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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Par la force des arbres
Par la force des arbres

Le chêne, pas les chaînes - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2023. Il s’agit d’une transposition en bande dessinée du roman du même nom avec la participation de son auteur Édouard Cortès comme coscénariste, en équipe avec Dominique Mermoux coscénariste, et qui réalise également les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quatorze pages de bande dessinée. Dans le Périgord noir, dans une forêt en bordure d’un château et d’un village. À six mètres de hauteur, Édouard Cortès vit seul dans les branches d’un chêne. C’est le printemps. Il est entré dans sa cabane pour un long séjour de silence. Perché dans un arbre, il a la ferme intention de renaître avec lui. Il va nicher dans cette cachette construite de ses mains. Entre quatre branches, l’abri de bois et de verre le protège des regards et du bruit. Un lieu rare. Inespéré dans son état. Il se sentait fatigué du monde d’en bas et de lui-même, il est donc monté là-haut. Les autres, sans doute aussi, s’étaient lassés de lui. Il entreprend une métamorphose à l’ombre des forêts. Il veut voir à hauteur d’arbre. Ce 21 mars 2019 au matin, il a étreint sa femme Mathilde et ses deux enfants, enfilé ses bottes, supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux, envoyé promener mille cinq cents amis invraisemblables pour en garder quatre ou cinq vrais. À presque quarante ans, il a beaucoup de doutes sur ses certitudes et peu de convictions sur ses illusions. Éloigné des hommes, il est décidé à arracher tout ce lierre qui l’étouffe. Quand la mort approchera, il aimerait pouvoir répondre sans crainte : A-t-il eu assez d’audace pour suivre son étoile ? Toute une civilisation est née dans l’humus des chênes du Quercy : c’est à leurs racines que se cache la truffe noire qu’il aime à caver avec son chien. C’est dans ce berceau de France, celui des souterrains médiévaux de Paluel, de la Vierge noir de Rocamadour, des duels du hussard Fournier, de Tounens roi de Patagonie, des expéditions de Larigaudie, des noix et des arbres truffiers qu’il a planté ses souvenirs d’enfance. Les faunes et les sylvains l’ont lié au pays De la servitude volontaire. Cet ancrage lui a-t-il accordé une certaine latitude dans ses chemins ? La lecture de La Boétie l’invite à plonger dans le vert. Le chêne pas les chaînes. Février. Un mois et demi plus tôt. L’idée de l’arbre lui a été soufflée par Cyrano. Il relisait un soir Rostand, s’attachant à la bravoure de son cadet de Gascogne comme à une caresse. Dans la dernière scène, il agonise. Il ne veut personne pour le soutenir. Le seul recours que M. de Bergerac s’autorise, c’est un tronc. Pour appuyer ses alexandrins, il touche l’écorce et trouve l’énergie des derniers vers, concluant en allant s’adosser à un arbre, et exigeant que personne ne le soutienne, rien que l’arbre ! Au matin, Édouard avait filé vers la forêt à dix kilomètres de sa maison. Un seul objectif : trouver son arbre. Il agissait par habitude, selon son principe : penser l’action, vivre comme il pense. Cette forêt, il la connaît bien pour s’y être perdu. Cette bande dessinée constitue l’adaptation d’un roman autobiographique, avec la participation de l’auteur, racontant son expérience de vivre dans un arbre au milieu d’une forêt, du 21 mars 2019 au 24 juin de la même année. Une décision simple : s’éloigner du monde pour prendre du recul, une forme de retraite, mais pas dans un monastère ou un ashram, au milieu de la nature dans les branches d’un arbre. Le lecteur peut ainsi l’accompagner dans les quelques semaines qui précèdent son installation dans son arbre, ou plutôt la cabane qu’il a construite dans le chêne qu’il s’est choisi, dans quelques retours en arrière quand il était éleveur de brebis, par deux fois dans son enfance, et dans son quotidien durant ces trois mois passés en hauteur. Il ne s’agit pas d’une retraite en ermite : il voit ses enfants et son épouse chaque dimanche car ils viennent manger avec lui. Vers la fin de son séjour, trois amis viennent passer une soirée avec lui et dormir dans sa cabane. Le récit présente l’organisation de ses journées avec son programme quotidien : sport, méditation, toilette, petit déjeuner, écriture, lecture, ménage, déjeuner, vaisselle, observation, activités manuelles, sport, dîner, harmonica, lecture. Il présente également l’agencement de sa cabane située à six mètres en hauteur : Au nord son vestiaire sur une étagère. Au centre du faîtage, une fenêtre de toit, ouvrable et assez large pour le laisser sortir. Il peut ainsi danser sur les tuiles de bois ou fuguer dans les branches hautes quand l’envie lui en prend. Fenêtre sur le ciel pour, de son lit, rêver les yeux ouverts. Et tous les jours ce puits de lumière inonde son habitat, panthéon miniature à la coupole de bois. Son lit mezzanine s’élève à un mètre et demi plus haut que le plancher. À l’est, vers le soleil levant, un oratoire sur une étagère : un crucifix, une icône de saint David dit le Dendrite (ermite retiré dans un arbre), deux bougies, du papier d’Arménie. Au nord-est, la cuisine : poêle et casserole, un deuxième banc-coffre avec la vaisselle usuelle et les condiments. À côté une petite cuisinière à gaz. Côté sud, son bureau et un tabouret. Sur l’étagère à mi-hauteur, des bocaux de verre (pâtes, riz, noix, fruits secs), son harmonica, des appeaux. Les livres de chevet : Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, L’enfer de Dante, Les pensées de Marc-Aurèle. À l’ouest, le coin toilette : un miroir, une bassine en zinc, deux jerricans d’eau potable, un banc-coffre avec des outils. Côté sud-ouest, une petite terrasse qui s’avance dans le vide. Une branche maîtresse la soutient souplement. La corde permettant de monter les objets lourds ou encombrants. Au soleil le réservoir pour la douche. Ainsi, il peut vivre en autonomie, allant s’approvisionner en eau avec son âne et se nourrissant de provisions amenées avec lui, et de végétaux qu’il récupère. Le lecteur fait vite l’expérience que l’adaptation en BD reprend des portions du livre, rendant le récit copieux, instaurant un rythme de lecture posé. Dans le même temps, la bande dessinée commence par trois pages muettes. Cette adaptation ne se contente pas de montrer en images ce qui faisait l’objet de descriptions dans le livre, et de reprendre le flux de pensée de l’auteur, ses réflexions, ses ressentis. Il s’agit bien d’une bande dessinée, avec des cases disposées en bande ou d’une manière plus libre, sans bordure, et des séquences racontées par une narration visuelle. Le lecteur n’éprouve pas la sensation que les images reprennent des éléments déjà présents dans le récitatif. Le ressenti de la lecture atteste de la concertation entre l’auteur et le bédéiste pour adapter le roman. Régulièrement, la narration visuelle prend le dessus : un dessin en pleine page pour un cerf et une biche, la vue en coupe de la cabane, le déplacement pour aller chercher de l’eau, les activités de la journée, l’observation d’un cerf à la jumelle, une nuit d’orage en deux pages sans texte et le constat des dégâts au petit matin, l’utilisation d’une loupe de botaniste et ce qui apparaît alors, une pleine page pour une belle nuit étoilée, le déplacement d’un sanglier, l’observation d’une biche et de son faon, etc. L’artiste effectue un travail remarquable pour tous les éléments sylvicoles, botaniques et relatifs à la faune. Le lecteur comprend qu’Édouard Cortès dispose de connaissances sur la flore et la faune, et qu’il a emmené des livres pour continuer à se cultiver sur le sujet. Le lecteur peut ainsi voir représenté de nombreuses essences d’arbres (if à deux têtes, houx fragon, chêne, hêtre, tilleul, châtaigner, sorbier des oiseleurs, érable champêtre, merisier, alisier), d’arbustes (noisetier, houx, genévrier, cornouiller sanguin, prunelier, au sol le lierre) et des micro-plantes (hypne cyprès, dicrane en balais, sphaigne des marais). Les rencontres avec des animaux sont également nombreuses, à commencer par les oiseaux (rouge-gorge, geai des chênes, sitelles torchepots, mésanges bleues, pic épeiche, loriot), quelques insectes et coléoptères (fourmis, hanneton, imago du citron, aeshna cyanea, etc.). Ainsi que des animaux : âne, renard, loup, lapin, brebis, écureuil, sanglier, un rapace qui fond sur un pigeon ramier, etc. Dominique Mermoux réalise des dessins un registre réaliste et descriptif avec un petit degré de simplification. La mise en couleurs s’apparente à de l’aquarelle, avec un côté doux, rehaussant les reliefs, et filant une ambiance lumineuse tout du long d’une scène. Il utilise un ton brun – sépia pour les séquences du passé. L’auteur décide donc de se retirer du monde pour se déconnecter du flux incessant, et pour retrouver la sérénité qui l’a abandonné après qu’il ait dû liquider son affaire d’élevage. Ce séjour hors du monde lui permet de considérer la vie d’un arbre, ainsi que tout l’écosystème dont il fait partie. Il va évoquer ou développer des aspects divers : le cavage, le modèle qu’il souhaite donner à ses enfants en tant que père, le formicage, le cycle de l’eau à travers l’arbre et la fonction de climatiseur en période chaude, la médiocrité des objets du quotidien conçus pour devoir être rachetés sans fin, l’isolation des individus, l’affection moderne qu’est l’immédiateté, le chêne qui sacrifie ses branches les plus basses pour mieux se développer (Abandonner un peu de soi, laisser mourir certaines branches pour avancer.), la volonté de vivre (Dans ces instants, ce n’est pas de quitter la vie qui demande du courage, mais de puiser des forces pour la conserver.), le développement de la forêt française, la notion de bonheur (Mais le bonheur, n’est-ce pas d’accepter de n’être jamais absolument consolé ?), etc. Il fait le constat et l’expérience des merveilles de la nature, de l’interdépendance des différentes formes de vie d’un écosystème, de l’absurdité toxique de certaines facettes de la société de consommation. Dans le même temps, le lecteur voit que la démarche de cet homme ne relève pas de l’utopie de l’autarcie, car il continue d’utiliser des objets produits industriellement, et son séjour a une fin programmée. Une adaptation de roman réussie, qui aboutit à une vraie bande dessinée, et pas un texte illustré. Le lecteur partage la vie quotidienne, ses découvertes et les pensées d’Édouard Cortès effectuant une retraite du monde, sous la forme de trois ans passés dans une cabane qu’il a construite dans les branches d’un chêne. La narration visuelle emmène le lecteur dans cet environnement, le rendant témoin du quotidien dans toute sa banalité, et son unicité, à prendre conscience ou découvrir la flore et la faune, leurs interactions, leur interdépendance. Il ne s’agit pas d’une forme de retour naïve à un état de nature primitif, mais de prendre le temps d’observer la nature et de vivre à son rythme. Une lecture riche et apaisante.

09/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Walk me to the corner
Walk me to the corner

Cela arrive souvent qu’on désire ce qu’on ne peut pas avoir. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2021 pour la version française, de 2020 pour la version originale. Il a été réalisé par Anneli Furmark pour le scénario, les dessins et les couleurs, traduit du suédois par Florence Sisask. Il comporte deux-cent-vingt pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une citation de Leonard Cohen., un extrait de la chanson Hey that’s no way to say goodbye, qui donne son titre à l’ouvrage. Elise avait toujours cru que c’était une affaire de maîtrise de soi. C’était une soirée comme les autres. Le chat était couché à une distance respectueuse et ronronnait nonchalamment. Ses ronronnements s’arrêtaient puis reprenaient de plus belle. Du rez-de-chaussée lui parvenaient les jurons lancés par Henrik, occupé à décaper de vielles fenêtres qu’il avait dénichées et avec lesquelles il pensait construire une serre l’été prochain. Peut-être une vitre s’était-elle cassée. Elise avait consulté la sélection que Netflix lui avait créée tout spécialement pour elle. Mais pour qui me prennent-ils ? pensait-elle. Que savent-ils de moi, au juste ? Elise s’était mise à regarder quatre séries différentes qui l’avaient toutes rapidement ennuyée. Elle éprouvait une sorte de manque, cherchait à se rappeler la dernière fois qu’elle avait été captivée par quoi que ce soit à la télé. Le petit symbole indiquant l’arrivée d’un message surgit alors sur l’écran de son portable. Pourvu que ce soit elle, pourvue que ce soit elle, se répéta-t-elle. C’était bien elle. Elles s’étaient rencontrées dans une fête et s’étaient frôlées toute la soirée. Sans pouvoir engager la conversation. Il y avait une foule d’importuns autour d’elles. Cela n’empêchait pas Elise d’être intéressée, au contraire. Dagmar Janson Wright également, peut-être. Elise savait maintenant que tel était son nom. Tout rapprochement s’était avéré d’autant plus difficile qu’Elise avait été frappée d’un accès de timidité aussi inattendu qu’intense. Elise et Dagmar échangent quelques mots, la première sur un article que la seconde a lu, et cette dernière sur son métier d’otorhinolaryngologiste. Elles finissent par s’enlacer chastement l’espace de trois secondes pour se dire au revoir. Elise se tient dans la salle de bains et s’examine attentivement. Ses moindres imperfections lui sautent aux yeux. Ses rondeurs, ses pâleurs. Comme une ado peu sûre d’elle, elle voudrait tout changer. Pourrait-elle jamais se montrer nue à qui que ce soit d’autre ? se demande-t-elle. À quelqu’un qui ne serait pas Henrik ? Lui qui n’avait jamais prononcé le moindre mot désobligeant sur son physique. Ni rien de gentil non plus. Pas depuis plusieurs années, en tout cas. Non, de toute manière, il ne serait question de nudité avec quelqu’un d’autre ! Son imagination lui jouait des tours, voilà tout. Ces derniers temps, de nouvelles lignes profondes étaient également apparues sur son visage. Henrik, Elise disait que jamais, au grand jamais elle ne le quitterait. Une histoire d’amour ordinaire : une femme de cinquante-six ans, mariée depuis vingt-trois ans à un homme qu’elle aime, deux fils adultes et indépendants Felix et Leonard, tombe amoureuse d’une autre femme de son âge, en couple avec une compagne Jenny et parents de deux filles. En même temps, une histoire d’amour qui sort un peu de l’ordinaire du fait de l’âge de l’héroïne, du confort émotionnel et affectif de son mariage, du chemin tout tracé menant à la vieillesse et à son déroulement sans histoire. Le récit passe par les phases attendues : la valse des hésitations, la passion entre ces deux femmes, le choc pour Henrik le mari d’Elise, et la remise en cause de leur union, les rencontres à l’hôtel, le tourbillon émotionnel, le développement d’un amour à l’identique de celui de personnes plus jeunes. Les dialogues par SMS (Mais comment faisait-on pour communiquer avant ?), l’attrait de la nouveauté, le partage de choses appréciées (par exemple au travers de playlists, comprenant, entre autres, Hey, that’s no way to say goodbye, extrait de Songs of Leonard Cohen de 1967, A case of you, extrait de Blue, le premier album de Joni Mitchell en 1971), l’achat du premier cadeau (un parfum) qui ne rentre pas forcément dans le budget, les rencontres dans des lieux neutres éloignés du foyer familial respectif, la question du divorce qui remet en cause de nombreuses années de vie en commun, de bagages accumulés, de souvenirs partagés, le risque de tout perdre, la possibilité de retrouver la capacité d’être amoureuse, d’éprouver de la passion, mais aussi l’envie que le calme revienne à n’importe quel prix, ainsi que la sérénité. D’un point de vue narratif, la bande dessinée commence sous la forme de trois cases par page, les unes au-dessus des autres, et du texte en vis-à-vis. D’une certaine manière, le lecteur peut avoir l’impression que les images ne font que montrer une partie de ce qui est indiqué dans le texte. Cela change dès la troisième page alors que la conversation s’engage entre Elise et Dagmar, avec des phylactères. En page vingt-six commence une séquence muette, de quatre pages, durant laquelle la narration s’effectue exclusivement par les images. En fonction de la nature de la scène, l’autrice choisit son mode de narration visuelle, entre le texte illustré et la bande dessinée plus traditionnelle pour une narration séquentielle classique. Elle croque les personnages de manière simplifiée, sans chercher à les rendre jolis ou beaux, avec des traits de contours un peu grossiers tout en étant assurés. Il n’en découle pas une apparence infantile, mais plutôt une forme de ressenti, donnant la sensation de correspondre à l’état émotionnel d’Elise. Le lecteur observe également que les deux tiers de la narration se déroule dans des scènes de dialogue, et que l’artiste sait varier les plans de prise de vue, entre les gros plans, avec des plans plus larges montrant l’occupation de l’interlocuteur, le lieu où il se trouve. Le lecteur a vite fait de se prendre de sympathie pour ces êtres humains normaux, avec un langage corporel mesuré et expressif à bon escient. La narration visuelle emmène également le lecteur dans des lieux variés : le salon d’Elise et Henrik, leur chambre avec le lit conjugal, la chambre d’ami avec un lit une place, la salle de bains, la soirée où Elise rencontre Dagmar, le train, le bureau d’Elise, une plage, les rues d’une ville, une pelouse à l’ombre d’un châtaigner, deux balades en forêt, un carton de déménagement, le nouvel appartement d’Elise. La dessinatrice s’affranchit parfois de représenter les arrière-plans, pendant une séquence entière (la rencontre entre Elise et Dagmar) pour insister sur le fait que toute l’attention des personnages est focalisée sur les autres personnes présentes. Elle dose savamment les éléments représentés, les vues globales ou les détails : le lit deux places dans son entièreté ou une partie d’une patère. Le lecteur prend vite conscience également de l’usage personnel de la mise en couleurs. Le début baigne dans des tons gris-bleu, puis une teinte verdâtre leur succède. Des touches de couleurs apparaissent de temps à autre. Les nuances de gris reviennent. Un jaune délavé et triste pour la baignade. Du vert plus vif pour les promenades dans la nature, l’artiste passant alors en mode couleur directe. Le lecteur se rend compte qu’elle utilise ces teintes en mode expressionniste pour refléter l’état d’esprit émotionnel ou affectif d’Elise, son ressenti du moment, ou celui qu’elle éprouve en repensant à un moment du passé. Petit à petit, sans en avoir conscience, le lecteur est gagné par ces états d’esprit, le sien devenant en phase avec celui d’Elise, ce qui génère une forte empathie comme s’il avait accès à son intimité émotionnelle. Le lecteur se sent entièrement impliqué dans cet amour qui remet en cause la vie toute tracée et bien établie d’Elise. Il ne s’attend pas à de grandes révélations ou à un psychodrame : la vie suit son cours, tout en ayant dévié de celui le plus probable, sans heurt. Une histoire très classique, tout en étant unique parce qu’elle concerne ce personnage étoffé et pleinement développé aux yeux du lecteur et dans son cœur. La rencontre avec Dagmar a ranimé la passion dans son cœur et celle-ci s’accompagne de changements inéluctables. Plus que cela, elle éprouve la seule certitude de la vie : le doute. Pourra-t-elle concilier cette relation extraconjugale avec son mariage ? Quel sera le prix à payer ? Elle va apprendre à découvrir ce nouvel être cher, mais aussi elle va devoir apprendre comment gérer de nouvelles situations, de nouvelles démarches, ce qui représente un défi tout aussi grand. Tout du long, elle n’a aucune certitude de retrouver un bonheur équivalent à celui qu’elle pensait assuré avec son époux, construit pendant vingt-trois ans de mariage. Une histoire d’amour pour une épouse fidèle âgée de cinquante-six ans : voilà une histoire racontée avec une belle sensibilité. Une narration visuelle qui transmet organiquement l’état d’esprit d’Elise, sans chercher à l’enjoliver, créant tout naturellement une relation intime et délicate avec le lecteur. Une histoire banale et unique : pas un drame mais une remise en question d’un avenir assuré, le retour des émotions accompagnant la passion amoureuse, et en même temps le doute sur cette relation, sur son avenir. Touchant et émouvant.

07/10/2024 (modifier)
Couverture de la série Furieuse
Furieuse

J'ai trouvé cette lecture très atypique, originale et pleine de créativité. Pourtant j'ai commencé par râler fortement contre un vocabulaire très relâché en début d'album pour un "tous publics". Puis au fur et à mesure de la quête d'Ysa, en s'éloignant du château genre crade de son père Arthur tout change. C'est une des trouvailles ingénieuses des auteurs qui donnent de la force à la parole et à la pensée d'Ysabelle dès qu'elle s'affranchit de l'ambiance nauséabonde des villes du royaume. Les auteurs s ingénient à mélanger les références littéraires. On peut évidemment retrouver un détournement de la légende du roi Arthur mâtinée d'une scène du Seigneur des anneaux avec la déchéance du roi qui se jette dans le vide. De plus il n'est pas interdit de retrouver les malheurs de la Cunégonde de Candide à travers les affres de la condition féminine des siècles durant. On peut y lire un petit conte philosophique à la portée du plus grand nombre (Tous publics, non ?). Monde réussit une construction très pointue avec un rythme, des rebondissements et des surprises du début à la fin du récit. Il y ajoute de nombreuses touches d'humour avec ce dialogue très drôle entre Ysa et son épée (et d'autres). Comme le dessin de Mathieu Burniat est très moderne avec la tête d'Ysa parfois en mode Garulfo à la fois expressive et comique. Malgré un nombre de pages important, on ne s'ennuie jamais. Il faut souligner que Burniat réussit à contourner le scabreux de certaines situations grâce à beaucoup d'humour dans son dessin (encore tous publics ok j'arrête). Une lecture pleine d'humour, d'intelligence, d'originalité et de créativité. Un vrai régal.

07/10/2024 (modifier)
Par Jetjet
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Navigateurs
Les Navigateurs

Il semblerait que l'ami Alix aime les accroches d'introduction aussi en voilà une : sans une p@@@in de conjonctivite, j'aurais dévoré ce récit d'une seule traîte tellement je l'ai trouvé fascinant ! En effet, se pénaliser l'oeil droit par une pommade antibiotique n'aide pas à une lecture sereine. Pourtant un seul suffit à admirer les dessins de Stéphane De Caneva et à savourer l'histoire prenante concoctée une fois de plus par le génial Serge Lehman. Leur travail commun sur le fascinant Metropolis (Delcourt) était amplement suffisant pour me précipiter dans ma librairie favorite sur ce livre. Et quel joli objet entre les mains ! Dos toilé, couverture dorée rappelant les éditions Hetzel pour Jules Verne et titre mystérieux, tout est réuni pour une évasion totale et dépaysante : contrat largement respecté ! Ce ne sera pas une surprise mais la seule facilité est de reprendre un peu les ficelles de L'Homme gribouillé en entremêlant un quotidien ordinaire avec un soupçon de....... rêverie (afin d'éviter tout spoil et de rester cohérent). La présentation de cette bande de copains d'enfance aux destinées différentes dans un passé qui me parle (je dois avoir peu ou prou le même âge que les protagonistes et partage leurs goûts musicaux) sur une trentaine de pages est tout simplement accrocheuse. L'arrivée de Neige au sein de cette bande apporte le charme nécessaire. C'est à l'aube de leur quarantaine lorsque cette dernière disparait brutalement que l'histoire principale prend son envol définitif avec l'enquête liée qui donne une lecture différente de la ville de Paris, un soupçon d'investigations dignes de Lovecraft et un maître mot : l'amitié et la rupture d'une vie rangée. Comme déjà écrit plus bas par Pol, l'intensité ne retombe jamais, les rebondissements fusent et la mécanique tourne du tonnerre. De Canépa ose même dans les dernières pages un style graphique en noir et blanc encore plus intense qui m'a même fait décrocher la machoire. Ok j'ai eu mal aux yeux mais ça valait largement le détour, voici à coup sûr un des meilleures lectures de cette rentrée 2024. Il y a encore probablement plein de bons livres à venir mais il y aura pour moi un avant et un après "Navigateurs". Et ce n'est pas une fichue conjonctivite qui m'en aura gâché le plaisir. Au contraire, elle m'aura permis de lire ceci en deux soirées et donc d'en ressentir 2X plus de délectation.

06/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Astonishing Spider-Man & Wolverine - Une erreur de plus
Astonishing Spider-Man & Wolverine - Une erreur de plus

Aventure distrayante et imaginative - Ce tome comprend les 6 épisodes de la minisérie parue en 2011. Il peut se lire indépendamment de la continuité de Spider-Man et de Wolverine. Au Crétacé, Peter Parker s'est fait un bandana avec la partie rouge de son costume. Il s'est fabriqué une lunette d'observation qui lui permet d'apercevoir la météorite qui va transformer les dinosaures en espèce disparue. Dans son antre, il a capturé plusieurs espèces d'araignées qu'il a mises en cage. Et il s'adonne à la sculpture sur bois, pour représenter à chaque fois le même visage d'une jeune femme (Sara Bailey). Devant l'annihilation imminente de son écosystème, il va rendre visite à Logan qui règne sur une tribu de primates (un peu trop proche d'hominidés pour être honnête à l'époque du Crétacé). Peter se souvient que tout a commencé quand Wolverine et lui se sont interposés lors d'un braquage de banque, perpétré par The Orb (Drake Shannon) et ses hommes de main, pour dérober d'étranges diamants. Cette situation sortant de l'ordinaire va projeter les deux superhéros dans différentes époques, sans rime ni raison. Ils auront bien du mal à reprendre le dessus. Attirer de nouveaux lecteurs est un défi sans cesse renouvelé pour les deux grands éditeurs que sont Marvel et DC Comics dont les revenus dépendent de l'exploitation de personnages bénéficiant (ou traînant derrière eux) plusieurs dizaines d'années de continuité. Régulièrement ils tentent de nouvelles initiatives pour aller chercher ces clients potentiels qui ne lisent pas de comics. Au début des années 2000, Marvel décide de proposer des histoires faiblement connectées à la continuité en les repérant par l'adjectif Astonishing (ce qui est le cas de cette histoire, ou de Astonishing X-Men ou Astonishing Thor). La mission de Jason Aaron : raconter une histoire divertissante, mettant en avant Spider-Man et Wolverine, sans se perdre dans les méandres d'une continuité plusieurs fois décennales. Mission accomplie : Aaron balade ses deux superhéros d'une situation rocambolesque inventive à l'autre, avec une décontraction éhontée très agréable. Jason Aaron va piocher de ci de là dans les recoins de l'univers Marvel pour alimenter son récit haut en couleurs. Il n'hésite pas à s'autoréférencer avec The Orb qu'il avait déjà remis au goût du jour dans Ghost Riders - Heaven's on fire. Et ce personnage est aussi grotesque et bancal que bien mis en valeur. C'est avec la même maestria qu'il propose des versions loufoques ou menaçantes selon les cas de différents personnages Marvel, connus ou méconnus (tel que le passage gratuit de Devil Dinosaur ). Pour les connaisseurs de l'univers partagé Marvel, il s'agit d'autant de clins d'œil savoureux, pour les autres ces éléments ajoutent à l'exotisme du récit. En prime, Aaron va également piocher un personnage connu pour occasionner le genre de désagréments subis par Spider-Man et Wolverine et en profite pour glisser subrepticement et discrètement un petit métacommentaire assez savoureux sur l'industrie du divertissement (dont font partie les comics et donc celui que le lecteur est en train de lire). Les six épisodes sont dessinés par Adam Kubert, encrés par Mark Morales (épisodes 1 et 2) et Mark Roslan (épisodes 3 à 6). Je ne suis pas un grand admirateur d'Adam Kubert dont je trouve le style assez fade, malgré des postures ou des compositions de cases parfois intéressantes. Ici, force m'est de reconnaître qu'il est dans une grande forme. Le lecteur retrouve son style caractéristique et ses tics de composition, et de rendus des contours. Mais entraîné par la vivacité du scénario et les situations inventives, Adam Kubert imagine des visuels qui retiennent l'attention par leurs détails et leur ambiance générale. Même si son rendu des décors reste imprégné d'une once de naïveté premier degré, elle sied bien à ces situations improbables. Le regard de Kubert transcrit l'émerveillement nécessaire à ces aventures plus grandes que nature. Certes l'antre de Peter Parker au Crétacé n'a rien de réaliste, mais elle dégage une ambiance en adéquation avec cette situation extraordinaire. Adam Kubert rend l'apparence de Orb au premier degré, ce qui transforme une idée ridicule (un œil géant à la place de la tête) en un élément bizarre et dérangeant. De même la description factuelle de l'ersatz de costume de Spider-Man dans l'épisode 2 le rend à la fois digne de respect et ridicule. Pour une fois Kubert s'intéresse également aux décors qui ont une importance majeure dans l'histoire du début jusqu'à la fin (avec une petite baisse uniquement dans l'épisode 5). Cet investissement de temps dans le dessin des décors permet au lecteur de continuer à s'immerger dans les différents endroits aussi improbables soient ils. Sur un ton léger et badin, Aaron assaisonne grand spectacle, péripéties rocambolesques, sans oublier une interaction savoureuse entre ses deux superhéros, dans la plus pure tradition des couples mal assortis. Il joue aussi bien sur le registre de la comédie humoristique, que sur des sentiments plus profonds sans être exacerbés ou téléphonés. Impossible de bouder son plaisir à la lecture de cette histoire de superhéros bien ficelée, sans être compliquée, référentielle sans être indémêlable, pleine de vie avec un peu de profondeur de temps en temps.

06/10/2024 (modifier)
Par Johanne
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Adieu mon royaume
Adieu mon royaume

J'ai beaucoup aimé ce roman graphique dont les 8 "contes" et les destins des 8 heros singuliers se déroulent simultanément dans un Royaume medieval imaginaire. Le graphisme est vraiment tres riche, parfois tres ciselé mais fluide, raccord avec l’imaginaire medieval. Les dialogues sont musicaux, l’histoire étrange fait réfléchir et donne envie d’y revenir. Les couleurs originales et la bichromie par personnage rythment le récit. Une BD qui sort du lot.

06/10/2024 (modifier)
Par Lyon55
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Chez Adolf
Chez Adolf

Ces 4 albums constituent un pur chef d’œuvre. L'éternelle question "qu'aurai je fait si j'avais été jeune majeur en 1940" est magistralement traitée au travers des aventures de cet allemand lambda Karl Stieg. Le plus surprenant peut être est de découvrir que ces aventures n'en ont que le nom puisqu'il s'agit ici de la version, sans doute romancée, de véritables destins. Le dessin est très agréable, très fouillé et très précis. Le scénario est impeccable et les couleurs inspirantes. Je ne peux que conseiller l'achat des 4 volumes de la série. Bravo aux auteurs.

06/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Killing Joke (Batman - The Killing Joke/Rire et Mourir/Souriez !)
Killing Joke (Batman - The Killing Joke/Rire et Mourir/Souriez !)

Le sens de la vie selon le Joker - Ce tome est la réédition version luxe (grand format et nouvelle mise en couleur) d'un comics de 46 pages paru en 1988. L'histoire commence avec Batman qui se rend compte que le Joker s'est échappé une nouvelle fois d'Arkham. À partir de ce point de départ le lecteur est invité à assister aux exactions sadiques du Joker perpétrées à l'encontre de James et Barbara Gordon, à la confrontation qui s'en suit avec Batman et à découvrir l'une des origines possibles du personnage. Les exégètes estiment qu'Alan Moore n'était pas au meilleur de sa forme quand il a écrit ce scénario. Néanmoins le personnage du Joker et sa psychologie sont admirablement bien rendus. La folie destructrice du Joker est palpable, ses exactions font naître un vrai malaise et une répulsion horrifiée chez le lecteur. Batman est sombre et ténébreux à souhait, même si Alan Moore bafoue quelques traditions comportementales (par exemple il entre par la porte au lieu d'utiliser les fenêtres). Cette histoire se situe bien au-dessus du reste de la production et elle mérite sans conteste sa place parmi les 10 meilleures histoires de Batman. De plus les atrocités commises par le Joker envers Barbara Gordon ont imprimé une marque indélébile sur ce personnage, sur Gotham et sur l'univers DC en général. À eux seuls, les dessins de Brian Bolland font gagner ses cinq étoiles à cette histoire. Ce dessinateur rare réalise des planches d'une beauté exquise et d'une méticulosité à nulle autre pareille. Chaque expression faciale est travaillée pour devenir unique, chaque posture trouve l'équilibre parfait entre le caractère du personnage et l'efficacité de l'action, sans tomber dans le maniérisme. Chaque planche bénéficie d'une composition étudiée, privilégiant l'efficacité et la sobriété, sans tomber dans le tape-à-l'œil. Chaque case est d'une finesse extrême. C'est un délice rare pour les yeux. Cette édition est dite Deluxe pour les raisons suivantes. (1) Brian Bolland a refait la mise en couleur en adoptant des tons plus nuancé et moins criards. (2) Il a retouché une partie des dessins en particulier en supprimant l'ovale jaune qui servait de fond à la chauve-souris sur le costume de Batman. (3) Certains croquis et esquisses préparatoires ont été insérés à la fin du volume. (4) Une autre histoire de Batman (8 pages) illustrée par Brian Bolland a été mise en couleurs et intégrée. (5) Le format adopté est plus grand que celui des comics traditionnels. La découverte ou la relecture de cette histoire permet de découvrir le sort de Barbara Gordon et de rencontrer un Joker inquiétant, dérangé, sadique, fou, voulant à tout prix imposer sa vision de la vie à son ennemi de toujours.

05/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Batman - Année Un (Year One)
Batman - Année Un (Year One)

Tout en nuances - Fin des années 80, juste après Crisis on Infinite Earths , DC Comics décide de relancer les séries de ses principaux héros. John Byrne redémarre Superman avec la minisérie The Man of Steel et George Pérez redémarre Wonder Woman avec Wonder Woman: Gods and Mortals . Le cas de Batman est un peu à part car les éditeurs sont persuadés qu'il n'y a pas besoin de recommencer à zéro, juste de disposer d'un récit plus récent des origines du personnages. La tâche est confiée à Frank Miller qui vient d'achever The Dark Knight Returns. Celui-ci accepte sous réserve que les illustrations soient confiées à David Mazzucchelli (ils ont également fait ensemble l'excellent Born again, de Daredevil). L'histoire tout le monde la connaît : Bruce Wayne revient de ses années de formation à l'étranger pour combattre le crime dans Gotham City. Ce qui rend cette version de ses origines remarquable et indispensable c'est la combinaison de deux talents exceptionnels au sommet de leur art. Frank Miller à l'idée géniale de mettre en vis à vis les tribulations d'un Batman tâtonnant avec l'arrivée de James Gordon dans la police de Gotham. Cette histoire suit les deux hommes pendant la première année de leur retour à Gotham. Bruce Wayne expérimente pour trouver le modus operandi le plus efficace pour lutter contre la criminalité (costume, relations avec la police, tactiques…) et James Gordon se heurte de plein fouet à la corruption et à la responsabilité de devenir père dans une ville peu hospitalière. Frank Miller déroule l'histoire à partir du point de vue de ses deux principaux personnages. Les informations complémentaires sont délivrées par le biais de flashs d'informations télé (astuce déjà utilisée dans Dark Knight, mais ici beaucoup mieux maîtrisée). C'est histoire constitue la preuve du talent de Miller : elle est parue en 1986 dans quatre épisodes (Batman 404 à 407) et elle contient toutes les bases du mythe tel qu'il est toujours valable aujourd'hui dans la continuité. Avec ce seul volume, vous pourrez enfin connaître les relations entre Selina Kyle et Holly Hunter, Catwoman et Batman, Sarah Essen et James Gordon, Harvey Dent et Bruce Wayne. Du début jusqu'à la fin, Frank Miller déroule un scénario très ramassé sur un mode narratif sans aucun temps mort et avec une empathie complète avec ses personnages. Le choix de David Mazzucchelli est d'une pertinence exceptionnelle. Par opposition au Dark Knight qui est un récit flamboyant et jusqu'au-boutiste, Year One est très terre à terre et factuel. Il s'agit presque d'articles de presse relatant des faits divers. Le style détaillé et réaliste de Mazzucchelli est en parfaite adéquation avec le ton du récit. Chaque personnage est reconnaissable et crédible, chaque décor est pensé à la manière d'un décorateur ou d'un urbaniste. Le choix d'un style appliqué et tout en retenu plutôt que démonstratif sert admirablement l'histoire. Le regard est frappé par la vraisemblance des intérieurs (les meubles ne sont pas disposés au petit bonheur, mais comme dans un intérieur ordinaire). Le travail du dessinateur est admirablement complété par la mise en couleurs de Richmond Lewis. Les couleurs ont été refaites à l'occasion de la première édition en tradepaperback. Richmond Lewis utilise une palette volontairement limitée à quelques couleurs neutres qu'elle décline en de subtiles nuances. L'objectif est le même que celui du style des illustrations : privilégier cette sensation très ordinaire, et fuir le grand spectacle. Elle ne s'autorise qu'à de rares reprises à montrer l'étendue de son talent : un tapis par ci et une superbe paire de draps par là (dernière image du troisième épisode). Tous ces atouts font de Year One un récit subtil et nuancé à l'opposé d'un film à gros budget et grand spectacle. L'humanité de chaque personnage et ses motivations s'en trouvent magnifiées. Chaque relecture (j'en ai une dizaine au compteur) transporte à nouveau et à chaque fois dans les difficultés et les choix cornélien de ces héros (Wayne et Gordon) très humains. La version Deluxe car elle contient quelques pages du script de Miller, les crayonnés de quelques pages et les différentes mises en couleurs de quelques pages (version comics mensuelle, pages avec uniquement les couleurs et résultat final).

05/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Sourire 58
Sourire 58

Quoi de plus naïf qu'une hôtesse ? - Ce tome est le premier de la série consacrée à Kathleen Van Overstraeten, en termes d’ordre de parution, mais le deuxième, à ce jour, par ordre chronologique de sa vie, après Bruxelles 43 (2020). Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière uniquement de la couverture, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Bruxelles 43 (paru en 2020), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Souvenirs d’Expo, découpé en plusieurs articles : Derrière l’Expo d’autres expos, Un monde meilleur grâce à l’Expo ?, L’Expo invente le pays du sourire, L’Atomium star de l’Expo, Les pavillons les plus courus de l’Expo, L’Expo consacre le style Atome, À l’Expo cette drôle de Belgique joyeuse, Après l’Expo une autre Belgique ?, et une interview d’une page de Jacqueline Mens de Fernig, la fille du baron Georges Moens de Fernig (1899-1978). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listées les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif. Bruxelles, 1957, chantier de l’Atomium. Deux ouvriers discutent en se rendant dans la cabane de chantier pour prendre leurs affaires. Pol de Mesmaeker récrimine contre le rythme qui leur est imposé, sans compter que ce bazar à boules ne tiendra jamais debout. Son collègue verra bien qu’ils finiront par avoir des accidents sur ce chantier de fous. L’autre le chambre en lui rétorquant qu’il se demande si son collègue ne serait pas en train de virer rouge. Si ça ne lui plaît pas, il n’a qu’à postuler au pavillon de l’U.R.S.S. Ayant revêtu leur bleu de travail, ils ressortent, mais le téléphone sonne. Mesmaeker retourne dans la cabane de chantier. Il est poignardé et l’assassin s’empare de son laisser-passer. Quatre mois plus tard, des dizaines de jeunes femmes se présentent pour s’inscrire et passer les tests d’hôtesse. Parmi elles, se trouvent Kathleen Overstraeten et son amie Monique. Tout le groupe est reçu par madame Jacqueline Devriendt, responsable du recrutement des hôtesses. Elle prend à parti une d’entre elles et lui demande si elle veut devenir une hôtesse de l’exposition universelle. La réponse étant positive, elle lui demande ensuite si elle connaît la définition du mot Sourire. Et elle hausse le ton pour lui demander de la mettre en pratique. Elle désigne ensuite Kathleen pour la prendre comme exemple : elle est le parfait exemple de ce qui est attendu, un sourire offert au monde, le sourire 58 ! Elle emmène ensuite les postulantes retenues pour aller voir l’Atomium en construction. Puis pendant quatre mois, les futures hôtesses sont astreintes à une formation accélérée. Elles assistent à des conférences données par des journalistes, des professeurs d’université et des architectes de jardins. La culture générale passe aussi par des visites d’usines et de musées. Premier tome de la série, le lecteur en découvre les caractéristiques : reconstitution historique, belgitude, intrigue d’aventure (ici espionnage), féminisme sous-jacent. Les auteurs ont choisi un événement historique dans l’histoire de la Belgique : une exposition universelle qui a fait date, à la fois pour son monument passé à la postérité, l’Atomium à Laecken sur le plateau du Heysel, à la fois pour le style Atome reconnu par les historiens de l’art et du stylisme. Il est immédiatement évident que les auteurs ont procédé à de solides recherches pour bâtir leur projet. La lecture du récit s’avère fluide, tout en intégrant de nombreuses références historiques. Les caractéristiques de l’Expo : la présence de André Waterkeyn (1917-2005) ingénieur et concepteur de l’Atomium, Lucien de Roeck (1915-2002) graphiste et créateur du logotype de l’exposition universelle de 1958. L’héroïne croise d’autres personnages historiques comme Daniel Gélin (1921-2002), Romy Schneider (1938-1982), Lilli Palmer (1914-1986), Sidney Bechet (1897-1959) et son orchestre, et même Herbert Hoover (1874-1964) le trente-et-unième président des États-Unis. Le lecteur se rend compte que le scénariste dispose même de trop d’éléments et qu’il ne peut pas tout développer, en particulier quand Monique évoque le fait que le pavillon du Congo est un lieu sensible, certains voulant faire fermer le village des indigènes (authentique). Dès la première page, le lecteur peut mesurer la qualité de la minutie de la reconstitution historique sur le plan visuel avec cette représentation de l’Atomium en cours de construction et les véhicules d’époque. Tout au long de ces cinquante-deux pages, l’artiste s’investit sans compter pour représenter cette époque, ces lieux, cet événement. Le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette : les dernières traces de chantier, l’Atomium presque achevé (plus qu’une seule sphère de ce cristal de fer à finir de construire), les étoiles de De Roeck décorant les allées sur des mâts, le pavillon des États-Unis, le pavillon du Vatican, celui de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.), un plan de masse de l’exposition, le pavillon du Congo, le téléphérique de l’exposition, la grande allée, les mâts de signalétiques, etc. L’artiste se montre tout aussi précis et exact dans les représentations de Bruxelles à cette époque : une très belle brasserie, la grand-place de Bruxelles, sans oublier une magnifique vue du pavillon d’accueil de l’exposition, avec une vue générale de la place de Brouckère et la fontaine Anspach, les tramways, l’hôtel Continental avec son enseigne pour une célèbre marque de soda, l’hôtel Metropol, etc. Le lecteur ne perd pas non plus une seule représentation de voiture, et même du tricycle motorisé pour parcourir les allées de l’exposition, ou encore un side-car dans la scène de poursuite finale. L’attention prêtée au détail ne présente aucun défaut, jusqu’à l’emballage des barres chocolatées Dessert 58 de Côte d’Or. Les auteurs se sont également, à l’évidence concerté, pour parsemer des éléments culturels belges comme la visite d’Annie Cordy (1928-2020), les fraises de Wépion ou encore un cornet de frites ou deux. Les caractéristiques des dessins relèvent de la ligne claire, dans une veine réaliste et descriptive, très agréable à la lecture. Le lecteur éprouve la sensation d’évoluer aux côtés des personnages, pouvant porter son intérêt sur les lieux, sur les tenues vestimentaires, sur leur comportement, leurs gestes. Le dessinateur conserve son haut degré d’investissement pour toutes les pages, toutes les cases, les arrière-plans comprenant de nombreuses informations visuelles. Les discussions bénéficient de plans de prise de vue dynamique, montrant l’environnement dans lesquelles elles se déroulent, les actions des interlocuteurs, les individus qui passent à proximité. L’avant-dernière séquence correspond à une course-poursuite avec prise d’otage, le lecteur ressentant le mouvement des déplacements, ainsi que la tension du fugitif et de son otage. En effet, cette bande dessinée raconte bien une histoire, une aventure de type Espionnage, en relation organique avec le contexte historique de l’époque et la tenue de l’exposition universelle en pleine Guerre froide, à quelques semaines de la crise de Berlin avec l’ultimatum de Nikita Khrouchtchev sommant les occidentaux de trouver une solution au statut de cette ville. La pauvre Kathleen Overstraeten se retrouve donc prise dans les intrigues de plusieurs individus aux enjeux secrets : Jean-Marc Spruyt (belge, ressemblant à Cary Grant), Ronald Amber (responsable du protocole du pavillon des États-Unis), Fra Matteo (journaliste de l’Ossvervatore Romano, le journal du Vatican) et Nicolas Soukine (officiel du pavillon soviétique). Bien vite, Kathleen Ovesrtraeten est dépassée par les événements : le vol de sa sacoche pendant une visite guidée, les avances insistantes de Spruyt, le vol de l’œuvre d’art Le Christ décalé de l’artiste Svoboda dans le pavillon du Vatican, un globe terrestre qui se décroche et tombe avec fracas dans le pavillon de l’U.R.S.S., et la police qui s’intéresse de près à cette jeune femme qui était présente sur les lieux à chaque incident. Le lecteur se sent tout aussi perdu que l’héroïne et l’admire pour sa capacité à encaisser et à essayer de prendre des initiatives, bien que son emploi d’hôtesse soit en jeu. De ce point de vue, elle incarne à la fois une obligation de conformisme pour être belle et sourire afin de se montrer compétente dans son emploi, à la fois une forme d’émancipation car elle rit au nez de sa mère qui se demande si sa fille sera bonne à marier et elle ne se cantonne pas au rôle de victime que les événements semblent vouloir lui imposer. Par l’exemple, elle incarne une émancipation sous-jacente, une femme indépendante, un signe avant-coureur du féminisme. Le dossier en fin d’ouvrage s’avère fort intéressant, venant développer certains points, comme le fait que l’Expo inventa même un nouveau métier, celui d’hôtesse au sol. Le lecteur ressort enchanté de cette bande dessinée : une immersion touristique et historique dans l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, une aventure d’espionnage bien ficelée, un personnage principal attachant et crédible, avec une réelle personnalité déstabilisant les espions mâles ne voyant en elle qu’une belle plante. Formidable.

05/10/2024 (modifier)