C'est un album qui se laisse lire, mais j'en ressors avec un avis mitigé, un peu sur ma faim.
Les premières pages sont très dynamiques et violentes, traitées à la Tarantino. La suite est par contre beaucoup moins rythmée, il y a pas mal de longueurs, et mon intérêt a fluctué et quelque peu baissé.
Si une certaine critique du cynisme et de l'hypocrisie des relations internationales (et des Américains en particulier) affleure, j'ai eu du mal à accepter cette organisation (finalement très en phase avec certaines théories du complot actuelles), la Mother Company.
Nicholaï Hel, le héros, est intriguant, énigmatique - hautement improbable aussi (comme le personnage du Gnome) - mais pas du tout attachant. Personnages et intrigue sont trop froids, distants, secs.
Les allusions à la mentalité japonaise et au jeu de Go ne m'ont pas convaincu ou captivé.
Le dessin use d'un trait et d'une colorisation modernes, faisant penser parfois au travail de Blain. C'est simple et dynamique, plutôt agréable en tout cas.
Note réelle 2,5/5.
Après quatre biographies consacrées à des célébrités (Rod Serling, Bela Lugosi, The Velvet Underground et Gary Gigax, le créateur de Donjons & Dragons), Koren Shadmi nous revient avec un ouvrage beaucoup plus personnel, davantage dans la lignée du « Voyageur », son œuvre phare parue en 2017 chez Ici Même et rééditée cette année chez Marabulles. Si « Le Voyageur » faisait figure de récit intemporel, ne serait-ce que par son personnage immortel que l’on voyait traverser toutes les époques, « La Passe visage » se situe clairement dans le registre SF. L’action se déroule à New York, dans un futur relativement proche, à la fois inquiétant et familier, puisqu’il est question de ces applis de smartphones qui, telles des baguettes magiques hi-tech, permettent à leur détenteur d’avoir tout ce qu’ils veulent, à tout moment et dans un délai très court (colissimo presto). Un futur où tous les moindres obstacles à nos désirs doivent être annihilés, à tout prix. Qu'on se le dise, la vie ne sera plus une quête, puisque nos machines si compatissantes l'accompliront à notre place. Uber-Seigneur, délivre-nous de nos maux, amen.
En parallèle, c’est le thème de l’identité qui est abordé ici. Pour concevoir son scénario, Koren Shadmi, s’est inspiré, comme il le dit en postface, d’un étrange phénomène au Japon : « des sociétés louant de « faux » membres de leur famille à des clients esseulés, ou pour servir de remplaçants lors d’interaction sociale ». « La Passe visage » n’est donc pas totalement de la science-fiction, et c’est peut-être bien ça le plus terrifiant. L’auteur, très choqué en apprenant que de telles sociétés pouvaient exister, a donc cherché à nous faire partager ses états d’âme avec ce récit.
Shadmi aurait pu se contenter d’une intrigue simple. Son personnage principal, Rose Cladwell, actrice en devenir, aurait pu se grimer pour interpréter au mieux les personnes qu’elle était censée remplacer. Mais en lui donnant la possibilité de changer d’aspect grâce à son implant cérébral, il ne fait que renforcer l’effroi du lecteur, d’autant plus quand l’implant se dérègle et que son visage, de manière très furtive, se déforme façon Francis Bacon. Ne se contentant pas d’abandonner son identité moyennant finances, elle-même est confrontée à quelques galères : d’abord ce boulot qui, même s’il lui sert d’ersatz à ses rêves d’actrice, ne lui permet même pas de boucler ses fins de mois difficiles, et ensuite les tensions résultant d’un divorce fait dans la douleur. Une situation qui suscitera chez elle des interrogations sur sa propre identité et la conduira doucement vers la folie.
Partant d’un pitch original, Koren Shadmi a élaboré un scénario intrigant où ces questionnements philosophiques donnent le vertige. Mais s’il est original, ce scénario est complexe aussi, dans la mesure où l’on voit Rose vivre mille et une vies en se mettant dans la peau de plusieurs personnages, tandis que sa propre vie n’a pas l’air si simple. L’auteur du « Voyageur » s’en sort plutôt bien, mais il faudra parfois faire preuve d’une certaine concentration pour « identifier » tous les protagonistes. De plus, on pourra regretter l’absence d’un noyau véritablement magnétique dans ce récit qui reste un brin éparpillé. Les bonnes idées sont là, mais on aurait peut-être pu vibrer davantage si Shadmi avait opté pour un vrai thriller SF.
Quant à sa ligne claire, elle demeure toujours efficace et sa froide sobriété contribue à produire une atmosphère irréelle et un peu anxiogène, dans un futur pas franchement enviable mais dont nous semblons nous rapprocher inéluctablement. Comme le dessin, la mise en page reste simple mais confère à l’histoire une bonne lisibilité.
« La Passe visage », s’il n’atteint pas le niveau du « Voyageur », reste une lecture plaisante. Koren Shadmi prouve ici qu’il n’est jamais aussi bon que quand il produit une œuvre personnelle, qu’il sait être créatif quand il est question de nous faire partager ses vues sur le monde actuel et nous alerter sur ses dérives.
Une série tous publics, visant peut-être en priorité un jeune public ou des adolescents. Mais ça peut passer la barrière de l'âge. En tout cas le vieux schnock que je suis n'a pas trouvé déplaisante cette lecture.
Les auteurs n'utilisent que moins d'une dizaine de personnages pour les cinq albums (chacun développe une nouvelle aventure, mais le tout forme un ensemble et se suit). On est dans l'univers de Merlin et Brocéliande, des fées et des sorcières, des korrigans, avec l'Ankou comme gest star récurrente.
La narration est fluide, aérée (il y a peu de textes), et les personnages sont gentiment attachants.
Si je devais énumérer des bémols (parfois affaires de goûts personnels), ce serait - en plus du côté justement un peu trop gentil et sucré parfois - des visages un peu trop "manga ", et un dernier tome décevant. Trop fourre-tout, avec happy end qui se multiplient pour boucler à la hussarde la série
Si l'humour est bien présent, dans certains dialogues, je pensais - j'espérais surtout en fait ! - qu'il serait plus mis en avant. En particulier le potentiel comique des relations entre Merlin et Morgane est sous-exploité: leurs chamailleries - au centre des premières pages - auraient pu être plus loufoques et vachardes (là aussi c'est affaire de goût).
Pour les lecteurs adolescents, les six pages qui concluent chaque album sous la forme d'un journal local de Brocéliande, sont un petit plus sympathique.
Je ne vais pas trop répéter ce qu'ont déjà écrit mes devanciers.
Donc je vais faire assez court.
Le graphisme est plutôt bon, le scénario aussi. Bref, tout pour plaire. L'univers est assez original, avec des personnages pas trop prototypés et pas trop lassants, ils sont même délassants :) Ça se laisse lire sans problème, en se disant qu'on aura droit vers la fin à quelques explications sur divers points de détail.
Mais voilà, le hic, c'est la fin.
Il y avait de quoi ajouter sans trop de lassitude des albums supplémentaires (au moins un, sans souci, voire deux), mais visiblement, il a fallu ''conclure'' à partir du milieu du 3ème album, sans doute suite à des retours de vente pas conformes aux attentes de l'éditeur. Bon, il y a une fin assez ouverte, qui peut laisser présager une reprise de cette série plus tard. Mais divers points restent flous, ou expédiés en un claquement de doigt.
Résumons : c'était assez bien parti, aussi bien côté personnages qu'ambiance. Et paf, une fin précipitée, mais qui arrive quand même à conclure pas mal de choses. Mais on sent la précipitation.
Je réduis à 3 étoiles à cause de la fin frustrante...
Le Club des Divorcés est un petit établissement d’hôtesses situé dans le Ginza des années 70. À sa tête, Yukô, une jeune femme de 25 ans, fraîchement divorcée, qui gère le lieu avec un barman (également videur à l’occasion) et deux ou trois jeunes hôtesses. Yukô est à la fois patronne, hôtesse, confidente et figure d’autorité respectée. Mais ce rôle de repère moral qu’elle incarne pour ses clientes et ses collègues, elle est incapable de le tenir avec sa propre fille de trois ans, confiée à sa grand-mère et qui lui reproche obstinément d’avoir quitté son père, pianiste alcoolique et raté. Yukô tente de rester droite face à tout : un ex-mari envahissant, une fille qu’elle ne voit pas assez, un club qui peine à survivre dans une économie en crise, et ses propres doutes sentimentaux. Une maturité acquise à la dure, et à un âge bien trop jeune.
Je l’ai lu sans rien en attendre, pensant tomber sur un drame conjugal à la mode des années 70/80, pesant et poseur. Ce n’est pas le cas. Le manga repose sur des chapitres courts, plutôt bien construits, ancrés dans une époque marquée (graphiquement et socialement) mais avec une narration fluide et des personnages intéressants. J’ai éprouvé plus d’empathie pour le jeune barman, honnête et touchant, que pour Yukô, plus difficile à cerner mais de loin la figure la plus forte. Elle porte en elle une forme de douleur rentrée, sous un masque impeccable de dame japonaise digne. Elle n’est ni une bonne mère, ni une bonne épouse, mais c’est précisément là que réside tout l’intérêt du récit : montrer une femme en dehors des normes, indépendante, libre, complexe, assumant ses choix sans les brandir.
En creux, le manga dresse aussi un tableau d’un Japon des années 70 qui me parle peu. Les clubs sans fenêtres où des hommes libidineux ou paumés viennent boire et peloter des hôtesses me paraissent aujourd’hui datés et glauques. Le traitement de ces hôtesses est d’ailleurs intéressant, à la lisière de la prostitution sans jamais tomber dans le jugement. Le ton général est sombre, parfois trop pour moi, notamment cette insistance sur le suicide, presque perçu comme une option courante. On voudrait voir Yukô ou les autres s’en sortir, mais ce n’est pas la logique du gekiga : on est dans un réalisme amer, juste, mais pas réconfortant. La fin du manga, d’ailleurs, est crédible mais mélancolique, à l’image du reste.
Je n’ai pas pris un plaisir constant à cette lecture, mais j’en garde l’intérêt d’un témoignage social lucide et d’un bon portrait de femme : forte, fière, libre, mais brisée par endroits.
J'avoue que je ne connaissais pas l'écrivain-journaliste italien Roberto Saviano qui depuis des années vit sous protection policière parce qu'il a osé dénoncer les agissements d'un groupe mafieux qui fait sa loi dans un coin pauvre de l'Italie.
Comme c'est souvent malheureusement le cas dans la vraie vie, les criminels peuvent sortir au grand jour et faire ce qu'ils veulent pendant que leurs victimes doivent se cacher. C'est effarant de voir qu'encore de nos jours la mafia peut avoir autant de pouvoir et aussi de voir les propos haineux envers Saviano sur internet. Quand on est une victime, il faut être parfaite et dans le cas de Saviano il faudrait carrément qu'il se fasse tuer pour que certains aient pitié de lui !
J'ai bien aimé voir à quoi ressemble une vie lorsqu'on risque de mourir à chaque instant et que la police est constamment présente. Même si le sujet est passionnant, la BD elle-même manque quand même de dynamisme dans sa narration. Il faut dire aussi que c'est un peu décousu, je pense que Saviano a écrit cette BD sans plan bien défini parce que par moment on dirait qu'il met juste les idées qu'il a eues au moment de l'écriture. Le dessin est correct sans plus.
L'heroic fantasy, tout le monde le sait, c'est souvent plein de potentiel mais également casse-gueule. C'est un terreau parfait pour des récits mélant politique et magie, fantastique et réalisme, mais le genre est tellement saturé que l'on a rapidement l'impression de retrouver les mêmes récits sans grandes différences, sans grand effort, sans grand génie même parfois. Qu'en est-il de la série d'aujourd'hui ? Elle est bonne, mais malheureusement décevante.
Il y a des qualités dans ce triptyque, ou a minima de bonnes idées. Comme souvent dans le genre il est question de deux races en conflit (bon, il y a d'autres races sentientes mais on se concentre vraiment sur deux d'entre elles) : les humaines et les loups. Les deux peuples sont, là encore cas régulier, à la fois similaires et différents. Iels se distinguent par leurs physiques et leurs constructions sociétales, les loups étant une société patriarcale royaliste là où l'humanité est régie par un matriarcat impérialiste, pourtant les deux peuples se retrouvent dans ces mêmes différences : même s'iels sont plus poilu-e-s et musclé-e-s les loups restent anthropomorphes et les habitants des deux pays sont divisés par des règles sociétales liées au genre proprement absurdes. La critique des carcans de genre, de l'imposition sociale du genre d'un individu, de la haine d'autrui (et du rejet de la mixité par la même occasion) sont des sujets intéressants et sont ici bien traités.
Bon, plus ou moins bien traités...
Bon, j'attaque les défauts avec un grand classique dans la fiction (malheureusement) : le rythme. Les sujets sont abordés, ils promettent beaucoup, mais difficile de sortir satisfait-e de sa lecture quand tout semble être passé bien trop rapidement. La fin m'a semblée d'ailleurs tellement abrupte, laissant tant de place pour une poursuite du sujet, de l'histoire, de ses personnages, que j'ai sincèrement longuement cherché pour voir s'il n'y avait pas une suite cachée de prévue. Mais non, rien.
En fait, pour moi tous les dêfauts de la série pourraient presque être associés à celui-ci : le sentiment que certains personnages auraient pu être un tantinet plus développés, le fait que les règles magiques de l'univers ne sont pas parfaitement claires (quand un personnage fait un vœu sur son lit de mort et que celui-ci se réalise en envoyant voler les règles naturelles je m'attends quand-même à une petite explication, fusse-t-elle rapide), ou encore le fait que certains scénarios m'ont semblés se terminer de manière bien peu satisfaisante (comme la relation Petigré/Rum, la sous-intrigue de la révolution masculiniste ou encore le fait que l'on n'apprend jamais réellement comment l'un des personnages a pu regagner sa conscience).
In fine, malgré ses bonnes idées, la série me semble trop expédiée, trop convenue même.
Encore une fois la série n'en ressort pas pour autant mauvaise et elle n'est pas désagréable à lire, mais me restera-t-elle en mémoire longtemps ? Pas sûr.
Cette série mélange les genres, en partie polar, en partie historique, pour au final nous offrir un récit d'aventure dans un cadre original : la ville de San Francisco en 1906.
L'héroïne est une jeune femme de chambre qui se retrouve malgré elle embringuée dans une histoire de mafieux avec la mort aux trousses. Ayant récupéré une peinture trafiquée de Gustav Klimt, elle attire la mort autour d'elle tandis que les gangs tentent de récupérer le tableau et qu'effrayée elle le ramène à la personne qui souhaite le plus s'en débarrasser, à savoir le chanteur d'opéra Caruso. A sa suite, on découvre différents aspects de la ville de San Francisco à l'époque, notamment l'influence importante de la pègre, qu'il s'agisse de la mafia italienne ou des tongs chinois, mais aussi le chef corrompu de la garnison militaire. Et tout cela s'écroule brutalement en même temps que les murs de la cité lors du terrible tremblement de terre de cette année là, ce qui va paradoxalement peut-être sauver la vie de l'héroïne.
Le graphisme de Fabrice Meddour met tout cela en valeur. Ses planches en couleurs directes, majoritairement en teintes sépia avant de se colorer soudainement suite au séisme, font honneur aux décors et costumes du San Francisco de l'époque. Si ses personnages masculins sont un peu moins beaux car souvent caricaturaux, ce n'est pas le cas des protagonistes féminines qui sont très jolies. J'aime beaucoup également le tableau de Klimt inédit qu'il imagine, ainsi que les quelques scènes mythologiques en lien avec Judith et Holopherne.
L'intrigue a le mérite de nous faire découvrir la ville à une époque charnière, avec toute la richesse de sa faune urbaine, ses marginaux, ses clans, ses zones d'ombre. Suivre le destin du tableau et de l'héroïne malgré elle se révèle plaisant, même si ce fil narratif n'est pas d'une originalité renversante : le thème de l'innocent happé malgré lui dans un affrontement entre mafias a déjà été largement exploré. Mais l'arrivée du séisme à la fin du premier tome redistribue brutalement les cartes. Le deuxième tome prend alors un virage beaucoup plus radical, encore plus brutal. À vrai dire, il va peut-être trop loin. Le cataclysme et les tentatives désespérées des habitants pour sauver ce qui peut l'être sont relégués au second plan derrière une déferlante de violence et de folie qui frôle parfois la surenchère. On en vient à se demander si tout cela était nécessaire, tant l'intensité dramatique était déjà bien suffisante. Cette escalade dans l'excès a un peu terni mon enthousiasme pour une œuvre qui, jusque-là, m'avait pourtant séduit par son regard singulier et son approche originale.
Tome 3 : Manhattan Trauma
Après l’excentrique diptyque se déroulant dans les quartiers interlopes de San Francisco, les auteurs emmènent cette fois leur héroïne dans Big Apple, de façon inattendue. En effet, celle-ci a été mandatée par la NYPD pour organiser la protection du candidat démocrate à la Maison blanche. Sans grosse surprise puisque l’histoire commence par son assassinat en public, le reste du livre détaillant les événements antérieurs au drame. Alors que les deux premiers volets portaient sur une enquête dans les milieux satanistes de Frisco, ce tome 3 (qui apparemment n’aura pas de suite) se situe dans le registre du thriller politique, avec une fiction librement inspirée par l’ « affaire Kennedy bis » (le meurtre de Bob Kennedy, frère de John, qui s’apprêtait à être nommé par son parti pour les présidentielles). Et même si les noms ont été modifiés, on pourra facilement reconnaître Richard Nixon (davantage que Robert K., d’ailleurs), le candidat républicain qui, comme on le sait, allait être élu en novembre 68.
Ce récit donne une fois de plus l’occasion à Hervé Bourhis de nous immerger dans l’atmosphère U.S. de la fin des années 60, avec quelques références culturelles de l’époque. Curieusement, l’auteur, expert accompli en matière de rock, a abandonné le filigrane radiophonique intégrant des extraits de chansons et se contente d’allusions davantage en lien avec l’art ou la littérature, notamment avec une course poursuite ayant pour cadre le musée Guggenheim ou cette rencontre avec Andy Warhol, rebaptisé pour l’occasion « Angus Warsaw ». On pourra également s’étonner de la ressemblance entre le directeur de campagne de Cavendish, Tom Persons, et le romancier Truman Capote…
Cet épisode en fera voir de toutes les couleurs à la pauvre Tyler, qui semble une fois de plus confrontée au mépris et à la morgue d’un milieu globalement très misogyne, et se trouve ici aux prises avec un inquiétant mercenaire russe. Notre femme-flic va pourtant prouver qu’elle a du répondant et qu’il ne vaut mieux pas se fier à sa corpulence. Mais si elle n’a pas froid aux yeux, cette héroïne manque encore un tout petit peu de substance pour vraiment accéder au statut d’héroïne « culte » du neuvième art.
Lucas Varela quant à lui ne faillit pas dans le traitement de la partie graphique. Son trait méticuleux et stylisé (bien qu’un peu froid pour ce type de registre) reste un régal pour les yeux, avec toujours ce « code couleur » en phase avec la fameuse bannière étoilée.
Plus conforme aux standards narratifs du genre, « Manhattan Trauma » réussit davantage à convaincre par son intrigue que le diptyque précédent, lesté par son dénouement un rien saugrenu. On pourra juste s’étonner du fait que ce troisième volet semble être une histoire complète, mais peut-être notre amie Tyler est-elle déjà partie vers d’autres horizons d’investigation… A voir…
Tome 2
Même si c’est un peu à contrecœur, je dois l’admettre, la seconde partie de ce diptyque est une déception. La fin du premier volet m’avait pourtant laissé dans de bonnes dispositions, mais celles-ci se sont quelque peu effilochées à la lecture, jusqu'à ce dénouement un peu ridicule.
Tout d’abord, on ne reviendra pas sur la qualité du dessin, et c’est assurément le point fort d’ « American Parano ». L’atmosphère du San Francisco des sixties est toujours aussi plaisante, et on continue à prendre plaisir à admirer le trait moderne et stylisé de Lucas Varela, agrémenté d’une bichromie à dominante rouge terracotta et bleu horizon. Alors forcément, on se demande pourquoi ça n’a pas aussi bien fonctionné qu’avec « Le Labo », la précédente collaboration des auteurs, réjouissante comédie vintage sur la genèse des ordinateurs individuels.
Car en effet, l’ouvrage pêche davantage par son scénario. Celui-ci s’essouffle assez vite, à l’image de l’enquête de Kimberly Tyler qui piétine… L’intrigue a tendance à partir un peu dans tous les sens, avec moult détails qui, s’ils tentent probablement de restituer une certaine réalité de l’époque, ne paraissent à première vue ni vraiment indispensables ni significatifs. Au fil des pages, les personnages ont l’air de se comporter de manière automatique, y compris Kimberly qui apparaît de moins en moins concernée par son affaire et qui pourtant s’était montrée potentiellement attachante dans le premier épisode, du fait de sa personnalité bien campée. Alors certes, cette froideur peut être en partie due à la ligne claire, qui, si séduisante soit-elle, demeure un peu lisse.
On évitera d’enfoncer le clou avec ce dénouement qui sombre assez platement dans le grand-guignol, et cette révélation finale, un brin incongrue, sur le passé du père de la jeune enquêtrice, qui, on l’imagine, aurait dû nous arracher une larme. L’impression qui domine est que Bourhis semble avoir lâché en cours de route son axe narratif. Malgré un certain potentiel, il survole le sujet et retombe assez vite dans le clichetonneux et le superficiel. Mes attentes concernant ce deuxième chapitre étaient-elles trop fortes pour ma part ? Par tous les diables, c’est loin d’être impossible !
Tome 1
Sous les dehors d’une enquête assez classique, « American Parano », premier volet d’un diptyque policier, nous emmène dans les bas fonds du Frisco de la fin des sixties, ces années où la jeunesse beatnik revendiquait de nouvelles formes de liberté, où les vieilles bâtisses victoriennes se paraient de couleurs psychédéliques. Le scénario d’Hervé Bourhis est plutôt abouti, avec des personnages bien campés, à commencer par celui de Kimberly Tyler, jeune inspectrice un peu coincée et fraîche émoulue de l’académie du Michigan, qui va devoir jouer des coudes dans un milieu très masculine et faire abstraction des regards lubriques et des blagues potaches. En parallèle, elle sera amenée à assumer le deuil de son ex-flic de père mystérieusement décédé, dont elle a décidé d’occuper le modeste logement dans le quartier du Castro.
Ce tome 1 ne révèle rien de sa relation avec ce père qu’elle ne voyait plus guère, constituant une zone d’ombre dans la psyché de la jeune femme, comme on le verra à la fin lors de sa confrontation avec le gourou sataniste Yeval, autre personnage de premier plan. Référence inconsciente ou pas, on pense beaucoup à Hannibal Lecter face à Clarice Starling dans une scène mythique du "Silence des agneaux".
En contrepoint ironique de ce contexte de messes noires, chaque chapitre du livre s’ouvre sur les messages d’une radio locale pop, assénant à l’envi sa propagande « feel good », comme si Jésus (le sauveur toujours vivant dans les cœurs !) avait soudainement épousé la cause hippie…
Le véritable point fort de l’ouvrage est le dessin de Lucas Varela, talentueux auteur argentin dont on a plaisir à admirer la belle ligne claire très graphique, et qui reconstitue à merveille l’ambiance sixties de San Francisco.
Que ce soit pour l’élucidation de ce crime mystérieux ou les révélations concernant la relation compliquée de Tyler avec son père, cet épisode distille suffisamment de mystère pour nous donner envie de découvrir la suite. On relèvera l’excellente playlist, très variée, qui accompagne l’album via QR code, avec quelques tubes mythiques d’une époque bénie en matière de créativité musicale (Scott Mc Kenzie, The Beach Boys, Jefferson Airplane, Otis Redding, The Mamas and The Papas et beaucoup d’autres…).
L'éponyme Aliénor Mandragore n'est pas n'importe qui, il s'agit de la fille du plus grand druide de tous les temps : Merlin. Problème (et surtout élément déclencheur de l'intrigue), elle a un beau jour causé la mort de ce dernier à cause d'une mandragore. Normalement pas de quoi paniquer pour la petite famille, Merlin connait plein de façons diverses de revenir à la vie, sauf que là l'Ankou, l'incarnation même de la mort, semble être venu recupérer son âme. Aliénor, aidée de son ami Lancelot, va chercher par tous les moyens à ramener son papa chéri à la vie.
C'est une jolie petite série d'aventure tout public sur fond de mythes arthuriens, les personnages sont attachants (même si j'aurais pu me passer des "blagounettes" où Merlin harcèle Viviane), le dessin est vif et sait donner des bouilles adorables à ses protagonistes (et des designs variés à ses créatures fantastiques), l'action est prenante, les récits entrainants et les sujets abordés (deuil, amour familial, désir de choisir sa voie, ...) sont bons. Bref, c'est une très bonne série.
Une très bonne série pas parfaite pour autant car j'avoue que sur la deuxième moitié de la série l'intrigue de fond m'a souvent semblée trop cousue de fil blanc, trop expédiée aussi parfois (le dernier album, pas inintéressant sur le papier, m'a vraiment semblé vouloir aller à cent à l'heure pour tenter de tout clôturer, je n'aurais pas dit non à ce que l'on donne plus de temps à l'histoire pour respirer).
C'est vraiment con, parce que ces quelques problèmes de rythme mis à part j'aurais sans doute pu monter ma note. Honnêtement, sur les deux premiers albums, je me voyais bien augmenter ma note à quatre étoiles, la suite promettait beaucoup mais n'a malheureusement pas su pleinement répondre à mes attentes.
Raah, je suis toujours bougonne j'ai l'impression !
Quoi qu'il en soit la série reste bonne, agréable à lire et même un peu rigolote par moment (pas directement comique mais plutôt "gentiment loufoque", comme avec le journal fictif local "l'Echo de Broceliande" disponible à chaque fin d'album).
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C'est un album qui se laisse lire, mais j'en ressors avec un avis mitigé, un peu sur ma faim. Les premières pages sont très dynamiques et violentes, traitées à la Tarantino. La suite est par contre beaucoup moins rythmée, il y a pas mal de longueurs, et mon intérêt a fluctué et quelque peu baissé. Si une certaine critique du cynisme et de l'hypocrisie des relations internationales (et des Américains en particulier) affleure, j'ai eu du mal à accepter cette organisation (finalement très en phase avec certaines théories du complot actuelles), la Mother Company. Nicholaï Hel, le héros, est intriguant, énigmatique - hautement improbable aussi (comme le personnage du Gnome) - mais pas du tout attachant. Personnages et intrigue sont trop froids, distants, secs. Les allusions à la mentalité japonaise et au jeu de Go ne m'ont pas convaincu ou captivé. Le dessin use d'un trait et d'une colorisation modernes, faisant penser parfois au travail de Blain. C'est simple et dynamique, plutôt agréable en tout cas. Note réelle 2,5/5.
La Passe-visage
Après quatre biographies consacrées à des célébrités (Rod Serling, Bela Lugosi, The Velvet Underground et Gary Gigax, le créateur de Donjons & Dragons), Koren Shadmi nous revient avec un ouvrage beaucoup plus personnel, davantage dans la lignée du « Voyageur », son œuvre phare parue en 2017 chez Ici Même et rééditée cette année chez Marabulles. Si « Le Voyageur » faisait figure de récit intemporel, ne serait-ce que par son personnage immortel que l’on voyait traverser toutes les époques, « La Passe visage » se situe clairement dans le registre SF. L’action se déroule à New York, dans un futur relativement proche, à la fois inquiétant et familier, puisqu’il est question de ces applis de smartphones qui, telles des baguettes magiques hi-tech, permettent à leur détenteur d’avoir tout ce qu’ils veulent, à tout moment et dans un délai très court (colissimo presto). Un futur où tous les moindres obstacles à nos désirs doivent être annihilés, à tout prix. Qu'on se le dise, la vie ne sera plus une quête, puisque nos machines si compatissantes l'accompliront à notre place. Uber-Seigneur, délivre-nous de nos maux, amen. En parallèle, c’est le thème de l’identité qui est abordé ici. Pour concevoir son scénario, Koren Shadmi, s’est inspiré, comme il le dit en postface, d’un étrange phénomène au Japon : « des sociétés louant de « faux » membres de leur famille à des clients esseulés, ou pour servir de remplaçants lors d’interaction sociale ». « La Passe visage » n’est donc pas totalement de la science-fiction, et c’est peut-être bien ça le plus terrifiant. L’auteur, très choqué en apprenant que de telles sociétés pouvaient exister, a donc cherché à nous faire partager ses états d’âme avec ce récit. Shadmi aurait pu se contenter d’une intrigue simple. Son personnage principal, Rose Cladwell, actrice en devenir, aurait pu se grimer pour interpréter au mieux les personnes qu’elle était censée remplacer. Mais en lui donnant la possibilité de changer d’aspect grâce à son implant cérébral, il ne fait que renforcer l’effroi du lecteur, d’autant plus quand l’implant se dérègle et que son visage, de manière très furtive, se déforme façon Francis Bacon. Ne se contentant pas d’abandonner son identité moyennant finances, elle-même est confrontée à quelques galères : d’abord ce boulot qui, même s’il lui sert d’ersatz à ses rêves d’actrice, ne lui permet même pas de boucler ses fins de mois difficiles, et ensuite les tensions résultant d’un divorce fait dans la douleur. Une situation qui suscitera chez elle des interrogations sur sa propre identité et la conduira doucement vers la folie. Partant d’un pitch original, Koren Shadmi a élaboré un scénario intrigant où ces questionnements philosophiques donnent le vertige. Mais s’il est original, ce scénario est complexe aussi, dans la mesure où l’on voit Rose vivre mille et une vies en se mettant dans la peau de plusieurs personnages, tandis que sa propre vie n’a pas l’air si simple. L’auteur du « Voyageur » s’en sort plutôt bien, mais il faudra parfois faire preuve d’une certaine concentration pour « identifier » tous les protagonistes. De plus, on pourra regretter l’absence d’un noyau véritablement magnétique dans ce récit qui reste un brin éparpillé. Les bonnes idées sont là, mais on aurait peut-être pu vibrer davantage si Shadmi avait opté pour un vrai thriller SF. Quant à sa ligne claire, elle demeure toujours efficace et sa froide sobriété contribue à produire une atmosphère irréelle et un peu anxiogène, dans un futur pas franchement enviable mais dont nous semblons nous rapprocher inéluctablement. Comme le dessin, la mise en page reste simple mais confère à l’histoire une bonne lisibilité. « La Passe visage », s’il n’atteint pas le niveau du « Voyageur », reste une lecture plaisante. Koren Shadmi prouve ici qu’il n’est jamais aussi bon que quand il produit une œuvre personnelle, qu’il sait être créatif quand il est question de nous faire partager ses vues sur le monde actuel et nous alerter sur ses dérives.
Aliénor Mandragore
Une série tous publics, visant peut-être en priorité un jeune public ou des adolescents. Mais ça peut passer la barrière de l'âge. En tout cas le vieux schnock que je suis n'a pas trouvé déplaisante cette lecture. Les auteurs n'utilisent que moins d'une dizaine de personnages pour les cinq albums (chacun développe une nouvelle aventure, mais le tout forme un ensemble et se suit). On est dans l'univers de Merlin et Brocéliande, des fées et des sorcières, des korrigans, avec l'Ankou comme gest star récurrente. La narration est fluide, aérée (il y a peu de textes), et les personnages sont gentiment attachants. Si je devais énumérer des bémols (parfois affaires de goûts personnels), ce serait - en plus du côté justement un peu trop gentil et sucré parfois - des visages un peu trop "manga ", et un dernier tome décevant. Trop fourre-tout, avec happy end qui se multiplient pour boucler à la hussarde la série Si l'humour est bien présent, dans certains dialogues, je pensais - j'espérais surtout en fait ! - qu'il serait plus mis en avant. En particulier le potentiel comique des relations entre Merlin et Morgane est sous-exploité: leurs chamailleries - au centre des premières pages - auraient pu être plus loufoques et vachardes (là aussi c'est affaire de goût). Pour les lecteurs adolescents, les six pages qui concluent chaque album sous la forme d'un journal local de Brocéliande, sont un petit plus sympathique.
Le Roi Louve
Je ne vais pas trop répéter ce qu'ont déjà écrit mes devanciers. Donc je vais faire assez court. Le graphisme est plutôt bon, le scénario aussi. Bref, tout pour plaire. L'univers est assez original, avec des personnages pas trop prototypés et pas trop lassants, ils sont même délassants :) Ça se laisse lire sans problème, en se disant qu'on aura droit vers la fin à quelques explications sur divers points de détail. Mais voilà, le hic, c'est la fin. Il y avait de quoi ajouter sans trop de lassitude des albums supplémentaires (au moins un, sans souci, voire deux), mais visiblement, il a fallu ''conclure'' à partir du milieu du 3ème album, sans doute suite à des retours de vente pas conformes aux attentes de l'éditeur. Bon, il y a une fin assez ouverte, qui peut laisser présager une reprise de cette série plus tard. Mais divers points restent flous, ou expédiés en un claquement de doigt. Résumons : c'était assez bien parti, aussi bien côté personnages qu'ambiance. Et paf, une fin précipitée, mais qui arrive quand même à conclure pas mal de choses. Mais on sent la précipitation. Je réduis à 3 étoiles à cause de la fin frustrante...
Le Club des divorcés
Le Club des Divorcés est un petit établissement d’hôtesses situé dans le Ginza des années 70. À sa tête, Yukô, une jeune femme de 25 ans, fraîchement divorcée, qui gère le lieu avec un barman (également videur à l’occasion) et deux ou trois jeunes hôtesses. Yukô est à la fois patronne, hôtesse, confidente et figure d’autorité respectée. Mais ce rôle de repère moral qu’elle incarne pour ses clientes et ses collègues, elle est incapable de le tenir avec sa propre fille de trois ans, confiée à sa grand-mère et qui lui reproche obstinément d’avoir quitté son père, pianiste alcoolique et raté. Yukô tente de rester droite face à tout : un ex-mari envahissant, une fille qu’elle ne voit pas assez, un club qui peine à survivre dans une économie en crise, et ses propres doutes sentimentaux. Une maturité acquise à la dure, et à un âge bien trop jeune. Je l’ai lu sans rien en attendre, pensant tomber sur un drame conjugal à la mode des années 70/80, pesant et poseur. Ce n’est pas le cas. Le manga repose sur des chapitres courts, plutôt bien construits, ancrés dans une époque marquée (graphiquement et socialement) mais avec une narration fluide et des personnages intéressants. J’ai éprouvé plus d’empathie pour le jeune barman, honnête et touchant, que pour Yukô, plus difficile à cerner mais de loin la figure la plus forte. Elle porte en elle une forme de douleur rentrée, sous un masque impeccable de dame japonaise digne. Elle n’est ni une bonne mère, ni une bonne épouse, mais c’est précisément là que réside tout l’intérêt du récit : montrer une femme en dehors des normes, indépendante, libre, complexe, assumant ses choix sans les brandir. En creux, le manga dresse aussi un tableau d’un Japon des années 70 qui me parle peu. Les clubs sans fenêtres où des hommes libidineux ou paumés viennent boire et peloter des hôtesses me paraissent aujourd’hui datés et glauques. Le traitement de ces hôtesses est d’ailleurs intéressant, à la lisière de la prostitution sans jamais tomber dans le jugement. Le ton général est sombre, parfois trop pour moi, notamment cette insistance sur le suicide, presque perçu comme une option courante. On voudrait voir Yukô ou les autres s’en sortir, mais ce n’est pas la logique du gekiga : on est dans un réalisme amer, juste, mais pas réconfortant. La fin du manga, d’ailleurs, est crédible mais mélancolique, à l’image du reste. Je n’ai pas pris un plaisir constant à cette lecture, mais j’en garde l’intérêt d’un témoignage social lucide et d’un bon portrait de femme : forte, fière, libre, mais brisée par endroits.
Je suis toujours vivant
J'avoue que je ne connaissais pas l'écrivain-journaliste italien Roberto Saviano qui depuis des années vit sous protection policière parce qu'il a osé dénoncer les agissements d'un groupe mafieux qui fait sa loi dans un coin pauvre de l'Italie. Comme c'est souvent malheureusement le cas dans la vraie vie, les criminels peuvent sortir au grand jour et faire ce qu'ils veulent pendant que leurs victimes doivent se cacher. C'est effarant de voir qu'encore de nos jours la mafia peut avoir autant de pouvoir et aussi de voir les propos haineux envers Saviano sur internet. Quand on est une victime, il faut être parfaite et dans le cas de Saviano il faudrait carrément qu'il se fasse tuer pour que certains aient pitié de lui ! J'ai bien aimé voir à quoi ressemble une vie lorsqu'on risque de mourir à chaque instant et que la police est constamment présente. Même si le sujet est passionnant, la BD elle-même manque quand même de dynamisme dans sa narration. Il faut dire aussi que c'est un peu décousu, je pense que Saviano a écrit cette BD sans plan bien défini parce que par moment on dirait qu'il met juste les idées qu'il a eues au moment de l'écriture. Le dessin est correct sans plus.
Le Roi Louve
L'heroic fantasy, tout le monde le sait, c'est souvent plein de potentiel mais également casse-gueule. C'est un terreau parfait pour des récits mélant politique et magie, fantastique et réalisme, mais le genre est tellement saturé que l'on a rapidement l'impression de retrouver les mêmes récits sans grandes différences, sans grand effort, sans grand génie même parfois. Qu'en est-il de la série d'aujourd'hui ? Elle est bonne, mais malheureusement décevante. Il y a des qualités dans ce triptyque, ou a minima de bonnes idées. Comme souvent dans le genre il est question de deux races en conflit (bon, il y a d'autres races sentientes mais on se concentre vraiment sur deux d'entre elles) : les humaines et les loups. Les deux peuples sont, là encore cas régulier, à la fois similaires et différents. Iels se distinguent par leurs physiques et leurs constructions sociétales, les loups étant une société patriarcale royaliste là où l'humanité est régie par un matriarcat impérialiste, pourtant les deux peuples se retrouvent dans ces mêmes différences : même s'iels sont plus poilu-e-s et musclé-e-s les loups restent anthropomorphes et les habitants des deux pays sont divisés par des règles sociétales liées au genre proprement absurdes. La critique des carcans de genre, de l'imposition sociale du genre d'un individu, de la haine d'autrui (et du rejet de la mixité par la même occasion) sont des sujets intéressants et sont ici bien traités. Bon, plus ou moins bien traités... Bon, j'attaque les défauts avec un grand classique dans la fiction (malheureusement) : le rythme. Les sujets sont abordés, ils promettent beaucoup, mais difficile de sortir satisfait-e de sa lecture quand tout semble être passé bien trop rapidement. La fin m'a semblée d'ailleurs tellement abrupte, laissant tant de place pour une poursuite du sujet, de l'histoire, de ses personnages, que j'ai sincèrement longuement cherché pour voir s'il n'y avait pas une suite cachée de prévue. Mais non, rien. En fait, pour moi tous les dêfauts de la série pourraient presque être associés à celui-ci : le sentiment que certains personnages auraient pu être un tantinet plus développés, le fait que les règles magiques de l'univers ne sont pas parfaitement claires (quand un personnage fait un vœu sur son lit de mort et que celui-ci se réalise en envoyant voler les règles naturelles je m'attends quand-même à une petite explication, fusse-t-elle rapide), ou encore le fait que certains scénarios m'ont semblés se terminer de manière bien peu satisfaisante (comme la relation Petigré/Rum, la sous-intrigue de la révolution masculiniste ou encore le fait que l'on n'apprend jamais réellement comment l'un des personnages a pu regagner sa conscience). In fine, malgré ses bonnes idées, la série me semble trop expédiée, trop convenue même. Encore une fois la série n'en ressort pas pour autant mauvaise et elle n'est pas désagréable à lire, mais me restera-t-elle en mémoire longtemps ? Pas sûr.
San Francisco 1906
Cette série mélange les genres, en partie polar, en partie historique, pour au final nous offrir un récit d'aventure dans un cadre original : la ville de San Francisco en 1906. L'héroïne est une jeune femme de chambre qui se retrouve malgré elle embringuée dans une histoire de mafieux avec la mort aux trousses. Ayant récupéré une peinture trafiquée de Gustav Klimt, elle attire la mort autour d'elle tandis que les gangs tentent de récupérer le tableau et qu'effrayée elle le ramène à la personne qui souhaite le plus s'en débarrasser, à savoir le chanteur d'opéra Caruso. A sa suite, on découvre différents aspects de la ville de San Francisco à l'époque, notamment l'influence importante de la pègre, qu'il s'agisse de la mafia italienne ou des tongs chinois, mais aussi le chef corrompu de la garnison militaire. Et tout cela s'écroule brutalement en même temps que les murs de la cité lors du terrible tremblement de terre de cette année là, ce qui va paradoxalement peut-être sauver la vie de l'héroïne. Le graphisme de Fabrice Meddour met tout cela en valeur. Ses planches en couleurs directes, majoritairement en teintes sépia avant de se colorer soudainement suite au séisme, font honneur aux décors et costumes du San Francisco de l'époque. Si ses personnages masculins sont un peu moins beaux car souvent caricaturaux, ce n'est pas le cas des protagonistes féminines qui sont très jolies. J'aime beaucoup également le tableau de Klimt inédit qu'il imagine, ainsi que les quelques scènes mythologiques en lien avec Judith et Holopherne. L'intrigue a le mérite de nous faire découvrir la ville à une époque charnière, avec toute la richesse de sa faune urbaine, ses marginaux, ses clans, ses zones d'ombre. Suivre le destin du tableau et de l'héroïne malgré elle se révèle plaisant, même si ce fil narratif n'est pas d'une originalité renversante : le thème de l'innocent happé malgré lui dans un affrontement entre mafias a déjà été largement exploré. Mais l'arrivée du séisme à la fin du premier tome redistribue brutalement les cartes. Le deuxième tome prend alors un virage beaucoup plus radical, encore plus brutal. À vrai dire, il va peut-être trop loin. Le cataclysme et les tentatives désespérées des habitants pour sauver ce qui peut l'être sont relégués au second plan derrière une déferlante de violence et de folie qui frôle parfois la surenchère. On en vient à se demander si tout cela était nécessaire, tant l'intensité dramatique était déjà bien suffisante. Cette escalade dans l'excès a un peu terni mon enthousiasme pour une œuvre qui, jusque-là, m'avait pourtant séduit par son regard singulier et son approche originale.
American Parano
Tome 3 : Manhattan Trauma Après l’excentrique diptyque se déroulant dans les quartiers interlopes de San Francisco, les auteurs emmènent cette fois leur héroïne dans Big Apple, de façon inattendue. En effet, celle-ci a été mandatée par la NYPD pour organiser la protection du candidat démocrate à la Maison blanche. Sans grosse surprise puisque l’histoire commence par son assassinat en public, le reste du livre détaillant les événements antérieurs au drame. Alors que les deux premiers volets portaient sur une enquête dans les milieux satanistes de Frisco, ce tome 3 (qui apparemment n’aura pas de suite) se situe dans le registre du thriller politique, avec une fiction librement inspirée par l’ « affaire Kennedy bis » (le meurtre de Bob Kennedy, frère de John, qui s’apprêtait à être nommé par son parti pour les présidentielles). Et même si les noms ont été modifiés, on pourra facilement reconnaître Richard Nixon (davantage que Robert K., d’ailleurs), le candidat républicain qui, comme on le sait, allait être élu en novembre 68. Ce récit donne une fois de plus l’occasion à Hervé Bourhis de nous immerger dans l’atmosphère U.S. de la fin des années 60, avec quelques références culturelles de l’époque. Curieusement, l’auteur, expert accompli en matière de rock, a abandonné le filigrane radiophonique intégrant des extraits de chansons et se contente d’allusions davantage en lien avec l’art ou la littérature, notamment avec une course poursuite ayant pour cadre le musée Guggenheim ou cette rencontre avec Andy Warhol, rebaptisé pour l’occasion « Angus Warsaw ». On pourra également s’étonner de la ressemblance entre le directeur de campagne de Cavendish, Tom Persons, et le romancier Truman Capote… Cet épisode en fera voir de toutes les couleurs à la pauvre Tyler, qui semble une fois de plus confrontée au mépris et à la morgue d’un milieu globalement très misogyne, et se trouve ici aux prises avec un inquiétant mercenaire russe. Notre femme-flic va pourtant prouver qu’elle a du répondant et qu’il ne vaut mieux pas se fier à sa corpulence. Mais si elle n’a pas froid aux yeux, cette héroïne manque encore un tout petit peu de substance pour vraiment accéder au statut d’héroïne « culte » du neuvième art. Lucas Varela quant à lui ne faillit pas dans le traitement de la partie graphique. Son trait méticuleux et stylisé (bien qu’un peu froid pour ce type de registre) reste un régal pour les yeux, avec toujours ce « code couleur » en phase avec la fameuse bannière étoilée. Plus conforme aux standards narratifs du genre, « Manhattan Trauma » réussit davantage à convaincre par son intrigue que le diptyque précédent, lesté par son dénouement un rien saugrenu. On pourra juste s’étonner du fait que ce troisième volet semble être une histoire complète, mais peut-être notre amie Tyler est-elle déjà partie vers d’autres horizons d’investigation… A voir… Tome 2 Même si c’est un peu à contrecœur, je dois l’admettre, la seconde partie de ce diptyque est une déception. La fin du premier volet m’avait pourtant laissé dans de bonnes dispositions, mais celles-ci se sont quelque peu effilochées à la lecture, jusqu'à ce dénouement un peu ridicule. Tout d’abord, on ne reviendra pas sur la qualité du dessin, et c’est assurément le point fort d’ « American Parano ». L’atmosphère du San Francisco des sixties est toujours aussi plaisante, et on continue à prendre plaisir à admirer le trait moderne et stylisé de Lucas Varela, agrémenté d’une bichromie à dominante rouge terracotta et bleu horizon. Alors forcément, on se demande pourquoi ça n’a pas aussi bien fonctionné qu’avec « Le Labo », la précédente collaboration des auteurs, réjouissante comédie vintage sur la genèse des ordinateurs individuels. Car en effet, l’ouvrage pêche davantage par son scénario. Celui-ci s’essouffle assez vite, à l’image de l’enquête de Kimberly Tyler qui piétine… L’intrigue a tendance à partir un peu dans tous les sens, avec moult détails qui, s’ils tentent probablement de restituer une certaine réalité de l’époque, ne paraissent à première vue ni vraiment indispensables ni significatifs. Au fil des pages, les personnages ont l’air de se comporter de manière automatique, y compris Kimberly qui apparaît de moins en moins concernée par son affaire et qui pourtant s’était montrée potentiellement attachante dans le premier épisode, du fait de sa personnalité bien campée. Alors certes, cette froideur peut être en partie due à la ligne claire, qui, si séduisante soit-elle, demeure un peu lisse. On évitera d’enfoncer le clou avec ce dénouement qui sombre assez platement dans le grand-guignol, et cette révélation finale, un brin incongrue, sur le passé du père de la jeune enquêtrice, qui, on l’imagine, aurait dû nous arracher une larme. L’impression qui domine est que Bourhis semble avoir lâché en cours de route son axe narratif. Malgré un certain potentiel, il survole le sujet et retombe assez vite dans le clichetonneux et le superficiel. Mes attentes concernant ce deuxième chapitre étaient-elles trop fortes pour ma part ? Par tous les diables, c’est loin d’être impossible ! Tome 1 Sous les dehors d’une enquête assez classique, « American Parano », premier volet d’un diptyque policier, nous emmène dans les bas fonds du Frisco de la fin des sixties, ces années où la jeunesse beatnik revendiquait de nouvelles formes de liberté, où les vieilles bâtisses victoriennes se paraient de couleurs psychédéliques. Le scénario d’Hervé Bourhis est plutôt abouti, avec des personnages bien campés, à commencer par celui de Kimberly Tyler, jeune inspectrice un peu coincée et fraîche émoulue de l’académie du Michigan, qui va devoir jouer des coudes dans un milieu très masculine et faire abstraction des regards lubriques et des blagues potaches. En parallèle, elle sera amenée à assumer le deuil de son ex-flic de père mystérieusement décédé, dont elle a décidé d’occuper le modeste logement dans le quartier du Castro. Ce tome 1 ne révèle rien de sa relation avec ce père qu’elle ne voyait plus guère, constituant une zone d’ombre dans la psyché de la jeune femme, comme on le verra à la fin lors de sa confrontation avec le gourou sataniste Yeval, autre personnage de premier plan. Référence inconsciente ou pas, on pense beaucoup à Hannibal Lecter face à Clarice Starling dans une scène mythique du "Silence des agneaux". En contrepoint ironique de ce contexte de messes noires, chaque chapitre du livre s’ouvre sur les messages d’une radio locale pop, assénant à l’envi sa propagande « feel good », comme si Jésus (le sauveur toujours vivant dans les cœurs !) avait soudainement épousé la cause hippie… Le véritable point fort de l’ouvrage est le dessin de Lucas Varela, talentueux auteur argentin dont on a plaisir à admirer la belle ligne claire très graphique, et qui reconstitue à merveille l’ambiance sixties de San Francisco. Que ce soit pour l’élucidation de ce crime mystérieux ou les révélations concernant la relation compliquée de Tyler avec son père, cet épisode distille suffisamment de mystère pour nous donner envie de découvrir la suite. On relèvera l’excellente playlist, très variée, qui accompagne l’album via QR code, avec quelques tubes mythiques d’une époque bénie en matière de créativité musicale (Scott Mc Kenzie, The Beach Boys, Jefferson Airplane, Otis Redding, The Mamas and The Papas et beaucoup d’autres…).
Aliénor Mandragore
L'éponyme Aliénor Mandragore n'est pas n'importe qui, il s'agit de la fille du plus grand druide de tous les temps : Merlin. Problème (et surtout élément déclencheur de l'intrigue), elle a un beau jour causé la mort de ce dernier à cause d'une mandragore. Normalement pas de quoi paniquer pour la petite famille, Merlin connait plein de façons diverses de revenir à la vie, sauf que là l'Ankou, l'incarnation même de la mort, semble être venu recupérer son âme. Aliénor, aidée de son ami Lancelot, va chercher par tous les moyens à ramener son papa chéri à la vie. C'est une jolie petite série d'aventure tout public sur fond de mythes arthuriens, les personnages sont attachants (même si j'aurais pu me passer des "blagounettes" où Merlin harcèle Viviane), le dessin est vif et sait donner des bouilles adorables à ses protagonistes (et des designs variés à ses créatures fantastiques), l'action est prenante, les récits entrainants et les sujets abordés (deuil, amour familial, désir de choisir sa voie, ...) sont bons. Bref, c'est une très bonne série. Une très bonne série pas parfaite pour autant car j'avoue que sur la deuxième moitié de la série l'intrigue de fond m'a souvent semblée trop cousue de fil blanc, trop expédiée aussi parfois (le dernier album, pas inintéressant sur le papier, m'a vraiment semblé vouloir aller à cent à l'heure pour tenter de tout clôturer, je n'aurais pas dit non à ce que l'on donne plus de temps à l'histoire pour respirer). C'est vraiment con, parce que ces quelques problèmes de rythme mis à part j'aurais sans doute pu monter ma note. Honnêtement, sur les deux premiers albums, je me voyais bien augmenter ma note à quatre étoiles, la suite promettait beaucoup mais n'a malheureusement pas su pleinement répondre à mes attentes. Raah, je suis toujours bougonne j'ai l'impression ! Quoi qu'il en soit la série reste bonne, agréable à lire et même un peu rigolote par moment (pas directement comique mais plutôt "gentiment loufoque", comme avec le journal fictif local "l'Echo de Broceliande" disponible à chaque fin d'album).