Acheté dès sa parution, ce petit bouquin au format carré intrigue déjà par sa couverture représentant une météorite argentée perdue dans le néant. Est-ce donc cela le "Love Nest" ou plutôt nid d'amour sous le regard de Charles Burns ? Pour moi il ne s'agissait ni d'une bande dessinée, pas vraiment non plus un artbook et son contenu ne le rend pas aisé à chroniquer...
Pour tout curieux le feuilletant, il ne s'agira que d'illustrations en noir et blanc (dont 3 en couleurs pour la préface) représentant des scènes grotesques de vamps, de monstres ou de scientifiques tous droits sortis d'un quelconque récit E.C Comics.
Parfois érotiques, souvent prises sur le vif, ces vignettes (1 par page) semblent raconter une histoire dont il faudra relier les cases par sa seule imagination.
Cette construction en miroir pourra échapper à certains, mais la maîtrise des dessins et l'émotion ou angoisse distillées sont parfaitement saisissantes.
Charles Burns est-il un escroc ? Un auteur surestimé dont les dessins hypnotiques lissent les défauts d'une narration éclatée ? Probablement ... et probablement pas. "Love Nest" se déguste à la fois donc comme une bande dessinée ET un artbook dont chaque relecture délivre une histoire différente mais captivante.
Fascinant.
Avec Les Maîtres de White Plain, Édouard Chevais-Deighton et Antoine Giner-Belmonte nous offrent une histoire qui, si elle ne surprendra pas sur le fond les amateurs du genre, n’en reste pas moins intéressante par sa densité et l’épaisseur du mystère donnant corps au scénario.
Le tome 1 pose l’intrigue, les personnages et le décors, dans une atmosphère lourde de secrets. Le 19ème siècle américain est une période fascinante (autant le conflit nord-sud que la conquête de l’Ouest) qui donne une réelle intensité au récit.
J’avais hâte d’attaquer le tome 2 qui verra de multiples révélations et beaucoup de sang couler, bien que la fin soit apaisée.
Beaucoup de points forts pour cette bd : la période traitée sans concession pour chacune des parties, un dessin de caractère (bien que par moments perfectible), un mystère véritablement étoffé et sa résolution en plusieurs étapes, assez complexe pour conserver l’intérêt jusqu’au bout tout en gardant sa vraisemblance.
Pour les points faibles : une narration parfois embrouillée qui passe rapidement d’une scène à l’autre avec parfois des sauts temporels (un petit cartouche pour re-situer le contexte n’aurait parfois pas été de trop) d’où découle parfois une difficulté à reconnaître les nombreux protagonistes.
Cette bd est pour moi une vraie réussite. Les auteurs nous offrent 2x54 planches belles, sombres et intenses. Je mets donc 4* pour me démarquer des précédents aviseurs que j’ai trouvé un peu durs.
Bonne idée que de partir d'un ancien agent des services secrets français qui se confie à un journaliste. On arrive à en apprendre des vertes et des pas mûres au niveau des services secrets de notre pays. C'est censé dévoiler une face cachée d'un moment historique et sur le rôle méconnu des hommes de l'ombre. A noter que cela s'inspire d'une émission assez célèbre de radio.
J'ai beaucoup aimé la première histoire intitulée la chinoise. On ira de surprise en surprise jusqu'à la révélation finale assez étonnante. On ne s'ennuiera pas à cette lecture qui nous plonge dans la Chine de la révolution culturelle de Mao. Le second tome sur la baie des cochons vaut également le déplacement avec de grandes figues comme Kennedy ou Fidel Castro. L'histoire de Mata Hari est également assez passionnante. Bref, que du lourd dans cette collection.
Au niveau du dessin, je ne peux pas dire que j'ai aimé pour le premier tome mais c'est assez convenable dans l'ensemble. Les auteurs ne sont pas les mêmes dans les tomes suivants ce qui produit une hétérogénéité du style graphique. Un très bon point pour le récit consacré à Mata Hari dont la finesse du trait est assez élégante.
Au final, on pourra aisément se laisser tenter par ces rendez-vous avec Monsieur X.
Je vais commencer par une remarque fort désagréable mais qui me semble malgré tout assez pertinente. En effet, lors d'un dialogue de départ avec les principaux protagonistes de cette aventure amazonienne, on discute musique. L'action se situe exactement en 1972. Or, l'une de nos héroïnes nous parle du fameux titre Hôtel California d'Eagles qui ne sortira sur les ondes qu'en 1977. J'avoue qu'un peu de culture musicale aurait fait du bien aux auteurs. Je me suis renseigné pour savoir si ce titre était la reprise d'une chanson plus ancienne mais que nenni. C'est franchement stupide d'introduire dès le départ ce genre d'anachronisme car cela ne fait pas très sérieux. Certes, la volonté de nos auteurs était d'introduire une ambiance très seventeen. Mais bon, encore faut-il ne pas se tromper.
Après cette petite méchanceté non gratuite, je dois dire que c'est plutôt pas mal voire franchement bien pour un départ. On pardonnera aisément au vu de la qualité de l'ensemble. Rien à redire par exemple au niveau du graphisme qui est tout simplement magnifique.
Pour le reste, c'est très entraînant comme intrigue. On notera une incursion du fantastique vers la fin de ce premier tome qui fait un peu genre décalé. Il faut dire que les conditions de ces chantiers en pleine jungle sont savamment décrites avec des bûcherons peu recommandables surtout pour la gente féminine.
C'est un très bon début et on attend la suite avec impatience. Bon, peut-être faut-il prendre le temps de vérifier tous les détails afin de ne pas se vautrer.
Il est clair que ce n'est pas au niveau du graphisme que ce manga se démarque. S'il est certes mignon avec un trait un peu rond, il manque cruellement de détails et est souvent très simple (mention spéciale toutefois aux hamsters...vous comprendrez en lisant). Mais l'intérêt réside plutôt dans la tranche de vie de Lina Foujita (ou Rina Fujita) qui vient découvrir la France et s'y installer.
J'ai pris un réel plaisir à lire ces 3 tomes car ils permettent de découvrir le point de vue d'une étrangère débarquant dans la capitale, pleine de fausses idées et d'a priori positifs, le Japon adorant une certaine vision de la France...entre désillusions, découvertes et bonnes surprises (car il n'y a pas que du négatif tout de même), Lina va devoir s'accrocher et tenter de parler français pour se faire comprendre et s'en sortir dans ses démarches du quotidien.
Le rythme est très bon et les 3 tomes s'enchaînent bien, si vous aimez le début, vous aimerez l'ensemble.
Bref, c'est rigolo et parfois instructif et ça m'a mis de bonne humeur chaque fois que j'en ai lu un tome.
Si le genre post-apocalyptique est assez commun en science-fiction, c’est avec une certaine curiosité que l’on attendait de voir ce que Lucas Varela allait en faire avec ce récit, qui n’est pas sans rappeler « La Machine à explorer le temps » de H.G. Wells, ou encore, d’un point de vue plus politique, « Au cœur des ténèbres », de Joseph Conrad. A ce titre, l’auteur argentin, qui a connu la dictature de Pinochet, sait assurément de quoi il parle, même s’il n’était encore qu’un enfant lorsqu’elle prit fin. Il a d’ailleurs déjà traité de la question dans L'Héritage du Colonel, en collaboration avec Julien Frey (Avec Édouard Luntz - Le Cinéaste des âmes inquiètes). Mais Varela, qui est plus dessinateur que scénariste, possède cette particularité de renforcer l’intérêt pour ses œuvres par un graphisme original et stylé. Une fois encore, on appréciera ici sa ligne claire très moderne, dans une jolie palette de couleurs quasi bichromiques, où dominent les tons rouges et gris. L’univers très dépaysant de la BD évoque la préhistoire, mais certains détails nous disent que ce n’est pas tout à fait la Terre d’il y a 100 millions d’années. On y aperçoit des plantes aux formes bizarres, des canidés capables de se tenir debout, des espèces de singes très différentes (et là on évitera le spoiling) : certains volent ou vivent dans les arbres, d’autres ont des tailles gigantesques ou encore sont cavernicoles (évidemment, on pense immédiatement aux Morlocks).
Pour ce qui est du scénario, Lucas Varela s’est associé pour la deuxième fois avec son complice Diego Agrimbau, lui aussi argentin, après l’étonnant Diagnostics, un album regorgeant de trouvailles et consacré aux troubles mentaux. Doté d’une narration impeccable, « L’Humain », qui raconte comment l’espèce humaine va lutter contre sa propre extinction suite à une catastrophe ayant décimé l’humanité entière, à travers un couple de scientifiques dont le projet est de revenir sur Terre cinq cent mille ans après s’être fait cryogénisés. Le récit permet d’aborder une multitude de thèmes, le plus marquant étant la nature humaine et son indécrottable propension à dominer et à conquérir son environnement, et, ce faisant, à le dénaturer, souvent pour le pire… Bien sûr, si la fable écologique demeure en toile de fond, le propos politique n’est pas absent. Les auteurs montrent ainsi comment le pouvoir corrompt et peut transformer un homme au départ rationnel et bienveillant en tyran assoiffé de sang. Robert, seul humain de l’histoire autoproclamé empereur, régnant sur une communauté de singes et de robots, va rapidement basculer dans cette folie hystérique parfaitement décrite dans la nouvelle de Conrad. C’est bien le processus de mise en place d’une dictature qui est décrit ici, et la nationalité des auteurs n’y est certainement pas étrangère. L’autre thème développé est l’intelligence artificielle à travers le personnage d’Alpha, une androïde incarnant la sagesse et l’humanité dont semble peu à peu dépourvu son maître, Robert. Ce qui nous amènera à nous poser la question : le genre humain est-il à ce point stupide qu’il devra confier son destin à des robots pour éviter de disparaître ?
Cette fable sombre et captivante, si éloignée du mythe du bon sauvage cher à Rousseau, fournit matière à réflexion tout en restant récréatif et fluide dans la forme. Même si la trame reste le plus souvent assez prévisible, les rebondissements sont bien amenés et certaines scènes assez spectaculaires. Si humour il y a, il est en mode grinçant — on n’est pas non plus là pour se taper des barres de rire —, et on l’aura compris, l’homo-mégalo en prendra pour son grade. On peut donc sans se tromper qualifier ce one-shot de réussite.
Nous parlons ici non pas d'un nouveau Jason, auteur norvégien idolâtré par certains (dont nous faisons partie...) de ce que l'on pourrait qualifier - de manière musicale - de "BD indie", mais de la réédition chez Atrabile de son premier et remarquable ouvrage, "Attends...", datant de vingt ans déjà...
Vingt ans : un gouffre, rempli par le ressassement d'une vie "ratée", mais aussi le temps de juste prononcer un simple mot avant que votre univers s'effondre. Peut-être parce que le temps - qui passe, trop vite, trop lentement, et qui nous tue... - est fondamentalement le sujet du livre, "Attends" n'a pas pris une ride : au contraire, ces cases soigneusement rangées, souvent sans dialogues, parfois systématiquement répétées, habitées par des personnages aux yeux vides qui nous ressemblent inexplicablement, sont depuis devenues pour nous un univers absurdement familier, qui nous rassure et nous terrorise à la fois... puisque les cauchemars "mous" de Jason sont les nôtres. Oui, il est étonnant de réaliser combien le "style" de l'auteur n'a pas évolué depuis ce premier livre - qui avait fait son petit effet dans le monde de la BD en 2000 -, ou, pour l'exprimer plus justement, combien toute la grandeur, toute la force de son Art étaient déjà présentes, et d'une redoutable efficacité dans "Attends...".
Bien sûr, il y a d'abord dans "Attends..." ce coup de force narratif qui ne nous laisse toujours pas un indemnes en 2019, et que nous ne pouvons en aucune manière spoiler : d'une évidence et d'une audace telles que très peu d'auteurs (de livres "conventionnels", de scénarios de films...) osent l'utiliser, cette rupture terrifiante d'une narration entamée sous le signe d'une chronique d'enfance douce et un peu surréaliste nous projette, hagards, dans la réalité d'une vie "foutue" qui ressemble quand même beaucoup à la nôtre, qui que nous soyons. Répétition interminable de rituels de (sur)vie, tristesse insondable nourrie de regrets de ce qui aurait pu être et de remords quant à ce que nous n'aurions pas dû faire, tout est déjà exprimé dans le titre anodin et pourtant terrible du livre : car on n'attend jamais assez, même si l'on passe sa vie à attendre quelque chose qui ne viendra (plus) jamais, qui ne peut plus advenir. Et à la fin, parce qu'on a grandi trop vite (un jeu de deux cases saisissantes), puis vieilli trop vite, il n'y a que la nostalgie mortifère d'une enfance saccagée. Et puis la Mort. Qui n'attend pas.
Difficile de trouver les mots pour partager l'expérience extrême que constitue la découverte de "Saccage" de Frederik Peeters. Difficile de dire si l'on a aimé, même de manière "oblique", cette expérience. Difficile de prétendre qu'on a compris quelque chose à cet ouvrage - ne parlons pas de BD, pour le coup, mais il ne s'agit pas non plus d'un livre de "belles images", même si les images ici sont pour la plupart terriblement belles, et terribles, à coup sûr. Difficile de recommander ce livre, à ses amis (qu'ils en deviennent meilleurs...!) ou à ses ennemis (qu'ils en crèvent en un longue agonie cauchemardesque...!).
Difficile de ne pas reconnaître çà et là au moins quelques unes des innombrables références listées par Peeters en conclusion, mais difficile aussi de ne pas voir que "Saccage" broie, engloutit et revomit ses références pour en faire quelque chose de radicalement différent, de radicalement AUTRE. Difficile de ne pas saisir qu'il s'agit ici de notre présent, de notre futur imminent, de ce saccage irréversible d'un monde et d'une humanité que bientôt on ne pourra plus qualifier ni de monde, ni d'humanité. Difficile d'admettre que cette violence, qui déferle ici dans des certaines illustrations avec une puissance tellurique, est déjà la nôtre, au quotidien. Difficile de ne pas voir que "Saccage" ne diffère en rien de ce que la Télé ou Internet nous montrent sur l'état des choses. Difficile de ne pas reconnaître ce que la VISION d'un artiste du calibre de Peeters ajoute à ce chaos répugnant : quelque chose de vraiment sublime, qui fait peur, vraiment peur. Et honte, vraiment honte.
Difficile d'ignorer que nos tentatives presque désespérées de trouver un sens à "Saccage" ont été infécondes. Difficile de nier et que nous avons ressenti une terrible frustration à avoir perdu ainsi l'usage des mots (réconfortants) et de la logique la plus élémentaire (rassurante). Difficile de ne pas trouver "Saccage" terrible. Insupportable. Irregardable par instants. Difficile de ne pas admettre que, comme un poison violent, nous n'y avons survécu qu'en l'absorbant à petite dose, au fil des jours.
Difficile d'écrire ici que nous nous sommes reconnus dans cet étranger jaune de peau, et que nous avons détesté ça.
Ne connaissant pas encore l'oeuvre à l'excellente réputation de Derf Backderf - l'aborder sous l'angle de son plus célèbre ouvrage, "Mon Ami Dahmer" (qui m'a été offert par un ami qui a très bon goût...), avait tout d'une évidence, pour moi, qui suis fan d'une certaine école "classique" du comics façon Crumb. Le graphisme de Backderf désoriente tout d'abord, avec cette "rectangularité" des visages et des corps, dont on craint qu'elle ne prive le livre de ces émotions qu'on associe plutôt à une certaine liberté des formes... Et puis on s'habitue, et on est surpris au contraire devant la subtilité des sentiments qui naissent, au détour de scènes remarquables par leur construction (... très cinématographiques, il est vrai, mais c'est désormais presque incontournable dans la BD, tant le cinéma est devenu la manière "normale" de raconter des histoires. On pourrait d'ailleurs réfléchir à la façon dont les "livres en images" originels sont devenus des "films dessinés" !). La simplicité apparente des cases et de leur enchaînement crée ainsi, plus on avance dans le livre, une impression de trouble, puis de vertige existentiel, qui contribuent beaucoup à la force de l'histoire racontée.
Et cette histoire, ce n'est évidemment pas rien, puisqu'il s'agit de narrer ici l'enfance d'un serial killer célèbre et monstrueux, vue par ceux qui l'ont côtoyé durant ses années de collèges. Logiquement, le récit est extrêmement précis et bien documenté, puisque Backderf n'a pas seulement fait confiance à sa propre mémoire, mais il a conduit une enquête approfondie avant de nous livrer ce qui a tout de "l'oeuvre d'une vie". "Mon ami Dahmer" se présente comme l'analyse des éléments qui ont pu amener à un tel Dérapage d'un adolescent - dont les circonstances étaient certes difficiles (parents en crise, puis plongés dans un divorce haineux, désirs homosexuels inexprimables dans la société de l'époque...), mais pas forcément si différentes de millions d'autres. Néanmoins, l'aspect le plus intéressant du livre réside dans la cécité manifeste de tous par rapport aux comportements de plus en plus alarmants d'une personne qu'ils côtoyaient quotidiennement.
Ce "Comment est-il possible qu'ILS n'aient rien vus ?" devient, inévitablement sans doute, un fascinant "Comment est-il possible que JE n'ai rien vu ?", voire un "... que je n'ai rien FAIT ?", forcément angoissant. Bien sûr, Dahmer n'a jamais été vraiment un "AMI" de Backderf, juste un sujet de plaisanterie, abandonné sans un seul regard dès qu'il est devenu trop encombrant, trop dérangeant, trop incompréhensible. Et il est clair en lisant le livre que ce qui en constitue le "point aveugle" et en même temps la "pierre de touche", c'est la question de la responsabilité, voire la culpabilité à la fois générale (de l'école, des enseignants, des voisins, etc. ) et individuelle. La coupable indifférence de Backderf lui-même, vis à vis d'un être en perdition, qu'il "ose" qualifier en titre de son livre de son "ami Dahmer"...
C'est bien pour se libérer de tout cela que Backderf a dû écrire ce livre, qui lui a pris une bonne partie de sa vie adulte. Pas sûr pourtant qu'il ait réussi à chasser ses démons. Ni qu'il ait réussi à s'avouer à lui-même la nature de son trouble.
Je vais peut-être faire une 'redit' mais oui toujours un grand plaisir de lire une nouvelle adaptation BD des romans de Teulé. Le duo d'ailleurs TEULÉ/GUÉRINEAU fonctionne super bien. Bien que je sois grandement fan du travail de Luigi Citrone sur l'adaption du Je, François Villon que je trouve merveilleuse et limite être un chef d'oeuvre ! Disons-le quand même tout de suite "Entrez dans la danse" est un récit assez court, comme le roman d'ailleurs, et Guérineau arrive en quelques pages à vraiment faire transparaître l'âme de ce que raconte Teulé en bien plus de pages. Ça, c'est très fort !
Nous sommes à Strasbourg, Au XVIe siècle, les temps sont durs. Entre le peu à manger et la menace de l'invasion turque qui pèse sur la ville, les gens meurent de faim et en bouffent même leurs enfants. Jusqu'à ce qu'une jeune femme pète les plombs et se mette à danser. Et à danser, en entraînant toute la populace. Au milieu de tout cela se mêlent les politiques et les religieux (qui sont complètement à coté de la plaque). Et un drame inqualifiable intervient !
Teulé est extrêmement doué pour mettre en avant le côté cynique de l'Histoire. C'est toujours précis, bien documenté et il a son humeur décapent qui match à chaque fois. Cette histoire d'ailleurs est complètement dingue et véridique. Les tenants et aboutissants n'ont d'ailleurs jamais été résolus. Et c'est ce que Guérineau fait bien transparaître dans son adaptation. Avec parfois des planches mystiques et totalement superbes. Mais le tout résonne dramatiquement dans notre âme car c'est ignoble ce que les Strasbourgeois vont vivre. C'est crade et ordurier. Entre émotion, dégoût, colère face aux religieux et rires 'Entrez dans la danse' se place à la même position que le roman de Teulé. C'est bien et on en redemande !
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Love Nest / Nid d'Amour
Acheté dès sa parution, ce petit bouquin au format carré intrigue déjà par sa couverture représentant une météorite argentée perdue dans le néant. Est-ce donc cela le "Love Nest" ou plutôt nid d'amour sous le regard de Charles Burns ? Pour moi il ne s'agissait ni d'une bande dessinée, pas vraiment non plus un artbook et son contenu ne le rend pas aisé à chroniquer... Pour tout curieux le feuilletant, il ne s'agira que d'illustrations en noir et blanc (dont 3 en couleurs pour la préface) représentant des scènes grotesques de vamps, de monstres ou de scientifiques tous droits sortis d'un quelconque récit E.C Comics. Parfois érotiques, souvent prises sur le vif, ces vignettes (1 par page) semblent raconter une histoire dont il faudra relier les cases par sa seule imagination. Cette construction en miroir pourra échapper à certains, mais la maîtrise des dessins et l'émotion ou angoisse distillées sont parfaitement saisissantes. Charles Burns est-il un escroc ? Un auteur surestimé dont les dessins hypnotiques lissent les défauts d'une narration éclatée ? Probablement ... et probablement pas. "Love Nest" se déguste à la fois donc comme une bande dessinée ET un artbook dont chaque relecture délivre une histoire différente mais captivante. Fascinant.
Les Maîtres de Whiteplain
Avec Les Maîtres de White Plain, Édouard Chevais-Deighton et Antoine Giner-Belmonte nous offrent une histoire qui, si elle ne surprendra pas sur le fond les amateurs du genre, n’en reste pas moins intéressante par sa densité et l’épaisseur du mystère donnant corps au scénario. Le tome 1 pose l’intrigue, les personnages et le décors, dans une atmosphère lourde de secrets. Le 19ème siècle américain est une période fascinante (autant le conflit nord-sud que la conquête de l’Ouest) qui donne une réelle intensité au récit. J’avais hâte d’attaquer le tome 2 qui verra de multiples révélations et beaucoup de sang couler, bien que la fin soit apaisée. Beaucoup de points forts pour cette bd : la période traitée sans concession pour chacune des parties, un dessin de caractère (bien que par moments perfectible), un mystère véritablement étoffé et sa résolution en plusieurs étapes, assez complexe pour conserver l’intérêt jusqu’au bout tout en gardant sa vraisemblance. Pour les points faibles : une narration parfois embrouillée qui passe rapidement d’une scène à l’autre avec parfois des sauts temporels (un petit cartouche pour re-situer le contexte n’aurait parfois pas été de trop) d’où découle parfois une difficulté à reconnaître les nombreux protagonistes. Cette bd est pour moi une vraie réussite. Les auteurs nous offrent 2x54 planches belles, sombres et intenses. Je mets donc 4* pour me démarquer des précédents aviseurs que j’ai trouvé un peu durs.
Rendez-vous avec X
Bonne idée que de partir d'un ancien agent des services secrets français qui se confie à un journaliste. On arrive à en apprendre des vertes et des pas mûres au niveau des services secrets de notre pays. C'est censé dévoiler une face cachée d'un moment historique et sur le rôle méconnu des hommes de l'ombre. A noter que cela s'inspire d'une émission assez célèbre de radio. J'ai beaucoup aimé la première histoire intitulée la chinoise. On ira de surprise en surprise jusqu'à la révélation finale assez étonnante. On ne s'ennuiera pas à cette lecture qui nous plonge dans la Chine de la révolution culturelle de Mao. Le second tome sur la baie des cochons vaut également le déplacement avec de grandes figues comme Kennedy ou Fidel Castro. L'histoire de Mata Hari est également assez passionnante. Bref, que du lourd dans cette collection. Au niveau du dessin, je ne peux pas dire que j'ai aimé pour le premier tome mais c'est assez convenable dans l'ensemble. Les auteurs ne sont pas les mêmes dans les tomes suivants ce qui produit une hétérogénéité du style graphique. Un très bon point pour le récit consacré à Mata Hari dont la finesse du trait est assez élégante. Au final, on pourra aisément se laisser tenter par ces rendez-vous avec Monsieur X.
Un putain de salopard
Je vais commencer par une remarque fort désagréable mais qui me semble malgré tout assez pertinente. En effet, lors d'un dialogue de départ avec les principaux protagonistes de cette aventure amazonienne, on discute musique. L'action se situe exactement en 1972. Or, l'une de nos héroïnes nous parle du fameux titre Hôtel California d'Eagles qui ne sortira sur les ondes qu'en 1977. J'avoue qu'un peu de culture musicale aurait fait du bien aux auteurs. Je me suis renseigné pour savoir si ce titre était la reprise d'une chanson plus ancienne mais que nenni. C'est franchement stupide d'introduire dès le départ ce genre d'anachronisme car cela ne fait pas très sérieux. Certes, la volonté de nos auteurs était d'introduire une ambiance très seventeen. Mais bon, encore faut-il ne pas se tromper. Après cette petite méchanceté non gratuite, je dois dire que c'est plutôt pas mal voire franchement bien pour un départ. On pardonnera aisément au vu de la qualité de l'ensemble. Rien à redire par exemple au niveau du graphisme qui est tout simplement magnifique. Pour le reste, c'est très entraînant comme intrigue. On notera une incursion du fantastique vers la fin de ce premier tome qui fait un peu genre décalé. Il faut dire que les conditions de ces chantiers en pleine jungle sont savamment décrites avec des bûcherons peu recommandables surtout pour la gente féminine. C'est un très bon début et on attend la suite avec impatience. Bon, peut-être faut-il prendre le temps de vérifier tous les détails afin de ne pas se vautrer.
Un pigeon à Paris
Il est clair que ce n'est pas au niveau du graphisme que ce manga se démarque. S'il est certes mignon avec un trait un peu rond, il manque cruellement de détails et est souvent très simple (mention spéciale toutefois aux hamsters...vous comprendrez en lisant). Mais l'intérêt réside plutôt dans la tranche de vie de Lina Foujita (ou Rina Fujita) qui vient découvrir la France et s'y installer. J'ai pris un réel plaisir à lire ces 3 tomes car ils permettent de découvrir le point de vue d'une étrangère débarquant dans la capitale, pleine de fausses idées et d'a priori positifs, le Japon adorant une certaine vision de la France...entre désillusions, découvertes et bonnes surprises (car il n'y a pas que du négatif tout de même), Lina va devoir s'accrocher et tenter de parler français pour se faire comprendre et s'en sortir dans ses démarches du quotidien. Le rythme est très bon et les 3 tomes s'enchaînent bien, si vous aimez le début, vous aimerez l'ensemble. Bref, c'est rigolo et parfois instructif et ça m'a mis de bonne humeur chaque fois que j'en ai lu un tome.
L'Humain
Si le genre post-apocalyptique est assez commun en science-fiction, c’est avec une certaine curiosité que l’on attendait de voir ce que Lucas Varela allait en faire avec ce récit, qui n’est pas sans rappeler « La Machine à explorer le temps » de H.G. Wells, ou encore, d’un point de vue plus politique, « Au cœur des ténèbres », de Joseph Conrad. A ce titre, l’auteur argentin, qui a connu la dictature de Pinochet, sait assurément de quoi il parle, même s’il n’était encore qu’un enfant lorsqu’elle prit fin. Il a d’ailleurs déjà traité de la question dans L'Héritage du Colonel, en collaboration avec Julien Frey (Avec Édouard Luntz - Le Cinéaste des âmes inquiètes). Mais Varela, qui est plus dessinateur que scénariste, possède cette particularité de renforcer l’intérêt pour ses œuvres par un graphisme original et stylé. Une fois encore, on appréciera ici sa ligne claire très moderne, dans une jolie palette de couleurs quasi bichromiques, où dominent les tons rouges et gris. L’univers très dépaysant de la BD évoque la préhistoire, mais certains détails nous disent que ce n’est pas tout à fait la Terre d’il y a 100 millions d’années. On y aperçoit des plantes aux formes bizarres, des canidés capables de se tenir debout, des espèces de singes très différentes (et là on évitera le spoiling) : certains volent ou vivent dans les arbres, d’autres ont des tailles gigantesques ou encore sont cavernicoles (évidemment, on pense immédiatement aux Morlocks). Pour ce qui est du scénario, Lucas Varela s’est associé pour la deuxième fois avec son complice Diego Agrimbau, lui aussi argentin, après l’étonnant Diagnostics, un album regorgeant de trouvailles et consacré aux troubles mentaux. Doté d’une narration impeccable, « L’Humain », qui raconte comment l’espèce humaine va lutter contre sa propre extinction suite à une catastrophe ayant décimé l’humanité entière, à travers un couple de scientifiques dont le projet est de revenir sur Terre cinq cent mille ans après s’être fait cryogénisés. Le récit permet d’aborder une multitude de thèmes, le plus marquant étant la nature humaine et son indécrottable propension à dominer et à conquérir son environnement, et, ce faisant, à le dénaturer, souvent pour le pire… Bien sûr, si la fable écologique demeure en toile de fond, le propos politique n’est pas absent. Les auteurs montrent ainsi comment le pouvoir corrompt et peut transformer un homme au départ rationnel et bienveillant en tyran assoiffé de sang. Robert, seul humain de l’histoire autoproclamé empereur, régnant sur une communauté de singes et de robots, va rapidement basculer dans cette folie hystérique parfaitement décrite dans la nouvelle de Conrad. C’est bien le processus de mise en place d’une dictature qui est décrit ici, et la nationalité des auteurs n’y est certainement pas étrangère. L’autre thème développé est l’intelligence artificielle à travers le personnage d’Alpha, une androïde incarnant la sagesse et l’humanité dont semble peu à peu dépourvu son maître, Robert. Ce qui nous amènera à nous poser la question : le genre humain est-il à ce point stupide qu’il devra confier son destin à des robots pour éviter de disparaître ? Cette fable sombre et captivante, si éloignée du mythe du bon sauvage cher à Rousseau, fournit matière à réflexion tout en restant récréatif et fluide dans la forme. Même si la trame reste le plus souvent assez prévisible, les rebondissements sont bien amenés et certaines scènes assez spectaculaires. Si humour il y a, il est en mode grinçant — on n’est pas non plus là pour se taper des barres de rire —, et on l’aura compris, l’homo-mégalo en prendra pour son grade. On peut donc sans se tromper qualifier ce one-shot de réussite.
Attends
Nous parlons ici non pas d'un nouveau Jason, auteur norvégien idolâtré par certains (dont nous faisons partie...) de ce que l'on pourrait qualifier - de manière musicale - de "BD indie", mais de la réédition chez Atrabile de son premier et remarquable ouvrage, "Attends...", datant de vingt ans déjà... Vingt ans : un gouffre, rempli par le ressassement d'une vie "ratée", mais aussi le temps de juste prononcer un simple mot avant que votre univers s'effondre. Peut-être parce que le temps - qui passe, trop vite, trop lentement, et qui nous tue... - est fondamentalement le sujet du livre, "Attends" n'a pas pris une ride : au contraire, ces cases soigneusement rangées, souvent sans dialogues, parfois systématiquement répétées, habitées par des personnages aux yeux vides qui nous ressemblent inexplicablement, sont depuis devenues pour nous un univers absurdement familier, qui nous rassure et nous terrorise à la fois... puisque les cauchemars "mous" de Jason sont les nôtres. Oui, il est étonnant de réaliser combien le "style" de l'auteur n'a pas évolué depuis ce premier livre - qui avait fait son petit effet dans le monde de la BD en 2000 -, ou, pour l'exprimer plus justement, combien toute la grandeur, toute la force de son Art étaient déjà présentes, et d'une redoutable efficacité dans "Attends...". Bien sûr, il y a d'abord dans "Attends..." ce coup de force narratif qui ne nous laisse toujours pas un indemnes en 2019, et que nous ne pouvons en aucune manière spoiler : d'une évidence et d'une audace telles que très peu d'auteurs (de livres "conventionnels", de scénarios de films...) osent l'utiliser, cette rupture terrifiante d'une narration entamée sous le signe d'une chronique d'enfance douce et un peu surréaliste nous projette, hagards, dans la réalité d'une vie "foutue" qui ressemble quand même beaucoup à la nôtre, qui que nous soyons. Répétition interminable de rituels de (sur)vie, tristesse insondable nourrie de regrets de ce qui aurait pu être et de remords quant à ce que nous n'aurions pas dû faire, tout est déjà exprimé dans le titre anodin et pourtant terrible du livre : car on n'attend jamais assez, même si l'on passe sa vie à attendre quelque chose qui ne viendra (plus) jamais, qui ne peut plus advenir. Et à la fin, parce qu'on a grandi trop vite (un jeu de deux cases saisissantes), puis vieilli trop vite, il n'y a que la nostalgie mortifère d'une enfance saccagée. Et puis la Mort. Qui n'attend pas.
Saccage
Difficile de trouver les mots pour partager l'expérience extrême que constitue la découverte de "Saccage" de Frederik Peeters. Difficile de dire si l'on a aimé, même de manière "oblique", cette expérience. Difficile de prétendre qu'on a compris quelque chose à cet ouvrage - ne parlons pas de BD, pour le coup, mais il ne s'agit pas non plus d'un livre de "belles images", même si les images ici sont pour la plupart terriblement belles, et terribles, à coup sûr. Difficile de recommander ce livre, à ses amis (qu'ils en deviennent meilleurs...!) ou à ses ennemis (qu'ils en crèvent en un longue agonie cauchemardesque...!). Difficile de ne pas reconnaître çà et là au moins quelques unes des innombrables références listées par Peeters en conclusion, mais difficile aussi de ne pas voir que "Saccage" broie, engloutit et revomit ses références pour en faire quelque chose de radicalement différent, de radicalement AUTRE. Difficile de ne pas saisir qu'il s'agit ici de notre présent, de notre futur imminent, de ce saccage irréversible d'un monde et d'une humanité que bientôt on ne pourra plus qualifier ni de monde, ni d'humanité. Difficile d'admettre que cette violence, qui déferle ici dans des certaines illustrations avec une puissance tellurique, est déjà la nôtre, au quotidien. Difficile de ne pas voir que "Saccage" ne diffère en rien de ce que la Télé ou Internet nous montrent sur l'état des choses. Difficile de ne pas reconnaître ce que la VISION d'un artiste du calibre de Peeters ajoute à ce chaos répugnant : quelque chose de vraiment sublime, qui fait peur, vraiment peur. Et honte, vraiment honte. Difficile d'ignorer que nos tentatives presque désespérées de trouver un sens à "Saccage" ont été infécondes. Difficile de nier et que nous avons ressenti une terrible frustration à avoir perdu ainsi l'usage des mots (réconfortants) et de la logique la plus élémentaire (rassurante). Difficile de ne pas trouver "Saccage" terrible. Insupportable. Irregardable par instants. Difficile de ne pas admettre que, comme un poison violent, nous n'y avons survécu qu'en l'absorbant à petite dose, au fil des jours. Difficile d'écrire ici que nous nous sommes reconnus dans cet étranger jaune de peau, et que nous avons détesté ça.
Mon ami Dahmer
Ne connaissant pas encore l'oeuvre à l'excellente réputation de Derf Backderf - l'aborder sous l'angle de son plus célèbre ouvrage, "Mon Ami Dahmer" (qui m'a été offert par un ami qui a très bon goût...), avait tout d'une évidence, pour moi, qui suis fan d'une certaine école "classique" du comics façon Crumb. Le graphisme de Backderf désoriente tout d'abord, avec cette "rectangularité" des visages et des corps, dont on craint qu'elle ne prive le livre de ces émotions qu'on associe plutôt à une certaine liberté des formes... Et puis on s'habitue, et on est surpris au contraire devant la subtilité des sentiments qui naissent, au détour de scènes remarquables par leur construction (... très cinématographiques, il est vrai, mais c'est désormais presque incontournable dans la BD, tant le cinéma est devenu la manière "normale" de raconter des histoires. On pourrait d'ailleurs réfléchir à la façon dont les "livres en images" originels sont devenus des "films dessinés" !). La simplicité apparente des cases et de leur enchaînement crée ainsi, plus on avance dans le livre, une impression de trouble, puis de vertige existentiel, qui contribuent beaucoup à la force de l'histoire racontée. Et cette histoire, ce n'est évidemment pas rien, puisqu'il s'agit de narrer ici l'enfance d'un serial killer célèbre et monstrueux, vue par ceux qui l'ont côtoyé durant ses années de collèges. Logiquement, le récit est extrêmement précis et bien documenté, puisque Backderf n'a pas seulement fait confiance à sa propre mémoire, mais il a conduit une enquête approfondie avant de nous livrer ce qui a tout de "l'oeuvre d'une vie". "Mon ami Dahmer" se présente comme l'analyse des éléments qui ont pu amener à un tel Dérapage d'un adolescent - dont les circonstances étaient certes difficiles (parents en crise, puis plongés dans un divorce haineux, désirs homosexuels inexprimables dans la société de l'époque...), mais pas forcément si différentes de millions d'autres. Néanmoins, l'aspect le plus intéressant du livre réside dans la cécité manifeste de tous par rapport aux comportements de plus en plus alarmants d'une personne qu'ils côtoyaient quotidiennement. Ce "Comment est-il possible qu'ILS n'aient rien vus ?" devient, inévitablement sans doute, un fascinant "Comment est-il possible que JE n'ai rien vu ?", voire un "... que je n'ai rien FAIT ?", forcément angoissant. Bien sûr, Dahmer n'a jamais été vraiment un "AMI" de Backderf, juste un sujet de plaisanterie, abandonné sans un seul regard dès qu'il est devenu trop encombrant, trop dérangeant, trop incompréhensible. Et il est clair en lisant le livre que ce qui en constitue le "point aveugle" et en même temps la "pierre de touche", c'est la question de la responsabilité, voire la culpabilité à la fois générale (de l'école, des enseignants, des voisins, etc. ) et individuelle. La coupable indifférence de Backderf lui-même, vis à vis d'un être en perdition, qu'il "ose" qualifier en titre de son livre de son "ami Dahmer"... C'est bien pour se libérer de tout cela que Backderf a dû écrire ce livre, qui lui a pris une bonne partie de sa vie adulte. Pas sûr pourtant qu'il ait réussi à chasser ses démons. Ni qu'il ait réussi à s'avouer à lui-même la nature de son trouble.
Entrez dans la danse
Je vais peut-être faire une 'redit' mais oui toujours un grand plaisir de lire une nouvelle adaptation BD des romans de Teulé. Le duo d'ailleurs TEULÉ/GUÉRINEAU fonctionne super bien. Bien que je sois grandement fan du travail de Luigi Citrone sur l'adaption du Je, François Villon que je trouve merveilleuse et limite être un chef d'oeuvre ! Disons-le quand même tout de suite "Entrez dans la danse" est un récit assez court, comme le roman d'ailleurs, et Guérineau arrive en quelques pages à vraiment faire transparaître l'âme de ce que raconte Teulé en bien plus de pages. Ça, c'est très fort ! Nous sommes à Strasbourg, Au XVIe siècle, les temps sont durs. Entre le peu à manger et la menace de l'invasion turque qui pèse sur la ville, les gens meurent de faim et en bouffent même leurs enfants. Jusqu'à ce qu'une jeune femme pète les plombs et se mette à danser. Et à danser, en entraînant toute la populace. Au milieu de tout cela se mêlent les politiques et les religieux (qui sont complètement à coté de la plaque). Et un drame inqualifiable intervient ! Teulé est extrêmement doué pour mettre en avant le côté cynique de l'Histoire. C'est toujours précis, bien documenté et il a son humeur décapent qui match à chaque fois. Cette histoire d'ailleurs est complètement dingue et véridique. Les tenants et aboutissants n'ont d'ailleurs jamais été résolus. Et c'est ce que Guérineau fait bien transparaître dans son adaptation. Avec parfois des planches mystiques et totalement superbes. Mais le tout résonne dramatiquement dans notre âme car c'est ignoble ce que les Strasbourgeois vont vivre. C'est crade et ordurier. Entre émotion, dégoût, colère face aux religieux et rires 'Entrez dans la danse' se place à la même position que le roman de Teulé. C'est bien et on en redemande !