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Par Jetjet
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Nous, les morts
Nous, les morts

Audacieux, culotté, atypique, commercialement suicidaire….. Les mots me manquent au final pour décrire la sensation après avoir lu ce qui restera surement l’un des livres les moins attractifs de ce début d’année tant les auteurs prennent un malin plaisir à prendre le lecteur à contrepied et à lui proposer exactement tout l’inverse de ce qu’un amateur d’histoires zombiesques lambda est en droit d’attendre… Nous sommes en 2015 et cela fait à présent un petit bout de temps que les histoires de zombies envahissent les étals de nos librairies avec plus ou moins de qualité (Walking Dead et Zombies de Péru et Cholet sont directement dans le haut du panier et presque tout le reste flirte avec le médiocre ou le convenu) aussi il est franchement encourageant de voir et lire un tel OVNI sorti de nulle part…. Nulle part ? Les auteurs ne sont pas des inconnus, à ma gauche, Igor Kordey bien connu des amateurs de comics comme de bd franco-belge avec un trait que je n’aime pas des masses initialement mais que j’ai réussi à apprivoiser à l’issue de cette lecture et à ma droite (pas celle des futurs Républicains :) ) Darko Macan à l’écriture d’un scénario bien malin et déstabilisant dont je suis encore surpris que Guy Delcourt en ait accepté les conditions tant je doute fortement du succès commercial pour cette tétralogie… Et pourtant l’ensemble ne manque pas de qualités et encore moins d’audace. Pensez donc à un univers contemporain où l’Europe serait peuplée de zombies doté de parole et d’un appétit féroce pour la chair humaine mais qui n’aurait pas évolué d’un pouce et serait encore sous l’ère du Moyen-Âge. A l’origine de tout cela, la Peste Noire empêcherait donc les humains de gouter à une mort bien mérité un peu à la manière de Zorn et Dirna de JDM. Après une remarquable introduction sur ce fléau, on change d’univers et de couleurs pour embrasser le soleil d’Amérique du Sud et du peuple inca qui a su lui évoluer techniquement (par des dirigeables volants) mais pas vraiment moralement (ça fornique allègrement façon Game of Thrones la série et ça complote tout aussi allègrement). Ce bon peuple inca qui n’a pas pu se faire exterminer par les zombies européens reste avide de pouvoir et a eu vent d’une fontaine de jouvence en Europe. Une expédition (volante donc, la mer c’est trop ringard) est mise en place pour trouver ce « secret » de la vie éternelle à des fins politiques… La lecture du bien nommé « Nous, les morts » risque d’en déstabiliser plus d’un. J’ai du m’y reprendre à deux fois pour bien suivre et comprendre cette géniale leçon d’humour noir sur la cupidité de l’homme et en saisir les règles tout comme les enjeux. Il n’y a pas un seul personnage sympathique à sortir du lot, c’est un peu l’équivalent du film classique italien « Affreux, sales et méchants » où les « zombies » ou plutôt les ressuscités gourmands sont relégués au second plan en tant que prétexte pour cette uchronie bien couillue ! A partir du moment où on accepte un tel postulat, ce n’est que du plaisir car il s’en passe des choses pour un tome introductif qui illustre parfaitement son thème : la série B et une farce sincère de la condition humaine qui, morte ou vivante, reste toujours aussi cupide. Le découpage est juste parfait, il ne manque rien finalement après une courte déception (je ne m’attendais vraiment pas à cela) pour faire de cette œuvre audacieuse un futur petit chef d’œuvre en devenir si Macan poursuit son rythme et ses idées originales. Pensez donc ! Pas de zombies façon Walking Dead, les Incas envahissent l’Europe et éradiquent les Aztèques ! La reconstitution de ce monde fictif est juste parfaite avec quelques planches magnifiques dont une église détruite par un atterrissage forcé et une attaque de dirigeables digne d’un film de pirates ! Bref vous aurez bien compris que j’ai pris un pied pas possible avec cette gourmandise qu’il ne faut absolument pas classer en parodie mais bien en grand fleuron d’humour noir subtil. Très très fort et la suite arrive déjà en juin ! J’en serais donc car une telle audace se doit d’être récompensée ! Tome 2 : Consécration ! Tous les bons espoirs fondés dans cette série sont non seulement renouvelés mais décuplés avec un tome 2 passionnant posant pour de bon les bases et les enjeux de toute l'histoire ! Entre un humour noir des plus salvateurs avec ce peuple Inca observant le peuple européen putréfié comme s'il s'agissait de bons sauvages (tout est inversé !), la "création" du grand méchant qui risque de dominer les deux dernières oeuvres et la reconstitution d'une sinistre ville de Londres abandonnée des vivants, ce titre regorge suffisamment de trouvailles et de rebondissements pour en garantir la pérennité sur les deux derniers tomes que j'attends à présent avec une impatience difficile à cacher. Rajouter à cela une intrigue secondaire mais pas inintéressante sur base de complots en terre maya à fortes connotation de "Game of Thrones" et vous tenez clairement la nouveauté 2015 la plus innovante, surprenante et rafraîchissante qui soit ! Tome 3 : Curieusement ce nouveau chapitre, sobrement intitulé "Le Céleste Empire" pour sa référence au peuple des Hans, adopte un rythme beaucoup plus calme là où les événements se précipitaient pour les deux premiers tomes. C'est toujours aussi agréable à lire mais à un tome de la conclusion, je me demande bien comment en sera la conclusion que j'attends du coup peut-être avec plus d'impatience à présent. A l'instar d'une halte hivernale, Macan prend son temps pour jouer avec ses personnages quitte à reléguer les fameux morts-vivants à de rares mais toujours aussi jouissives interventions. Suite et fin dans le tome 4 donc... Marre des zombies ? Essayez "Nous, les morts", dépaysement garanti avec un Igor Kordey en pleine possession de ses moyens et reconstituant des décors imposants sur base de cranes fracassés ! Un bijou d'humour noir appelé d'ors et déjà à devenir culte pour tout amateur d'art déviant mais vivifiant !

16/04/2015 (MAJ le 01/10/2015) (modifier)
Par Erik
Note: 5/5
Couverture de la série Varto
Varto

Le génocide arménien est un sujet plutôt grave qui ne se prête pas au divertissement. Une bd qui nous raconte une autre facette de celui-ci est toujours instructive pourvu que cela respecte certaines règles de bienveillance. L’auteur ne s’attachera pas à nous mener au cœur de ce massacre mais plutôt à définir certaines des conséquences. En effet, nous suivons le parcours de deux enfants Varto et sa grande sœur qui tentent de fuir mais sans le savoir. Cela crée la séparation avec la famille. Ils seront à la merci du moindre événement pouvant les conduire sur le chemin de la mort. Oui, c’est une autre facette du génocide qui est abordée à travers le regard innocent d’enfants. A vrai dire, mise à part quelques images, on ne verra presque rien de cette déportation à grande échelle qui a affecté ces chrétiens dans un pays largement musulman. Pas un mot non plus sur la situation politique. C’est voulu par les auteurs qui ont préféré mettre l’accent sur le sentiment lié à la séparation familiale et à la détresse morale que cela entraîne. Ils sont restés dans un cadre purement intime. Il est également intéressant de voir que c’est un turc bien sage et malheureusement mourant qui est à l’origine du sauvetage de ces deux enfants suite à une promesse effectuée. On sait que dans la réalité des faits similaires se sont produits. Bref, les turcs ne sont pas tous adeptes de la non-reconnaissance de ce grand massacre ayant causé la mort de près de 1.5 millions de personnes. On peut même affirmer que la plupart des turcs ont sauvé de nombreuses vies par des gestes de non-dénonciation ou d’aide plus marqué. Bref, il ne s’agit pas d’un règlement de comptes et les auteurs ont évité la facilité en soulignant les ambiguïtés des différents protagonistes et en gardant une certaine neutralité notamment dans le dossier complétant le récit dessiné en fin d’album. On évite également le côté pathologique et d’être submergé par l’émotion à tout va. C’est sans doute la grande force de cette œuvre qui reste digne. Ces enfants ne comprennent pas ce qui leur arrive. C’est assez effrayant. Le lecteur arrive à mieux cerner leur psychologie avec ce qui se passe autour. Aujourd’hui encore près d’un siècle après les faits, cela hante la société turque qui n’a pas fait la paix avec son passé. Aujourd’hui encore, on risque 10 ans de prison en Turquie lorsque l’on emploie le mot «génocide» pour évoquer ces massacres. Cette bd est une goutte d’eau qui pourrait contribuer à trouver le chemin de la paix et de la réconciliation entre ces deux peuples à l’occasion de la commémoration du centenaire de cette terrible tragédie. Le message des auteurs est positif et universel. C’est ce qu’il faut retenir. Je vous invite par conséquent à jeter un coup d’œil.

28/09/2015 (modifier)
Par KanKr
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Trashed
Trashed

L'envers de la société de consommation ! Après Punk Rock et mobile homes et Mon ami Dahmer, Derf Backderf nous fait visiter, avec Trashed, les coulisses des sociétés modernes. Un envers du décor peu reluisant, exhumé de ses souvenirs, où s'entassent jour après jour les poubelles de l'humanité. L'histoire est tirée de son expérience, entre 1979 et 1980, en tant que ripeur. Alors qu'il vient de stopper ses études, J.B., 21 ans, traîne chez ses parents dans une banlieue de l'Ohio. Souhaitant quitter le domicile familial pour ne plus subir les pressions de sa mère, il parcourt les petites annonces et finit par se retrouver engagé comme éboueur contractuel au côté de Mike, un ancien ami de lycée, et de protagonistes hauts en couleur tels que Wile E., Magee, Marv et Betty le camion-benne. Le temps des deux cent quarante pages constituant l'ouvrage, nous suivons leurs tournées sous la pluie, la chaleur étouffante de l'été ou les tempêtes hivernales glaciales. L'auteur nous immerge dans l'intimité de nos boites en ferrailles, mais aussi dans le quotidien de ceux qui les ramassent, confrontés aux torpilles jaunes (bouteilles en plastique pleines d'urine lancées par les camionneurs qui ne veulent pas s'arrêter pour ne pas perdre une seconde), à la prolifération d'asticots, aux sacs-poubelle mal fermés ou bon marché qui se déchirent, aux habitants les plus dérangés de la ville, aux chiens errants et aux bureaucrates qui dirigent la cité à coups de magouilles, copinage et corruption, les poussant à réaliser des travaux qui sortent du cadre du métier : ramassage de gros objets et d'animaux morts sur la route, transport de bois pour les amis de la direction, etc. Par des anecdotes croustillantes et des chiffres plus qu'édifiants, il ne se contente pas de nous conter une histoire, il questionne l'évolution des ordures au fil des années, le recyclage et la biodégradation. Il pose un regard critique, empreint d'un certain humour noir, sur la société de l'obsolescence, du jetable et de l'emballage à outrance, en croquant avec mordant le devenir du contenu des sacs plastiques que nous déposons régulièrement devant chez nous. Habitués à voir disparaître les amas de détritus de nos trottoirs dans les heures qui suivent leur dépôt, le processus de la collecte est un acquis dont nous aurions bien du mal à nous passer. Pourtant, l'impact sur la planète et notre avenir est loin d'être anodin, avec des décharges et des champs d’enfouissement toujours plus grands, une pollution en expansion notamment par l'écoulement de liquides toxiques dans les nappes phréatiques et des délais de décomposition bien trop longs. L'être humain, sans s'en rendre compte, vit au milieu de ses déchets. Finalement le constat est sévère : le recyclage est un grand mot... Bienvenue à l'ère du stockage des rebuts ! Derf Backderf signe ici une extraordinaire épopée de la moisson des ordures, mêlant l'expérience à la fiction et appuyant son propos par une documentation méticuleuse sur l'industrie de la poubelle, tout en continuant à évoquer les petites villes des banlieues américaines. L'ouvrage est aussi l'occasion d'un retour à ses débuts dans le roman graphique en prolongeant son travail sur le sujet qui avait vu une première version de 50 pages récompensée par une nomination aux Eisner Awards. Une pépite à lire incontestablement ! KanKr

24/09/2015 (modifier)
Couverture de la série Les Passagers du vent
Les Passagers du vent

Je voudrais faire court. Ce n'est pas aisé il y a tant à en dire : Grandiose, incomparable et surtout admirable. Découpage ciselé avec maestria, sens de l'ellipse remarquable, densité du récit, protagonistes principaux et secondaires caractéristiques, dessins somptueux, concordance pointilleuse et rigoureuse des différents épisodes avec l' Histoire, narration et dialogues impeccables, couleurs délicieuses. Bourgeon ne cède à aucun à peu près, et confère à cette série une dimension pharamineuse et saillante. En un mot donc : admirable. Admirable car, comme la définition du mot l'indique, ce travail mérite et attire l'admiration. François Bourgeon en impose dans le monde de la bande dessinée et c'est bien normal.

24/09/2015 (modifier)
Par Canarde
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Templiers
Templiers

Magnifique! Tout est dedans : Chasse au trésor, hold-up, drame amoureux, chocs des cultures, mécanique des fluides, cavalcades, combats à l'épée, chansons provençales, machiavélisme politique, camaraderie burlesque et dégâts des eaux... vous avez tout en deux tomes parfaitement construits, dans un rythme tendu mais pas précipité. Les personnages ont le temps de se densifier, au fils des dialogues savoureux. L'action s'enroule autour du fameux trésor des templiers sur lequel le garde des sceaux Nogaret veut mettre la main à tout prix. Mais Martin de Troyes, notre héros, templier rescapé de la purge royale, se refuse à laisser ce trésor qu'il a contribué à construire. Si vous chercher à comprendre les tenants et les aboutissants du sacrifice des templiers, vous serrez déçus: leur rôle de banquier sur les chemins de la croisade, peu commun à l'époque où l'usure est réservée aux juifs, est passé sous silence. Et on a l'impression que Philippe IV le Bel cherche simplement à renflouer ses caisses sur le dos d'innocents... En revanche si vous souhaitez rester scotchés 3 heures à lire à coté d'un bon feu de cheminée, alors c'est l'idéal. Le trait nerveux et presque rageur, est calqué sur le caractère fougueux de Martin qui se sent victime d'une injustice et responsable de son ordre puisque tous ses chefs sont emprisonnés. La troupe autour du héros abrite des seconds couteaux plein de personnalité eux aussi. Les personnages sont très bien caractérisés et leurs expressions réussies avec très peu de traits. Toutes les intrigues s'imbriquent parfaitement, dans une sorte de spirale qui se referme sur les personnages dans la dernière ligne droite. Allez-y, vous ne le regretterez pas!

23/09/2015 (modifier)
Couverture de la série Presque
Presque

« Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir… » disait la chanson. Et on peut en effet, après cette plongée en apnée dans les entrailles d’une certaine armée, de la douleur de Manu Larcenet, chercher à respirer de nouveau. On est évidemment là très loin de la grosse déconne Fluide, de la pochade « Donjon », ou d’une certaine introspection tranquille glissée dans Le Retour à la terre. Sa part d’ombre, Larcenet la réserve plus aux Rêveurs. Larcenet nous livre là, de manière à la fois pudique, intelligente, mais aussi sans concession, la violente expérience qu’a été pour lui le service militaire. Et dans sa dénonciation je retrouve en partie ce que comme lui ou d’autres j’ai connu pendant mes « classes ». C’est-à-dire l’abus fait par des hommes sur d’autres hommes parce qu’on leur donne un pouvoir. C’est-à-dire l’abrutissement, la lobotomisation volontaire, dans un milieu clos sur lui-même où l’obéissance prime sur la réflexion et l’intelligence (encore que Larcenet montre, avec ce qui est arrivé à Marco, que l’obéissance ne garantit pas de s’en sortir). En formatant les « appelés », l’armée déshumanisait les individus, avec des méthodes employées ailleurs par des systèmes totalitaires. Mais ici Larcenet ne donne pas dans la critique de comptoir, le pathos inutile, son propos est au contraire d’une froideur, d’une précision quasi chirurgicale. Voilà pour le fond. Pour la forme, il alterne des esquisses volontairement brouillonnes, noires et difficiles à « lire » et des personnages patatoïdes à la Trondheim lorsqu’il se représente dialoguant avec sa mère. Ces passages avec sa mère – outre la différence graphique avec les reste des dessins, sont aussi importants car ces moments d’humour permettent de respirer. Ils permettent aussi à Larcenet d’illustrer, avec l’incompréhension entre lui et sa mère, qu’on ne peut se faire une idée réelle de son expérience sans l’avoir vécue. Et j’avoue qu’après les passages avec sa mère, on ressent à la reprise de la lecture un peu du malaise qui étreignait Larcenet à l’idée « d’y retourner ». Et ces passages s’avèrent au final presque aussi violents que le reste ! A lire, évidemment !

22/09/2015 (modifier)
Par Jaydee
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Château des étoiles
Le Château des étoiles

Dernière série en date du prolifique Alex Alice, j'ai pris une claque en terminant la lecture de ce Château des étoiles. Il est difficile de ne pas décrire cet univers sans citer ceux qui l'ont inspiré : Miyazaki, Jules Vernes et Les Mystérieuses Cités d'Or. Parlons tout d'abord de l'univers complètement barré qui s'appuie sur les "connaissances" les plus fantaisistes en matière de conquête spaciale au XIXème siècle, époque de l'histoire. Ainsi on pensait que l'univers était rempli d'éther -sorte d'énergie pure- , que plus une planète était proche du soleil, plus elle était récente -Vénus est ainsi vue comme une planète abritant une vie préhistorique-, et j'en passe. La grande force du scénario est de donner un dimension merveilleuse à ces théories tout en gardant un semblant de sérieux. Cet aspect est d'autant plus central que la page titre porte la mention "ils ne savaient pas que c'était impossible donc ils l'ont fait". Les personnages ne sont pas en reste et permettent de passer du rire aux larmes en un rien de temps. Enfin, les dessins sont vraiment réussis, Alice prouvant tout son talent en couleurs directes. Une mention spéciale pour les découpages audacieux qui rendent l'histoire encore plus palpitante. Le premier tome aurait mérité à lui seul 4 étoiles, l'intrigue et l'univers développés y sont passionnants bien que l'on puisse regretter que les choses n'avancent pas plus vite. Mais une fois le second tome terminé, on ne peut être que béat d'admiration, chapeau l'artiste, tu n'as pas volé tes 5 étoiles !

15/09/2015 (modifier)
Par Blue Boy
Note: 5/5
Couverture de la série Aâma
Aâma

Après lecture du dernier tome, je ne peux mettre que la note maximale pour cette œuvre hors-norme, pas forcément des plus accessibles (avec un premier tome un rien fastidieux), mais qui quelque part peut être qualifiée d’ultime dans le genre. ------------------------------------------------- C’est avec plaisir que j’ai retrouvé l’univers unique de cet auteur que j’avais découvert avec Lupus, mélange de récit introspectif et de SF poétique. Mais cette fois, Frederik Peeters est passé à la couleur, et ça ne lui va pas si mal, même si la tonalité littéraire de l’histoire pouvait supporter largement le noir et blanc. Le trait a gagné en précision, mais se fait en même temps plus conventionnel. Un peu comme une version grand public de « Lupus », avec les mêmes obsessions de l’auteur mais davantage en mode aventure : la perte de l’être aimé, la maladie silencieuse (le personnage principal Verloc est victime d’une maladie de peau, le lupus en est une également), la marginalité au sein d’un monde normatif et étouffant, les paradis artificiels, l’incommunicabilité, l’étrangeté du monde et la difficulté à trouver sa place dans l’univers. L’histoire bénéficie d’un scénario assez complexe, avec moult flashbacks, où il faut parfois faire preuve d’attention, mais reste cohérent. Les personnages sont bien campés, et la relation entre Verloc et Myo évoque immanquablement celle entre Lupus et Saana. Pour les textes, l’auteur s’est basé sur le carnet de bord du personnage principal, conférant ainsi une couleur littéraire et une profondeur au récit. Avec cette série atypique, l’auteur nous donne à voir toute sa puissance créatrice. On en prend alors plein les yeux, pénétrant un monde entièrement inconnu, un monde où grouillent plantes et autres créatures mi-organiques mi-synthétiques, aussi bizarroïdes que monstrueuses. On est littéralement subjugué par ce déferlement visuel prodigieux. A l’état plus ou moins latent dans « Lupus », cette obsession de Peeters pour les formes de vie invisibles, mystérieuses et grouillantes, explose à pleine puissance ici. On est à la fois saisi d’effroi et émerveillé, alors que de multiples questions assaillent l’esprit, sous l’effet d’un vertige métaphysique. Cette BD unique en son genre, mélange d’aventure et de science-fiction aux accents très « psy », pose donc beaucoup de questions et appartient de par sa créativité aux œuvres supportant aisément plusieurs lectures, tant en nombre qu’en grilles… A l’heure où les apprentis sorciers de la Silicon Valley se prennent pour des démiurges et rêvent d’inventer une nouvelle humanité guidée par la technoscience, Peeters prouve avec cette série son talent de visionnaire, avec cette question en toile de fond : quel sera le seuil de progrès à partir duquel nous perdrons définitivement notre humanité, celle qui fait de nous des êtres en proie au doute, avec leurs faiblesses et leur imperfections ? L’histoire se révèle être aussi une touchante déclaration d’amour d’un père à sa fille. Et au-delà des réflexions sur la technoscience et l’avenir de l’humanité que peut susciter cette histoire, l’auteur nous invite parallèlement à embrasser la vie, à l’aimer, à en vivre chaque instant intensément. A condition d’être réceptif, son jeu de piste nous guidera vers la fusion, l’UNI-versel, nous amènera à revivre notre état originel d’Adam végétal où nous tous, foules individualistes, ne faisions qu’un. « Aâma » s’impose ainsi comme une rencontre au sommet du 9ème art entre philosophie et science-fiction. Et dans ces hauteurs, les questionnements métaphysiques effectuent une folle sarabande avec les délirants songes graphiques de Frédérik Peeters, un auteur qui, avec cette série, renforce décidément sa présence au panthéon des auteurs de BD. T1 – L'odeur de la poussière chaude T2 – La multitude invisible T3 – Le désert des miroirs T4 – Tu seras merveilleuse, ma fille

23/11/2013 (MAJ le 05/09/2015) (modifier)
Couverture de la série Le Troisième Testament
Le Troisième Testament

Le Nom de la Rose a son rejeton en bande dessinée, il s'appelle "le Troisième Testament" ! Et il est proprement fabuleux. Il appartient à cette caste de séries BD de très haut niveau mais qui restent malheureusement assez peu connues en dehors d'un petit cercle d'initiés et de fans. C'est bien simple sans BDTheque je ne l'aurais probablement jamais remarqué sur les rayons de la Fnac... Voici Xavier Dorison (que j'ai connu par le bais d'Undertaker) et Alex Alice ( que j'ai connu grâce au Château des étoiles) conjuguant leurs forces pour nous offrir ce récit empreint d'ésotérisme, lugubre et gothique, s'étalant sur quatre tomes et narrant le grand vagabondage de trois aventuriers dans l'Europe médiévale du début du XIVème siècle, sur fond d'enquête criminelle et de quête mystique. En effet, le dénommé Conrad de Marbourg, ex-inquisiteur accusé naguère de trahison et de satanisme par l'autorité ecclésiastique (et qui se paye la bobine de Sean Connery lorsque ce dernier jouait dans le Nom de la Rose, le film de J-J Annaud), est sollicité par son ancien ami Charles d'Elsenor au sujet du massacre sordide de plusieurs moines officiant au couvent de Veynes. Non seulement ça, les tueurs ont également dérobé de très vieux manuscrits, qui avaient ceci de singulier qu'ils n'étaient référencés nulle part y compris dans l'index officiel. D'abord réticent, de Marbourg va finir par accepter la mission qui lui est confié et va partir à la recherche des tueurs et de ces fameux manuscrits, s'alliant en cours de route le concours de la fille adoptive d'Elsenor et d'un mercenaire irlandais rempli de panache. Une fois cette intrigante mise en place effectuée, le récit nous embarque dans une pure odyssée transeuropéenne, ou l'on se familiarise à des lieux tels que Stornwall, St Luc, Paris, Tolède, Dantzig, Prague, et j'en passe. Une aventure au rythme échevelé, avec peu de temps morts; on est absorbé par la succession d'évènements qui se déploient au fil des pages. On en apprend aussi beaucoup sur l'histoire de la chrétienté et sur certains grands personnages qui la constituent ( par exemple - ô quelle surprise fut la mienne - le comte de Sayn et Conrad de Marbourg ont réellement existé !). Les séquences fulgurantes et splendides se succèdent et le combat final, apothéose apocalyptique critiqué par certains, représente à mes yeux un absolu chef-d'oeuvre de dénouement à nul autre pareil dans la bande dessinée franco-belge. Monumental, voilà le seul terme qui convient. Il faut saluer la maestria des deux magiciens Dorison et Alice, qui chacun dans son domaine a donné le meilleur de son talent. Et puis Alice, quel coup de crayon ! c'est fin, c'est précis, c'est élégant, je n'y trouve rien à critiquer, et les villains qu'il a conceptualisé sont franchement sinistres et effrayants, une vraie réussite, chacune de leur apparition fait froid dans le dos. Un point bonus aussi pour les couvertures qui sont des œuvres d'art à elles toutes seules, la première et la dernière en particulier. Pour moi cette quadrilogie mérite un dix sur dix, et va maintenant figurer en bonne place dans mon top 10 BD. Je suis venu, j'ai vu, et j'ai été conquis. Une lecture indispensable et un must have pour toute bibliothèque personnelle qui se respecte. Maintenant il ne me reste plus qu'à aller dévorer la préquelle produite par les mêmes auteurs : Le Troisième Testament : Julius. De nouveaux frissons en perspective !

02/09/2015 (modifier)
Par Jetjet
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Tyler Cross
Tyler Cross

Brüno a cette capacité évidente à me charmer par son trait si caractéristique et il a beau trifouiller tous les thèmes possibles et rebattus comme Lorna ou Jun ou des scénarios plus originaux comme Biotope ou Atar Gull, je ne peux que me plier et acquiescer au charme évident de ses créations. Ici avec Fabien Nury au scénario, on balance méchamment dans la première catégorie, section polars bien noirs. Il ne faut que quelques minutes pour replonger dans un univers à la fois immédiat rappelant les films de Sidney Lumet (12 hommes en colère) comme ceux plus récents par exemple d’Oliver Stone (U-Turn) ou de John Dahl (Red Rock West) où un paria se retrouve dans un village de ploucs inhospitaliers. Le schéma est bien connu et Tyler Cross, mélange taciturne et classieux de Lee Marvin et de Clint Eastwood n’y échappe pas. Ce qui distingue ce polar d’un autre outre ses qualités graphiques évidentes à admirer aussi bien sous les couleurs de Laurence Croix que d’un noir et blanc approprié selon le choix de l’édition, c’est avant tout le traitement narratif utilisé. On n’échappe pas à la voix off qui passe d’un personnage à un autre en y dévoilant moult points de vue, y compris celui d’un crotale ! Quelques flashbacks viennent étayer également ce joyeux bordel organisé autour de réglements de compte dans une ville gangrénée par une famille pourrie et autres rancoeurs. Tyler Cross n’a rien d’un saint, il est méthodique et appliqué et se comporte la plupart du temps pour satisfaire uniquement ses propres intérêts. Les personnages gravitant autour de lui ne manquent pas de saveur entre avocat véreux, flics corrompus et tyrans sadiques. Tous les clichés se concentrent en plusieurs points et les morts violentes mais jouissives se succèdent dans une époque rétro où porter un chapeau était signe d’élégance et où ces foutus gsm n’existaient pas. A Nury et Brüno la lourde charge de parsemer leur récit conventionnel par un humour noir et distingué de bon aloi. On ne s’ennuie pas une seule minute dans ce récit à la fois simple et définitif. Le style de Brüno s’est encore amélioré avec quelques cadrages arrogants et de superbes scènes de pose pour son héros qu’il affectionne et cela se ressent. Cela se ressent d’ailleurs tellement qu’une suite ou préquelle est d’ors et déjà prévue. Tout le plaisir des deux auteurs suinte chaque page de ce pur divertissement pour adultes et on en redemande avec plaisir puisque l’histoire se conclut tel un one-shot mais bien trop rapidement. Une œuvre indispensable de plus pour ce duo doué que je relirais avec un grand plaisir coupable ! Sans aucun doute le polar le plus recommandable de cette année 2013 ! Tome 2 : Angola 2 ans se sont déroulés depuis la première aventure de Tyler Cross et je viens seulement de m'en rendre compte. Le premier tome m'avait tellement plu que ses aventures étaient encore fraîches dans ma mémoire. C'est donc avec un plaisir et une confiance totale en ces deux auteurs que je me suis rué sur Angola dès sa sortie. Cette préquelle/séquelle (biffez la mention inutile) peut d'ailleurs se lire comme un one shot étant complètement détaché de l'autre récit. Tyler Cross se retrouve en très mauvaise posture dès le début du tome en purgeant une peine incompressible dans un pénitencier suite à un casse qui a mal tourné. Les conditions sont insoutenables, la mafia veut sa peau et Tyler Crosse la poudre d'escampette et la vengeance. C'est la poudre de gunshots qui va donc parler dans un milieu carcéral pourri et bien glauque avec une évasion et une vengeance à façonner. Encore un sans fautes pour le couple Brüno/Nury avec ce nouvel opus qui fait définitivement rentrer le personnage de Tyler Cross plus charismatique et iconique que jamais dans le monde de la bd franco-belge !!! Indispensable.

04/11/2013 (MAJ le 01/09/2015) (modifier)