Et voilà. 35 tomes, 7 par race, pas un de plus. Quand j'ai commencé à lire la collection, je ne connaissais pas le concept de JL ISTIN. Et j'avoue, c'est efficace. Mon plaisir a débuté à partir du tome 6 jusqu'à la fin de l'histoire de Lah'saa. Ensuite je m'attendais à ce qu'une nouvelle trame débute pour lier les races à une intrigue centrale, mais que neni.... Rien du tout. Seulement un bout de quête des elfes rouges par ci, un bout de quête d'Alyana par là.... Et c'est tout. Dommage. Globalement, toutes les races sont intéressantes même si certaines sont mieux exploitées que d'autres. L'apparition de certain personnage clés des autres séries Nains / Orcs et gobelins est un gros plus. Ça permet d'enrichir davantage les univers.
Voici mes notes sur les races :
Elfes bleus - 5/5 : Lanawyn est incontournable. Sa quête pour combattre le mal des goules et ensuite sa possession via Lah'saa, j'ai vraiment adoré.
Elfes Blancs - 5/5 : un peu long à démarrer mais quel plaisir de voir la descendance de Tenashep et Fall se lancer dans une nouvelle quête qui toutefois ne sera pas assez exploité à mon goût....
Elfes Sylvains - 3,5/5 : un peu dommage, tout avait bien commencé avec Ora puis on s'est un peu perdu avec les oghams. Je n'ai pas accroché même si le dernier tome 33 a rattrapé un peu le tout.
Elfes Noirs - 2,5/5 : tout juste la moyenne. Beaucoup de gens disent que les elfes noirs ont l'histoire la plus intéressante... Pas pour ma part. À part le fait que Lah'saa attaque Slurce et mêle cette race à l'histoire des autres, ce sera le seul moment où c'était intéressant pour moi.
Semi-elfes : 1/5 : gros loupé sur cette race. Trop de tome dont l'histoire commence et se termine en 1 fois. Pas de personnage charismatique. On tourne souvent en rond. Dommage car il y avait du potentiel.
Pour finir, les dessins sont top, j'ai adoré les couleurs. Beaucoup de personnalité de la BD française sur ce gros projet, et ça se voit, Elfes est une très belle collection parmi l'univers d'Aquilon. Je suis en train d'acheter les tomes des autres collections pour me refaire la totale en version "dans quel ordre faut t-il lire Elfes", tapez ça sur Google, vous comprendrez comme c'est énorme !
Écraser son prochain pour exister ! Et c’est pareil à tous les niveaux, ici, comme ailleurs !
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Ce tome contient six histoires mettant en scène Carla une conductrice de taxi. Son édition originale date de 1993. Il a bénéficié d’une réédition soignée en 2024. Il a été réalisé par Jacques Lob (1932-1990) pour le scénario, et par Edmond Baudoin pour les dessins, et les couleurs de la deuxième histoire. Il compte soixante-quatorze pages de bande dessinée, plus deux pour l’introduction. Celle-ci a été réalisée par Baudoin seul, après le décès du scénariste : il parle du cancer du défunt, et d’avoir écrit le dernier scénario après, avec une touche de prétention puisque Carla tue la mort.
C’est à l’heure où l’ombre chasse la grisaille pour servir d’écrin aux lumières de la ville… Carla tourne la clé de contact. La Mercedes démarre en douceur et pénètre dans la nuit. À l’horizon, le soleil disparait, noyé dans l’horizon… Dans la rue, Gil hèle son taxi. Vingt heures quarante-cinq, à l’angle de l’avenue Philip-Robin et du boulevard Ghilmetti. Carla arrête sa Mercedes et le prend en charge. Il lui demande de le conduire à l’aéroport, et il ajoute qu’il est très pressé. Après quelques minutes, il demande à la conductrice si elle ne pourrait pas aller un peu plus vite, il est vraiment très pressé. Elle lui demande à quelle heure est son avion : il répond qu’il faut absolument qu’il soit là-bas avant la demie ! Une fois sur place, elle souhaite savoir où elle doit le déposer : il explique que c’est la Tansaerial, de le laisser au départ. À 21h27, elle le dépose, il lui tend plusieurs billets et s’en va en courant sans récupérer sa monnaie, il n’en a pas le temps. Il arrive à la porte d’embarquement, mais trop tard, il voit l’avion de sa bien-aimée Trilby s’envoler. Il retourne à son point de dépose, complètement démuni, et Carla lui propose de le ramener, sa monnaie servira à payer la course. Elle constate qu’il a dû arriver trop tard, et après quelques banalités, il lui raconte son histoire.
C’est un samedi soir à l’atmosphère bruyante et survoltée dans la grande ville. Un aveugle s’engage pour traverser une grande avenue à une heure de pointe, se faisant klaxonner de toute part. Les conducteurs se mettent à l’insulter. Il se retrouve vite au milieu du carrefour, cerné de voitures aux conducteurs énervés. Une femme arrive et s’interpose : Maggie hèle le taxi de Carla, y prend place avec Gil, en grillant la politesse à un client qui s’apprêtait à y monter. Elle donne l’adresse : 23 rue des Robiaux, c’est dans la zone Est, près de la Tour brûlée. Le couple se dispute sur la banquette arrière : Alex estime qu’il n’aurait pas écouter Maggie car il ne voulait pas sortir, et elle lui reproche de vouloir se remettre à vivre comme avant. Carla pense à la Tour brûlée : elle devait être l’un des édifices les plus prestigieux de la ville. Mais certains durent y voir un symbole trop voyant du capitalisme triomphant. Un gigantesque incendie d’origine criminelle mit fin en une nuit à ce rêve de pierre et de métal. La tour n’est plus maintenant qu’un immense squelette noirci dominant la ville. Sa désolation sert de repaire, dit-on, à des individus peu fréquentables.
Comme l’indique la préface, ce recueil regroupe des histoires parmi les dernières de Jacques Lob qui avait déjà travaillé avec Georges Pichard pour Blanche Épiphanie, avec Philippe Druillet pour Lone Sloane, avec Jijé pour Jerry Spring, avec Gotlib et Jean Solé pour Superdupont, avec Jean-Marc Rochette pour Transperceneige, et d’autres, sa carrière de scénariste ayant débuté en 1963. La carrière du dessinateur s’avère plus récente, ayant commencé au début des années 1980. Le lecteur commence par découvrir l’introduction : une forme de narration très libre tirant vers le texte agrémenté d’illustrations, avec également des personnages parlant dans des phylactères. Puis arrivent les histoires : une narration visuelle en noir & blanc, avec des cases sagement alignées en bande. Les traits et les ombrages sont épais, établissant une atmosphère nocturne. Les dessins se situent dans un registre descriptif, avec une approche réaliste, souvent teintée d’expressionnisme, avec quelques touches d’impressionnisme à d’autres moments. De son côté, le scénariste concocte des histoires sur une même trame : Carla prend en charge une ou deux personnes dans son taxi. Ils communiquent ensemble et elle fait connaissance d’une partie de sa vie, se retrouvant impliquée émotionnellement dans les enjeux du moment de son passager. À chaque fois, elle découvre un pan de son passé, plus ou moins éloigné. Chaque récit se conclut sur une fin en bonne et due forme, parfois teintée de justice poétique.
Orienté par l’introduction de Baudoin, le lecteur commence à chercher des signes de la présence de la mort dans chaque histoire. L’amoureux qui essaye de rallier l’aéroport avant que sa compagne ne reparte pour les États-Unis : la mort y est bien présente. Alex l’aveugle qui a recouvré la vue : la mort est prête à entrer en scène. Un gugusse à l’allure inquiétante qui a pris place sur la banquette arrière : Carla craint pour sa vie et il y aura un mort et même deux au cours du récit. Le vieux monsieur avec la fillette : la mort pèse lourdement sur leur vie. L’architecte de la tour 2000 : plusieurs morts à déplorer. Le dernier récit, celui écrit par Baudoin : le passager pris en charge s’appelle la Muerte. Le lecteur risque-t-il la dépression ? Il dispose du point de vue de Carla dans chaque récit : elle fait preuve d’empathie de compassion, et de sollicitude, s’inquiétant pour un de ses passagers dont elle soupçonne qu’il a l’intention de suicider. Elle constitue le point d’ancrage du lecteur : une jeune femme, peut-être la trentaine, à la fois riche des quinze mille ou vingt mille clients qu’elle a pu charger, à la fois intriguée par chaque personne prenant place dans son taxi au cours de ces six histoires, sans être blasée, faisant montre d’une curiosité naturelle pour chaque vie, chaque drame, sans cynisme ou fatalisme. Elle se montre bienveillante, même pour le type inquiétant au visage bandé, à l’écoute de l’amoureux abandonné, rapportant la cane que l’aveugle a oublié dans son taxi, désolé pour le vieux monsieur de la tournure que prend sa relation avec la fillette, couchant avec un de ses clients. Il n’y a que dans le récit écrit par Baudoin où elle se montre impitoyable.
Le lecteur se trouve impliqué dans chaque histoire personnelle. Le scénariste utilise une forme assez écrite : une intrigue avec un début, un développement et une fin, des individus avec leur personnalité, leurs motivations. Il utilise aussi bien les dialogues, que les commentaires dans des cartouches de texte, et des monologues d’exposition. Il met systématiquement en œuvre le dispositif de prise en charge d’un client par Carla dans son taxi, avec des variations à chaque fois : un client unique, un couple amoureux, une fillette et un homme qui pourrait être son grand-père. Il use de sa liberté de conteur pour varier les situations, ainsi que les décors : ceux-ci changent quand les personnages racontent leur histoire car elle se déroule en dehors de l’habitacle, et Carla elle-même n’est pas cantonnée à son véhicule, elle peut rentrer chez elle, prendre l’air en rase campagne en revenant de l’aéroport, sortir se dégourdir les jambes sur le trottoir, monter les étages de la Tour brûlée, sortir de son véhicule au beau milieu de nulle part. en outre ces histoires bénéficient d’une narration visuelle peu commune.
Dans cette phase de sa carrière, Edmond Baudoin s’en tient encore à une forme classique de cases rectangulaires dotées d’une bordure, et alignées en bande. Il reste encore assez proche du réel pour la représentation d’éléments concrets comme les voitures ou les immeubles, respectant leurs formes, leur allure générale et leur proportion. Dans le même temps, il joue déjà avec les outils : des lignes épaisses au pinceau, ou bien des traits très fins, des aplats de noirs aux contours fluides pouvant donner la sensation que les ambiances nocturnes projettent des ombres mouvantes, jusqu’à parfois générer des motifs abstraits, jouant parfois avec des textures entre traits très secs et effets estompées. Dans la seconde histoire, il utilise la couleur pendant trois pages pour matérialiser le fait que le personnage a recouvré la vue. Il joue avec les traits du visage de Carla, les coups de pinceau pour les lèvres et pour le pourtour des yeux devenant de plus en plus épais, donnant des allures de masque tribal conceptuel au visage de la conductrice. Régulièrement, le lecteur peut détecter une influence picturale : des contrastes poussés au maximum entre les surfaces noires et les blanches comme le faisait Frank Miller dans Sin City, des ondulations en fond de case comme dans un tableau de Van Gogh, une onomatopée à base d’une longue suite ondulante de lettres U dans le noir du ciel, des visages proches du pop’art, une ou deux cases abstraites ne prenant un sens figuratif que replacées dans le contexte de la suite de cases, des motifs géométriques, des épures évoquant le minimalisme d’Alex Toth, etc. L’artiste réalise ses dessins de manière à ce qu’ils expriment l’état d’esprit de Carla ou de ses passagers, la réalité telle qu’ils la ressentent.
Jacques Lob met en scène une jeune femme exerçant un métier d’homme pour l’époque, indépendante, sans attache (il n’est jamais fait mention d’une famille ou même d’amis), à l’aise avec sa forme de solitude, satisfaite de son métier. Elle se lie facilement avec ses clients, du moins ceux qui sont mis en scène, sans crainte, sans a priori, sans ressenti négatifs d’infériorité ou de supériorité. Elle fait preuve d’une empathie constructive, conservant une distance normale, sans réduire ses interlocuteurs à un simple sujet d’étude, sans vampiriser leurs émotions, ou s’identifier à eux. Les situations dramatiques évoquent la séparation lorsque la relation amoureuse est déséquilibrée, la dépendance affective de celui qui est quitté, l’impossibilité de d’envisager un avenir commun satisfaisant et épanouissant, la peur découlant du risque d’agression physique, la culpabilité insupportable réelle ou imaginaire. Pour la cinquième histoire, il met en scène un architecte dont la réalisation professionnelle a été sabotée par des entreprises malhonnêtes : une situation intenable dans laquelle un individu doit endosser une partie de la responsabilité des malfaçons dont il n’est aucunement responsable et qui entachent son travail. Pour finir, Baudoin écrit un récit qui peut se lire comme un hommage au scénariste emporté par la maladie. Autant de thèmes adultes et sensibles.
Une collection de six nouvelles à la narration personnelle, grâce aux dessins aux traits épais et souples, montrant une ville et des individus entre environnements concrets et manifestations de leurs états d’esprit, dans un noir & blanc très organique, propice aux ressentis et à l’empathie. Le scénariste met en scène une jeune femme bien dans sa peau et dans son métier de conductrice de taxi, interagissant avec des clients en proie à une tragédie, comme un avatar bienveillant du lecteur. Touchant.
Lili Sohn arrive à Marseille. Avec sa famille. Ils s’installent au Grand Domaine. Lili Sohn est curieuse, des gens et du lieu. Elle devient archiviste, historienne mais surtout voisine et amie. J’ai beaucoup aimé cette BD, qu’elle a illustrée elle-même. J’ai aimé sa fantaisie, ses questions et les réponses des habitants. Le Grand Domaine est un être vivant.
J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre cette variation autour de la croisière jaune d'André Citroën au siècle dernier.
On a une bonne représentation des mentalités de l'époque sans trop verser dans la caricature.
Les péripéties sont variées et dépaysantes et le dessin ne manque pas de personnalité.
Je commençais à m'attacher à certains personnages, aussi ai-je été déçu d'apprendre l'abandon de cette série.
Mon unique reproche vient du rôle anecdotique accordé à Alice, qui figure pourtant en bonne place sur les couvertures. Elle sert principalement de destinataire aux courriers de Victor, qui assurent la voix off du périple.
Laurent Astier (La Venin, Comment faire fortune en juin 40) signe un récit autobiographique. Mais il ne sera nullement question de son parcours en tant qu'auteur de BD. Cet album est en réalité un hommage posthume, dédié à l'amitié qu'il entretenait avec Cyril, son meilleur ami décédé. Il lui a fallu longtemps pour arriver à écrire cet album, il a d'abord fallu accepter la perte de son pote, en faire le deuil, écrire plusieurs versions de l'histoire qui ne le satisfaisait visiblement pas. Par douleur sans doute, mais aussi par pudeur. Et au bout d'années de travail, l'hommage est là.
C'est un livre qu'on sent extrêmement sincère. Il relate leur rencontre, leur amitié naissante, puis grandissante. On sent plus que de l'amitié entre eux. Laurent admire son pote, qui est tout ce que lui n'est pas. Extraverti, optimiste, solaire... tout l'inverse de lui. Au fil des anecdotes on ressent la force de leur amitié. Puis arrive la maladie, les doutes, la tristesse... Toute la seconde partie de l'album raconte les longues années de souffrance qu'a enduré son ami malade.
Un sujet dur, mais pour autant l'album ne m'a pas paru poignant ou triste, au contraire. Plus qu'une autobiographie, ce livre est un bel hommage que l'auteur rend à son ami. Même affaibli, ou traversant des moments tragiques, il est toujours mis en lumière, fidèle à l'homme jovial et positif du début.
Ecrire ce livre fait sans doute parti d'un processus de deuil ou de thérapie, qui a du faire du bien à l'auteur. Ca se sent. En tout cas, très rapidement on s'attache à son ami et il est difficile de lâcher l'album avant de l'avoir lu en intégralité.
Le petit mot de la fin, ajoute ce qu'il faut d'émotion pour conclure cette lecture. Nous aussi on trouve que c'est injuste de mourir si jeune... quel bel hommage rendu à son ami...
Watership Down, roman de l'auteur britannique Richard Adams paru en 1972, m'avait marqué lors de ma jeunesse. Avec pour protagonistes une communauté de lapins de garenne, il parvient à conjuguer aventure, poésie et rudesse dans un récit d'une étonnante densité. Il a également été adapté en 1978 en un film d'animation réputé pour avoir traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs, tant certaines scènes y sont violentes, reflet fidèle, en vérité, de la nature épique et impitoyable de l'histoire d'origine. Car la société des lapins que l'on y découvre est tout sauf paisible.
Tout commence dans une garenne bien établie, le jour où le petit frère du héros Hazel a une vision apocalyptique. Devant l'incrédulité du chef de la communauté, Hazel et quelques compagnons décident de fuir en secret, entamant un périple semé d'embûches. Leur chemin sera jalonné de dangers multiples, parfois liés à la nature, parfois à l'homme, mais souvent aux autres lapins eux-mêmes, dont certains se révèlent des plus cruels. Parvenus à fonder une nouvelle petite garenne sur la colline de Watership Down, les survivants devront affronter une autre communauté totalitaire afin de permettre à leur groupe de se pérenniser. L'enjeu : trouver des femelles pour assurer la survie de leur colonie.
L'éditeur Monsieur Toussaint Louverture publie cette BD déjà récompensée par l'Eisner Award 2024 de la meilleure adaptation et il le fait avec la manière. Au format bouquin avec un dos rond et une couverture épaisse et élégante, rehaussée d'un vernis sélectif cuivré, c'est un superbe ouvrage au papier épais et solide. Il justifie largement son prix un peu élevé par sa pagination généreuse de plus de 350 pages, sa qualité de fabrication et la richesse de son contenu. C'est un objet qu'on affiche avec plaisir dans sa bibliothèque, aux côtés d'autres beaux albums comme Château l'Attente par exemple qui avait bénéficié du même soin éditorial.
Mais au-delà du contenant, c'est bien le contenu qui impressionne. Le récit original de Richard Adams brillait déjà par sa capacité à insuffler un souffle épique à une fable animalière, tout en explorant la dureté du monde sauvage, la solidarité, le courage et la transmission des mythes. L'univers des lapins est doté d'un langage propre, de légendes fondatrices et d'une cohérence interne fascinante. Cette édition s'enrichit d'ailleurs d'une carte détachée des lieux traversés ainsi que d'un glossaire reprenant les termes spécifiques à leur culture.
Le scénario de James Sturm réussit l'exploit de restituer fidèlement cette richesse sans alourdir le récit. Le rythme est maîtrisé, les dialogues limpides, et la narration fluide. Quant au dessin de Joe Sutphin, légèrement naturaliste, il colle parfaitement à l'ambiance du récit. Il parvient à exprimer toute la vitalité des lapins, à restituer les paysages de la campagne anglaise avec simplicité et beauté, et à insuffler une vraie tension dans les scènes d'action. Il trouve quelques petites idées graphiques pour permettre de reconnaitre les personnages même s'il faut admettre que c'est probablement là la seule faiblesse de l'ensemble, la quantité de lapins étant telle qu'il est parfois ardu de différencier les uns des autres. Si les dialogues permettent sans problème de ne pas s'y perdre la majorité du temps, j'ai ressenti cette difficulté dans une scène de combat vers la fin de l'album où l'on passe d'un combattant à un autre sans que je l'ai compris en première lecture, ce qui m'a forcé à revenir en arrière pour bien assimiler ce qu'il s'était déroulé. Cela reste toutefois un bémol mineur face à la qualité générale de la mise en scène et du dessin.
Violence, danger, fraternité, paysages bucoliques, moments de grâce et d'angoisse : tout y est. Cette adaptation graphique de Watership Down est une franche réussite, à la fois respectueuse de l'œuvre originale et pleinement convaincante dans sa forme. Un album dense, émouvant, intelligent et magnifiquement réalisé. Une vraie réussite sur tous les plans !
Je poste mon avis le jour du quatre-vingtième anniversaire de la libération du camp de Ravensbrück, l’un de ces lieux où l’horreur concentrationnaire et mortifère nazie s’est développée. Lieu ou des dizaines de milliers de femmes ont été déportées, torturées, tuées. Lieu où près de 500 bébés sont nés. Grâce au courage et à l’entraide des déportées, quelques-uns ont survécu à cet enfer. Lieu où se sont déroulés les faits relatés ici.
Je ne connais pas le roman de Valentine Goby à l’origine de cet album. Mais je ne peux qu’être admiratif de l’énorme travail réalisé par Ivan Gros. Pour l’adapter, mais aussi pour y apporter sa vision du travail mémoriel. Il va pour cela, en plus d’un énorme travail de recherche (voir la bibliographie en fin de volume), utiliser comme matériau les dessins réalisés et sauvés au péril de leur vie par certaines détenues.
Avec ce matériau, et l’utilisation du personnage fictif de Mila, Gros va retracer l’horreur du camp, mêlant Mila à de vraies déportées – dont les noms sont parfois modifiés.
C’est un sujet que je connais bien, particulièrement ce camp de Ravensbrück (le plus grand camp où étaient déportées les femmes, dans une zone au climat pénible du nord de l’Allemagne). Je connais en particulier très bien le « vécu » d’un personnage important du récit, ici nommée Sabine, de son vrai nom Marie-Jo Chombart de Lauwe.
Je l’ai rencontrée de nombreuses fois, et j’ai été à chaque fois impressionné et bouleversé par son témoignage, mais aussi par sa force de caractère, son engagement sans faille contre l’injustice et sa soif de combat même au-delà de 90 ans. Discuter avec elle, qui multipliait à plus de 90 ans les projets et autres interventions, était enrichissant : clairement l’une des personnes dont la rencontre m’a le plus marqué.
Elle est venue rencontrer des élèves, témoigner de son rôle de résistante, de son arrestation puis de sa déportation. Et, lorsqu’elle abordait Ravensbrück, les passages où elle expliquait les efforts faits pour sauver des bébés étaient plus que poignants. On retrouve ici les anecdotes qu’elle donnait, et la lutte pour la vie au milieu d’un univers de mort.
Pour revenir à l’album, je dois dire que la lecture est ardue, assez ingrate. Mais intéressante. Car, par-delà le sujet lui-même, Gros livre une profonde réflexion sur la façon de représenter le camp et ce qui s’y passait, citant et commentant les sources, les dessins des détenues, les polémiques concernant d’autres représentations (par exemple l’album de Croci sur Auschwitz), reprenant certaines idées de Spiegelman. Un refus de sensationnalisme, mais aussi d’esthétiser l’horreur.
Un album exigeant, mais que je recommande chaudement.
Je continue ma découverte des BDs de Norm Konyu, après les superbes « The junction » et « The space between the trees » (encore non traduites en français au moment où j’ecris cet avis), et je ressors une nouvelle fois ravi de ma lecture.
L’auteur revisite le mythe éculé du fantôme, et base son récit sur les légendes et le folklore de sa région adoptive, les collines du « South Downs » de la côte sud anglaise : le chien noir diabolique « Black Shuck », la légende de la Dame Blanche (l’autostoppeuse fantôme), les pleurs de bébé dans la nuit, les cercles de pierres levées (il en existe 316 juste en Angleterre), et bien plus encore. L’histoire prend la forme d’une enquête historique conduite par un jeune garçon qui vient de perdre sa sœur dans des circonstances mystérieuses. Les termes « classique mais efficace » décrivent parfaitement cette intrigue enjouée et prenante, et si la fin est un peu convenue, je dois avouer avoir englouti l’album d’une traite.
On reconnait bien le style cartoon et informatisé de l’auteur, qui sert parfaitement l’histoire. Moi, j’aime beaucoup, je trouve les planches élégantes, j’aime ce genre de graphisme (terme plus adapté que « dessin »).
Une chouette histoire de fantômes, ancrée dans le folklore anglais.
3.5
Pour l'instant, c'est le récit de Tillie Walden que j'ai le plus apprécié. Il faut dire que le récit fait partie d'un genre que j'aime bien: la science-fiction, mais qui mélange du fantastique donc tout peut arriver, c'est pas de la science-fiction classique avec des trucs que j'ai déjà vus plein de fois.
Le scénario est dense et il faut prendre son temps pour bien lire l'album, le genre de lecture parfait si on a deux ou trois heures où on n'a rien à faire. Encore une fois avec cette autrice, le rythme est un peu lent, mais cela ne m'a pas dérangé parce que le scénario est plutôt prenant et les personnages sont attachants. En tout cas, je ne vois pas trop quoi dire de plus que les autres avis hormis que j'ai bien aimé ma lecture et que ça se lit bien malgré le fait que ça fait plus de 500 pages. Je comprends que cela risque de faire peur à quelques lecteurs, mais la narration est fluide et cela ne parait jamais trop long. On retrouve des thèmes que l'autrice aime bien développer comme l'amour entre deux filles.
Le dessin est très bon comme c'est toujours le cas avec Walden.
Alors "L'imposture" c'est plutôt un "oui!"
La lecture des 15 premières pages lance l'histoire de façon incroyable et laissent le lecteur hors d'haleine. Il est certain qu'ensuite il va être très difficile de ne pas lire la suite afin de savoir comment tout ça va se terminer. Surtout quand on sait que c'est une histoire vraie, écrite et dessinée par la jeune femme qui a été victime de cette fameuse "imposture".
Cette histoire est folle, limite irréelle, et ferait (fera?) même un super sujet pour un film. Malheureusement, tout cela est réel, et c'est bien ce qui est arrivé à cette jeune femme. On va suivre avec elle, la sidération avec la découverte de cette imposture, puis le chemin de croix pour se remettre à l'endroit, notamment face à une administration française assez inhumaine.
Alors oui: le dessin est assez simple, mais une fois qu'on accepte qu'on n'a pas affaire à une professionnel du dessin, mais plutôt quelqu'un qui choisit d'utiliser la bande dessinée pour raconter son histoire et du coup se reconstruire, la lecture se fait très bien. L'histoire est suffisamment puissante pour sublimer le trait un peu basique de toute façon.
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Elfes
Et voilà. 35 tomes, 7 par race, pas un de plus. Quand j'ai commencé à lire la collection, je ne connaissais pas le concept de JL ISTIN. Et j'avoue, c'est efficace. Mon plaisir a débuté à partir du tome 6 jusqu'à la fin de l'histoire de Lah'saa. Ensuite je m'attendais à ce qu'une nouvelle trame débute pour lier les races à une intrigue centrale, mais que neni.... Rien du tout. Seulement un bout de quête des elfes rouges par ci, un bout de quête d'Alyana par là.... Et c'est tout. Dommage. Globalement, toutes les races sont intéressantes même si certaines sont mieux exploitées que d'autres. L'apparition de certain personnage clés des autres séries Nains / Orcs et gobelins est un gros plus. Ça permet d'enrichir davantage les univers. Voici mes notes sur les races : Elfes bleus - 5/5 : Lanawyn est incontournable. Sa quête pour combattre le mal des goules et ensuite sa possession via Lah'saa, j'ai vraiment adoré. Elfes Blancs - 5/5 : un peu long à démarrer mais quel plaisir de voir la descendance de Tenashep et Fall se lancer dans une nouvelle quête qui toutefois ne sera pas assez exploité à mon goût.... Elfes Sylvains - 3,5/5 : un peu dommage, tout avait bien commencé avec Ora puis on s'est un peu perdu avec les oghams. Je n'ai pas accroché même si le dernier tome 33 a rattrapé un peu le tout. Elfes Noirs - 2,5/5 : tout juste la moyenne. Beaucoup de gens disent que les elfes noirs ont l'histoire la plus intéressante... Pas pour ma part. À part le fait que Lah'saa attaque Slurce et mêle cette race à l'histoire des autres, ce sera le seul moment où c'était intéressant pour moi. Semi-elfes : 1/5 : gros loupé sur cette race. Trop de tome dont l'histoire commence et se termine en 1 fois. Pas de personnage charismatique. On tourne souvent en rond. Dommage car il y avait du potentiel. Pour finir, les dessins sont top, j'ai adoré les couleurs. Beaucoup de personnalité de la BD française sur ce gros projet, et ça se voit, Elfes est une très belle collection parmi l'univers d'Aquilon. Je suis en train d'acheter les tomes des autres collections pour me refaire la totale en version "dans quel ordre faut t-il lire Elfes", tapez ça sur Google, vous comprendrez comme c'est énorme !
Carla
Écraser son prochain pour exister ! Et c’est pareil à tous les niveaux, ici, comme ailleurs ! - Ce tome contient six histoires mettant en scène Carla une conductrice de taxi. Son édition originale date de 1993. Il a bénéficié d’une réédition soignée en 2024. Il a été réalisé par Jacques Lob (1932-1990) pour le scénario, et par Edmond Baudoin pour les dessins, et les couleurs de la deuxième histoire. Il compte soixante-quatorze pages de bande dessinée, plus deux pour l’introduction. Celle-ci a été réalisée par Baudoin seul, après le décès du scénariste : il parle du cancer du défunt, et d’avoir écrit le dernier scénario après, avec une touche de prétention puisque Carla tue la mort. C’est à l’heure où l’ombre chasse la grisaille pour servir d’écrin aux lumières de la ville… Carla tourne la clé de contact. La Mercedes démarre en douceur et pénètre dans la nuit. À l’horizon, le soleil disparait, noyé dans l’horizon… Dans la rue, Gil hèle son taxi. Vingt heures quarante-cinq, à l’angle de l’avenue Philip-Robin et du boulevard Ghilmetti. Carla arrête sa Mercedes et le prend en charge. Il lui demande de le conduire à l’aéroport, et il ajoute qu’il est très pressé. Après quelques minutes, il demande à la conductrice si elle ne pourrait pas aller un peu plus vite, il est vraiment très pressé. Elle lui demande à quelle heure est son avion : il répond qu’il faut absolument qu’il soit là-bas avant la demie ! Une fois sur place, elle souhaite savoir où elle doit le déposer : il explique que c’est la Tansaerial, de le laisser au départ. À 21h27, elle le dépose, il lui tend plusieurs billets et s’en va en courant sans récupérer sa monnaie, il n’en a pas le temps. Il arrive à la porte d’embarquement, mais trop tard, il voit l’avion de sa bien-aimée Trilby s’envoler. Il retourne à son point de dépose, complètement démuni, et Carla lui propose de le ramener, sa monnaie servira à payer la course. Elle constate qu’il a dû arriver trop tard, et après quelques banalités, il lui raconte son histoire. C’est un samedi soir à l’atmosphère bruyante et survoltée dans la grande ville. Un aveugle s’engage pour traverser une grande avenue à une heure de pointe, se faisant klaxonner de toute part. Les conducteurs se mettent à l’insulter. Il se retrouve vite au milieu du carrefour, cerné de voitures aux conducteurs énervés. Une femme arrive et s’interpose : Maggie hèle le taxi de Carla, y prend place avec Gil, en grillant la politesse à un client qui s’apprêtait à y monter. Elle donne l’adresse : 23 rue des Robiaux, c’est dans la zone Est, près de la Tour brûlée. Le couple se dispute sur la banquette arrière : Alex estime qu’il n’aurait pas écouter Maggie car il ne voulait pas sortir, et elle lui reproche de vouloir se remettre à vivre comme avant. Carla pense à la Tour brûlée : elle devait être l’un des édifices les plus prestigieux de la ville. Mais certains durent y voir un symbole trop voyant du capitalisme triomphant. Un gigantesque incendie d’origine criminelle mit fin en une nuit à ce rêve de pierre et de métal. La tour n’est plus maintenant qu’un immense squelette noirci dominant la ville. Sa désolation sert de repaire, dit-on, à des individus peu fréquentables. Comme l’indique la préface, ce recueil regroupe des histoires parmi les dernières de Jacques Lob qui avait déjà travaillé avec Georges Pichard pour Blanche Épiphanie, avec Philippe Druillet pour Lone Sloane, avec Jijé pour Jerry Spring, avec Gotlib et Jean Solé pour Superdupont, avec Jean-Marc Rochette pour Transperceneige, et d’autres, sa carrière de scénariste ayant débuté en 1963. La carrière du dessinateur s’avère plus récente, ayant commencé au début des années 1980. Le lecteur commence par découvrir l’introduction : une forme de narration très libre tirant vers le texte agrémenté d’illustrations, avec également des personnages parlant dans des phylactères. Puis arrivent les histoires : une narration visuelle en noir & blanc, avec des cases sagement alignées en bande. Les traits et les ombrages sont épais, établissant une atmosphère nocturne. Les dessins se situent dans un registre descriptif, avec une approche réaliste, souvent teintée d’expressionnisme, avec quelques touches d’impressionnisme à d’autres moments. De son côté, le scénariste concocte des histoires sur une même trame : Carla prend en charge une ou deux personnes dans son taxi. Ils communiquent ensemble et elle fait connaissance d’une partie de sa vie, se retrouvant impliquée émotionnellement dans les enjeux du moment de son passager. À chaque fois, elle découvre un pan de son passé, plus ou moins éloigné. Chaque récit se conclut sur une fin en bonne et due forme, parfois teintée de justice poétique. Orienté par l’introduction de Baudoin, le lecteur commence à chercher des signes de la présence de la mort dans chaque histoire. L’amoureux qui essaye de rallier l’aéroport avant que sa compagne ne reparte pour les États-Unis : la mort y est bien présente. Alex l’aveugle qui a recouvré la vue : la mort est prête à entrer en scène. Un gugusse à l’allure inquiétante qui a pris place sur la banquette arrière : Carla craint pour sa vie et il y aura un mort et même deux au cours du récit. Le vieux monsieur avec la fillette : la mort pèse lourdement sur leur vie. L’architecte de la tour 2000 : plusieurs morts à déplorer. Le dernier récit, celui écrit par Baudoin : le passager pris en charge s’appelle la Muerte. Le lecteur risque-t-il la dépression ? Il dispose du point de vue de Carla dans chaque récit : elle fait preuve d’empathie de compassion, et de sollicitude, s’inquiétant pour un de ses passagers dont elle soupçonne qu’il a l’intention de suicider. Elle constitue le point d’ancrage du lecteur : une jeune femme, peut-être la trentaine, à la fois riche des quinze mille ou vingt mille clients qu’elle a pu charger, à la fois intriguée par chaque personne prenant place dans son taxi au cours de ces six histoires, sans être blasée, faisant montre d’une curiosité naturelle pour chaque vie, chaque drame, sans cynisme ou fatalisme. Elle se montre bienveillante, même pour le type inquiétant au visage bandé, à l’écoute de l’amoureux abandonné, rapportant la cane que l’aveugle a oublié dans son taxi, désolé pour le vieux monsieur de la tournure que prend sa relation avec la fillette, couchant avec un de ses clients. Il n’y a que dans le récit écrit par Baudoin où elle se montre impitoyable. Le lecteur se trouve impliqué dans chaque histoire personnelle. Le scénariste utilise une forme assez écrite : une intrigue avec un début, un développement et une fin, des individus avec leur personnalité, leurs motivations. Il utilise aussi bien les dialogues, que les commentaires dans des cartouches de texte, et des monologues d’exposition. Il met systématiquement en œuvre le dispositif de prise en charge d’un client par Carla dans son taxi, avec des variations à chaque fois : un client unique, un couple amoureux, une fillette et un homme qui pourrait être son grand-père. Il use de sa liberté de conteur pour varier les situations, ainsi que les décors : ceux-ci changent quand les personnages racontent leur histoire car elle se déroule en dehors de l’habitacle, et Carla elle-même n’est pas cantonnée à son véhicule, elle peut rentrer chez elle, prendre l’air en rase campagne en revenant de l’aéroport, sortir se dégourdir les jambes sur le trottoir, monter les étages de la Tour brûlée, sortir de son véhicule au beau milieu de nulle part. en outre ces histoires bénéficient d’une narration visuelle peu commune. Dans cette phase de sa carrière, Edmond Baudoin s’en tient encore à une forme classique de cases rectangulaires dotées d’une bordure, et alignées en bande. Il reste encore assez proche du réel pour la représentation d’éléments concrets comme les voitures ou les immeubles, respectant leurs formes, leur allure générale et leur proportion. Dans le même temps, il joue déjà avec les outils : des lignes épaisses au pinceau, ou bien des traits très fins, des aplats de noirs aux contours fluides pouvant donner la sensation que les ambiances nocturnes projettent des ombres mouvantes, jusqu’à parfois générer des motifs abstraits, jouant parfois avec des textures entre traits très secs et effets estompées. Dans la seconde histoire, il utilise la couleur pendant trois pages pour matérialiser le fait que le personnage a recouvré la vue. Il joue avec les traits du visage de Carla, les coups de pinceau pour les lèvres et pour le pourtour des yeux devenant de plus en plus épais, donnant des allures de masque tribal conceptuel au visage de la conductrice. Régulièrement, le lecteur peut détecter une influence picturale : des contrastes poussés au maximum entre les surfaces noires et les blanches comme le faisait Frank Miller dans Sin City, des ondulations en fond de case comme dans un tableau de Van Gogh, une onomatopée à base d’une longue suite ondulante de lettres U dans le noir du ciel, des visages proches du pop’art, une ou deux cases abstraites ne prenant un sens figuratif que replacées dans le contexte de la suite de cases, des motifs géométriques, des épures évoquant le minimalisme d’Alex Toth, etc. L’artiste réalise ses dessins de manière à ce qu’ils expriment l’état d’esprit de Carla ou de ses passagers, la réalité telle qu’ils la ressentent. Jacques Lob met en scène une jeune femme exerçant un métier d’homme pour l’époque, indépendante, sans attache (il n’est jamais fait mention d’une famille ou même d’amis), à l’aise avec sa forme de solitude, satisfaite de son métier. Elle se lie facilement avec ses clients, du moins ceux qui sont mis en scène, sans crainte, sans a priori, sans ressenti négatifs d’infériorité ou de supériorité. Elle fait preuve d’une empathie constructive, conservant une distance normale, sans réduire ses interlocuteurs à un simple sujet d’étude, sans vampiriser leurs émotions, ou s’identifier à eux. Les situations dramatiques évoquent la séparation lorsque la relation amoureuse est déséquilibrée, la dépendance affective de celui qui est quitté, l’impossibilité de d’envisager un avenir commun satisfaisant et épanouissant, la peur découlant du risque d’agression physique, la culpabilité insupportable réelle ou imaginaire. Pour la cinquième histoire, il met en scène un architecte dont la réalisation professionnelle a été sabotée par des entreprises malhonnêtes : une situation intenable dans laquelle un individu doit endosser une partie de la responsabilité des malfaçons dont il n’est aucunement responsable et qui entachent son travail. Pour finir, Baudoin écrit un récit qui peut se lire comme un hommage au scénariste emporté par la maladie. Autant de thèmes adultes et sensibles. Une collection de six nouvelles à la narration personnelle, grâce aux dessins aux traits épais et souples, montrant une ville et des individus entre environnements concrets et manifestations de leurs états d’esprit, dans un noir & blanc très organique, propice aux ressentis et à l’empathie. Le scénariste met en scène une jeune femme bien dans sa peau et dans son métier de conductrice de taxi, interagissant avec des clients en proie à une tragédie, comme un avatar bienveillant du lecteur. Touchant.
Chroniques du grand domaine
Lili Sohn arrive à Marseille. Avec sa famille. Ils s’installent au Grand Domaine. Lili Sohn est curieuse, des gens et du lieu. Elle devient archiviste, historienne mais surtout voisine et amie. J’ai beaucoup aimé cette BD, qu’elle a illustrée elle-même. J’ai aimé sa fantaisie, ses questions et les réponses des habitants. Le Grand Domaine est un être vivant.
Le Marin, l'Actrice et la Croisière Jaune
J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre cette variation autour de la croisière jaune d'André Citroën au siècle dernier. On a une bonne représentation des mentalités de l'époque sans trop verser dans la caricature. Les péripéties sont variées et dépaysantes et le dessin ne manque pas de personnalité. Je commençais à m'attacher à certains personnages, aussi ai-je été déçu d'apprendre l'abandon de cette série. Mon unique reproche vient du rôle anecdotique accordé à Alice, qui figure pourtant en bonne place sur les couvertures. Elle sert principalement de destinataire aux courriers de Victor, qui assurent la voix off du périple.
La Force de vivre
Laurent Astier (La Venin, Comment faire fortune en juin 40) signe un récit autobiographique. Mais il ne sera nullement question de son parcours en tant qu'auteur de BD. Cet album est en réalité un hommage posthume, dédié à l'amitié qu'il entretenait avec Cyril, son meilleur ami décédé. Il lui a fallu longtemps pour arriver à écrire cet album, il a d'abord fallu accepter la perte de son pote, en faire le deuil, écrire plusieurs versions de l'histoire qui ne le satisfaisait visiblement pas. Par douleur sans doute, mais aussi par pudeur. Et au bout d'années de travail, l'hommage est là. C'est un livre qu'on sent extrêmement sincère. Il relate leur rencontre, leur amitié naissante, puis grandissante. On sent plus que de l'amitié entre eux. Laurent admire son pote, qui est tout ce que lui n'est pas. Extraverti, optimiste, solaire... tout l'inverse de lui. Au fil des anecdotes on ressent la force de leur amitié. Puis arrive la maladie, les doutes, la tristesse... Toute la seconde partie de l'album raconte les longues années de souffrance qu'a enduré son ami malade. Un sujet dur, mais pour autant l'album ne m'a pas paru poignant ou triste, au contraire. Plus qu'une autobiographie, ce livre est un bel hommage que l'auteur rend à son ami. Même affaibli, ou traversant des moments tragiques, il est toujours mis en lumière, fidèle à l'homme jovial et positif du début. Ecrire ce livre fait sans doute parti d'un processus de deuil ou de thérapie, qui a du faire du bien à l'auteur. Ca se sent. En tout cas, très rapidement on s'attache à son ami et il est difficile de lâcher l'album avant de l'avoir lu en intégralité. Le petit mot de la fin, ajoute ce qu'il faut d'émotion pour conclure cette lecture. Nous aussi on trouve que c'est injuste de mourir si jeune... quel bel hommage rendu à son ami...
Watership Down
Watership Down, roman de l'auteur britannique Richard Adams paru en 1972, m'avait marqué lors de ma jeunesse. Avec pour protagonistes une communauté de lapins de garenne, il parvient à conjuguer aventure, poésie et rudesse dans un récit d'une étonnante densité. Il a également été adapté en 1978 en un film d'animation réputé pour avoir traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs, tant certaines scènes y sont violentes, reflet fidèle, en vérité, de la nature épique et impitoyable de l'histoire d'origine. Car la société des lapins que l'on y découvre est tout sauf paisible. Tout commence dans une garenne bien établie, le jour où le petit frère du héros Hazel a une vision apocalyptique. Devant l'incrédulité du chef de la communauté, Hazel et quelques compagnons décident de fuir en secret, entamant un périple semé d'embûches. Leur chemin sera jalonné de dangers multiples, parfois liés à la nature, parfois à l'homme, mais souvent aux autres lapins eux-mêmes, dont certains se révèlent des plus cruels. Parvenus à fonder une nouvelle petite garenne sur la colline de Watership Down, les survivants devront affronter une autre communauté totalitaire afin de permettre à leur groupe de se pérenniser. L'enjeu : trouver des femelles pour assurer la survie de leur colonie. L'éditeur Monsieur Toussaint Louverture publie cette BD déjà récompensée par l'Eisner Award 2024 de la meilleure adaptation et il le fait avec la manière. Au format bouquin avec un dos rond et une couverture épaisse et élégante, rehaussée d'un vernis sélectif cuivré, c'est un superbe ouvrage au papier épais et solide. Il justifie largement son prix un peu élevé par sa pagination généreuse de plus de 350 pages, sa qualité de fabrication et la richesse de son contenu. C'est un objet qu'on affiche avec plaisir dans sa bibliothèque, aux côtés d'autres beaux albums comme Château l'Attente par exemple qui avait bénéficié du même soin éditorial. Mais au-delà du contenant, c'est bien le contenu qui impressionne. Le récit original de Richard Adams brillait déjà par sa capacité à insuffler un souffle épique à une fable animalière, tout en explorant la dureté du monde sauvage, la solidarité, le courage et la transmission des mythes. L'univers des lapins est doté d'un langage propre, de légendes fondatrices et d'une cohérence interne fascinante. Cette édition s'enrichit d'ailleurs d'une carte détachée des lieux traversés ainsi que d'un glossaire reprenant les termes spécifiques à leur culture. Le scénario de James Sturm réussit l'exploit de restituer fidèlement cette richesse sans alourdir le récit. Le rythme est maîtrisé, les dialogues limpides, et la narration fluide. Quant au dessin de Joe Sutphin, légèrement naturaliste, il colle parfaitement à l'ambiance du récit. Il parvient à exprimer toute la vitalité des lapins, à restituer les paysages de la campagne anglaise avec simplicité et beauté, et à insuffler une vraie tension dans les scènes d'action. Il trouve quelques petites idées graphiques pour permettre de reconnaitre les personnages même s'il faut admettre que c'est probablement là la seule faiblesse de l'ensemble, la quantité de lapins étant telle qu'il est parfois ardu de différencier les uns des autres. Si les dialogues permettent sans problème de ne pas s'y perdre la majorité du temps, j'ai ressenti cette difficulté dans une scène de combat vers la fin de l'album où l'on passe d'un combattant à un autre sans que je l'ai compris en première lecture, ce qui m'a forcé à revenir en arrière pour bien assimiler ce qu'il s'était déroulé. Cela reste toutefois un bémol mineur face à la qualité générale de la mise en scène et du dessin. Violence, danger, fraternité, paysages bucoliques, moments de grâce et d'angoisse : tout y est. Cette adaptation graphique de Watership Down est une franche réussite, à la fois respectueuse de l'œuvre originale et pleinement convaincante dans sa forme. Un album dense, émouvant, intelligent et magnifiquement réalisé. Une vraie réussite sur tous les plans !
Kinderzimmer
Je poste mon avis le jour du quatre-vingtième anniversaire de la libération du camp de Ravensbrück, l’un de ces lieux où l’horreur concentrationnaire et mortifère nazie s’est développée. Lieu ou des dizaines de milliers de femmes ont été déportées, torturées, tuées. Lieu où près de 500 bébés sont nés. Grâce au courage et à l’entraide des déportées, quelques-uns ont survécu à cet enfer. Lieu où se sont déroulés les faits relatés ici. Je ne connais pas le roman de Valentine Goby à l’origine de cet album. Mais je ne peux qu’être admiratif de l’énorme travail réalisé par Ivan Gros. Pour l’adapter, mais aussi pour y apporter sa vision du travail mémoriel. Il va pour cela, en plus d’un énorme travail de recherche (voir la bibliographie en fin de volume), utiliser comme matériau les dessins réalisés et sauvés au péril de leur vie par certaines détenues. Avec ce matériau, et l’utilisation du personnage fictif de Mila, Gros va retracer l’horreur du camp, mêlant Mila à de vraies déportées – dont les noms sont parfois modifiés. C’est un sujet que je connais bien, particulièrement ce camp de Ravensbrück (le plus grand camp où étaient déportées les femmes, dans une zone au climat pénible du nord de l’Allemagne). Je connais en particulier très bien le « vécu » d’un personnage important du récit, ici nommée Sabine, de son vrai nom Marie-Jo Chombart de Lauwe. Je l’ai rencontrée de nombreuses fois, et j’ai été à chaque fois impressionné et bouleversé par son témoignage, mais aussi par sa force de caractère, son engagement sans faille contre l’injustice et sa soif de combat même au-delà de 90 ans. Discuter avec elle, qui multipliait à plus de 90 ans les projets et autres interventions, était enrichissant : clairement l’une des personnes dont la rencontre m’a le plus marqué. Elle est venue rencontrer des élèves, témoigner de son rôle de résistante, de son arrestation puis de sa déportation. Et, lorsqu’elle abordait Ravensbrück, les passages où elle expliquait les efforts faits pour sauver des bébés étaient plus que poignants. On retrouve ici les anecdotes qu’elle donnait, et la lutte pour la vie au milieu d’un univers de mort. Pour revenir à l’album, je dois dire que la lecture est ardue, assez ingrate. Mais intéressante. Car, par-delà le sujet lui-même, Gros livre une profonde réflexion sur la façon de représenter le camp et ce qui s’y passait, citant et commentant les sources, les dessins des détenues, les polémiques concernant d’autres représentations (par exemple l’album de Croci sur Auschwitz), reprenant certaines idées de Spiegelman. Un refus de sensationnalisme, mais aussi d’esthétiser l’horreur. Un album exigeant, mais que je recommande chaudement.
Downlands
Je continue ma découverte des BDs de Norm Konyu, après les superbes « The junction » et « The space between the trees » (encore non traduites en français au moment où j’ecris cet avis), et je ressors une nouvelle fois ravi de ma lecture. L’auteur revisite le mythe éculé du fantôme, et base son récit sur les légendes et le folklore de sa région adoptive, les collines du « South Downs » de la côte sud anglaise : le chien noir diabolique « Black Shuck », la légende de la Dame Blanche (l’autostoppeuse fantôme), les pleurs de bébé dans la nuit, les cercles de pierres levées (il en existe 316 juste en Angleterre), et bien plus encore. L’histoire prend la forme d’une enquête historique conduite par un jeune garçon qui vient de perdre sa sœur dans des circonstances mystérieuses. Les termes « classique mais efficace » décrivent parfaitement cette intrigue enjouée et prenante, et si la fin est un peu convenue, je dois avouer avoir englouti l’album d’une traite. On reconnait bien le style cartoon et informatisé de l’auteur, qui sert parfaitement l’histoire. Moi, j’aime beaucoup, je trouve les planches élégantes, j’aime ce genre de graphisme (terme plus adapté que « dessin »). Une chouette histoire de fantômes, ancrée dans le folklore anglais.
Dans un rayon de soleil
3.5 Pour l'instant, c'est le récit de Tillie Walden que j'ai le plus apprécié. Il faut dire que le récit fait partie d'un genre que j'aime bien: la science-fiction, mais qui mélange du fantastique donc tout peut arriver, c'est pas de la science-fiction classique avec des trucs que j'ai déjà vus plein de fois. Le scénario est dense et il faut prendre son temps pour bien lire l'album, le genre de lecture parfait si on a deux ou trois heures où on n'a rien à faire. Encore une fois avec cette autrice, le rythme est un peu lent, mais cela ne m'a pas dérangé parce que le scénario est plutôt prenant et les personnages sont attachants. En tout cas, je ne vois pas trop quoi dire de plus que les autres avis hormis que j'ai bien aimé ma lecture et que ça se lit bien malgré le fait que ça fait plus de 500 pages. Je comprends que cela risque de faire peur à quelques lecteurs, mais la narration est fluide et cela ne parait jamais trop long. On retrouve des thèmes que l'autrice aime bien développer comme l'amour entre deux filles. Le dessin est très bon comme c'est toujours le cas avec Walden.
L'Imposture
Alors "L'imposture" c'est plutôt un "oui!" La lecture des 15 premières pages lance l'histoire de façon incroyable et laissent le lecteur hors d'haleine. Il est certain qu'ensuite il va être très difficile de ne pas lire la suite afin de savoir comment tout ça va se terminer. Surtout quand on sait que c'est une histoire vraie, écrite et dessinée par la jeune femme qui a été victime de cette fameuse "imposture". Cette histoire est folle, limite irréelle, et ferait (fera?) même un super sujet pour un film. Malheureusement, tout cela est réel, et c'est bien ce qui est arrivé à cette jeune femme. On va suivre avec elle, la sidération avec la découverte de cette imposture, puis le chemin de croix pour se remettre à l'endroit, notamment face à une administration française assez inhumaine. Alors oui: le dessin est assez simple, mais une fois qu'on accepte qu'on n'a pas affaire à une professionnel du dessin, mais plutôt quelqu'un qui choisit d'utiliser la bande dessinée pour raconter son histoire et du coup se reconstruire, la lecture se fait très bien. L'histoire est suffisamment puissante pour sublimer le trait un peu basique de toute façon.