La première BD de Gao Yan, une jeune taïwanaise qui s'est inspirée de son amour de l'écriture, de la musique et d'un voyage au Japon (pour acheter l'album Kasemachi Roman), pour se lancer dans ce projet graphique.
Elle avait déjà réalisé, en auto-édition, une première version de 32 pages de cette histoire. Mais c'est après avoir illustrée une couverture d'un roman de Haruki Murakami qu'elle l'étoffe pour atteindre plus de 500 pages.
J'ai dévoré ces 2 tomes en un après-midi, une lecture cocooning pour un instant suspendu.
C'est l'histoire de Lu, une jeune fille d'une vingtaine d'années qui étudie à Taipei. Une jeune fille timide et introvertie qui a un rapport viscérale avec la musique et l'écriture. Elle va faire la connaissance d'un jeune homme, Nanjun, et ils vont se découvrir des goûts communs (il est musicien dans un groupe) qui vont les rapprocher. Le début d'une belle amitié, mais Lu, doucement, va ressentir bien plus que cela.
Je vais mettre en garde de suite, si vous cherchez de l'action, passez votre chemin. Nous avons ici un récit intimiste sur les premiers émois de Lu, avec en caisse de résonance la pop culture japonaise. Un récit duveteux, tendre et amer. Lu est touchante et attachante. Mais c'est surtout l'ambiance musicale qui m'a marqué, avec la découverte de nombreux artistes de la scène japonaise (il y a plein de bonnes surprises).
Une narration globalement maîtrisée, un bémol sur certains passages un peu trop long à mon goût et sur l'apparition de l'amie providentielle. Mais rien de bien gênant.
Je lis peu de manga, la faute à un graphisme qui ne me convient pas d'ordinaire. Ce n'est pas le cas sur ces deux albums. Le trait de Gao Yan est délicat et d'une finesse extrême. Les personnages sont beaux, les décors magnifiques (en particulier ceux des concerts) et les longs moments de silence font passer les émotions.
Superbe.
Un 4 étoiles pour le dépaysement, pour la découverte de la pop culture japonaise et pour la sincérité qui émane de Lu.
Personnellement j'ai apprécié ce thriller classique mais bien construit autour du personnage de Betty Page. La narration est fluide et l'enquête pas à pas des deux lieutenants n'est pas expédiée en trois planches grâce à une découverte inespérée.
La série hésite souvent entre le thriller et l'érotique avec la profusion de scènes de nues. Cela est compréhensible puisque Betty anime un spectacle de striptease. Comme au Crazy horse les canons pour participer au spectacle sont assez restrictifs et correspondent à un fantasme sexué de l'imaginaire masculin. Toutefois j'entends la réserve de certains avis car les auteurs insistent sur le sujet avec des scènes superflues de la vie familiale et intime des lieutenants de police. De même Rodolphe propose un récit soft malgré l'horreur des crimes mais ce parti pris donne une ambiance légère et pas sordide qui me convient bien.
Le graphisme de Bignon donne un travail précis sur l'ambiance du NY des années 50 avec un beau rendu des costumes, des ruelles ou des bars de l'époque. Les cadrages sont bons et cela donne un visuel dynamique, seule la mise en couleur n'est pas séduisante.
Une note un peu généreuse pour un récit récréatif à mon goût.
Le cinéma est une allégorie, mon cher Léonce. L’allégorie de la condition humaine !
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario et les dialogues, épaulé par Gaël Séjouné, par ce dernier pour la mise en cases, en images et en couleurs, soutenu par le premier. Il comprend cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée.
Prologue : à Trougnac. Au volant de sa Renault 4CV, Conrad Knapp traverse une région boisée de la campagne française. Il s’arrête devant le panneau d’entrée de la ville de Trougnac, et il interpelle Fernand et Ginette, un vieux couple de paysans, leur demandant s’il y aurait par le plus grand des hasards, une salle de cinéma dans leur village. L’homme lui répond que Trougnac est un peu plus qu’un village, presque trois mille habitants, une équipe de foot et même une pharmacie. Presque, parce que tant qu’ils n’ont pas les trois mille, ils peuvent faire une croix sur la pharmacie. À la suite de l’intervention de son épouse, il explique au conducteur que Poil est le village d’à côté, qu’ils ne s’appellent pas des Poilus, qu’ils préfèrent être appelés des Pictiens, mais ça n’empêche pas les autres de les taquiner un peu, surtout aux matchs de football. Comprenant qu’il n’obtiendra pas de réponse à sa question, Knapp les plante là, et il entre dans le village. Chapitre un : Au café. Ayant avancé un peu dans la grande rue, Conrad Knapp hèle une jeune femme dans une jolie robe à pois blancs, avec un généreux décolleté. Il lui pose la même question : y aurait-il une salle de cinéma dans son village ? Elle répond avec le sourire que oui, c’est l’Éden, à l’Est. Elle ajoute : On ne peut pas le rater, il est juste à côté de l’église, ce n’est pas une grande salle, mais on peut y voir tous les films récents. Elle cite : Le beau serge, En cas de malheur, Maigret tend un piège. Il propose : Et ta sœur ? Et il dissipe le malentendu : il parle du film avec Pierre Fresnay. Elle ajoute que l’Éden c’est le duc qui l’a fait construire. Knapp se dit que ce trou a un duc.
Conrad Knapp pénètre dans le café des Sports, et se rend au comptoir, alors que les habitués continuent leurs discussions : sur le scandale du bikini, sur le fait qu’il n’y a plus que des films avec des femmes à moitié nues, et que la télévision est plus accessible, même s’il n’y a peut-être qu’une vingtaine de postes ici. Madame Garnier estime que les films ont une influence néfaste, en particulier quand on voit cette diablesse blonde se trémousser sur la table là, cette dévergondée, cette… Knapp intervient dans la conversation pour en énoncer le nom : Brigitte Bardot. Toutes les conversations s’interrompent d’un coup. Il continue : Avec également Jean-Louis Trintignant et Curd Jürgens, tourné à Nice et à Saint Tropez, interdit aux moins de seize ans à sa sortie une heure et trente-deux minutes de plaisir. Répondant à une question, il précise qu’il était sur le tournage. Il enchaîne en commandant une autre Suze. Simone indique à son mari Maurice Garnier qu’il est temps qu’ils s’en aillent, et ils sortent accompagnés par le curé.
Quand bien même il n’aurait pas identifié la pose dans la couverture (une évocation de l’affiche de En cas de malheur), le lecteur comprend rapidement que les auteurs rendent hommage au cinéma français des années 1950. La bande dessinée se compose de douze chapitres et d’un prologue, chacun comprenant une page de titre avec un extrait de dialogue, issu d’un film de cette époque. Il est ainsi fait mention de Les Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier (1911-1996), La traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Série noire (1955) de Pierre Foucaud (1908-1976), Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry (1885-1957), Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil (1920-2002), Les grandes familles (1958) de Denys de la Patellière (1921-2013), Le petit monde de Don Camillo (1952) de Julien Duvivier (1896-1967), Et Dieu… créa la femme (1956) de Roger Vadim (1928-2000), L’auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara (1901-2000), En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle (1932-1995). Si Brigitte Bardot n’apparaît pas dans le récit, Jean Gabin (1904-1976) y joue un rôle le temps d’un des chapitres. Le lecteur se rend compte que les auteurs intègrent d’autres hommages, par exemple les bons mots (Knapp faisant observer que : Alors comme ça ce trou a un duc…), ou une affiche du film Ni vu ni connu (1958) d’Yves Robert (1920-2002). Petite entorse aux références françaises, un homme à la scène de la populace criant vengeance dans le film Frankenstein (1931), de James Whale (1889-1957).
En fonction de sa culture dans ce domaine, le lecteur peut relever d’autres références au cinéma de ces années-là, par exemple le nom de l’auteur du scénario du film fictif Tout est bon à prendre : Pierre Bost (1901- 1975), scénariste entre autres de Le Diable au corps (1947), La Traversée de Paris (1956), La Jument verte (1959). Ou à d’autres éléments culturels (il finit par associer le prénom de la dame stricte, Simone, au nom de famille de son époux, prononcé un peu après, Garnier). Il peut aussi considérer ce récit seulement comme une comédie romantique dans la France de la fin des années 1950, ce qui lui enlève un peu de saveur. L’intrigue repose sur l’arrivée de ce jeune homme appartenant au milieu du cinéma et expliquant qu’il vient en repérage dans le village pour un projet de film dans lequel devraient tourner Brigitte Bardot et Jean Gabin. Forcément, ça éveille l’intérêt de la plupart des notables, des commerçants et des habitants. Dans le déroulé du récit, le jeune homme rencontre une douzaine d’habitants, tous emblématiques comme le maire, le curé, le patron du café, le responsable du cinéma et sa fille magnifique, le duc, l’aubergiste et sa fille, le boulanger, et quelques personnes très alléchées par la perspective d’avoir un petit rôle dans le film à venir. Chaque chapitre porte le nom d’un endroit différent et met en scène Conrad Knapp dans ses relations avec les habitants : Au café, Au cinéma, À la mairie, Au village, Au château, au téléphone, Au stade, Au bal, Au comité, À l’église, et enfin deux titres plus révélateurs de l’intrigue.
Le lecteur s’attache donc aux pas et aux démarches du sympathique jeune homme, bien fait de sa personne et bien mis. La politesse verbale est de rigueur, avec des phrases simples, dépourvues de toute vulgarité. Même les remarques sur les qualités du postérieure de l’actrice restent très respectueuses, simplement admiratives de son anatomie, sans que ledit cliché ne soit donné à voir au lecteur (ce n’est pas ce genre de bande dessinée). Les dessins relèvent d’un registre descriptif et réaliste. L’artiste sait croquer les visages, et reproduire les ressemblances avec de acteurs célèbres de cette époque. Il donne un air sympathique à chaque personnage, des expressions de visage parfois un peu appuyées, sans aller jusqu’à la caricature, relevant plus d’un registre naturaliste. Il effectue une reconstitution historique impeccable de la France de ces années-là, depuis le célèbre modèle de voiture de la 4CV, jusqu’aux tenues vestimentaires. Chaque page se lit avec facilité, dégageant une sensation agréable de bienveillance entre les différentes personnes, même quand elles professent des idées opposées sur un sujet, par exemple sur le cinéma.
D’une certaine manière, le lecteur se laisse porter par la gentillesse de la narration visuelle, sans y prêter forcément beaucoup d’attention. De temps à autre, il sent son regard ralentir pour prendre le temps de profiter d’un décor, ou d’une mise en scène. Julie resplendissante dans sa robe, le café des Sports plus vrai que nature avec son juke-box, sa table de billard et son zinc, les habitants marchant à la suite du maire dans la rue principale de Trougnac pour se rendre au bâtiment abritant le cinéma, les motifs du papier peint au mur de la salle de réunion de la mairie, le modèle du projecteur dans la salle technique du cinéma, le superbe château et sa décoration intérieure, le match de foot opposant Trougnac à Poil, la décoration apparaissant comme vieillotte de la chambre d’hôtel, la foule vengeresse se dirigeant vers le château de monsieur le duc, etc. Tout apparaît naturel, plausible et évident.
Cette narration fluide et sympathique finit par être victime de ses propres qualités : le lecteur sent bien que l’intrigue restera inoffensive, que les comportements intéressés des habitants sont montrés comme des réactions plutôt naturelles aux opportunités que le tournage d’un film dans leur ville fait miroiter, et même à la possibilité de voir en vrai Jean Gabin, et Brigitte Bardot. Le scénariste glisse quelques indices discrets (et faciles à repérer) pour attirer l’attention du lecteur sur un questionnement légitime. Et voilà. Pas tout à fait, le récit va plus loin qu’un simple hommage élégant et fidèle à l’esprit des films de cette époque. Quelques rares voix s’élèvent pour s’opposer au tournage du film à Trougnac. Ce qui conduit Monsieur le Duc à exprimer son avis sur le cinéma, en tant que forme d’expression artistique. Il s’exprime ainsi : Mais, le cinéma ! ça, c’est stimulant ! Oui, il est universel ! Parce qu’il permet à chacun, peu importe sa condition, de s’identifier à ses héros, et de rêver d’être quelqu’un d’autre. Le cinéma possède cette intelligence de pouvoir refléter la conscience des hommes, puis de la dépasser pour s’approcher du mythe, d’arrêter le cours du temps, de le remonter, voire de le deviner, et de procurer au plus vieux des spectateurs, la douce sensation d’être redevenu un enfant, de sonder la cruauté de la création, d’indigner, d’interroger, de s’évader, de faire rire, rêver, pleurer, réfléchir. Le lecteur est alors amené à reconsidérer cette histoire en intégrant cette façon de voir les choses, ce credo.
Un hommage enamouré au cinéma français des années 1950. Les auteurs réalisent un récit dont leur admiration pour ce cinéma imprègne chaque page, avec une réelle reconnaissance, une réelle compréhension de ses spécificités. Le lecteur se retrouve transporté comme par enchantement dans une petite ville de province, aux côtés de Conrad Knapp effectuant un repérage pour le prochain film de Bardot & Gabin. Il se trouve rasséréné par l’accueil bienveillant et généreux des habitants, par les étoiles dans leurs yeux à l’idée que le cinéma vienne à leur commune. Il s’immerge dans cette évocation intelligente, qui en restitue l’esprit. Une autre époque, plus insouciante.
Cela faisait longtemps que je voulais lire cet album. La récente réédition des éditions Tanibis m’a permis d’enfin le découvrir (si la plupart du temps je salue les choix de Tanibis, je trouve que l’ancienne couverture était plus fidèle au contenu que celle choisie ici). Eh bien, malgré quelques longueurs, et un texte parfois trop abondant (mais aussi des vignettes un peu petites), c’est une lecture plaisante.
Le dessin est simple et tout mignon, la colorisation est volontairement vieillotte. Pas désagréable. D’autant plus que ça participe de l’ambiance créée par Briggs.
Si le début est un peu poussif, ça devient rapidement amusant. Pour les dialogues hors-sol du couple bien sûr. Mais aussi pour le délire survivaliste du pauvre de Monsieur.
Au travers de cette histoire loufoque, Briggs s’en prend à l’atmosphère d’hystérie qui a pu, à plusieurs reprises, faire perdre toute raison à pas mal de monde durant la guerre froide.
J’ai préféré la première partie du récit, où l’humour domine. Aux délires de monsieur, aux échanges entre monsieur et madame, s’ajoute un vocabulaire mal maîtrisé, qui accentue le ridicule de l’ensemble.
La suite escamoté l’humour au profit d’une noirceur omniprésente. J’ai moins aimé cette partie.
Note réelle 3,5/5.
Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé.
Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit.
Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix).
Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables.
Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante.
Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles…
Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau...
Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés.
Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit.
Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
3.5
Le truc avec les japonais est que s'ils surexploitent un peu trop un genre (comme ici les isekais), au moins il y a certains auteurs qui vont arriver avec un concept bien débile et bien l'utiliser comme c'est le cas ici.
Alors c'est l'histoire d'un homme japonais dans la cinquante banale qui après un accident se retrouve dans le jeu vidéo que sa fille otaku jouait ! Il se retrouve dans le rôle de la méchante rivale riche qui martyrise la pauvre héroïne roturière et il va agit comme il fait habituellement par accident. Du coup la méchante rivale agit comme un parent auprès de l'héroïne et elles vont vite devenir amies avec la méchante-papa qui est le mentor de la roturière. L'humour fonctionne bien et le scénario se renouvelle bien, c'est pas un manga avec le même gag répété encore et encore pendant 10 tomes. Le coté sérieux marche bien aussi.
Ce qui est vraiment génial est que si l'univers est le même univers de fantasy européen qu'on a vu dans des centaines de productions japonaises, dans le tome 2 l'auteur introduit un élément original que je n'avais jamais vu dans un scénario sur un type qui se réincarne dans un autre monde/jeu vidéo et c'est tellement évidement que je suis surpris que personne n'y a pensé avant. Aussi, ce type de récit s'adresse souvent aux otakus, les geeks japonais, et dans trop de séries j'ai l'impression qu'on flatte les aspects les plus négatives de cette culture (c'est bien de ce venger parce que tout le monde a été trop méchant avec moi, c'est bien de fantasmer sur des petites sœurs de 10 ans) et ce n'est pas le cas ici. Le héros et sa famille sont des otakus, mais ils sont sympathiques et s'aiment entre-eux alors je pense qu'ils sont une représentation positif de ce type de personnes.
Hervé Bourhis a signé pas mal de bandes dessinées autour de la musique, du rock et des Beatles. Il consacre ce nouvel album à Paul McCartney, le génial bassiste du groupe. Il fait plus précisément un focus sur la période 1969 - 1973, celle qui correspond à la fin du groupe et les premières années qui suivent cette séparation. Et si aujourd'hui McCartney est une légende incontestée, il est très interessant de se plonger sur cette période, pour voir à quel point Paul a connu une traversée du désert post Beatles.
La construction de l'album est assez simple, les faits sont racontés de manière chronologique. L'accent est mis sur les choses significatives et les évènements majeurs qui permettent de comprendre ce qui s'est passé à l'époque. Tout cela est rudement bien documenté, certains faits clés sont datés avec précisions. Mais il n'y a absolument pas la lourdeur que peuvent avoir certains documentaires très factuels. Le rythme auquel avance le récit est parfait, et tout ce qui est raconté est interessant et fait sens.
On découvre un McCartney pas en forme, et on comprend aisément son ressenti et son état d'esprit. L'album illustre bien quelle a été sa vie pendant cette période délicate. Entre conflit ouvert avec ses ex compagnons, bataille juridique par avocats interposés contre leur ancien manager, et désintérêt des fans pour son nouveau groupe, on peut dire qu'il a traversé une bonne grosse dépression. C'est juste incroyable de lire que pour la première tournée des Wings, il a collé les affiches à la main lui même, et qu'à 40 centimes la place de concert, il ne réussissait même pas à jouer dans une salle pleine. True story...
On voit aussi dans quel état d'esprit ont évolué les autres membres du groupe, les querelles, les tentatives de conciliation... Même si on sait comment s'est passé la suite de l'histoire, on ne peut pas s'empêcher d'espérer les voir se réconcilier...
Le trait de Bourhis, sans fioriture, est parfaitement adapté et finit de nous plonger dans l'ambiance. On voyage dans les années 70 pendant 90 pages. Une lecture très plaisante, un album clairement recommandé, si on aime un minimum la musique et les Beatles évidemment.
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création.
Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens)
Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages.
Un début de série qui donne envie d'en lire plus !
Il m'a été très difficile de me lancer enfin dans ces albums de Díaz Canalès et Pellejero. Car Corto Maltese est pour moi un monument de la BD mais surtout une œuvre très personnelle de Hugo Pratt, et la voir ainsi reprise tant d'années après sa mort me hérissait tant le poil qu'après avoir vaguement feuilleté le premier album au moment de sa sortie, j'ai mis près de 10 ans à enfin lire l'ensemble. Et malgré toutes mes réticences, tous mes a priori négatifs et mon envie de les détester, je dois admettre que c'est une très bonne reprise.
Oh, ce n'est pas parfait, il n'y a plus exactement le même esprit indéfinissable de Pratt, et scénarios et dessins ont ce petit quelque chose d'un peu raide, de dirigé, de fabriqué pour coller au moule de l'œuvre originale. Mais en même temps le travail est de si bonne qualité qu'on peut facilement passer outre et se laisser porter comme s'il s'agissait vraiment de nouvelles œuvres de l'auteur, de nouvelles aventures d'un personnage qu'on aime.
Le dessin de Ruben Pellejero est impeccable. Il se fond parfaitement dans le style de Pratt de la majorité de la série. Il n'a pas le côté lâché du trait de ses derniers albums, il est plus net et précis, et cela le rend aussi plus lisible. Il est dans la veine du dessin de mes albums préférés de la série originelle. Il lui manque un je ne sais quoi de cette liberté que Pratt s'autorisait ici et là, mais cela me va très bien comme ça.
Tous les albums ne m'ont pas autant plu, mais c'était déjà le cas pour la série de Pratt.
Le premier, Sous le soleil de Minuit, mêle les esprit de Pratt et de Jack London pour une aventure dans le Grand Nord. J'ai aimé le voyage et les thématiques originales qu'il aborde, j'ai aimé la densité et le sens de l'aventure de son récit. J'ai moins aimé la profusion de personnages qu'on finit par confondre et ne plus suivre.
Le second, Equatoria, nous ramène dans l'esprit des chasses au trésor sous les Tropiques (l'Equateur ici pour être précis) rappelant l'esprit des albums Sous le signe du Capricorne et Corto Toujours un peu plus loin. Ca tombe bien, ils font partie de mes préférés et là encore j'ai pris plaisir à cette invitation au voyage et à l'aventure, même si je commençais à me dire que les auteurs aimaient décidément beaucoup emmener leur personnage dans beaucoup d'endroits successifs.
Le troisième, Le Jour de Tarowean, est osé puisqu'il s'agit ni plus ni moins que du prequel à la Ballade de la Mer Salée, le pur récit d'aventure dans les mers du Sud qui a créé le personnage de Corto. C'est un récit bien mené, respectueux des personnages et qui fait bien le raccord avec le premier tome de Corto. Encore une fois, j'ai bien aimé.
Le quatrième album, Nocturnes berlinois m'a moins plu, de la même manière que les albums Helvétiques ou Tango m'avaient moins plu. On y est dans une ambiance plus réaliste, plus moderne et plus proche de l'historique et même du politique. Je m'y suis un peu ennuyé car je n'aime pas ces thématiques.
Et retour à l'aventure exotique avec le cinquième album, La Ligne de vie, qui encore une fois m'a bien plu même si là encore on sent un côté un peu forcé des auteurs dans leur manière de ramener des personnages du passé (Bouche dorée, Raspoutine encore, et là en particulier Banshee de l'album Fables Celtiques), pour bien rappeler que leurs aventures s'inscrivent dans la continuité de celles de Pratt.
Donc tout n'est pas parfait, c'est parfois un peu guindé, un peu forcé ou bien confus, et j'aurais pu rester dans mon refus de les lire par respect pour Hugo Pratt et son œuvre si personnelle, mais la reprise est objectivement très réussie et fidèle à l'esprit de son auteur, tant dans le dessin que dans la forme des intrigues et dans l'esprit des personnages et de la narration.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
The Song about Green
La première BD de Gao Yan, une jeune taïwanaise qui s'est inspirée de son amour de l'écriture, de la musique et d'un voyage au Japon (pour acheter l'album Kasemachi Roman), pour se lancer dans ce projet graphique. Elle avait déjà réalisé, en auto-édition, une première version de 32 pages de cette histoire. Mais c'est après avoir illustrée une couverture d'un roman de Haruki Murakami qu'elle l'étoffe pour atteindre plus de 500 pages. J'ai dévoré ces 2 tomes en un après-midi, une lecture cocooning pour un instant suspendu. C'est l'histoire de Lu, une jeune fille d'une vingtaine d'années qui étudie à Taipei. Une jeune fille timide et introvertie qui a un rapport viscérale avec la musique et l'écriture. Elle va faire la connaissance d'un jeune homme, Nanjun, et ils vont se découvrir des goûts communs (il est musicien dans un groupe) qui vont les rapprocher. Le début d'une belle amitié, mais Lu, doucement, va ressentir bien plus que cela. Je vais mettre en garde de suite, si vous cherchez de l'action, passez votre chemin. Nous avons ici un récit intimiste sur les premiers émois de Lu, avec en caisse de résonance la pop culture japonaise. Un récit duveteux, tendre et amer. Lu est touchante et attachante. Mais c'est surtout l'ambiance musicale qui m'a marqué, avec la découverte de nombreux artistes de la scène japonaise (il y a plein de bonnes surprises). Une narration globalement maîtrisée, un bémol sur certains passages un peu trop long à mon goût et sur l'apparition de l'amie providentielle. Mais rien de bien gênant. Je lis peu de manga, la faute à un graphisme qui ne me convient pas d'ordinaire. Ce n'est pas le cas sur ces deux albums. Le trait de Gao Yan est délicat et d'une finesse extrême. Les personnages sont beaux, les décors magnifiques (en particulier ceux des concerts) et les longs moments de silence font passer les émotions. Superbe. Un 4 étoiles pour le dépaysement, pour la découverte de la pop culture japonaise et pour la sincérité qui émane de Lu.
Les 4 morts de Betty Page
Personnellement j'ai apprécié ce thriller classique mais bien construit autour du personnage de Betty Page. La narration est fluide et l'enquête pas à pas des deux lieutenants n'est pas expédiée en trois planches grâce à une découverte inespérée. La série hésite souvent entre le thriller et l'érotique avec la profusion de scènes de nues. Cela est compréhensible puisque Betty anime un spectacle de striptease. Comme au Crazy horse les canons pour participer au spectacle sont assez restrictifs et correspondent à un fantasme sexué de l'imaginaire masculin. Toutefois j'entends la réserve de certains avis car les auteurs insistent sur le sujet avec des scènes superflues de la vie familiale et intime des lieutenants de police. De même Rodolphe propose un récit soft malgré l'horreur des crimes mais ce parti pris donne une ambiance légère et pas sordide qui me convient bien. Le graphisme de Bignon donne un travail précis sur l'ambiance du NY des années 50 avec un beau rendu des costumes, des ruelles ou des bars de l'époque. Les cadrages sont bons et cela donne un visuel dynamique, seule la mise en couleur n'est pas séduisante. Une note un peu généreuse pour un récit récréatif à mon goût.
Les Fesses à Bardot
Le cinéma est une allégorie, mon cher Léonce. L’allégorie de la condition humaine ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario et les dialogues, épaulé par Gaël Séjouné, par ce dernier pour la mise en cases, en images et en couleurs, soutenu par le premier. Il comprend cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée. Prologue : à Trougnac. Au volant de sa Renault 4CV, Conrad Knapp traverse une région boisée de la campagne française. Il s’arrête devant le panneau d’entrée de la ville de Trougnac, et il interpelle Fernand et Ginette, un vieux couple de paysans, leur demandant s’il y aurait par le plus grand des hasards, une salle de cinéma dans leur village. L’homme lui répond que Trougnac est un peu plus qu’un village, presque trois mille habitants, une équipe de foot et même une pharmacie. Presque, parce que tant qu’ils n’ont pas les trois mille, ils peuvent faire une croix sur la pharmacie. À la suite de l’intervention de son épouse, il explique au conducteur que Poil est le village d’à côté, qu’ils ne s’appellent pas des Poilus, qu’ils préfèrent être appelés des Pictiens, mais ça n’empêche pas les autres de les taquiner un peu, surtout aux matchs de football. Comprenant qu’il n’obtiendra pas de réponse à sa question, Knapp les plante là, et il entre dans le village. Chapitre un : Au café. Ayant avancé un peu dans la grande rue, Conrad Knapp hèle une jeune femme dans une jolie robe à pois blancs, avec un généreux décolleté. Il lui pose la même question : y aurait-il une salle de cinéma dans son village ? Elle répond avec le sourire que oui, c’est l’Éden, à l’Est. Elle ajoute : On ne peut pas le rater, il est juste à côté de l’église, ce n’est pas une grande salle, mais on peut y voir tous les films récents. Elle cite : Le beau serge, En cas de malheur, Maigret tend un piège. Il propose : Et ta sœur ? Et il dissipe le malentendu : il parle du film avec Pierre Fresnay. Elle ajoute que l’Éden c’est le duc qui l’a fait construire. Knapp se dit que ce trou a un duc. Conrad Knapp pénètre dans le café des Sports, et se rend au comptoir, alors que les habitués continuent leurs discussions : sur le scandale du bikini, sur le fait qu’il n’y a plus que des films avec des femmes à moitié nues, et que la télévision est plus accessible, même s’il n’y a peut-être qu’une vingtaine de postes ici. Madame Garnier estime que les films ont une influence néfaste, en particulier quand on voit cette diablesse blonde se trémousser sur la table là, cette dévergondée, cette… Knapp intervient dans la conversation pour en énoncer le nom : Brigitte Bardot. Toutes les conversations s’interrompent d’un coup. Il continue : Avec également Jean-Louis Trintignant et Curd Jürgens, tourné à Nice et à Saint Tropez, interdit aux moins de seize ans à sa sortie une heure et trente-deux minutes de plaisir. Répondant à une question, il précise qu’il était sur le tournage. Il enchaîne en commandant une autre Suze. Simone indique à son mari Maurice Garnier qu’il est temps qu’ils s’en aillent, et ils sortent accompagnés par le curé. Quand bien même il n’aurait pas identifié la pose dans la couverture (une évocation de l’affiche de En cas de malheur), le lecteur comprend rapidement que les auteurs rendent hommage au cinéma français des années 1950. La bande dessinée se compose de douze chapitres et d’un prologue, chacun comprenant une page de titre avec un extrait de dialogue, issu d’un film de cette époque. Il est ainsi fait mention de Les Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier (1911-1996), La traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Série noire (1955) de Pierre Foucaud (1908-1976), Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry (1885-1957), Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil (1920-2002), Les grandes familles (1958) de Denys de la Patellière (1921-2013), Le petit monde de Don Camillo (1952) de Julien Duvivier (1896-1967), Et Dieu… créa la femme (1956) de Roger Vadim (1928-2000), L’auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara (1901-2000), En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle (1932-1995). Si Brigitte Bardot n’apparaît pas dans le récit, Jean Gabin (1904-1976) y joue un rôle le temps d’un des chapitres. Le lecteur se rend compte que les auteurs intègrent d’autres hommages, par exemple les bons mots (Knapp faisant observer que : Alors comme ça ce trou a un duc…), ou une affiche du film Ni vu ni connu (1958) d’Yves Robert (1920-2002). Petite entorse aux références françaises, un homme à la scène de la populace criant vengeance dans le film Frankenstein (1931), de James Whale (1889-1957). En fonction de sa culture dans ce domaine, le lecteur peut relever d’autres références au cinéma de ces années-là, par exemple le nom de l’auteur du scénario du film fictif Tout est bon à prendre : Pierre Bost (1901- 1975), scénariste entre autres de Le Diable au corps (1947), La Traversée de Paris (1956), La Jument verte (1959). Ou à d’autres éléments culturels (il finit par associer le prénom de la dame stricte, Simone, au nom de famille de son époux, prononcé un peu après, Garnier). Il peut aussi considérer ce récit seulement comme une comédie romantique dans la France de la fin des années 1950, ce qui lui enlève un peu de saveur. L’intrigue repose sur l’arrivée de ce jeune homme appartenant au milieu du cinéma et expliquant qu’il vient en repérage dans le village pour un projet de film dans lequel devraient tourner Brigitte Bardot et Jean Gabin. Forcément, ça éveille l’intérêt de la plupart des notables, des commerçants et des habitants. Dans le déroulé du récit, le jeune homme rencontre une douzaine d’habitants, tous emblématiques comme le maire, le curé, le patron du café, le responsable du cinéma et sa fille magnifique, le duc, l’aubergiste et sa fille, le boulanger, et quelques personnes très alléchées par la perspective d’avoir un petit rôle dans le film à venir. Chaque chapitre porte le nom d’un endroit différent et met en scène Conrad Knapp dans ses relations avec les habitants : Au café, Au cinéma, À la mairie, Au village, Au château, au téléphone, Au stade, Au bal, Au comité, À l’église, et enfin deux titres plus révélateurs de l’intrigue. Le lecteur s’attache donc aux pas et aux démarches du sympathique jeune homme, bien fait de sa personne et bien mis. La politesse verbale est de rigueur, avec des phrases simples, dépourvues de toute vulgarité. Même les remarques sur les qualités du postérieure de l’actrice restent très respectueuses, simplement admiratives de son anatomie, sans que ledit cliché ne soit donné à voir au lecteur (ce n’est pas ce genre de bande dessinée). Les dessins relèvent d’un registre descriptif et réaliste. L’artiste sait croquer les visages, et reproduire les ressemblances avec de acteurs célèbres de cette époque. Il donne un air sympathique à chaque personnage, des expressions de visage parfois un peu appuyées, sans aller jusqu’à la caricature, relevant plus d’un registre naturaliste. Il effectue une reconstitution historique impeccable de la France de ces années-là, depuis le célèbre modèle de voiture de la 4CV, jusqu’aux tenues vestimentaires. Chaque page se lit avec facilité, dégageant une sensation agréable de bienveillance entre les différentes personnes, même quand elles professent des idées opposées sur un sujet, par exemple sur le cinéma. D’une certaine manière, le lecteur se laisse porter par la gentillesse de la narration visuelle, sans y prêter forcément beaucoup d’attention. De temps à autre, il sent son regard ralentir pour prendre le temps de profiter d’un décor, ou d’une mise en scène. Julie resplendissante dans sa robe, le café des Sports plus vrai que nature avec son juke-box, sa table de billard et son zinc, les habitants marchant à la suite du maire dans la rue principale de Trougnac pour se rendre au bâtiment abritant le cinéma, les motifs du papier peint au mur de la salle de réunion de la mairie, le modèle du projecteur dans la salle technique du cinéma, le superbe château et sa décoration intérieure, le match de foot opposant Trougnac à Poil, la décoration apparaissant comme vieillotte de la chambre d’hôtel, la foule vengeresse se dirigeant vers le château de monsieur le duc, etc. Tout apparaît naturel, plausible et évident. Cette narration fluide et sympathique finit par être victime de ses propres qualités : le lecteur sent bien que l’intrigue restera inoffensive, que les comportements intéressés des habitants sont montrés comme des réactions plutôt naturelles aux opportunités que le tournage d’un film dans leur ville fait miroiter, et même à la possibilité de voir en vrai Jean Gabin, et Brigitte Bardot. Le scénariste glisse quelques indices discrets (et faciles à repérer) pour attirer l’attention du lecteur sur un questionnement légitime. Et voilà. Pas tout à fait, le récit va plus loin qu’un simple hommage élégant et fidèle à l’esprit des films de cette époque. Quelques rares voix s’élèvent pour s’opposer au tournage du film à Trougnac. Ce qui conduit Monsieur le Duc à exprimer son avis sur le cinéma, en tant que forme d’expression artistique. Il s’exprime ainsi : Mais, le cinéma ! ça, c’est stimulant ! Oui, il est universel ! Parce qu’il permet à chacun, peu importe sa condition, de s’identifier à ses héros, et de rêver d’être quelqu’un d’autre. Le cinéma possède cette intelligence de pouvoir refléter la conscience des hommes, puis de la dépasser pour s’approcher du mythe, d’arrêter le cours du temps, de le remonter, voire de le deviner, et de procurer au plus vieux des spectateurs, la douce sensation d’être redevenu un enfant, de sonder la cruauté de la création, d’indigner, d’interroger, de s’évader, de faire rire, rêver, pleurer, réfléchir. Le lecteur est alors amené à reconsidérer cette histoire en intégrant cette façon de voir les choses, ce credo. Un hommage enamouré au cinéma français des années 1950. Les auteurs réalisent un récit dont leur admiration pour ce cinéma imprègne chaque page, avec une réelle reconnaissance, une réelle compréhension de ses spécificités. Le lecteur se retrouve transporté comme par enchantement dans une petite ville de province, aux côtés de Conrad Knapp effectuant un repérage pour le prochain film de Bardot & Gabin. Il se trouve rasséréné par l’accueil bienveillant et généreux des habitants, par les étoiles dans leurs yeux à l’idée que le cinéma vienne à leur commune. Il s’immerge dans cette évocation intelligente, qui en restitue l’esprit. Une autre époque, plus insouciante.
Quand souffle le vent (Briggs)
Cela faisait longtemps que je voulais lire cet album. La récente réédition des éditions Tanibis m’a permis d’enfin le découvrir (si la plupart du temps je salue les choix de Tanibis, je trouve que l’ancienne couverture était plus fidèle au contenu que celle choisie ici). Eh bien, malgré quelques longueurs, et un texte parfois trop abondant (mais aussi des vignettes un peu petites), c’est une lecture plaisante. Le dessin est simple et tout mignon, la colorisation est volontairement vieillotte. Pas désagréable. D’autant plus que ça participe de l’ambiance créée par Briggs. Si le début est un peu poussif, ça devient rapidement amusant. Pour les dialogues hors-sol du couple bien sûr. Mais aussi pour le délire survivaliste du pauvre de Monsieur. Au travers de cette histoire loufoque, Briggs s’en prend à l’atmosphère d’hystérie qui a pu, à plusieurs reprises, faire perdre toute raison à pas mal de monde durant la guerre froide. J’ai préféré la première partie du récit, où l’humour domine. Aux délires de monsieur, aux échanges entre monsieur et madame, s’ajoute un vocabulaire mal maîtrisé, qui accentue le ridicule de l’ensemble. La suite escamoté l’humour au profit d’une noirceur omniprésente. J’ai moins aimé cette partie. Note réelle 3,5/5.
Mon ami Pierrot
Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé. Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit. Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix). Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables. Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante. Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Les Météores
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles… Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau... Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés. Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit. Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
From bureaucrat to villainess
3.5 Le truc avec les japonais est que s'ils surexploitent un peu trop un genre (comme ici les isekais), au moins il y a certains auteurs qui vont arriver avec un concept bien débile et bien l'utiliser comme c'est le cas ici. Alors c'est l'histoire d'un homme japonais dans la cinquante banale qui après un accident se retrouve dans le jeu vidéo que sa fille otaku jouait ! Il se retrouve dans le rôle de la méchante rivale riche qui martyrise la pauvre héroïne roturière et il va agit comme il fait habituellement par accident. Du coup la méchante rivale agit comme un parent auprès de l'héroïne et elles vont vite devenir amies avec la méchante-papa qui est le mentor de la roturière. L'humour fonctionne bien et le scénario se renouvelle bien, c'est pas un manga avec le même gag répété encore et encore pendant 10 tomes. Le coté sérieux marche bien aussi. Ce qui est vraiment génial est que si l'univers est le même univers de fantasy européen qu'on a vu dans des centaines de productions japonaises, dans le tome 2 l'auteur introduit un élément original que je n'avais jamais vu dans un scénario sur un type qui se réincarne dans un autre monde/jeu vidéo et c'est tellement évidement que je suis surpris que personne n'y a pensé avant. Aussi, ce type de récit s'adresse souvent aux otakus, les geeks japonais, et dans trop de séries j'ai l'impression qu'on flatte les aspects les plus négatives de cette culture (c'est bien de ce venger parce que tout le monde a été trop méchant avec moi, c'est bien de fantasmer sur des petites sœurs de 10 ans) et ce n'est pas le cas ici. Le héros et sa famille sont des otakus, mais ils sont sympathiques et s'aiment entre-eux alors je pense qu'ils sont une représentation positif de ce type de personnes.
Paul
Hervé Bourhis a signé pas mal de bandes dessinées autour de la musique, du rock et des Beatles. Il consacre ce nouvel album à Paul McCartney, le génial bassiste du groupe. Il fait plus précisément un focus sur la période 1969 - 1973, celle qui correspond à la fin du groupe et les premières années qui suivent cette séparation. Et si aujourd'hui McCartney est une légende incontestée, il est très interessant de se plonger sur cette période, pour voir à quel point Paul a connu une traversée du désert post Beatles. La construction de l'album est assez simple, les faits sont racontés de manière chronologique. L'accent est mis sur les choses significatives et les évènements majeurs qui permettent de comprendre ce qui s'est passé à l'époque. Tout cela est rudement bien documenté, certains faits clés sont datés avec précisions. Mais il n'y a absolument pas la lourdeur que peuvent avoir certains documentaires très factuels. Le rythme auquel avance le récit est parfait, et tout ce qui est raconté est interessant et fait sens. On découvre un McCartney pas en forme, et on comprend aisément son ressenti et son état d'esprit. L'album illustre bien quelle a été sa vie pendant cette période délicate. Entre conflit ouvert avec ses ex compagnons, bataille juridique par avocats interposés contre leur ancien manager, et désintérêt des fans pour son nouveau groupe, on peut dire qu'il a traversé une bonne grosse dépression. C'est juste incroyable de lire que pour la première tournée des Wings, il a collé les affiches à la main lui même, et qu'à 40 centimes la place de concert, il ne réussissait même pas à jouer dans une salle pleine. True story... On voit aussi dans quel état d'esprit ont évolué les autres membres du groupe, les querelles, les tentatives de conciliation... Même si on sait comment s'est passé la suite de l'histoire, on ne peut pas s'empêcher d'espérer les voir se réconcilier... Le trait de Bourhis, sans fioriture, est parfaitement adapté et finit de nous plonger dans l'ambiance. On voyage dans les années 70 pendant 90 pages. Une lecture très plaisante, un album clairement recommandé, si on aime un minimum la musique et les Beatles évidemment.
Fauve - L'Exorciste du Louvre
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création. Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens) Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages. Un début de série qui donne envie d'en lire plus !
Corto Maltese (Diaz Canalès & Pellejero)
Il m'a été très difficile de me lancer enfin dans ces albums de Díaz Canalès et Pellejero. Car Corto Maltese est pour moi un monument de la BD mais surtout une œuvre très personnelle de Hugo Pratt, et la voir ainsi reprise tant d'années après sa mort me hérissait tant le poil qu'après avoir vaguement feuilleté le premier album au moment de sa sortie, j'ai mis près de 10 ans à enfin lire l'ensemble. Et malgré toutes mes réticences, tous mes a priori négatifs et mon envie de les détester, je dois admettre que c'est une très bonne reprise. Oh, ce n'est pas parfait, il n'y a plus exactement le même esprit indéfinissable de Pratt, et scénarios et dessins ont ce petit quelque chose d'un peu raide, de dirigé, de fabriqué pour coller au moule de l'œuvre originale. Mais en même temps le travail est de si bonne qualité qu'on peut facilement passer outre et se laisser porter comme s'il s'agissait vraiment de nouvelles œuvres de l'auteur, de nouvelles aventures d'un personnage qu'on aime. Le dessin de Ruben Pellejero est impeccable. Il se fond parfaitement dans le style de Pratt de la majorité de la série. Il n'a pas le côté lâché du trait de ses derniers albums, il est plus net et précis, et cela le rend aussi plus lisible. Il est dans la veine du dessin de mes albums préférés de la série originelle. Il lui manque un je ne sais quoi de cette liberté que Pratt s'autorisait ici et là, mais cela me va très bien comme ça. Tous les albums ne m'ont pas autant plu, mais c'était déjà le cas pour la série de Pratt. Le premier, Sous le soleil de Minuit, mêle les esprit de Pratt et de Jack London pour une aventure dans le Grand Nord. J'ai aimé le voyage et les thématiques originales qu'il aborde, j'ai aimé la densité et le sens de l'aventure de son récit. J'ai moins aimé la profusion de personnages qu'on finit par confondre et ne plus suivre. Le second, Equatoria, nous ramène dans l'esprit des chasses au trésor sous les Tropiques (l'Equateur ici pour être précis) rappelant l'esprit des albums Sous le signe du Capricorne et Corto Toujours un peu plus loin. Ca tombe bien, ils font partie de mes préférés et là encore j'ai pris plaisir à cette invitation au voyage et à l'aventure, même si je commençais à me dire que les auteurs aimaient décidément beaucoup emmener leur personnage dans beaucoup d'endroits successifs. Le troisième, Le Jour de Tarowean, est osé puisqu'il s'agit ni plus ni moins que du prequel à la Ballade de la Mer Salée, le pur récit d'aventure dans les mers du Sud qui a créé le personnage de Corto. C'est un récit bien mené, respectueux des personnages et qui fait bien le raccord avec le premier tome de Corto. Encore une fois, j'ai bien aimé. Le quatrième album, Nocturnes berlinois m'a moins plu, de la même manière que les albums Helvétiques ou Tango m'avaient moins plu. On y est dans une ambiance plus réaliste, plus moderne et plus proche de l'historique et même du politique. Je m'y suis un peu ennuyé car je n'aime pas ces thématiques. Et retour à l'aventure exotique avec le cinquième album, La Ligne de vie, qui encore une fois m'a bien plu même si là encore on sent un côté un peu forcé des auteurs dans leur manière de ramener des personnages du passé (Bouche dorée, Raspoutine encore, et là en particulier Banshee de l'album Fables Celtiques), pour bien rappeler que leurs aventures s'inscrivent dans la continuité de celles de Pratt. Donc tout n'est pas parfait, c'est parfois un peu guindé, un peu forcé ou bien confus, et j'aurais pu rester dans mon refus de les lire par respect pour Hugo Pratt et son œuvre si personnelle, mais la reprise est objectivement très réussie et fidèle à l'esprit de son auteur, tant dans le dessin que dans la forme des intrigues et dans l'esprit des personnages et de la narration.