Entre mal-être existentiel et appétit d'expériences
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 8 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993, écrits par Peter Milligan, dessinés et encrés par Duncan Fegredo, et mis en couleurs par Sherilyn van Valkenburgh. La présente édition comprend une introduction de Grant Morrison (écrite en 1995) louant le caractère novateur du récit.
La scène introductive de 2 pages évoque et montre un meurtre vieux de 25 ans, une femme tuant son mari aux bords d'une ferme, dans un coin de l'Arizona typique où les enfants ont des relations sexuelles avec leurs parents, et finissent par tuer quelqu'un (dixit le narrateur). De nos jours, Michael Smith est un réparateur téléphonique et intervient dans la demeure de Victor Lamont, une vedette de la télé.
Le soir dans une ruelle, des policiers retrouvent un cadavre d'une personne dont le cerveau a été mangé par le Brain Eater, il y a un lézard mort et conservé à proximité. C'est mardi, Michael passe une soirée avec ses copains, puis rentre chez lui pour une partie de jambes en l'air avec sa copine (comme tous les mardis). Non loin de là, le superhéros Enigma est la proie de l'ennui. Michael Smith va finir par se retrouver nez à nez avec un supercriminel (The Head), puis avec Enigma, puis avec le créateur du comics d'Enigma datant des années 1970.
Peter Milligan est un scénariste de comics au mode d'écriture très particulier qui a laissé une empreinte indélébile dans l'univers des X-Men avec X-Statix. Il a également écrit de nombreuses histoires pour Vertigo et d'autres éditeurs, comme The Best of Milligan & McCarthy, Shade the Changing Man ou Greek Street. Lorsque Enigma est publié pour la première fois, de nombreux critiques crient au génie, et certains lecteurs crient au brouet abscons.
Contrairement à ce que peut laisser croire le résumé, ce récit n'est pas une histoire de superhéros. Pour commencer Duncan Fegredo réalise des dessins sans rapport avec l'esthétique superhéros des comics Marvel ou DC. L'encrage est lourd, les visages sont couturés de traits qui viennent les obscurcir. Les traits délimitant les contours donnent parfois une impression d'imprécision ; ils ne se rejoignent pas toujours bien, se croisant ou se chevauchant, sans bien fermer le contour, manquant de netteté. Cette première impression parfois désagréable est renforcée sur quelques pages par une mise en couleurs trop sombre que la reprographie ne parvient à restituer (il faut alors approcher la page d'une source de lumière vive pour essayer de distinguer des formes).
D'un autre côté, Fegredo crée des visuels très personnels, comprenant un niveau suffisant de détails, avec des individus dotés d'une forte personnalité, sans être caricaturaux. Chaque lieu est spécifique grâce à un ou deux détails bien choisis. Les dessins rendent compte des nuances du scénario quelles que soient les bizarreries prévues. Fegredo est aussi à l'aise pour représenter des meurtres ignominieux (les exécutions perpétrées par la Ligue des Intérieurs), des corps déformés de l'intérieur au point d'en devenir monstrueux, un apiculteur enfumant une ruche, un individu soliloquant au milieu de lézards, une boîte gay, un couple homosexuel tendrement enlacé après l'amour, etc.
S'il faut un temps d'adaptation pour que le lecteur se fasse à l'esthétique particulière des images, leur capacité d'évocation s'adapte à toutes les situations improbables et saugrenues imaginées par le scénariste. Effectivement Peter Milligan est déchaîné et refuse de s'imposer des limites ou des tabous. Avec un peu de recul, il a imaginé une intrigue en bonne et due forme, articulée autour de plusieurs mystères. Qui est Enigma (son identité secrète) et d'où vient-il ? Quel lien le rattache aux 3 numéros du comics des années 1970 ? Qui sont ces individus dotés de superpouvoirs qui commettent des crimes odieux ? Pourquoi des lézards ? Quel rapport avec le meurtre évoqué dans l'introduction ? En quoi la sexualité de Michael Smith est-elle si importante ?
Milligan fournit une explication cohérente à toutes ces questions et bien d'autres encore, dans un récit à la logique interne solide. Rapidement, le lecteur constate aussi que le récit n'est pas à prendre qu'au premier degré. Il est évident que ces lézards sont le symbole de quelque chose. L'un des supercriminels s'appelle La Vérité et énonce des vérités cachées à ses victimes. Enigma (le superhéros) est la copie conforme d'un superhéros obscur ayant existé le temps de trois épisodes, et Michael Smith rencontre Titus Bird, l'auteur dudit comics. Ce dernier personnage introduit une mise en abyme efficace, puisqu'il commente ses qualités de scénariste sur les épisodes d'Enigma, introduisant un parallèle avec les propres qualités du comics Enigma de Peter Milligan (et donc par le biais de Titus Bird, Milligan commente ses propres qualités, c'est plus clair en lisant le comics).
Milligan ne se limite pas à un exercice de style (la mise en abyme), ses personnages prononcent des jugements et des critiques sur leur propre vie. L'auteur place dans l'esprit de ses personnages (des petites cellules de texte) des propos sur la manière de tromper leur ennui (réciter le dictionnaire à l'envers), sur leur rapport au père ou à la mère, sur leur vie bien rangée, sur leur responsabilité par rapport à leurs écrits (les meurtres commis au nom des épisodes d'Enigma écrits par Titus Bird), etc. Il y a une composante existentialiste dans ce comics.
Dans certaines séquences, le lecteur ne peut pas s'empêcher de se faire la réflexion que Milligan est peut-être un peu trop malin. Pour commencer, il n'hésite pas à se lancer des fleurs par le biais des observations de Titus Bird qui observe à quel point il était en avance sur son temps et particulièrement pertinent (= l'auteur d'Enigma est quelqu'un d'éclairé et de perspicace, l'auteur d'Enigma c'est également Milligan, la mise en abyme vous vous souvenez ?).
Milligan continue à faire le malin avec les cellules de texte de la première page de l'épisode 5, où le narrateur indique qu'il est un personnage du récit que le lecteur verra apparaitre à la fin du récit. Le clin d'œil est assez appuyé. Il l'est plus encore quand ce narrateur finit par apparaître dans l'intrigue comme un individu à l'élocution nettement supérieure à celles de ces pairs, donc plus intelligent que ceux qui l'entourent. Milligan étant aussi un narrateur cette observation s'applique également à lui, plus intelligent que la majeure partie de ses interlocuteurs, c’est-à-dire ses lecteurs (qui bien sûr n'ont pas de raison de se sentir insultés par de tels propos, de toute façon ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre).
Le lecteur ressort de ce récit essoré. Le nombre de thèmes abordés de manière intelligente et personnelle par Peter Milligan est épatant. Le ton qu'il emploie oscille entre la narration inspirée et éblouissante, et une forme de cynisme mêlé de suffisance dans lequel l'autodérision n'est pas assez présente. Les dessins de Duncan Fegredo demandent un temps d'adaptation au lecteur, pour révéler leur pertinence, et leur intelligence graphique. Soit le lecteur est épuisé par ce récit qui semble partir dans trop de directions sans vraiment aboutir quelque part, avec une conclusion qui semble absoudre Enigma de tous les crimes qu'il a commis ou dont il est responsable, 3 étoiles (même si cette histoire complète est moins éreintante que la série Shade the changing man). Soit le lecteur accepte ce voyage en apparence chaotique, reflétant la vision de la vie de son créateur, 5 étoiles pour des fulgurances existentielles et une intrigue refusant le conformisme et reposant sur une structure rigoureuse.
J’ai beaucoup aimé !
Le scénario est simple mais efficace. J’aime les thèmes humains qui y sont discutés, notamment ceux des challenges d’un grand voyage dans l’espace (confinement, politique, défaillance, ressources etc…).
Puis l’arrivée sur la planète et ce qui en découle.
Les dessins sont très bons. Impressionnant pour un seul auteur.
Je trouve les autres notes un peu rudes !!
Une tres bonne petite série qui a aussi le mérite de s’achever.
Je vais leur prouver que le Conciliant est plus fort que le Coercitif.
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, sous la forme d’un roman-photo. Sa parution initiale date de 2017. Il a été réalisé par Grégory Jarry, avec un montage et un lettrage de Lucie Castel, également maquilleuse et créatrice de la Sargasse. Il compte quatre-vingt-quinze pages de roman-photo. Il met en scène vingt-quatre acteurs différents qui incarnent autant de personnages.
À l’arrière d’une maison, dans une cour encombrée, trois hommes sont assis autour d’une table avec une nappe. Ils portent un bas sur la tête pour masquer leur identité. Sur la table sont posés un boîtier avec un gros bouton rouge et un téléphone portable. Ils se filment et diffusent la vidéo sur internet. Leur message : Mesdames et messieurs, ceci est une déclaration de guerre. On préfère vous prévenir tout de suite : on va tout faire péter. Ce bouton rouge est relié à internet via ce téléphone. Si Sammy appuie dessus, tous les gens devant un ordinateur seront électrocutés. Un tsunami électronique qui fera des millions de morts. Ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. Nos revendications sont simples : on veut le pouvoir mondial. Attention, pas la peine de nous amadouer en nous proposant le pouvoir en France ou en Europe, on n’en veut pas. Nous, on veut le monde entier, ou rien du tout. Demain, tous les dirigeants de la planète doivent quitter le pouvoir. Nous voulons leurs lettres de démission postées sur Facebook avant minuit. Et pas de coup fourré, sinon Sammy appuie sur le bouton.
Le message des terroristes est diffusé par les télévisions du monde entier : les journalistes évoquent la plausibilité réelle d’une telle menace, ainsi que les réactions évasives des chefs d’état. La palme revenant au président de la République française : Mathias Moltz déclarant que Minuit c’est minuit et que là il est midi tout est permis. Spot publicitaire montrant une femme accoudée à un arbre en train de parler, entrecoupé d’images de violences urbaines. La bande-son déroule le commentaire : Au fin fond de la campagne, à des années et des années-lumière des centres de pouvoir, veille celle que le gouvernement français appelle quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes. Quand il ne reste plus aucun espoir. La médiatrice. Dans un grand jardin bien entretenu, Marianne se présente dans un autre spot. Après avoir salué les téléspectateurs, elle indique qu’elle s’appelle Marianne la Médiatrice de la République. République, c’est abstrait comme concept, en réalité, la République, c’est le peuple, autant dire qu’elle est la Médiatrice du peuple. La Médiatrice est une institution créée par François Mitterrand en 1983 lors du tournant de la rigueur. Le président mettait un coup de barre à droite, alors pour se faire pardonner il a créé un pouvoir inédit dans la démocratie, quelque chose auquel même les Grecs n’avaient pas pensé. À l’Exécutif, au Législatif et au Judiciaire, il ajouta un pouvoir totalement indépendant : le Conciliant. Pouvoir confié à Christine, première Médiatrice de l’époque.
Les éditions FLBLB ont été créées en 2002, par Grégory Jarry et Thomas Dupuis, et elles publient régulièrement des romans-photos, de vrais récits de fiction ou biographiques dans ce mode d’expression tombé en désuétude dans les années 1970. Il s’agit ici d’un récit d’anticipation mettant en scène deux pouvoirs au sein de la République, en plus de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, inventés pour l’occasion : le Conciliant (fonction assurée par Marianne) et le Coercitif (fonction assurée par Luc). L’histoire débute avec cette menace terroriste trouvant sa source dans un jardin laissé à l’abandon dans un pavillon à la campagne, et se poursuit effectivement avec un accident dans une centrale nucléaire, comme en atteste le champignon atomique sur la couverture. Le lecteur fait bien l’expérience de ces deux parties distinctes, la mission concernant les terroristes arrivant à son terme en page quarante. Ce récit se classe dans le genre Anticipation avec la menace terroriste sur la base d’une technologie légèrement en avance sur son temps, et l’existence de deux pouvoirs fictifs. Il se déroule jusqu’à une conclusion en bonne et due forme, constituant une histoire complète, avec ses lieux variés et ses différents personnages.
En entamant un roman-photo, même s’il n’a pas l’a priori issu des productions Nous Deux, le lecteur sait pertinemment que la probabilité est faible que les auteurs aient disposé de beaucoup de moyens en termes d’acteurs, de localisations, voire d’effets spéciaux. En conséquence de quoi, son horizon d’attente intègre ces contraintes. Dans cet ouvrage, il retrouve une disposition des photographies en bande, reprenant ainsi cet aspect du mode narratif de la bande dessinée, sans bordure de case. L’auteur utilise des cases rectangulaires. Il met à profit les possibilités de composition d’une page : une photographie en pleine page pour l’ouverture, quatre cases de la même taille pour la page suivante en deux bandes de deux, une construction très régulière pour les spots télévisuelles (quatre bandes de deux cases de mêmes dimensions pour les informations, et pareil pour la présentation de la Médiatrice. Par la suite, il adapte son découpage à la nature de la séquence. L’artiste peut choisir une photographie qui occupe les deux tiers de la page pour une présentation d’un personnage ou d’un lieu. Il peut consacrer une bande de trois cases à une unique action, comme une forme de prise de photographies en rafale. Il utilise régulièrement des photographies de la largeur de la page pour un effet panoramique, soit lorsqu’il y a de nombreux personnages, soit pour une action étalée dans la distance (le passage d’un avion dans le ciel par exemple). À une demi-douzaine de reprises, il découpe une case en biseau pour montrer la rapidité d’un mouvement ou la confrontation conflictuelle entre les personnages.
Le lecteur observe des personnages avec un jeu d’acteur dans un registre naturaliste, sans cet effet forcé qui peut rendre un roman-photo ridicule. Les dialogues occupent une part significative de la pagination, rendus plus vivant par les mouvements et les occupations des personnages à ce moment, sans impression d’une succession de gros plans sur les visages pour des raisons d’économie de moyen. Le réalisateur offre une grande diversité de lieux : la cour occupée par les terroristes, le grand jardin de la Médiatrice, son salon, le parc présidentiel, un magasin de reprographie, le salon de la mère du président de la République, les plateaux des différents journaux télévisés, une tour aéroréfrigérante d’une centrale nucléaire, une ferme de crocodiles, un pavillon où se sont réfugiés des immigrés clandestins, un cimetière, un bois, une forêt, un court de tennis, etc. Le lecteur suit la Médiatrice dans ses pérégrinations successives, éprouvant la même sensation que dans une bande dessinée où l’artiste n’est pas contraint par son budget.
L’auteur fait preuve d’une facétie certaine : il commence par présenter la Médiatrice qui indique que les médiatrices n’ont jamais eu tellement de moyens. Quand une crise éclate dans la société, son rôle, c’est de mettre tout le monde d’accord, sans qu’aucune partie ne soit lésée. Sans arme à feu, sans GIGN, sans rien. Ça passe par le dialogue, l’écoute, et surtout la gentillesse. Le pouvoir conciliant, sa valeur est avant tout symbolique, mais c’est un symbole fort et respecté. Par comparaison, le Nettoyeur indique que les nettoyeurs ont toujours eu des moyens colossaux, pris dans les fonds secrets de la République. Ils ont tutoyé personnellement les présidents russes et américains en pleine guerre froide. Quand une crise éclate, qui menace les intérêts de la France, leur rôle c’est de mettre tout le monde d’accord. Tous les moyens sont bons, même les moins avouables. Ça s’appelle la Raison d’État, lui il appelle ça la raison du plus fort. Mais voilà, Luc le nettoyeur traverse une crise existentielle qui le prive de la capacité d’agir. C’est donc le pouvoir de la conciliation qui est à l’œuvre (même si ça n’empêche pas Marianne de décocher deux bourre-pifs bien sentis), un mode d’action assez inusité dans les récits d’action. Pour autant, Marianne mène à bien sa première mission de neutraliser les terroristes. Elle tient tête à plusieurs reprises au président de la République française jusqu’à lui faire changer d’avis par le pouvoir du dialogue et de la conviction. Elle fait preuve de courage et du sens du devoir, intimement motivée par le bien commun.
Le lecteur peut être dubitatif s’il entretient des a priori sur le roman-photo en tant que mode d’expression. L’auteur fait la preuve que ce média peut raconter tout type d’histoire aussi bien que d’autres, utilisant les photographies en les disposant selon les modalités narratives de la bande dessinée. Le lecteur découvre la fonction de la Médiatrice et la suit dans une mission contre des terroristes, puis pour convaincre le président de la République française de faire le bon choix, avec une conviction inébranlable dans le service, dans le pouvoir supérieur de la conciliation sur la coercition. Un récit d’anticipation plus subversif qu’il n’y paraît.
Ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition.
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Ce tome constitue une suite de la trilogie Danthrakon : Le grimoire glouton (2019), Lyreleï la fantasque (2020), Le marmiton bienheureux (2020), consacrée à Lerëh & Nuwan, qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant pour saisir toutes les aspects de la présente histoire. Sa première parution date de 2022. Il a été réalisé par Christophe Arleston & Olivier Gay pour le scénario, par Olivier Boiscommun pour les dessins, et par Claude Guth pour la mise en couleurs. Il compte cinquante pages de bande dessinée.
Karyelle, un joli nom pour une cité perchée sur un pic montagneux. Pourtant, la ville est surnommée Carie-du-Ciel, en raison des réseaux de grottes, de tunnels et d’habitations troglodytes qui abritent les moins favorisés. Son opéra en plein air jouit depuis toujours d’une formidable réputation. Parmi les habitués, le merveilleux baron Sigle-Hume, et l’archimage Modrevol. En ce moment la cantatrice Ptolomelle est en train de donner un récital, accompagnée de sa sœur Meliandre à la harpe, chantant : Ah, amour contrarié, ah, ironie cruelle, qui pour donc aimer la pauvre Ptolomelle. Les spectateurs sont enchantés, près à aimer la pauvre Ptolomelle. Le baron la trouve boul-ver-si-fiante, et il demande à l’archimage comment elle s’appelle. Ce à quoi son interlocuteur répond que s’il en croit les paroles, elle se prénomme Ptolomelle. Sigle-Hume demande alors à Modrevol d’inviter la soprano à sa réception ce soir.
Après le récital, les deux sœurs se retrouvent dans leur chambre, les petits oiseaux blancs voletant gracieusement autour de la cantatrice, et la harpiste s’entraînant sur son instrument. Meliandre énonce à haute voix son constat : le public adore sa sœur car elle a plus qu’une voix magnifique, elle sait les faire vibrer. Alors qu’elle a beau jouer à la perfection, elle ne les touche pas, c’est comme si elle était transparente. Son tempo était excellent, ses notes impeccables. Alors que Ptolomelle a accroché son contre-ut et personne n’a entendu. Sa sœur confirme qu’ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition. On toque à la porte : un laquais vient apporter un message de son maître l’archimage Modrevol. Il l’énonce : La belle Ptolomelle et sa sœur sont cordialement invitées à la réception qu’il donne ce soir en son manoir. Postscriptum : elle doit veiller à ce que ses oiseaux se soient soulagés avant. Meliandre comprend que cette dernière partie est un ajout du laquais, ce qu’il confirme, c’est son métier. La cantatrice répond qu’elle vient, la harpiste décline l’invitation car elle a du solfège à réviser. Le laquais sort, un autre individu fait son entrée : Brusus. Ptolomelle fait sortir sa sœur en prétextant qu’il s’agit d’un admirateur. Dès qu’elle est sortie, le visiteur change d’attitude : il malmène la soprano et l’informe que le chef a fait enlever ses parents. Ce soir, pendant la réception, elle devra laisser une fenêtre ouverte pour qu’ils puissent y réaliser un cambriolage. Les soirées de l’archimage sur le rocher sont toujours un succès. Le tout-Carie-du-Ciel se bat pour pouvoir y assister.
Le texte de la quatrième de couverture précise qu’il s’agit d’une histoire complète en un tome. Celui-ci commence par un texte introductif de deux pages expliquant l’origine du Danthrakon telle que le lecteur a pu la découvrir dans l’histoire de Lerëh et Nuwan. Il précise également que La seule certitude à son sujet est qu’il est sensible à la beauté, à l’art. en présence d’un ou d’une virtuose, il exulte et se laisse aller à sa vraie nature, […] c’est son histoire, et les étonnantes aventures survenues à ceux qui l’ont eu entre les mains, qui sont racontées ici… Le lecteur est fort aise de retrouver les créateurs du récit initial. Il se dit que Arleston a souhaité travailler avec un coscénariste vraisemblablement par manque de temps. Il est tout aussi rassuré de voir le retour du coloriste initial, s’il a trouvé un peu en deçà, la prestation de sa remplaçante dans le tome trois. De fait, le lecteur retrouve la palette de couleurs vives et chaudes, très agréables à l’œil. Le soin méticuleux apporté à suivre chaque forme détourée, aussi fine soit-elle, la capacité à habiller les fonds de case vides avec des camaïeux à base de dégradés consistants, les effets spéciaux efficaces et à bon escient, par exemple les notes de musique pour les mélopées chantées. Son travail complémente les dessins avec une pertinence telle que le lecteur éprouve la sensation que les couleurs auraient pu être posées par l’artiste lui-même.
De la même manière, l’artiste donne l’impression d’avoir bénéficié du temps nécessaire pour peaufiner chaque page. Le lecteur commence par se délecter de cette magnifique couverture avec ce ciel aux superbes dégradés, les deux sœurs en train de se produire pour le Danthrakon, et les petits oiseaux blancs entre colombe et moineau, ceux-là même qui suivent Ptolomelle partout, entre poésie visuelle et gag, avec derrière cette cité troglodyte fantastique qui évoque par certains aspects celle de Kompiam, elle aussi construite à flanc de montagne, mais un peu moins abrupte. La première page du récit offre une autre vue de cette cité remarquable, en particulier de sa grande scène en surplomb avec ses colonnes et ses gradins. Par la suite, le lecteur prend le temps d’admirer la vue du ciel de la propriété de l’archimage, plusieurs pièces de sa demeure comme la salle aux miroirs déformants, le zoo personnel, et bien sûr l‘immense bibliothèque où repose le précieux volume du Danthrakon, puis les fragiles passerelles en bois pour relier différents points de la cité, les passages dans les cavernes (un vrai labyrinthe menant au royaume secret des voleurs), la balancelle au-dessus du vide, et une dernière vision de Karyelle cette fois-ci en direction de la mer.
Olivier Boiscommun est tout aussi en forme, en verve même pour les personnages, qu’il s’agisse d’anonymes dans la foule (par exemple les spectateurs applaudissant au récital de Ptolomelle), ou des premiers et des seconds rôles. La soprano dispose d’une superbe silhouette élancée, d’un joli minois expressif, que ce soit quand elle fait œuvre de séduction, quand elle est sous l’emprise de la boisson, de la peur, ou sous le coup d’une décision irrévocable. Le physique de Méliandre s’avère très similaire à celui de sa sœur, mais son langage corporel diffère montrant qu’elle est aussi introspective que sa sœur peut être expansive. Difficile de résister à son désappointement quand elle tente de se faire consoler en se serrant contre un beau garde : elle s’adresse à lui en lui demandant de ne rien dire, de la serrer contre lui, car il paraît que ça aide en cas de souffrance intérieure. Bon. Constat : en réalité, c’est assez inconfortable. Arnulf, le jeune garde, fait montre d’une certaine assurance avec une touche raisonnable de virilité, tout en se montrant parfois un peu boudeur quand une personne de plus se moque encore de sa coiffure, ou quand il est dépassé par les initiatives de l’une ou l’autre sœur. Le lecteur finit même par compatir avec Brusus, l’homme de main qui bouscule et fait chanter Ptolomelle, car il se retrouve lui aussi dépassé plus souvent qu’à son tour avec un air désemparé très parlant sur son visage et dans sa posture corporelle. Chaque personnage dispose de sa tenue vestimentaire spécifique avec de nombreux détails, en phase avec sa personnalité et sa position sociale.
Le dessinateur est tout aussi en verve pour les scènes d’action que ce soit la tentative pour récupérer le Danthrakon qui s’est envolé dans la bibliothèque, l’équipe de ménage qui constate les dégâts après la réception chez l’archimage, Ptolomelle en train d’utiliser son pouvoir vocal, l’inondation dans les passages troglodytes, ou encore le combat aérien final. Les coscénaristes semblent avoir pris grand plaisir à imaginer cette aventure, et ils savent le communiquer au lecteur. Difficile de résister à l’exubérance de la cantatrice, à la résignation de Méliandre au fait d’être émotionnellement handicapée, ou encore à la bravoure contrariée du garde Arnulf. Ils concoctent également des réparties qui font mouche, à base d’ironie et cynisme de bon aloi (qui ne semble ni artificiel, ni forcé). Ils ont le sens de la formule, par exemple : ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition. De la moquerie, avec par exemple une caricature de critique d’art : Magnifique tableau ! Quelle œuvre ! Et cette tache ! Un éclair de génie qui vient transcender comme un cri primal la vision transréelle de la multiplicité des émotions opaques d’une société hermétique à ses sens. Bouleversant, tripal. Ou encore un retour au principe de réalité, par exemple : Même les plus terribles des nuits finissent par laisser place au jour. Qui n’est pas toujours mieux, d’ailleurs. Ils n’en oublient pas leur intrigue pour autant : le Danthrakon donnant des pouvoirs à Ptolomelle, un chantage avec l’enlèvement des parents, une introspection sur l’atrophie émotionnelle de Méliandre, et une histoire d’amour un peu contrariée dans laquelle l’homme n'a pas l’initiative.
Après une histoire en trois tomes, les auteurs ont opté pour des histoires complètes en un tome, avec l’adjonction d’un coscénariste. Le lecteur se rend compte qu’il en a pour son argent. Le dessinateur a retrouvé son niveau optimal, créant de magnifiques paysages, des personnages attachants, amusants, avec une réelle épaisseur, des scènes d’action bien mises en scène, une narration visuelle pleine d’entrain, où le plaisir de l’artiste se transmet au lecteur, avec une mise en couleurs sophistiquée et en phase. Les coscénaristes racontent une histoire avec une intrigue bien ficelée, des personnages bien développés, le sens du merveilleux, et une verve combinant humour sous différentes formes (Quoi ? Qu’est-ce qu’elle la coiffure d’Arnulf ?), et des personnages avec un caractère propre. Chouette, il y a un deuxième tome de cette série Les maléfices du Danthrakon, par les mêmes auteurs.
Prise de pouvoir par les monstres
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Il faut savoir rendre grâces à Frank Miller et David Mazzuchelli pour avoir remis à la mode (avec Batman année un) les histoires centrées autour d'un Batman débutant. Jeph Loeb a tellement apprécié (et eu de succès) avec Un long halloween (histoire qui reprend les personnages de Année un) qu'il ne lui a pas fallu très longtemps pour écrire une suite en 13 épisodes et convaincre Tim Sale que Robin constitue un personnage intéressant.
Un tueur se faisant appeler Hangman exécute des officiers de police en les pendant. Il laisse derrière lui des jeux de pendus à moitié renseignés. Sofia Falcone Gigante a repris les rênes de l'empire de son défunt père. Alberto Falcone est libéré et assigné à résidence dans le manoir familial. Janice Porter succède à Harvey Dent au poste de District Attorney et elle semble motivée par autre chose qu'une saine ambition. Batman se méfie de James Gordon et de Catwoman. Toutes ces intrigues permettent à Jeph Loeb de donner au lecteur une vision complète de Gotham et des difficultés auxquelles se heurte Batman dans sa guerre contre le crime.
Jeph Loeb continue de prouver sa maîtrise du personnage de Batman et de son environnement. Tout est parfaitement à sa place et si le déroulement des événements est complexe, il n'est jamais compliqué. En grand professionnel, Loeb sait entremêler différentes intrigues autour du mystère principal qui est de découvrir qui est ce tueur de flics. Sa description du profil psychologique de Bruce Wayne et de son alter ego est entièrement en phase avec Year One. La montée progressive de sa paranoïa sonne juste et l'irruption de Dick Grayson (au chapitre 9) dans ce contexte devient plausible. Ce qui est également admirablement rendu réside dans la prise de pouvoir progressive et irrésistible des monstres (Two-Face, Penguin, Joker, Poison Ivy, Solomon Grundy…). le scénario transcrit admirablement leur emprise grandissante sur la pègre aux dépends de la mafia traditionnelle qui ressemble de plus en plus à une espèce en voie de disparition.
Les illustrations de Tim Sale sont dans la continuité de ce qu'il a fait sur le tome précédent. Il continue à apposer de grands aplats de noir, à recourir à des cases très large et en nombre restreint sur chaque page. Son rendu des personnages reste stylisé et tire parfois vers l'abstraction (aux dépends du réalisme). Ce parti pris augmente l'impact visuel des personnages et tire les illustrations vers une forme iconique qui transporte l'histoire vers un affrontement entre forces primordiales.
Ce tome est aussi réussi que Un long Halloween que je vous conseille d'avoir lu avant car on y retrouve la majorité des personnages. Jeph Loeb et Tim Sale ont réussi leur pari de narrer une histoire de Batman qui compte et qui soit prenante. Pour savoir ce que devient Selina Kyle en cours d'histoire, il vous suffit de lire Catwoman à Rome des mêmes auteurs.
Ce tome s'achève avec une histoire bonus d'une demi-douzaine de pages mettant en scène Catwoman et Batman, écrite par Darwyn Cooke et dessinée par Tim Sale.
Glissement du pouvoir
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Pour pouvoir pleinement apprécier cette histoire, il faut mieux avoir déjà lu Batman année un. Jeph Loeb part de cette version des débuts de Batman pour élaborer l'impact de Batman sur l'équilibre des pouvoirs dans Gotham. Il utilise donc les personnages introduits dans Year One.
L'apparition de Batman dans Gotham remet en cause la mainmise de la famille Falcone sur la pègre, la police et les politiques. Dans le sillage de Batman surgissent des individus fortement dérangés tels que Catwoman qui a défiguré Carmine Falcone, Joker qui semble mû par une folie meurtrière sans raison, Solomon Grundy (une force de la nature), Scarecrow (un homme qui joue sur la peur) et Riddler (???). Au milieu de ces alliances changeantes et des règlements de compte qui en découlent, un tueur sévit dans Gotham abattant une victime à chaque vacance ou jour férié. de son coté, Bruce Wayne tâtonne encore pour parfaire ses méthodes de travail, ce qui le pousse à s'allier avec Harvey Dent et avec James Gordon. Par contre, il n'arrive pas à choisir quelle attitude adopter vis à vis de Selina Kyle.
Jeph Loeb et Tim Sale avaient déjà collaboré ensemble sur le personnage de Batman pour trois histoires courtes se déroulant à Halloween (Des ombres dans la nuit) avec un résultat très convaincant. À la demande d'Archie Goodwin, ils reviennent pour cette histoire qui sera suivi par Amère victoire, puis par l'épilogue consacré à Catwoman dans Catwoman à Rome (et bien d'autres pour Marvel). Jeph Loeb entremêle habilement l'héritage de Frank Miller, avec une histoire de gangsters, avec le tissage des premières relations entre les personnages principaux de l'univers de Batman, avec une vraie enquête pour savoir qui est le meurtrier, avec des réflexions sur l'apparition de personnages costumés à moitié (ou complètement) fous dans une ville corrompue. Et il a conçu son histoire en ayant en tête les points forts de Tim Sale.
Ce dernier utilise un style qui repose sur de grandes cases (donc peu de cases par page), de gros aplats de noir, des visages qu'il caricature pour les tirer vers le symbolisme, des exagérations physiques qui font ressortir l'aspect d'icones des héros et des criminels. Pour autant son sens de la composition lui permet de capter le mouvement et de s'inscrire dans un art vraiment séquentiel, même à 3 cases par pages. Et Jeph Loeb lui laisse de nombreuses pages pour mettre en valeur ses illustrations.
C'est tout à l'honneur de Loeb et de Sale qu'ils arrivent à amalgamer les différentes composantes de leur histoire pour aboutir à un tout cohérent (un petit peu long à mon goût, je préfère Amère victoire dont le rythme est mieux maîtrisé) qui renouvelle intelligemment les histoires de flics et voyous en intégrant harmonieusement des personnages costumés pas si facile que ça à rendre crédibles. Cerise sur le gâteau : Bruce Wayne brille de mille feux dans des scènes le mettant en lumière en tant que Batman, en tant que membre de la haute société, en tant que détective…, sans pour autant en faire un violent psychopathe.
Sur une rive, la littérature, sur l'autre, la peinture.
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Ce tome regroupe une douzaine d'histoires courtes évoquant par ordre chronologique des relations entre un écrivain et des artistes. Sa première édition date de 2012. Il a été entièrement réalisé par Catherine Meurisse pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-quinze pages de bande dessinée. Il peut être considéré comme une suite thématique de Mes hommes de lettres : Petit précis de littérature française (2008) dans lequel elle évoquait ses écrivains de prédilection, chacun disposant d'un chapitre, l'ensemble formant une fresque de morceaux choisie de l'histoire de la littérature. Chaque histoire comprend entre deux et treize pages.
Sur une rive, la littérature, sur l'autre, la peinture. Entre les deux, un pont qu'empruntent les écrivains et les peintres, fascinés par la beauté d'une toile de l'un, puisant l'inspiration d'un roman de l'autre. Voici quelques petites histoires de grandes amitiés entre les arts. - La vie de l'esprit, six pages, comment le philosophe Diderot se vide la tête au musée, tout en remplissant la nôtre. En 1765, Diderot achève sa collaboration à l'Encyclopédie. Il est temps pour lui de profiter de vacances de l'esprit, car il a donné vingt ans de sa vie à ce dictionnaire, il a enfin droit lui aussi au repos futile. Dans sa demeure, son serviteur Jacques lui apporte le courrier : des factures, une carte postale de Friedrich Melchior Grimm séjournant chez Catherine II, qui lui demande de s'occuper de sa revue. Denis Diderot décide alors de profiter de la revue de Grimm, en développant une activité de critique littéraire artistique : ses Salons, compte-rendus à la fois techniques et poétiques des expositions de l'Académie des Beaux-Arts, rédigés dès 1759, font de lui le pionnier de la critique d'art – à une époque où l'on prétend que seuls les peintres peuvent juger de la peinture. Il se livre à cet exercice avec La raie (1728) de Jean Siméon Chardin.
Masterclass, huit pages, comment Delacroix casse du sucre sur le dos d'Ingres, laissant des miettes partout chez George Sand. Dans sa demeure, George Sand enjoint Eugène Delacroix à cesser de se trémousser, car ils sont attendus à dîner. le potage va refroidir. À propos de soupe, il lui demande si elle a vu la Stratonice de Jean-Auguste-Dominique Ingres. La réponse est positive : elle a trouvé ça puéril et maniéré. Elle continue : Ingres est un homme de génie, mais ce qui lui manque, c'est la moitié de la vue, la moitié de la vie, la moitié de la peinture… Grave infirmité qu'on lui pardonnerait s'il n'érigeait pas son impuissance en système. Delacroix lui suggère de juger l’œuvre, et d'oublier l'homme. Elle rétorque que c'est bien dit pour quelqu'un qui ne peut le souffrir. le problème c'est que, quand un tableau accuse une paralysie mentale à ce point, elle ne peut s'empêcher de déplorer l'erreur du maître. Sa Stratonice a l'air d'avoir un balai dans… Dans l'Antiochus. Delacroix en rajoute en lui demandant si elle a remarqué comme Ingres confond couleur et coloration.
Avec Mes Hommes de lettres, l'autrice évoquait directement les écrivains qui l'ont construite en tant que personne, et en tant qu'artiste. Ici, elle évoque les grands peintres qu'elle a découverts et appréciés par l‘entremise d'écrivains célèbres, faisant preuve d'humilité, en transmettant à son tour la parole de ces grands auteurs, en s'effaçant derrière eux et leurs critiques d'art. Au cours de ces dix chapitres, elle met en scène successivement Denis Diderot comme premier critique d'art, commentant La raie de Jean Siméon Chardin (1699-1779), puis François Boucher (1703-1770), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). Viennent ensuite Eugène Delacroix (1798-1863) parlant peinture à Frédéric Chopin (1810-1849), en présence de George Sand (1804-1876), Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil). Théophile Gauthier (1811-1872) et sa myopie se lançant dans des travaux de critique sur Gustave Moreau, Gustave Doré, Ingres, Théodore Chassériau, et Eugène Delacroix. Charles Baudelaire (1821-1867) en 1862 transformé en guide du musée d'Orsay pour donner son avis sur les croûtes (Jean-Léon Gérôme, Amaury Duval, Jean-François Millet), puis le plus grand des plus grands (Eugène Delacroix), et un moderne (Édouard Manet). Émile Zola (1840-1902) avec Eugène Delacroix, Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Berthe Morisot, Edgar Degas, Gustave, Camille Pissarro, Alfred Sisley et Paul Cézanne. Marcel Proust (1871-1922) fréquentant les salons des impressionnistes pour composer le personnage du peintre Elstir. Jean Lorrain (1855-1906, Paul Alexandre Martin Duval) racontant une toile de Gustave Moreau dans son roman Monsieur de Phocas (1901). La relation entre Man Ray (1890-1976, Emmanuel Radnitsky) et Kiki de Montparnasse (1901-1953, Alice Prin). Le chapitre suivant est consacré à la relation entre Pablo Picasso (1881-1973) et Guillaume Apollinaire (1880-1918), alors que le tableau La Joconde est dérobé au musée du Louvres. C'est enfin Honoré de Balzac (1799-1850) qui écrit le chef d’œuvre inconnu (1831) qui sera ensuite illustré par Pablo Picasso.
Le lecteur est surpris de découvrir la diversité des approches pour évoquer la pratique de la critique de l'art. Diderot commente les tableaux avec fougue, Eugène Delacroix n'hésite pas à s'exprimer sur ses confrères, et Charles Baudelaire réalise la visite guidée d'un musée. D'un autre côté, l'observation des œuvres d'art et la fréquentation des peintres amènent Marcel Proust à composer un personnage peintre lui-même pour La recherche du temps perdu. Jean Lorrain écrit un roman sur la recherche du regard le mieux rendu et comment cela peut rendre fou un homme. Puis il s'agit du vol de la Joconde. La scénariste met à profit la diversité des critiques, de leur métier, de leur statut social, produisant un effet de renouvellement, évitant toute redondance. L'artiste dessine dans un registre descriptif, mêlant formes simplifiées et exagérations de l'expression des visages et des mouvements corporels. Le lecteur sourit en voyant les mimiques de Diderot, son agitation, son visage comme exploser vers le haut quand il reçoit une baffe magistrale. Chopin est irrésistible avec sa longue tignasse qui masque son visage, et ses torrents de larmes, ce qui contraste fortement avec le comportement plus posé de George Sand. Charles Baudelaire est habité par l'intention de ses émotions. Zola apparaît beaucoup plus posé et réfléchi. Proust ressemble à un vrai dandy en proie à une vive curiosité. Balzac gesticule plus. Il n'est pas possible d'accuser Catherine Meurisse d'idolâtrie vis-à-vis de ces grands écrivains, et pour autant elle les met en scène en étant en phase avec leur personnalité d'auteur.
Le lecteur guette (et trouve) les ressemblances dans ces personnages historiques célèbres. Il est tout aussi impressionné par la capacité de l'artiste à évoquer les tableaux célèbres des grands peintres, avec ces traits de contour encrés et comme un peu tremblés ou mal assurés. À chaque fois, il reconnaît du premier coup d’œil l’œuvre concernée : aussi bien La raie (Chardin) que La grande odalisque (Ingres), Un enterrement à Ornans (Courbet), La liberté guidant le peuple (Delacroix), Les glaneuses (Millet), le déjeuner sur l'herbe (Manet), Les raboteurs de parquet (Caillebotte), Guernica (Picasso), etc. Il est probable qu'il découvre également quelques œuvres qu'il ne connaissait pas. Il remarque que l'artiste met en œuvre une narration visuelle variée et riche. Elle peut aussi bien passer de cases avec un arrière-plan regorgeant de détails, qu'à une suite de trois cases s'attachant au mouvement d'un personnage, avec un arrière-plan vide. Au fil des pages, le lecteur se surprend à ralentir son rythme pour prendre le temps d'admirer une case ou une prise de vue remarquables : la façade de l'habitation de Diderot, la rampe en fer forgé de l'escalier, le superbe jardin de la demeure de George Sand à Nohant, le démontage en règle du décor du tableau Stratonice et Antiochus (Ingres) par Delacroix, l'énoncé des peintres souffrant de la vue (astigmate pour El Greco, strabisme divergent pour Rembrandt, cataracte pour Monet, dégénérescence maculaire pour Degas, xanthopsie pour Van Gogh, dacryocystite pour Pissarro, sclérodermie pour Klee, hémorragie dans l’œil droit et cécité dans l’œil gauche pour Munch), Charles Baudelaire agitant son parapluie pour que les visiteurs ne le perdent pas de vue, Proust de promenant dans les plages de Monet, Boudin, et Manet, le policier se retrouvant dans les Enfers, Arsène Lupin, ou encore Vénus dans son conque et ramassant des champignons.
L'art de la critique exercée par des écrivains vis-à-vis de peintres, mais pas seulement : et ça peut faire une BD, ça ? Le lecteur peut faire confiance à Catherine Meurisse pour lui raconter tout ça avec une verve et un enthousiasme communicatif, et non feint. Il sent qu'elle a apprécié de voir ces chefs d’œuvres (et quelques croûtes) par les yeux de maîtres de la langue française tentant d'exprimer leur ressenti devant ces tableaux, de décortiquer ce qui fait une grande œuvre. Il découvre des chapitres relativement courts, et denses, il n'y a qu'à songer au nombre d'artistes évoqués. Il ne se sent ni perdu, ni exclu car l'autrice évoque en majeure partie des chefs d’œuvre connus du très grand public. Il se dit qu'il retournerait bien en voir quelques-uns sur cette liste, à commencer par les Delacroix, car il les percevra différemment, avec plus de discernement après cette bande dessinée. Il se met à rêver d'un second tome sur l'art moderne.
Vraiment très surpris de tous les avis négatifs.
On parle d’une BD ciblant un public d’enfants, avec il me semble des avis négatifs par des adultes.
Je raffole des dessins, des jeux de mots (même si leur force diminue avec le nombre de tomes), et des scénarios intéressants. Avec les derniers tomes, il y a quand même un moins bien, mais on ne s’en lasse pas !
C’est une BD décalée et un peu loufoque, mais qui entraîne les petits dans un domaine de la science-fiction impossible. Ça reste un jour peut être réalisable; Tintin me semble des fois très éloigné du possible.
C’est pour ça qu’il faut savoir être joyeux. Et savoir sourire…
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Ce tome constitue une biographie de Germaine Richier (1902-1959) qui ne nécessite pas de connaissance préalable de l’œuvre de la sculptrice. La première parution de l’ouvrage date de 2023. Il a été réalisé par Olivia Sautreuil pour les dessins et les couleurs présentes dans les dix dernières pages, par Laurence Durieu pour les textes, avec la collaboration de Sandra Tosello. Il comprend cent-soixante-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de Germaine Richier, un lexique de quinze termes (Assy, buste, Bourdelle, document, espace, famille, gravure, hybride, modèles, Otto Bänninger, photo, René de Solier, Saint-Tropez, triangulation, 36 avenue de Châtillon), une bibliographie sélective de neuf ouvrages, catalogues d’exposition et textes, et enfin des remerciements.
Paris, musée d’art moderne, 9 octobre 1956 : ouverture d’une exposition consacrée aux œuvres de la sculptrice Germaine Richier. Jean Cassou, conservateur du musée, débute son discours. Il indique que la sculptrice est l’artiste le plus complet qui soit, doué d’une bouleversante imagination poétique. Sa technique est la technique de la nature. Partout elle perçoit un mouvement biologique. Son art est une initiation aux mystères. Art dur, art métallique, art de la métamorphose, où le noir et le blanc tendent à la couleur. Femme de tête qui, de sa terre ensoleillée et féconde en herbes odorantes, a reçu en don les plus robustes vertus vitales. Le petit groupe déambule parmi les pièces de l’exposition, entre les statues, et Richier interrompt le conservateur pour indiquer qu’elle doit dire bonjour à une vieille amie. Elle va se positionner devant la sculpture La Sauterelle et lui parle en la caressant : quel chemin parcouru ! Derrière elle, deux femmes échangent leurs impressions : Ces sculptures sont vraiment impressionnantes du tourment, de la radicalité. L’autre indique que ça la met mal à l’aise. Sa copine la reprend : elle espère qu’elle ne va pas lui parler d’eczéma sculpté, comme dans cet article assassin qu’elle vient de lire. Quelle vision ! Elle imagine l’énergie déployée pour l’imposer.
Castelnau-le-Lez, printemps 1912. La jeune Germaine est en train de se promener dans la nature. Elle remarque une sauterelle qu’elle parvient à capturer dans ses mains. Elle lui parle pour la rassurer : elle veut juste l’observer. L’insecte lui répond : elle lui demande d’ouvrir sa main, car elle ne s’enfuira pas. Enfin, de l’aise pour ses pattes ! Elle continue : Germaine vient ici tous les jours et elle a fini par la connaître. D’ailleurs ne devrait-elle pas être à l’école au lieu d’arpenter la garrigue ? Germaine répond qu’elle aussi a des pattes, qu’ici elle respire la liberté, que ce qu’elle aime c’est le parfum des rochers, des oliviers desséchés par le vent, les bois cassants, les bords du Lez, et le Prado avec la maison de sa famille. Elle ramasse encore quelques petits cailloux, des cocons et morceaux d’écorce et elle rentre. Le souper va être servi. Sa mère s’enquiert de savoir où elle était encore passée, car l’éducation ce n’est pas qu’à la maison. Germaine aimerait bien pouvoir choisir son professeur, un qui leur apprendrait des choses mystérieuses. Et puis, ce n’est pas à l’école qu’elle rencontrerait une si belle sauterelle, une magicienne dentelée.
Une bande dessinée biographique utilisant une structure très classique : une scène introductive attestant de la renommée de l’artiste, de son importance culturelle grâce à un discours d’une autorité en la matière, puis un retour à l’enfance pour raconter sa vie suivant un fil chronologique, jusqu’à son décès et une rétrospective posthume à Antibes, à partir du 17 juillet 1959. Les autrices mêlent les principaux moments de sa vie d’artiste et les principaux moments de sa vie personnelle. L’enfance à se promener dans la garrigue, à ramasser des brindilles et des cocons et à faire la rencontre d’une sauterelle. La représentation des personnages s’inscrit dans la tradition de la ligne claire avec des contours et des visages un peu simplifiés, une approche descriptive, avec un bon niveau de détails, des visages expressifs. Le lecteur peut voir les costumes très formels de ces messieurs, les toilettes plus variées des femmes, les vêtements tout simples de Germaine enfant et son entrain, sa curiosité, son émerveillement devant ce qu’elle découvre. Par comparaison, il voit que la représentation de la nature se charge plus en aplats de noir, avec des formes plus complexes, des aspérités, des volumes, des reliefs. Dans cette séquence d’enfance, le lecteur comprend que la future artiste assouvit sa curiosité dans le milieu naturel où elle vit, ce qui construit sa personnalité et ses goûts.
Au printemps 1914, à Arles, à l’occasion de la fête des gardians, son père l’emmène admirer la cathédrale et le cloître Saint-Trophime, avec le tympan et l’archivolte sculptés du portail, et les galeries avec ses sculptures. La dessinatrice s’investit pour rendre compte de l’impression que peut faire le tympan finement ouvragé, les différentes sculptures, en jouant sur le noir & blanc, en inversant le contraste pour certaines cases, c’est-à-dire des traits de contour blancs sur fond noir. Dans cette séquence également, les autrices choisissent de mettre en scène comment cette visite s’imprime de manière indélébile dans l’esprit de l’enfant, générant ou au moins nourrissant son imaginaire et cristallisant sa vocation. La narration visuelle montre cet instant de manière subjective, comme le ressent Germaine. À plusieurs reprises, le lecteur peut ainsi voir le monde par les yeux de la sculptrice : la densité du feuillage des arbres d’alignement devant les Beaux-Arts de Montpellier, les décorations sculptées de l’opéra de Marseille, le feuillage des arbres de la nouvelle maison des Richier à Mudaison, ses mains travaillant la matière de ses têtes sculptées, ses œuvres successives alternativement des masses noires parcourues de traits blancs ou l’inverse. La dessinatrice ne cherche pas à réaliser une représentation de nature photographique des œuvres de la sculptrice, mais à faire apparaître la structure et l’élan qui les sous-tendent, en les rattachant aux éléments naturels qui inspirent la créatrice, à ces morceaux qu’elle peut inclure dans ses œuvres et qu’elle qualifie de documents.
Le fil de la biographie suit le déroulement de la vie de Germaine Richier : journées passées à l’atelier de Charles Amans à Castelnau-le-Lez, pensionnat Veyziat à Montpellier, études aux Beaux-Arts à Montpellier, montée à Paris en 1926 pour essayer de rencontrer Émile-Antoine Bourdelle (1861-1929), passage par l’atelier de Robert Coutin (1891-1965), rencontre puis mariage avec Otto Bänninger (1897-1973), ouverture de son propre atelier, première exposition, séjour en Suisse dans sa belle-famille à partir de 1939 prolongé pendant la durée de la seconde guerre mondiale, retour à Paris après la guerre, et poursuite de sa carrière avec créations dont la Pomone (1945), l’orage (1947/48), l’ouragane (1949), le Christ d’Assy (1950), le berge des Landes (1951), le Tombeau de l'orage (1957), l'Ombre de l'ouragane (1957), la montagne (1957). Le lecteur peut ainsi se découvrir le déroulement de la vie de cette artiste, et une partie de ses créations, parmi les plus célèbres. Les autrices n’adoptent pas un ton hagiographique : elles rendent compte des éléments constitutifs de sa vie.
Cette bande dessinée évoque à grands traits la formation de sa vision artistique qui trouve ses racines dans son enfance. Elle aborde de manière tout aussi rapide ce qui fait l’originalité et la personnalité de ses œuvres, tout d’abord avec le discours introductif du conservateur, puis avec une phrase rapide de quatre personnalités : Brassaï (Gyula Halász, 1899-1984), Francis Ponge (1899-1988), René de Solier (1914-1974), Georges Limbour (1900-1970). Les autrices mentionnent le principe d’hybridation. Elles consacrent dix pages à la commande, la réalisation et la réception du Christ d’Assy, une commande des pères Couturier et Devémy qui font bâtir une nouvelle église dans les Alpe, une modeste église de montagne, qu’ils décorent avec les œuvres de Roualt, Bonnard, Matisse, référant des génies sans foi que des artistes croyants sans talent. La sculpture est instrumentalisée par monseigneur l’archevêque d’Annecy, ce qui débouche sur la querelle de l’art sacré.
Les autrices se lancent dans la biographie d’une sculptrice ayant marqué le vingtième siècle avec le projet de la présenter. La narration visuelle navigue entre deux modes. Une forme de ligne claire immédiatement accessible pour les éléments biographiques, constituant une solide reconstitution historique. Et une forme plus expressionniste pour les éléments artistiques et la manière dont Germaine Richier regarde et perçoit le monde, ce qui permet au lecteur de se faire une idée sur la sensibilité que la sculptrice exprime à travers ses créations. Elles ont pris le parti de prendre un point de vue sur l’inspiration de ces créations, à la fois dans la jeunesse de Richier, et dans le traumatisme de la seconde guerre mondiale et de l’hécatombe provoquée par la bombe atomique. Le lecteur ressort de cet ouvrage avec la curiosité de pouvoir contempler ces œuvres par lui-même, et l’avantage de disposer ainsi de deux guides qui ont déjà effectué un travail de transmission, de passage pour lui permettre de les aborder en ayant déjà eu un aperçu de l’esprit qui les a engendrées.
Je suis toujours ravi quand une BD me donne envie de mettre comme seul commentaire : lisez-la, et qu'elle me fait fermer ma gueule. Parce que je pourrais l'ouvrir tout grand pendant des heures sans pour autant arriver à expliquer ce qu'il faudrait, l'essentiel restant uniquement de la lire.
Mais essayons un peu ...
Parlons de ce dessin, magnifique avec un mélange de gravure sur bois et de dessin au crayon, quelques touches de couleurs hautement symboliques. De ces cases où s'empilent des allégories, des métaphores, des dessins d'après photo, des textes. De ces longues et grandes planches, pour comprendre l'enfermement.
Parlons de cette histoire, de l'humanité qui s'en dégage. De cet homme enfermé, de cette femme libre, de leur correspondance, de tout ce qu'elle découvre petit à petit : l'injustice dans la justice, la violence dans la répression, la prison, l'autre monde ...
Parlons des sujets traités : l'art, la rédemption, la justice, l'humanité, le racisme. Les questions qui restent après lecture : comment peut-on justifier une telle violence envers ceux qui l'ont eux-mêmes exercés. Le questionnement de ce qu'on veut comme société, nous mettre face à ces choix difficiles que souvent on évacue sous le tapis, laissant d'autres s'en préoccuper.
Et si je dois dire une dernière chose, c'est que cette BD nous met le nez dans cette question, nous oblige à nous la poser : que voulons-nous comme justice ? La BD rappelle qu'aujourd'hui une majorité des français sont favorables au retour de la peine de mort. Cette BD nous crie que cette question décide du sort d'êtres humains. Et qu'il ne faut pas, jamais, considérer que c'est une question légère.
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Enigma (Milligan & Fegredo)
Entre mal-être existentiel et appétit d'expériences - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 8 épisodes de la minisérie, initialement parus en 1993, écrits par Peter Milligan, dessinés et encrés par Duncan Fegredo, et mis en couleurs par Sherilyn van Valkenburgh. La présente édition comprend une introduction de Grant Morrison (écrite en 1995) louant le caractère novateur du récit. La scène introductive de 2 pages évoque et montre un meurtre vieux de 25 ans, une femme tuant son mari aux bords d'une ferme, dans un coin de l'Arizona typique où les enfants ont des relations sexuelles avec leurs parents, et finissent par tuer quelqu'un (dixit le narrateur). De nos jours, Michael Smith est un réparateur téléphonique et intervient dans la demeure de Victor Lamont, une vedette de la télé. Le soir dans une ruelle, des policiers retrouvent un cadavre d'une personne dont le cerveau a été mangé par le Brain Eater, il y a un lézard mort et conservé à proximité. C'est mardi, Michael passe une soirée avec ses copains, puis rentre chez lui pour une partie de jambes en l'air avec sa copine (comme tous les mardis). Non loin de là, le superhéros Enigma est la proie de l'ennui. Michael Smith va finir par se retrouver nez à nez avec un supercriminel (The Head), puis avec Enigma, puis avec le créateur du comics d'Enigma datant des années 1970. Peter Milligan est un scénariste de comics au mode d'écriture très particulier qui a laissé une empreinte indélébile dans l'univers des X-Men avec X-Statix. Il a également écrit de nombreuses histoires pour Vertigo et d'autres éditeurs, comme The Best of Milligan & McCarthy, Shade the Changing Man ou Greek Street. Lorsque Enigma est publié pour la première fois, de nombreux critiques crient au génie, et certains lecteurs crient au brouet abscons. Contrairement à ce que peut laisser croire le résumé, ce récit n'est pas une histoire de superhéros. Pour commencer Duncan Fegredo réalise des dessins sans rapport avec l'esthétique superhéros des comics Marvel ou DC. L'encrage est lourd, les visages sont couturés de traits qui viennent les obscurcir. Les traits délimitant les contours donnent parfois une impression d'imprécision ; ils ne se rejoignent pas toujours bien, se croisant ou se chevauchant, sans bien fermer le contour, manquant de netteté. Cette première impression parfois désagréable est renforcée sur quelques pages par une mise en couleurs trop sombre que la reprographie ne parvient à restituer (il faut alors approcher la page d'une source de lumière vive pour essayer de distinguer des formes). D'un autre côté, Fegredo crée des visuels très personnels, comprenant un niveau suffisant de détails, avec des individus dotés d'une forte personnalité, sans être caricaturaux. Chaque lieu est spécifique grâce à un ou deux détails bien choisis. Les dessins rendent compte des nuances du scénario quelles que soient les bizarreries prévues. Fegredo est aussi à l'aise pour représenter des meurtres ignominieux (les exécutions perpétrées par la Ligue des Intérieurs), des corps déformés de l'intérieur au point d'en devenir monstrueux, un apiculteur enfumant une ruche, un individu soliloquant au milieu de lézards, une boîte gay, un couple homosexuel tendrement enlacé après l'amour, etc. S'il faut un temps d'adaptation pour que le lecteur se fasse à l'esthétique particulière des images, leur capacité d'évocation s'adapte à toutes les situations improbables et saugrenues imaginées par le scénariste. Effectivement Peter Milligan est déchaîné et refuse de s'imposer des limites ou des tabous. Avec un peu de recul, il a imaginé une intrigue en bonne et due forme, articulée autour de plusieurs mystères. Qui est Enigma (son identité secrète) et d'où vient-il ? Quel lien le rattache aux 3 numéros du comics des années 1970 ? Qui sont ces individus dotés de superpouvoirs qui commettent des crimes odieux ? Pourquoi des lézards ? Quel rapport avec le meurtre évoqué dans l'introduction ? En quoi la sexualité de Michael Smith est-elle si importante ? Milligan fournit une explication cohérente à toutes ces questions et bien d'autres encore, dans un récit à la logique interne solide. Rapidement, le lecteur constate aussi que le récit n'est pas à prendre qu'au premier degré. Il est évident que ces lézards sont le symbole de quelque chose. L'un des supercriminels s'appelle La Vérité et énonce des vérités cachées à ses victimes. Enigma (le superhéros) est la copie conforme d'un superhéros obscur ayant existé le temps de trois épisodes, et Michael Smith rencontre Titus Bird, l'auteur dudit comics. Ce dernier personnage introduit une mise en abyme efficace, puisqu'il commente ses qualités de scénariste sur les épisodes d'Enigma, introduisant un parallèle avec les propres qualités du comics Enigma de Peter Milligan (et donc par le biais de Titus Bird, Milligan commente ses propres qualités, c'est plus clair en lisant le comics). Milligan ne se limite pas à un exercice de style (la mise en abyme), ses personnages prononcent des jugements et des critiques sur leur propre vie. L'auteur place dans l'esprit de ses personnages (des petites cellules de texte) des propos sur la manière de tromper leur ennui (réciter le dictionnaire à l'envers), sur leur rapport au père ou à la mère, sur leur vie bien rangée, sur leur responsabilité par rapport à leurs écrits (les meurtres commis au nom des épisodes d'Enigma écrits par Titus Bird), etc. Il y a une composante existentialiste dans ce comics. Dans certaines séquences, le lecteur ne peut pas s'empêcher de se faire la réflexion que Milligan est peut-être un peu trop malin. Pour commencer, il n'hésite pas à se lancer des fleurs par le biais des observations de Titus Bird qui observe à quel point il était en avance sur son temps et particulièrement pertinent (= l'auteur d'Enigma est quelqu'un d'éclairé et de perspicace, l'auteur d'Enigma c'est également Milligan, la mise en abyme vous vous souvenez ?). Milligan continue à faire le malin avec les cellules de texte de la première page de l'épisode 5, où le narrateur indique qu'il est un personnage du récit que le lecteur verra apparaitre à la fin du récit. Le clin d'œil est assez appuyé. Il l'est plus encore quand ce narrateur finit par apparaître dans l'intrigue comme un individu à l'élocution nettement supérieure à celles de ces pairs, donc plus intelligent que ceux qui l'entourent. Milligan étant aussi un narrateur cette observation s'applique également à lui, plus intelligent que la majeure partie de ses interlocuteurs, c’est-à-dire ses lecteurs (qui bien sûr n'ont pas de raison de se sentir insultés par de tels propos, de toute façon ils ne sont pas assez intelligents pour comprendre). Le lecteur ressort de ce récit essoré. Le nombre de thèmes abordés de manière intelligente et personnelle par Peter Milligan est épatant. Le ton qu'il emploie oscille entre la narration inspirée et éblouissante, et une forme de cynisme mêlé de suffisance dans lequel l'autodérision n'est pas assez présente. Les dessins de Duncan Fegredo demandent un temps d'adaptation au lecteur, pour révéler leur pertinence, et leur intelligence graphique. Soit le lecteur est épuisé par ce récit qui semble partir dans trop de directions sans vraiment aboutir quelque part, avec une conclusion qui semble absoudre Enigma de tous les crimes qu'il a commis ou dont il est responsable, 3 étoiles (même si cette histoire complète est moins éreintante que la série Shade the changing man). Soit le lecteur accepte ce voyage en apparence chaotique, reflétant la vision de la vie de son créateur, 5 étoiles pour des fulgurances existentielles et une intrigue refusant le conformisme et reposant sur une structure rigoureuse.
Terra Prime
J’ai beaucoup aimé ! Le scénario est simple mais efficace. J’aime les thèmes humains qui y sont discutés, notamment ceux des challenges d’un grand voyage dans l’espace (confinement, politique, défaillance, ressources etc…). Puis l’arrivée sur la planète et ce qui en découle. Les dessins sont très bons. Impressionnant pour un seul auteur. Je trouve les autres notes un peu rudes !! Une tres bonne petite série qui a aussi le mérite de s’achever.
Ça va pas durer longtemps mais ça va faire très mal
Je vais leur prouver que le Conciliant est plus fort que le Coercitif. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, sous la forme d’un roman-photo. Sa parution initiale date de 2017. Il a été réalisé par Grégory Jarry, avec un montage et un lettrage de Lucie Castel, également maquilleuse et créatrice de la Sargasse. Il compte quatre-vingt-quinze pages de roman-photo. Il met en scène vingt-quatre acteurs différents qui incarnent autant de personnages. À l’arrière d’une maison, dans une cour encombrée, trois hommes sont assis autour d’une table avec une nappe. Ils portent un bas sur la tête pour masquer leur identité. Sur la table sont posés un boîtier avec un gros bouton rouge et un téléphone portable. Ils se filment et diffusent la vidéo sur internet. Leur message : Mesdames et messieurs, ceci est une déclaration de guerre. On préfère vous prévenir tout de suite : on va tout faire péter. Ce bouton rouge est relié à internet via ce téléphone. Si Sammy appuie dessus, tous les gens devant un ordinateur seront électrocutés. Un tsunami électronique qui fera des millions de morts. Ce sera la fin du monde tel que nous le connaissons. Nos revendications sont simples : on veut le pouvoir mondial. Attention, pas la peine de nous amadouer en nous proposant le pouvoir en France ou en Europe, on n’en veut pas. Nous, on veut le monde entier, ou rien du tout. Demain, tous les dirigeants de la planète doivent quitter le pouvoir. Nous voulons leurs lettres de démission postées sur Facebook avant minuit. Et pas de coup fourré, sinon Sammy appuie sur le bouton. Le message des terroristes est diffusé par les télévisions du monde entier : les journalistes évoquent la plausibilité réelle d’une telle menace, ainsi que les réactions évasives des chefs d’état. La palme revenant au président de la République française : Mathias Moltz déclarant que Minuit c’est minuit et que là il est midi tout est permis. Spot publicitaire montrant une femme accoudée à un arbre en train de parler, entrecoupé d’images de violences urbaines. La bande-son déroule le commentaire : Au fin fond de la campagne, à des années et des années-lumière des centres de pouvoir, veille celle que le gouvernement français appelle quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes. Quand il ne reste plus aucun espoir. La médiatrice. Dans un grand jardin bien entretenu, Marianne se présente dans un autre spot. Après avoir salué les téléspectateurs, elle indique qu’elle s’appelle Marianne la Médiatrice de la République. République, c’est abstrait comme concept, en réalité, la République, c’est le peuple, autant dire qu’elle est la Médiatrice du peuple. La Médiatrice est une institution créée par François Mitterrand en 1983 lors du tournant de la rigueur. Le président mettait un coup de barre à droite, alors pour se faire pardonner il a créé un pouvoir inédit dans la démocratie, quelque chose auquel même les Grecs n’avaient pas pensé. À l’Exécutif, au Législatif et au Judiciaire, il ajouta un pouvoir totalement indépendant : le Conciliant. Pouvoir confié à Christine, première Médiatrice de l’époque. Les éditions FLBLB ont été créées en 2002, par Grégory Jarry et Thomas Dupuis, et elles publient régulièrement des romans-photos, de vrais récits de fiction ou biographiques dans ce mode d’expression tombé en désuétude dans les années 1970. Il s’agit ici d’un récit d’anticipation mettant en scène deux pouvoirs au sein de la République, en plus de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire, inventés pour l’occasion : le Conciliant (fonction assurée par Marianne) et le Coercitif (fonction assurée par Luc). L’histoire débute avec cette menace terroriste trouvant sa source dans un jardin laissé à l’abandon dans un pavillon à la campagne, et se poursuit effectivement avec un accident dans une centrale nucléaire, comme en atteste le champignon atomique sur la couverture. Le lecteur fait bien l’expérience de ces deux parties distinctes, la mission concernant les terroristes arrivant à son terme en page quarante. Ce récit se classe dans le genre Anticipation avec la menace terroriste sur la base d’une technologie légèrement en avance sur son temps, et l’existence de deux pouvoirs fictifs. Il se déroule jusqu’à une conclusion en bonne et due forme, constituant une histoire complète, avec ses lieux variés et ses différents personnages. En entamant un roman-photo, même s’il n’a pas l’a priori issu des productions Nous Deux, le lecteur sait pertinemment que la probabilité est faible que les auteurs aient disposé de beaucoup de moyens en termes d’acteurs, de localisations, voire d’effets spéciaux. En conséquence de quoi, son horizon d’attente intègre ces contraintes. Dans cet ouvrage, il retrouve une disposition des photographies en bande, reprenant ainsi cet aspect du mode narratif de la bande dessinée, sans bordure de case. L’auteur utilise des cases rectangulaires. Il met à profit les possibilités de composition d’une page : une photographie en pleine page pour l’ouverture, quatre cases de la même taille pour la page suivante en deux bandes de deux, une construction très régulière pour les spots télévisuelles (quatre bandes de deux cases de mêmes dimensions pour les informations, et pareil pour la présentation de la Médiatrice. Par la suite, il adapte son découpage à la nature de la séquence. L’artiste peut choisir une photographie qui occupe les deux tiers de la page pour une présentation d’un personnage ou d’un lieu. Il peut consacrer une bande de trois cases à une unique action, comme une forme de prise de photographies en rafale. Il utilise régulièrement des photographies de la largeur de la page pour un effet panoramique, soit lorsqu’il y a de nombreux personnages, soit pour une action étalée dans la distance (le passage d’un avion dans le ciel par exemple). À une demi-douzaine de reprises, il découpe une case en biseau pour montrer la rapidité d’un mouvement ou la confrontation conflictuelle entre les personnages. Le lecteur observe des personnages avec un jeu d’acteur dans un registre naturaliste, sans cet effet forcé qui peut rendre un roman-photo ridicule. Les dialogues occupent une part significative de la pagination, rendus plus vivant par les mouvements et les occupations des personnages à ce moment, sans impression d’une succession de gros plans sur les visages pour des raisons d’économie de moyen. Le réalisateur offre une grande diversité de lieux : la cour occupée par les terroristes, le grand jardin de la Médiatrice, son salon, le parc présidentiel, un magasin de reprographie, le salon de la mère du président de la République, les plateaux des différents journaux télévisés, une tour aéroréfrigérante d’une centrale nucléaire, une ferme de crocodiles, un pavillon où se sont réfugiés des immigrés clandestins, un cimetière, un bois, une forêt, un court de tennis, etc. Le lecteur suit la Médiatrice dans ses pérégrinations successives, éprouvant la même sensation que dans une bande dessinée où l’artiste n’est pas contraint par son budget. L’auteur fait preuve d’une facétie certaine : il commence par présenter la Médiatrice qui indique que les médiatrices n’ont jamais eu tellement de moyens. Quand une crise éclate dans la société, son rôle, c’est de mettre tout le monde d’accord, sans qu’aucune partie ne soit lésée. Sans arme à feu, sans GIGN, sans rien. Ça passe par le dialogue, l’écoute, et surtout la gentillesse. Le pouvoir conciliant, sa valeur est avant tout symbolique, mais c’est un symbole fort et respecté. Par comparaison, le Nettoyeur indique que les nettoyeurs ont toujours eu des moyens colossaux, pris dans les fonds secrets de la République. Ils ont tutoyé personnellement les présidents russes et américains en pleine guerre froide. Quand une crise éclate, qui menace les intérêts de la France, leur rôle c’est de mettre tout le monde d’accord. Tous les moyens sont bons, même les moins avouables. Ça s’appelle la Raison d’État, lui il appelle ça la raison du plus fort. Mais voilà, Luc le nettoyeur traverse une crise existentielle qui le prive de la capacité d’agir. C’est donc le pouvoir de la conciliation qui est à l’œuvre (même si ça n’empêche pas Marianne de décocher deux bourre-pifs bien sentis), un mode d’action assez inusité dans les récits d’action. Pour autant, Marianne mène à bien sa première mission de neutraliser les terroristes. Elle tient tête à plusieurs reprises au président de la République française jusqu’à lui faire changer d’avis par le pouvoir du dialogue et de la conviction. Elle fait preuve de courage et du sens du devoir, intimement motivée par le bien commun. Le lecteur peut être dubitatif s’il entretient des a priori sur le roman-photo en tant que mode d’expression. L’auteur fait la preuve que ce média peut raconter tout type d’histoire aussi bien que d’autres, utilisant les photographies en les disposant selon les modalités narratives de la bande dessinée. Le lecteur découvre la fonction de la Médiatrice et la suit dans une mission contre des terroristes, puis pour convaincre le président de la République française de faire le bon choix, avec une conviction inébranlable dans le service, dans le pouvoir supérieur de la conciliation sur la coercition. Un récit d’anticipation plus subversif qu’il n’y paraît.
Les Maléfices du Danthrakon
Ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition. - Ce tome constitue une suite de la trilogie Danthrakon : Le grimoire glouton (2019), Lyreleï la fantasque (2020), Le marmiton bienheureux (2020), consacrée à Lerëh & Nuwan, qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant pour saisir toutes les aspects de la présente histoire. Sa première parution date de 2022. Il a été réalisé par Christophe Arleston & Olivier Gay pour le scénario, par Olivier Boiscommun pour les dessins, et par Claude Guth pour la mise en couleurs. Il compte cinquante pages de bande dessinée. Karyelle, un joli nom pour une cité perchée sur un pic montagneux. Pourtant, la ville est surnommée Carie-du-Ciel, en raison des réseaux de grottes, de tunnels et d’habitations troglodytes qui abritent les moins favorisés. Son opéra en plein air jouit depuis toujours d’une formidable réputation. Parmi les habitués, le merveilleux baron Sigle-Hume, et l’archimage Modrevol. En ce moment la cantatrice Ptolomelle est en train de donner un récital, accompagnée de sa sœur Meliandre à la harpe, chantant : Ah, amour contrarié, ah, ironie cruelle, qui pour donc aimer la pauvre Ptolomelle. Les spectateurs sont enchantés, près à aimer la pauvre Ptolomelle. Le baron la trouve boul-ver-si-fiante, et il demande à l’archimage comment elle s’appelle. Ce à quoi son interlocuteur répond que s’il en croit les paroles, elle se prénomme Ptolomelle. Sigle-Hume demande alors à Modrevol d’inviter la soprano à sa réception ce soir. Après le récital, les deux sœurs se retrouvent dans leur chambre, les petits oiseaux blancs voletant gracieusement autour de la cantatrice, et la harpiste s’entraînant sur son instrument. Meliandre énonce à haute voix son constat : le public adore sa sœur car elle a plus qu’une voix magnifique, elle sait les faire vibrer. Alors qu’elle a beau jouer à la perfection, elle ne les touche pas, c’est comme si elle était transparente. Son tempo était excellent, ses notes impeccables. Alors que Ptolomelle a accroché son contre-ut et personne n’a entendu. Sa sœur confirme qu’ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition. On toque à la porte : un laquais vient apporter un message de son maître l’archimage Modrevol. Il l’énonce : La belle Ptolomelle et sa sœur sont cordialement invitées à la réception qu’il donne ce soir en son manoir. Postscriptum : elle doit veiller à ce que ses oiseaux se soient soulagés avant. Meliandre comprend que cette dernière partie est un ajout du laquais, ce qu’il confirme, c’est son métier. La cantatrice répond qu’elle vient, la harpiste décline l’invitation car elle a du solfège à réviser. Le laquais sort, un autre individu fait son entrée : Brusus. Ptolomelle fait sortir sa sœur en prétextant qu’il s’agit d’un admirateur. Dès qu’elle est sortie, le visiteur change d’attitude : il malmène la soprano et l’informe que le chef a fait enlever ses parents. Ce soir, pendant la réception, elle devra laisser une fenêtre ouverte pour qu’ils puissent y réaliser un cambriolage. Les soirées de l’archimage sur le rocher sont toujours un succès. Le tout-Carie-du-Ciel se bat pour pouvoir y assister. Le texte de la quatrième de couverture précise qu’il s’agit d’une histoire complète en un tome. Celui-ci commence par un texte introductif de deux pages expliquant l’origine du Danthrakon telle que le lecteur a pu la découvrir dans l’histoire de Lerëh et Nuwan. Il précise également que La seule certitude à son sujet est qu’il est sensible à la beauté, à l’art. en présence d’un ou d’une virtuose, il exulte et se laisse aller à sa vraie nature, […] c’est son histoire, et les étonnantes aventures survenues à ceux qui l’ont eu entre les mains, qui sont racontées ici… Le lecteur est fort aise de retrouver les créateurs du récit initial. Il se dit que Arleston a souhaité travailler avec un coscénariste vraisemblablement par manque de temps. Il est tout aussi rassuré de voir le retour du coloriste initial, s’il a trouvé un peu en deçà, la prestation de sa remplaçante dans le tome trois. De fait, le lecteur retrouve la palette de couleurs vives et chaudes, très agréables à l’œil. Le soin méticuleux apporté à suivre chaque forme détourée, aussi fine soit-elle, la capacité à habiller les fonds de case vides avec des camaïeux à base de dégradés consistants, les effets spéciaux efficaces et à bon escient, par exemple les notes de musique pour les mélopées chantées. Son travail complémente les dessins avec une pertinence telle que le lecteur éprouve la sensation que les couleurs auraient pu être posées par l’artiste lui-même. De la même manière, l’artiste donne l’impression d’avoir bénéficié du temps nécessaire pour peaufiner chaque page. Le lecteur commence par se délecter de cette magnifique couverture avec ce ciel aux superbes dégradés, les deux sœurs en train de se produire pour le Danthrakon, et les petits oiseaux blancs entre colombe et moineau, ceux-là même qui suivent Ptolomelle partout, entre poésie visuelle et gag, avec derrière cette cité troglodyte fantastique qui évoque par certains aspects celle de Kompiam, elle aussi construite à flanc de montagne, mais un peu moins abrupte. La première page du récit offre une autre vue de cette cité remarquable, en particulier de sa grande scène en surplomb avec ses colonnes et ses gradins. Par la suite, le lecteur prend le temps d’admirer la vue du ciel de la propriété de l’archimage, plusieurs pièces de sa demeure comme la salle aux miroirs déformants, le zoo personnel, et bien sûr l‘immense bibliothèque où repose le précieux volume du Danthrakon, puis les fragiles passerelles en bois pour relier différents points de la cité, les passages dans les cavernes (un vrai labyrinthe menant au royaume secret des voleurs), la balancelle au-dessus du vide, et une dernière vision de Karyelle cette fois-ci en direction de la mer. Olivier Boiscommun est tout aussi en forme, en verve même pour les personnages, qu’il s’agisse d’anonymes dans la foule (par exemple les spectateurs applaudissant au récital de Ptolomelle), ou des premiers et des seconds rôles. La soprano dispose d’une superbe silhouette élancée, d’un joli minois expressif, que ce soit quand elle fait œuvre de séduction, quand elle est sous l’emprise de la boisson, de la peur, ou sous le coup d’une décision irrévocable. Le physique de Méliandre s’avère très similaire à celui de sa sœur, mais son langage corporel diffère montrant qu’elle est aussi introspective que sa sœur peut être expansive. Difficile de résister à son désappointement quand elle tente de se faire consoler en se serrant contre un beau garde : elle s’adresse à lui en lui demandant de ne rien dire, de la serrer contre lui, car il paraît que ça aide en cas de souffrance intérieure. Bon. Constat : en réalité, c’est assez inconfortable. Arnulf, le jeune garde, fait montre d’une certaine assurance avec une touche raisonnable de virilité, tout en se montrant parfois un peu boudeur quand une personne de plus se moque encore de sa coiffure, ou quand il est dépassé par les initiatives de l’une ou l’autre sœur. Le lecteur finit même par compatir avec Brusus, l’homme de main qui bouscule et fait chanter Ptolomelle, car il se retrouve lui aussi dépassé plus souvent qu’à son tour avec un air désemparé très parlant sur son visage et dans sa posture corporelle. Chaque personnage dispose de sa tenue vestimentaire spécifique avec de nombreux détails, en phase avec sa personnalité et sa position sociale. Le dessinateur est tout aussi en verve pour les scènes d’action que ce soit la tentative pour récupérer le Danthrakon qui s’est envolé dans la bibliothèque, l’équipe de ménage qui constate les dégâts après la réception chez l’archimage, Ptolomelle en train d’utiliser son pouvoir vocal, l’inondation dans les passages troglodytes, ou encore le combat aérien final. Les coscénaristes semblent avoir pris grand plaisir à imaginer cette aventure, et ils savent le communiquer au lecteur. Difficile de résister à l’exubérance de la cantatrice, à la résignation de Méliandre au fait d’être émotionnellement handicapée, ou encore à la bravoure contrariée du garde Arnulf. Ils concoctent également des réparties qui font mouche, à base d’ironie et cynisme de bon aloi (qui ne semble ni artificiel, ni forcé). Ils ont le sens de la formule, par exemple : ils préfèrent la passion partie du cœur, au par cœur de la partition. De la moquerie, avec par exemple une caricature de critique d’art : Magnifique tableau ! Quelle œuvre ! Et cette tache ! Un éclair de génie qui vient transcender comme un cri primal la vision transréelle de la multiplicité des émotions opaques d’une société hermétique à ses sens. Bouleversant, tripal. Ou encore un retour au principe de réalité, par exemple : Même les plus terribles des nuits finissent par laisser place au jour. Qui n’est pas toujours mieux, d’ailleurs. Ils n’en oublient pas leur intrigue pour autant : le Danthrakon donnant des pouvoirs à Ptolomelle, un chantage avec l’enlèvement des parents, une introspection sur l’atrophie émotionnelle de Méliandre, et une histoire d’amour un peu contrariée dans laquelle l’homme n'a pas l’initiative. Après une histoire en trois tomes, les auteurs ont opté pour des histoires complètes en un tome, avec l’adjonction d’un coscénariste. Le lecteur se rend compte qu’il en a pour son argent. Le dessinateur a retrouvé son niveau optimal, créant de magnifiques paysages, des personnages attachants, amusants, avec une réelle épaisseur, des scènes d’action bien mises en scène, une narration visuelle pleine d’entrain, où le plaisir de l’artiste se transmet au lecteur, avec une mise en couleurs sophistiquée et en phase. Les coscénaristes racontent une histoire avec une intrigue bien ficelée, des personnages bien développés, le sens du merveilleux, et une verve combinant humour sous différentes formes (Quoi ? Qu’est-ce qu’elle la coiffure d’Arnulf ?), et des personnages avec un caractère propre. Chouette, il y a un deuxième tome de cette série Les maléfices du Danthrakon, par les mêmes auteurs.
Batman - Amère victoire (Dark Victory)
Prise de pouvoir par les monstres - Il faut savoir rendre grâces à Frank Miller et David Mazzuchelli pour avoir remis à la mode (avec Batman année un) les histoires centrées autour d'un Batman débutant. Jeph Loeb a tellement apprécié (et eu de succès) avec Un long halloween (histoire qui reprend les personnages de Année un) qu'il ne lui a pas fallu très longtemps pour écrire une suite en 13 épisodes et convaincre Tim Sale que Robin constitue un personnage intéressant. Un tueur se faisant appeler Hangman exécute des officiers de police en les pendant. Il laisse derrière lui des jeux de pendus à moitié renseignés. Sofia Falcone Gigante a repris les rênes de l'empire de son défunt père. Alberto Falcone est libéré et assigné à résidence dans le manoir familial. Janice Porter succède à Harvey Dent au poste de District Attorney et elle semble motivée par autre chose qu'une saine ambition. Batman se méfie de James Gordon et de Catwoman. Toutes ces intrigues permettent à Jeph Loeb de donner au lecteur une vision complète de Gotham et des difficultés auxquelles se heurte Batman dans sa guerre contre le crime. Jeph Loeb continue de prouver sa maîtrise du personnage de Batman et de son environnement. Tout est parfaitement à sa place et si le déroulement des événements est complexe, il n'est jamais compliqué. En grand professionnel, Loeb sait entremêler différentes intrigues autour du mystère principal qui est de découvrir qui est ce tueur de flics. Sa description du profil psychologique de Bruce Wayne et de son alter ego est entièrement en phase avec Year One. La montée progressive de sa paranoïa sonne juste et l'irruption de Dick Grayson (au chapitre 9) dans ce contexte devient plausible. Ce qui est également admirablement rendu réside dans la prise de pouvoir progressive et irrésistible des monstres (Two-Face, Penguin, Joker, Poison Ivy, Solomon Grundy…). le scénario transcrit admirablement leur emprise grandissante sur la pègre aux dépends de la mafia traditionnelle qui ressemble de plus en plus à une espèce en voie de disparition. Les illustrations de Tim Sale sont dans la continuité de ce qu'il a fait sur le tome précédent. Il continue à apposer de grands aplats de noir, à recourir à des cases très large et en nombre restreint sur chaque page. Son rendu des personnages reste stylisé et tire parfois vers l'abstraction (aux dépends du réalisme). Ce parti pris augmente l'impact visuel des personnages et tire les illustrations vers une forme iconique qui transporte l'histoire vers un affrontement entre forces primordiales. Ce tome est aussi réussi que Un long Halloween que je vous conseille d'avoir lu avant car on y retrouve la majorité des personnages. Jeph Loeb et Tim Sale ont réussi leur pari de narrer une histoire de Batman qui compte et qui soit prenante. Pour savoir ce que devient Selina Kyle en cours d'histoire, il vous suffit de lire Catwoman à Rome des mêmes auteurs. Ce tome s'achève avec une histoire bonus d'une demi-douzaine de pages mettant en scène Catwoman et Batman, écrite par Darwyn Cooke et dessinée par Tim Sale.
Batman - Un long Halloween
Glissement du pouvoir - Pour pouvoir pleinement apprécier cette histoire, il faut mieux avoir déjà lu Batman année un. Jeph Loeb part de cette version des débuts de Batman pour élaborer l'impact de Batman sur l'équilibre des pouvoirs dans Gotham. Il utilise donc les personnages introduits dans Year One. L'apparition de Batman dans Gotham remet en cause la mainmise de la famille Falcone sur la pègre, la police et les politiques. Dans le sillage de Batman surgissent des individus fortement dérangés tels que Catwoman qui a défiguré Carmine Falcone, Joker qui semble mû par une folie meurtrière sans raison, Solomon Grundy (une force de la nature), Scarecrow (un homme qui joue sur la peur) et Riddler (???). Au milieu de ces alliances changeantes et des règlements de compte qui en découlent, un tueur sévit dans Gotham abattant une victime à chaque vacance ou jour férié. de son coté, Bruce Wayne tâtonne encore pour parfaire ses méthodes de travail, ce qui le pousse à s'allier avec Harvey Dent et avec James Gordon. Par contre, il n'arrive pas à choisir quelle attitude adopter vis à vis de Selina Kyle. Jeph Loeb et Tim Sale avaient déjà collaboré ensemble sur le personnage de Batman pour trois histoires courtes se déroulant à Halloween (Des ombres dans la nuit) avec un résultat très convaincant. À la demande d'Archie Goodwin, ils reviennent pour cette histoire qui sera suivi par Amère victoire, puis par l'épilogue consacré à Catwoman dans Catwoman à Rome (et bien d'autres pour Marvel). Jeph Loeb entremêle habilement l'héritage de Frank Miller, avec une histoire de gangsters, avec le tissage des premières relations entre les personnages principaux de l'univers de Batman, avec une vraie enquête pour savoir qui est le meurtrier, avec des réflexions sur l'apparition de personnages costumés à moitié (ou complètement) fous dans une ville corrompue. Et il a conçu son histoire en ayant en tête les points forts de Tim Sale. Ce dernier utilise un style qui repose sur de grandes cases (donc peu de cases par page), de gros aplats de noir, des visages qu'il caricature pour les tirer vers le symbolisme, des exagérations physiques qui font ressortir l'aspect d'icones des héros et des criminels. Pour autant son sens de la composition lui permet de capter le mouvement et de s'inscrire dans un art vraiment séquentiel, même à 3 cases par pages. Et Jeph Loeb lui laisse de nombreuses pages pour mettre en valeur ses illustrations. C'est tout à l'honneur de Loeb et de Sale qu'ils arrivent à amalgamer les différentes composantes de leur histoire pour aboutir à un tout cohérent (un petit peu long à mon goût, je préfère Amère victoire dont le rythme est mieux maîtrisé) qui renouvelle intelligemment les histoires de flics et voyous en intégrant harmonieusement des personnages costumés pas si facile que ça à rendre crédibles. Cerise sur le gâteau : Bruce Wayne brille de mille feux dans des scènes le mettant en lumière en tant que Batman, en tant que membre de la haute société, en tant que détective…, sans pour autant en faire un violent psychopathe.
Le Pont des arts
Sur une rive, la littérature, sur l'autre, la peinture. - Ce tome regroupe une douzaine d'histoires courtes évoquant par ordre chronologique des relations entre un écrivain et des artistes. Sa première édition date de 2012. Il a été entièrement réalisé par Catherine Meurisse pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingt-quinze pages de bande dessinée. Il peut être considéré comme une suite thématique de Mes hommes de lettres : Petit précis de littérature française (2008) dans lequel elle évoquait ses écrivains de prédilection, chacun disposant d'un chapitre, l'ensemble formant une fresque de morceaux choisie de l'histoire de la littérature. Chaque histoire comprend entre deux et treize pages. Sur une rive, la littérature, sur l'autre, la peinture. Entre les deux, un pont qu'empruntent les écrivains et les peintres, fascinés par la beauté d'une toile de l'un, puisant l'inspiration d'un roman de l'autre. Voici quelques petites histoires de grandes amitiés entre les arts. - La vie de l'esprit, six pages, comment le philosophe Diderot se vide la tête au musée, tout en remplissant la nôtre. En 1765, Diderot achève sa collaboration à l'Encyclopédie. Il est temps pour lui de profiter de vacances de l'esprit, car il a donné vingt ans de sa vie à ce dictionnaire, il a enfin droit lui aussi au repos futile. Dans sa demeure, son serviteur Jacques lui apporte le courrier : des factures, une carte postale de Friedrich Melchior Grimm séjournant chez Catherine II, qui lui demande de s'occuper de sa revue. Denis Diderot décide alors de profiter de la revue de Grimm, en développant une activité de critique littéraire artistique : ses Salons, compte-rendus à la fois techniques et poétiques des expositions de l'Académie des Beaux-Arts, rédigés dès 1759, font de lui le pionnier de la critique d'art – à une époque où l'on prétend que seuls les peintres peuvent juger de la peinture. Il se livre à cet exercice avec La raie (1728) de Jean Siméon Chardin. Masterclass, huit pages, comment Delacroix casse du sucre sur le dos d'Ingres, laissant des miettes partout chez George Sand. Dans sa demeure, George Sand enjoint Eugène Delacroix à cesser de se trémousser, car ils sont attendus à dîner. le potage va refroidir. À propos de soupe, il lui demande si elle a vu la Stratonice de Jean-Auguste-Dominique Ingres. La réponse est positive : elle a trouvé ça puéril et maniéré. Elle continue : Ingres est un homme de génie, mais ce qui lui manque, c'est la moitié de la vue, la moitié de la vie, la moitié de la peinture… Grave infirmité qu'on lui pardonnerait s'il n'érigeait pas son impuissance en système. Delacroix lui suggère de juger l’œuvre, et d'oublier l'homme. Elle rétorque que c'est bien dit pour quelqu'un qui ne peut le souffrir. le problème c'est que, quand un tableau accuse une paralysie mentale à ce point, elle ne peut s'empêcher de déplorer l'erreur du maître. Sa Stratonice a l'air d'avoir un balai dans… Dans l'Antiochus. Delacroix en rajoute en lui demandant si elle a remarqué comme Ingres confond couleur et coloration. Avec Mes Hommes de lettres, l'autrice évoquait directement les écrivains qui l'ont construite en tant que personne, et en tant qu'artiste. Ici, elle évoque les grands peintres qu'elle a découverts et appréciés par l‘entremise d'écrivains célèbres, faisant preuve d'humilité, en transmettant à son tour la parole de ces grands auteurs, en s'effaçant derrière eux et leurs critiques d'art. Au cours de ces dix chapitres, elle met en scène successivement Denis Diderot comme premier critique d'art, commentant La raie de Jean Siméon Chardin (1699-1779), puis François Boucher (1703-1770), Jean-Baptiste Greuze (1725-1805). Viennent ensuite Eugène Delacroix (1798-1863) parlant peinture à Frédéric Chopin (1810-1849), en présence de George Sand (1804-1876), Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil). Théophile Gauthier (1811-1872) et sa myopie se lançant dans des travaux de critique sur Gustave Moreau, Gustave Doré, Ingres, Théodore Chassériau, et Eugène Delacroix. Charles Baudelaire (1821-1867) en 1862 transformé en guide du musée d'Orsay pour donner son avis sur les croûtes (Jean-Léon Gérôme, Amaury Duval, Jean-François Millet), puis le plus grand des plus grands (Eugène Delacroix), et un moderne (Édouard Manet). Émile Zola (1840-1902) avec Eugène Delacroix, Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Berthe Morisot, Edgar Degas, Gustave, Camille Pissarro, Alfred Sisley et Paul Cézanne. Marcel Proust (1871-1922) fréquentant les salons des impressionnistes pour composer le personnage du peintre Elstir. Jean Lorrain (1855-1906, Paul Alexandre Martin Duval) racontant une toile de Gustave Moreau dans son roman Monsieur de Phocas (1901). La relation entre Man Ray (1890-1976, Emmanuel Radnitsky) et Kiki de Montparnasse (1901-1953, Alice Prin). Le chapitre suivant est consacré à la relation entre Pablo Picasso (1881-1973) et Guillaume Apollinaire (1880-1918), alors que le tableau La Joconde est dérobé au musée du Louvres. C'est enfin Honoré de Balzac (1799-1850) qui écrit le chef d’œuvre inconnu (1831) qui sera ensuite illustré par Pablo Picasso. Le lecteur est surpris de découvrir la diversité des approches pour évoquer la pratique de la critique de l'art. Diderot commente les tableaux avec fougue, Eugène Delacroix n'hésite pas à s'exprimer sur ses confrères, et Charles Baudelaire réalise la visite guidée d'un musée. D'un autre côté, l'observation des œuvres d'art et la fréquentation des peintres amènent Marcel Proust à composer un personnage peintre lui-même pour La recherche du temps perdu. Jean Lorrain écrit un roman sur la recherche du regard le mieux rendu et comment cela peut rendre fou un homme. Puis il s'agit du vol de la Joconde. La scénariste met à profit la diversité des critiques, de leur métier, de leur statut social, produisant un effet de renouvellement, évitant toute redondance. L'artiste dessine dans un registre descriptif, mêlant formes simplifiées et exagérations de l'expression des visages et des mouvements corporels. Le lecteur sourit en voyant les mimiques de Diderot, son agitation, son visage comme exploser vers le haut quand il reçoit une baffe magistrale. Chopin est irrésistible avec sa longue tignasse qui masque son visage, et ses torrents de larmes, ce qui contraste fortement avec le comportement plus posé de George Sand. Charles Baudelaire est habité par l'intention de ses émotions. Zola apparaît beaucoup plus posé et réfléchi. Proust ressemble à un vrai dandy en proie à une vive curiosité. Balzac gesticule plus. Il n'est pas possible d'accuser Catherine Meurisse d'idolâtrie vis-à-vis de ces grands écrivains, et pour autant elle les met en scène en étant en phase avec leur personnalité d'auteur. Le lecteur guette (et trouve) les ressemblances dans ces personnages historiques célèbres. Il est tout aussi impressionné par la capacité de l'artiste à évoquer les tableaux célèbres des grands peintres, avec ces traits de contour encrés et comme un peu tremblés ou mal assurés. À chaque fois, il reconnaît du premier coup d’œil l’œuvre concernée : aussi bien La raie (Chardin) que La grande odalisque (Ingres), Un enterrement à Ornans (Courbet), La liberté guidant le peuple (Delacroix), Les glaneuses (Millet), le déjeuner sur l'herbe (Manet), Les raboteurs de parquet (Caillebotte), Guernica (Picasso), etc. Il est probable qu'il découvre également quelques œuvres qu'il ne connaissait pas. Il remarque que l'artiste met en œuvre une narration visuelle variée et riche. Elle peut aussi bien passer de cases avec un arrière-plan regorgeant de détails, qu'à une suite de trois cases s'attachant au mouvement d'un personnage, avec un arrière-plan vide. Au fil des pages, le lecteur se surprend à ralentir son rythme pour prendre le temps d'admirer une case ou une prise de vue remarquables : la façade de l'habitation de Diderot, la rampe en fer forgé de l'escalier, le superbe jardin de la demeure de George Sand à Nohant, le démontage en règle du décor du tableau Stratonice et Antiochus (Ingres) par Delacroix, l'énoncé des peintres souffrant de la vue (astigmate pour El Greco, strabisme divergent pour Rembrandt, cataracte pour Monet, dégénérescence maculaire pour Degas, xanthopsie pour Van Gogh, dacryocystite pour Pissarro, sclérodermie pour Klee, hémorragie dans l’œil droit et cécité dans l’œil gauche pour Munch), Charles Baudelaire agitant son parapluie pour que les visiteurs ne le perdent pas de vue, Proust de promenant dans les plages de Monet, Boudin, et Manet, le policier se retrouvant dans les Enfers, Arsène Lupin, ou encore Vénus dans son conque et ramassant des champignons. L'art de la critique exercée par des écrivains vis-à-vis de peintres, mais pas seulement : et ça peut faire une BD, ça ? Le lecteur peut faire confiance à Catherine Meurisse pour lui raconter tout ça avec une verve et un enthousiasme communicatif, et non feint. Il sent qu'elle a apprécié de voir ces chefs d’œuvres (et quelques croûtes) par les yeux de maîtres de la langue française tentant d'exprimer leur ressenti devant ces tableaux, de décortiquer ce qui fait une grande œuvre. Il découvre des chapitres relativement courts, et denses, il n'y a qu'à songer au nombre d'artistes évoqués. Il ne se sent ni perdu, ni exclu car l'autrice évoque en majeure partie des chefs d’œuvre connus du très grand public. Il se dit qu'il retournerait bien en voir quelques-uns sur cette liste, à commencer par les Delacroix, car il les percevra différemment, avec plus de discernement après cette bande dessinée. Il se met à rêver d'un second tome sur l'art moderne.
Le Scrameustache
Vraiment très surpris de tous les avis négatifs. On parle d’une BD ciblant un public d’enfants, avec il me semble des avis négatifs par des adultes. Je raffole des dessins, des jeux de mots (même si leur force diminue avec le nombre de tomes), et des scénarios intéressants. Avec les derniers tomes, il y a quand même un moins bien, mais on ne s’en lasse pas ! C’est une BD décalée et un peu loufoque, mais qui entraîne les petits dans un domaine de la science-fiction impossible. Ça reste un jour peut être réalisable; Tintin me semble des fois très éloigné du possible.
Germaine Richier - La Femme sculpture
C’est pour ça qu’il faut savoir être joyeux. Et savoir sourire… - Ce tome constitue une biographie de Germaine Richier (1902-1959) qui ne nécessite pas de connaissance préalable de l’œuvre de la sculptrice. La première parution de l’ouvrage date de 2023. Il a été réalisé par Olivia Sautreuil pour les dessins et les couleurs présentes dans les dix dernières pages, par Laurence Durieu pour les textes, avec la collaboration de Sandra Tosello. Il comprend cent-soixante-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une photographie de Germaine Richier, un lexique de quinze termes (Assy, buste, Bourdelle, document, espace, famille, gravure, hybride, modèles, Otto Bänninger, photo, René de Solier, Saint-Tropez, triangulation, 36 avenue de Châtillon), une bibliographie sélective de neuf ouvrages, catalogues d’exposition et textes, et enfin des remerciements. Paris, musée d’art moderne, 9 octobre 1956 : ouverture d’une exposition consacrée aux œuvres de la sculptrice Germaine Richier. Jean Cassou, conservateur du musée, débute son discours. Il indique que la sculptrice est l’artiste le plus complet qui soit, doué d’une bouleversante imagination poétique. Sa technique est la technique de la nature. Partout elle perçoit un mouvement biologique. Son art est une initiation aux mystères. Art dur, art métallique, art de la métamorphose, où le noir et le blanc tendent à la couleur. Femme de tête qui, de sa terre ensoleillée et féconde en herbes odorantes, a reçu en don les plus robustes vertus vitales. Le petit groupe déambule parmi les pièces de l’exposition, entre les statues, et Richier interrompt le conservateur pour indiquer qu’elle doit dire bonjour à une vieille amie. Elle va se positionner devant la sculpture La Sauterelle et lui parle en la caressant : quel chemin parcouru ! Derrière elle, deux femmes échangent leurs impressions : Ces sculptures sont vraiment impressionnantes du tourment, de la radicalité. L’autre indique que ça la met mal à l’aise. Sa copine la reprend : elle espère qu’elle ne va pas lui parler d’eczéma sculpté, comme dans cet article assassin qu’elle vient de lire. Quelle vision ! Elle imagine l’énergie déployée pour l’imposer. Castelnau-le-Lez, printemps 1912. La jeune Germaine est en train de se promener dans la nature. Elle remarque une sauterelle qu’elle parvient à capturer dans ses mains. Elle lui parle pour la rassurer : elle veut juste l’observer. L’insecte lui répond : elle lui demande d’ouvrir sa main, car elle ne s’enfuira pas. Enfin, de l’aise pour ses pattes ! Elle continue : Germaine vient ici tous les jours et elle a fini par la connaître. D’ailleurs ne devrait-elle pas être à l’école au lieu d’arpenter la garrigue ? Germaine répond qu’elle aussi a des pattes, qu’ici elle respire la liberté, que ce qu’elle aime c’est le parfum des rochers, des oliviers desséchés par le vent, les bois cassants, les bords du Lez, et le Prado avec la maison de sa famille. Elle ramasse encore quelques petits cailloux, des cocons et morceaux d’écorce et elle rentre. Le souper va être servi. Sa mère s’enquiert de savoir où elle était encore passée, car l’éducation ce n’est pas qu’à la maison. Germaine aimerait bien pouvoir choisir son professeur, un qui leur apprendrait des choses mystérieuses. Et puis, ce n’est pas à l’école qu’elle rencontrerait une si belle sauterelle, une magicienne dentelée. Une bande dessinée biographique utilisant une structure très classique : une scène introductive attestant de la renommée de l’artiste, de son importance culturelle grâce à un discours d’une autorité en la matière, puis un retour à l’enfance pour raconter sa vie suivant un fil chronologique, jusqu’à son décès et une rétrospective posthume à Antibes, à partir du 17 juillet 1959. Les autrices mêlent les principaux moments de sa vie d’artiste et les principaux moments de sa vie personnelle. L’enfance à se promener dans la garrigue, à ramasser des brindilles et des cocons et à faire la rencontre d’une sauterelle. La représentation des personnages s’inscrit dans la tradition de la ligne claire avec des contours et des visages un peu simplifiés, une approche descriptive, avec un bon niveau de détails, des visages expressifs. Le lecteur peut voir les costumes très formels de ces messieurs, les toilettes plus variées des femmes, les vêtements tout simples de Germaine enfant et son entrain, sa curiosité, son émerveillement devant ce qu’elle découvre. Par comparaison, il voit que la représentation de la nature se charge plus en aplats de noir, avec des formes plus complexes, des aspérités, des volumes, des reliefs. Dans cette séquence d’enfance, le lecteur comprend que la future artiste assouvit sa curiosité dans le milieu naturel où elle vit, ce qui construit sa personnalité et ses goûts. Au printemps 1914, à Arles, à l’occasion de la fête des gardians, son père l’emmène admirer la cathédrale et le cloître Saint-Trophime, avec le tympan et l’archivolte sculptés du portail, et les galeries avec ses sculptures. La dessinatrice s’investit pour rendre compte de l’impression que peut faire le tympan finement ouvragé, les différentes sculptures, en jouant sur le noir & blanc, en inversant le contraste pour certaines cases, c’est-à-dire des traits de contour blancs sur fond noir. Dans cette séquence également, les autrices choisissent de mettre en scène comment cette visite s’imprime de manière indélébile dans l’esprit de l’enfant, générant ou au moins nourrissant son imaginaire et cristallisant sa vocation. La narration visuelle montre cet instant de manière subjective, comme le ressent Germaine. À plusieurs reprises, le lecteur peut ainsi voir le monde par les yeux de la sculptrice : la densité du feuillage des arbres d’alignement devant les Beaux-Arts de Montpellier, les décorations sculptées de l’opéra de Marseille, le feuillage des arbres de la nouvelle maison des Richier à Mudaison, ses mains travaillant la matière de ses têtes sculptées, ses œuvres successives alternativement des masses noires parcourues de traits blancs ou l’inverse. La dessinatrice ne cherche pas à réaliser une représentation de nature photographique des œuvres de la sculptrice, mais à faire apparaître la structure et l’élan qui les sous-tendent, en les rattachant aux éléments naturels qui inspirent la créatrice, à ces morceaux qu’elle peut inclure dans ses œuvres et qu’elle qualifie de documents. Le fil de la biographie suit le déroulement de la vie de Germaine Richier : journées passées à l’atelier de Charles Amans à Castelnau-le-Lez, pensionnat Veyziat à Montpellier, études aux Beaux-Arts à Montpellier, montée à Paris en 1926 pour essayer de rencontrer Émile-Antoine Bourdelle (1861-1929), passage par l’atelier de Robert Coutin (1891-1965), rencontre puis mariage avec Otto Bänninger (1897-1973), ouverture de son propre atelier, première exposition, séjour en Suisse dans sa belle-famille à partir de 1939 prolongé pendant la durée de la seconde guerre mondiale, retour à Paris après la guerre, et poursuite de sa carrière avec créations dont la Pomone (1945), l’orage (1947/48), l’ouragane (1949), le Christ d’Assy (1950), le berge des Landes (1951), le Tombeau de l'orage (1957), l'Ombre de l'ouragane (1957), la montagne (1957). Le lecteur peut ainsi se découvrir le déroulement de la vie de cette artiste, et une partie de ses créations, parmi les plus célèbres. Les autrices n’adoptent pas un ton hagiographique : elles rendent compte des éléments constitutifs de sa vie. Cette bande dessinée évoque à grands traits la formation de sa vision artistique qui trouve ses racines dans son enfance. Elle aborde de manière tout aussi rapide ce qui fait l’originalité et la personnalité de ses œuvres, tout d’abord avec le discours introductif du conservateur, puis avec une phrase rapide de quatre personnalités : Brassaï (Gyula Halász, 1899-1984), Francis Ponge (1899-1988), René de Solier (1914-1974), Georges Limbour (1900-1970). Les autrices mentionnent le principe d’hybridation. Elles consacrent dix pages à la commande, la réalisation et la réception du Christ d’Assy, une commande des pères Couturier et Devémy qui font bâtir une nouvelle église dans les Alpe, une modeste église de montagne, qu’ils décorent avec les œuvres de Roualt, Bonnard, Matisse, référant des génies sans foi que des artistes croyants sans talent. La sculpture est instrumentalisée par monseigneur l’archevêque d’Annecy, ce qui débouche sur la querelle de l’art sacré. Les autrices se lancent dans la biographie d’une sculptrice ayant marqué le vingtième siècle avec le projet de la présenter. La narration visuelle navigue entre deux modes. Une forme de ligne claire immédiatement accessible pour les éléments biographiques, constituant une solide reconstitution historique. Et une forme plus expressionniste pour les éléments artistiques et la manière dont Germaine Richier regarde et perçoit le monde, ce qui permet au lecteur de se faire une idée sur la sensibilité que la sculptrice exprime à travers ses créations. Elles ont pris le parti de prendre un point de vue sur l’inspiration de ces créations, à la fois dans la jeunesse de Richier, et dans le traumatisme de la seconde guerre mondiale et de l’hécatombe provoquée par la bombe atomique. Le lecteur ressort de cet ouvrage avec la curiosité de pouvoir contempler ces œuvres par lui-même, et l’avantage de disposer ainsi de deux guides qui ont déjà effectué un travail de transmission, de passage pour lui permettre de les aborder en ayant déjà eu un aperçu de l’esprit qui les a engendrées.
Perpendiculaire au soleil
Je suis toujours ravi quand une BD me donne envie de mettre comme seul commentaire : lisez-la, et qu'elle me fait fermer ma gueule. Parce que je pourrais l'ouvrir tout grand pendant des heures sans pour autant arriver à expliquer ce qu'il faudrait, l'essentiel restant uniquement de la lire. Mais essayons un peu ... Parlons de ce dessin, magnifique avec un mélange de gravure sur bois et de dessin au crayon, quelques touches de couleurs hautement symboliques. De ces cases où s'empilent des allégories, des métaphores, des dessins d'après photo, des textes. De ces longues et grandes planches, pour comprendre l'enfermement. Parlons de cette histoire, de l'humanité qui s'en dégage. De cet homme enfermé, de cette femme libre, de leur correspondance, de tout ce qu'elle découvre petit à petit : l'injustice dans la justice, la violence dans la répression, la prison, l'autre monde ... Parlons des sujets traités : l'art, la rédemption, la justice, l'humanité, le racisme. Les questions qui restent après lecture : comment peut-on justifier une telle violence envers ceux qui l'ont eux-mêmes exercés. Le questionnement de ce qu'on veut comme société, nous mettre face à ces choix difficiles que souvent on évacue sous le tapis, laissant d'autres s'en préoccuper. Et si je dois dire une dernière chose, c'est que cette BD nous met le nez dans cette question, nous oblige à nous la poser : que voulons-nous comme justice ? La BD rappelle qu'aujourd'hui une majorité des français sont favorables au retour de la peine de mort. Cette BD nous crie que cette question décide du sort d'êtres humains. Et qu'il ne faut pas, jamais, considérer que c'est une question légère. Une BD indispensable. Une BD profondément humaine.