Les derniers avis (7329 avis)

Par BENEYTO
Note: 5/5
Couverture de la série La Quête de l'Oiseau du Temps
La Quête de l'Oiseau du Temps

J'ai découvert la série au tout début donc il y a pas loin de quarante ans. J'ai eu pendant des années le dessin de Pélisse (qui était donné avec le N° 4 Collector) accroché à un mur de ma chambre. Je suis un fan absolu de cette série. Je regrette juste qu'ils aient mis aussi longtemps à écrire la suite (ou plutôt le prequel) qui est fabuleux lui aussi. Le final ne pouvait pas nous décevoir. Il est à l'image du final de la première série. C'est un monde à la Jack Vance. D'ailleurs, je proposerai bien à Loisel et Letendre de tenter de mettre en images au choix Rhialto le Merveilleux ou Cugel l'Astucieux.

04/01/2025 (modifier)
Par karibou79
Note: 5/5
Couverture de la série Les Bidochon
Les Bidochon

Mettre 5/5 à une BD dont le dessin est somme toute dégueulasse et sommaire peut laisser songeur. Mais cette note correspond au mot "culte" et c'est ce que je voue à cette oeuvre. Plus de 4 dizaines d'années que des albums sortent régulièrement et des (pas autant) dizaines d'années que je relis les Bidochon en m'étonnant à chaque fois d'être plié en 2 en suivant des tranchses de vie ordinaires. La manière dont sont dépeints les personnages, pas seulement Robert et Raymonde mais tous, est cruelle mais pas méchante alors que la bascule vers du Hara-Kiri aurait été facile. C'est cruellement marrant, les situations font mouche et rappellent des scènes vues ou vécues. Parfois on y reconnaît des personnes proches ou moins proches que l'on a croisées, parfois on s'y reconnaît soi-même. Qui n'a pas vécu un réveillon merdique, n'a pas connu des gens galérant avec un ordianteur, n'ayant pas eu de tracasseries administratives ou des emmerdes sur un chantier? Binet doit prendre des petites notes en douce à chaque fois pour les coucher sur papier. Et des notes qu'il doit sûrement archiver car les albums sont rapidement devenus thématiques: le logement collectif, les voyages organisés, la voiture... il y a en pour tous. Plus intéressant, Binet pointe parfois la bêtise de Robert pour ensuite montrer la manière dont on peut changer, le tome sur le tri écologique en est un parfait exemple. Raymonde, trouillarde et simplette, prend parfois son courage à 2 mains quand la situation est en passe de déraper. Et puis pour élargir un horizon finalement restreint, l'auteur a eu la bonne idée d'étendre sont univers avec Impondérables (Propos Irresponsables) qui est toutefois plus cynique, en quelque sorte le pendant des Idées Noires de Franquin.

02/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Valentina
Valentina

Valentina est un chef-d’œuvre de la bande dessinée érotique. Crepax a développé un style si personnel, si révolutionnaire, qu’il ne peut être reproduit. Son utilisation de l’espace négatif et de lignes simples mais évocatrices crée un univers atmosphérique d’érotisme raffiné. La nature érotique de Valentina doit être abordée. Cette série a brisé des tabous et, selon moi, illustre parfaitement que l’érotisme offre le même potentiel de grandeur artistique que n’importe quel autre genre. Les aventures érotiques de Valentina peuvent être surréalistes, intelligentes, psychologiquement complexes, mais jamais vulgaires et jamais ennuyeuses.

01/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Caravage
Le Caravage

L'une des plus grandes réussites biographiques que j'aie jamais vécues sous forme de bande dessinée. Un roman graphique fantastique, qui parvient à être à la fois un hommage à un génie de la peinture et un point culminant dans la carrière de l'un des plus grands artistes de la bande dessinée européenne. Les voix des deux sont également présentes. La révérence de Manara pour Caravage est palpable à chaque instant, mais son style reste intact. La capacité de Manara à représenter l'architecture demeure impressionnante, et l'Italie baroque lui offre de nombreuses occasions de créer des décors à couper le souffle. L’histoire de Caravage est captivante, bien que Manara ne mérite pas tout le mérite à cet égard. L’artiste légendaire a simplement mené une vie fascinante qui se prête naturellement à l’adaptation. Cependant, Manara doit être salué pour son exactitude historique. Rien n’est exagéré ou déformé. Les zones d’ombre sont comblées, mais jamais d’une manière qui trahirait les événements réels de la vie de l’artiste. Peut-être l’exploit le plus impressionnant de Manara est-il sa recréation des peintures de Caravage, souvent sous des angles difficiles. Manara a produit de nombreuses bandes dessinées impressionnantes : Le Singe, le surréaliste H.P. et Giuseppe Bergman, le western mélancolique L’Été Indien. Caravage s’inscrit sans aucun doute parmi ses meilleures œuvres.

01/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Le Singe (La Bête)
Le Singe (La Bête)

Une adaptation révisionniste de la première partie du classique littéraire chinois Le Voyage en Occident. En tant qu’adaptation, elle est spectaculaire, équilibrant une fidélité à l’esprit de l’œuvre originale (sinon aux détails exacts de l’histoire) avec une audacieuse sensibilité moderne. Il s’agit bien de Voyage en Occident, mais ancré fermement dans les politiques révolutionnaires de l’Europe des années 1970. Le résultat est une histoire à la fois opportune et intemporelle. Ses images comptent parmi les plus créatives que Manara ait jamais conçues : incroyablement détaillées, tout en restant dynamiques et fluides. Son roi singe ne ressemble à aucune des versions précédentes, mais il a une aura iconique. C’est le roman graphique qui m’a convaincu que Manara est un maître. Ce n’est peut-être pas l’une de ses œuvres les plus célèbres, mais c’est un chef-d’œuvre de la bande dessinée européenne, à ne pas manquer.

01/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ces jours qui disparaissent
Ces jours qui disparaissent

Vous savez, s’il prend votre place, c’est que vous le laissez faire. - Ce tome contient une histoire compète et indépendante de toute autre. La première édition date de 2017. Il a été entièrement réalisé par Timothé le Boucher. Il comprend 192 pages de bande dessinée en couleurs. Il s'agit de la troisième bande dessinée de l'auteur, après Skins Party (2011), Les Vestiaires (2014). Sur la scène d'un théâtre, sous les yeux du public, Lubin Maréchal habillé d'une robe blanche et d'une coiffe réalise un numéro d'acrobatie, sur une cage à oiseau géante. Il laisse tomber sa robe ; il porte en-dessous un juste au corps blanc. Il danse avec sa robe qui a retrouvé du volume. Il effectue des figures au sommet de la cage, et tombe lourdement quand elle casse. En coulisses, les autres acteurs sont inquiets, mais Maréchal se relève et le spectacle peut continuer. le lendemain il se réveille à 07h45 et se dépêche de s'habiller et de partir à vélo, pour gagner son pari d'arriver avant son copain Léandre pour prendre leur service à la caisse du supermarché Smart Shop où ils travaillent. Lubin est particulièrement fier de lui car il s'assoit une minute avant Léandre à son poste. Ce dernier lui fait observer qu'il a perdu son pari car il a 23 heures et 59 minutes de retard. Lubin met un peu de temps à comprendre et encore plus à le croire : ce n'est pas le lundi 02 septembre, mais le mardi 03 septembre. Il a perdu un jour de sa vie. Léandre et Lubin aident le livreur à décharger son camion. Le soir ils récupèrent quelques invendus périmés pour leur repas, Lubin ayant invité Gabrielle à manger chez lui. Lubin rentre chez lui à vélo. Il reçoit Gabrielle et ils passent au lit avant de manger. Il se réveille le lendemain, un peu surpris que Gabrielle ne soit plus dans lit et qu'elle ait déjà récupéré ses affaires. Il consulte le calendrier de l'ordinateur et il doit se ranger à l'évidence : il n'a aucun souvenir du mercredi. Il se rend au supermarché où il est reçu par Andrès qui lui fait la morale sur l'assiduité et qui lui donne son congé. Lubin donne rendez-vous à Léandre à 18h00 au Mantra. À 18h00, les 4 membres de la troupe de spectacle se retrouvent au café. Ils passent en revue les raisons plus au moins fantaisistes qui pourraient expliquer l'absence de Lubin pendant 2 jours. Comme ils doivent se produire le lendemain à Bruxelles, Pedro & Alexandra proposent de passer chez lui pour venir le chercher. Avant de rentrer chez lui, il envoie un texto à Gabrielle, mais il reste sans réponse. Lubin se réveille en ayant encore perdu une journée, celle du vendredi. Il appelle Léandre qui lui indique que quand ils sont venus le chercher le vendredi, il n'y avait personne dans son appartement. Quelle étrange expérience de lecture. La couverture semble annoncer un conte fantastique, avec un jeune homme à moitié entré dans l'eau, de la verdure derrière lui, et un double maléfique qui se reflète. Le choix des couleurs est étrange avec une végétation violette et une onde orange. L'entrée en matière déstabilise tout autant avec 5 pages muettes (sans texte) comme si le lecteur assistait réellement au spectacle. Il assistera d'ailleurs à un deuxième spectacle, tout aussi muet, de même nature durant les pages 102 à 107. Il suppose que ces scènes ont une valeur métaphorique, celle d'un récit dans le récit, provoquant une mise en abîme dont il ne peut pas soupçonner le sens du fait qu'il s'agit de la première scène, et qu'il ne dispose pas d'autres séquences auxquelles la rattacher. Il apprécie la qualité de la narration visuelle, pouvant suivre la logique d'enchaînement des mouvements dans l'évolution de Lubin Maréchal. Il apprécie aussi la forme d'épure des dessins (avec des traits de contours fins et élégants) apportant une touche d'onirisme au spectacle. Timothé le Boucher sait donner une apparence simple et immédiatement reconnaissable à ses personnages, en jouant sur la couleur de leur peau, la forme de leur coiffure, leur couleur de cheveux, mais aussi leur morphologie (la silhouette d'Alexandra est plus étoffée, Pedro est plus grand et plus costaud). Il n'hésite pas à faire apparaître les marques de l'âge sur les visages et même dans la façon de se tenir, par exemple pour Josiane, la mère adoptive de Lubin, ou pour Lubin lui-même au fur et à mesure des années qui passent. Il donne un air assez jeune aux principaux personnages : Lubin, Gabrielle, Tamara, Léandre, Pedro, Alexandra, avec des traits de visage proches de la ligne claire et une discrète influence manga pour des éléments éparses, par exemple la chevelure de Léandre. Le lecteur adulte peut se retrouver un moment décontenancé car la représentation des personnages semble être à destination de jeunes adolescents, voire tout public. Le dessinateur montre bien quelques personnages dénudés, mais les caractéristiques sexuelles sont très atténuées et se limitent aux fesses et à la poitrine. En outre, il utilise des couleurs assez douces, voire un peu ternes, à l'exception de la chevelure rousse de Tamara. Il exagère un peu les expressions de visage, de manière à ce que l'état d'esprit du personnage soit plus clair. Il n'y a que dans le dernier quart du récit que les personnages ont des gestes plus mesurés, attestant qu'ils ont pris de l'âge. Les éléments de décors sont également détourés par des traits très fins, et l'artiste n'utilise que très rarement les aplats de noir, préférant foncer la teinte d'une zone par endroit pour figurer les ombres portées. Néanmoins, s'il prête attention aux différents environnements, le lecteur constate que Timothé le Boucher ne se contente pas de les tracer à la va-vite. Après la scène de théâtre, le premier environnement d'importance est la chambre / salon de l'appartement de Lubin. Dans un premier temps, le lecteur peut rester dubitatif devant sa grande taille. Les meubles sont, comme le reste, détourés avec des traits fins, et la mise en couleurs reste un peu terne, sans chercher à faire ressortir chaque objet par rapport aux murs du fond ou au plancher. Le lecteur intègre donc ce décor de manière machinale sans plus y prêter attention. S'il s'y attarde à l'occasion d'une case, il remarque les différents objets et accessoires, reflétant bien la personnalité de Lubin. Or par la suite, une remarque de Lubin l'incite à y prêter un peu plus d'attention et il se rend compte qu'il y avait des informations visuelles juste sous ses yeux. Sans en avoir l'air, Timothé le Boucher réalise des décors consistants, établissant des lieux concrets et uniques : le balcon de l'appartement de Lubin, les façades d'immeubles des rues qui constituent des paysages urbains différents suivant les quartiers, l'aménagement de l'appartement de Gabrielle qui reflète également sa personnalité, le viaduc autoroutier au-dessus de la rivière encaissée pour se rendre chez la mère de Lubin (page 40), le réseau routier quand Gabrielle emmène Lubin en weekend, le parcours de jogging de Tamara, les Champs Élysées pour le défilé du 14 juillet, les lieux de répétition de la troupe d'acrobates, la maison à la campagne de la mère de Lubin, etc. Le récit se prolongeant dans le futur par rapport au temps présent du lecteur, il peut également faire comme Lubin et regarder autour de lui pour voir les stigmates des avancées technologiques, discrets mais bien présents. En dépit d'une apparence gentille et tout public, la narration visuelle de Timothé le Boucher repose sur de nombreux éléments visuels brossant des personnages et des environnements tangibles et bien formés. Le lecteur plonge donc bien volontiers dans ce récit de dédoublement de la personnalité, avec une tonalité dédramatisée grâce à une narration bienveillante. L'auteur ne tergiverse pas sur la situation de Lubin Maréchal : sa conscience n'est présente qu'un jour sur deux, et une autre conscience ou une autre personnalité habite son corps et l'utilise les autres jours. Le lecteur accorde bien volontiers la suspension d'incrédulité nécessaire pour accepter ce postulat. Il suit donc Lubin alors qu'il essaye de comprendre ce qui lui arrive, de s'en accommoder dans sa vie (semi)quotidienne. Il essaye de communiquer avec son autre lui-même, et de faire comprendre à ses amis ce qui lui arrive. Il fait des propositions concrètes à son autre lui-même pour une vie en bonne intelligence : que l'autre continue à s'entraîner un minimum pour que lui puisse continuer à être un acrobate de haut niveau, essayer de maîtriser son régime alimentaire car il est végétarien, etc. Les deux personnalités finissent également par aller consulter le même psychologue (la docteure Thalmann) pour trouver une solution. Le lecteur se rend bien compte que le récit est raconté exclusivement du point de vue du Lubin acrobate, et même à sa manière, avec sa personnalité. De ce point de vue, les dessins évidents et la bienveillance générale de la narration reflètent l'état d'esprit de Lubin acrobate. Timothé le Boucher s'amuse bien avec les moments de gêne des amis de Lubin ou de sa famille, qui finissent par accepter son état, ce qui conforte le lecteur dans le fait d'en faire de même. La personnalité de l'autre Lubin se révèle différente de l'initiale, plus pragmatique, mieux organisée, plus responsable. Du coup il prend en charge les formalités administratives du quotidien et le ménage, et commence même à gagner de l'argent, que des avantages pour Lubin acrobate. Le scénariste se montre encore un peu plus facétieux du fait que l'un comme l'autre entretiennent des relations amoureuses, mais pas avec la même femme, ce qui génère des situations délicates, à nouveau sans dramatisation larmoyante. Le lecteur sourit quand Lubin acrobate se réveille un matin avec les cheveux courts (l'autre étant passé chez le coiffeur pour être plus présentable), ou quand il décide de se faire faire un tatouage sur le dos en sachant que l'autre n'aime pas ça, ou encore quand l'un se bourre la gueule la veille au soir en sachant que l'autre souffrira de la gueule de bois le lendemain. Le décalage entre les deux personnalités nourrit des métaphores, à commencer par une opposition entre la vie décontractée de Lubin acrobate, et celle plus responsable de l'autre Lubin. Il se produit une comparaison entre un individu ayant suivi une voie d'artiste refusant une forme de conformisme social, avec un autre plus productif dans la société. Néanmoins, ce n'est pas un récit à charge contre Lubin acrobate, car c'est celui que préfère ses amis, sa sœur, et même Insecte & Prêchant, les chiens de sa mère. C'est aussi celui que préfère la rousse flamboyante. Ainsi Lubin acrobate reste le héros de sa propre vie, la personnalité à partir de laquelle le récit, et donc le lecteur, porte un jugement sur les événements. La gentillesse de Lubin acrobate éprouve toutes les difficultés à accepter l'intérêt très personnel de 2 psychologues successifs qui le prennent en charge plus pour les papiers qu'ils vont pouvoir écrire dessus, que pour le soigner, encore moins par empathie. Il reste aussi un héros au sens romanesque du terme, dans la mesure où le récit repose bel et bien sur une intrigue. Celle-ci ne se limite pas à savoir si la coexistence entre les 2 Lubin peut être pérenne, ou si Lubin acrobate retrouvera son état normal. Il se produit des événements qui viennent remettre en cause l'équilibre entre les 2, parfois au détriment de Lubin acrobate. Le lecteur ressent alors une compassion pleine et entière pour lui, car son caractère ne lui a pas appris à se défendre contre ce genre d'événements ou de comportements d'autrui. Le lecteur est pris de pitié pour Lubin acrobate, souffre de le voir ainsi rabaissé et exploité, alors qu'il fait contre mauvaise fortune bon cœur, face à ces injustices. En fonction de ses inclinations, le lecteur peut être plus ou moins attiré par la couverture, ou le résumé de la quatrième de couverture, et dans tous les cas surpris par le décalage qui se produit à la lecture, par rapport à ces présentations. Il se prend vite d'amitié pour Lubin Maréchal, jeune homme éminemment sympathique et facile à vivre, et pour ses amis qui le soutiennent. Il s'adapte progressivement aux dessins à l'apparence gentille, car ils forment une narration visuelle solide et riche. Il apprécie les situations successives qui dessinent des métaphores sur la façon de voir la vie, sur les valeurs morales de l'individu, alors que l'intrigue sous-jacente le tient en haleine. Il est épaté par la manière dont l'auteur met à profit la longueur de son récit, jusqu'à la mort naturelle de Lubin. Il termine sa lecture, attristé de devoir faire le deuil de Lubin et de ce qu'il représente, ainsi que du principe de réalité qui s'est imposé à lui, à a fois Lubin, à la fois le lecteur lui-même.

31/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Slava
Slava

Rarement, peut être jamais auparavant, une bande dessinée ne m'avait à ce point happé et donné autant d'émotions. Une bonne dose d'humour, une ingéniosité géniale dans le scénar, des dessins précis et qui restent cohérents dans les albums, des personnages complexes et tous dignes d'intérêt (et plus ou moins sympathiques), un vrai propos et point de vue... L'envie de rencontrer les russes (du moins ceux qui travaillent vraiment). Bref un pur régal ! PS: merci à Erwan de la librairie Georges qui me l'a conseillée.

30/12/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Zone critique
Zone critique

Un gros coup de cœur pour finir l'année, même si j'ai bien conscience qu'il ne saura rallier tous les suffrages ! Visuellement remarquable, la BD se distingue par son réalisme photographique enrichi de couleurs, une nouveauté pour Squarzoni. Ce style immersif s’allie à une iconographie variée (photos d'actualité, graphiques, gravures historiques…) venant renforcer le propos. Latour, convaincu que l’art peut traduire des concepts complexes, avait personnellement choisi Squarzoni, séduit par son travail sur Saison brune. Après la mort de Latour, Squarzoni a poursuivi ce projet, qui est devenu un hommage vibrant au philosophe. L’ouvrage interroge notre époque à travers deux questions fondamentales traitées dans les ouvrages de Latour : "Où suis-je ?", "Où atterrir ?"*. Ces interrogations reflètent le désarroi d’une humanité en perte de repères face aux crises environnementales, aux populismes et à la montée des inégalités. La pandémie de Covid a accentué ce sentiment d’incertitude, révélant un troisième pôle, le « Terrestre », qui transcende l’opposition entre le local et le global. Ce concept invite à une interaction renouvelée avec la planète, impliquant de « l’habiter » différemment, à la manière des termites qui se fondent dans leur environnement de bâtisseurs. Cependant, l’humanité semble hésiter entre adaptation et fuite. Les plus riches se réfugient dans des bunkers sécurisés, désormais conscients sans pour autant se l'avouer que les ressources sont limitées, tandis que les « laissés-pour-compte », submergés par la peur de l’étranger, se tournent vers des leaders populistes. Ces derniers promettent des solutions simplistes face aux crises migratoires et climatiques, alimentant un climat de division et d’incertitude. Cette dynamique contribue à l’émergence d’un quatrième pôle, le « hors-sol », incarné par des politiques déconnectées de la réalité terrestre. "Zone critique" pointe également du doigt les échecs du système matérialiste moderne. Ce dernier, en se revendiquant rationnel et efficace, a ignoré les limites environnementales et sociales, compromettant la capacité des générations futures à habiter un monde viable. L’ouvrage dénonce cette fuite en avant et invite à repenser nos priorités collectives, non pas en rêvant d’un retour à un passé idéalisé, mais en imaginant des solutions adaptées aux défis actuels. Loin d’offrir des réponses toutes faites, Latour propose des pistes de réflexion pour réorienter nos sociétés. Les « pistes d’atterrissage » évoquées dans l’ouvrage ne sont pas des solutions miracles, mais des invitations à repenser nos interactions avec le vivant et à reconstruire un « territoire » non pas géographique, mais basé sur les relations entre ceux qui le composent. Cette approche, née des réflexions durant le confinement, souligne la nécessité de s’adapter à une ère d’incertitudes, où les frontières classiques ne suffisent plus à contenir les crises. En combinant réflexions philosophiques, illustrations immersives et analyses politiques, "Zone critique" s’adresse à un public en quête de sens. Ceux qui refusent de céder au fatalisme y trouveront des outils pour envisager de nouvelles façons de vivre sur une planète en mutation rapide. Ce projet, devenu un hommage posthume à Latour, traduit avec clarté et profondeur des idées complexes, tout en invitant chacun à s’engager pour bâtir un avenir commun. -------------------- *« Où suis-je ? : Leçons du confinement à l'usage des terrestres » et « Où atterrir ? : Comment s'orienter en politique » (La Découverte).

30/12/2024 (modifier)
Par Kadath
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Reine de Saba
La Reine de Saba

Après le magnifique Mahâbhârata d’après Jean-Claude Carrière, encore une belle adaptation de Jean-Marie Michaud. Cette fois-ci le livre original est de la plume de Marek Halter, qui a construit une œuvre autour des figures féminines de la Bible. J’ai lu ce roman duquel est tiré la BD. Je la trouve à la fois très fidèle et apportant un supplément d’âme au récit d’origine. L’histoire est celle de la mythique reine de Saba, royaume situé de part et d’autre de la mer rouge, réunissant le Yémen et l’Ethiopie. Il va sans dire que maintenir à cette époque un royaume composé de deux régions si différentes ethniquement et si distantes de par cette séparation n’est pas une mince affaire et Makeba, reine de Saba, sera confrontée aux révoltes et aux trahisons. L’histoire nous fais vivre la perte du contrôle de la partie yéménite et la réunification du royaume. Mais en parallèle de cette trame politique, diplomatique et stratégique, les auteurs nous invitent à la rencontre mythique entre la reine et le roi Salomon. Une version assez éloignée de celle de King Vidor : un roi d’Israel déjà âgé, face aux difficultés financières et politiques, mais avec une telle aura que la rencontre avec Makeba sera à la hauteur du mythe. Mais ici le premier rôle est bien tenu par la reine ! La mise en images de Jean-Marie Michaud est somptueuse. Il reprend la même technique que pour le Mahabharata : aquarelle sur papier kraft. Cette technique sur kraft (au delà de produire des ambiances et des couleurs extraordinaires) est tout aussi adaptée dans le cas présent : qu’il s’agisse d’un texte fondateur hindou ou judaïque, cette présence physique du papier ramène au Livre avec un grand L et contribue à élever l’histoire au rang de mythe. La bible réinterprétée par Marek Halter puis par Jean-Marie Michaud : c’est bien une caractéristique des mythes que de sans cesse se renouveler, se modifier. C’est sans doute en ce sens que ma lecture de cette version m’a parue encore plus aboutie, plus grandiose, que la version d’origine. La narration est très maîtrisée. Au delà de l’aspect graphique dont j’ai déjà parlé, on retrouve ce qui semble être une signature de l’auteur : un goût pour l’histoire dans l’histoire (ici les récits hébraïques) avec une mise en image différente pour ces apartés. La présence de la mer rouge, parfois en furie, les ocres du désert, les chameaux, les éléphants, les chevaux et les oiseaux de Salomon, la beauté de la reine, offrent au dessinateur la possibilité de démontrer l’étendue de son talent. Une BD qui pour moi mérite largement qu’on s’y intéresse : sa parution chez un petit éditeur, pas spécialisé dans la bande dessinée mais qui a fait du beau travail, semble être passée un peu trop inaperçue…

30/12/2024 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Seau - Souvenirs dessinés d'une guerre
Le Seau - Souvenirs dessinés d'une guerre

Cette BD est un véritablement choc. Choc esthétique d’abord, et émotionnel. Le choc d'un pavé dans la gueule. Le dessin de Koenraad Tinel possède une force graphique extrêmement puissante, toute empreinte d’expressionnisme. Le trait est à la fois gracieux et sombre, noir d’encre même, et pour cause puisqu’il est entièrement réalisé à l’encre noire. Il exacerbe l’aspect tragique de cette histoire familiale : visages déchirés, grimaçants, silhouettes déguingandées constellées d’éclaboussures… Rien n’est épargné à l’humanité crasse ici décrite par l’auteur qui plonge sans tabou dans ses souvenirs d’enfance encore vivaces. Car Tinel le confie au lecteur : il lui est impossible d’oublier, de s’affranchir de la culpabilité accrochée à ses talons et qu’il n’a pourtant pas à subir puisqu’étant enfant au moment des « faits ». Et les faits, quels sont-ils ? Koenraad Tinel raconte dans Le Seau les années de guerre (la deuxième) vécue par sa famille flamande. Celle-ci en effet, connut l’arrivée de l’armée allemande que son père, nazi convaincu, et ses frères vécurent comme un espoir. Ses deux frangins s’engagèrent dans la SS comme un seul homme. L’un partit se battre sur le front de l’Est pendant que l’autre se vit confier le commandement d’un camp où les juifs qui y transitaient étaient promis à l’abominable sort qui les attendait à Auschwitz. Mais à partir de juin 44, la famille s’exile en Allemagne pour trouver refuge dans un petit village de Bavière vidée de ses hommes valides, avant de finalement vivre des mois de misère sur le chemin de retour vers Gand après la victoire des alliés. Inutile de rentrer dans les détails : il faut lire cette BD. Si le choc est finalement émotionnel, c’est que toute cette histoire est racontée à hauteur d’enfant, sans le moindre jugement. Pourtant, cette part intime d’une noirceur abyssale, pétrie de culpabilité, l’auteur l’exprime très bien dans le dessin. Elle hante chaque page, chaque anecdote au point de l’avoir marqué au fer rouge. Le Seau constitue un témoignage capital, exposant un point de vue rarement exprimé dans l’art : celui des vaincus, celui des bourreaux. Je songe au film Lore de Cate Shortland, là aussi un choc esthétique, comme si là encore la forme était primordiale afin de maintenir une distance salutaire avec le sujet évoqué… Bien entendu, Koenraad Tinel n’a jamais été un bourreau. Comment peut-on l’être à neuf ou dix ans ? Néanmoins, il nous confie cette histoire familiale déchirante dont il éprouve aujourd’hui encore la plus grande difficulté à s’affranchir. Comment peut-on vivre une vie épanouie quand on réalise ce qui a été commis au nom d’une idéologie destructrice, mais surtout que sa famille s’est bel et bien retrouvée du mauvais côté ? La réponse (plutôt un semblant de réponse qui est d’ailleurs davantage un exutoire) nous est donnée ici dans Le Seau où Koenraad Tinel déverse un passé cauchemardesque. Un seau hygiénique destiné à recevoir les excrétions intimes... Quant à nous, humbles spectateurs, nous ne pouvons que lui souhaiter d’avoir finalement trouvé la paix grâce à ce travail de mémoire colossal.

30/12/2024 (modifier)