le dessin cru, presque agressif retient notre attention et nous éloigne du sujet principal.
"Le pays est l'Italie, mais ce n'est pas l'Italie. La ville est Rome, mais ce n'est pas Rome". Il s'agit de la première phrase que nous lisons et l'ambiance est d'ores-et-déjà imposée au lecteur : sombre voire apocalyptique.
Puis voilà que surgit le sourire taquin de cette superbe jeune femme répondant au prénom de Cassandra. Elle charmera l'enquêteur, lequel s'interrogera sur ses sentiments à son égard, lui qui fut traumatisé par la mort de son frère jumeau...
Un goût d'amertume persiste entre les deux protagonistes sur fond de violence raciste et homophobe.
La fin de ce manga est surprenante...
Mi BD, mi manga, les dessins sont crus, le thème sur le racisme et l'homosexualité est traité avec justesse. Le scénario est prenant.
Une oeuvre que je conseille de lire fortement tant par son originalité que par son esthétisme !
Cette série où se mêlent violence, amour et haine est une pure merveille. Quand on commence la lecture, on ne s'arrête plus tant l'histoire est réellement passionnante. Le dessin de Swolfs est magnifique tout comme la colorisation assurée par son épouse qui contribue à l'ambiance de cette série pas comme les autres. On a droit à un graphisme à vous couper le souffle (je devrais plutôt dire à vous glacer le sang). Je m'aperçois que le scénario paraît également incroyablement maîtrisé de bout en bout avec une quasi-absence de temps mort...
Pour l'instant, il n'y a eu que deux petits cycles de 3 tomes chacun. Les admirateurs de cette bd réclament à corps et à cri une suite que laissait entrevoir l'épilogue. C'est dommage que son auteur ait eu envie de se consacrer à d'autres séries alors que celle-ci avait trouvé son public. On ne pourra certes pas l'accuser d'exploitation commerciale. Cela confère une véritable intégrité à ce chef d'oeuvre.
J'ai bien aimé cette opposition entre la famille Rougemont et Vladimir Kergan, le prince de la nuit. C'est une lutte qui va s'étendre sur près de 700 ans. Chaque tome à l'exception du dernier nous conte une histoire d'un des ancêtres de cette dynastie familiale qui se mêle toutefois à une action présente située en 1933. Le lecteur est ainsi emmené du Moyen-âge jusqu'à la montée du nazisme en passant par l'Inquisition et la révolte des Chouans durant la Révolution. Je suis ébloui par autant d'efficacité.
Je ne découvre que tardivement cette série car j'avais un peu une appréhension en lisant une énième histoire de vampires. C'était sans compter l'immense talent de Swolfs. Malgré le classicisme du thème, cette histoire restera comme l'une des plus grandes réussites du genre.
Si seulement il n'y avait plus eu de suite, j'aurais maintenu la note culte. Cependant, le charme est rompu à cause d'une suite qui ne vaut absolument pas ce premier cycle. Certes, il est de bon ton d'élaborer des spin-off mais à force de céder à la tentation, on fait que dénaturer le mythe. Je n'ai plus eu de plaisir comme la première fois où j'ai découvert cette série. Cela aurait dû me plaire dans la mesure où le plaisir aurait été prolongé mais cela ne m'a pas fait cet effet. Pourtant, le dessin s'est nettement amélioré avec des planches réellement splendides. Une narration fleuve qui m'a un peu gâché le plaisir de la lecture. Conseil d'achat seulement pour les 6 premiers tomes décliné d'ailleurs en intégrale.
Note Dessin: 4.5/5 - Note Scénario: 4.5/5 - Note Globale: 4.5/5
Seuls est une des rares séries actuellement en cours de publication que je considère comme Cultes. J'attends chaque nouveau tome avec impatience et surtout une grande curiosité, très désireux de savoir où les auteurs vont nous emmener.
J'aime beaucoup le dessin de Gazzotti et je suis un grand fan des scénarios de Vehlmann, je partais donc sur un à-priori positif sur cette BD. Pourtant, j'avais des craintes au tout début de la série car la trame était au départ assez simple et légèrement vide. Elle s'est néanmoins énormément étoffée, prenant à chaque nouveau tome davantage d'ampleur et d'originalité, tout en maintenant une narration parfaitement impeccable et très prenante.
Le postulat de départ est une thématique SF assez courante : que se passerait-il si nous nous retrouvions seuls sur Terre, si tous les êtres humains disparaissaient d'un coup sauf nous ? Seule originalité, quoiqu'elle rappelle fortement le livre "Sa Majesté des mouches", les survivants sont ici des enfants. Par la suite, cependant, ce cadre un peu post-apocalyptique prend une tournure vraiment innovante et surprenante qui se développe encore plus à partir du second cycle.
Excellente narration, bons dialogues, très bon dessin, j'ai tout de suite été pris dans le récit. Celui-ci se déroule sans anicroche, avec réalisme mais aussi légèreté car il n'oublie pas qu'il s'adresse autant aux adultes qu'aux jeunes lecteurs. Il s'offre en outre le luxe de dispenser quelques moments d'humour qui m'ont bien fait rire ou au moins sourire.
C'est prenant, bien raconté. Et on s'attache rapidement à chacun des membres de ce petit groupe d'enfants.
Bref, après un premier tome introductif, un second tome plus tourné vers l'action mais à nouveau fort bien construit, les tomes 3 et 4 introduisent de nouveaux personnages et font tout doucement avancer l'intrigue globale, y apportant des éléments clés qu'on comprendra mieux plus tard.
Et c'est à partir du tome 5 que se dévoile une énorme part du mystère qui va modifier grandement la donne. La révélation est forte et l'intrigue va énormément gagner en ampleur par la suite.
Plus les tomes avancent et plus les réponses amènent de nouvelles questions et de nouveaux mystères. Ce sont sans arrêt de éléments nouveaux qui donnent clairement envie de lire la suite. A cela s'ajoute une ambiance survival-horror au ton léger qui me donne parfois l'impression de lire une version pour adolescents de Walking Dead, tout aussi captivant tout en offrant une intrigue nettement plus axée sur le fantastique et avec des idées souvent étonnantes.
Tout se tient et c'est bien foutu, carrément prenant.
Clairement un must, pour les jeunes comme les moins jeunes !
Les 7 premiers tomes de la série Ralph Azham forment son premier cycle d'une histoire qui m'aura fait davantage vibrer de tome en tome. Depuis la fin de la saga Donjon, c'est cette série là qui m'apporte la bouffée d'heroic-fantasy, d'aventure débridée et de fantaisie tout court dont j'ai besoin.
Tout d'abord, cette bande dessinée séduit par son graphisme. Le style de Trondheim y est comme à son habitude, rond, faussement enfantin et en tout cas très plaisant à mes yeux. Je m'amuse à y retrouver beaucoup de tics graphiques de l'auteur tels que ses lunes, arbres, rochers et personnages animaliers. Il s'y ajoute en plus les excellentes couleurs de Brigitte Findakly qui rehaussent superbement les pages et les couvertures de l'album.
Du beau boulot !
Quant au récit, après un premier tome de mise en place, il s'entame pour de bon à partir du second album.
Le personnage de Ralph Azham est original même si son côté anti-héros peut paraître frustrant, limite agaçant. Ses aventures et misères dans son village natal manquent un peu d'envergure, on a envie d'en savoir davantage sur tout le monde qui l'entoure. Et de l'envergure, le récit en prend très vite dès le début du second tome, avec un récit dense et prenant.
Trondheim y crée et entretient un vrai mystère autour de ces jeunes qui "bleuissent" en gagnant des pouvoirs aléatoires, de cette étrange quête de l'Elu et surtout sur les raisons pour lesquelles certains semblent s'y opposer dangereusement.
Au fil des tomes, le scénario gagne en ampleur. Les intrigues de chacun d'entre eux sont denses, le rythme ne ralentit pas et la donne change souvent radicalement d'un épisode au suivant, tout en conservant un fil rouge prenant et qu'on constate d'autant mieux construit quand on lit la série d'emblée. Il se passe beaucoup de choses et la trame d'ensemble se tisse agréablement et sûrement. Lewis Trondheim maîtrise son scénario et, à part une toute petite incohérence sur un bracelet magique qui parfois permet de soulever un troll géant ou tirer un bateau et d'autres fois est bloqué par les bras de simples soldats, tout se tient du début à la fin de la série.
Et pour finir, les amateurs de cet auteur y retrouveront son ton légèrement caustique, son humour qui pointe le bout de son nez en permanence et sa hantise des intrigues attendues et stéréotypées.
Pour la considérer parmi mes séries cultes, j'attendais une conclusion qui viendrait la clore en beauté le premier cycle, m'apportant, je l’espérais, la même dose de nostalgie que j'ai pu avoir sur le final d’œuvres telles que La Quête de l'Oiseau du Temps. Le tome 7 m'apporte cette conclusion, en tout cas cette fin de cycle, avec une intrigue dense et mouvementée se terminant comme je l'aime. Il y a un peu moins d'émotion que je l'espérais, Trondheim n'étant pas un grand expansif, mais c'est une très bonne fin, tout à fait satisfaisante, et je suis resté un moment sur la grande dernière case et ses belles couleurs.
C'est désormais une série que je range soigneusement auprès de mes séries cultes et je pense me faire le plaisir de la relire très bientôt.
Ajout après lecture du tome 8 :
Avec ce 8e tome, Lewis Trondheim entame un nouveau cycle pour Ralph Azham. Ce ne seront pas des histoires en un tome comme je l'imaginais au départ mais bien une nouvelle intrigue à suivre.
Nous retrouvons notre héros dans la situation qu'il avait réussi à se construire en fin de cycle précédent, qui n'était pas vraiment un happy-end mais plus un intéressant compromis. Assumant ses nouvelles responsabilités, Ralph fait pourtant le choix de continuer à voyager beaucoup et c'est ainsi qu'il va tomber sur une menace nouvelle et étonnante.
On replonge immédiatement dans l'ambiance de la série qui garde son ton si spécial, un peu désabusé, un peu ironique et en même temps enclin à la grande aventure de l'heroïc-fantasy. J'y ai retrouvé ce que j'aime dans les scénarios de Trondheim : le fait qu'il sait toujours nous prendre par surprise, ne jamais suivre les chemins tous tracés et les intrigues convenues. C'est bien foutu, prenant, attisant la curiosité, les personnages ont une vraie consistance et on a envie de voir ce qu'il va se passer après. A noter en outre que Ralph commence à s'entourer d'une équipe de plus en plus conséquente aux pouvoirs intéressants.
C'est donc toujours une série dont j'attends avec impatience la parution de chaque nouveau tome.
Tome 1/2 : L'Autre
Dans la veine de Blast, polar noir et contemplatif, Manu Larcenet a adapté cette fois l’œuvre de Philippe Claudel, parvenant à se l’approprier avec brio. Et il y a bien des points communs avec la série, à commencer par l’atmosphère lugubre, quasi fantastique, qui traverse les deux récits se déroulant en hiver. Et puis c’est un peu comme si le personnage de Polza Mancini était réapparu sous les traits de l’Anderer : un paria qui fuit la compagnie des humains et préfère s’exiler dans la nature mais qui payera cher sa différence et son aspiration à la liberté.
Également narrateur de l’histoire, Brodeck sera l’homme vers qui les villageois se tourneront pour établir un rapport sur la mort du vagabond. Un rapport bien entendu édulcoré et disculpant les participants à cet assassinat collectif. Cette mission vient donc un peu comme une double peine pour Brodeck, alourdissant un peu plus son âme, le condamnant à un silence coupable sous peine de représailles, lui qui paya déjà cher sa survie dans les camps nazis en acceptant de rentrer dans la peau d’un chien devant ses gardiens, la peau d’un « rien ».
Il se dégage quelque chose d’extrêmement sombre de cette œuvre, alternant récit au présent et souvenirs du narrateur. L’omniprésence d’une nature hivernale et blanche contraste de manière frappante avec les personnages, représentés sous un trait d’une noirceur inquiétante. L’Anderer préférait côtoyer les hauteurs plutôt que le lisier où se débattaient les humains, un lisier fait de coups tordus et de rancœur, et quand il le faisait, le miroir qu’il leur tendait n’était pas très agréable, il fallait donc le briser... Et au milieu de ce lisier, le maire, un homme véreux qui bâtit sa richesse sur l’élevage de porcs sous l’occupation, d’un cynisme sidérant, renvoyant aux confidences du curé face à Brodeck, quand il parle de ses ouailles à confesse : « Je suis celui dans le cerveau duquel ils déversent toutes leurs sanies, leurs ordures, pour s’alléger… Puis ils repartent tout propres, prêts à recommencer à la première occasion. »
Avec "Le Rapport de Brodeck", Larcenet réaffirme son goût pour ce type d’histoire mature et ténébreuse, tout en confirmant son talent pour un graphisme aux visées plus artistiques, à l’opposé de sa production humoristique passée. Son dessin en noir et blanc est aussi sublime que dans Blast, les gris en moins. Grâce à sa maîtrise du clair obscur, le dessinateur réussit bien à faire ressortir l’âme des personnages de Claudel, tous extrêmement bien campés dans leur solitude ou leur cynisme. Seul bémol très mineur : l’excès de noir gêne un peu à l’identification des visages, mais aucunement à la compréhension de l’intrigue.
La tension psychologique et métaphysique qui irrigue la narration est véritablement captivante, et donne envie de découvrir le second volet de cette adaptation prévu dans les mois qui viennent, autant que le roman original de l’auteur des « Âmes grises ». A noter que l’ouvrage bénéficie d’un tirage de luxe, livré dans un fourreau cartonné et au format à l’italienne.
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Tome 2/2 : L'Indicible
Avec son dessin superbe pour appuyer le texte de Philippe Claudel, Manu Larcenet a bien exprimé comment la barbarie guerrière pouvait marquer au fer rouge le destin de tout un village, laissant derrière elle une terrible chape de plomb. Car il n’y a rien d’héroïque ici, seules la lâcheté et la honte demeurent, après des actes ignobles motivés par la peur, la colère, l’effet de groupe et la certitude d’avoir raison. "Le Rapport de Brodeck", c’est aussi une autre bataille, celle des mots contre le silence. Les mots dont Brodeck a besoin pour rédiger son fameux rapport, pour dire la vérité. Le silence, c’est cette autre chape qui semble avoir recouvert le village à l’image de cette neige masquant la saleté et étouffant les sons, des sons qui ont quitté la bouche d’Emélia, suite au calvaire qu’elle a enduré. Ce silence oppressant dans lequel les villageois se sont réfugiés sous le poids de la honte.
Reste l’indicible, titre donné à ce second volet qui creuse plus profondément son sillon vers la noirceur humaine. L’indicible, lorsque les mots ne parviennent plus à exprimer les sentiments, devant par exemple l’horreur d’une situation – celle décrite ici est réellement épouvantable, et souvent elle ne l’est que par les seuls dessins plus suggestifs que démonstratifs de Larcenet. L’indicible, niché dans les portraits de l’Anderer, dont la générosité bienveillante est venue remuer la mauvaise conscience des villageois et a provoqué leur colère. Des portraits d’eux-mêmes comme des miroirs, tellement réalistes, dans lesquels ils ont cru percevoir un reproche vis-à-vis de leur attitude peu glorieuse durant l’occupation de leur village par les soldats allemands.
On pouvait se douter que cette seconde partie très attendue du "Rapport de Brodeck" ne décevrait pas. De plus, non seulement ce tome 2 peut être d’ores et déjà considéré parmi les meilleures bandes dessinées de l’année, mais il propulse le ténébreux diptyque de Manu Larcenet au rang de chef d’œuvre incontournable, et confirme, si besoin était, la légitimité de son auteur au panthéon du neuvième art. Même si la base qui l’a inspiré était solide (un roman de Philippe Claudel, ça n’est pas rien), l’auteur de Blast se l’est totalement appropriée. C’est comme si celui-ci avait spirituellement fusionné avec le romancier, magnifiant le récit de son trait naturaliste fait d’ombres et de lumières. Une lumière qui, dans toute sa crudité quasi clinique, semble là uniquement pour dévoiler la peur, la honte ou la tristesse sur des visages fatigués, pénétrant les âmes pour en révéler toute la noirceur. Un récit qui indubitablement ne laissera pas le lecteur indemne.
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Notre Mère la Guerre
Le meilleur des scénarios de Kris servi par le sublimissime et maginifique graphisme de Maël. Une bien belle épopée psychologique et humaine sur fond de première guerre mondiale ! Il y a aussi accessoirement en enquête le long des tomes ... et elle sert de fil conducteur pour nous peindre cette tragédie des tranchées avec brio, et donner une fin au récit. A lire et à relire ....
Le Maître d'armes
La Bible et l'épée ! 1537, à la charnière du Moyen-Âge et de la Renaissance, Hans Stalhoffer, Gauvin de Brême et Casper convoient de quoi faire chanceler le dogme catholique en place : une bible traduite en français ! Errant dans les montagnes jurassiennes, l’enseignant d'escrime déchu escorte ses deux compagnons protestants en direction de la Suisse pour y imprimer cet ouvrage suscitant tant de convoitises. Un voyage qui sera loin d'être une sinécure ! Et pour cause, la chasse à l'homme est vite lancée contre ces hérétiques, sous l'impulsion d'un émissaire de la Sorbonne qui envoie sur les traces de Hans, à qui il voue une haine farouche, une horde de montagnards. Face à cette belliqueuse compagnie, les statistiques ne sont pas en faveur des trois proies, mais ce serait oublier que le vieux guide fut le maître d'armes de François Ier. Expérimenté et encore vif, il est bien décidé à traquer ceux qui l'ont pris pour cible. Bien que la trame du récit s'axe sur cette course poursuite, les auteurs explorent, à travers Le Maître d'Armes, la dualité. Une opposition que l'on retrouve tout au long de l'intrigue : l'affrontement des papistes et des réformistes, l'épée contre la rapière, l'ancienne génération lettrée et pessimiste sur la société face à la nouvelle, candide mais optimiste. Derrière cette aventure impitoyable et sanglante, Xavier Dorison nous livre une réflexion sociopolitique sur un monde en pleine mutation. Diffuser à tous les saints écrits, jusqu'alors uniquement disponibles en latin, en des termes que chacun peut comprendre était un immense pas que beaucoup de détenteurs de la parole divine n'étaient pas prêts à franchir de peur de perdre le contrôle et le pouvoir que leur conférait la connaissance d'une langue qu'eux seuls maîtrisaient encore. Profondément d'actualité, le propos qu'il développe montre combien les sujets gravitant autour de la spiritualité sont sensibles et cloisonnés par des instances religieuses minoritairement favorables au changement. De son trait fin, précis et dynamique, Joël Parnotte orchestre à la perfection l'action, notamment par un découpage magnifique des cases. Par des cadrages serrés et intimistes, laissant place aux regards détaillés avec minutie, jusqu'aux vues panoramiques magistrales des montagnes balayées par l'hiver, il fait tour à tour partager au lecteur les émotions de ses personnages et l'ivresse des grands espaces. On est saisi par l'ambiance glaciale, austère et nocturne, mais aussi par le travail réalisé sur les postures de combats, traduisant un gros labeur de documentation tant les séquences semblent chorégraphiées. Voilà une œuvre très immersive, qui dépasse le cadre de la bande dessinée pour flirter avec la mise en scène cinématographique ! KanKr
Trashed
Derf Backderf est en train de devenir un des mes auteurs préférés. Après son excellent one shot sur Jeff Dahmer, il livre un travail qui réussit le tour de force d'être encore meilleur que son travail sur le célèbre tueur en série qu'il a côtoyé (d'ailleurs il parle un peu de Jeff dans ses notes vu qu'il a jeté les restes de sa première victime dans les ordures et seulement que quelques mois avant que l'auteur soit devenu éboueur, ça fait un peu peur!). Donc cet album mélange le documentaire (il y a quelques pages qui nous montrent comment les ordures sont gérées et l'auteur fait des réflexions sur le problème de la surconsommation qui fait en sorte qu'il y ait beaucoup d'ordures) et le roman graphique vu qu'on suit les mésaventures de deux nouveaux éboueurs durant une année. Cette histoire est basée sur l'expérience que l'auteur a vécue quoique cela reste de la fiction. Ainsi, l'action ne se passe pas en 1979-1980, mais de nos jours et les noms sont changés (les deux personnages principaux ressemblent à l'auteur et un des potes vu dans le livre sur Dahmer). J'ai vraiment trouvé cette lecture palpitante et j'ai même relu certaines scènes plusieurs fois. Non seulement c'est intéressant de voir ce qui peut arriver dans la vie d'un éboueur municipal américain (ordures trop lourdes, magouilles dans le monde municipal, etc.), mais en plus c'est très marrant. L'auteur décrit une belle galerie de personnages hauts en couleurs (mention spéciale pour le vieux de la fourrière complètement cinglé) et son humour marche très bien. J'ai beaucoup ri en lisant les malheurs des éboueurs même si au fond je les respectais car ce n'est pas un métier que je voudrais faire ! Le dessin est du pur underground américain et j'aime bien le style de l'auteur. C'est vraiment une des meilleures bandes dessinées que j'ai lue depuis longtemps et j'espère qu'il deviendra un jour un classique.
Le Trône d'argile
Avant cette série, on aurait pu oublier que les BDs historiques pouvaient à la fois être totalement réalistes, superbement dessinées et en même temps passionner le lecteur par un récit plein d'aventure, de politique et d'action. Le Trône d'Argile possède toutes ces qualités. Le dessin est vraiment excellent. Moderne, dynamique, détaillé, il donne vie et beauté aux décors français du 15e siècle. Personnages et décors sont soignés, détaillés, beaux et parfaitement documentés sur le plan historique. La narration est impeccable, réalisée aux petits oignons. Et les couvertures rivalisent d'excellence. Le récit nous place dans une époque peu usitée dans le domaine de la BD historique. Je me suis en effet rendu compte à sa lecture que je ne connaissais quasiment rien de l'époque de la Guerre de Cent Ans, ou du moins que j'avais oublié ce que j'en avais appris en lisant la série Jhen. Ma surprise en découvrant la vision du Louvre tel qu'il était à l'époque en début du tome 1 est assez symptomatique de ma méconnaissance par exemple. J'avais oublié la folie du Roi Charles VI ou du moins je ne l'imaginais pas à ce point là. Et je ne savais (plus) rien de ce conflit entre Bourguignons et Armagnacs qui offrait ainsi le Royaume de France à la merci des Anglais. Gros avantage de cette BD, le réalisme historique cède parfaitement le pas à l'aventure et on suit l'Histoire avec un grand H comme on suivrait un récit de cape et d'épée, avec des chevaliers sans peur et sans reproche, un dauphin de France attachant et des intrigues politiques et stratégiques tout à fait prenantes. Le récit de la guerre de 100 ans se révèle incroyablement dense en événements variés et complexes. C'est très instructif, souvent épique et en même temps parfois édifiant. J'ai appris une somme incroyable de choses grâce à cette lecture qui donne vie aux événements de l'époque. J'ai ressenti un petite baisse de rythme aux alentours du 4e tome, ou plutôt une légère confusion, mais c'est essentiellement parce que la chronologie avance un peu plus vite alors que les faits eux-mêmes restent toujours aussi denses. Quand, à cela, s'ajoute un dessin superbe et très vivant, une narration dynamique et des personnages aussi charismatiques que réalistes, c'est vraiment là un chef d'oeuvre de la BD historique. Vraiment à conseiller !
La Guerre des Sambre - Maxime et Constance
La guerre des Sambre est un projet ambitieux qui semble tenir la route et qui se bonifie avec les années. L’auteur a changé son fusil d’épaule pour nous proposer un récit à chaque fois original et qui a le don de surprendre. Il faut dire que le cycle sur Werner et Charlotte avait mis la barre tellement haut qu’il ne pouvait être que difficile de faire mieux. Et pourtant, ce nouveau cycle qui porte sur une autre génération mérite notre attention. Cela sera d’ailleurs le troisième et dernier cycle. Le choix du dessinateur est judicieux puisqu’il s’agit de Marc-Antoine Boidin qui a déjà fait ses preuves. C’est franchement d’une beauté graphique absolue. Que dire ? On reste sans voix. Reste la vue. On a hâte de savoir ce qui est à l’origine du mystère qui entoure la saga depuis ses débuts. Ce premier tome est très prometteur car on est déjà dans la passion. Vivement la suite ! Et cette suite semble être à la hauteur de nos espérances. Le personnage de Maxime devient de plus en plus détestable alors que je l'avais pris en pitié et en compassion dans le premier tome. Volage, colérique et cruel: voilà pour résumer. Il y a toujours aussi peu de révélations alors que la saga va bientôt se terminer dans cet ultime trilogie. Le récit est toujours aussi prenant. On sent que la tragédie n'est pas très loin. Note Dessin: 4.5/5 - Note Scénario: 4.5/5 - Note Globale: 4.5/5
Cassandra
L'adaptation du récit de Cataldo en BD/manga par Valeni et Caselli peut au premier abord étonner par son originalité. On s'attend à feuilleter un livre dont le thème principal est l'enquête policière menée par le héros dans une Rome en proie à la noirceur sociale. Mais, dès les premières pages, le dessin cru, presque agressif retient notre attention et nous éloigne du sujet principal. "Le pays est l'Italie, mais ce n'est pas l'Italie. La ville est Rome, mais ce n'est pas Rome". Il s'agit de la première phrase que nous lisons et l'ambiance est d'ores-et-déjà imposée au lecteur : sombre voire apocalyptique. Puis voilà que surgit le sourire taquin de cette superbe jeune femme répondant au prénom de Cassandra. Elle charmera l'enquêteur, lequel s'interrogera sur ses sentiments à son égard, lui qui fut traumatisé par la mort de son frère jumeau... Un goût d'amertume persiste entre les deux protagonistes sur fond de violence raciste et homophobe. La fin de ce manga est surprenante... Mi BD, mi manga, les dessins sont crus, le thème sur le racisme et l'homosexualité est traité avec justesse. Le scénario est prenant. Une oeuvre que je conseille de lire fortement tant par son originalité que par son esthétisme !
Le Prince de la Nuit
Cette série où se mêlent violence, amour et haine est une pure merveille. Quand on commence la lecture, on ne s'arrête plus tant l'histoire est réellement passionnante. Le dessin de Swolfs est magnifique tout comme la colorisation assurée par son épouse qui contribue à l'ambiance de cette série pas comme les autres. On a droit à un graphisme à vous couper le souffle (je devrais plutôt dire à vous glacer le sang). Je m'aperçois que le scénario paraît également incroyablement maîtrisé de bout en bout avec une quasi-absence de temps mort... Pour l'instant, il n'y a eu que deux petits cycles de 3 tomes chacun. Les admirateurs de cette bd réclament à corps et à cri une suite que laissait entrevoir l'épilogue. C'est dommage que son auteur ait eu envie de se consacrer à d'autres séries alors que celle-ci avait trouvé son public. On ne pourra certes pas l'accuser d'exploitation commerciale. Cela confère une véritable intégrité à ce chef d'oeuvre. J'ai bien aimé cette opposition entre la famille Rougemont et Vladimir Kergan, le prince de la nuit. C'est une lutte qui va s'étendre sur près de 700 ans. Chaque tome à l'exception du dernier nous conte une histoire d'un des ancêtres de cette dynastie familiale qui se mêle toutefois à une action présente située en 1933. Le lecteur est ainsi emmené du Moyen-âge jusqu'à la montée du nazisme en passant par l'Inquisition et la révolte des Chouans durant la Révolution. Je suis ébloui par autant d'efficacité. Je ne découvre que tardivement cette série car j'avais un peu une appréhension en lisant une énième histoire de vampires. C'était sans compter l'immense talent de Swolfs. Malgré le classicisme du thème, cette histoire restera comme l'une des plus grandes réussites du genre. Si seulement il n'y avait plus eu de suite, j'aurais maintenu la note culte. Cependant, le charme est rompu à cause d'une suite qui ne vaut absolument pas ce premier cycle. Certes, il est de bon ton d'élaborer des spin-off mais à force de céder à la tentation, on fait que dénaturer le mythe. Je n'ai plus eu de plaisir comme la première fois où j'ai découvert cette série. Cela aurait dû me plaire dans la mesure où le plaisir aurait été prolongé mais cela ne m'a pas fait cet effet. Pourtant, le dessin s'est nettement amélioré avec des planches réellement splendides. Une narration fleuve qui m'a un peu gâché le plaisir de la lecture. Conseil d'achat seulement pour les 6 premiers tomes décliné d'ailleurs en intégrale. Note Dessin: 4.5/5 - Note Scénario: 4.5/5 - Note Globale: 4.5/5
Seuls
Seuls est une des rares séries actuellement en cours de publication que je considère comme Cultes. J'attends chaque nouveau tome avec impatience et surtout une grande curiosité, très désireux de savoir où les auteurs vont nous emmener. J'aime beaucoup le dessin de Gazzotti et je suis un grand fan des scénarios de Vehlmann, je partais donc sur un à-priori positif sur cette BD. Pourtant, j'avais des craintes au tout début de la série car la trame était au départ assez simple et légèrement vide. Elle s'est néanmoins énormément étoffée, prenant à chaque nouveau tome davantage d'ampleur et d'originalité, tout en maintenant une narration parfaitement impeccable et très prenante. Le postulat de départ est une thématique SF assez courante : que se passerait-il si nous nous retrouvions seuls sur Terre, si tous les êtres humains disparaissaient d'un coup sauf nous ? Seule originalité, quoiqu'elle rappelle fortement le livre "Sa Majesté des mouches", les survivants sont ici des enfants. Par la suite, cependant, ce cadre un peu post-apocalyptique prend une tournure vraiment innovante et surprenante qui se développe encore plus à partir du second cycle. Excellente narration, bons dialogues, très bon dessin, j'ai tout de suite été pris dans le récit. Celui-ci se déroule sans anicroche, avec réalisme mais aussi légèreté car il n'oublie pas qu'il s'adresse autant aux adultes qu'aux jeunes lecteurs. Il s'offre en outre le luxe de dispenser quelques moments d'humour qui m'ont bien fait rire ou au moins sourire. C'est prenant, bien raconté. Et on s'attache rapidement à chacun des membres de ce petit groupe d'enfants. Bref, après un premier tome introductif, un second tome plus tourné vers l'action mais à nouveau fort bien construit, les tomes 3 et 4 introduisent de nouveaux personnages et font tout doucement avancer l'intrigue globale, y apportant des éléments clés qu'on comprendra mieux plus tard. Et c'est à partir du tome 5 que se dévoile une énorme part du mystère qui va modifier grandement la donne. La révélation est forte et l'intrigue va énormément gagner en ampleur par la suite. Plus les tomes avancent et plus les réponses amènent de nouvelles questions et de nouveaux mystères. Ce sont sans arrêt de éléments nouveaux qui donnent clairement envie de lire la suite. A cela s'ajoute une ambiance survival-horror au ton léger qui me donne parfois l'impression de lire une version pour adolescents de Walking Dead, tout aussi captivant tout en offrant une intrigue nettement plus axée sur le fantastique et avec des idées souvent étonnantes. Tout se tient et c'est bien foutu, carrément prenant. Clairement un must, pour les jeunes comme les moins jeunes !
Ralph Azham
Les 7 premiers tomes de la série Ralph Azham forment son premier cycle d'une histoire qui m'aura fait davantage vibrer de tome en tome. Depuis la fin de la saga Donjon, c'est cette série là qui m'apporte la bouffée d'heroic-fantasy, d'aventure débridée et de fantaisie tout court dont j'ai besoin. Tout d'abord, cette bande dessinée séduit par son graphisme. Le style de Trondheim y est comme à son habitude, rond, faussement enfantin et en tout cas très plaisant à mes yeux. Je m'amuse à y retrouver beaucoup de tics graphiques de l'auteur tels que ses lunes, arbres, rochers et personnages animaliers. Il s'y ajoute en plus les excellentes couleurs de Brigitte Findakly qui rehaussent superbement les pages et les couvertures de l'album. Du beau boulot ! Quant au récit, après un premier tome de mise en place, il s'entame pour de bon à partir du second album. Le personnage de Ralph Azham est original même si son côté anti-héros peut paraître frustrant, limite agaçant. Ses aventures et misères dans son village natal manquent un peu d'envergure, on a envie d'en savoir davantage sur tout le monde qui l'entoure. Et de l'envergure, le récit en prend très vite dès le début du second tome, avec un récit dense et prenant. Trondheim y crée et entretient un vrai mystère autour de ces jeunes qui "bleuissent" en gagnant des pouvoirs aléatoires, de cette étrange quête de l'Elu et surtout sur les raisons pour lesquelles certains semblent s'y opposer dangereusement. Au fil des tomes, le scénario gagne en ampleur. Les intrigues de chacun d'entre eux sont denses, le rythme ne ralentit pas et la donne change souvent radicalement d'un épisode au suivant, tout en conservant un fil rouge prenant et qu'on constate d'autant mieux construit quand on lit la série d'emblée. Il se passe beaucoup de choses et la trame d'ensemble se tisse agréablement et sûrement. Lewis Trondheim maîtrise son scénario et, à part une toute petite incohérence sur un bracelet magique qui parfois permet de soulever un troll géant ou tirer un bateau et d'autres fois est bloqué par les bras de simples soldats, tout se tient du début à la fin de la série. Et pour finir, les amateurs de cet auteur y retrouveront son ton légèrement caustique, son humour qui pointe le bout de son nez en permanence et sa hantise des intrigues attendues et stéréotypées. Pour la considérer parmi mes séries cultes, j'attendais une conclusion qui viendrait la clore en beauté le premier cycle, m'apportant, je l’espérais, la même dose de nostalgie que j'ai pu avoir sur le final d’œuvres telles que La Quête de l'Oiseau du Temps. Le tome 7 m'apporte cette conclusion, en tout cas cette fin de cycle, avec une intrigue dense et mouvementée se terminant comme je l'aime. Il y a un peu moins d'émotion que je l'espérais, Trondheim n'étant pas un grand expansif, mais c'est une très bonne fin, tout à fait satisfaisante, et je suis resté un moment sur la grande dernière case et ses belles couleurs. C'est désormais une série que je range soigneusement auprès de mes séries cultes et je pense me faire le plaisir de la relire très bientôt. Ajout après lecture du tome 8 : Avec ce 8e tome, Lewis Trondheim entame un nouveau cycle pour Ralph Azham. Ce ne seront pas des histoires en un tome comme je l'imaginais au départ mais bien une nouvelle intrigue à suivre. Nous retrouvons notre héros dans la situation qu'il avait réussi à se construire en fin de cycle précédent, qui n'était pas vraiment un happy-end mais plus un intéressant compromis. Assumant ses nouvelles responsabilités, Ralph fait pourtant le choix de continuer à voyager beaucoup et c'est ainsi qu'il va tomber sur une menace nouvelle et étonnante. On replonge immédiatement dans l'ambiance de la série qui garde son ton si spécial, un peu désabusé, un peu ironique et en même temps enclin à la grande aventure de l'heroïc-fantasy. J'y ai retrouvé ce que j'aime dans les scénarios de Trondheim : le fait qu'il sait toujours nous prendre par surprise, ne jamais suivre les chemins tous tracés et les intrigues convenues. C'est bien foutu, prenant, attisant la curiosité, les personnages ont une vraie consistance et on a envie de voir ce qu'il va se passer après. A noter en outre que Ralph commence à s'entourer d'une équipe de plus en plus conséquente aux pouvoirs intéressants. C'est donc toujours une série dont j'attends avec impatience la parution de chaque nouveau tome.
Le Rapport de Brodeck
Tome 1/2 : L'Autre Dans la veine de Blast, polar noir et contemplatif, Manu Larcenet a adapté cette fois l’œuvre de Philippe Claudel, parvenant à se l’approprier avec brio. Et il y a bien des points communs avec la série, à commencer par l’atmosphère lugubre, quasi fantastique, qui traverse les deux récits se déroulant en hiver. Et puis c’est un peu comme si le personnage de Polza Mancini était réapparu sous les traits de l’Anderer : un paria qui fuit la compagnie des humains et préfère s’exiler dans la nature mais qui payera cher sa différence et son aspiration à la liberté. Également narrateur de l’histoire, Brodeck sera l’homme vers qui les villageois se tourneront pour établir un rapport sur la mort du vagabond. Un rapport bien entendu édulcoré et disculpant les participants à cet assassinat collectif. Cette mission vient donc un peu comme une double peine pour Brodeck, alourdissant un peu plus son âme, le condamnant à un silence coupable sous peine de représailles, lui qui paya déjà cher sa survie dans les camps nazis en acceptant de rentrer dans la peau d’un chien devant ses gardiens, la peau d’un « rien ». Il se dégage quelque chose d’extrêmement sombre de cette œuvre, alternant récit au présent et souvenirs du narrateur. L’omniprésence d’une nature hivernale et blanche contraste de manière frappante avec les personnages, représentés sous un trait d’une noirceur inquiétante. L’Anderer préférait côtoyer les hauteurs plutôt que le lisier où se débattaient les humains, un lisier fait de coups tordus et de rancœur, et quand il le faisait, le miroir qu’il leur tendait n’était pas très agréable, il fallait donc le briser... Et au milieu de ce lisier, le maire, un homme véreux qui bâtit sa richesse sur l’élevage de porcs sous l’occupation, d’un cynisme sidérant, renvoyant aux confidences du curé face à Brodeck, quand il parle de ses ouailles à confesse : « Je suis celui dans le cerveau duquel ils déversent toutes leurs sanies, leurs ordures, pour s’alléger… Puis ils repartent tout propres, prêts à recommencer à la première occasion. » Avec "Le Rapport de Brodeck", Larcenet réaffirme son goût pour ce type d’histoire mature et ténébreuse, tout en confirmant son talent pour un graphisme aux visées plus artistiques, à l’opposé de sa production humoristique passée. Son dessin en noir et blanc est aussi sublime que dans Blast, les gris en moins. Grâce à sa maîtrise du clair obscur, le dessinateur réussit bien à faire ressortir l’âme des personnages de Claudel, tous extrêmement bien campés dans leur solitude ou leur cynisme. Seul bémol très mineur : l’excès de noir gêne un peu à l’identification des visages, mais aucunement à la compréhension de l’intrigue. La tension psychologique et métaphysique qui irrigue la narration est véritablement captivante, et donne envie de découvrir le second volet de cette adaptation prévu dans les mois qui viennent, autant que le roman original de l’auteur des « Âmes grises ». A noter que l’ouvrage bénéficie d’un tirage de luxe, livré dans un fourreau cartonné et au format à l’italienne. ---------------------------- Tome 2/2 : L'Indicible Avec son dessin superbe pour appuyer le texte de Philippe Claudel, Manu Larcenet a bien exprimé comment la barbarie guerrière pouvait marquer au fer rouge le destin de tout un village, laissant derrière elle une terrible chape de plomb. Car il n’y a rien d’héroïque ici, seules la lâcheté et la honte demeurent, après des actes ignobles motivés par la peur, la colère, l’effet de groupe et la certitude d’avoir raison. "Le Rapport de Brodeck", c’est aussi une autre bataille, celle des mots contre le silence. Les mots dont Brodeck a besoin pour rédiger son fameux rapport, pour dire la vérité. Le silence, c’est cette autre chape qui semble avoir recouvert le village à l’image de cette neige masquant la saleté et étouffant les sons, des sons qui ont quitté la bouche d’Emélia, suite au calvaire qu’elle a enduré. Ce silence oppressant dans lequel les villageois se sont réfugiés sous le poids de la honte. Reste l’indicible, titre donné à ce second volet qui creuse plus profondément son sillon vers la noirceur humaine. L’indicible, lorsque les mots ne parviennent plus à exprimer les sentiments, devant par exemple l’horreur d’une situation – celle décrite ici est réellement épouvantable, et souvent elle ne l’est que par les seuls dessins plus suggestifs que démonstratifs de Larcenet. L’indicible, niché dans les portraits de l’Anderer, dont la générosité bienveillante est venue remuer la mauvaise conscience des villageois et a provoqué leur colère. Des portraits d’eux-mêmes comme des miroirs, tellement réalistes, dans lesquels ils ont cru percevoir un reproche vis-à-vis de leur attitude peu glorieuse durant l’occupation de leur village par les soldats allemands. On pouvait se douter que cette seconde partie très attendue du "Rapport de Brodeck" ne décevrait pas. De plus, non seulement ce tome 2 peut être d’ores et déjà considéré parmi les meilleures bandes dessinées de l’année, mais il propulse le ténébreux diptyque de Manu Larcenet au rang de chef d’œuvre incontournable, et confirme, si besoin était, la légitimité de son auteur au panthéon du neuvième art. Même si la base qui l’a inspiré était solide (un roman de Philippe Claudel, ça n’est pas rien), l’auteur de Blast se l’est totalement appropriée. C’est comme si celui-ci avait spirituellement fusionné avec le romancier, magnifiant le récit de son trait naturaliste fait d’ombres et de lumières. Une lumière qui, dans toute sa crudité quasi clinique, semble là uniquement pour dévoiler la peur, la honte ou la tristesse sur des visages fatigués, pénétrant les âmes pour en révéler toute la noirceur. Un récit qui indubitablement ne laissera pas le lecteur indemne.