À sens unique
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle de suite. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par Mark Russell, dessinés et encrés par Steve Pugh, avec une mise en couleurs réalisée par Chris Chuckry. Il commence avec une introduction d'une page de Brian Michael Bendis expliquant que cette histoire a la propriété de prédire un futur proche qui va advenir exactement à l'identique. Elle est suivie par une autre introduction d'un page de Russell, qui explicite son propos sur l'alternative à ce qu'il décrit. Les couvertures ont été réalisés par Pugh et le tome comprend également les couvertures alternatives de Pia Guerra et de Darick Robertson.
Sur la chaîne télé Caviar, le milliardaire Rick Canto, PDG de Aggrocorp Foods, présente l'île pour milliardaires appelée Freedom Unlimited, une île artificielle naviguant dans les eaux internationales, n'accueillant que des milliardaires, et le personnel nécessaire pour assurer tous les services attendus. C'est également un refuge pour milliardaire pour fuir l'agressivité du commun des mortels qui estime qu'ils sont responsables de tous les maux de la Terre. Mais l'accès est contrôlé avec un détecteur de fortune qui affiche la réalité du compte en banque à l''entrée. L'île est défendue et patrouillée par des drones très puissants, et sans aucun impôt. Dans sa chambre luxueuse de son appartement de Floride, Corey Spagnola a été attaché en pyjama sur son lit, par Trent Arrow qui le tient en joue. L'agresseur explique qu'il faisait partie d'une association d'aide humanitaire qui distribuait de la nourriture en Angola, des sacs de maïs dont il a appris par la suite qu'il avait été génétiquement modifié par Aggrocorp, et qu'il contenait un virus de stérilité. Sa famille l'avait accompagné et ils avaient mangé avec les réfugiés du camp angolais, la nourriture qu'ils distribuaient. Sa femme et sa fille avaient fait une crise d'allergie mortelle à ce maïs modifié, risque connu par Aggrocorp, mais passé sous silence. Arrow assassine Spagnola et s'approprie ses papiers d'identité.
Le lendemain, Shelly Bly pénètre dans le bureau de Rick Canto pour l'interviewer. Elle lui demande pour quelle raison il a souhaité racheter Agrrocorp. À la télé, les informations évoquent le décès de Corey Spagnola. Dans le grand bureau paysager, l'assistant robotique de Canto lui fait remarquer qu'il s'agit peut-être d'un assassinat. Shelly a encore une question à lui poser sur un programme d'aide alimentaire en Angola. Comme il doit partir, il lui propose de l'accompagner sur l'Île des Milliardaires. Elle accepte. Une fois sur place, il lui propose de l'attendre dans la pièce d'à côté, pendant qu'il règle un ou deux détails. Elle ouvre la porte et pénètre ans la pièce plongée dans la pénombre. La porte se referme en se verrouillant. À l'intérieur se trouvent déjà quatre prisonniers : Mike le comptable, Flynn le hipster, une jeune cadre supérieure et un jeune homme en costume-cravate. Mike identifie tout de suite Shelly comme étant une journaliste. Il explique qu'il s'est retrouvé enfermé à la suite d'un processus similaire à ce qu'il vient de lui arriver : il a découvert des irrégularités comptables qu'il a évoquées avec Canto et ce dernier lui a demandé d'attendre dans la pièce d'à côté. La jeune cadre supérieure en tailleur déclare que sa situation n'a rien de comparable car elle excellait dans toutes les épreuves professionnelles. La discussion s'interrompt car des employés font passer de la nourriture par une trappe.
C'est le deuxième récit que le scénariste réalise pour l'éditeur Ahoy Comics, après Second Coming (2019) avec Richard Pace. Cette fois-ci, sa verve est dirigée contre les milliardaires du monde entier, en fait surtout les américains. Dans l'introduction, l'auteur explique que son point de départ est le rythme alarmant de la dégradation de l'environnement, et le questionnement sur le comportement des individus les plus riches de la planète qui continuent à accumuler de manière compulsive, sans que leurs milliards ne servent à améliorer la situation. Comme à son habitude, le scénariste raconte avant tout une histoire. Une journaliste se retrouve prisonnière dans une pièce qui est littéralement une cage à hamster, mais pour humains, avec de la sciure au sol, un point de distribution de nourriture, un autre pour l'eau, et même une roue d'exercice. À partir de là, le lecteur est invité à suivre trois fils narratifs : l'évasion de Shelly Bly, la tentative d'assassinat de Rick Canto par Trent Arrow (ayant usurpé l'identité de Corey Spagnola) et Rick Canto gérant les affaires auxquelles il doit faire face. Bien évidemment, le lecteur soutient immédiatement la journaliste, mais il succombe également immédiatement au charme de Rick, Canto. Ce dernier a toujours le sourire. Il trouve une solution politiquement incorrecte à tout immédiatement. Il traite les autres au mieux comme de simples objets, au pire comme des déchets sans valeur. C'est un individu calme, toujours souriant, avec une assurance aussi extraordinaire que la manière dont il maîtrise toutes les situations.
C'est également un vrai plaisir de retrouver Steve Pugh. Tout commence avec cette couverture qui ressemble fort à un hommage aux œuvres de Banksy, dans sa sensibilité anticapitaliste. La couverture de l'épisode 2 utilise des silhouettes icônes pour un commentaire sur la valeur d'un être humain, en dollars bien sûr. Les 4 autres sont des peintures plus classiques, avec un humour tout aussi décapant. L'artiste représente les lieux et les individus en les détourant d'un trait encré fin et précis, pour une apparence réaliste et consistante. Bien évidemment, l'île aux milliardaires est un personnage à part entière et l'horizon d'attente du lecteur comprend le fait de pouvoir l'admirer. le dessinateur lui en donne pour son argent et comble son horizon d'attente : un dessin en pleine page lors de l'arrivée de Trent Arrow et Ty Leavenworth en drone géant, la zone d'extension de l'île, la demeure luxueuse de Rick Canto avec sa piscine privée et sa zone d'atterrissage pour drone, sans oublier la cage à hamster avec sa roue. Les auteurs surprennent régulièrement le lecteur, par exemple avec cette séquence se déroulant littéralement sur fond vert.
Les personnages sortent également de l'ordinaire, une partie tout du moins. Shelly Bly est une jeune femme bien faite de sa personne et pleine de vitalité, sans que l'artiste n'ait recours à un jeu d'actrice dans le registre de la séduction. Trent Arrow est un homme avec une silhouette parfaite, sans musculature extraordinaire, un héros d'action assez générique. En revanche, les individus inféodés au système capitalisme, quel que soit leur niveau, valent le détour. Outre le sémillant, presque pétulant Rick Canto, le lecteur tombe également sous le charme de la jeune cadre supérieure dans un tailleur impeccable, avec un visage et silhouette avenante (là encore sans la ravaler à l'état d'objet), sous le charme différent du hipster avec sa belle barbe et sa chemise à carreaux (sans oublier les bretelles), le créateur d'applis et son stetson démesuré, les quatre autres propriétaires de Freedom Island, sans oublier son PDG très particulier. Les dessins insufflent de la vie dans chacun de ces personnages, font apparaître leur personnalité et leur caractère, en phase parfaite avec le scénario et intègre les éléments comiques avec élégance. En effet, cette histoire appartient au registre de la satire mordante, sur le plan socio-économique, comme la précédente collaboration entre ces deux auteurs : The Flintstones (2016/2017).
Mark Russel & Steve Pugh raconte une solide histoire, et brossent le portrait d'un capitalisme entretenu par des esclaves consentants. Les milliardaires ont soit bâti leur fortune sur le travail des masses laborieuses, soit en ont tout simplement hérité et la font fructifier. Leur objectif est d'amasser toujours plus de richesse : un processus qui s'auto-alimente, sans rien donner en retour. Mais quand même les emplois générés ? le lecteur voit bien les employés au service de leurs patrons capricieux, s'impliquant de leur mieux en espérant ainsi décrocher un (petit) bonus. Les auteurs se montrent particulièrement convaincants en montrant des individus (les quatre prisonniers) totalement consentants dans cette forme d'esclavage : ils ne reçoivent que des miettes, ils sont prêts à consacrer toute leur vie pour en recevoir un peu plus (grimper dans les échelons en perpétuant le même système de domination), incapables d'envisager une vie qui ne soit pas ainsi asservie au profit, à la production et à la consommation de richesse. Il y a en a aussi pour les PDG dont finalement le flair pour les affaires repose sur un chien. Tout du long de ces 6 épisodes, les auteurs intègrent des petites piques pénétrantes, aussi bien pour la qualité de l'observation que pour appuyer là où ça fait mal : les prisonniers excités parce qu'ils reçoivent des billets de banque (dont ils ne peuvent rien faire, une sorte de réflexe pavlovien), la mention de Bill Cosby (hypocrite d'un niveau extraordinaire), l'angoisse de l'effondrement d'un système pourtant si inhumain, la forme d'avarice de ces milliardaires, le président des États-Unis, totalement inféodé aux intérêts privés. Au fur et à mesure, le lecteur relève d'autres détails révélateurs. Dans la résistance à la torture de Trent Arrow, il peut voir une métaphore de la résistance du peuple. Il peut aussi reconnaître plusieurs personnalités caricaturées à commencer par Kid Rock (Robert James Ritchie) dans le rôle du président des États-Unis, ou Steven Seagle dans un des propriétaires de l'île.
Mark Russell & Steve Pugh sont en pleine forme pour une satire très réussie sur le thème de l'effondrement vu par le prisme de la rapacité des milliardaires. L'artiste donne à voir des lieux aussi plausibles qu'originaux, et des personnages attachants, malgré leurs défauts, leur aveuglement. le scénariste met en scène un aspect du capitalisme ne s'attachant pas à l'obscénité de l'existence de milliardaires, mais au capitalisme, l'accroissement de richesse personnelle étant devenu une fin en soi, plutôt qu'un moyen.
Elle comprend que tous les hommes, d'une manière ou d'une autre, sont toujours prêts à payer.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, dont la première édition date de 2020. le scénario a été écrit par Frank le Gall, les dessins et les couleurs réalisés par Damien Cuvillier. Elle comporte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec un texte de trois pages, rédigé par le Gall, et illustré par ses travaux graphiques préparatoires.
Un homme effectue une déposition ou un témoignage : Joseph Barnett, porteur au marché aux poissons de Billingsgate. À ce qu'elle lui a dit, elle était née à Limerick en 63. Et puis sa famille a émigré au pays de Galles, elle lui a dit. Elle disait que, là-bas, elle avait été mariée à un certain Davies. Il travaillait à la mine, et puis ça n'a pas duré. Il n'y a rien qui durait, avec elle. Il évoque sa compagne Mary Jane. En 1882, celle-ci sort de sa petite ferme en courant, en tenant un mouchoir rouge à la main. Elle traverse son petit jardin puis un champ, en passant par la barrière. Au loin, s'élève une colonne de fumée noire. Elle passe le portillon, le mouchoir s'accroche au montant, elle le laisse et continue de courir. Elle arrive près du puits de la mine : c'est de là que provient la fumée. Les autres femmes accourent également, alors que les hommes s'affairent à remonter les blessés et les morts, du puits. Ils sont en train de sortir un cheval aux yeux bandés, par le monte-charge à poulie. Un homme en tenue de mineur, le visage noir, arrête Mary Jane : c'est inutile, Davies est mort. Elle entraperçoit les corps étendus sur le sol un peu plus loin.
Les autres femmes plus âgées, se demandent ce que va devenir Mary Jane en étant veuve à dix-neuf ans. Elle sait qu'elle doit fuir. le lendemain, Miss Gruff du bureau de bienfaisance toque à sa porte, accompagnée d'un solide gaillard et d'un policier. Elle vient pour l'emmener à L'union Workhouse. Ils ouvrent la porte de la chaumière : Mary Jane est déjà partie. Elle a emporté ses maigres affaires dans une simple valise. Elle voyage à pied sur des chemins de terre, se protégeant comme elle peut de la pluie, du froid, dormant sous les ponts, emmitouflée dans un châle. La nuit, le même cauchemar revient : une terrible explosion d'une clarté aveuglante, et son mari qui hurle son prénom. Elle se réveille en sursaut, puis se rendort tant bien que mal. le lendemain, elle poursuit son chemin, s'arrête au bord d'un petit cours d'eau pour faire une toilette sommaire. Sa valise tombe dans la rivière qui l'emporte, sans qu'elle ne puisse la récupérer. Elle continue à marcher à travers bois, jusqu'à arriver dans une grande prairie vallonnée. Elle entend des cris : Pillards ! Assassins ! Bande de voleurs ! Gibiers de potence ! On vous retrouvera et on vous pendra tous ! Des paysans hurlent en contrebas, alors qu'une troupe de romanis passent rapidement devant elle. Black John la saisit par l'épaule et lui intime de venir avec eux. Elle reprend la route avec eux. Plus tard, les enfants étant fatigués, ils font une halte. Elle demande à Black John si ce sont des romanis.
La date, l'image de couverture, le texte de quatrième de couverture donnent des indications quant au fait que cette Mary Jane est passé à la postérité de bien sinistre manière. C'est l'histoire d'une tragédie annoncée. Quoi qu'il en soit, cette tragédie atroce n'occupe que les dix dernières pages de la bande dessinée, le reste étant consacré à la vie de cette femme, de sa dix-neuvième année, à sa mort à vingt-quatre ans. le scénariste n'est pas le premier à s'intéresser à sa vie, Patricia Cornwell, autrice d'un livre sur le sujet, l'a également évoquée avec un point de vue très marqué. le scénariste a choisi cette femme emblématique pour développer sa vie avant son meurtre immonde, la vie d'une jeune veuve de la campagne, montant à Londres dans l'espoir de trouver un travail, une source de revenus, de quoi vivre. Parmi les personnes témoignant, assis, cadrés en plan taille, face au lecteur, un jeune homme pose deux questions : Si tout le monde, si toute la société vous considérait comme un coupable, est-ce que vous ne seriez pas prêt à tuer ? Et si cette même société vous considérait comme une victime, ne seriez-vous pas déjà morte ? Cet ouvrage évoque donc la condition féminine dans la décennie 1880 au Royaume Uni. La vie de Mary Jane est racontée de telle manière, que le lecteur n'y voit pas un destin tout tracé vers une boucherie fatale, mais bien le parcours de vie d'une jeune femme comme il y a dû y en avoir de nombreuses autres.
La première page peut décontenancer avec le témoignage de Joseph Barnett sur fond noir, fixant l'année de naissance de Mary Jane, ainsi que sa région d'origine, et portant un jugement de valeur que le lecteur perçoit comme étant négatif : il n'y avait rien qui durait avec elle. le dispositif visuel d'un cadrage en plan taille sur fond noir évoque une déposition, mais sans qu'il ne soit précisé, ni pour Barnett, ni pour les suivants, si elle se déroule au commissariat ou au tribunal. Puis une case de la largeur de la page en occupe le bas, avec juste des bottes et un bas de jupe d'une femme courant sur l'herbe. Suivent quatre pages sans texte, si ce n'est la mention Un mouchoir rouge, montrant Mary Jane courant puis le monte-charge au-dessus de la mine. L'artiste utilise un trait encré pour détourer les formes, un noir légèrement atténué par les couleurs ce qui fait qu'il ne ressort pas comme étant le premier plan. le reste des cases est réalisé à l'aquarelle, en couleur directe. le tout forme de petits tableaux très agréables à l’œil. La fuite de Mary Jane dans la campagne fournit l'occasion de superbes paysages : les chemins de terre gorgés d'eau, la rivière paisible au bord d'un bosquet d'arbres, la grande prairie vallonnée, le tronc noir des arbres dans la nuit, le magnifique feuillage d'un arbre au milieu d'une grande prairie.
Puis en page vingt-neuf, le lecteur découvre une illustration en pleine page : un dégradé de noir plein en partie supérieure, pour se transformer en un entrelacs de noir et blanc en bas de page, comme si le noir faisait ressortir la granulosité du papier. le récit passe alors à Londres dans une lumière chiche, faisant ressortir la lumière blafarde et grisâtre, ternie dans les quartiers pauvres. le lecteur peut tourner la tête pour observer la fumée noire des cheminées, le teint maladif des enfants et des mères dans la rue, les pavés poisseux, les petits boulots, la foule anonyme dépourvue d'empathie. Page quarante-sept, un autre dessin en pleine page, la façade d'un immeuble avec une belle lumière, et une rue large et dégagée. Cette impression d'endroit à l'abri disparaît dès la page suivante, avec une chambre aux fenêtres occultées, à la pénombre inquiétante. Page cinquante-neuf, un troisième dessin en pleine page : le ciel très sombre, presque noir au-dessus de Montmartre avec une neige clairsemée, comme autant de taches venant maculer la silhouette des bâtiments. le retour à la lumière du soleil dans St. James apporte une respiration mais elle s'avère de courte durée.
Le lecteur voit que l'artiste a pris le soin de se documenter pour réaliser une reconstitution historique consistante : les échoppes, les petits métiers, les tenues vestimentaires, l'aménagement des pubs des quartiers populaires, les lumières des grandes artères commerçantes, la mine, les gourbis des quartiers miséreux de Londres. Il croque des personnages de manière réaliste et parlante quant à leur âge, leur situation sociale, leur métier plus ou moins légal. Il conçoit des plans de prise de vue qui donnent à voir les décors et les occupations des personnages pendant les scènes de dialogue, avec des postures parlantes quant à leur état d'esprit du moment, par exemple la détresse de Mary Jane qui ne sait pas à qui s'adresser à Londres qui ne comprend pas que Peter White est en train de la manipuler. Il parvient à ne pas en faire un objet du désir. Lorsqu'elle se réveille nue dans la maison de passe, le lecteur la voit comme une victime avec qui il a déjà développé un lien affectif, d'autant plus vulnérable qu'il sait ce qui va advenir. Page cinquante-quatre, il montre les passes, dans une grille de quatre cases par quatre cases. Il n'y a rien d'érotique ou pornographique : la chair est triste. le texte est laconique et terre à terre : Et jour après jour, c'est la longue suite, la suite sans fin des hommes, des employés, des gommeux, des clergymen, des commis voyageurs, des vieux qui sentent, des gras qui suent, des timides, des violents. Ils ont tous en commun d'être repoussants. Heureusement, il y a le gin.
Le scénariste a donc décidé de montrer une autre facette des crimes sordides d'un tueur en série, peut-être le premier à avoir été identifié comme tel. Il fait de Mary Jane, une jeune femme attachante, essayant de trouver une nouvelle place dans la société, après le décès de son époux dans un accident de travail. La remarque d'un témoin revient à l'esprit du lecteur : si cette même société vous considérait comme une victime, ne seriez-vous pas déjà morte ? le récit met en lumière un mode de fonctionnement systémique : une société qui exploite les faibles sans une once d'humanité. L'enchaînement des événements est inéluctable pour Mary Jane. le lecteur se demande à plusieurs reprises quelle aurait été l'alternative pour elle. L'auteur en évoque une ou deux, vraisemblablement pires, en tout cas pas meilleures, sans aucun espoir d'épanouissement personnel, dans une perspective d'exploitation tout aussi destructrice que la voie choisie par défaut par Mary Jane. Les hommes profitent de cette prostitution intégrée au fonctionnement de cette société, et Mary Jane est exploitée par une femme, une mère maquerelle, et surveillée par une autre femme, une duègne qui est rémunérée pour. La fin de sa vie est une déchéance de plus, le symbole qu'il est toujours possible de tomber plus bas. La conclusion revient à la séquence d'ouverture, montrant la vie de Mary Jane entièrement définie par sa condition d'épouse, tout en montrant que le sort de son époux participe de la même exploitation sans respect de la personne humaine.
Les auteurs racontent la vie adulte d'une jeune femme ayant perdu son mari dans un accident. Ils ont choisi une femme dont l'Histoire a retenu le nom du fait de son assassinat atroce. Pour autant, à part la conclusion, il s'agit du récit de la vie d'une jeune femme issue de la classe populaire, confrontée à une société qui réserve un sort de victime aux femmes de sa condition, quel que soit le choix de vie qu'elles puissent faire. Un récit poignant à la narration sans dramatisation excessive, et pourtant implacable.
Incroyable BD, très compliquée et à la fois très prenante. Pas trop de gorge même si il y a des passages choquants.
Pour le public je dirais à partir de 16 ans, car des scènes sont parfois dures à comprendre. L'histoire est géniale, les héroïnes aussi.
J'ai adoré les dessins qui sont magnifiques et surtout le fait de montrer la fin puis le commencement.
Bonne continuation, hâte d'être au tome 7 !
Cordialement
Mettre un terme à une ère révolue
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Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue sans connaître l'univers partagé DC, mais qui est plus savoureuse si le lecteur a une vague idée de qui sont ces personnages. Ce récit est classé dans les Elseworlds, c’est-à-dire une version alternative des personnages, différentes de la version canonique de l'univers partagé DC, ne s'inscrivant pas dans sa continuité du moment, ni dans les suivantes. La légende veut que ce soit en lisant cette histoire que Geoff Johns a développé l'envie de les écrire, ce qu'il fera dans deux séries JSA consécutives de 1999 à 2009. Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993/1994, écrits par James Robinson, dessinés et encrés par Paul Smith, avec une mise en couleurs réalisée par richard Ory. Cette édition comprend une postface très savoureuse de cinq pages, rédigée par Howard Chaykin en 1995.
Au début des années 1940, des américains braves ont donné leur vie sur des champs de bataille dans des pays éloignés. Sur le sol des États-Unis, les américains endurent l'annonce de la mort de leur fils ou de leur mari par le biais d'un télégramme redouté. Pour ceux restés dans le pays, le temps guerre était synonyme de la recherche de matériaux à recycler, des colis de nourriture, l'achat d'obligations pour l'effort de guerre. Mais d'une certaine manière, les américains restés dans leur pays vécurent à une époque d'innocence et de dieux. Il y avait de nombreux superhéros qui se battaient contre les criminels sur le sol américains, et qui s'associaient parfois au sein de l'équipe All Star Squadron. Le 6 août 1945, l'explosion de la bombe atomique met fin à une ère, annonce la fin de l'Âge d'Or. Les soldats reviennent dans leur pays, retrouvent leur femme, leur enfant, leur emploi de bureau ou à la ferme. Des parades sont organisées pour les héros tels que Americommando (Tex Thompson) un des superhéros ayant œuvré en mission secrète en Europe depuis 1942. Bob Daley prend connaissance de son retour avec les actualités projetées avant le film qu'il est venu voir. Il part avant la fin du reportage, blessé par la gloire de celui dont il fut l'assistant adolescent avant la seconde guerre mondiale.
Dans un port américain, un bateau décharge son cargo de nuit. Un passager clandestin en profite pour se faufiler sans se faire voir, et sauter à l'arrière d'un camion. 1947 : Tex Thompson (toujours en costume de superhéros) est décoré par le président des États-Unis Harry S Truman devant la Maison Blanche. Johnny Chambers met un point d'honneur à travailler sur son documentaire sur les Hommes Mystères, sans utiliser ses pouvoirs de Johnny Quick. Il en est à la dernière partie et il pose la question de savoir ce qu'il est advenu des superhéros. Il connaît la réponse, mais il ne peut pas l'inclure dans son documentaire. Jay Garrick (Flash) a pris sa retraite de superhéros, s'est marié et a fondé une famille. Carter Hall est de plus en plus persuadé qu'il est la réincarnation d'un pharaon et ne s'intéresse plus qu'à ça. Terry Sloane (Mr. Terrific) dirige sa compagnie d'aviation, lui-même a divorcé d'Elizabeth Lawrence (Liberty Belle). Les superhéros américains n'avaient pas pu aller au front en Europe, à cause d'Otto Frentz (Parsifal) capable de neutraliser leurs superpouvoirs. Du coup, une fois le conflit terminé, Tex Thompson récolte les honneurs, et les autres se retirent comprenant qu'ils ont fait leur temps. Dans son bureau de PDG d'un groupe de presse, Alan Scott s'inquiète de la montée de l'anticommunisme et des conséquences potentielles pour ses journalistes avec des attaches socialistes.
Au début des années 1990, l'éditeur DC Comics établit le principe des histoires alternatives de type Elseworlds, avec Gotham by Gaslight (Mignola & Augustyn) en 1989, puis avec Batman: Holy Terror (Brennert & Breyfogle) qui est pour la première fois estampillé du logo Elseworlds. La majeure partie des Elseworlds se présente sous la forme d'une histoire complète en 1 épisode de 48 ou 64 pages. De temps à autre, des auteurs réalisent une histoire de plus grande ampleur comme celle-ci, ou encore en 1996 Whom Gods destroy, de Chris Claremont, avec Dusty Abell & Drew Geraci. A priori, le lecteur a de quoi être fortement alléché par cette histoire : écrite par James Robinson le scénariste de la série Starman (1994-2001), dessinée par Paul Smith le dessinateur d'épisodes mémorables de la série Uncanny X-Men (épisodes 164 à 175, sauf le 171). Le lecteur s'adapte facilement au mode narratif adopté par les auteurs. James Robinson a beaucoup de choses à présenter, à raconter pour établir la situation : l'ascension politique de Tex Thompson, le rôle des superhéros pendant la seconde guerre mondiale et ce qu'ils deviennent. Le lecteur n'a pas besoin de disposer d'une connaissance encyclopédique desdits personnages pour apprécier le récit. Tout au plus s'il les a déjà vaguement vu passer dans une histoire ou une autre, cela suffit pour générer la sensation de nostalgie attendue. Pas besoin de savoir qui sont Captain Triumph, Dan the Dyna-Mite, Johnny Quick, Liberty Belle, Manhunter, Robotman, Tarantula, Atom, Green Lantern, Hourman, Starman, Johnny Thunder, Miss America et les autres. De même, les dessins dégagent également tout de suite un parfum de nostalgie, une Amérique propre sur elle des personnages élégants, des individus désenchantés, des lieux réalistes. Le coloriste réalise un très bon travail pour nourrir chaque planche, leur donner plus de consistance, même si une ou deux sont reproduites un peu trop foncées.
Au départ, l'intrigue se répartit entre la progression régulière de Tex Thompson sur la scène politique, le constat d'impuissance des superhéros de la seconde guerre mondiale, et le mystère du fuyard inconnu. L'écriture du scénariste oscille entre le naturalisme pour les dialogues, les flux de pensée un peu écrits, et des scènes d'action spectaculaires. L'artiste réalise des dessins propres sur eux, avec des traits de contour élégants, un usage très maîtrisé des aplats de noir et des traits d'encrage à l'intérieur des surfaces détourées pour leur apporter un peu de texture. Chaque page offre une lecture fluide, avec des personnages incarnés par leur expression de visage naturelle, leur gestuelle, soit dans un registre naturaliste pour les discussions, soit dans un registre plus vif lors des séquences d'action. Du coup, le lecteur perçoit facilement l'état d'esprit de chaque personnage, et éprouve de l'empathie pour ces adultes qui estiment que le temps d'être un superhéros est passé, que leurs superpouvoirs sont inutiles, qu'ils ne sont plus dans le coup : l'Amérique ne veut plus d'eux. Ils sont obsolètes, des vestiges d'un passé que tout le monde veut oublier, et impuissants à faire face à la montée d'autres dangers, comme le communisme, ou plus encore la chasse aux sorcières qui montent en puissance sur le territoire de leur pays. Ils avaient éprouvé un sentiment d'importance en combattant le crime pour le bien commun, et cela leur est retiré. La plupart d'entre eux perdent également pied dans leur vie personnelle, entre divorce, incapacité à protéger ses salariés, usage de substances psychotropes, et même santé mentale.
Dans le même temps, Tex Thompson a choisi de servir le peuple en menant une carrière politique dans la vie civile et ça lui réussit. Les dessins montrent un bel orateur, sûr de lui sans être arrogant, autoritaire comme il faut, très différent de l'inexpérimenté Daniel Dunbar, avec un dessin irrésistible quand ils sont tous les deux sur le même podium du fait contraste entre leur posture. Au fil des pages, le lecteur peut éprouver la sensation que Paul Smith dessine un peu différemment que pour la série X-Men : dans la postface, Chaykin explique que l'artiste a fait en sorte d'incorporer des maniérismes propres aux illustrateurs et dessinateurs de l'époque à laquelle se déroule le récit. Régulièrement, le lecteur marque un temps d'arrêt pour apprécier une image ou une séquence : les cases montrant l'Amérique sous un jour quasi mythologique, Thompson debout dans une voiture pendant la parade, Robotman arrêtant brutalement deux voleurs, Theodore Knight en proie aux affres de son génie scientifique, Paul Kirk assailli par des cauchemars métaphoriques avec un aigle éviscéré, Hourman subissant des visions délirantes sous l'effet de sa pilule miracle, Carter Hall complètement parti dans sa réincarnation égyptienne, etc.
Par le biais d'une narration très étudiée, tant sur le plan visuel recréant l'esprit d'une époque, que par les flux de pensées, les auteurs transportent le lecteur dans une Amérique dans laquelle les héros de la guerre sont priés de reprendre leur place dans le civil, et qui est en proie au doute de la présence d'un ennemi caché au sein même de la société. La déliquescence des superhéros d'hier correspond à la chasse aux sorcières menée par le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines (HUAC). En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que la révélation du criminel qui tire les ficelles est totalement grotesque et ramène le récit à un niveau infantile. Il est aussi possible d'envisager cette fin comme étant symbolique, comme permettant d'enterrer définitivement une période révolue, en mettant un terme aux agissements de l'ennemi emblématique de l'équipe All Star Squadron, permettant ainsi à une nouvelle ère de s'ouvrir.
Le lecteur peut éprouver des a priori quant à ce récit : une histoire de superhéros se déroulant juste après la seconde guerre mondiale, hors continuité, avec des tas de superhéros peu connus, et un dessinateur aux cases peut-être trop aérées pour une reconstitution historique. Très rapidement, il se rend compte que James Robinson sait insuffler assez de personnalité à chaque protagoniste pour que le lecteur s'y attache même s'il ne les a jamais rencontrés auparavant. Il constate également que Paul Smith a dû disposer du temps nécessaire pour peaufiner ses planches, de manière à concilier un degré de détails suffisants, avec une saveur rappelant la fin des années 1940, une grande réussite. Il prend fait et cause pour ces adultes qui ont été des superhéros, qui sont revenus à la vie civile et qui se trouvent en décalage avec l'état de leur société, éprouvant une sensation d'obsolescence. S'il considère les superhéros comme l'expression d'une caractéristique purement américaine, il ressent toute la justesse du dénouement, après un récit sensible à l'intrigue astucieuse.
Post héros
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes, initialement parus en 2020, écrits, dessinés en encrés par Sean Murphy, avec une mise en couleurs réalisée par Matt Hollingsworth. Elle fait suite à Batman - White knight (2018), réalisé par la même équipe, qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il contient également l'épisode supplémentaire Batman: White Knight Presents Von Freeze, paru en 2020, écrit par Sean Murphy, dessiné et encré par Klaus Janson, et mis en couleurs par Matt Hollingsworth.
En 1685, au manoir des Wayne, le maître de céans Edmond Wayne passe Lafayette Arkham par le fil de son épée, sous les yeux de Bakkar. Il jette son cadavre par une ouverture circulaire et celui-ci tombe au plus profond des grottes souterraines, tout en continuant de rire comme un dément, ses canines de vampire clairement apparentes. Au temps présent, le responsable de l'asile d'Arkham vient ouvrir la cellule de Joker en lui apportant ce qu'il a demandé, bien emballé dans un long sac. Il lui a également apporté les clés de son ancienne cellule. Alors qu'ils descendent les escaliers pour s'y rendre, Joker demande où se trouvent les autres détenus. Ils ont été transférés dans un autre établissement afin que la rénovation de l'asile puisse commencer. Cela fait partie du Projet Napier. Joker s'énerve en entendant ce nom, et exige que le directeur ne le prononce plus devant lui. Finalement arrivé devant son ancienne cellule, Joker prend en charge son long paquet, et poignarde le directeur à la gorge avec son stylo. Au manoir Wayne, Bruce a trouvé l'enveloppe qu'Alfred lui a laissée, et en fait la lecture. Alfred espère que Bruce ne s'isolera pas davantage et qu'il ne coupera pas la communication avec Richard et Barbara. Il ajoute qu'il lui a laissé un coffret sous une lame de parquet de sa chambre. Bruceval'y retirer et en sort un coffret ancien contenant un journal avec une couverture de cuir.
Batman répond au symbole lumineux de la chauve-souris qui apparaît sur les nuages. Il se rend à l'asile d'Arkham où il est reçu par le commissaire James Gordon. Ce dernier lui apprend l'évasion de Joker, et il évoque la réserve étrange du directeur qui ne répond pas franchement aux questions. Batman interroge à son tour le directeur en l'intimidant et le mettant face à ses contradictions. Il finit par apprendre que Joker a fait une découverte dans sa cellule. Gordon et lui s'y rendent. Ils découvrent une pièce secrète derrière un mur : le fond d'un puits. Il y a un message en lettres de sang sur un mur, trop effacé pour être déchiffrable, et un os humain qui dépasse du sol, indiquant la présence d'un cadavre enterré. Ruth Redford se fait déposer par son chauffeur, à l'entrée de l'immeuble où se trouvent ses bureaux. Elle rentre dans son bureau, une grande pièce avec vue et y découvre Joker assis dans son fauteuil en cuir, avec ses pieds sur le plateau en acajou de son bureau. La conversation s'engage. Dans la batcave, Bruce Wayne explique à Dick Grayson les raisons pour lesquelles il va révéler son identité réelle aux habitants de Gotham.
Le lecteur constate tout de suite qu'il s'agit de la continuation du tome précédent. Il retrouve cette version un peu différente de Batman (Bruce Wayne), de Richard Grayson, de Barbara Gordon du commissaire Gordon, de Joker, de Harley Quinzel, et bien d'autres personnages récurrents de l'univers de Batman. L'auteur en respecte les caractéristiques principales, et aménage quelques caractéristiques secondaires. Ainsi, Joker fut par le passé Jack Napier, Grayson travaille pour une unité spéciale de la police de Gotham sous son identité de superhéros Nightwing, et cette unité a intégré dans son parc de véhicules des Batmobiles. Il est fait référence aux événements du tome précédent, et Batman songe à révéler son identité, comme suite logique desdits événements. La quatrième de couverture permet de découvrir qu'Azrael intervient dans l'histoire, dans une version un peu différente de la continuité (ou des continuités) précédemment établie. À plusieurs reprises, l'auteur réarrange des faits, à commencer par l'histoire de la fondation de Gotham, et l'histoire de la dynastie des Wayne. Il ajoute également au mythe, avec le personnage de Bakkar, le personnage de Ruth Redford, et la mystérieuse Élite de Gotham qui reste dans l'ombre tout en exerçant une forte influence politique.
Il est possible que le lecteur revienne avant tout pour la partie graphique, plus que pour l'intrigue. Sean Murphy est toujours investi dans sa narration visuelle, avec des moments extraordinaires : Edmond Wayne aussi élégant qu'Errol Flynn (1909-1959), Ruth Redford aussi autoritaire que la version initiale d'Amanda Waller, l'épée d'Azrael flamboyante et inquiétante, le transfert des prisonniers d'Arkham avec leur combinaison orange, l'entrain contagieux de Barbara Gordon, quelques course-poursuites dans Gotham toujours aussi réussies, et de beaux affrontements physiques. Les personnages disposent tous d'une réelle prestance, et d'une réelle personnalité visuelle : Batman avec ses cuissardes et sa cape serrée, Harley Quinn et sa silhouette mince, Ruth Redford et sa forte présence physique, Edmond Wayne et son côté pirate élégant, Joker et son exubérance ainsi que son long nez (le seul à avoir conservé un appendice nasal aussi allongé). Déjà acclimaté avec le tome précédent, le lecteur apprécie pleinement la personnalité graphique de l'artiste, ce mélange de traits fins et secs, d'aplats de noir aux contours complexes, d'alternance entre des plans focalisés sur les personnages pour les scènes d'action intenses, et de décors détaillés pour les moments civils ou les séquences de dialogue. Il sait donner vie à chaque personnage, et entremêler des séquences du dix-septième siècle avec celles au temps présent, les éléments gothiques avec la technologie présentant une touche futuriste, des personnages avec une touche romantisme, et une touche de folie.
L'intrigue s'avère rapidement dense sans être trop complexe, avec l'évasion de Joker, l'histoire de la famille Wayne, l'ordre de Saint Dumas, et un secret caché depuis plusieurs siècles, susceptible de faire perdre pied à Bruce Wayne. Dans le même temps, la vie des personnages continue. Bruce Wayne tire les enseignements des événements du précédent tome, et James Gordon fait de même de son côté, chacun arrivant à sa conclusion. Harleen Quinzel doit gérer les conséquences de sa relation avec Jack Napier, ainsi que la disparition de ce dernier. Richard Grayson et Barbara Gordon entretiennent des relations un peu différentes avec l'unité spéciale de la police de Gotham. Ils doivent faire face plus ou moins unis à la fois à Joker à nouveau dans la nature, à la mystérieuse Élite représentée par Ruth Redford, et à l'arrivée d'un représentant de l'Ordre de Saint Dumas doté d'une épée, et jouant les vigilants à sa manière. Le lecteur se rend compte que cette fois-ci l'enjeu n'est plus politique, que l'intrigue prime dans la narration. Il peut en être un peu frustré car cette fameuse Élite reste très fumeuse, sans réelle consistance, désincarnée, même pas une caricature d'individus capitalistes. Outre de savoir si Batman et ses alliés pourront endiguer la montée des criminels, le véritable enjeu réside dans la capacité de Bruce Wayne à changer. Sa place en tant que Batman est remise en question. La place de sa famille dans l'histoire de Gotham est remise en question. Sa collaboration avec James Gordon est remise en question. L'héritage de Jack Napier et sa fondation ont plus d'impact bénéfique que ses actions en tant que Batman. Le lecteur peut y voir une réflexion sur ce qui fait l'identité d'un individu, ainsi qu'une réflexion sur l'intérêt de l'action d'un individu isolé pour lutter contre le crime. Ces axes sont moins superficiels que l'existence de l'Élite, mais ils ne débouchent pas sur une réflexion sur la nature de l'identité personnelle, ni de l'héroïsme individuel.
Cette suite constitue une aventure de haut vol pour la narration visuelle, la cohérence de l'univers créé, le charisme des personnages créés, avec une intrigue fournie et divertissante, et des thèmes sous-jacents intéressants, même s'ils ne sont pas développés.
Von Freeze : 45 pages, scénario de Sean Murphy, dessins et encrage de Klaus Janson, couleurs de Matt Hollingsworth. Il y a quelques années de cela, Nora fait irruption dans le laboratoire de Victor von Fries expliquant qu'elle ne peut pas accepter son offre d'emploi. Puis un laborantin vient les interrompre pour leur indiquer que Martha Wayne vient de faire un malaise dans la grande salle. Ils se précipitent pour lui venir en aide, et von Fries doit opérer.
Ce tome comprend donc un numéro hors-série pour une histoire qui trouve sa place entre les épisodes 6 et 7 de la première saison. Dans une page d'introduction, le scénariste exprime toute sa gratitude d'avoir ainsi pu travailler avec un des artistes qu'il admire et avec qui il est devenu ami. Janson effectue un excellent travail narratif pour cette histoire se déroulant en Allemagne sous le régime nazi, avec une mise en retenue, très adaptée, dans des tons gris acier. Le lecteur en apprend plus sur ce personnage, en découvrant son histoire personnelle, dans un récit qui évite le manichéisme.
Aux côtés d'un sans-abri dans un polar ensoleillé
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. L'éditeur a pris le parti de publier en même temps la version en épisode, et la version en recueil. Ce tome a été publié initialement en 2018, écrit par Joshua Dysart, dessiné et encré par Alberto Ponticelli, avec une mise en couleurs réalisée par Giulia Brusco.
La forêt est en train de brûler. À Venice Beach en Californie, il fait beau : ciel bleu, soleil brillant, la fumée de l'incendie n'est pas encore arrivée. Eddie Quinones, un sans-abri, marche tranquillement, la capuche de sa veste rabattue sur sa tête. Il entre dans la bibliothèque municipale : les toilettes en sont fermées, ce qui lui rappelle qu'il a vraiment très mal au ventre. Il salue Tom, un jeune homme en train de lire, et se rend à un des postes informatiques en libre -service. Il consulte son courriel : il a un message de son fils Jeronimo Duran qui lui indique qu'il passera à Venice dans deux semaines et qu'il aimerait bien le rencontrer. Eddie ressort en disant au revoir à Tom, et se rend chez son meilleur ami Bob qui habite dans un camping-car. Ce dernier lui propose de rentrer, et lui offre une bière. Il se plaint de son pied qui ne guérit pas, ce qui à terme pourrait l'empêcher de conduire. Puis il s'installe aux toilettes, tout en continuant à discuter avec son pote. Il l'informe que son fils va venir et qu'il souhaite le voir. Bob lui propose de lui laisser son camping-car le temps que son fils sera là, lui ira dormir chez sa copine. Eddie sort des toilettes sans avoir rien pu faire. Il esquisse quelques pas de danse en chantant, et explique qu'il pense qu'il n'arrivera plus jamais à aller à la selle. Bob a sorti sa guitare et gratte un peu pour accompagner son pote. Une fois qu'il se sont détendus en fumant une cigarette qui fait rire, ils décident d'aller faire un tour le long de la plage.
Une fois à l'extérieur, ils se promènent sur l'allée qui longe la plage. Eddie s'arrête pour saluer une sans abri, allongée par terre avec son chien Snap à ses côtés : Tessa Kerrs. Le chien grogne et montre les dents empêchant Eddie de l'approcher, et elle semble partie dans un mauvais trip. Il continue à se promener tout seul, et est interpellé par Hogan, un individu à l'allure de clochard, mais visiblement aussi un facilitateur entre les sans-abris et les aides publiques ou privées. Hogan lui donne un petit plateau repas pris sur le stand sur la promenade, et lui fait observer la présence de jeunes gens fortunés en provenance de Santa Monica, avec leurs gardes du corps. Il lui indique qu'ils sont le symptôme d'une opération de renouvellement urbain imminente. Enfin, il confie un téléphone portable à Eddie, un don du gouvernement Obama. Enfin Eddie arrive près d'un banc squatté par Friday, un autre sans-abri de ses amis. Il s'assoit à ses côtés, et Friday lui offre une bière. Ils papotent un peu, et Eddie voit passer Tessa accompagnée de son copain Jacq. Il leur adresse la parole, mais Jacq lui intime de les laisser tranquille avec des mots crus. La nuit tombe. Eddie et Friday regardent passer un troupeau de cyclistes. Eddie décide d'aller faire le tour des conteneurs à déchets pour voir ce qu'il peut récupérer : il découvre le cadavre de Tessa et de son chien dans l'un d'eux.
TKO est une maison d'édition de comics fondée en 2017 par Tze Chun et Salvatore Simeone, ayant fait appel à des créateurs réputés pour leurs premières parution comme Garth Ennis pour SARA avec Steve Epting, et Jeff Lemire pour Sentient , avec Gabriel Hernández Walta. Joshua Dysart et Alberto Ponticelli ont déjà collaboré sur une série mémorable : Soldat Inconnu (2008-2010, 25 épisodes) sur la guerre en Ouganda. Le lecteur découvre vite le type de récit du présent tome : un polar. Le personnage principal est donc un sans-abri, visiblement depuis de nombreuses années, qui vit dans une région ensoleillée des États-Unis, vivant dehors, sans domicile fixe, dormant souvent dans la rue, se nourrissant mal, ne disposant d'aucune couverture sociale, avec quelques difficultés de concentration, ne buvant que des bières, mais pas beaucoup car il n'a pas le moyen de s'en acheter. Le meurtre concerne une autre personne à la rue, une jeune fille, visiblement pas très bien dans sa tête, au point de parler à haute voix toute seule, dormant elle aussi dans la rue. Les auteurs n'utilisent pas un sans-abri juste pour avoir un point de vue original. Les caractéristiques de la vie à la rue ne disparaissent pas comme enchantement au bout d'une dizaine de pages : elles sont présentes tout du long du récit. Eddie ne devient ni un individu particulièrement costaud, ou particulièrement brillant dans ses déductions, et sa façon d'appréhender la réalité reste tout du long en décalage avec celle d'un individu intégré à la société.
Au fur et à mesure que l'enquête progresse, le lecteur découvre avec Eddie, des ramifications dans la prostitution, le mondes des affaires avec l'implication d'un promoteur immobilier, et celui des hommes de main. Au cours du chapitre 4, les auteurs consacrent une page à la création de Venice Beach et de ses canaux par Abbot Kinney (1850-1920). Là aussi, la localisation de l'affaire ne se limite pas à juste disposer d'un joli décor avec la mer et des palmiers, mais participe à l'intrigue qui n'aurait pas été la même si elle s'était déroulée dans un autre lieu. Les errances et les recherches plus ou moins conscientes du sans-abri font apparaître des caractéristiques économiques de la société dans laquelle il évolue ou qui l'entoure, faisant de ce récit un véritable polar, un révélateur et un commentaire social. La vie des différents personnages est façonnée par les forces qui modèlent la société dans ce quartier de Venice Beach. Le scénariste s'inspire des meilleurs auteurs de polar, la Californie faisant penser à un écrivain y ayant situé la plupart de ses polars : Ross McDonald (1915-1983, de son vrai nom Kenneth Millar).
D'expérience de lecteur, il n'est pas facile de raconter un polar en bande dessinée, car le mécanisme de l'enquête est beaucoup plus visible et peut vite paraître artificiel. Les auteurs évitent cet écueil d'une part parce que le personnage principal est un sans-abri, d'autre part grâce à la narration visuelle. Eddie n'est pas un enquêteur professionnel, ni même amateur : il poursuit une idée, ou un questionnement, souvent sur la base d'une logique très partiale et très partielle. L'artiste prend bien soin de montrer les personnages comme des individus plausibles et réalistes, sans les idéaliser ou leur donner une allure romantique. Les différents sans-abris arborent des expressions de visage montrant une forme de conscience de vivre en marge, avec des gestes présentant parfois une apparence différente, des postures ou des mouvements que n'auraient pas un individu intégré à la société. Ponticelli n'en rajoute pas sur la crasse, l'hygiène douteuse, ou la vie dans les détritus. Il montre de manière factuelle et dans le fil du récit des facettes de la vie de sans-abri : le bandage sale du pied de Bob, le visage jamais rasé d'Eddie et ses habits crasseux, le bazar dans le camping-car usagé de Bob, le coin de mur contre lequel Tessa se repose, les trottoirs de Skid Row envahis par les tentes des sans-abris, le décalage entre une banlieue propre et pimpante et la présence de sans-abris en train de manifester.
Dès la première page, le dessinateur investit du temps pour représenter Venice Beach, sa plage, sa promenade le long de l'océan, le type d'immeubles et de pavillons en fonction des quartiers. Il ne s'agit pas de tourisme, mais juste de représenter l’environnement dans lequel se déroule une séquence dans la rue, ou à l'intérieur d'un immeuble ou d'une maison. Il représente avec le même naturel les accessoires de la vie courante comme les téléphones portables ou les canettes de bière. De temps à autre, le lecteur remarque une suite de cases avec un cadrage de type plan poitrine ou plus rapproché, sans rien en arrière-plan. D'un autre côté, la coloriste sait mettre en place une teinte principale dans chaque scène et la décliner lorsqu'il faut habiller un fond de case. Il n'y a que dans le cinquième épisode que le dispositif narratif montre ses limites. Eddie s'est déplacé d'un endroit à l'autre pour rencontrer des individus au gré de sa fantaisie, de ce qu'il pouvait comprendre. Le lecteur découvre ces scènes du point de vue du personnage qu'il a croisé, replacées dans le contexte du moment de la vie de cet autre personnage. Le scénariste montre alors ses trucs de manière un peu artificielle, les personnages expliquant à Eddie, ou même directement au lecteur ce qu'il a fait. Pendant ces moments-là, Dysart ne parvient pas à échapper à la mécanique du roman policier avec les phases d'explication ou de révélation quant à ce qui s'est vraiment joué pendant telle ou telle scène.
Joshua Dysart & Alberto Ponticelli relèvent le défi de raconter un vrai polar : une enquête criminelle inscrite dans un milieu social particulier et qui sert de révélateur. L'histoire tient cette promesse de manière aussi ambitieuse que naturelle, avec un personnage principal inhabituel : un sans-abri montré de manière naturaliste du début jusqu'à la fin, sans exagération romantique, sans qu'il ne se transforme en personnage d'action générique en cours de route. Le lecteur se retrouve emporté à Venice Beach, à côtoyer des sans-abris désocialisés, mais gênant de plusieurs manières.
Vous avez vu combien coûte une campagne présidentielle ?
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Ce tome contient un essai complet, indépendant de tout autre. Il s’agit d’une enquête sur le financement de la politique en France, enquête réalisée par Élodie Guéguen & Sylvain Tronchet, dessinée par Erwann Terrier, et mise en couleurs par Degreff. La première publication date de 2022. L’ouvrage comporte cent quarante-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction des deux journalistes : pour conquérir le pouvoir, l’argent est le nerf de la guerre ; il est aussi, généralement, celui par qui le scandale arrive. Il se termine avec un post-scriptum écrit par les auteurs évoquant le délai de sept à huit mois pour la réalisation et la parution du rapport sur les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2022, un entretien de deux pages avec Jean-Philippe Vachia (le président de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques), et un entretien croisé avec les anciens magistrats Jean-Louis Nadal (procureur général près de la cours de cassation, puis président de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique) et Yves Charpenet (directeur des affaires criminelles des grâces du ministère de la Justice).
Lors de la campagne présidentielle de 2022, dans un salon de l’Élysée, Emmanuel Macron reçoit son équipe avec petits fours et champagne. Dans un petit groupe, un conseiller fait le point : fiscal year 16 a été une année de super croissance pour eux. Ils ont eu de très bons wins. Jamais personne dans l’histoire n’a fait un grand win sans grands efforts. Parce que la valeur travail, elle est au centre de leur équation. Mais c’est leur culture d’entreprise dont il est le plus fier. Elle est business-focus. Intense et ambitieuse. C’est une culture de fight. Ils n’ont pas peur de dire que construire une grande boîte c’est un combat. Et âmes sensibles s’abstenir. Un conseiller plus âgé s’éloigne pour aller se rafraîchir aux toilettes, tout en pestant contre ce jargon de la culture de Fight. Il retourne dans le grand salon mais cogne la porte contre le coude de Macron qu’il n’avait pas vu.
Christian Dagnat est au micro, un banquier qui lève des fonds pour le candidat. Il explique aux donateurs potentiels qu’ils peuvent donner jusqu’à 7.500€ par an, et qu’en faisant de même au nom de leur épouse, ils peuvent monter jusqu’à 15.000€. Puis c’est au tour de Macron lui-même de prendre la parole pour indiquer le montant de levée de fond qu’ils ont atteint à ce jour, et les modes de financement complémentaires à venir, y compris le fait qu’il va s’endetter personnellement à hauteur de 8 millions d’euros. Puis il remercie les participants, alors qu’un conseiller distribue des formulaires de dons. Sur un marché découvert parisien, des militants distribuent des tracts pour la campagne 2022. Sylvain arrive en trottinette et rejoint Élodie : ils ont rendez-vous avec Monsieur X, leur source. Ils l’aperçoivent en train de les attendre sur un banc. Ils lui rappellent qu’ils souhaitent échanger avec lui au sujet de leur enquête sur le financement de la vie politique française. En guise d’introduction, il répond que l’argent est essentiel à la conquête du pouvoir. Il a tout vu de l’arrière-boutique des partis sous la Ve république.
Pas facile de donner un aspect visuel à une enquête journalistique, encore moins quand il s’agit de quelque chose d’un peu abstrait comme le financement des partis politiques et des élections. Les auteurs ont pris le parti d’une forme de promenade dans Paris avec un arrêt pour prendre un café, au cours de laquelle les deux journalistes Élodie Guéguen & Silvain Tronchet se mettent en scène en train de discuter avec un monsieur en imperméable et chapeau mou, promenant son chien, qui incarne l’amalgame de plusieurs de leurs informateurs, sous les traits de Monsieur X, vraisemblablement la soixantaine, et ayant connu plusieurs décennies de fonctionnement des partis politiques, de l’intérieur. Le lecteur bénéficie ainsi d’une longue promenade au cours de laquelle il reconnaît la tour Eiffel, des sorties de station de métro, le mur d’enceinte de l’Élysée, les arcades de la rue de Rivoli, la porte d’entrée du Conseil Constitutionnel avec sa magnifique sphinge, la place Vendôme, la pyramide du Louvre, les bouquinistes des quais de la Seine, la passerelle des arts, la place du colonel Fabien, Les Deux Magots, le jardin du Luxembourg, la promenade le long des quais de la Seine à Paris, le ministère des finances, la place de la Bastille, etc., pour finir place de la République devant le monument à la République du sculpteur Léopold Morice.
Au fil de cette déambulation, les trois interlocuteurs évoquent des affaires ayant été couvertes par les médias, les déclarations des hommes et femmes politiques mis en cause, ainsi que certains de leurs collaborateurs, le dessinateur reproduisant avec fidélité leur apparence, ce qui permet de les identifier aisément. Ces séquences souvenirs emmènent le lecteur dans des endroits très variés à chaque fois bien représentés : un salon de l’Élysée, un chantier de construction, la piscine de pièces d’or de Picsou, le plateau du journal de vingt heures, la roche de Solutré, l’hémicycle de l’assemblée nationale, les bureaux des quartiers généraux de campagne des candidats, des bureaux de police pour interrogatoire, le meeting de Villepinte où se produit Nicolas Sarkozy, le parlement européen, le festival d’Avignon, le circuit des vingt-quatre du Mans, une riche propriété avec une piscine, un loft luxueux, les marches du festival de Cannes, etc. Ces images peuvent illustrer littéralement ce que dit le texte, avec éventuellement une légère redondance, comme elles peuvent aussi introduire une touche d’ironie, de sarcasme, de caricature ou de moquerie ouverte. Par exemple, François Fillon effectue un trajet en voiture du Mans à Paris : il conduit une formule 1 sur le circuit automobile, et une jeune femme se tient sur la piste avec un panneau d’avertissement pour le pilote, sur lequel est marqué Rends l’argent !
D’un côté, les auteurs ont effectué un gros travail de préparation pour que la narration visuelle apporte des éléments supplémentaires au texte de l’enquête, que ce soit une prise de recul ou une touche humoristique. D’un autre côté, la narration visuelle est entièrement asservie à cette restitution d’enquête qui s’avère être à charge. Le titre le laissait supposer : la formulation Très chers élus dirige vers le coût de la vie politique, le coût de la démocratie en quelque sorte. Les deux journalistes évoquent les affaires comme Elf. Cogedim. Urba. Françafrique. Fonds spéciaux Matignon. DCN. Luchaire. Etc. Les sources de financement avérés comme les entreprises de BTP, les offices HLM, Bygmalion, etc. Ils citent explicitement les affaires judiciaires avec condamnation et celles avec de forts soupçons, mettant nominativement en cause Patrick Balkany, François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin, Claude Guéant, Christian Nucci, Roland Dumas, Éric Woerth, Sophia Chikirou, Wallerand de Saint-Just, Marine Le Pen, François Bayrou, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez, Philippe Laurent, Ségolène Royal, François Fillon, Emmanuel Macron, Anne-Christine Lang, et quelques autres. Ils reprennent chronologiquement les astuces et les malversations avérées pour financer les partis et les campagnes, soit en transgressant la loi, soit en la contournant : fausses factures, les marchés publics avec commission entre 3% et 5%, le brigandage municipal pour l’attribution de site pour grandes surfaces, les fonds secrets de Matignon, les surfacturations, les rétro-commissions, les mallettes d’argent en billets de banque, les sous-facturations, les assistants rémunérés par l’Assemblée Nationale ou le parlement européen, la création de micros partis pour cumuler les dons, les instituts de formation, les fondations adossées à des partis politiques, etc. L’inventivité en la matière force le respect, et constitue une ode à la créativité.
Les auteurs se sont fixés comme objectif de prouver la réalité des fraudes, de détournement d’argent public et d’abus de bien sociaux. Leur énumération de faits avérés fonctionne comme un faisceau de preuves, finissant par être accablant. Pour autant, le ton n’est pas au réquisitoire assoiffé de sang. Ils savent faire preuve d’humour, que ce soit avec des anecdotes énormes (deux Tupperwares remplis de billets, enterrés dans les bois par Didier Schuller et déplacés par des sangliers ayant creusé), un dépôt en billets dans une banque pour un montant de dix millions de francs. Ils ne se contentent pas de pointer du doigt pour accuser : ils se livrent également à une analyse de l’effet des différentes lois relatives à la transparence financière de la vie politique, du fonctionnement de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques créée en 2005. Ils reprennent l’analyse de Julia Cagé dans son livre Le prix de la démocratie (Fayard, 2018), aboutissant à la conclusion que les généreux donateurs fortunés profitent à plein des réductions d’impôts et voient leurs préférences politiques massivement subventionnées par l’ensemble des contribuables, et en prime bénéficier d’une politique qui leur est financièrement favorable une fois leur candidat au pouvoir. À l’occasion d’une page ou d’une autre, le lecteur s’aperçoit également que les auteurs et l’artiste se sont coordonnés pour une autre forme d’interaction, la situation montrée commentant ironiquement les faits évoqués. Par exemple, François Mitterrand et son aréopage effectuent l’ascension de la Roche de Solutré, et le président doit se débarrasser d’un caillou dans sa chaussure, alors qu’il pense en même temps à la manière de blanchir son collaborateur Christian Nucci dont les actions génèrent une gêne comme un caillou dans une chaussure. De la même manière, les différentes activités dessinées en arrière-plan pendant la promenade dans Paris recèlent le plus souvent une action publique qui se trouve directement impactée si l’argent public est détourné.
Une enquête sur le financement des partis et des campagnes politiques en bande dessinée : certainement un essai touffu avec des illustrations qui peinent à apporter des éléments visuels supplémentaires. Au départ, le lecteur se dit qu’il y a un peu de ça, mais dans le même temps la lecture s’avère très agréable, sans le côté pesant qui peut accompagner des exposés denses en information. La balade dans Paris semble relever d’un dispositif artificiel gratuit, mais plusieurs séquences finissent par mettre la puce à l’oreille du lecteur : il y a un effet de résonance subtil et élégant entre les lieux traversés et les activités montrées, avec les malversations évoquées. La démonstration est à charge, ce qui est affiché explicitement dès le début, tout en expliquant des mécanismes très divers et très astucieux. Les auteurs ont l’honnêteté intellectuelle de poser la question caricaturale : Tous pourris ? Ils apportent une réponse nuancée et justifiée, et leur enquête fait autant la démonstration de l’utilisation détournée de fonds publics, que de l’amélioration lente mais aussi progressive de la transparence dudit financement, et de l’augmentation du nombre d’enquêtes, de procès et de condamnation. Extraordinaire enquête, restituée avec une intelligence malicieuse.
Rholala mais qu’il est bien cet album !!
A sa sortie, je me vois encore l’acheter sans grandes convictions. La faute à une couverture moyenne et un dessin qui ne m’émoustille pas de prime abord.
La suite me donnera tort, je suis émerveillé de la maîtrise des auteurs sur un tel sujet. Dans le genre conte, cet album est un Must-have. Je suis emporté systématiquement à chaque lecture.
Le dessin et couleurs s’avèrent finalement parfaits pour nous immerger dans cette aventure, une sorte d’hommage aux 1001 nuits.
L’action se situe à Bagdad du temps des Califes, nous y suivrons un groupe hétéroclite de 5 conteurs, partit sur les routes perfectionner leur art en vue d’un concours qui récompensera le meilleur d’entre eux.
Jusque là OK ça a l’air sympa, ça fait contes dans les contes.
Mais sans trop en dire (et c’est là où je tire mon chapeau), Vehlmann arrive à donner une tout autre dimension à son récit. Déjà la personnalité de nos 5 conteurs est bien marquée, j’ai adoré leurs interactions. C’est surtout la construction du récit que je trouve admirable, le coup de connaître rapidement le destin des personnages est géniale, les différentes rencontres lors de leur périple sont improbables, mystérieuses et sympathiques, et la fin est juste magique.
Une lecture un peu exigeante mais pour un résultat bluffant, j’en sors systématiquement conquis.
Culte !!
Les avis précédents me sont totalement incompréhensibles
A moins que leurs auteurs ne soit précisément tel le héros de la BD, hermétiques et bien trop cérebraux
Personnellement je classe cette BD au rayon des chefs d'œuvre.
Une BD originale, puissante, profonde, drôle, spirituelle qui m'a laissé sans voix
Du grand du trés grand Jodorowski et le dessin somptueux de Moebieux la sert trés bien
Un must, à lire absolument.
Bien entendu, ne vous attendez pas à du Tintin ou de l'Asterix mais à un sacré voyage
Souffrir, est-ce aimer encore ? Est-ce aimer plus fort ?
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, dont la première édition date de 2022. Cette bande dessinée a été réalisée par Zidrou (Benoît Drousie) pour le scénario et par Paul Salomone pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-sept pages de BD et cinq pages de recherches graphiques.
Prologue. Une histoire comme on en raconte pour que le sommeil vienne aux enfants. Il est des oiseaux qui, dès les premiers frimas, migrent vers le sud, vers l'astre du jour, sa chaleur, son humour… Et d'autres qui, l'hiver venu, préfèrent migrer vers l'astre de nuit, sa douceur, son amour. Une maman raconte à ses enfants un conte sur des oiseaux qui s'envolent pour atteindre la Lune. Une fois la Lune atteinte, après la parade nuptiale, les femelles creusent de grands trous dans le sol afin d'y pondre leurs œufs. Ces mêmes grands trous sombres que, la nuit, on peut apercevoir à la surface de l'astre lunaire. Chaque femelle y pondra cinq ou six œufs qu'elle pondra, sans faillir, trois semaines durant. Trois semaines au terme desquelles éclateront, par milliers, des petits oiseaux de lune au plumage clair encore. C'est pour cela, les enfants, que la Lune est blanche : parce que sa superficie est recouverte d'écailles de coquilles d’œufs. La reine Shikhara a fini de raconter son histoire et ses enfants Jalna & Gorakh lui demandent s'ils existent vraiment, ces oiseaux de Lune. Elle leur répond par l'affirmative : ce sont eux qui, la nuit venue, portent leurs rêves aux étoiles. Ils les attrapent délicatement dans leur bec, puis s'envolent vers le firmament. Car chaque étoile est un rêve, et chaque rêve une étoile.
Chapitre un : le cadeau. Combien de temps, déjà, s'était écoulé depuis le couronnement de Shikhara ? Quinze ans ? Seize ? Plus, peut-être ? Peu importe ! Qui s'amuse à compter les heures quand le bonheur habite son cœur ? Cela paraîtra sans doute incroyable, mais à l'époque la paix, la prospérité, et même la joie de vivre régnaient sur le royaume de Shandramãmãd. Tant et si bien que le peuple, reconnaissant avait surnommé sa reine : Kurgarvandji. Celle qui apaisa la colère des dieux. Quand, voilà près de trois lustres, son époux, le prince Gorakh Nanpur Aransol, mourut dans un tragique accident de chasse, Shikhara était enceinte de ses œuvres. En signe de deuil, la reine se brûla les cheveux. Puis se couvrit le visage des cendres de son mari. Ses larmes d'abord, la pluie ensuite finirent de laver la cendre de son visage. La vie, malgré tout, reprit le dessus. Ses cheveux lentement repoussèrent. Peu après, comme pour compenser celui qu'ils venaient de lui enlever, les dieux donnèrent à la reine deux beaux enfants. Une fille que l'on nomma Jalna. Et un garçon auquel on donna le nom de son défunt père : Gorakh. Selon la tradition, c'est Gorakh – pourtant né une heure après sa sœur – qui était appelé à succéder, un jour, à se mère sur le trône de Shandramãmãd.
Très belle bande dessinée pour la prise en main, avec un format légèrement plus grand, et une couverture de toute beauté. Une illustration avec des tons doux, une reine assise sur un trône finement ouvragé dans une pierre claire, et cette nuée de papillons avec quelques insectes rampants qui apportent des touches d'ombre, vaguement inquiétantes dans leur fourmillement. le lecteur entame le prologue intitulé : une histoire comme on en raconte pour que le sommeil vienne aux enfants. Il commence par lire les cellules de texte et se fait la réflexion qu'elles pourraient se suffire à elles-mêmes. Une narratrice dit un conte et les images semblent ne servir qu'à donner à voir ce que dit déjà le texte. D'un côté, à chaque fois que les cartouches de texte mènent la narration, ils semblent se lire sans besoin de jeter un coup d’œil aux images. D'un autre côté, la beauté des dessins suffit à capter l'attention du lecteur pour qu'il ne risque pas de les oublier. Pour les quatre premières pages du conte, l'artiste choisit une représentation descriptive et concrète : un pari risqué. Pour autant, la palette de couleurs réduite à des nuances de brun installe une ambiance onirique fonctionnant parfaitement. Paul Salomone dose avec doigté ce qu'il montre, les oiseaux, et ce qu'il évoque les décors. du coup, le caractère onirique est conservé avec ce voyage vers la Lune comme dans un rêve aux environnements cotonneux et changeants, et les protagonistes apparaissent concrets permettant au lecteur de s'ancrer dans le réel.
Le lecteur passe alors au premier chapitre, le cadeau, sur quatre et il découvre un monde beaucoup plus lumineux. Un royaume aux atours indiens, dans une contrée verdoyante, avec une flore diversifiée et colorée. Même dans les passages où la narration en mots prend le dessus, les dessins font beaucoup plus qu'illustrer un texte verrouillé. Les couleurs utilisées peuvent être assez vives, apportant des points chauds dans chaque page, un ingrédient avec une saveur de conte issu de l'enfance. Dans le même temps, les cases contiennent des dessins descriptifs avec un haut niveau de détails, et un détourage encré d'un trait fin, pour une apparence légère et parfois délicate. le lecteur adulte s'immerge dans un pays des mille et une nuits, avec une solide consistance et une vraisemblance remarquable. L'artiste ne se contente pas de réaliser un beau décor en toile de fond. Il a conçu une architecture des bâtiments, aussi bien extérieure qu'intérieure, des ameublements, l'une comme les autres en fonction du niveau de classe sociale où se déroule la scène, des accessoires et des tenues vestimentaires, dont l'ensemble présente une grande cohérence, rendant cette civilisation et cette époque très plausible, un royaume en Inde à une époque prospère. le lecteur a tôt fait d'arrêter de chercher les influences ou les références (comme une évocation d'une portion de la muraille de Chine en page onze) pour juste profiter du spectacle et prendre plaisir à ce dépaysement esthétique.
En prenant un peu de recul sur une case ou une autre, le lecteur voit que les images ne font pas qu'illustrer ce qui dit déjà le texte. Paul Salomone donne à voir bien plus que ce que dit le texte. Il prend le risque de montrer l'interprétation qu'il en fait en termes d'environnements, d'urbanisme, d'architecture, de mode, etc. Il rend les lieux et les personnages très concrets, et dans le même temps il n'obère ni la poésie du récit, ni l'effet d'irréalité qui accompagne un conte. Il parvient à concilier des descriptions très fournies et précises avec l'impression d'un monde imaginaire. En page onze, le lecteur est émerveillé par cette vue du ciel, en vue subjective d'un oiseau, d'une belle contrée verte et montagneuse avec une ville aérée et étalée, un château à flanc de coteau, et des arbres aux feuilles colorées. Page quinze, il éprouve la sensation de voir les reflets ondulants de la lumière sur le bassin de la piscine dans laquelle la reine est en train d'accoucher. Il reste bouche bée, aussi émerveillé que Gorakh voyant son oiseau-volcan voler dans les hautes salles du palais, avec les magnifiques couleurs chatoyantes de son plumage. Il est épaté par le dessin en double page montrant la ville et le palais, avec tous les différents gazouillis d'oiseaux. Il effectue un mouvement de recul par réflexe devant la cruauté du châtiment physique infligé au monte-en-l'air. Ces moments coupent le souffle tout en stimulant l'imagination du lecteur.
Totalement sous le charme de la narration visuelle, et se régalant du texte bien écrit, le lecteur se lance dans la découverte d'un conte qu'il suppose traditionnel et linéaire, avec une morale, ou tout du moins une leçon à la fin. Il ne s'est pas trompé, mais il était loin d'imaginer qu'il se prendrait d'une telle affection pour chacun des personnages. Il n'y a pas de méchant : le conte ne repose pas sur une opposition manichéenne. le point de vue se concentre sur la reine et ses enfants, un milieu aisé à l'abri du besoin, avec des serviteurs. En cours de route, intervient un monte-en-l'air issu d'une classe défavorisée, sans pour autant que le récit ne comprenne un point de vue social ; ce n'est pas ce genre de récit. Dans ces beaux atours indiens, l'auteur raconte un drame, et la manière dont différents personnages gèrent émotionnellement ces épreuves psychologiques. Il n'y a pas de commentaire recourant au vocabulaire psychanalytique, juste la mise en scène de la manière dont les protagonistes se comportent. Les deux thèmes principaux sont l'exercice du pouvoir et le deuil. Pas de leçon ou d'approche théorique, ni même politique. Même s'il n'est ni reine ni enfant d'un couple royal, le lecteur éprouve une forte empathie pour les personnages principaux, et comprend tout à fait que Shikhara utilise son pouvoir pour exercer sa vengeance. L'ampleur de celle-ci fait réfléchir quant à toute entreprise de vengeance quelle qu'en soit la raison ou les conséquences. le comportement de sa fille Jalna et d'Akbar contraste par rapport à celui de la reine, montrant qu'il est possible de souffrir sans souhaiter se venger. L'enjeu du récit ne réside pas dans ce qui serait la bonne manière de réagir dans la tourmente du chagrin, mais de donner à voir ce qui accompagne celle ou celui qui chérit son chagrin, et ce qu'il advient de celle ou celui qui accepte que la vie continue, plutôt que de s'y résigner.
Un conte magnifique, à la fois pour sa narration visuelle d'une grande douceur et d'une grande richesse tant descriptive que colorée, à la fois pour sa mise en œuvre des conventions du conte pour un récit adulte sur le chagrin, avec quelques petites touches d'humour bien tournées et ne manquant pas de piquant. Par exemple : Princesse, vos royales origines ne transforment pas, pour autant, vos menstrues en or liquide. Un conte avec la forme d'un joyau étincelant doucement.
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Billionaire Island
À sens unique - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle de suite. Il regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par Mark Russell, dessinés et encrés par Steve Pugh, avec une mise en couleurs réalisée par Chris Chuckry. Il commence avec une introduction d'une page de Brian Michael Bendis expliquant que cette histoire a la propriété de prédire un futur proche qui va advenir exactement à l'identique. Elle est suivie par une autre introduction d'un page de Russell, qui explicite son propos sur l'alternative à ce qu'il décrit. Les couvertures ont été réalisés par Pugh et le tome comprend également les couvertures alternatives de Pia Guerra et de Darick Robertson. Sur la chaîne télé Caviar, le milliardaire Rick Canto, PDG de Aggrocorp Foods, présente l'île pour milliardaires appelée Freedom Unlimited, une île artificielle naviguant dans les eaux internationales, n'accueillant que des milliardaires, et le personnel nécessaire pour assurer tous les services attendus. C'est également un refuge pour milliardaire pour fuir l'agressivité du commun des mortels qui estime qu'ils sont responsables de tous les maux de la Terre. Mais l'accès est contrôlé avec un détecteur de fortune qui affiche la réalité du compte en banque à l''entrée. L'île est défendue et patrouillée par des drones très puissants, et sans aucun impôt. Dans sa chambre luxueuse de son appartement de Floride, Corey Spagnola a été attaché en pyjama sur son lit, par Trent Arrow qui le tient en joue. L'agresseur explique qu'il faisait partie d'une association d'aide humanitaire qui distribuait de la nourriture en Angola, des sacs de maïs dont il a appris par la suite qu'il avait été génétiquement modifié par Aggrocorp, et qu'il contenait un virus de stérilité. Sa famille l'avait accompagné et ils avaient mangé avec les réfugiés du camp angolais, la nourriture qu'ils distribuaient. Sa femme et sa fille avaient fait une crise d'allergie mortelle à ce maïs modifié, risque connu par Aggrocorp, mais passé sous silence. Arrow assassine Spagnola et s'approprie ses papiers d'identité. Le lendemain, Shelly Bly pénètre dans le bureau de Rick Canto pour l'interviewer. Elle lui demande pour quelle raison il a souhaité racheter Agrrocorp. À la télé, les informations évoquent le décès de Corey Spagnola. Dans le grand bureau paysager, l'assistant robotique de Canto lui fait remarquer qu'il s'agit peut-être d'un assassinat. Shelly a encore une question à lui poser sur un programme d'aide alimentaire en Angola. Comme il doit partir, il lui propose de l'accompagner sur l'Île des Milliardaires. Elle accepte. Une fois sur place, il lui propose de l'attendre dans la pièce d'à côté, pendant qu'il règle un ou deux détails. Elle ouvre la porte et pénètre ans la pièce plongée dans la pénombre. La porte se referme en se verrouillant. À l'intérieur se trouvent déjà quatre prisonniers : Mike le comptable, Flynn le hipster, une jeune cadre supérieure et un jeune homme en costume-cravate. Mike identifie tout de suite Shelly comme étant une journaliste. Il explique qu'il s'est retrouvé enfermé à la suite d'un processus similaire à ce qu'il vient de lui arriver : il a découvert des irrégularités comptables qu'il a évoquées avec Canto et ce dernier lui a demandé d'attendre dans la pièce d'à côté. La jeune cadre supérieure en tailleur déclare que sa situation n'a rien de comparable car elle excellait dans toutes les épreuves professionnelles. La discussion s'interrompt car des employés font passer de la nourriture par une trappe. C'est le deuxième récit que le scénariste réalise pour l'éditeur Ahoy Comics, après Second Coming (2019) avec Richard Pace. Cette fois-ci, sa verve est dirigée contre les milliardaires du monde entier, en fait surtout les américains. Dans l'introduction, l'auteur explique que son point de départ est le rythme alarmant de la dégradation de l'environnement, et le questionnement sur le comportement des individus les plus riches de la planète qui continuent à accumuler de manière compulsive, sans que leurs milliards ne servent à améliorer la situation. Comme à son habitude, le scénariste raconte avant tout une histoire. Une journaliste se retrouve prisonnière dans une pièce qui est littéralement une cage à hamster, mais pour humains, avec de la sciure au sol, un point de distribution de nourriture, un autre pour l'eau, et même une roue d'exercice. À partir de là, le lecteur est invité à suivre trois fils narratifs : l'évasion de Shelly Bly, la tentative d'assassinat de Rick Canto par Trent Arrow (ayant usurpé l'identité de Corey Spagnola) et Rick Canto gérant les affaires auxquelles il doit faire face. Bien évidemment, le lecteur soutient immédiatement la journaliste, mais il succombe également immédiatement au charme de Rick, Canto. Ce dernier a toujours le sourire. Il trouve une solution politiquement incorrecte à tout immédiatement. Il traite les autres au mieux comme de simples objets, au pire comme des déchets sans valeur. C'est un individu calme, toujours souriant, avec une assurance aussi extraordinaire que la manière dont il maîtrise toutes les situations. C'est également un vrai plaisir de retrouver Steve Pugh. Tout commence avec cette couverture qui ressemble fort à un hommage aux œuvres de Banksy, dans sa sensibilité anticapitaliste. La couverture de l'épisode 2 utilise des silhouettes icônes pour un commentaire sur la valeur d'un être humain, en dollars bien sûr. Les 4 autres sont des peintures plus classiques, avec un humour tout aussi décapant. L'artiste représente les lieux et les individus en les détourant d'un trait encré fin et précis, pour une apparence réaliste et consistante. Bien évidemment, l'île aux milliardaires est un personnage à part entière et l'horizon d'attente du lecteur comprend le fait de pouvoir l'admirer. le dessinateur lui en donne pour son argent et comble son horizon d'attente : un dessin en pleine page lors de l'arrivée de Trent Arrow et Ty Leavenworth en drone géant, la zone d'extension de l'île, la demeure luxueuse de Rick Canto avec sa piscine privée et sa zone d'atterrissage pour drone, sans oublier la cage à hamster avec sa roue. Les auteurs surprennent régulièrement le lecteur, par exemple avec cette séquence se déroulant littéralement sur fond vert. Les personnages sortent également de l'ordinaire, une partie tout du moins. Shelly Bly est une jeune femme bien faite de sa personne et pleine de vitalité, sans que l'artiste n'ait recours à un jeu d'actrice dans le registre de la séduction. Trent Arrow est un homme avec une silhouette parfaite, sans musculature extraordinaire, un héros d'action assez générique. En revanche, les individus inféodés au système capitalisme, quel que soit leur niveau, valent le détour. Outre le sémillant, presque pétulant Rick Canto, le lecteur tombe également sous le charme de la jeune cadre supérieure dans un tailleur impeccable, avec un visage et silhouette avenante (là encore sans la ravaler à l'état d'objet), sous le charme différent du hipster avec sa belle barbe et sa chemise à carreaux (sans oublier les bretelles), le créateur d'applis et son stetson démesuré, les quatre autres propriétaires de Freedom Island, sans oublier son PDG très particulier. Les dessins insufflent de la vie dans chacun de ces personnages, font apparaître leur personnalité et leur caractère, en phase parfaite avec le scénario et intègre les éléments comiques avec élégance. En effet, cette histoire appartient au registre de la satire mordante, sur le plan socio-économique, comme la précédente collaboration entre ces deux auteurs : The Flintstones (2016/2017). Mark Russel & Steve Pugh raconte une solide histoire, et brossent le portrait d'un capitalisme entretenu par des esclaves consentants. Les milliardaires ont soit bâti leur fortune sur le travail des masses laborieuses, soit en ont tout simplement hérité et la font fructifier. Leur objectif est d'amasser toujours plus de richesse : un processus qui s'auto-alimente, sans rien donner en retour. Mais quand même les emplois générés ? le lecteur voit bien les employés au service de leurs patrons capricieux, s'impliquant de leur mieux en espérant ainsi décrocher un (petit) bonus. Les auteurs se montrent particulièrement convaincants en montrant des individus (les quatre prisonniers) totalement consentants dans cette forme d'esclavage : ils ne reçoivent que des miettes, ils sont prêts à consacrer toute leur vie pour en recevoir un peu plus (grimper dans les échelons en perpétuant le même système de domination), incapables d'envisager une vie qui ne soit pas ainsi asservie au profit, à la production et à la consommation de richesse. Il y a en a aussi pour les PDG dont finalement le flair pour les affaires repose sur un chien. Tout du long de ces 6 épisodes, les auteurs intègrent des petites piques pénétrantes, aussi bien pour la qualité de l'observation que pour appuyer là où ça fait mal : les prisonniers excités parce qu'ils reçoivent des billets de banque (dont ils ne peuvent rien faire, une sorte de réflexe pavlovien), la mention de Bill Cosby (hypocrite d'un niveau extraordinaire), l'angoisse de l'effondrement d'un système pourtant si inhumain, la forme d'avarice de ces milliardaires, le président des États-Unis, totalement inféodé aux intérêts privés. Au fur et à mesure, le lecteur relève d'autres détails révélateurs. Dans la résistance à la torture de Trent Arrow, il peut voir une métaphore de la résistance du peuple. Il peut aussi reconnaître plusieurs personnalités caricaturées à commencer par Kid Rock (Robert James Ritchie) dans le rôle du président des États-Unis, ou Steven Seagle dans un des propriétaires de l'île. Mark Russell & Steve Pugh sont en pleine forme pour une satire très réussie sur le thème de l'effondrement vu par le prisme de la rapacité des milliardaires. L'artiste donne à voir des lieux aussi plausibles qu'originaux, et des personnages attachants, malgré leurs défauts, leur aveuglement. le scénariste met en scène un aspect du capitalisme ne s'attachant pas à l'obscénité de l'existence de milliardaires, mais au capitalisme, l'accroissement de richesse personnelle étant devenu une fin en soi, plutôt qu'un moyen.
Mary Jane
Elle comprend que tous les hommes, d'une manière ou d'une autre, sont toujours prêts à payer. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, dont la première édition date de 2020. le scénario a été écrit par Frank le Gall, les dessins et les couleurs réalisés par Damien Cuvillier. Elle comporte soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec un texte de trois pages, rédigé par le Gall, et illustré par ses travaux graphiques préparatoires. Un homme effectue une déposition ou un témoignage : Joseph Barnett, porteur au marché aux poissons de Billingsgate. À ce qu'elle lui a dit, elle était née à Limerick en 63. Et puis sa famille a émigré au pays de Galles, elle lui a dit. Elle disait que, là-bas, elle avait été mariée à un certain Davies. Il travaillait à la mine, et puis ça n'a pas duré. Il n'y a rien qui durait, avec elle. Il évoque sa compagne Mary Jane. En 1882, celle-ci sort de sa petite ferme en courant, en tenant un mouchoir rouge à la main. Elle traverse son petit jardin puis un champ, en passant par la barrière. Au loin, s'élève une colonne de fumée noire. Elle passe le portillon, le mouchoir s'accroche au montant, elle le laisse et continue de courir. Elle arrive près du puits de la mine : c'est de là que provient la fumée. Les autres femmes accourent également, alors que les hommes s'affairent à remonter les blessés et les morts, du puits. Ils sont en train de sortir un cheval aux yeux bandés, par le monte-charge à poulie. Un homme en tenue de mineur, le visage noir, arrête Mary Jane : c'est inutile, Davies est mort. Elle entraperçoit les corps étendus sur le sol un peu plus loin. Les autres femmes plus âgées, se demandent ce que va devenir Mary Jane en étant veuve à dix-neuf ans. Elle sait qu'elle doit fuir. le lendemain, Miss Gruff du bureau de bienfaisance toque à sa porte, accompagnée d'un solide gaillard et d'un policier. Elle vient pour l'emmener à L'union Workhouse. Ils ouvrent la porte de la chaumière : Mary Jane est déjà partie. Elle a emporté ses maigres affaires dans une simple valise. Elle voyage à pied sur des chemins de terre, se protégeant comme elle peut de la pluie, du froid, dormant sous les ponts, emmitouflée dans un châle. La nuit, le même cauchemar revient : une terrible explosion d'une clarté aveuglante, et son mari qui hurle son prénom. Elle se réveille en sursaut, puis se rendort tant bien que mal. le lendemain, elle poursuit son chemin, s'arrête au bord d'un petit cours d'eau pour faire une toilette sommaire. Sa valise tombe dans la rivière qui l'emporte, sans qu'elle ne puisse la récupérer. Elle continue à marcher à travers bois, jusqu'à arriver dans une grande prairie vallonnée. Elle entend des cris : Pillards ! Assassins ! Bande de voleurs ! Gibiers de potence ! On vous retrouvera et on vous pendra tous ! Des paysans hurlent en contrebas, alors qu'une troupe de romanis passent rapidement devant elle. Black John la saisit par l'épaule et lui intime de venir avec eux. Elle reprend la route avec eux. Plus tard, les enfants étant fatigués, ils font une halte. Elle demande à Black John si ce sont des romanis. La date, l'image de couverture, le texte de quatrième de couverture donnent des indications quant au fait que cette Mary Jane est passé à la postérité de bien sinistre manière. C'est l'histoire d'une tragédie annoncée. Quoi qu'il en soit, cette tragédie atroce n'occupe que les dix dernières pages de la bande dessinée, le reste étant consacré à la vie de cette femme, de sa dix-neuvième année, à sa mort à vingt-quatre ans. le scénariste n'est pas le premier à s'intéresser à sa vie, Patricia Cornwell, autrice d'un livre sur le sujet, l'a également évoquée avec un point de vue très marqué. le scénariste a choisi cette femme emblématique pour développer sa vie avant son meurtre immonde, la vie d'une jeune veuve de la campagne, montant à Londres dans l'espoir de trouver un travail, une source de revenus, de quoi vivre. Parmi les personnes témoignant, assis, cadrés en plan taille, face au lecteur, un jeune homme pose deux questions : Si tout le monde, si toute la société vous considérait comme un coupable, est-ce que vous ne seriez pas prêt à tuer ? Et si cette même société vous considérait comme une victime, ne seriez-vous pas déjà morte ? Cet ouvrage évoque donc la condition féminine dans la décennie 1880 au Royaume Uni. La vie de Mary Jane est racontée de telle manière, que le lecteur n'y voit pas un destin tout tracé vers une boucherie fatale, mais bien le parcours de vie d'une jeune femme comme il y a dû y en avoir de nombreuses autres. La première page peut décontenancer avec le témoignage de Joseph Barnett sur fond noir, fixant l'année de naissance de Mary Jane, ainsi que sa région d'origine, et portant un jugement de valeur que le lecteur perçoit comme étant négatif : il n'y avait rien qui durait avec elle. le dispositif visuel d'un cadrage en plan taille sur fond noir évoque une déposition, mais sans qu'il ne soit précisé, ni pour Barnett, ni pour les suivants, si elle se déroule au commissariat ou au tribunal. Puis une case de la largeur de la page en occupe le bas, avec juste des bottes et un bas de jupe d'une femme courant sur l'herbe. Suivent quatre pages sans texte, si ce n'est la mention Un mouchoir rouge, montrant Mary Jane courant puis le monte-charge au-dessus de la mine. L'artiste utilise un trait encré pour détourer les formes, un noir légèrement atténué par les couleurs ce qui fait qu'il ne ressort pas comme étant le premier plan. le reste des cases est réalisé à l'aquarelle, en couleur directe. le tout forme de petits tableaux très agréables à l’œil. La fuite de Mary Jane dans la campagne fournit l'occasion de superbes paysages : les chemins de terre gorgés d'eau, la rivière paisible au bord d'un bosquet d'arbres, la grande prairie vallonnée, le tronc noir des arbres dans la nuit, le magnifique feuillage d'un arbre au milieu d'une grande prairie. Puis en page vingt-neuf, le lecteur découvre une illustration en pleine page : un dégradé de noir plein en partie supérieure, pour se transformer en un entrelacs de noir et blanc en bas de page, comme si le noir faisait ressortir la granulosité du papier. le récit passe alors à Londres dans une lumière chiche, faisant ressortir la lumière blafarde et grisâtre, ternie dans les quartiers pauvres. le lecteur peut tourner la tête pour observer la fumée noire des cheminées, le teint maladif des enfants et des mères dans la rue, les pavés poisseux, les petits boulots, la foule anonyme dépourvue d'empathie. Page quarante-sept, un autre dessin en pleine page, la façade d'un immeuble avec une belle lumière, et une rue large et dégagée. Cette impression d'endroit à l'abri disparaît dès la page suivante, avec une chambre aux fenêtres occultées, à la pénombre inquiétante. Page cinquante-neuf, un troisième dessin en pleine page : le ciel très sombre, presque noir au-dessus de Montmartre avec une neige clairsemée, comme autant de taches venant maculer la silhouette des bâtiments. le retour à la lumière du soleil dans St. James apporte une respiration mais elle s'avère de courte durée. Le lecteur voit que l'artiste a pris le soin de se documenter pour réaliser une reconstitution historique consistante : les échoppes, les petits métiers, les tenues vestimentaires, l'aménagement des pubs des quartiers populaires, les lumières des grandes artères commerçantes, la mine, les gourbis des quartiers miséreux de Londres. Il croque des personnages de manière réaliste et parlante quant à leur âge, leur situation sociale, leur métier plus ou moins légal. Il conçoit des plans de prise de vue qui donnent à voir les décors et les occupations des personnages pendant les scènes de dialogue, avec des postures parlantes quant à leur état d'esprit du moment, par exemple la détresse de Mary Jane qui ne sait pas à qui s'adresser à Londres qui ne comprend pas que Peter White est en train de la manipuler. Il parvient à ne pas en faire un objet du désir. Lorsqu'elle se réveille nue dans la maison de passe, le lecteur la voit comme une victime avec qui il a déjà développé un lien affectif, d'autant plus vulnérable qu'il sait ce qui va advenir. Page cinquante-quatre, il montre les passes, dans une grille de quatre cases par quatre cases. Il n'y a rien d'érotique ou pornographique : la chair est triste. le texte est laconique et terre à terre : Et jour après jour, c'est la longue suite, la suite sans fin des hommes, des employés, des gommeux, des clergymen, des commis voyageurs, des vieux qui sentent, des gras qui suent, des timides, des violents. Ils ont tous en commun d'être repoussants. Heureusement, il y a le gin. Le scénariste a donc décidé de montrer une autre facette des crimes sordides d'un tueur en série, peut-être le premier à avoir été identifié comme tel. Il fait de Mary Jane, une jeune femme attachante, essayant de trouver une nouvelle place dans la société, après le décès de son époux dans un accident de travail. La remarque d'un témoin revient à l'esprit du lecteur : si cette même société vous considérait comme une victime, ne seriez-vous pas déjà morte ? le récit met en lumière un mode de fonctionnement systémique : une société qui exploite les faibles sans une once d'humanité. L'enchaînement des événements est inéluctable pour Mary Jane. le lecteur se demande à plusieurs reprises quelle aurait été l'alternative pour elle. L'auteur en évoque une ou deux, vraisemblablement pires, en tout cas pas meilleures, sans aucun espoir d'épanouissement personnel, dans une perspective d'exploitation tout aussi destructrice que la voie choisie par défaut par Mary Jane. Les hommes profitent de cette prostitution intégrée au fonctionnement de cette société, et Mary Jane est exploitée par une femme, une mère maquerelle, et surveillée par une autre femme, une duègne qui est rémunérée pour. La fin de sa vie est une déchéance de plus, le symbole qu'il est toujours possible de tomber plus bas. La conclusion revient à la séquence d'ouverture, montrant la vie de Mary Jane entièrement définie par sa condition d'épouse, tout en montrant que le sort de son époux participe de la même exploitation sans respect de la personne humaine. Les auteurs racontent la vie adulte d'une jeune femme ayant perdu son mari dans un accident. Ils ont choisi une femme dont l'Histoire a retenu le nom du fait de son assassinat atroce. Pour autant, à part la conclusion, il s'agit du récit de la vie d'une jeune femme issue de la classe populaire, confrontée à une société qui réserve un sort de victime aux femmes de sa condition, quel que soit le choix de vie qu'elles puissent faire. Un récit poignant à la narration sans dramatisation excessive, et pourtant implacable.
SHI
Incroyable BD, très compliquée et à la fois très prenante. Pas trop de gorge même si il y a des passages choquants. Pour le public je dirais à partir de 16 ans, car des scènes sont parfois dures à comprendre. L'histoire est géniale, les héroïnes aussi. J'ai adoré les dessins qui sont magnifiques et surtout le fait de montrer la fin puis le commencement. Bonne continuation, hâte d'être au tome 7 ! Cordialement
Justice Society - The Golden Age (L'âge d'or)
Mettre un terme à une ère révolue - Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue sans connaître l'univers partagé DC, mais qui est plus savoureuse si le lecteur a une vague idée de qui sont ces personnages. Ce récit est classé dans les Elseworlds, c’est-à-dire une version alternative des personnages, différentes de la version canonique de l'univers partagé DC, ne s'inscrivant pas dans sa continuité du moment, ni dans les suivantes. La légende veut que ce soit en lisant cette histoire que Geoff Johns a développé l'envie de les écrire, ce qu'il fera dans deux séries JSA consécutives de 1999 à 2009. Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993/1994, écrits par James Robinson, dessinés et encrés par Paul Smith, avec une mise en couleurs réalisée par richard Ory. Cette édition comprend une postface très savoureuse de cinq pages, rédigée par Howard Chaykin en 1995. Au début des années 1940, des américains braves ont donné leur vie sur des champs de bataille dans des pays éloignés. Sur le sol des États-Unis, les américains endurent l'annonce de la mort de leur fils ou de leur mari par le biais d'un télégramme redouté. Pour ceux restés dans le pays, le temps guerre était synonyme de la recherche de matériaux à recycler, des colis de nourriture, l'achat d'obligations pour l'effort de guerre. Mais d'une certaine manière, les américains restés dans leur pays vécurent à une époque d'innocence et de dieux. Il y avait de nombreux superhéros qui se battaient contre les criminels sur le sol américains, et qui s'associaient parfois au sein de l'équipe All Star Squadron. Le 6 août 1945, l'explosion de la bombe atomique met fin à une ère, annonce la fin de l'Âge d'Or. Les soldats reviennent dans leur pays, retrouvent leur femme, leur enfant, leur emploi de bureau ou à la ferme. Des parades sont organisées pour les héros tels que Americommando (Tex Thompson) un des superhéros ayant œuvré en mission secrète en Europe depuis 1942. Bob Daley prend connaissance de son retour avec les actualités projetées avant le film qu'il est venu voir. Il part avant la fin du reportage, blessé par la gloire de celui dont il fut l'assistant adolescent avant la seconde guerre mondiale. Dans un port américain, un bateau décharge son cargo de nuit. Un passager clandestin en profite pour se faufiler sans se faire voir, et sauter à l'arrière d'un camion. 1947 : Tex Thompson (toujours en costume de superhéros) est décoré par le président des États-Unis Harry S Truman devant la Maison Blanche. Johnny Chambers met un point d'honneur à travailler sur son documentaire sur les Hommes Mystères, sans utiliser ses pouvoirs de Johnny Quick. Il en est à la dernière partie et il pose la question de savoir ce qu'il est advenu des superhéros. Il connaît la réponse, mais il ne peut pas l'inclure dans son documentaire. Jay Garrick (Flash) a pris sa retraite de superhéros, s'est marié et a fondé une famille. Carter Hall est de plus en plus persuadé qu'il est la réincarnation d'un pharaon et ne s'intéresse plus qu'à ça. Terry Sloane (Mr. Terrific) dirige sa compagnie d'aviation, lui-même a divorcé d'Elizabeth Lawrence (Liberty Belle). Les superhéros américains n'avaient pas pu aller au front en Europe, à cause d'Otto Frentz (Parsifal) capable de neutraliser leurs superpouvoirs. Du coup, une fois le conflit terminé, Tex Thompson récolte les honneurs, et les autres se retirent comprenant qu'ils ont fait leur temps. Dans son bureau de PDG d'un groupe de presse, Alan Scott s'inquiète de la montée de l'anticommunisme et des conséquences potentielles pour ses journalistes avec des attaches socialistes. Au début des années 1990, l'éditeur DC Comics établit le principe des histoires alternatives de type Elseworlds, avec Gotham by Gaslight (Mignola & Augustyn) en 1989, puis avec Batman: Holy Terror (Brennert & Breyfogle) qui est pour la première fois estampillé du logo Elseworlds. La majeure partie des Elseworlds se présente sous la forme d'une histoire complète en 1 épisode de 48 ou 64 pages. De temps à autre, des auteurs réalisent une histoire de plus grande ampleur comme celle-ci, ou encore en 1996 Whom Gods destroy, de Chris Claremont, avec Dusty Abell & Drew Geraci. A priori, le lecteur a de quoi être fortement alléché par cette histoire : écrite par James Robinson le scénariste de la série Starman (1994-2001), dessinée par Paul Smith le dessinateur d'épisodes mémorables de la série Uncanny X-Men (épisodes 164 à 175, sauf le 171). Le lecteur s'adapte facilement au mode narratif adopté par les auteurs. James Robinson a beaucoup de choses à présenter, à raconter pour établir la situation : l'ascension politique de Tex Thompson, le rôle des superhéros pendant la seconde guerre mondiale et ce qu'ils deviennent. Le lecteur n'a pas besoin de disposer d'une connaissance encyclopédique desdits personnages pour apprécier le récit. Tout au plus s'il les a déjà vaguement vu passer dans une histoire ou une autre, cela suffit pour générer la sensation de nostalgie attendue. Pas besoin de savoir qui sont Captain Triumph, Dan the Dyna-Mite, Johnny Quick, Liberty Belle, Manhunter, Robotman, Tarantula, Atom, Green Lantern, Hourman, Starman, Johnny Thunder, Miss America et les autres. De même, les dessins dégagent également tout de suite un parfum de nostalgie, une Amérique propre sur elle des personnages élégants, des individus désenchantés, des lieux réalistes. Le coloriste réalise un très bon travail pour nourrir chaque planche, leur donner plus de consistance, même si une ou deux sont reproduites un peu trop foncées. Au départ, l'intrigue se répartit entre la progression régulière de Tex Thompson sur la scène politique, le constat d'impuissance des superhéros de la seconde guerre mondiale, et le mystère du fuyard inconnu. L'écriture du scénariste oscille entre le naturalisme pour les dialogues, les flux de pensée un peu écrits, et des scènes d'action spectaculaires. L'artiste réalise des dessins propres sur eux, avec des traits de contour élégants, un usage très maîtrisé des aplats de noir et des traits d'encrage à l'intérieur des surfaces détourées pour leur apporter un peu de texture. Chaque page offre une lecture fluide, avec des personnages incarnés par leur expression de visage naturelle, leur gestuelle, soit dans un registre naturaliste pour les discussions, soit dans un registre plus vif lors des séquences d'action. Du coup, le lecteur perçoit facilement l'état d'esprit de chaque personnage, et éprouve de l'empathie pour ces adultes qui estiment que le temps d'être un superhéros est passé, que leurs superpouvoirs sont inutiles, qu'ils ne sont plus dans le coup : l'Amérique ne veut plus d'eux. Ils sont obsolètes, des vestiges d'un passé que tout le monde veut oublier, et impuissants à faire face à la montée d'autres dangers, comme le communisme, ou plus encore la chasse aux sorcières qui montent en puissance sur le territoire de leur pays. Ils avaient éprouvé un sentiment d'importance en combattant le crime pour le bien commun, et cela leur est retiré. La plupart d'entre eux perdent également pied dans leur vie personnelle, entre divorce, incapacité à protéger ses salariés, usage de substances psychotropes, et même santé mentale. Dans le même temps, Tex Thompson a choisi de servir le peuple en menant une carrière politique dans la vie civile et ça lui réussit. Les dessins montrent un bel orateur, sûr de lui sans être arrogant, autoritaire comme il faut, très différent de l'inexpérimenté Daniel Dunbar, avec un dessin irrésistible quand ils sont tous les deux sur le même podium du fait contraste entre leur posture. Au fil des pages, le lecteur peut éprouver la sensation que Paul Smith dessine un peu différemment que pour la série X-Men : dans la postface, Chaykin explique que l'artiste a fait en sorte d'incorporer des maniérismes propres aux illustrateurs et dessinateurs de l'époque à laquelle se déroule le récit. Régulièrement, le lecteur marque un temps d'arrêt pour apprécier une image ou une séquence : les cases montrant l'Amérique sous un jour quasi mythologique, Thompson debout dans une voiture pendant la parade, Robotman arrêtant brutalement deux voleurs, Theodore Knight en proie aux affres de son génie scientifique, Paul Kirk assailli par des cauchemars métaphoriques avec un aigle éviscéré, Hourman subissant des visions délirantes sous l'effet de sa pilule miracle, Carter Hall complètement parti dans sa réincarnation égyptienne, etc. Par le biais d'une narration très étudiée, tant sur le plan visuel recréant l'esprit d'une époque, que par les flux de pensées, les auteurs transportent le lecteur dans une Amérique dans laquelle les héros de la guerre sont priés de reprendre leur place dans le civil, et qui est en proie au doute de la présence d'un ennemi caché au sein même de la société. La déliquescence des superhéros d'hier correspond à la chasse aux sorcières menée par le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines (HUAC). En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut trouver que la révélation du criminel qui tire les ficelles est totalement grotesque et ramène le récit à un niveau infantile. Il est aussi possible d'envisager cette fin comme étant symbolique, comme permettant d'enterrer définitivement une période révolue, en mettant un terme aux agissements de l'ennemi emblématique de l'équipe All Star Squadron, permettant ainsi à une nouvelle ère de s'ouvrir. Le lecteur peut éprouver des a priori quant à ce récit : une histoire de superhéros se déroulant juste après la seconde guerre mondiale, hors continuité, avec des tas de superhéros peu connus, et un dessinateur aux cases peut-être trop aérées pour une reconstitution historique. Très rapidement, il se rend compte que James Robinson sait insuffler assez de personnalité à chaque protagoniste pour que le lecteur s'y attache même s'il ne les a jamais rencontrés auparavant. Il constate également que Paul Smith a dû disposer du temps nécessaire pour peaufiner ses planches, de manière à concilier un degré de détails suffisants, avec une saveur rappelant la fin des années 1940, une grande réussite. Il prend fait et cause pour ces adultes qui ont été des superhéros, qui sont revenus à la vie civile et qui se trouvent en décalage avec l'état de leur société, éprouvant une sensation d'obsolescence. S'il considère les superhéros comme l'expression d'une caractéristique purement américaine, il ressent toute la justesse du dénouement, après un récit sensible à l'intrigue astucieuse.
Batman - Curse of the White Knight
Post héros - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes, initialement parus en 2020, écrits, dessinés en encrés par Sean Murphy, avec une mise en couleurs réalisée par Matt Hollingsworth. Elle fait suite à Batman - White knight (2018), réalisé par la même équipe, qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il contient également l'épisode supplémentaire Batman: White Knight Presents Von Freeze, paru en 2020, écrit par Sean Murphy, dessiné et encré par Klaus Janson, et mis en couleurs par Matt Hollingsworth. En 1685, au manoir des Wayne, le maître de céans Edmond Wayne passe Lafayette Arkham par le fil de son épée, sous les yeux de Bakkar. Il jette son cadavre par une ouverture circulaire et celui-ci tombe au plus profond des grottes souterraines, tout en continuant de rire comme un dément, ses canines de vampire clairement apparentes. Au temps présent, le responsable de l'asile d'Arkham vient ouvrir la cellule de Joker en lui apportant ce qu'il a demandé, bien emballé dans un long sac. Il lui a également apporté les clés de son ancienne cellule. Alors qu'ils descendent les escaliers pour s'y rendre, Joker demande où se trouvent les autres détenus. Ils ont été transférés dans un autre établissement afin que la rénovation de l'asile puisse commencer. Cela fait partie du Projet Napier. Joker s'énerve en entendant ce nom, et exige que le directeur ne le prononce plus devant lui. Finalement arrivé devant son ancienne cellule, Joker prend en charge son long paquet, et poignarde le directeur à la gorge avec son stylo. Au manoir Wayne, Bruce a trouvé l'enveloppe qu'Alfred lui a laissée, et en fait la lecture. Alfred espère que Bruce ne s'isolera pas davantage et qu'il ne coupera pas la communication avec Richard et Barbara. Il ajoute qu'il lui a laissé un coffret sous une lame de parquet de sa chambre. Bruceval'y retirer et en sort un coffret ancien contenant un journal avec une couverture de cuir. Batman répond au symbole lumineux de la chauve-souris qui apparaît sur les nuages. Il se rend à l'asile d'Arkham où il est reçu par le commissaire James Gordon. Ce dernier lui apprend l'évasion de Joker, et il évoque la réserve étrange du directeur qui ne répond pas franchement aux questions. Batman interroge à son tour le directeur en l'intimidant et le mettant face à ses contradictions. Il finit par apprendre que Joker a fait une découverte dans sa cellule. Gordon et lui s'y rendent. Ils découvrent une pièce secrète derrière un mur : le fond d'un puits. Il y a un message en lettres de sang sur un mur, trop effacé pour être déchiffrable, et un os humain qui dépasse du sol, indiquant la présence d'un cadavre enterré. Ruth Redford se fait déposer par son chauffeur, à l'entrée de l'immeuble où se trouvent ses bureaux. Elle rentre dans son bureau, une grande pièce avec vue et y découvre Joker assis dans son fauteuil en cuir, avec ses pieds sur le plateau en acajou de son bureau. La conversation s'engage. Dans la batcave, Bruce Wayne explique à Dick Grayson les raisons pour lesquelles il va révéler son identité réelle aux habitants de Gotham. Le lecteur constate tout de suite qu'il s'agit de la continuation du tome précédent. Il retrouve cette version un peu différente de Batman (Bruce Wayne), de Richard Grayson, de Barbara Gordon du commissaire Gordon, de Joker, de Harley Quinzel, et bien d'autres personnages récurrents de l'univers de Batman. L'auteur en respecte les caractéristiques principales, et aménage quelques caractéristiques secondaires. Ainsi, Joker fut par le passé Jack Napier, Grayson travaille pour une unité spéciale de la police de Gotham sous son identité de superhéros Nightwing, et cette unité a intégré dans son parc de véhicules des Batmobiles. Il est fait référence aux événements du tome précédent, et Batman songe à révéler son identité, comme suite logique desdits événements. La quatrième de couverture permet de découvrir qu'Azrael intervient dans l'histoire, dans une version un peu différente de la continuité (ou des continuités) précédemment établie. À plusieurs reprises, l'auteur réarrange des faits, à commencer par l'histoire de la fondation de Gotham, et l'histoire de la dynastie des Wayne. Il ajoute également au mythe, avec le personnage de Bakkar, le personnage de Ruth Redford, et la mystérieuse Élite de Gotham qui reste dans l'ombre tout en exerçant une forte influence politique. Il est possible que le lecteur revienne avant tout pour la partie graphique, plus que pour l'intrigue. Sean Murphy est toujours investi dans sa narration visuelle, avec des moments extraordinaires : Edmond Wayne aussi élégant qu'Errol Flynn (1909-1959), Ruth Redford aussi autoritaire que la version initiale d'Amanda Waller, l'épée d'Azrael flamboyante et inquiétante, le transfert des prisonniers d'Arkham avec leur combinaison orange, l'entrain contagieux de Barbara Gordon, quelques course-poursuites dans Gotham toujours aussi réussies, et de beaux affrontements physiques. Les personnages disposent tous d'une réelle prestance, et d'une réelle personnalité visuelle : Batman avec ses cuissardes et sa cape serrée, Harley Quinn et sa silhouette mince, Ruth Redford et sa forte présence physique, Edmond Wayne et son côté pirate élégant, Joker et son exubérance ainsi que son long nez (le seul à avoir conservé un appendice nasal aussi allongé). Déjà acclimaté avec le tome précédent, le lecteur apprécie pleinement la personnalité graphique de l'artiste, ce mélange de traits fins et secs, d'aplats de noir aux contours complexes, d'alternance entre des plans focalisés sur les personnages pour les scènes d'action intenses, et de décors détaillés pour les moments civils ou les séquences de dialogue. Il sait donner vie à chaque personnage, et entremêler des séquences du dix-septième siècle avec celles au temps présent, les éléments gothiques avec la technologie présentant une touche futuriste, des personnages avec une touche romantisme, et une touche de folie. L'intrigue s'avère rapidement dense sans être trop complexe, avec l'évasion de Joker, l'histoire de la famille Wayne, l'ordre de Saint Dumas, et un secret caché depuis plusieurs siècles, susceptible de faire perdre pied à Bruce Wayne. Dans le même temps, la vie des personnages continue. Bruce Wayne tire les enseignements des événements du précédent tome, et James Gordon fait de même de son côté, chacun arrivant à sa conclusion. Harleen Quinzel doit gérer les conséquences de sa relation avec Jack Napier, ainsi que la disparition de ce dernier. Richard Grayson et Barbara Gordon entretiennent des relations un peu différentes avec l'unité spéciale de la police de Gotham. Ils doivent faire face plus ou moins unis à la fois à Joker à nouveau dans la nature, à la mystérieuse Élite représentée par Ruth Redford, et à l'arrivée d'un représentant de l'Ordre de Saint Dumas doté d'une épée, et jouant les vigilants à sa manière. Le lecteur se rend compte que cette fois-ci l'enjeu n'est plus politique, que l'intrigue prime dans la narration. Il peut en être un peu frustré car cette fameuse Élite reste très fumeuse, sans réelle consistance, désincarnée, même pas une caricature d'individus capitalistes. Outre de savoir si Batman et ses alliés pourront endiguer la montée des criminels, le véritable enjeu réside dans la capacité de Bruce Wayne à changer. Sa place en tant que Batman est remise en question. La place de sa famille dans l'histoire de Gotham est remise en question. Sa collaboration avec James Gordon est remise en question. L'héritage de Jack Napier et sa fondation ont plus d'impact bénéfique que ses actions en tant que Batman. Le lecteur peut y voir une réflexion sur ce qui fait l'identité d'un individu, ainsi qu'une réflexion sur l'intérêt de l'action d'un individu isolé pour lutter contre le crime. Ces axes sont moins superficiels que l'existence de l'Élite, mais ils ne débouchent pas sur une réflexion sur la nature de l'identité personnelle, ni de l'héroïsme individuel. Cette suite constitue une aventure de haut vol pour la narration visuelle, la cohérence de l'univers créé, le charisme des personnages créés, avec une intrigue fournie et divertissante, et des thèmes sous-jacents intéressants, même s'ils ne sont pas développés. Von Freeze : 45 pages, scénario de Sean Murphy, dessins et encrage de Klaus Janson, couleurs de Matt Hollingsworth. Il y a quelques années de cela, Nora fait irruption dans le laboratoire de Victor von Fries expliquant qu'elle ne peut pas accepter son offre d'emploi. Puis un laborantin vient les interrompre pour leur indiquer que Martha Wayne vient de faire un malaise dans la grande salle. Ils se précipitent pour lui venir en aide, et von Fries doit opérer. Ce tome comprend donc un numéro hors-série pour une histoire qui trouve sa place entre les épisodes 6 et 7 de la première saison. Dans une page d'introduction, le scénariste exprime toute sa gratitude d'avoir ainsi pu travailler avec un des artistes qu'il admire et avec qui il est devenu ami. Janson effectue un excellent travail narratif pour cette histoire se déroulant en Allemagne sous le régime nazi, avec une mise en retenue, très adaptée, dans des tons gris acier. Le lecteur en apprend plus sur ce personnage, en découvrant son histoire personnelle, dans un récit qui évite le manichéisme.
Goodnight paradise
Aux côtés d'un sans-abri dans un polar ensoleillé - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. L'éditeur a pris le parti de publier en même temps la version en épisode, et la version en recueil. Ce tome a été publié initialement en 2018, écrit par Joshua Dysart, dessiné et encré par Alberto Ponticelli, avec une mise en couleurs réalisée par Giulia Brusco. La forêt est en train de brûler. À Venice Beach en Californie, il fait beau : ciel bleu, soleil brillant, la fumée de l'incendie n'est pas encore arrivée. Eddie Quinones, un sans-abri, marche tranquillement, la capuche de sa veste rabattue sur sa tête. Il entre dans la bibliothèque municipale : les toilettes en sont fermées, ce qui lui rappelle qu'il a vraiment très mal au ventre. Il salue Tom, un jeune homme en train de lire, et se rend à un des postes informatiques en libre -service. Il consulte son courriel : il a un message de son fils Jeronimo Duran qui lui indique qu'il passera à Venice dans deux semaines et qu'il aimerait bien le rencontrer. Eddie ressort en disant au revoir à Tom, et se rend chez son meilleur ami Bob qui habite dans un camping-car. Ce dernier lui propose de rentrer, et lui offre une bière. Il se plaint de son pied qui ne guérit pas, ce qui à terme pourrait l'empêcher de conduire. Puis il s'installe aux toilettes, tout en continuant à discuter avec son pote. Il l'informe que son fils va venir et qu'il souhaite le voir. Bob lui propose de lui laisser son camping-car le temps que son fils sera là, lui ira dormir chez sa copine. Eddie sort des toilettes sans avoir rien pu faire. Il esquisse quelques pas de danse en chantant, et explique qu'il pense qu'il n'arrivera plus jamais à aller à la selle. Bob a sorti sa guitare et gratte un peu pour accompagner son pote. Une fois qu'il se sont détendus en fumant une cigarette qui fait rire, ils décident d'aller faire un tour le long de la plage. Une fois à l'extérieur, ils se promènent sur l'allée qui longe la plage. Eddie s'arrête pour saluer une sans abri, allongée par terre avec son chien Snap à ses côtés : Tessa Kerrs. Le chien grogne et montre les dents empêchant Eddie de l'approcher, et elle semble partie dans un mauvais trip. Il continue à se promener tout seul, et est interpellé par Hogan, un individu à l'allure de clochard, mais visiblement aussi un facilitateur entre les sans-abris et les aides publiques ou privées. Hogan lui donne un petit plateau repas pris sur le stand sur la promenade, et lui fait observer la présence de jeunes gens fortunés en provenance de Santa Monica, avec leurs gardes du corps. Il lui indique qu'ils sont le symptôme d'une opération de renouvellement urbain imminente. Enfin, il confie un téléphone portable à Eddie, un don du gouvernement Obama. Enfin Eddie arrive près d'un banc squatté par Friday, un autre sans-abri de ses amis. Il s'assoit à ses côtés, et Friday lui offre une bière. Ils papotent un peu, et Eddie voit passer Tessa accompagnée de son copain Jacq. Il leur adresse la parole, mais Jacq lui intime de les laisser tranquille avec des mots crus. La nuit tombe. Eddie et Friday regardent passer un troupeau de cyclistes. Eddie décide d'aller faire le tour des conteneurs à déchets pour voir ce qu'il peut récupérer : il découvre le cadavre de Tessa et de son chien dans l'un d'eux. TKO est une maison d'édition de comics fondée en 2017 par Tze Chun et Salvatore Simeone, ayant fait appel à des créateurs réputés pour leurs premières parution comme Garth Ennis pour SARA avec Steve Epting, et Jeff Lemire pour Sentient , avec Gabriel Hernández Walta. Joshua Dysart et Alberto Ponticelli ont déjà collaboré sur une série mémorable : Soldat Inconnu (2008-2010, 25 épisodes) sur la guerre en Ouganda. Le lecteur découvre vite le type de récit du présent tome : un polar. Le personnage principal est donc un sans-abri, visiblement depuis de nombreuses années, qui vit dans une région ensoleillée des États-Unis, vivant dehors, sans domicile fixe, dormant souvent dans la rue, se nourrissant mal, ne disposant d'aucune couverture sociale, avec quelques difficultés de concentration, ne buvant que des bières, mais pas beaucoup car il n'a pas le moyen de s'en acheter. Le meurtre concerne une autre personne à la rue, une jeune fille, visiblement pas très bien dans sa tête, au point de parler à haute voix toute seule, dormant elle aussi dans la rue. Les auteurs n'utilisent pas un sans-abri juste pour avoir un point de vue original. Les caractéristiques de la vie à la rue ne disparaissent pas comme enchantement au bout d'une dizaine de pages : elles sont présentes tout du long du récit. Eddie ne devient ni un individu particulièrement costaud, ou particulièrement brillant dans ses déductions, et sa façon d'appréhender la réalité reste tout du long en décalage avec celle d'un individu intégré à la société. Au fur et à mesure que l'enquête progresse, le lecteur découvre avec Eddie, des ramifications dans la prostitution, le mondes des affaires avec l'implication d'un promoteur immobilier, et celui des hommes de main. Au cours du chapitre 4, les auteurs consacrent une page à la création de Venice Beach et de ses canaux par Abbot Kinney (1850-1920). Là aussi, la localisation de l'affaire ne se limite pas à juste disposer d'un joli décor avec la mer et des palmiers, mais participe à l'intrigue qui n'aurait pas été la même si elle s'était déroulée dans un autre lieu. Les errances et les recherches plus ou moins conscientes du sans-abri font apparaître des caractéristiques économiques de la société dans laquelle il évolue ou qui l'entoure, faisant de ce récit un véritable polar, un révélateur et un commentaire social. La vie des différents personnages est façonnée par les forces qui modèlent la société dans ce quartier de Venice Beach. Le scénariste s'inspire des meilleurs auteurs de polar, la Californie faisant penser à un écrivain y ayant situé la plupart de ses polars : Ross McDonald (1915-1983, de son vrai nom Kenneth Millar). D'expérience de lecteur, il n'est pas facile de raconter un polar en bande dessinée, car le mécanisme de l'enquête est beaucoup plus visible et peut vite paraître artificiel. Les auteurs évitent cet écueil d'une part parce que le personnage principal est un sans-abri, d'autre part grâce à la narration visuelle. Eddie n'est pas un enquêteur professionnel, ni même amateur : il poursuit une idée, ou un questionnement, souvent sur la base d'une logique très partiale et très partielle. L'artiste prend bien soin de montrer les personnages comme des individus plausibles et réalistes, sans les idéaliser ou leur donner une allure romantique. Les différents sans-abris arborent des expressions de visage montrant une forme de conscience de vivre en marge, avec des gestes présentant parfois une apparence différente, des postures ou des mouvements que n'auraient pas un individu intégré à la société. Ponticelli n'en rajoute pas sur la crasse, l'hygiène douteuse, ou la vie dans les détritus. Il montre de manière factuelle et dans le fil du récit des facettes de la vie de sans-abri : le bandage sale du pied de Bob, le visage jamais rasé d'Eddie et ses habits crasseux, le bazar dans le camping-car usagé de Bob, le coin de mur contre lequel Tessa se repose, les trottoirs de Skid Row envahis par les tentes des sans-abris, le décalage entre une banlieue propre et pimpante et la présence de sans-abris en train de manifester. Dès la première page, le dessinateur investit du temps pour représenter Venice Beach, sa plage, sa promenade le long de l'océan, le type d'immeubles et de pavillons en fonction des quartiers. Il ne s'agit pas de tourisme, mais juste de représenter l’environnement dans lequel se déroule une séquence dans la rue, ou à l'intérieur d'un immeuble ou d'une maison. Il représente avec le même naturel les accessoires de la vie courante comme les téléphones portables ou les canettes de bière. De temps à autre, le lecteur remarque une suite de cases avec un cadrage de type plan poitrine ou plus rapproché, sans rien en arrière-plan. D'un autre côté, la coloriste sait mettre en place une teinte principale dans chaque scène et la décliner lorsqu'il faut habiller un fond de case. Il n'y a que dans le cinquième épisode que le dispositif narratif montre ses limites. Eddie s'est déplacé d'un endroit à l'autre pour rencontrer des individus au gré de sa fantaisie, de ce qu'il pouvait comprendre. Le lecteur découvre ces scènes du point de vue du personnage qu'il a croisé, replacées dans le contexte du moment de la vie de cet autre personnage. Le scénariste montre alors ses trucs de manière un peu artificielle, les personnages expliquant à Eddie, ou même directement au lecteur ce qu'il a fait. Pendant ces moments-là, Dysart ne parvient pas à échapper à la mécanique du roman policier avec les phases d'explication ou de révélation quant à ce qui s'est vraiment joué pendant telle ou telle scène. Joshua Dysart & Alberto Ponticelli relèvent le défi de raconter un vrai polar : une enquête criminelle inscrite dans un milieu social particulier et qui sert de révélateur. L'histoire tient cette promesse de manière aussi ambitieuse que naturelle, avec un personnage principal inhabituel : un sans-abri montré de manière naturaliste du début jusqu'à la fin, sans exagération romantique, sans qu'il ne se transforme en personnage d'action générique en cours de route. Le lecteur se retrouve emporté à Venice Beach, à côtoyer des sans-abris désocialisés, mais gênant de plusieurs manières.
Très chers élus - 40 ans de financement politique
Vous avez vu combien coûte une campagne présidentielle ? - Ce tome contient un essai complet, indépendant de tout autre. Il s’agit d’une enquête sur le financement de la politique en France, enquête réalisée par Élodie Guéguen & Sylvain Tronchet, dessinée par Erwann Terrier, et mise en couleurs par Degreff. La première publication date de 2022. L’ouvrage comporte cent quarante-six pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction des deux journalistes : pour conquérir le pouvoir, l’argent est le nerf de la guerre ; il est aussi, généralement, celui par qui le scandale arrive. Il se termine avec un post-scriptum écrit par les auteurs évoquant le délai de sept à huit mois pour la réalisation et la parution du rapport sur les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2022, un entretien de deux pages avec Jean-Philippe Vachia (le président de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques), et un entretien croisé avec les anciens magistrats Jean-Louis Nadal (procureur général près de la cours de cassation, puis président de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique) et Yves Charpenet (directeur des affaires criminelles des grâces du ministère de la Justice). Lors de la campagne présidentielle de 2022, dans un salon de l’Élysée, Emmanuel Macron reçoit son équipe avec petits fours et champagne. Dans un petit groupe, un conseiller fait le point : fiscal year 16 a été une année de super croissance pour eux. Ils ont eu de très bons wins. Jamais personne dans l’histoire n’a fait un grand win sans grands efforts. Parce que la valeur travail, elle est au centre de leur équation. Mais c’est leur culture d’entreprise dont il est le plus fier. Elle est business-focus. Intense et ambitieuse. C’est une culture de fight. Ils n’ont pas peur de dire que construire une grande boîte c’est un combat. Et âmes sensibles s’abstenir. Un conseiller plus âgé s’éloigne pour aller se rafraîchir aux toilettes, tout en pestant contre ce jargon de la culture de Fight. Il retourne dans le grand salon mais cogne la porte contre le coude de Macron qu’il n’avait pas vu. Christian Dagnat est au micro, un banquier qui lève des fonds pour le candidat. Il explique aux donateurs potentiels qu’ils peuvent donner jusqu’à 7.500€ par an, et qu’en faisant de même au nom de leur épouse, ils peuvent monter jusqu’à 15.000€. Puis c’est au tour de Macron lui-même de prendre la parole pour indiquer le montant de levée de fond qu’ils ont atteint à ce jour, et les modes de financement complémentaires à venir, y compris le fait qu’il va s’endetter personnellement à hauteur de 8 millions d’euros. Puis il remercie les participants, alors qu’un conseiller distribue des formulaires de dons. Sur un marché découvert parisien, des militants distribuent des tracts pour la campagne 2022. Sylvain arrive en trottinette et rejoint Élodie : ils ont rendez-vous avec Monsieur X, leur source. Ils l’aperçoivent en train de les attendre sur un banc. Ils lui rappellent qu’ils souhaitent échanger avec lui au sujet de leur enquête sur le financement de la vie politique française. En guise d’introduction, il répond que l’argent est essentiel à la conquête du pouvoir. Il a tout vu de l’arrière-boutique des partis sous la Ve république. Pas facile de donner un aspect visuel à une enquête journalistique, encore moins quand il s’agit de quelque chose d’un peu abstrait comme le financement des partis politiques et des élections. Les auteurs ont pris le parti d’une forme de promenade dans Paris avec un arrêt pour prendre un café, au cours de laquelle les deux journalistes Élodie Guéguen & Silvain Tronchet se mettent en scène en train de discuter avec un monsieur en imperméable et chapeau mou, promenant son chien, qui incarne l’amalgame de plusieurs de leurs informateurs, sous les traits de Monsieur X, vraisemblablement la soixantaine, et ayant connu plusieurs décennies de fonctionnement des partis politiques, de l’intérieur. Le lecteur bénéficie ainsi d’une longue promenade au cours de laquelle il reconnaît la tour Eiffel, des sorties de station de métro, le mur d’enceinte de l’Élysée, les arcades de la rue de Rivoli, la porte d’entrée du Conseil Constitutionnel avec sa magnifique sphinge, la place Vendôme, la pyramide du Louvre, les bouquinistes des quais de la Seine, la passerelle des arts, la place du colonel Fabien, Les Deux Magots, le jardin du Luxembourg, la promenade le long des quais de la Seine à Paris, le ministère des finances, la place de la Bastille, etc., pour finir place de la République devant le monument à la République du sculpteur Léopold Morice. Au fil de cette déambulation, les trois interlocuteurs évoquent des affaires ayant été couvertes par les médias, les déclarations des hommes et femmes politiques mis en cause, ainsi que certains de leurs collaborateurs, le dessinateur reproduisant avec fidélité leur apparence, ce qui permet de les identifier aisément. Ces séquences souvenirs emmènent le lecteur dans des endroits très variés à chaque fois bien représentés : un salon de l’Élysée, un chantier de construction, la piscine de pièces d’or de Picsou, le plateau du journal de vingt heures, la roche de Solutré, l’hémicycle de l’assemblée nationale, les bureaux des quartiers généraux de campagne des candidats, des bureaux de police pour interrogatoire, le meeting de Villepinte où se produit Nicolas Sarkozy, le parlement européen, le festival d’Avignon, le circuit des vingt-quatre du Mans, une riche propriété avec une piscine, un loft luxueux, les marches du festival de Cannes, etc. Ces images peuvent illustrer littéralement ce que dit le texte, avec éventuellement une légère redondance, comme elles peuvent aussi introduire une touche d’ironie, de sarcasme, de caricature ou de moquerie ouverte. Par exemple, François Fillon effectue un trajet en voiture du Mans à Paris : il conduit une formule 1 sur le circuit automobile, et une jeune femme se tient sur la piste avec un panneau d’avertissement pour le pilote, sur lequel est marqué Rends l’argent ! D’un côté, les auteurs ont effectué un gros travail de préparation pour que la narration visuelle apporte des éléments supplémentaires au texte de l’enquête, que ce soit une prise de recul ou une touche humoristique. D’un autre côté, la narration visuelle est entièrement asservie à cette restitution d’enquête qui s’avère être à charge. Le titre le laissait supposer : la formulation Très chers élus dirige vers le coût de la vie politique, le coût de la démocratie en quelque sorte. Les deux journalistes évoquent les affaires comme Elf. Cogedim. Urba. Françafrique. Fonds spéciaux Matignon. DCN. Luchaire. Etc. Les sources de financement avérés comme les entreprises de BTP, les offices HLM, Bygmalion, etc. Ils citent explicitement les affaires judiciaires avec condamnation et celles avec de forts soupçons, mettant nominativement en cause Patrick Balkany, François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin, Claude Guéant, Christian Nucci, Roland Dumas, Éric Woerth, Sophia Chikirou, Wallerand de Saint-Just, Marine Le Pen, François Bayrou, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez, Philippe Laurent, Ségolène Royal, François Fillon, Emmanuel Macron, Anne-Christine Lang, et quelques autres. Ils reprennent chronologiquement les astuces et les malversations avérées pour financer les partis et les campagnes, soit en transgressant la loi, soit en la contournant : fausses factures, les marchés publics avec commission entre 3% et 5%, le brigandage municipal pour l’attribution de site pour grandes surfaces, les fonds secrets de Matignon, les surfacturations, les rétro-commissions, les mallettes d’argent en billets de banque, les sous-facturations, les assistants rémunérés par l’Assemblée Nationale ou le parlement européen, la création de micros partis pour cumuler les dons, les instituts de formation, les fondations adossées à des partis politiques, etc. L’inventivité en la matière force le respect, et constitue une ode à la créativité. Les auteurs se sont fixés comme objectif de prouver la réalité des fraudes, de détournement d’argent public et d’abus de bien sociaux. Leur énumération de faits avérés fonctionne comme un faisceau de preuves, finissant par être accablant. Pour autant, le ton n’est pas au réquisitoire assoiffé de sang. Ils savent faire preuve d’humour, que ce soit avec des anecdotes énormes (deux Tupperwares remplis de billets, enterrés dans les bois par Didier Schuller et déplacés par des sangliers ayant creusé), un dépôt en billets dans une banque pour un montant de dix millions de francs. Ils ne se contentent pas de pointer du doigt pour accuser : ils se livrent également à une analyse de l’effet des différentes lois relatives à la transparence financière de la vie politique, du fonctionnement de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques créée en 2005. Ils reprennent l’analyse de Julia Cagé dans son livre Le prix de la démocratie (Fayard, 2018), aboutissant à la conclusion que les généreux donateurs fortunés profitent à plein des réductions d’impôts et voient leurs préférences politiques massivement subventionnées par l’ensemble des contribuables, et en prime bénéficier d’une politique qui leur est financièrement favorable une fois leur candidat au pouvoir. À l’occasion d’une page ou d’une autre, le lecteur s’aperçoit également que les auteurs et l’artiste se sont coordonnés pour une autre forme d’interaction, la situation montrée commentant ironiquement les faits évoqués. Par exemple, François Mitterrand et son aréopage effectuent l’ascension de la Roche de Solutré, et le président doit se débarrasser d’un caillou dans sa chaussure, alors qu’il pense en même temps à la manière de blanchir son collaborateur Christian Nucci dont les actions génèrent une gêne comme un caillou dans une chaussure. De la même manière, les différentes activités dessinées en arrière-plan pendant la promenade dans Paris recèlent le plus souvent une action publique qui se trouve directement impactée si l’argent public est détourné. Une enquête sur le financement des partis et des campagnes politiques en bande dessinée : certainement un essai touffu avec des illustrations qui peinent à apporter des éléments visuels supplémentaires. Au départ, le lecteur se dit qu’il y a un peu de ça, mais dans le même temps la lecture s’avère très agréable, sans le côté pesant qui peut accompagner des exposés denses en information. La balade dans Paris semble relever d’un dispositif artificiel gratuit, mais plusieurs séquences finissent par mettre la puce à l’oreille du lecteur : il y a un effet de résonance subtil et élégant entre les lieux traversés et les activités montrées, avec les malversations évoquées. La démonstration est à charge, ce qui est affiché explicitement dès le début, tout en expliquant des mécanismes très divers et très astucieux. Les auteurs ont l’honnêteté intellectuelle de poser la question caricaturale : Tous pourris ? Ils apportent une réponse nuancée et justifiée, et leur enquête fait autant la démonstration de l’utilisation détournée de fonds publics, que de l’amélioration lente mais aussi progressive de la transparence dudit financement, et de l’augmentation du nombre d’enquêtes, de procès et de condamnation. Extraordinaire enquête, restituée avec une intelligence malicieuse.
Les Cinq Conteurs de Bagdad
Rholala mais qu’il est bien cet album !! A sa sortie, je me vois encore l’acheter sans grandes convictions. La faute à une couverture moyenne et un dessin qui ne m’émoustille pas de prime abord. La suite me donnera tort, je suis émerveillé de la maîtrise des auteurs sur un tel sujet. Dans le genre conte, cet album est un Must-have. Je suis emporté systématiquement à chaque lecture. Le dessin et couleurs s’avèrent finalement parfaits pour nous immerger dans cette aventure, une sorte d’hommage aux 1001 nuits. L’action se situe à Bagdad du temps des Califes, nous y suivrons un groupe hétéroclite de 5 conteurs, partit sur les routes perfectionner leur art en vue d’un concours qui récompensera le meilleur d’entre eux. Jusque là OK ça a l’air sympa, ça fait contes dans les contes. Mais sans trop en dire (et c’est là où je tire mon chapeau), Vehlmann arrive à donner une tout autre dimension à son récit. Déjà la personnalité de nos 5 conteurs est bien marquée, j’ai adoré leurs interactions. C’est surtout la construction du récit que je trouve admirable, le coup de connaître rapidement le destin des personnages est géniale, les différentes rencontres lors de leur périple sont improbables, mystérieuses et sympathiques, et la fin est juste magique. Une lecture un peu exigeante mais pour un résultat bluffant, j’en sors systématiquement conquis. Culte !!
La Folle du Sacré-Coeur (Le Coeur couronné)
Les avis précédents me sont totalement incompréhensibles A moins que leurs auteurs ne soit précisément tel le héros de la BD, hermétiques et bien trop cérebraux Personnellement je classe cette BD au rayon des chefs d'œuvre. Une BD originale, puissante, profonde, drôle, spirituelle qui m'a laissé sans voix Du grand du trés grand Jodorowski et le dessin somptueux de Moebieux la sert trés bien Un must, à lire absolument. Bien entendu, ne vous attendez pas à du Tintin ou de l'Asterix mais à un sacré voyage
Celle qui fit le bonheur des insectes
Souffrir, est-ce aimer encore ? Est-ce aimer plus fort ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, dont la première édition date de 2022. Cette bande dessinée a été réalisée par Zidrou (Benoît Drousie) pour le scénario et par Paul Salomone pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-sept pages de BD et cinq pages de recherches graphiques. Prologue. Une histoire comme on en raconte pour que le sommeil vienne aux enfants. Il est des oiseaux qui, dès les premiers frimas, migrent vers le sud, vers l'astre du jour, sa chaleur, son humour… Et d'autres qui, l'hiver venu, préfèrent migrer vers l'astre de nuit, sa douceur, son amour. Une maman raconte à ses enfants un conte sur des oiseaux qui s'envolent pour atteindre la Lune. Une fois la Lune atteinte, après la parade nuptiale, les femelles creusent de grands trous dans le sol afin d'y pondre leurs œufs. Ces mêmes grands trous sombres que, la nuit, on peut apercevoir à la surface de l'astre lunaire. Chaque femelle y pondra cinq ou six œufs qu'elle pondra, sans faillir, trois semaines durant. Trois semaines au terme desquelles éclateront, par milliers, des petits oiseaux de lune au plumage clair encore. C'est pour cela, les enfants, que la Lune est blanche : parce que sa superficie est recouverte d'écailles de coquilles d’œufs. La reine Shikhara a fini de raconter son histoire et ses enfants Jalna & Gorakh lui demandent s'ils existent vraiment, ces oiseaux de Lune. Elle leur répond par l'affirmative : ce sont eux qui, la nuit venue, portent leurs rêves aux étoiles. Ils les attrapent délicatement dans leur bec, puis s'envolent vers le firmament. Car chaque étoile est un rêve, et chaque rêve une étoile. Chapitre un : le cadeau. Combien de temps, déjà, s'était écoulé depuis le couronnement de Shikhara ? Quinze ans ? Seize ? Plus, peut-être ? Peu importe ! Qui s'amuse à compter les heures quand le bonheur habite son cœur ? Cela paraîtra sans doute incroyable, mais à l'époque la paix, la prospérité, et même la joie de vivre régnaient sur le royaume de Shandramãmãd. Tant et si bien que le peuple, reconnaissant avait surnommé sa reine : Kurgarvandji. Celle qui apaisa la colère des dieux. Quand, voilà près de trois lustres, son époux, le prince Gorakh Nanpur Aransol, mourut dans un tragique accident de chasse, Shikhara était enceinte de ses œuvres. En signe de deuil, la reine se brûla les cheveux. Puis se couvrit le visage des cendres de son mari. Ses larmes d'abord, la pluie ensuite finirent de laver la cendre de son visage. La vie, malgré tout, reprit le dessus. Ses cheveux lentement repoussèrent. Peu après, comme pour compenser celui qu'ils venaient de lui enlever, les dieux donnèrent à la reine deux beaux enfants. Une fille que l'on nomma Jalna. Et un garçon auquel on donna le nom de son défunt père : Gorakh. Selon la tradition, c'est Gorakh – pourtant né une heure après sa sœur – qui était appelé à succéder, un jour, à se mère sur le trône de Shandramãmãd. Très belle bande dessinée pour la prise en main, avec un format légèrement plus grand, et une couverture de toute beauté. Une illustration avec des tons doux, une reine assise sur un trône finement ouvragé dans une pierre claire, et cette nuée de papillons avec quelques insectes rampants qui apportent des touches d'ombre, vaguement inquiétantes dans leur fourmillement. le lecteur entame le prologue intitulé : une histoire comme on en raconte pour que le sommeil vienne aux enfants. Il commence par lire les cellules de texte et se fait la réflexion qu'elles pourraient se suffire à elles-mêmes. Une narratrice dit un conte et les images semblent ne servir qu'à donner à voir ce que dit déjà le texte. D'un côté, à chaque fois que les cartouches de texte mènent la narration, ils semblent se lire sans besoin de jeter un coup d’œil aux images. D'un autre côté, la beauté des dessins suffit à capter l'attention du lecteur pour qu'il ne risque pas de les oublier. Pour les quatre premières pages du conte, l'artiste choisit une représentation descriptive et concrète : un pari risqué. Pour autant, la palette de couleurs réduite à des nuances de brun installe une ambiance onirique fonctionnant parfaitement. Paul Salomone dose avec doigté ce qu'il montre, les oiseaux, et ce qu'il évoque les décors. du coup, le caractère onirique est conservé avec ce voyage vers la Lune comme dans un rêve aux environnements cotonneux et changeants, et les protagonistes apparaissent concrets permettant au lecteur de s'ancrer dans le réel. Le lecteur passe alors au premier chapitre, le cadeau, sur quatre et il découvre un monde beaucoup plus lumineux. Un royaume aux atours indiens, dans une contrée verdoyante, avec une flore diversifiée et colorée. Même dans les passages où la narration en mots prend le dessus, les dessins font beaucoup plus qu'illustrer un texte verrouillé. Les couleurs utilisées peuvent être assez vives, apportant des points chauds dans chaque page, un ingrédient avec une saveur de conte issu de l'enfance. Dans le même temps, les cases contiennent des dessins descriptifs avec un haut niveau de détails, et un détourage encré d'un trait fin, pour une apparence légère et parfois délicate. le lecteur adulte s'immerge dans un pays des mille et une nuits, avec une solide consistance et une vraisemblance remarquable. L'artiste ne se contente pas de réaliser un beau décor en toile de fond. Il a conçu une architecture des bâtiments, aussi bien extérieure qu'intérieure, des ameublements, l'une comme les autres en fonction du niveau de classe sociale où se déroule la scène, des accessoires et des tenues vestimentaires, dont l'ensemble présente une grande cohérence, rendant cette civilisation et cette époque très plausible, un royaume en Inde à une époque prospère. le lecteur a tôt fait d'arrêter de chercher les influences ou les références (comme une évocation d'une portion de la muraille de Chine en page onze) pour juste profiter du spectacle et prendre plaisir à ce dépaysement esthétique. En prenant un peu de recul sur une case ou une autre, le lecteur voit que les images ne font pas qu'illustrer ce qui dit déjà le texte. Paul Salomone donne à voir bien plus que ce que dit le texte. Il prend le risque de montrer l'interprétation qu'il en fait en termes d'environnements, d'urbanisme, d'architecture, de mode, etc. Il rend les lieux et les personnages très concrets, et dans le même temps il n'obère ni la poésie du récit, ni l'effet d'irréalité qui accompagne un conte. Il parvient à concilier des descriptions très fournies et précises avec l'impression d'un monde imaginaire. En page onze, le lecteur est émerveillé par cette vue du ciel, en vue subjective d'un oiseau, d'une belle contrée verte et montagneuse avec une ville aérée et étalée, un château à flanc de coteau, et des arbres aux feuilles colorées. Page quinze, il éprouve la sensation de voir les reflets ondulants de la lumière sur le bassin de la piscine dans laquelle la reine est en train d'accoucher. Il reste bouche bée, aussi émerveillé que Gorakh voyant son oiseau-volcan voler dans les hautes salles du palais, avec les magnifiques couleurs chatoyantes de son plumage. Il est épaté par le dessin en double page montrant la ville et le palais, avec tous les différents gazouillis d'oiseaux. Il effectue un mouvement de recul par réflexe devant la cruauté du châtiment physique infligé au monte-en-l'air. Ces moments coupent le souffle tout en stimulant l'imagination du lecteur. Totalement sous le charme de la narration visuelle, et se régalant du texte bien écrit, le lecteur se lance dans la découverte d'un conte qu'il suppose traditionnel et linéaire, avec une morale, ou tout du moins une leçon à la fin. Il ne s'est pas trompé, mais il était loin d'imaginer qu'il se prendrait d'une telle affection pour chacun des personnages. Il n'y a pas de méchant : le conte ne repose pas sur une opposition manichéenne. le point de vue se concentre sur la reine et ses enfants, un milieu aisé à l'abri du besoin, avec des serviteurs. En cours de route, intervient un monte-en-l'air issu d'une classe défavorisée, sans pour autant que le récit ne comprenne un point de vue social ; ce n'est pas ce genre de récit. Dans ces beaux atours indiens, l'auteur raconte un drame, et la manière dont différents personnages gèrent émotionnellement ces épreuves psychologiques. Il n'y a pas de commentaire recourant au vocabulaire psychanalytique, juste la mise en scène de la manière dont les protagonistes se comportent. Les deux thèmes principaux sont l'exercice du pouvoir et le deuil. Pas de leçon ou d'approche théorique, ni même politique. Même s'il n'est ni reine ni enfant d'un couple royal, le lecteur éprouve une forte empathie pour les personnages principaux, et comprend tout à fait que Shikhara utilise son pouvoir pour exercer sa vengeance. L'ampleur de celle-ci fait réfléchir quant à toute entreprise de vengeance quelle qu'en soit la raison ou les conséquences. le comportement de sa fille Jalna et d'Akbar contraste par rapport à celui de la reine, montrant qu'il est possible de souffrir sans souhaiter se venger. L'enjeu du récit ne réside pas dans ce qui serait la bonne manière de réagir dans la tourmente du chagrin, mais de donner à voir ce qui accompagne celle ou celui qui chérit son chagrin, et ce qu'il advient de celle ou celui qui accepte que la vie continue, plutôt que de s'y résigner. Un conte magnifique, à la fois pour sa narration visuelle d'une grande douceur et d'une grande richesse tant descriptive que colorée, à la fois pour sa mise en œuvre des conventions du conte pour un récit adulte sur le chagrin, avec quelques petites touches d'humour bien tournées et ne manquant pas de piquant. Par exemple : Princesse, vos royales origines ne transforment pas, pour autant, vos menstrues en or liquide. Un conte avec la forme d'un joyau étincelant doucement.