De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace
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Il s'agit d'une histoire complète, indépendante de toute autre, initialement parue en 8 épisodes en 2011/2012, écrite par Joe Casey, illustrée et mise en couleurs par Mike Huddlestone.
Dick Cheney (un ex vice président américain) et Jay Leno (un présentateur d'émission télé très célèbre aux États-Unis) se rendent dans l'établissement préféré de Righteous Maker (un superhéros semi retraité dont le costume évoque le drapeau américain). Cheney actionne avec répugnance la poignée (en forme de sexe masculin) de la porte d'entrée. Ils trouvent le superhéros en pleine orgie avec 4 femmes à ses pieds en train de satisfaire ses besoins (qui impliquent l'utilisation de lubrifiant et de gants en latex). Cheney et Leno viennent proposer une mission clandestine à Maker : exécuter tous les supercriminels emprisonnés dans la prison Crazy Keep, pour faire économiser de l'argent au contribuable. Maker s'acquitte de sa mission en pulvérisant la prison. Mais à son insu, une poignée de détenus ont survécu, dont certains plus dangereux que d'autres. Ils veulent tous la peau de Maker. En se rendant à cette prison, Maker a envoyé la voiture d'Arnie B. Willard (un policier) dans le fossé. Celui-ci a juré de retrouver le chauffard et de lui faire payer très cher son écart de conduite. Il va recevoir l'aide de The Absolute, l'évadé le plus mystérieux de Crazy Keep.
C'est un massacre du début à la fin, un outrage aux bonnes mœurs les deux pieds dans le plat, une bordée ininterrompue de jurons, des jaillissements de stupre et de luxure, des grands coups de poing dans la tronche, des décharges d'énergie destructrice, des silhouettes improbables, des couleurs criardes, un transsexuel, un superhéros sur le retour qui ne fait pas dans la dentelle, un patrouilleur des autoroutes à la dignité bafouée, un énorme camion à l'américaine, des parties de jambes en l'air mémorables, et (dans l'édition en VO) une postface de 30 pages dans laquelle Joe Casey se lâche et se donne à fond. Dans ces 30 pages, il effectue une auto-interview d'une demi douzaine de questions parmi lesquelles celle de savoir si ce récit désinhibé, décomplexé et éhonté constitue un métacommentaire. Il se répond à lui-même par le biais d'un va-te faire bien senti. Si le lecteur n'avait pas compris à la lecture de ces 8 épisodes, c'est clair : il n'y a rien à comprendre, rien à chercher, tout est à apprécier au premier degré. C'est à la fois une grande déclaration d'amour au genre Superhéros, et un grand coup de pied dans les roustes, avec un second degré omniprésent renforcé par une provocation de mauvais goût assumé. Les illustrations de Mike Huddleston complètent et renforcent à merveille cette construction dégénérée, ce cri primal, ce défouloir hors norme.
En reprenant tout ça dans l'ordre, le lecteur peut constater que Joe Casey raconte une histoire primaire de superhéros, pas plus bête que toutes les autres. Le scénario est solidement construit, la logique interne est respectée, il y a des superpouvoirs, la ligne de démarcation entre superhéros et supercriminels est claire, le combat est manichéen à souhait. Les deux derniers supercriminels à abattre sont les plus retors, il y a même des assistants adolescents (sidekicks) qui sont évoqués, et des costumes moulants colorés aux motifs improbables. Le récit se termine sur une résolution claire et nette. C'est juste qu'il y a une forme franche de promiscuité sexuelle, que la violence est caricaturale et parodique, tout comme les personnages. Casey s'amuse à parodier et à rendre hommage à ses auteurs préférés, Frank Miller et Alan Moore en tête. Si vous restez concentré sans vous laisser déborder par cette déferlante d'énergie bouillonnante, vous pourrez même voir passer un hommage au feuilleton le Prisonnier (avec ce village pour superhéros retraités).
Mike Huddlestone compose des pages tout aussi démesurées que les rebondissements du scénario, tout est permis (ce qui ne veut pas dire qu'il fait n'importe quoi). Pour commencer il y a l'exagération des silhouettes des individus dont Huddlesotne s'amuse à augmenter les proportions musculaire (comme le font régulièrement les dessinateurs de comics de superhéros, mais ici avec un effet volontairement de parodie). Il y a aussi régulièrement cet appendice qui pendouille dans l'ombre, entre les jambes de ces messieurs dans le plus simple appareil, et de cet hermaphrodite si étrange. Huddlestone dessine ses personnages avec des contours fortement encrés, une impression de dessin rapidement exécutés (mais un examen plus détaillé montre de savantes compositions). Il a donné une apparence inoubliable à chaque personnage, Righteous Maker indestructible avec une largeur d'épaule impossible, Arnie B. Willard magnifique avec son gros ventre et sa capacité à conserver sa dignité, Jihad Jones très inquiétant dans sa normalité, The Absolutely exceptionnel dans sa silhouette où tourbillonnent des galaxies multicolores. Il joue avec les registres graphiques d'une page à l'autre : de la case juste crayonnée comme une esquisse, à la case dont chaque forme est rehaussée par les complexes schémas de couleurs appliquées à l'infographie. La démesure règne en maître, chaque mouvement est exagéré pour un impact plus grand, chaque expression est soulignée pour mieux transmettre l'émotion. À plusieurs reprises, Huddleston prend exemple sur le mode d'exagération de Bill Sienkiewicz (en particulier dans Elektra assassin) pour faire glisser certaines composantes de ses dessins vers l'abstraction et pour inclure des symboles ou des stéréotypes visuels pour encore décupler la force des représentations. Cette inspiration prend également la forme d'un hommage appuyé à l'une des couvertures de la série Elektra assassin, pour la couverture de l'épisode 7.
Dans les 30 pages de postface, Joe Casey utilise le même ton exubérant et bourré d'interjections grossières pour décrire son amour des comics, ses premières expériences de lecture de comics, le besoin vital de lire des comics viscéraux, la nécessité de proposer un comics provocateur qui sort des tripes. C'est une étrange lecture qui tient autant du billet d'humeur enflammé, que de la collection d'anecdotes d'un accro aux comics pour la vie.
"Butcher Baker, the righteous maker" constitue une expérience de lecture hors norme, libérant une énergie de tous les instants, rappelant qu'un comics de superhéros doit sortir des tripes, doit emmener le lecteur dans un maelstrom d'actions vives, rapides, inventives, décomplexées, pour une expérience intense et sans égale. Le résultat dégage une vitalité hallucinante à ressentir au premier degré, sans autre forme de métacommentaire. Ce comics est un hommage sincère de Casey et Huddleston à tous les créateurs de comics qui les ont rendus dépendants de leur dose d'aventures délirantes de superhéros costumés impossibles et ridicules, accomplissant des actions extraordinaires, tout en déclamant des dialogues kitch, mais toujours avec panache. Tout fan de comics ressentira cette déclaration d'amour au plus profond de son être, vibrera à ces actions d'éclat délirantes et décomplexées. Les autres risquent de n'y voir qu'un ramassis de ce qu'il y a de pire dans les comics, de plus superficiel, de plus débilitant. Dans la postface, il compare ce comics à une version non éditée des comics habituels, espérant que les lecteurs ressentiront ce qu'il à ressenti lorsqu'il a découvert la version non éditée du film Les Guerriers de la nuit (Warrior, 1979, réalisé par Walter Hill) par rapport à celle éditée (scènes violentes plus courte) pour diffusion sur les chaînes du câble. Joe Casey refuse la tiédeur consensuelle et a décidé d'intituler son prochain projet Sex. Une seule certitude : ça ne va pas plaire à tout le monde.
Un crossover pour les gouverner tous
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Ce tome comprend les 9 épisodes de la série, initialement parus en 2015/2016, écrits par Jonathan Hickman, dessinés et encrés par Esad Ribi?. La mise en couleurs a été réalisée par Ive Scorcina. Il comprend aussi le prologue de 10 pages parus dans Free comic book day 2015, également écrit par Jonathan Hickman et mis en image par Paul Renaud. Il comprend les 9 couvertures originales d'Alex Ross, ainsi que les 44 couvertures variantes. Toutes les couvertures ont été placées à la fin du récit, le chapitrage étant assuré par des pages blanches avec un titre spécifique, comme il est de coutume dans les comics écrits par Hickman (et qui a réussi à l'imposer même dans ses travaux pour Marvel).
Cette histoire se déroule après les 70 épisodes des séries Avengers et New Avengers écrits par Jonathan Hickman. Il constitue un événement majeur dans l'univers partagé Marvel, dans la mesure où toutes les séries mensuelles se sont arrêtées pour être remplacées par des titres se déroulant sur Battleworld. Il marque également 30 ans d'anniversaire des premières guerres secrètes parues en 1985 : Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck.
Les Terre alternatives de l'univers Marvel ont disparu, détruite au cours de phénomènes appelés Incursion. Il ne subsiste plus que la Terre 616 (la Terre principale), et la Terre 1610 (la Terre des Ultimate). Suite à un plan complexe, Victor von Doom est devenu le Dieu de toute la réalité, et a réussi à sauver quelques morceaux de différentes Terre, pour constituer une terre composite appelée Battleworld. Cette planète artificielle est composée d'une quarantaine de territoires gouvernés par des Barons, tels que Mister Sinister, Ultron, Goblin Queen, Annihilus, Maestro, Apocalyspe, Hydra, Magneto, etc. Le territoire de Doom (Doomgard) est séparé des autres par un mur appelé SHIELD.
Le prologue montre Doom faisant face à ceux de l'au-delà (beyond). Puis la scène change pour passer aux derniers moments d'existence de la réalité sur Terre, alors que se produit l'ultime Incursion, la collision entre la Terre 616 et la Terre 1610. Par la suite le récit se déroule sur Battleworld dont Doom en est le dieu incarné. La police entre les baronnies est assurée par l'escadron des Thor (de nombreuses variantes de Thor). Doom reçoit les barons qui viennent se plaindre de leurs voisins, par exemple Captain Britain insulté par Mister Sinister. Stephen Strange est le bras droit de Victor von Doom. La Fondation du Futur vient de découvrir un vaisseau étranger à Battleworld, lors d'une expédition archéologique. Il semblerait qu'il y ait des individus à bord.
N'importe quoi ! Le crossover de crossovers : ils ne savent plus quoi inventer chez Marvel. Toutes les séries satellites de cet événement portent le nom d'un crossover ou d'un événement passé : Civil War, Age of Ultron, Planet Huk, Infinity Gauntlet, Age of Apocalyspe, Korvac Saga, Marvel 1602, etc. En plus le point de départ est un copié/collé de House of M (avec Doom à la place de Magneto) et des Secret Wars initiales. Le degré zéro de la créativité.
Effectivement quand DC et Marvel annoncent leur événement de l'année en 2015, le premier semble innover alors que le second semble recycler tout ce qui lui passe par la main, en allant chercher dans les fonds de tiroir pour faire bonne mesure. En prime, les communiqués de presse annonçaient la fin de l'univers Marvel (laissant sous-entendre son redémarrage à zéro par la suite), alors que quelques semaines plus tard les annonces des série ultérieures à l'événement indiquaient qu'il n'y aurait pas de remise à zéro. Mais alors que DC a publié des séries satellites de 2 épisodes chacune réalisées par des équipes créatives pas enthousiasmantes (juste pour occuper le planning de publication, pendant que leurs bureaux déménageaient de la côte Est à la côte Ouest), Marvel publie des miniséries satellites en 4 ou 5 épisodes, réalisées par les équipes créatives des séries mensuelles ou des créateurs reconnus. En outre, Secret Wars est la culmination des deux séries Avengers écrites par Hickman (qui avait déjà orchestré un excellent crossover avec Infinity en 2013), et même de ses épisodes de la série Fantastic Four, à commencer par Dark reign - Fantastic Four.
C'est toujours la même chose ! L'éditeur Marvel demande à un de ses scénaristes phares du moment de pondre un récit artificiel pour que tous les superhéros se tapent dessus, en promettant que plus rien ne sera jamais comme avant, et toute conséquence a disparu 3 mois après, pour un retour tiède au statu quo. Il s'agit d'affrontements déconnectés de toute réalité, sans apparition d'être humain normal, une sorte d'autocélébration incestueuse entre superhéros. En outre, il y a tellement de personnages qu'ils sont réduits à autant de coquilles vides sans personnalité, se distinguant uniquement les uns des autres par les motifs de couleurs chamarrées sur leur costume moulant, et par la couleur des énergies qu'ils émettent.
Certes, c'est un récit de superhéros, avec des gugusses en costume moulant, des superpouvoirs impossibles et baroques. Oui l'intrigue se déroule sur la base d'une enquête pour comprendre comment Victor von Doom en est arrivé là, jusqu'à une confrontation physique finale contre son plus grand ennemi. Oui, il y a beaucoup de personnages et la plupart ne peuvent exprimer leur personnalité que le temps d'une ou deux répliques maximum. Oui aussi, Jonathan Hickman pioche à loisir dans le riche univers partagé Marvel pour mettre en scène des personnages qui lui plaisent ou qui lui sont imposés pour des raisons éditoriales (oui, il y a Groot et Rocket Raccoon, Miles Morales, un inhumain issu de la famille royale).
En plus le dessinateur est cramé avant la fin, victime d'un burn-out engendré par la quantité de gugusses à dessiner et la longueur interminable de la série (9 épisodes quand même).
Esad Ribi? a dessiné toute la série et l'éditeur Marvel s'est fait conspuer parce que le dernier épisode est paru avec 3 mois de retard, soit après les premiers numéros des séries post-événement. Il est sûr que si le même éditeur avait tout fait pour tenir les délais (= remplacer Ribi? par le premier venu), il se serait tout autant fait critiquer. Au moins le lecteur qui découvre le récit sous format d'un recueil complet a le plaisir de voir une histoire racontée par les mêmes personnes du début jusqu'à la fin. Esad Ribi? est un artiste qui a travaillé avec JM Straczynski sur une histoire du Silver Surfer, avec Peter Milligan pour une histoire de Namor, avec Rick Remender sur Uncanny X-Force, avec Jason Aaron sur Thor god of thunder, et déjà avec Hickman pour 9 épisodes des Ultimates. Il dessine les personnages de manière réalistes, avec des contours en trait fin, donnant une apparence un peu éthérée à ce qu'il représente.
De prime abord, le choix de confier ce récit à Esad Ribi? apparaît étrange. Le côté léger de son trait peine à donner assez de consistance aux affrontements, ne confère pas une présence massive à ces superhéros ou aux supercriminels. Cet état de fait est accentué par le choix d'Ive Scorcina qui utilise des couleurs délavées, un peu pastel, donnant une apparence un peu fade à la page. Ce parti pris esthétique crée d'entrée de jeu un décalage avec les conventions visuelles des comics de superhéros, en insistant moins sur la force et le spectaculaire pyrotechnique, en créant une ambiance différente de l'ordinaire des comics de superhéros. Il est possible de comparer ce phénomène à celui produit par les dessins très altiers et élancés d'Olivier Coipel pour House of M : un esthétisme différent qui indique que l'histoire est placée en dehors de la continuité normale, avec sa propre cohérence
Dès le début, Esad Ribi? s'astreint à représenter les personnages en cohérence avec leur apparence dans leur série mensuelle du moment (la coupe de cheveux d'Hulk par exemple, ou le costume de Thanos conforme à celui du film Avengers). Puis il apporte des modifications plus ou moins importantes aux personnages à partir du moment où l'histoire se déroule sur Battleworld. Ce travail de réappropriation graphique aboutit à une version de Doom tout habillé de blanc, toujours majestueux et condescendant et paradoxalement plus inquiétant. L'artiste s'en sort également très bien avec Stephen Strange. Il lui conserve une morphologie sans musculature surdéveloppée, avec un visage montrant son âge (quadragénaire). Il reprend l'allure de Reed Richards tel que l'avait conçu Kev Walker dans la série Avengers (avec la barbe). De ce point de vue, chaque personnage se distingue immédiatement des autres, avec une forte identité graphique pour tous.
Dès le début, le lecteur constate également qu'Esad Ribi? s'économise sur les décors. Il le fait avec intelligence, c’est-à-dire qu'en début de chaque séquence, il prend du temps pour montrer l'environnement dans les détails. Par la suite, il n'est rappelé que par quelques traits, et pendant les scènes d'affrontements physiques, les arrière-plans se vident de toute information visuelle. Ive Scorcina ne possède pas le talent de Dean White ou de Dave Stewart pour utiliser les couleurs afin de transcrire l'intensité des affrontements, pour accompagner les mouvements par des dégradés progressifs de couleurs, ou pour transformer l'arrière-plan en un spectacle pyrotechnique qui en met plein les yeux. Il se contente de donner un peu de volume avec des camaïeux discrets à la poussière soulevée. Sur ce plan la narration visuelle manque un peu de consistance.
Par contre la mise en scène amalgame une dramaturgie théâtrale avec des mouvements de caméra pour mieux montrer les déplacements des personnages, leur langage corporel, leurs mouvements. Esad Ribi? sait faire apparaître les émotions des personnages sur leur visage, leur état d'esprit dans leur posture. Il a le sens du spectacle pour les moments révélateurs qu'il s'agisse d'une cérémonie protocolaire d'enterrement, de l'apparition d'un personnage, ou encore d'une harangue sur une pente herbue. Ive Scorcina fait preuve d'une sensibilité artistique pour choisir la teinte dominante de chaque séquence, et ainsi établir une impression durable. L'épilogue (toujours dessiné par Esad Ribi?) montre qu'il n'est pas cramé et qu'il a mis à profit le temps supplémentaire qui lui a été alloué pour faire en sorte que les visuels soient raccords avec l'intention de l'auteur qui est de boucler avec une situation montrée dans le premier épisode New Avengers.
Soit ! Les dessins ne sont pas trop mal, mais l'intrigue reste un prétexte ressortant tous les artifices de l'univers partagé Marvel, utilisés jusqu'à la nausée depuis des décennies. Non seulement il y a un recyclage de la situation de House of M dans un What if? qui ne dit pas son nom, mais en plus il y a même le Gant de l'Infini. En plus il y a tellement de personnages qu'il faut une encyclopédie pour s'y retrouver.
Jonathan Hickman joue le jeu du crossover ou de l'événement. Il est un employé qui travaille pour un éditeur, avec un cahier des charges très contraignant. Il effectue son travail en en respectant les spécifications. Le lecteur peut le regretter, mais il n'est pas pris par surprise. Il sait qu'il s'engage dans un récit fédérateur à l'échelle de tous les comics Marvel du moment, avec pléthore de personnages, et un enjeu à l'échelle de toute la réalité. Il utilise les jouets qu'on lui a imposés. Il le fait avec respect, ce qui veut dire qu'il a bien fait ses devoirs et qu'il respecte les caractéristiques principales de chaque objet de pouvoir et de chaque personnage. Dans cet ordre d'idée, il s'en tire mieux que beaucoup de ses collègues, comme il l'avait déjà prouvé dans Infinity. Certes Thanos n'a pas l'ampleur qu'il peut avoir dans les récits de Jim Starlin, mais il n'est pas relégué à l'état de simple supercriminel. Comme dans tous les autres crossovers, il est possible de comprendre l'intrigue sans connaître tous les personnages. On peut s'amuser de voir passer Toothgnasher ou Toothgrinder, sans savoir d'où ils sortent.
Quand même, ce Secret Wars donne l'impression d'être l'aboutissement de tout le travail de Jonathan Hickman depuis ses débuts sur Fantastic Four (on a échappé à ses Secret Warriors, c'est déjà ça), c’est-à-dire depuis 2009, soit six ans de continuité interne à son œuvre. C'est dire si c'est incompréhensible.
À un moment il faut choisir son camp : on ne peut pas accuser Jonathan Hickman de pondre un crossover industriel de plus, et dans le même temps d'écrire une histoire personnelle construite pendant 6 ans. Donc le scénariste fait ce qu'on demande de lui et intègre de temps à autre une image ou une page évoquant ce qui se passe dans une ou plusieurs baronnies pour donner un semblant de légitimité aux miniséries satellites. Il mène à bien son intrigue des séries Avengers, avec la dernière incursion qui aboutit à la création de Battleworld, et au nouveau statut de Victor von Doom. Il apporte une touche finale à ses histoires pour les Fantastic Four. Il rapatrie le Reed Richard de l'univers 1610 qu'il avait bien développé pendant la saison qu'il avait écrite des Ultimates. Il fait même un clin d'œil à sa série Secret Warriors (son premier travail pour Marvel), avec Nikola Tesla qui apparaît le temps d'une page (il s'agit d'ailleurs plus d'une référence à sa série sur le SHIELD).
Le lecteur plonge dans une situation que Jonathan Hickman prend le temps d'expliquer. Il y a une brève introduction de 3 pages montrant Doom et 2 autres face à un pouvoir incommensurable, puis tout un épisode consacré à la dernière Incursion, montrant la fin des Terre 616 et 1610. Puis le récit commence sur Battleworld. Au fil du récit, le lecteur apprend comment Doom a acquis le statut de dieu, pourquoi cela lui est arrivé à lui et pas à un des 2 autres à ses côtés. Parallèlement plusieurs personnages essayent de comprendre la situation et d'en prendre la mesure. Effectivement le récit ne rappelle pas comment Stephen Strange s'est retrouvé aux côtés de Doom. Effectivement Owen Reece semble reprendre le même rôle que durant les premières Secret Wars. Effectivement la participation d'un moloïd et de la Fondation du Futur parle plus à un lecteur des Fantastic Four d'Hickman. De même que le ralliement de Black Swan (Yabbat Tarru) aura plus de sens pour qui a lu les séries Avengers.
Effectivement le récit se termine par un affrontement entre Doom et son ennemi. Il n'en demeure pas moins que Jonathan Hickman raconte une vraie histoire, avec un suspense quant à la façon dont Doom sera défait, et aussi quant à la manière dont il a acquis son statut. Le scénariste utilise les personnages mis à sa disposition à bon escient. Il est par exemple savoureux de voir Thanos confronter Doom, en lui rappelant que lui aussi dispose d'une certaine expérience en matière d'exercice divin. Il est assez rigolo de voir Valeria Richards rappeler à Doom qu'omnipotence ne signifie pas omniscience. Hickman sait faire ressortir l'histoire personnelle de plusieurs personnages de manière naturelle, leur conférant un minimum de personnalité.
Jonathan Hickman manipule sa distribution pléthorique avec une grande adresse, réussissant à ne perdre aucun personnage en cours de route, à donner un petit moment à la plupart, et à développer ceux qui jouent un rôle plus important. Le lecteur apprécie la manière dont le scénariste étoffe le caractère de Doom, sans trahir le fond de sa personnalité. Ce personnage bénéficie d'une explication convaincante quant au fait qu'il ait endossé le rôle de dieu pour sauver ce qui pouvait encore l'être. Hickman expose la motivation première de Doom avec une réelle sensibilité psychanalytique et une grande pertinence (sans verser dans la psychologie de comptoir). Il lui restitue toute sa dimension tragique, dans le rôle du personnage central d'un roman noir. Pour le combat final, il reprend la grande tradition Marvel (des années 1960 et 1970) d'un combat physique qui se double d'un affrontement idéologique. Il intègre la notion de famille (inséparable des histoires des Fantastic Four), avec une approche un peu différente et complémentaire de ses épisodes des FF. Il a réservé un sort étonnant et logique à Johnny et Ben. Il conclut son récit en bouclant sur le début, à la fois par le retour sur la phrase "Tout meurt" prononcée par Reed Richards tout au début du premier épisode des New Avengers, à la fois par un passage au Wakanda.
Mouis, mais quand même, on a l'impression qu'Hickman a abandonné une partie de son intrigue pour les séries Avengers, car il n'y a plus ni Builders, ni Makers.
Le scénariste avait mené cette intrigue à son terme dans les séries Avengers. En prenant un peu de recul, le lecteur s'aperçoit qu'il continue de filer la métaphore de cet aéropage de créatures floues (makers, builders, mapmakers). Quand Doom se retrouve dieu de la réalité, le lecteur peut y voir la métaphore du scénariste tout puissant présidant à la destinée de tout l'univers partagé Marvel. Sous cet angle de vue, cette partie de Secret Wars devient une métaphore du caractère diminué, voir stérile de cet univers partagé s'il était confié à un seul et même créateur ou artiste. De même la posture de Doom implique une forme d'immobilisme de ce monde, chaque individu étant cantonné dans une forme e stase immuable. L'enquête menée par une poignée de personnages sous-entend qu'il y aura toujours des évolutions par rapport à ce statu quo, justifiant par là les libertés que certains auteurs prennent avec les personnages Marvel (au hasard, Peter Parker en chef d'entreprise à succès, ou Otto Otavius devenant un Spider-Man supérieur).
Contre toute attente, malgré toutes les contraintes du crossover, malgré les exigences éditoriales, contre vents et marées, Jonathan Hickman raconte une histoire de superhéros dans laquelle le lecteur peut déceler sa voix d'auteur, à la fois dans la structure du récit (une de ses marques de fabrique), mais aussi dans le discours tenu par les personnages, les convictions et les valeurs qu'ils affirment. Secret Wars version 2015 constitue une fin à la hauteur des séries Avengers et New Avengers, un crossover réussi, un hommage incroyable aux premières Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck, un crossover pour les rassembler tous, les recycler tous (presque tous, il n'y avait pas Fear Itself ou Secret Invasion, et sûrement beaucoup d'autres) et trouver sa place légitime parmi eux (et savoir s'il y aura des conséquences durables ou non n'obère en rien ses qualités). Enfin, en partant, Jonathan Hickman laisse l'univers plus riche de personnages qu'il ne l'était quand il est arrivé. Il a mis à profit la nature même de ces héros récurrents dont les droits sont détenus par une entreprise commerciale, pour bâtir une œuvre personnelle, en appliquant le principe de l'économie circulaire (réutiliser ces personnages dont l'essence a été maintes fois extraite, en y trouvant encore de l'inspiration).
Un scribouillard qui écrit ira plus loin qu’un génie qui rêve.
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Ce tome fait suite à Les Maléfices du Danthrakon T01 La diva des pics (2022) qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu avant, ce qui n’enlève rien au fait que ce soit une bonne bande dessinée. La première édition du présent tome date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Arleston & Olivier Gay pour le scénario, par Olivier Boiscommun pour les dessins, et par Claude Guth pour la mise en couleurs. Il compte soixante pages de bande dessinée. L’édition initiale se termine par un entretien exclusif avec Lathan Dangodo, l’incroyable auteur de Succès Damné !, comprenant sept pages illustrées par les crayonnés du dessinateur.
C’est à Parys que commence cette histoire, celle d’un homme pour qui l’écriture était toute sa vie ou presque. Dans cette capitale des arts et de la culture, traversée par le fleuve spleen et irriguée par la sagesse des siècles, poètes, peintes ou écrivains ou gravé leur nom dans le marbre de la légende. Lathan Langodo rend visite à son éditeur Brumelet qui est également libraire et imprimeur. Ce dernier l’informe que son livre va être un succès, il va en imprimer quarante exemplaire. Il a prévu le grand jeu ! Même mettre des affiches chez le boulanger de la rue Neuve ! Lathan est tout ému : ça lui fait quelque chose quand même ! Quarante exemplaires : est-ce que ça va augmenter le montant de son avance ? L’éditeur élude élégamment la question. Lathan ressort et rentre chez lui. Il passe devant l’étal du boulanger, celui-ci lui offre une miche de pain blanc de la veille, comprenant qu’il est sans le sou. L’écrivain passe ensuite devant l’étal du boucher qui le menace de son hachoir en lui disant qu’il faut qu’il le rembourse, sinon il finira dans ses saucisses. Il presse le pas, continue son chemin et manque de se faire écraser par un carrosse.
L’échevin Fomelio sort du carrosse qui s’est arrêté, et il tend la main à la jeune Murcille pour l’aider à en descendre. Il s’approche de Lathan Dangodo assis par terre, les vêtements tachés de boue. Murcille présente Lathan comme étant son compagnon, Fomelio lui répondant qu’elle mérite mieux et qu’il l’attend le lendemain à l’aube pour examiner le dossier du nouveau pont. Les deux amoureux regagnent leur modeste appartement situé très haut sous les combles, après d’interminables volées d’escalier. Lathan explique à sa compagne qu’il n’aime pas son employeur. Elle répond que l’échevin Fomelio est un peu arrogant, mais que c’est une chance de carrière pour elle. Pour le moment, elle est sous-apprentie stagiaire, et un jour, elle sera payée. Lathan estime qu’il veut surtout la mettre dans son lit. Elle change conversation et lui demande combien il va toucher par livre, il répond huit sous de cuivre. Elle estime que s’il vend tous les exemplaires, cela leur donnera de quoi manger pendant une semaine ou deux. Alors qu’il a presque passé un an dessus. Il mérite tellement mieux ! À la nuit tombée, Lathan va souvent hanter les tavernes, non pas pour boire, mais pour conter ses textes. Un des clients lui donne un pourboire, pas pour l’encourager, mais pour qu’il arrête.
Deuxième tome de cette série (en quelque sorte) dérivée, et déjà un coup de cœur pour le titre au jeu de mot si évocateur. Il faudra peut-être un peu de temps au lecteur étourdi pour bien identifier le suivant qui joue sur l’association du prénom, Lathan, et du nom de famille, Dangodo, du personnage principal. S’il a été vraiment attentif, il aura relevé celui la deuxième planche lorsque l’éditeur indique à son écrivain qu’il est un vrai talent, Lathan (talent latent). Puis le déclic se fait lors du rapprochement entre prénom et nom : un hommage à la pièce de théâtre En attendant Godot (1948/1952), de Samuel Beckett (1906-1989). Tout du long de l’ouvrage, le lecteur se met à fureter pour trouver d’autres associations de mots ou d’autres rapprochements. Il relève également des clins d’œil à des petites phrases, ou des références culturelles, qui se retrouvent parfaitement intégrées dans le flux de la narration. Un chariot de vente de saucisses dans des petits pains, premier métier du seigneur marchand Pyrinthe : vendeur de hotdogs. Une sentence qui tombe : quand on veut on peut, il suffit de traverser la rue (Emmanuel Macron, 15 septembre 2018). Les premiers emplois raillés par une remarque ingénue de Murcille qui est sous-apprentie stagiaire, et un jour elle sera payée. Ou encore : l’échevin Fomelio l’a laissé gérer ce dossier toute seule, d’accord elle était la seule disponible et il ne la paie pas, mais quand même. Le lecteur observe que ces formes de référence trouvent également leur place dans la narration visuelle de manière souvent étonnante et amusante. Ainsi la demeure du seigneur marchand Pyrinthe dont il est dit : Il avait fait du chemin, jusqu’à pouvoir s’offrir un palais peu discret, sur une île privée, au cœur de la cité. L’architecture de cette demeure et son emplacement évoquent Notre Dame de Paris sur l’île de la Cité. Ou encore la loge des mages (qui a pris le nom pompeux d’académie, mais ça n’en reste pas moins un repaire de vieux grigous boursoufflés et jamais contents de leurs petits privilèges) abritée dans un bâtiment à la forme décalquée sur celle de la tour Eiffel.
Chaque composante de la narration se savoure pour elle-même, intrigue, dessins, couleurs, bons mots, gags visuels, et le tout s’avère plus riche que la simple somme des parties. Le lecteur éprouve une réelle sympathie pour cet écrivain un peu rondouillard à l’allure débonnaire et soumise, dénué de talent, obligé d’accepter un boulot alimentaire, forcé même par la menace physique de Fryss l’homme de main (d’un autre côté, il est plus facile de prendre la bonne décision quand il n’y a qu’un seul choix comme le fait observer Lathan à Pyrinthe), persuadé que Murcille la belle jeune femme qui partage sa vie, svelte vive et gracieuse, finira par se rendre compte qu’il ne vaut rien. Il se sent privilégié de pouvoir faire du tourisme dans Parys, inspiré de la capitale de la France, repensée dans un mélange de moyen-âge et de Fantasy avec un dosage parfait. Les couleurs acidulées peuvent paraître tirer un peu vers l’enfance, ce qui à la lecture fait sens : un conte tout public avec un dénouement reposant sur une valeur morale universelle. Le tout forme une vraie lecture plaisir, savoureuse, simple et sophistiquée.
De temps à autre, le lecteur adulte peut sentir une réaction réflexe incontrôlable monter en lui, en se disant que quelques composantes sont un peu convenues. Il découvre vite qu’elle n’est pas fondée. Murcille est réduite à une potiche pour décorer : il n’en est rien, elle fait preuve d’un caractère bien trempé, d’une personnalité indépendante faisant ses propres choix, menant sa vie avec détermination et courage. Les méchants très méchants : le seigneur marchand Pyrinthe est mû par l’appât du gain (il paraît que ça existe dans la réalité et que tout est permis dans les affaires) et la morphologie Fryss son homme de main se rapproche de celle d’un crocodile anthropoïde (ce qui est logique et parlant puisqu’il s’agit d’un individu qui utilise sa force physique pour se faire obéir par la peur et l’intimidation). Le scénariste et le dessinateur utilisent avec intelligence, à propos et élégance les artifices narratifs usuels, en leur redonnant de la saveur et des spécificités, à l’opposé de raccourcis fades et en carton-pâte. Les méchants perdent et le gentil gagne à la fin : certes, il n’en reste pas moins qu’il est toujours très satisfaisant, voire cathartique que les brutes et les exploiteurs soient châtiés, et le gentil commence comme un profiteur, juste un peu plus lâche que les autres. Au fur et à mesure, un par un ce qui peut apparaître comme un cliché, perd son unidimensionnalité pour révéler plusieurs facettes ce qui le rend complexe.
Le lecteur pourrait également céder à une impulsion irraisonnée et trouver les dessins trop jolis pour être sérieux. Là encore le plaisir de lecture se nourrit des nombreuses nuances parfumées exhalées par les pages, comme un met raffiné aux multiples saveurs. Plaisir immédiat des yeux, facilité de lecture, évidence et naturel de chaque séquence, personnages qui en disent long, juste par leur visage et leur posture, émerveillement des aventures. Le lecteur retrouve son âme d’enfant et s’implique dans le spectacle, il y éprouve la sensation d’y participer : jouir des belles vues de la ville, monter les interminables escaliers jusqu’à la minuscule mansarde, essuyer le dédain des clients du bar, découvrir le luxe du palais peu discret du seigneur marchand Pyrinthe, voir le string de Murcille passer par la fenêtre, découvrir les tableaux peints par Pyrinthe, plonger dans le livre écrit par Lathan Dangodo, voir le Danthrakon se tortiller, être à deux doigts de perdre l’équilibre et chuter dans le vide, voguer sur un petit voilier et être la proie d’enchantements magiques ayant perdu de leur puissance, fuir les morts qui reviennent à la vie, etc. Une aventure visuelle riche et chaleureuse dans le plus pur style Heroic Fantasy urbaine, une comédie dramatique enlevée et nuancée.
Dans le même temps, c’est l’histoire d’un écrivaillon devenu prête-plume qui prend un raccourci pour accéder au succès. L’auteur parle de son métier, nourrit son récit d’anecdotes de ses débuts et d’autres de ses confrères. Il sait de quoi il parler et ça se sent. Dans les sept pages d’interview de Lathan Dangodo en fin de volume avec des esquisses de Boiscommun, le lecteur sent bien le mélange d’histoire personnelle des auteurs, accommodée au caractère du personnage. Il y voit autant du vécu qu’une prise de recul sur ce métier. Il suit le cheminement des questions : comment faire pour écrire, qu’est-ce que le succès apporte, ce qui donne envie d’écrire, la discipline nécessaire pour écrire, la relation avec l’éditeur, et des conseils sur la manière de construire une histoire, de développer des personnages, de les étoffer, etc. Il peut s’amuser à se repasser l’aventure qu’il vient de lire et de voir comment les auteurs ont appliqué leurs propres conseils. Il se tend, anxieux de découvrir la réponse à la dernière question : et la suite ?
Une couverture très travaillée, des pages appétissantes et faciles à lire, une aventure échevelée, une belle histoire d’amour, une vocation intense, un soupçon de magie et de fantastique, des créatures aux allures bizarres, un sens de l’humour respectueux et piquant. Un divertissement exceptionnel, une comédie dramatique aussi classique vivante, une belle ode à une vocation : écrivain. Parfait.
Entre mal-être existentiel et appétit d'expériences
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 8 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993, écrits par Peter Milligan, dessinés et encrés par Duncan Fegredo, et mis en couleurs par Sherilyn van Valkenburgh. La présente édition comprend une introduction de Grant Morrison (écrite en 1995) louant le caractère novateur du récit.
La scène introductive de 2 pages évoque et montre un meurtre vieux de 25 ans, une femme tuant son mari aux bords d'une ferme, dans un coin de l'Arizona typique où les enfants ont des relations sexuelles avec leurs parents, et finissent par tuer quelqu'un (dixit le narrateur). De nos jours, Michael Smith est un réparateur téléphonique et intervient dans la demeure de Victor Lamont, une vedette de la télé.
Le soir dans une ruelle, des policiers retrouvent un cadavre d'une personne dont le cerveau a été mangé par le Brain Eater, il y a un lézard mort et conservé à proximité. C'est mardi, Michael passe une soirée avec ses copains, puis rentre chez lui pour une partie de jambes en l'air avec sa copine (comme tous les mardis). Non loin de là, le superhéros Enigma est la proie de l'ennui. Michael Smith va finir par se retrouver nez à nez avec un supercriminel (The Head), puis avec Enigma, puis avec le créateur du comics d'Enigma datant des années 1970.
Peter Milligan est un scénariste de comics au mode d'écriture très particulier qui a laissé une empreinte indélébile dans l'univers des X-Men avec X-Statix. Il a également écrit de nombreuses histoires pour Vertigo et d'autres éditeurs, comme The Best of Milligan & McCarthy, Shade the Changing Man ou Greek Street. Lorsque Enigma est publié pour la première fois, de nombreux critiques crient au génie, et certains lecteurs crient au brouet abscons.
Contrairement à ce que peut laisser croire le résumé, ce récit n'est pas une histoire de superhéros. Pour commencer Duncan Fegredo réalise des dessins sans rapport avec l'esthétique superhéros des comics Marvel ou DC. L'encrage est lourd, les visages sont couturés de traits qui viennent les obscurcir. Les traits délimitant les contours donnent parfois une impression d'imprécision ; ils ne se rejoignent pas toujours bien, se croisant ou se chevauchant, sans bien fermer le contour, manquant de netteté. Cette première impression parfois désagréable est renforcée sur quelques pages par une mise en couleurs trop sombre que la reprographie ne parvient à restituer (il faut alors approcher la page d'une source de lumière vive pour essayer de distinguer des formes).
D'un autre côté, Fegredo crée des visuels très personnels, comprenant un niveau suffisant de détails, avec des individus dotés d'une forte personnalité, sans être caricaturaux. Chaque lieu est spécifique grâce à un ou deux détails bien choisis. Les dessins rendent compte des nuances du scénario quelles que soient les bizarreries prévues. Fegredo est aussi à l'aise pour représenter des meurtres ignominieux (les exécutions perpétrées par la Ligue des Intérieurs), des corps déformés de l'intérieur au point d'en devenir monstrueux, un apiculteur enfumant une ruche, un individu soliloquant au milieu de lézards, une boîte gay, un couple homosexuel tendrement enlacé après l'amour, etc.
S'il faut un temps d'adaptation pour que le lecteur se fasse à l'esthétique particulière des images, leur capacité d'évocation s'adapte à toutes les situations improbables et saugrenues imaginées par le scénariste. Effectivement Peter Milligan est déchaîné et refuse de s'imposer des limites ou des tabous. Avec un peu de recul, il a imaginé une intrigue en bonne et due forme, articulée autour de plusieurs mystères. Qui est Enigma (son identité secrète) et d'où vient-il ? Quel lien le rattache aux 3 numéros du comics des années 1970 ? Qui sont ces individus dotés de superpouvoirs qui commettent des crimes odieux ? Pourquoi des lézards ? Quel rapport avec le meurtre évoqué dans l'introduction ? En quoi la sexualité de Michael Smith est-elle si importante ?
Milligan fournit une explication cohérente à toutes ces questions et bien d'autres encore, dans un récit à la logique interne solide. Rapidement, le lecteur constate aussi que le récit n'est pas à prendre qu'au premier degré. Il est évident que ces lézards sont le symbole de quelque chose. L'un des supercriminels s'appelle La Vérité et énonce des vérités cachées à ses victimes. Enigma (le superhéros) est la copie conforme d'un superhéros obscur ayant existé le temps de trois épisodes, et Michael Smith rencontre Titus Bird, l'auteur dudit comics. Ce dernier personnage introduit une mise en abyme efficace, puisqu'il commente ses qualités de scénariste sur les épisodes d'Enigma, introduisant un parallèle avec les propres qualités du comics Enigma de Peter Milligan (et donc par le biais de Titus Bird, Milligan commente ses propres qualités, c'est plus clair en lisant le comics).
Milligan ne se limite pas à un exercice de style (la mise en abyme), ses personnages prononcent des jugements et des critiques sur leur propre vie. L'auteur place dans l'esprit de ses personnages (des petites cellules de texte) des propos sur la manière de tromper leur ennui (réciter le dictionnaire à l'envers), sur leur rapport au père ou à la mère, sur leur vie bien rangée, sur leur responsabilité par rapport à leurs écrits (les meurtres commis au nom des épisodes d'Enigma écrits par Titus Bird), etc. Il y a une composante existentialiste dans ce comics.
Dans certaines séquences, le lecteur ne peut pas s'empêcher de se faire la réflexion que Milligan est peut-être un peu trop malin. Pour commencer, il n'hésite pas à se lancer des fleurs par le biais des observations de Titus Bird qui observe à quel point il était en avance sur son temps et particulièrement pertinent (= l'auteur d'Enigma est quelqu'un d'éclairé et de perspicace, l'auteur d'Enigma c'est également Milligan, la mise en abyme vous vous souvenez ?).
Milligan continue à faire le malin avec les cellules de texte de la première page de l'épisode 5, où le narrateur indique qu'il est un personnage du récit que le lecteur verra apparaitre à la fin du récit. Le clin d'œil est assez appuyé. Il l'est plus encore quand ce narrateur finit par apparaître dans l'intrigue comme un individu à l'élocution nettement supérieure à celles de ces pairs, donc plus intelligent que ceux qui l'entourent. Milligan étant aussi un narrateur cette observation s'applique également à lui, plus intelligent que la majeure partie de ses interlocuteurs, c’est-à-dire ses lecteurs (qui bien sûr n'ont pas de raison de se sentir insultés par de tels propos, de toute façon ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre).
Le lecteur ressort de ce récit essoré. Le nombre de thèmes abordés de manière intelligente et personnelle par Peter Milligan est épatant. Le ton qu'il emploie oscille entre la narration inspirée et éblouissante, et une forme de cynisme mêlé de suffisance dans lequel l'autodérision n'est pas assez présente. Les dessins de Duncan Fegredo demandent un temps d'adaptation au lecteur, pour révéler leur pertinence, et leur intelligence graphique. Soit le lecteur est épuisé par ce récit qui semble partir dans trop de directions sans vraiment aboutir quelque part, avec une conclusion qui semble absoudre Enigma de tous les crimes qu'il a commis ou dont il est responsable, 3 étoiles (même si cette histoire complète est moins éreintante que la série Shade the changing man). Soit le lecteur accepte ce voyage en apparence chaotique, reflétant la vision de la vie de son créateur, 5 étoiles pour des fulgurances existentielles et une intrigue refusant le conformisme et reposant sur une structure rigoureuse.
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai dévoré cette agréable série. J'ai immédiatement été saisi par le graphisme hachuré en N&B de Isao Moutte.
La scène d'intro colle parfaitement avec le spleen de l'état d'esprit du personnage central du récit. Le texte est superflu et l'auteur nous guide sur une piste assez intimiste et sociale qui va s'enrichir très vite.
Je n'ai pas lu le roman source et donc je ne pourrais pas critiquer son adaptation comme l'a fait Mac Arthur. Je garde de ma lecture la grande fluidité de la narration, la construction astucieuse de la rencontre de Kaze et du jeune garçon. Cela donne une belle crédibilité au rebondissement qui envoie les deux personnages vers les zones dévastées du Tsunami et de la catastrophe nucléaire.
Ces parcours permettent d'introduire la thématique peu visitée du Japon des déclassés et des marginaux. Autour de ce thème Moutte peint une image sans concession de l'imbrication entre une pègre sans état d'âme, un patronat peu scrupuleux et un monde politique pressé de faire oublier ses responsabilités dans la (non) prévoyance des catastrophes survenues. Une peinture iconoclaste et peu courante dans l'univers de la BD qui a tendance à idéaliser ce qui touche au Japon.
Le final peut décevoir par son côté happy end optimiste qui abandonne l'idée de vengeance (mais aussi de justice) pour celle d'avenir et de reconstruction.
Perso j'ai bien aimé cette fin ouverte optimiste qui privilégie le renouveau positif.
Comme je l'ai déjà écrit le graphisme élégant, fin et souple de Moutte m'a bien séduit. J'ai particulièrement aimé les planches de pleine pages illustrant les villes (Tokyo ,Lyon, Matsuyama) debout ou de la région ravagée. C'est très détaillé avec de très beaux panoramas.
Une lecture très agréable, intelligente et dépaysante. Une belle réussite.
Partons à l'abordage de cette BD, de ses récits épiques et fantastiques.
Un grand bravo à Warum pour le travail éditorial réalisé. Et que dire de cette magnifique couverture intrigante au bel effet brillant.
Un album qui se trouvait dans ma liste d'achat depuis 2019. Je ne suis pas un grand amateur d'histoires de pirates. Mais là...
Une BD avec pour personnage principal, Ulysse Lean, un jeune homme de l'aristocratie anglaise, il va découvrir que son défunt père n'était autre que le plus célèbre des pirates, le fameux Mille Orages.
Un album qui revisite des grands mythes et des légendes de la littérature à travers ces douze chapitres de quatorze pages chacun. En effet, Édouardo Mazzitelli y incorpore une belle dose de fantastique. Notre jeune Ulysse va se retrouver capitaine du vaisseau fantôme de son père. Il va parcourir les océans et être confronté à d'innombrables monstres marins, des fantômes, aux sirènes et à bien d'autres créatures.
Des histoires très agréables à lire avec, le plus souvent, une petite morale bien trouvée. L'humour n'est pas absent : "Évidemment que tu es mon fils, maudit têtard d'égout !".
J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre l'évolution d'Ulysse au fil de ses aventures, il va passer d'un jeune dandy insouciant en un marin confirmé.
Enrique Alcatena a réalisé un boulot monstrueux, les planches sont agencées avec intelligence et elles mettent en relief un dessin d'une élégance rare et d'une précision chirurgicale. Un noir et blanc au trait fin, délicat et très expressif qui rend ce dessin si réaliste, si envoûtant.
Très, très beau.
Et pour te faire ta propre idée, tu peux lire le second chapitre dans la galerie.
Alors moussaillon, tu es prêt à lever l'ancre pour un formidable voyage ?
Coup de cœur.
Je vais leur prouver que le Conciliant est plus fort que le Coercitif.
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, sous la forme d’un roman-photo. Sa parution initiale date de 2017. Il a été réalisé par Grégory Jarry, avec un montage et un lettrage de Lucie Castel, également maquilleuse et créatrice de la Sargasse. Il compte quatre-vingt-quinze pages de roman-photo. Il met en scène vingt-quatre acteurs différents qui incarnent autant de personnages.
À l’arrière d’une maison, dans une cour encombrée, trois hommes sont assis autour d’une table avec une nappe. Ils portent un bas sur la tête pour masquer leur identité. Sur la table sont posés un boîtier avec un gros bouton rouge et un téléphone portable. Ils se filment et diffusent la vidéo sur internet. Leur message : Mesdames et messieurs, ceci est une déclaration de guerre. On préfère vous prévenir tout de suite : on va tout faire péter. Ce bouton rouge est relié à internet via ce téléphone. Si Sammy appuie dessus, tous les gens devant un ordinateur seront électrocutés. Un tsunami électronique qui fera des millions de morts. Ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. Nos revendications sont simples : on veut le pouvoir mondial. Attention, pas la peine de nous amadouer en nous proposant le pouvoir en France ou en Europe, on n’en veut pas. Nous, on veut le monde entier, ou rien du tout. Demain, tous les dirigeants de la planète doivent quitter le pouvoir. Nous voulons leurs lettres de démission postées sur Facebook avant minuit. Et pas de coup fourré, sinon Sammy appuie sur le bouton.
Le message des terroristes est diffusé par les télévisions du monde entier : les journalistes évoquent la plausibilité réelle d’une telle menace, ainsi que les réactions évasives des chefs d’état. La palme revenant au président de la République française : Mathias Moltz déclarant que Minuit c’est minuit et que là il est midi tout est permis. Spot publicitaire montrant une femme accoudée à un arbre en train de parler, entrecoupé d’images de violences urbaines. La bande-son déroule le commentaire : Au fin fond de la campagne, à des années et des années-lumière des centres de pouvoir, veille celle que le gouvernement français appelle quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes. Quand il ne reste plus aucun espoir. La médiatrice. Dans un grand jardin bien entretenu, Marianne se présente dans un autre spot. Après avoir salué les téléspectateurs, elle indique qu’elle s’appelle Marianne la Médiatrice de la République. République, c’est abstrait comme concept, en réalité, la République, c’est le peuple, autant dire qu’elle est la Médiatrice du peuple. La Médiatrice est une institution créée par François Mitterrand en 1983 lors du tournant de la rigueur. Le président mettait un coup de barre à droite, alors pour se faire pardonner il a créé un pouvoir inédit dans la démocratie, quelque chose auquel même les Grecs n’avaient pas pensé. À l’Exécutif, au Législatif et au Judiciaire, il ajouta un pouvoir totalement indépendant : le Conciliant. Pouvoir confié à Christine, première Médiatrice de l’époque.
Les éditions FLBLB ont été créées en 2002, par Grégory Jarry et Thomas Dupuis, et elles publient régulièrement des romans-photos, de vrais récits de fiction ou biographiques dans ce mode d’expression tombé en désuétude dans les années 1970. Il s’agit ici d’un récit d’anticipation mettant en scène deux pouvoirs au sein de la République, en plus de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, inventés pour l’occasion : le Conciliant (fonction assurée par Marianne) et le Coercitif (fonction assurée par Luc). L’histoire débute avec cette menace terroriste trouvant sa source dans un jardin laissé à l’abandon dans un pavillon à la campagne, et se poursuit effectivement avec un accident dans une centrale nucléaire, comme en atteste le champignon atomique sur la couverture. Le lecteur fait bien l’expérience de ces deux parties distinctes, la mission concernant les terroristes arrivant à son terme en page quarante. Ce récit se classe dans le genre Anticipation avec la menace terroriste sur la base d’une technologie légèrement en avance sur son temps, et l’existence de deux pouvoirs fictifs. Il se déroule jusqu’à une conclusion en bonne et due forme, constituant une histoire complète, avec ses lieux variés et ses différents personnages.
En entamant un roman-photo, même s’il n’a pas l’a priori issu des productions Nous Deux, le lecteur sait pertinemment que la probabilité est faible que les auteurs aient disposé de beaucoup de moyens en termes d’acteurs, de localisations, voire d’effets spéciaux. En conséquence de quoi, son horizon d’attente intègre ces contraintes. Dans cet ouvrage, il retrouve une disposition des photographies en bande, reprenant ainsi cet aspect du mode narratif de la bande dessinée, sans bordure de case. L’auteur utilise des cases rectangulaires. Il met à profit les possibilités de composition d’une page : une photographie en pleine page pour l’ouverture, quatre cases de la même taille pour la page suivante en deux bandes de deux, une construction très régulière pour les spots télévisuelles (quatre bandes de deux cases de mêmes dimensions pour les informations, et pareil pour la présentation de la Médiatrice. Par la suite, il adapte son découpage à la nature de la séquence. L’artiste peut choisir une photographie qui occupe les deux tiers de la page pour une présentation d’un personnage ou d’un lieu. Il peut consacrer une bande de trois cases à une unique action, comme une forme de prise de photographies en rafale. Il utilise régulièrement des photographies de la largeur de la page pour un effet panoramique, soit lorsqu’il y a de nombreux personnages, soit pour une action étalée dans la distance (le passage d’un avion dans le ciel par exemple). À une demi-douzaine de reprises, il découpe une case en biseau pour montrer la rapidité d’un mouvement ou la confrontation conflictuelle entre les personnages.
Le lecteur observe des personnages avec un jeu d’acteur dans un registre naturaliste, sans cet effet forcé qui peut rendre un roman-photo ridicule. Les dialogues occupent une part significative de la pagination, rendus plus vivant par les mouvements et les occupations des personnages à ce moment, sans impression d’une succession de gros plans sur les visages pour des raisons d’économie de moyen. Le réalisateur offre une grande diversité de lieux : la cour occupée par les terroristes, le grand jardin de la Médiatrice, son salon, le parc présidentiel, un magasin de reprographie, le salon de la mère du président de la République, les plateaux des différents journaux télévisés, une tour aéroréfrigérante d’une centrale nucléaire, une ferme de crocodiles, un pavillon où se sont réfugiés des immigrés clandestins, un cimetière, un bois, une forêt, un court de tennis, etc. Le lecteur suit la Médiatrice dans ses pérégrinations successives, éprouvant la même sensation que dans une bande dessinée où l’artiste n’est pas contraint par son budget.
L’auteur fait preuve d’une facétie certaine : il commence par présenter la Médiatrice qui indique que les médiatrices n’ont jamais eu tellement de moyens. Quand une crise éclate dans la société, son rôle, c’est de mettre tout le monde d’accord, sans qu’aucune partie ne soit lésée. Sans arme à feu, sans GIGN, sans rien. Ça passe par le dialogue, l’écoute, et surtout la gentillesse. Le pouvoir conciliant, sa valeur est avant tout symbolique, mais c’est un symbole fort et respecté. Par comparaison, le Nettoyeur indique que les nettoyeurs ont toujours eu des moyens colossaux, pris dans les fonds secrets de la République. Ils ont tutoyé personnellement les présidents russes et américains en pleine guerre froide. Quand une crise éclate, qui menace les intérêts de la France, leur rôle c’est de mettre tout le monde d’accord. Tous les moyens sont bons, même les moins avouables. Ça s’appelle la Raison d’État, lui il appelle ça la raison du plus fort. Mais voilà, Luc le nettoyeur traverse une crise existentielle qui le prive de la capacité d’agir. C’est donc le pouvoir de la conciliation qui est à l’œuvre (même si ça n’empêche pas Marianne de décocher deux bourre-pifs bien sentis), un mode d’action assez inusité dans les récits d’action. Pour autant, Marianne mène à bien sa première mission de neutraliser les terroristes. Elle tient tête à plusieurs reprises au président de la République française jusqu’à lui faire changer d’avis par le pouvoir du dialogue et de la conviction. Elle fait preuve de courage et du sens du devoir, intimement motivée par le bien commun.
Le lecteur peut être dubitatif s’il entretient des a priori sur le roman-photo en tant que mode d’expression. L’auteur fait la preuve que ce média peut raconter tout type d’histoire aussi bien que d’autres, utilisant les photographies en les disposant selon les modalités narratives de la bande dessinée. Le lecteur découvre la fonction de la Médiatrice et la suit dans une mission contre des terroristes, puis pour convaincre le président de la République française de faire le bon choix, avec une conviction inébranlable dans le service, dans le pouvoir supérieur de la conciliation sur la coercition. Un récit d’anticipation plus subversif qu’il n’y paraît.
C'est avec ce nouvel album que je découvre le travail de Philippe Valette (oui, shame on me, je n'ai pas lu Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle, mais promis je vais me rattraper ! ).
Déjà, on appréciera le travail de maquette réalisé, c'est un très bel objet qui nous est proposé. Format simili carré, titre en relief, et très belle couverture intrigante qui ne demande qu'à ce que nous engagions notre lecture. Le récit s'ouvre sur un duo composé d'une jeune fille et d'un vieil homme couvert de cicatrices qui avancent péniblement dans ce qui ressemble à un désert en pleine tempête de sable. Flashback... Nous voilà au milieu d'une équipe d'astronautes ; leur vaisseau est en mission pour réaliser la première colonisation d'une exoplanète. Petit détail, le voyage est prévu sur une durée de...
20 000 ans !!!
C'est donc au fil des recherches de notre jeune Nova et de son père Reiz pour retrouver les modules de leur vaisseau éparpillé sur cette exoplanète que nous allons découvrir les péripéties de ce voyage improbable et qui ne s'est forcément pas se passer comme prévu. On se fait rapidement happer par le récit et les réflexions et questionnement fourmillent au fil de cette épopée. Philippe Valette a indéniablement le sens du récit et de la narration ! Si le lecteur de SF que je suis y a retrouvé des thèmes et réflexions "classiques" du genre, c'est fait de façon complètement maitrisée et efficace.
Côté graphisme, il mélange habillement un dessin minimaliste et 3D pour ses décors. La colorisation surprend un peu au début, mais je m'y suis fait et j'ai même fini par la trouver agréable ; elle donne à cet album un petit côté "animé" qui n'est pas déplaisant (on sent que l'auteur a travaillé dans l'animation).
Bref, un très bon récit de SF servi dans un très bel écrin !
C'est en voyant que "Au-dedans." venait de recevoir le Prix Comics ACBD 2024 que j'ai réalisé que je n'avais pas laissé d'avis sur cet album.
Et quel album ! Surprenant de bout en bout !
En attaquant ma lecture, j'ai commencé par me dire que cet OVNI de quelques 300 pages n'allait pas m'emballer plus que ça. Un trait sobre, des pages très aérées, une histoire personnelle sur la difficulté à s'intégrer, et surtout à communiquer en société ou comment exprimer sincèrement ses émotions... Bon, pourquoi pas, mais ça m'emballait pas plus que ça...
Et c'est là toute la magie de cet album et du talent de Will McPhail. C'est cette fausse légèreté, ce minimalisme qui va a l'essentiel, tant dans la composition des planches que de son trait qui donne cette expressivité et cette justesse à cette réflexion. J'ai adoré l'expressivité qu'il arrive à faire passer sur le visage de son personnage (Nick) en un rien de traits ; j'ai adoré ces explosions de couleurs qui au détour d'une page vous éclaboussent et vous font partager le ressenti de Nick ; en fait, oui j'ai adoré cet album !
Une magnifique découverte d'un travail tout en finesse qui prend et donne sens au fil des pages. Bravo ! Un Prix ACBD largement mérité !
Il n'est pas évident pour nous d'imaginer ce que pouvait être la vie au début du XXème siècle. Il est encore moins possible d'imaginer que la population américaine pouvait être à ce point en difficulté dans l'entre 2 guerres.
Et pourtant c'est bien dans ce cadre, historiquement vrai que ce déroule la fiction d'Aimée De Jongh.
"Jours de sable" nous conte l'histoire d'un jeune photographe envoyé au cœur des Etats Unis qui sont touchés par des tempêtes de sables et des sécheresses à répétition.
Complétement ignorant de ces choses, je ne peux que louer le travail d'enquête réalisé par l'auteure pour arriver à caler sa fiction dans un contexte réel.
La petite documentation en fin d'ouvrage me laisse à penser qu'elle y est arrivée de manière optimale.
Le dessin est très plaisant à regarder et j'ai trouvé le choix des couleurs parfaitement adapté. Il n'y a aucune fausse note à ce niveau là.
Pour ma part je serai un peu plus indulgent que Gruizzli sur le personnage de John. Son histoire combinée à sa mission et tout ce qu'il en a appris ne m'ont pas choqué. Comme si le Dust Bowl avait balayé ses illusions et enterré ses démons pour lui faire prendre conscience du réel sens de la vie. Sur moi ce point a parfaitement fonctionné.
Ce qui a moins fonctionné c'est la fin dont j'ai trouvé l'arrivée très brutale, comme si il avait fallu conclure très rapidement car on manquait de pages. J'aurai préféré un développement un peu plus long de cette partie de l'histoire.
"Jours de sable" est un belle BD à offrir et à l'aube d'un changement climatique majeur un bon rappel que nous ne sommes que des grains de poussières face aux forces de la nature. Il conviendrait donc de la respecter un peu plus si nous espérons continuer à pouvoir vivre.
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Butcher Baker - Le Redresseur de torts
De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace - Il s'agit d'une histoire complète, indépendante de toute autre, initialement parue en 8 épisodes en 2011/2012, écrite par Joe Casey, illustrée et mise en couleurs par Mike Huddlestone. Dick Cheney (un ex vice président américain) et Jay Leno (un présentateur d'émission télé très célèbre aux États-Unis) se rendent dans l'établissement préféré de Righteous Maker (un superhéros semi retraité dont le costume évoque le drapeau américain). Cheney actionne avec répugnance la poignée (en forme de sexe masculin) de la porte d'entrée. Ils trouvent le superhéros en pleine orgie avec 4 femmes à ses pieds en train de satisfaire ses besoins (qui impliquent l'utilisation de lubrifiant et de gants en latex). Cheney et Leno viennent proposer une mission clandestine à Maker : exécuter tous les supercriminels emprisonnés dans la prison Crazy Keep, pour faire économiser de l'argent au contribuable. Maker s'acquitte de sa mission en pulvérisant la prison. Mais à son insu, une poignée de détenus ont survécu, dont certains plus dangereux que d'autres. Ils veulent tous la peau de Maker. En se rendant à cette prison, Maker a envoyé la voiture d'Arnie B. Willard (un policier) dans le fossé. Celui-ci a juré de retrouver le chauffard et de lui faire payer très cher son écart de conduite. Il va recevoir l'aide de The Absolute, l'évadé le plus mystérieux de Crazy Keep. C'est un massacre du début à la fin, un outrage aux bonnes mœurs les deux pieds dans le plat, une bordée ininterrompue de jurons, des jaillissements de stupre et de luxure, des grands coups de poing dans la tronche, des décharges d'énergie destructrice, des silhouettes improbables, des couleurs criardes, un transsexuel, un superhéros sur le retour qui ne fait pas dans la dentelle, un patrouilleur des autoroutes à la dignité bafouée, un énorme camion à l'américaine, des parties de jambes en l'air mémorables, et (dans l'édition en VO) une postface de 30 pages dans laquelle Joe Casey se lâche et se donne à fond. Dans ces 30 pages, il effectue une auto-interview d'une demi douzaine de questions parmi lesquelles celle de savoir si ce récit désinhibé, décomplexé et éhonté constitue un métacommentaire. Il se répond à lui-même par le biais d'un va-te faire bien senti. Si le lecteur n'avait pas compris à la lecture de ces 8 épisodes, c'est clair : il n'y a rien à comprendre, rien à chercher, tout est à apprécier au premier degré. C'est à la fois une grande déclaration d'amour au genre Superhéros, et un grand coup de pied dans les roustes, avec un second degré omniprésent renforcé par une provocation de mauvais goût assumé. Les illustrations de Mike Huddleston complètent et renforcent à merveille cette construction dégénérée, ce cri primal, ce défouloir hors norme. En reprenant tout ça dans l'ordre, le lecteur peut constater que Joe Casey raconte une histoire primaire de superhéros, pas plus bête que toutes les autres. Le scénario est solidement construit, la logique interne est respectée, il y a des superpouvoirs, la ligne de démarcation entre superhéros et supercriminels est claire, le combat est manichéen à souhait. Les deux derniers supercriminels à abattre sont les plus retors, il y a même des assistants adolescents (sidekicks) qui sont évoqués, et des costumes moulants colorés aux motifs improbables. Le récit se termine sur une résolution claire et nette. C'est juste qu'il y a une forme franche de promiscuité sexuelle, que la violence est caricaturale et parodique, tout comme les personnages. Casey s'amuse à parodier et à rendre hommage à ses auteurs préférés, Frank Miller et Alan Moore en tête. Si vous restez concentré sans vous laisser déborder par cette déferlante d'énergie bouillonnante, vous pourrez même voir passer un hommage au feuilleton le Prisonnier (avec ce village pour superhéros retraités). Mike Huddlestone compose des pages tout aussi démesurées que les rebondissements du scénario, tout est permis (ce qui ne veut pas dire qu'il fait n'importe quoi). Pour commencer il y a l'exagération des silhouettes des individus dont Huddlesotne s'amuse à augmenter les proportions musculaire (comme le font régulièrement les dessinateurs de comics de superhéros, mais ici avec un effet volontairement de parodie). Il y a aussi régulièrement cet appendice qui pendouille dans l'ombre, entre les jambes de ces messieurs dans le plus simple appareil, et de cet hermaphrodite si étrange. Huddlestone dessine ses personnages avec des contours fortement encrés, une impression de dessin rapidement exécutés (mais un examen plus détaillé montre de savantes compositions). Il a donné une apparence inoubliable à chaque personnage, Righteous Maker indestructible avec une largeur d'épaule impossible, Arnie B. Willard magnifique avec son gros ventre et sa capacité à conserver sa dignité, Jihad Jones très inquiétant dans sa normalité, The Absolutely exceptionnel dans sa silhouette où tourbillonnent des galaxies multicolores. Il joue avec les registres graphiques d'une page à l'autre : de la case juste crayonnée comme une esquisse, à la case dont chaque forme est rehaussée par les complexes schémas de couleurs appliquées à l'infographie. La démesure règne en maître, chaque mouvement est exagéré pour un impact plus grand, chaque expression est soulignée pour mieux transmettre l'émotion. À plusieurs reprises, Huddleston prend exemple sur le mode d'exagération de Bill Sienkiewicz (en particulier dans Elektra assassin) pour faire glisser certaines composantes de ses dessins vers l'abstraction et pour inclure des symboles ou des stéréotypes visuels pour encore décupler la force des représentations. Cette inspiration prend également la forme d'un hommage appuyé à l'une des couvertures de la série Elektra assassin, pour la couverture de l'épisode 7. Dans les 30 pages de postface, Joe Casey utilise le même ton exubérant et bourré d'interjections grossières pour décrire son amour des comics, ses premières expériences de lecture de comics, le besoin vital de lire des comics viscéraux, la nécessité de proposer un comics provocateur qui sort des tripes. C'est une étrange lecture qui tient autant du billet d'humeur enflammé, que de la collection d'anecdotes d'un accro aux comics pour la vie. "Butcher Baker, the righteous maker" constitue une expérience de lecture hors norme, libérant une énergie de tous les instants, rappelant qu'un comics de superhéros doit sortir des tripes, doit emmener le lecteur dans un maelstrom d'actions vives, rapides, inventives, décomplexées, pour une expérience intense et sans égale. Le résultat dégage une vitalité hallucinante à ressentir au premier degré, sans autre forme de métacommentaire. Ce comics est un hommage sincère de Casey et Huddleston à tous les créateurs de comics qui les ont rendus dépendants de leur dose d'aventures délirantes de superhéros costumés impossibles et ridicules, accomplissant des actions extraordinaires, tout en déclamant des dialogues kitch, mais toujours avec panache. Tout fan de comics ressentira cette déclaration d'amour au plus profond de son être, vibrera à ces actions d'éclat délirantes et décomplexées. Les autres risquent de n'y voir qu'un ramassis de ce qu'il y a de pire dans les comics, de plus superficiel, de plus débilitant. Dans la postface, il compare ce comics à une version non éditée des comics habituels, espérant que les lecteurs ressentiront ce qu'il à ressenti lorsqu'il a découvert la version non éditée du film Les Guerriers de la nuit (Warrior, 1979, réalisé par Walter Hill) par rapport à celle éditée (scènes violentes plus courte) pour diffusion sur les chaînes du câble. Joe Casey refuse la tiédeur consensuelle et a décidé d'intituler son prochain projet Sex. Une seule certitude : ça ne va pas plaire à tout le monde.
Secret wars (Hickman & Ribic)
Un crossover pour les gouverner tous - Ce tome comprend les 9 épisodes de la série, initialement parus en 2015/2016, écrits par Jonathan Hickman, dessinés et encrés par Esad Ribi?. La mise en couleurs a été réalisée par Ive Scorcina. Il comprend aussi le prologue de 10 pages parus dans Free comic book day 2015, également écrit par Jonathan Hickman et mis en image par Paul Renaud. Il comprend les 9 couvertures originales d'Alex Ross, ainsi que les 44 couvertures variantes. Toutes les couvertures ont été placées à la fin du récit, le chapitrage étant assuré par des pages blanches avec un titre spécifique, comme il est de coutume dans les comics écrits par Hickman (et qui a réussi à l'imposer même dans ses travaux pour Marvel). Cette histoire se déroule après les 70 épisodes des séries Avengers et New Avengers écrits par Jonathan Hickman. Il constitue un événement majeur dans l'univers partagé Marvel, dans la mesure où toutes les séries mensuelles se sont arrêtées pour être remplacées par des titres se déroulant sur Battleworld. Il marque également 30 ans d'anniversaire des premières guerres secrètes parues en 1985 : Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck. Les Terre alternatives de l'univers Marvel ont disparu, détruite au cours de phénomènes appelés Incursion. Il ne subsiste plus que la Terre 616 (la Terre principale), et la Terre 1610 (la Terre des Ultimate). Suite à un plan complexe, Victor von Doom est devenu le Dieu de toute la réalité, et a réussi à sauver quelques morceaux de différentes Terre, pour constituer une terre composite appelée Battleworld. Cette planète artificielle est composée d'une quarantaine de territoires gouvernés par des Barons, tels que Mister Sinister, Ultron, Goblin Queen, Annihilus, Maestro, Apocalyspe, Hydra, Magneto, etc. Le territoire de Doom (Doomgard) est séparé des autres par un mur appelé SHIELD. Le prologue montre Doom faisant face à ceux de l'au-delà (beyond). Puis la scène change pour passer aux derniers moments d'existence de la réalité sur Terre, alors que se produit l'ultime Incursion, la collision entre la Terre 616 et la Terre 1610. Par la suite le récit se déroule sur Battleworld dont Doom en est le dieu incarné. La police entre les baronnies est assurée par l'escadron des Thor (de nombreuses variantes de Thor). Doom reçoit les barons qui viennent se plaindre de leurs voisins, par exemple Captain Britain insulté par Mister Sinister. Stephen Strange est le bras droit de Victor von Doom. La Fondation du Futur vient de découvrir un vaisseau étranger à Battleworld, lors d'une expédition archéologique. Il semblerait qu'il y ait des individus à bord. N'importe quoi ! Le crossover de crossovers : ils ne savent plus quoi inventer chez Marvel. Toutes les séries satellites de cet événement portent le nom d'un crossover ou d'un événement passé : Civil War, Age of Ultron, Planet Huk, Infinity Gauntlet, Age of Apocalyspe, Korvac Saga, Marvel 1602, etc. En plus le point de départ est un copié/collé de House of M (avec Doom à la place de Magneto) et des Secret Wars initiales. Le degré zéro de la créativité. Effectivement quand DC et Marvel annoncent leur événement de l'année en 2015, le premier semble innover alors que le second semble recycler tout ce qui lui passe par la main, en allant chercher dans les fonds de tiroir pour faire bonne mesure. En prime, les communiqués de presse annonçaient la fin de l'univers Marvel (laissant sous-entendre son redémarrage à zéro par la suite), alors que quelques semaines plus tard les annonces des série ultérieures à l'événement indiquaient qu'il n'y aurait pas de remise à zéro. Mais alors que DC a publié des séries satellites de 2 épisodes chacune réalisées par des équipes créatives pas enthousiasmantes (juste pour occuper le planning de publication, pendant que leurs bureaux déménageaient de la côte Est à la côte Ouest), Marvel publie des miniséries satellites en 4 ou 5 épisodes, réalisées par les équipes créatives des séries mensuelles ou des créateurs reconnus. En outre, Secret Wars est la culmination des deux séries Avengers écrites par Hickman (qui avait déjà orchestré un excellent crossover avec Infinity en 2013), et même de ses épisodes de la série Fantastic Four, à commencer par Dark reign - Fantastic Four. C'est toujours la même chose ! L'éditeur Marvel demande à un de ses scénaristes phares du moment de pondre un récit artificiel pour que tous les superhéros se tapent dessus, en promettant que plus rien ne sera jamais comme avant, et toute conséquence a disparu 3 mois après, pour un retour tiède au statu quo. Il s'agit d'affrontements déconnectés de toute réalité, sans apparition d'être humain normal, une sorte d'autocélébration incestueuse entre superhéros. En outre, il y a tellement de personnages qu'ils sont réduits à autant de coquilles vides sans personnalité, se distinguant uniquement les uns des autres par les motifs de couleurs chamarrées sur leur costume moulant, et par la couleur des énergies qu'ils émettent. Certes, c'est un récit de superhéros, avec des gugusses en costume moulant, des superpouvoirs impossibles et baroques. Oui l'intrigue se déroule sur la base d'une enquête pour comprendre comment Victor von Doom en est arrivé là, jusqu'à une confrontation physique finale contre son plus grand ennemi. Oui, il y a beaucoup de personnages et la plupart ne peuvent exprimer leur personnalité que le temps d'une ou deux répliques maximum. Oui aussi, Jonathan Hickman pioche à loisir dans le riche univers partagé Marvel pour mettre en scène des personnages qui lui plaisent ou qui lui sont imposés pour des raisons éditoriales (oui, il y a Groot et Rocket Raccoon, Miles Morales, un inhumain issu de la famille royale). En plus le dessinateur est cramé avant la fin, victime d'un burn-out engendré par la quantité de gugusses à dessiner et la longueur interminable de la série (9 épisodes quand même). Esad Ribi? a dessiné toute la série et l'éditeur Marvel s'est fait conspuer parce que le dernier épisode est paru avec 3 mois de retard, soit après les premiers numéros des séries post-événement. Il est sûr que si le même éditeur avait tout fait pour tenir les délais (= remplacer Ribi? par le premier venu), il se serait tout autant fait critiquer. Au moins le lecteur qui découvre le récit sous format d'un recueil complet a le plaisir de voir une histoire racontée par les mêmes personnes du début jusqu'à la fin. Esad Ribi? est un artiste qui a travaillé avec JM Straczynski sur une histoire du Silver Surfer, avec Peter Milligan pour une histoire de Namor, avec Rick Remender sur Uncanny X-Force, avec Jason Aaron sur Thor god of thunder, et déjà avec Hickman pour 9 épisodes des Ultimates. Il dessine les personnages de manière réalistes, avec des contours en trait fin, donnant une apparence un peu éthérée à ce qu'il représente. De prime abord, le choix de confier ce récit à Esad Ribi? apparaît étrange. Le côté léger de son trait peine à donner assez de consistance aux affrontements, ne confère pas une présence massive à ces superhéros ou aux supercriminels. Cet état de fait est accentué par le choix d'Ive Scorcina qui utilise des couleurs délavées, un peu pastel, donnant une apparence un peu fade à la page. Ce parti pris esthétique crée d'entrée de jeu un décalage avec les conventions visuelles des comics de superhéros, en insistant moins sur la force et le spectaculaire pyrotechnique, en créant une ambiance différente de l'ordinaire des comics de superhéros. Il est possible de comparer ce phénomène à celui produit par les dessins très altiers et élancés d'Olivier Coipel pour House of M : un esthétisme différent qui indique que l'histoire est placée en dehors de la continuité normale, avec sa propre cohérence Dès le début, Esad Ribi? s'astreint à représenter les personnages en cohérence avec leur apparence dans leur série mensuelle du moment (la coupe de cheveux d'Hulk par exemple, ou le costume de Thanos conforme à celui du film Avengers). Puis il apporte des modifications plus ou moins importantes aux personnages à partir du moment où l'histoire se déroule sur Battleworld. Ce travail de réappropriation graphique aboutit à une version de Doom tout habillé de blanc, toujours majestueux et condescendant et paradoxalement plus inquiétant. L'artiste s'en sort également très bien avec Stephen Strange. Il lui conserve une morphologie sans musculature surdéveloppée, avec un visage montrant son âge (quadragénaire). Il reprend l'allure de Reed Richards tel que l'avait conçu Kev Walker dans la série Avengers (avec la barbe). De ce point de vue, chaque personnage se distingue immédiatement des autres, avec une forte identité graphique pour tous. Dès le début, le lecteur constate également qu'Esad Ribi? s'économise sur les décors. Il le fait avec intelligence, c’est-à-dire qu'en début de chaque séquence, il prend du temps pour montrer l'environnement dans les détails. Par la suite, il n'est rappelé que par quelques traits, et pendant les scènes d'affrontements physiques, les arrière-plans se vident de toute information visuelle. Ive Scorcina ne possède pas le talent de Dean White ou de Dave Stewart pour utiliser les couleurs afin de transcrire l'intensité des affrontements, pour accompagner les mouvements par des dégradés progressifs de couleurs, ou pour transformer l'arrière-plan en un spectacle pyrotechnique qui en met plein les yeux. Il se contente de donner un peu de volume avec des camaïeux discrets à la poussière soulevée. Sur ce plan la narration visuelle manque un peu de consistance. Par contre la mise en scène amalgame une dramaturgie théâtrale avec des mouvements de caméra pour mieux montrer les déplacements des personnages, leur langage corporel, leurs mouvements. Esad Ribi? sait faire apparaître les émotions des personnages sur leur visage, leur état d'esprit dans leur posture. Il a le sens du spectacle pour les moments révélateurs qu'il s'agisse d'une cérémonie protocolaire d'enterrement, de l'apparition d'un personnage, ou encore d'une harangue sur une pente herbue. Ive Scorcina fait preuve d'une sensibilité artistique pour choisir la teinte dominante de chaque séquence, et ainsi établir une impression durable. L'épilogue (toujours dessiné par Esad Ribi?) montre qu'il n'est pas cramé et qu'il a mis à profit le temps supplémentaire qui lui a été alloué pour faire en sorte que les visuels soient raccords avec l'intention de l'auteur qui est de boucler avec une situation montrée dans le premier épisode New Avengers. Soit ! Les dessins ne sont pas trop mal, mais l'intrigue reste un prétexte ressortant tous les artifices de l'univers partagé Marvel, utilisés jusqu'à la nausée depuis des décennies. Non seulement il y a un recyclage de la situation de House of M dans un What if? qui ne dit pas son nom, mais en plus il y a même le Gant de l'Infini. En plus il y a tellement de personnages qu'il faut une encyclopédie pour s'y retrouver. Jonathan Hickman joue le jeu du crossover ou de l'événement. Il est un employé qui travaille pour un éditeur, avec un cahier des charges très contraignant. Il effectue son travail en en respectant les spécifications. Le lecteur peut le regretter, mais il n'est pas pris par surprise. Il sait qu'il s'engage dans un récit fédérateur à l'échelle de tous les comics Marvel du moment, avec pléthore de personnages, et un enjeu à l'échelle de toute la réalité. Il utilise les jouets qu'on lui a imposés. Il le fait avec respect, ce qui veut dire qu'il a bien fait ses devoirs et qu'il respecte les caractéristiques principales de chaque objet de pouvoir et de chaque personnage. Dans cet ordre d'idée, il s'en tire mieux que beaucoup de ses collègues, comme il l'avait déjà prouvé dans Infinity. Certes Thanos n'a pas l'ampleur qu'il peut avoir dans les récits de Jim Starlin, mais il n'est pas relégué à l'état de simple supercriminel. Comme dans tous les autres crossovers, il est possible de comprendre l'intrigue sans connaître tous les personnages. On peut s'amuser de voir passer Toothgnasher ou Toothgrinder, sans savoir d'où ils sortent. Quand même, ce Secret Wars donne l'impression d'être l'aboutissement de tout le travail de Jonathan Hickman depuis ses débuts sur Fantastic Four (on a échappé à ses Secret Warriors, c'est déjà ça), c’est-à-dire depuis 2009, soit six ans de continuité interne à son œuvre. C'est dire si c'est incompréhensible. À un moment il faut choisir son camp : on ne peut pas accuser Jonathan Hickman de pondre un crossover industriel de plus, et dans le même temps d'écrire une histoire personnelle construite pendant 6 ans. Donc le scénariste fait ce qu'on demande de lui et intègre de temps à autre une image ou une page évoquant ce qui se passe dans une ou plusieurs baronnies pour donner un semblant de légitimité aux miniséries satellites. Il mène à bien son intrigue des séries Avengers, avec la dernière incursion qui aboutit à la création de Battleworld, et au nouveau statut de Victor von Doom. Il apporte une touche finale à ses histoires pour les Fantastic Four. Il rapatrie le Reed Richard de l'univers 1610 qu'il avait bien développé pendant la saison qu'il avait écrite des Ultimates. Il fait même un clin d'œil à sa série Secret Warriors (son premier travail pour Marvel), avec Nikola Tesla qui apparaît le temps d'une page (il s'agit d'ailleurs plus d'une référence à sa série sur le SHIELD). Le lecteur plonge dans une situation que Jonathan Hickman prend le temps d'expliquer. Il y a une brève introduction de 3 pages montrant Doom et 2 autres face à un pouvoir incommensurable, puis tout un épisode consacré à la dernière Incursion, montrant la fin des Terre 616 et 1610. Puis le récit commence sur Battleworld. Au fil du récit, le lecteur apprend comment Doom a acquis le statut de dieu, pourquoi cela lui est arrivé à lui et pas à un des 2 autres à ses côtés. Parallèlement plusieurs personnages essayent de comprendre la situation et d'en prendre la mesure. Effectivement le récit ne rappelle pas comment Stephen Strange s'est retrouvé aux côtés de Doom. Effectivement Owen Reece semble reprendre le même rôle que durant les premières Secret Wars. Effectivement la participation d'un moloïd et de la Fondation du Futur parle plus à un lecteur des Fantastic Four d'Hickman. De même que le ralliement de Black Swan (Yabbat Tarru) aura plus de sens pour qui a lu les séries Avengers. Effectivement le récit se termine par un affrontement entre Doom et son ennemi. Il n'en demeure pas moins que Jonathan Hickman raconte une vraie histoire, avec un suspense quant à la façon dont Doom sera défait, et aussi quant à la manière dont il a acquis son statut. Le scénariste utilise les personnages mis à sa disposition à bon escient. Il est par exemple savoureux de voir Thanos confronter Doom, en lui rappelant que lui aussi dispose d'une certaine expérience en matière d'exercice divin. Il est assez rigolo de voir Valeria Richards rappeler à Doom qu'omnipotence ne signifie pas omniscience. Hickman sait faire ressortir l'histoire personnelle de plusieurs personnages de manière naturelle, leur conférant un minimum de personnalité. Jonathan Hickman manipule sa distribution pléthorique avec une grande adresse, réussissant à ne perdre aucun personnage en cours de route, à donner un petit moment à la plupart, et à développer ceux qui jouent un rôle plus important. Le lecteur apprécie la manière dont le scénariste étoffe le caractère de Doom, sans trahir le fond de sa personnalité. Ce personnage bénéficie d'une explication convaincante quant au fait qu'il ait endossé le rôle de dieu pour sauver ce qui pouvait encore l'être. Hickman expose la motivation première de Doom avec une réelle sensibilité psychanalytique et une grande pertinence (sans verser dans la psychologie de comptoir). Il lui restitue toute sa dimension tragique, dans le rôle du personnage central d'un roman noir. Pour le combat final, il reprend la grande tradition Marvel (des années 1960 et 1970) d'un combat physique qui se double d'un affrontement idéologique. Il intègre la notion de famille (inséparable des histoires des Fantastic Four), avec une approche un peu différente et complémentaire de ses épisodes des FF. Il a réservé un sort étonnant et logique à Johnny et Ben. Il conclut son récit en bouclant sur le début, à la fois par le retour sur la phrase "Tout meurt" prononcée par Reed Richards tout au début du premier épisode des New Avengers, à la fois par un passage au Wakanda. Mouis, mais quand même, on a l'impression qu'Hickman a abandonné une partie de son intrigue pour les séries Avengers, car il n'y a plus ni Builders, ni Makers. Le scénariste avait mené cette intrigue à son terme dans les séries Avengers. En prenant un peu de recul, le lecteur s'aperçoit qu'il continue de filer la métaphore de cet aéropage de créatures floues (makers, builders, mapmakers). Quand Doom se retrouve dieu de la réalité, le lecteur peut y voir la métaphore du scénariste tout puissant présidant à la destinée de tout l'univers partagé Marvel. Sous cet angle de vue, cette partie de Secret Wars devient une métaphore du caractère diminué, voir stérile de cet univers partagé s'il était confié à un seul et même créateur ou artiste. De même la posture de Doom implique une forme d'immobilisme de ce monde, chaque individu étant cantonné dans une forme e stase immuable. L'enquête menée par une poignée de personnages sous-entend qu'il y aura toujours des évolutions par rapport à ce statu quo, justifiant par là les libertés que certains auteurs prennent avec les personnages Marvel (au hasard, Peter Parker en chef d'entreprise à succès, ou Otto Otavius devenant un Spider-Man supérieur). Contre toute attente, malgré toutes les contraintes du crossover, malgré les exigences éditoriales, contre vents et marées, Jonathan Hickman raconte une histoire de superhéros dans laquelle le lecteur peut déceler sa voix d'auteur, à la fois dans la structure du récit (une de ses marques de fabrique), mais aussi dans le discours tenu par les personnages, les convictions et les valeurs qu'ils affirment. Secret Wars version 2015 constitue une fin à la hauteur des séries Avengers et New Avengers, un crossover réussi, un hommage incroyable aux premières Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck, un crossover pour les rassembler tous, les recycler tous (presque tous, il n'y avait pas Fear Itself ou Secret Invasion, et sûrement beaucoup d'autres) et trouver sa place légitime parmi eux (et savoir s'il y aura des conséquences durables ou non n'obère en rien ses qualités). Enfin, en partant, Jonathan Hickman laisse l'univers plus riche de personnages qu'il ne l'était quand il est arrivé. Il a mis à profit la nature même de ces héros récurrents dont les droits sont détenus par une entreprise commerciale, pour bâtir une œuvre personnelle, en appliquant le principe de l'économie circulaire (réutiliser ces personnages dont l'essence a été maintes fois extraite, en y trouvant encore de l'inspiration).
Succès Damné
Un scribouillard qui écrit ira plus loin qu’un génie qui rêve. - Ce tome fait suite à Les Maléfices du Danthrakon T01 La diva des pics (2022) qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu avant, ce qui n’enlève rien au fait que ce soit une bonne bande dessinée. La première édition du présent tome date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Arleston & Olivier Gay pour le scénario, par Olivier Boiscommun pour les dessins, et par Claude Guth pour la mise en couleurs. Il compte soixante pages de bande dessinée. L’édition initiale se termine par un entretien exclusif avec Lathan Dangodo, l’incroyable auteur de Succès Damné !, comprenant sept pages illustrées par les crayonnés du dessinateur. C’est à Parys que commence cette histoire, celle d’un homme pour qui l’écriture était toute sa vie ou presque. Dans cette capitale des arts et de la culture, traversée par le fleuve spleen et irriguée par la sagesse des siècles, poètes, peintes ou écrivains ou gravé leur nom dans le marbre de la légende. Lathan Langodo rend visite à son éditeur Brumelet qui est également libraire et imprimeur. Ce dernier l’informe que son livre va être un succès, il va en imprimer quarante exemplaire. Il a prévu le grand jeu ! Même mettre des affiches chez le boulanger de la rue Neuve ! Lathan est tout ému : ça lui fait quelque chose quand même ! Quarante exemplaires : est-ce que ça va augmenter le montant de son avance ? L’éditeur élude élégamment la question. Lathan ressort et rentre chez lui. Il passe devant l’étal du boulanger, celui-ci lui offre une miche de pain blanc de la veille, comprenant qu’il est sans le sou. L’écrivain passe ensuite devant l’étal du boucher qui le menace de son hachoir en lui disant qu’il faut qu’il le rembourse, sinon il finira dans ses saucisses. Il presse le pas, continue son chemin et manque de se faire écraser par un carrosse. L’échevin Fomelio sort du carrosse qui s’est arrêté, et il tend la main à la jeune Murcille pour l’aider à en descendre. Il s’approche de Lathan Dangodo assis par terre, les vêtements tachés de boue. Murcille présente Lathan comme étant son compagnon, Fomelio lui répondant qu’elle mérite mieux et qu’il l’attend le lendemain à l’aube pour examiner le dossier du nouveau pont. Les deux amoureux regagnent leur modeste appartement situé très haut sous les combles, après d’interminables volées d’escalier. Lathan explique à sa compagne qu’il n’aime pas son employeur. Elle répond que l’échevin Fomelio est un peu arrogant, mais que c’est une chance de carrière pour elle. Pour le moment, elle est sous-apprentie stagiaire, et un jour, elle sera payée. Lathan estime qu’il veut surtout la mettre dans son lit. Elle change conversation et lui demande combien il va toucher par livre, il répond huit sous de cuivre. Elle estime que s’il vend tous les exemplaires, cela leur donnera de quoi manger pendant une semaine ou deux. Alors qu’il a presque passé un an dessus. Il mérite tellement mieux ! À la nuit tombée, Lathan va souvent hanter les tavernes, non pas pour boire, mais pour conter ses textes. Un des clients lui donne un pourboire, pas pour l’encourager, mais pour qu’il arrête. Deuxième tome de cette série (en quelque sorte) dérivée, et déjà un coup de cœur pour le titre au jeu de mot si évocateur. Il faudra peut-être un peu de temps au lecteur étourdi pour bien identifier le suivant qui joue sur l’association du prénom, Lathan, et du nom de famille, Dangodo, du personnage principal. S’il a été vraiment attentif, il aura relevé celui la deuxième planche lorsque l’éditeur indique à son écrivain qu’il est un vrai talent, Lathan (talent latent). Puis le déclic se fait lors du rapprochement entre prénom et nom : un hommage à la pièce de théâtre En attendant Godot (1948/1952), de Samuel Beckett (1906-1989). Tout du long de l’ouvrage, le lecteur se met à fureter pour trouver d’autres associations de mots ou d’autres rapprochements. Il relève également des clins d’œil à des petites phrases, ou des références culturelles, qui se retrouvent parfaitement intégrées dans le flux de la narration. Un chariot de vente de saucisses dans des petits pains, premier métier du seigneur marchand Pyrinthe : vendeur de hotdogs. Une sentence qui tombe : quand on veut on peut, il suffit de traverser la rue (Emmanuel Macron, 15 septembre 2018). Les premiers emplois raillés par une remarque ingénue de Murcille qui est sous-apprentie stagiaire, et un jour elle sera payée. Ou encore : l’échevin Fomelio l’a laissé gérer ce dossier toute seule, d’accord elle était la seule disponible et il ne la paie pas, mais quand même. Le lecteur observe que ces formes de référence trouvent également leur place dans la narration visuelle de manière souvent étonnante et amusante. Ainsi la demeure du seigneur marchand Pyrinthe dont il est dit : Il avait fait du chemin, jusqu’à pouvoir s’offrir un palais peu discret, sur une île privée, au cœur de la cité. L’architecture de cette demeure et son emplacement évoquent Notre Dame de Paris sur l’île de la Cité. Ou encore la loge des mages (qui a pris le nom pompeux d’académie, mais ça n’en reste pas moins un repaire de vieux grigous boursoufflés et jamais contents de leurs petits privilèges) abritée dans un bâtiment à la forme décalquée sur celle de la tour Eiffel. Chaque composante de la narration se savoure pour elle-même, intrigue, dessins, couleurs, bons mots, gags visuels, et le tout s’avère plus riche que la simple somme des parties. Le lecteur éprouve une réelle sympathie pour cet écrivain un peu rondouillard à l’allure débonnaire et soumise, dénué de talent, obligé d’accepter un boulot alimentaire, forcé même par la menace physique de Fryss l’homme de main (d’un autre côté, il est plus facile de prendre la bonne décision quand il n’y a qu’un seul choix comme le fait observer Lathan à Pyrinthe), persuadé que Murcille la belle jeune femme qui partage sa vie, svelte vive et gracieuse, finira par se rendre compte qu’il ne vaut rien. Il se sent privilégié de pouvoir faire du tourisme dans Parys, inspiré de la capitale de la France, repensée dans un mélange de moyen-âge et de Fantasy avec un dosage parfait. Les couleurs acidulées peuvent paraître tirer un peu vers l’enfance, ce qui à la lecture fait sens : un conte tout public avec un dénouement reposant sur une valeur morale universelle. Le tout forme une vraie lecture plaisir, savoureuse, simple et sophistiquée. De temps à autre, le lecteur adulte peut sentir une réaction réflexe incontrôlable monter en lui, en se disant que quelques composantes sont un peu convenues. Il découvre vite qu’elle n’est pas fondée. Murcille est réduite à une potiche pour décorer : il n’en est rien, elle fait preuve d’un caractère bien trempé, d’une personnalité indépendante faisant ses propres choix, menant sa vie avec détermination et courage. Les méchants très méchants : le seigneur marchand Pyrinthe est mû par l’appât du gain (il paraît que ça existe dans la réalité et que tout est permis dans les affaires) et la morphologie Fryss son homme de main se rapproche de celle d’un crocodile anthropoïde (ce qui est logique et parlant puisqu’il s’agit d’un individu qui utilise sa force physique pour se faire obéir par la peur et l’intimidation). Le scénariste et le dessinateur utilisent avec intelligence, à propos et élégance les artifices narratifs usuels, en leur redonnant de la saveur et des spécificités, à l’opposé de raccourcis fades et en carton-pâte. Les méchants perdent et le gentil gagne à la fin : certes, il n’en reste pas moins qu’il est toujours très satisfaisant, voire cathartique que les brutes et les exploiteurs soient châtiés, et le gentil commence comme un profiteur, juste un peu plus lâche que les autres. Au fur et à mesure, un par un ce qui peut apparaître comme un cliché, perd son unidimensionnalité pour révéler plusieurs facettes ce qui le rend complexe. Le lecteur pourrait également céder à une impulsion irraisonnée et trouver les dessins trop jolis pour être sérieux. Là encore le plaisir de lecture se nourrit des nombreuses nuances parfumées exhalées par les pages, comme un met raffiné aux multiples saveurs. Plaisir immédiat des yeux, facilité de lecture, évidence et naturel de chaque séquence, personnages qui en disent long, juste par leur visage et leur posture, émerveillement des aventures. Le lecteur retrouve son âme d’enfant et s’implique dans le spectacle, il y éprouve la sensation d’y participer : jouir des belles vues de la ville, monter les interminables escaliers jusqu’à la minuscule mansarde, essuyer le dédain des clients du bar, découvrir le luxe du palais peu discret du seigneur marchand Pyrinthe, voir le string de Murcille passer par la fenêtre, découvrir les tableaux peints par Pyrinthe, plonger dans le livre écrit par Lathan Dangodo, voir le Danthrakon se tortiller, être à deux doigts de perdre l’équilibre et chuter dans le vide, voguer sur un petit voilier et être la proie d’enchantements magiques ayant perdu de leur puissance, fuir les morts qui reviennent à la vie, etc. Une aventure visuelle riche et chaleureuse dans le plus pur style Heroic Fantasy urbaine, une comédie dramatique enlevée et nuancée. Dans le même temps, c’est l’histoire d’un écrivaillon devenu prête-plume qui prend un raccourci pour accéder au succès. L’auteur parle de son métier, nourrit son récit d’anecdotes de ses débuts et d’autres de ses confrères. Il sait de quoi il parler et ça se sent. Dans les sept pages d’interview de Lathan Dangodo en fin de volume avec des esquisses de Boiscommun, le lecteur sent bien le mélange d’histoire personnelle des auteurs, accommodée au caractère du personnage. Il y voit autant du vécu qu’une prise de recul sur ce métier. Il suit le cheminement des questions : comment faire pour écrire, qu’est-ce que le succès apporte, ce qui donne envie d’écrire, la discipline nécessaire pour écrire, la relation avec l’éditeur, et des conseils sur la manière de construire une histoire, de développer des personnages, de les étoffer, etc. Il peut s’amuser à se repasser l’aventure qu’il vient de lire et de voir comment les auteurs ont appliqué leurs propres conseils. Il se tend, anxieux de découvrir la réponse à la dernière question : et la suite ? Une couverture très travaillée, des pages appétissantes et faciles à lire, une aventure échevelée, une belle histoire d’amour, une vocation intense, un soupçon de magie et de fantastique, des créatures aux allures bizarres, un sens de l’humour respectueux et piquant. Un divertissement exceptionnel, une comédie dramatique aussi classique vivante, une belle ode à une vocation : écrivain. Parfait.
Enigma (Milligan & Fegredo)
Entre mal-être existentiel et appétit d'expériences - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 8 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993, écrits par Peter Milligan, dessinés et encrés par Duncan Fegredo, et mis en couleurs par Sherilyn van Valkenburgh. La présente édition comprend une introduction de Grant Morrison (écrite en 1995) louant le caractère novateur du récit. La scène introductive de 2 pages évoque et montre un meurtre vieux de 25 ans, une femme tuant son mari aux bords d'une ferme, dans un coin de l'Arizona typique où les enfants ont des relations sexuelles avec leurs parents, et finissent par tuer quelqu'un (dixit le narrateur). De nos jours, Michael Smith est un réparateur téléphonique et intervient dans la demeure de Victor Lamont, une vedette de la télé. Le soir dans une ruelle, des policiers retrouvent un cadavre d'une personne dont le cerveau a été mangé par le Brain Eater, il y a un lézard mort et conservé à proximité. C'est mardi, Michael passe une soirée avec ses copains, puis rentre chez lui pour une partie de jambes en l'air avec sa copine (comme tous les mardis). Non loin de là, le superhéros Enigma est la proie de l'ennui. Michael Smith va finir par se retrouver nez à nez avec un supercriminel (The Head), puis avec Enigma, puis avec le créateur du comics d'Enigma datant des années 1970. Peter Milligan est un scénariste de comics au mode d'écriture très particulier qui a laissé une empreinte indélébile dans l'univers des X-Men avec X-Statix. Il a également écrit de nombreuses histoires pour Vertigo et d'autres éditeurs, comme The Best of Milligan & McCarthy, Shade the Changing Man ou Greek Street. Lorsque Enigma est publié pour la première fois, de nombreux critiques crient au génie, et certains lecteurs crient au brouet abscons. Contrairement à ce que peut laisser croire le résumé, ce récit n'est pas une histoire de superhéros. Pour commencer Duncan Fegredo réalise des dessins sans rapport avec l'esthétique superhéros des comics Marvel ou DC. L'encrage est lourd, les visages sont couturés de traits qui viennent les obscurcir. Les traits délimitant les contours donnent parfois une impression d'imprécision ; ils ne se rejoignent pas toujours bien, se croisant ou se chevauchant, sans bien fermer le contour, manquant de netteté. Cette première impression parfois désagréable est renforcée sur quelques pages par une mise en couleurs trop sombre que la reprographie ne parvient à restituer (il faut alors approcher la page d'une source de lumière vive pour essayer de distinguer des formes). D'un autre côté, Fegredo crée des visuels très personnels, comprenant un niveau suffisant de détails, avec des individus dotés d'une forte personnalité, sans être caricaturaux. Chaque lieu est spécifique grâce à un ou deux détails bien choisis. Les dessins rendent compte des nuances du scénario quelles que soient les bizarreries prévues. Fegredo est aussi à l'aise pour représenter des meurtres ignominieux (les exécutions perpétrées par la Ligue des Intérieurs), des corps déformés de l'intérieur au point d'en devenir monstrueux, un apiculteur enfumant une ruche, un individu soliloquant au milieu de lézards, une boîte gay, un couple homosexuel tendrement enlacé après l'amour, etc. S'il faut un temps d'adaptation pour que le lecteur se fasse à l'esthétique particulière des images, leur capacité d'évocation s'adapte à toutes les situations improbables et saugrenues imaginées par le scénariste. Effectivement Peter Milligan est déchaîné et refuse de s'imposer des limites ou des tabous. Avec un peu de recul, il a imaginé une intrigue en bonne et due forme, articulée autour de plusieurs mystères. Qui est Enigma (son identité secrète) et d'où vient-il ? Quel lien le rattache aux 3 numéros du comics des années 1970 ? Qui sont ces individus dotés de superpouvoirs qui commettent des crimes odieux ? Pourquoi des lézards ? Quel rapport avec le meurtre évoqué dans l'introduction ? En quoi la sexualité de Michael Smith est-elle si importante ? Milligan fournit une explication cohérente à toutes ces questions et bien d'autres encore, dans un récit à la logique interne solide. Rapidement, le lecteur constate aussi que le récit n'est pas à prendre qu'au premier degré. Il est évident que ces lézards sont le symbole de quelque chose. L'un des supercriminels s'appelle La Vérité et énonce des vérités cachées à ses victimes. Enigma (le superhéros) est la copie conforme d'un superhéros obscur ayant existé le temps de trois épisodes, et Michael Smith rencontre Titus Bird, l'auteur dudit comics. Ce dernier personnage introduit une mise en abyme efficace, puisqu'il commente ses qualités de scénariste sur les épisodes d'Enigma, introduisant un parallèle avec les propres qualités du comics Enigma de Peter Milligan (et donc par le biais de Titus Bird, Milligan commente ses propres qualités, c'est plus clair en lisant le comics). Milligan ne se limite pas à un exercice de style (la mise en abyme), ses personnages prononcent des jugements et des critiques sur leur propre vie. L'auteur place dans l'esprit de ses personnages (des petites cellules de texte) des propos sur la manière de tromper leur ennui (réciter le dictionnaire à l'envers), sur leur rapport au père ou à la mère, sur leur vie bien rangée, sur leur responsabilité par rapport à leurs écrits (les meurtres commis au nom des épisodes d'Enigma écrits par Titus Bird), etc. Il y a une composante existentialiste dans ce comics. Dans certaines séquences, le lecteur ne peut pas s'empêcher de se faire la réflexion que Milligan est peut-être un peu trop malin. Pour commencer, il n'hésite pas à se lancer des fleurs par le biais des observations de Titus Bird qui observe à quel point il était en avance sur son temps et particulièrement pertinent (= l'auteur d'Enigma est quelqu'un d'éclairé et de perspicace, l'auteur d'Enigma c'est également Milligan, la mise en abyme vous vous souvenez ?). Milligan continue à faire le malin avec les cellules de texte de la première page de l'épisode 5, où le narrateur indique qu'il est un personnage du récit que le lecteur verra apparaitre à la fin du récit. Le clin d'œil est assez appuyé. Il l'est plus encore quand ce narrateur finit par apparaître dans l'intrigue comme un individu à l'élocution nettement supérieure à celles de ces pairs, donc plus intelligent que ceux qui l'entourent. Milligan étant aussi un narrateur cette observation s'applique également à lui, plus intelligent que la majeure partie de ses interlocuteurs, c’est-à-dire ses lecteurs (qui bien sûr n'ont pas de raison de se sentir insultés par de tels propos, de toute façon ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre). Le lecteur ressort de ce récit essoré. Le nombre de thèmes abordés de manière intelligente et personnelle par Peter Milligan est épatant. Le ton qu'il emploie oscille entre la narration inspirée et éblouissante, et une forme de cynisme mêlé de suffisance dans lequel l'autodérision n'est pas assez présente. Les dessins de Duncan Fegredo demandent un temps d'adaptation au lecteur, pour révéler leur pertinence, et leur intelligence graphique. Soit le lecteur est épuisé par ce récit qui semble partir dans trop de directions sans vraiment aboutir quelque part, avec une conclusion qui semble absoudre Enigma de tous les crimes qu'il a commis ou dont il est responsable, 3 étoiles (même si cette histoire complète est moins éreintante que la série Shade the changing man). Soit le lecteur accepte ce voyage en apparence chaotique, reflétant la vision de la vie de son créateur, 5 étoiles pour des fulgurances existentielles et une intrigue refusant le conformisme et reposant sur une structure rigoureuse.
Les Évaporés
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai dévoré cette agréable série. J'ai immédiatement été saisi par le graphisme hachuré en N&B de Isao Moutte. La scène d'intro colle parfaitement avec le spleen de l'état d'esprit du personnage central du récit. Le texte est superflu et l'auteur nous guide sur une piste assez intimiste et sociale qui va s'enrichir très vite. Je n'ai pas lu le roman source et donc je ne pourrais pas critiquer son adaptation comme l'a fait Mac Arthur. Je garde de ma lecture la grande fluidité de la narration, la construction astucieuse de la rencontre de Kaze et du jeune garçon. Cela donne une belle crédibilité au rebondissement qui envoie les deux personnages vers les zones dévastées du Tsunami et de la catastrophe nucléaire. Ces parcours permettent d'introduire la thématique peu visitée du Japon des déclassés et des marginaux. Autour de ce thème Moutte peint une image sans concession de l'imbrication entre une pègre sans état d'âme, un patronat peu scrupuleux et un monde politique pressé de faire oublier ses responsabilités dans la (non) prévoyance des catastrophes survenues. Une peinture iconoclaste et peu courante dans l'univers de la BD qui a tendance à idéaliser ce qui touche au Japon. Le final peut décevoir par son côté happy end optimiste qui abandonne l'idée de vengeance (mais aussi de justice) pour celle d'avenir et de reconstruction. Perso j'ai bien aimé cette fin ouverte optimiste qui privilégie le renouveau positif. Comme je l'ai déjà écrit le graphisme élégant, fin et souple de Moutte m'a bien séduit. J'ai particulièrement aimé les planches de pleine pages illustrant les villes (Tokyo ,Lyon, Matsuyama) debout ou de la région ravagée. C'est très détaillé avec de très beaux panoramas. Une lecture très agréable, intelligente et dépaysante. Une belle réussite.
Barlovento - Face au vent
Partons à l'abordage de cette BD, de ses récits épiques et fantastiques. Un grand bravo à Warum pour le travail éditorial réalisé. Et que dire de cette magnifique couverture intrigante au bel effet brillant. Un album qui se trouvait dans ma liste d'achat depuis 2019. Je ne suis pas un grand amateur d'histoires de pirates. Mais là... Une BD avec pour personnage principal, Ulysse Lean, un jeune homme de l'aristocratie anglaise, il va découvrir que son défunt père n'était autre que le plus célèbre des pirates, le fameux Mille Orages. Un album qui revisite des grands mythes et des légendes de la littérature à travers ces douze chapitres de quatorze pages chacun. En effet, Édouardo Mazzitelli y incorpore une belle dose de fantastique. Notre jeune Ulysse va se retrouver capitaine du vaisseau fantôme de son père. Il va parcourir les océans et être confronté à d'innombrables monstres marins, des fantômes, aux sirènes et à bien d'autres créatures. Des histoires très agréables à lire avec, le plus souvent, une petite morale bien trouvée. L'humour n'est pas absent : "Évidemment que tu es mon fils, maudit têtard d'égout !". J'ai pris beaucoup de plaisir à suivre l'évolution d'Ulysse au fil de ses aventures, il va passer d'un jeune dandy insouciant en un marin confirmé. Enrique Alcatena a réalisé un boulot monstrueux, les planches sont agencées avec intelligence et elles mettent en relief un dessin d'une élégance rare et d'une précision chirurgicale. Un noir et blanc au trait fin, délicat et très expressif qui rend ce dessin si réaliste, si envoûtant. Très, très beau. Et pour te faire ta propre idée, tu peux lire le second chapitre dans la galerie. Alors moussaillon, tu es prêt à lever l'ancre pour un formidable voyage ? Coup de cœur.
Ça va pas durer longtemps mais ça va faire très mal
Je vais leur prouver que le Conciliant est plus fort que le Coercitif. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, sous la forme d’un roman-photo. Sa parution initiale date de 2017. Il a été réalisé par Grégory Jarry, avec un montage et un lettrage de Lucie Castel, également maquilleuse et créatrice de la Sargasse. Il compte quatre-vingt-quinze pages de roman-photo. Il met en scène vingt-quatre acteurs différents qui incarnent autant de personnages. À l’arrière d’une maison, dans une cour encombrée, trois hommes sont assis autour d’une table avec une nappe. Ils portent un bas sur la tête pour masquer leur identité. Sur la table sont posés un boîtier avec un gros bouton rouge et un téléphone portable. Ils se filment et diffusent la vidéo sur internet. Leur message : Mesdames et messieurs, ceci est une déclaration de guerre. On préfère vous prévenir tout de suite : on va tout faire péter. Ce bouton rouge est relié à internet via ce téléphone. Si Sammy appuie dessus, tous les gens devant un ordinateur seront électrocutés. Un tsunami électronique qui fera des millions de morts. Ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. Nos revendications sont simples : on veut le pouvoir mondial. Attention, pas la peine de nous amadouer en nous proposant le pouvoir en France ou en Europe, on n’en veut pas. Nous, on veut le monde entier, ou rien du tout. Demain, tous les dirigeants de la planète doivent quitter le pouvoir. Nous voulons leurs lettres de démission postées sur Facebook avant minuit. Et pas de coup fourré, sinon Sammy appuie sur le bouton. Le message des terroristes est diffusé par les télévisions du monde entier : les journalistes évoquent la plausibilité réelle d’une telle menace, ainsi que les réactions évasives des chefs d’état. La palme revenant au président de la République française : Mathias Moltz déclarant que Minuit c’est minuit et que là il est midi tout est permis. Spot publicitaire montrant une femme accoudée à un arbre en train de parler, entrecoupé d’images de violences urbaines. La bande-son déroule le commentaire : Au fin fond de la campagne, à des années et des années-lumière des centres de pouvoir, veille celle que le gouvernement français appelle quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes. Quand il ne reste plus aucun espoir. La médiatrice. Dans un grand jardin bien entretenu, Marianne se présente dans un autre spot. Après avoir salué les téléspectateurs, elle indique qu’elle s’appelle Marianne la Médiatrice de la République. République, c’est abstrait comme concept, en réalité, la République, c’est le peuple, autant dire qu’elle est la Médiatrice du peuple. La Médiatrice est une institution créée par François Mitterrand en 1983 lors du tournant de la rigueur. Le président mettait un coup de barre à droite, alors pour se faire pardonner il a créé un pouvoir inédit dans la démocratie, quelque chose auquel même les Grecs n’avaient pas pensé. À l’Exécutif, au Législatif et au Judiciaire, il ajouta un pouvoir totalement indépendant : le Conciliant. Pouvoir confié à Christine, première Médiatrice de l’époque. Les éditions FLBLB ont été créées en 2002, par Grégory Jarry et Thomas Dupuis, et elles publient régulièrement des romans-photos, de vrais récits de fiction ou biographiques dans ce mode d’expression tombé en désuétude dans les années 1970. Il s’agit ici d’un récit d’anticipation mettant en scène deux pouvoirs au sein de la République, en plus de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, inventés pour l’occasion : le Conciliant (fonction assurée par Marianne) et le Coercitif (fonction assurée par Luc). L’histoire débute avec cette menace terroriste trouvant sa source dans un jardin laissé à l’abandon dans un pavillon à la campagne, et se poursuit effectivement avec un accident dans une centrale nucléaire, comme en atteste le champignon atomique sur la couverture. Le lecteur fait bien l’expérience de ces deux parties distinctes, la mission concernant les terroristes arrivant à son terme en page quarante. Ce récit se classe dans le genre Anticipation avec la menace terroriste sur la base d’une technologie légèrement en avance sur son temps, et l’existence de deux pouvoirs fictifs. Il se déroule jusqu’à une conclusion en bonne et due forme, constituant une histoire complète, avec ses lieux variés et ses différents personnages. En entamant un roman-photo, même s’il n’a pas l’a priori issu des productions Nous Deux, le lecteur sait pertinemment que la probabilité est faible que les auteurs aient disposé de beaucoup de moyens en termes d’acteurs, de localisations, voire d’effets spéciaux. En conséquence de quoi, son horizon d’attente intègre ces contraintes. Dans cet ouvrage, il retrouve une disposition des photographies en bande, reprenant ainsi cet aspect du mode narratif de la bande dessinée, sans bordure de case. L’auteur utilise des cases rectangulaires. Il met à profit les possibilités de composition d’une page : une photographie en pleine page pour l’ouverture, quatre cases de la même taille pour la page suivante en deux bandes de deux, une construction très régulière pour les spots télévisuelles (quatre bandes de deux cases de mêmes dimensions pour les informations, et pareil pour la présentation de la Médiatrice. Par la suite, il adapte son découpage à la nature de la séquence. L’artiste peut choisir une photographie qui occupe les deux tiers de la page pour une présentation d’un personnage ou d’un lieu. Il peut consacrer une bande de trois cases à une unique action, comme une forme de prise de photographies en rafale. Il utilise régulièrement des photographies de la largeur de la page pour un effet panoramique, soit lorsqu’il y a de nombreux personnages, soit pour une action étalée dans la distance (le passage d’un avion dans le ciel par exemple). À une demi-douzaine de reprises, il découpe une case en biseau pour montrer la rapidité d’un mouvement ou la confrontation conflictuelle entre les personnages. Le lecteur observe des personnages avec un jeu d’acteur dans un registre naturaliste, sans cet effet forcé qui peut rendre un roman-photo ridicule. Les dialogues occupent une part significative de la pagination, rendus plus vivant par les mouvements et les occupations des personnages à ce moment, sans impression d’une succession de gros plans sur les visages pour des raisons d’économie de moyen. Le réalisateur offre une grande diversité de lieux : la cour occupée par les terroristes, le grand jardin de la Médiatrice, son salon, le parc présidentiel, un magasin de reprographie, le salon de la mère du président de la République, les plateaux des différents journaux télévisés, une tour aéroréfrigérante d’une centrale nucléaire, une ferme de crocodiles, un pavillon où se sont réfugiés des immigrés clandestins, un cimetière, un bois, une forêt, un court de tennis, etc. Le lecteur suit la Médiatrice dans ses pérégrinations successives, éprouvant la même sensation que dans une bande dessinée où l’artiste n’est pas contraint par son budget. L’auteur fait preuve d’une facétie certaine : il commence par présenter la Médiatrice qui indique que les médiatrices n’ont jamais eu tellement de moyens. Quand une crise éclate dans la société, son rôle, c’est de mettre tout le monde d’accord, sans qu’aucune partie ne soit lésée. Sans arme à feu, sans GIGN, sans rien. Ça passe par le dialogue, l’écoute, et surtout la gentillesse. Le pouvoir conciliant, sa valeur est avant tout symbolique, mais c’est un symbole fort et respecté. Par comparaison, le Nettoyeur indique que les nettoyeurs ont toujours eu des moyens colossaux, pris dans les fonds secrets de la République. Ils ont tutoyé personnellement les présidents russes et américains en pleine guerre froide. Quand une crise éclate, qui menace les intérêts de la France, leur rôle c’est de mettre tout le monde d’accord. Tous les moyens sont bons, même les moins avouables. Ça s’appelle la Raison d’État, lui il appelle ça la raison du plus fort. Mais voilà, Luc le nettoyeur traverse une crise existentielle qui le prive de la capacité d’agir. C’est donc le pouvoir de la conciliation qui est à l’œuvre (même si ça n’empêche pas Marianne de décocher deux bourre-pifs bien sentis), un mode d’action assez inusité dans les récits d’action. Pour autant, Marianne mène à bien sa première mission de neutraliser les terroristes. Elle tient tête à plusieurs reprises au président de la République française jusqu’à lui faire changer d’avis par le pouvoir du dialogue et de la conviction. Elle fait preuve de courage et du sens du devoir, intimement motivée par le bien commun. Le lecteur peut être dubitatif s’il entretient des a priori sur le roman-photo en tant que mode d’expression. L’auteur fait la preuve que ce média peut raconter tout type d’histoire aussi bien que d’autres, utilisant les photographies en les disposant selon les modalités narratives de la bande dessinée. Le lecteur découvre la fonction de la Médiatrice et la suit dans une mission contre des terroristes, puis pour convaincre le président de la République française de faire le bon choix, avec une conviction inébranlable dans le service, dans le pouvoir supérieur de la conciliation sur la coercition. Un récit d’anticipation plus subversif qu’il n’y paraît.
L'Héritage fossile
C'est avec ce nouvel album que je découvre le travail de Philippe Valette (oui, shame on me, je n'ai pas lu Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle, mais promis je vais me rattraper ! ). Déjà, on appréciera le travail de maquette réalisé, c'est un très bel objet qui nous est proposé. Format simili carré, titre en relief, et très belle couverture intrigante qui ne demande qu'à ce que nous engagions notre lecture. Le récit s'ouvre sur un duo composé d'une jeune fille et d'un vieil homme couvert de cicatrices qui avancent péniblement dans ce qui ressemble à un désert en pleine tempête de sable. Flashback... Nous voilà au milieu d'une équipe d'astronautes ; leur vaisseau est en mission pour réaliser la première colonisation d'une exoplanète. Petit détail, le voyage est prévu sur une durée de... 20 000 ans !!! C'est donc au fil des recherches de notre jeune Nova et de son père Reiz pour retrouver les modules de leur vaisseau éparpillé sur cette exoplanète que nous allons découvrir les péripéties de ce voyage improbable et qui ne s'est forcément pas se passer comme prévu. On se fait rapidement happer par le récit et les réflexions et questionnement fourmillent au fil de cette épopée. Philippe Valette a indéniablement le sens du récit et de la narration ! Si le lecteur de SF que je suis y a retrouvé des thèmes et réflexions "classiques" du genre, c'est fait de façon complètement maitrisée et efficace. Côté graphisme, il mélange habillement un dessin minimaliste et 3D pour ses décors. La colorisation surprend un peu au début, mais je m'y suis fait et j'ai même fini par la trouver agréable ; elle donne à cet album un petit côté "animé" qui n'est pas déplaisant (on sent que l'auteur a travaillé dans l'animation). Bref, un très bon récit de SF servi dans un très bel écrin !
Au-Dedans.
C'est en voyant que "Au-dedans." venait de recevoir le Prix Comics ACBD 2024 que j'ai réalisé que je n'avais pas laissé d'avis sur cet album. Et quel album ! Surprenant de bout en bout ! En attaquant ma lecture, j'ai commencé par me dire que cet OVNI de quelques 300 pages n'allait pas m'emballer plus que ça. Un trait sobre, des pages très aérées, une histoire personnelle sur la difficulté à s'intégrer, et surtout à communiquer en société ou comment exprimer sincèrement ses émotions... Bon, pourquoi pas, mais ça m'emballait pas plus que ça... Et c'est là toute la magie de cet album et du talent de Will McPhail. C'est cette fausse légèreté, ce minimalisme qui va a l'essentiel, tant dans la composition des planches que de son trait qui donne cette expressivité et cette justesse à cette réflexion. J'ai adoré l'expressivité qu'il arrive à faire passer sur le visage de son personnage (Nick) en un rien de traits ; j'ai adoré ces explosions de couleurs qui au détour d'une page vous éclaboussent et vous font partager le ressenti de Nick ; en fait, oui j'ai adoré cet album ! Une magnifique découverte d'un travail tout en finesse qui prend et donne sens au fil des pages. Bravo ! Un Prix ACBD largement mérité !
Jours de sable
Il n'est pas évident pour nous d'imaginer ce que pouvait être la vie au début du XXème siècle. Il est encore moins possible d'imaginer que la population américaine pouvait être à ce point en difficulté dans l'entre 2 guerres. Et pourtant c'est bien dans ce cadre, historiquement vrai que ce déroule la fiction d'Aimée De Jongh. "Jours de sable" nous conte l'histoire d'un jeune photographe envoyé au cœur des Etats Unis qui sont touchés par des tempêtes de sables et des sécheresses à répétition. Complétement ignorant de ces choses, je ne peux que louer le travail d'enquête réalisé par l'auteure pour arriver à caler sa fiction dans un contexte réel. La petite documentation en fin d'ouvrage me laisse à penser qu'elle y est arrivée de manière optimale. Le dessin est très plaisant à regarder et j'ai trouvé le choix des couleurs parfaitement adapté. Il n'y a aucune fausse note à ce niveau là. Pour ma part je serai un peu plus indulgent que Gruizzli sur le personnage de John. Son histoire combinée à sa mission et tout ce qu'il en a appris ne m'ont pas choqué. Comme si le Dust Bowl avait balayé ses illusions et enterré ses démons pour lui faire prendre conscience du réel sens de la vie. Sur moi ce point a parfaitement fonctionné. Ce qui a moins fonctionné c'est la fin dont j'ai trouvé l'arrivée très brutale, comme si il avait fallu conclure très rapidement car on manquait de pages. J'aurai préféré un développement un peu plus long de cette partie de l'histoire. "Jours de sable" est un belle BD à offrir et à l'aube d'un changement climatique majeur un bon rappel que nous ne sommes que des grains de poussières face aux forces de la nature. Il conviendrait donc de la respecter un peu plus si nous espérons continuer à pouvoir vivre.