J'arrive un peu après la bataille, mais j'ai beaucoup aimé cet album où j'ai retrouvé les qualités de "Juliette, les fantômes reviennent au printemps"'
C'est l'histoire d'un coiffeur qui se met à suivre dans la rue une épicière... A partir de ce pitch de quinzaine commerciale, tout l'univers des deux personnages va se mettre en place devant nous, et les incapacités des uns associées à l'oisiveté des autres va finir par faire une belle histoire d'amour éclairée par un ancien fait divers.
Pour résumer :
Des personnages et des paysages péri-urbains qui semblent sortir de notre quotidien.
Un humour délicat ou les aléas du désir restent souvent en toile de fond.
Un dessin entre Sempé, Davodeau et Bernadette Després (Tom-Tom et Nana), mais avec des couleurs et contrastes plus sensuels et jouisseurs.
Bref si on aime cet univers de tous les jours, à la fois bien observé et bien transformé pour nous mettre de bonne humeur et nous émouvoir, il ne faut pas hésiter.
Cet album mérite d'être dans toutes les bibliothèques et dans toutes les familles.
C'est le décalage entre les aventures réelles de la petite Cécile autour de sa maison et le récit qu'elle en fait, avec sa mère en shérif, et elle en "coboye", qui fait le sel du volume.
Un dessin charnu et coloré prend presque toute la place, et cette voix off, pas du tout bavarde (2 phrases max à chaque page ou double-page : une au début, une à la fin) qui crée le décalage.
Un dispositif simple et efficace qui nous rend le personnage attachant, et installe Cécile dans son rôle de fillette entreprenante, inventive et joufflue.
Un cadeau qui marchera je pense pour tout enfant, de n'importe quel âge. A lire avec eux sur les genoux pour ceux qui ne savent pas encore lire, pourquoi pas même apprendre à lire dessus ?
Pluto est une œuvre magistrale qui réinvente l’univers d’Osamu Tezuka d’une manière brillante et émotive. Inspiré de l’arc “Le Robot le Plus Fort du Monde” d’Astro Boy, ce manga prend un tournant sombre et profond, en explorant des thèmes de l’humanité, de la conscience et de la justice à travers les yeux des robots et des humains. L’histoire suit Gesicht, un détective robot, qui enquête sur une série de meurtres mystérieux impliquant des robots influents. Peu à peu, il découvre que ces meurtres sont liés à des événements plus vastes, mettant en jeu la nature même de ce que signifie être vivant.
Ce manga m’a beaucoup fait penser à l’univers du jeu Detroit: Become Human, notamment au personnage de Connor, le détective androïde. Comme Gesicht, Connor est un robot qui cherche à comprendre son rôle dans un monde où les humains commencent à douter de la véritable nature des machines. Dans Pluto, tout comme dans Detroit: Become Human, on explore cette frontière floue entre l’humain et le robot, et la quête de conscience et d’identité des machines. Les dilemmes moraux de ces personnages, qui cherchent à comprendre leur place dans le monde, sont un thème central des deux œuvres.
L’un des points forts de Pluto est la manière dont Urasawa parvient à donner de la profondeur à ses personnages, notamment les robots, qui sont loin d’être de simples machines. Ils sont traités avec humanité, et leurs dilemmes existentiels ajoutent une richesse émotionnelle rare dans les récits de science-fiction. Les thèmes de la conscience, de la souffrance et de la perte sont explorés avec beaucoup de subtilité et de sensibilité.
Le dessin est d’une grande finesse, avec des scènes d’action intenses et des moments très touchants. L’univers créé par Urasawa est à la fois futuriste et profondément humain, et chaque chapitre nous immerge un peu plus dans cet univers complexe et fascinant.
En résumé, Pluto est un manga qui mélange parfaitement science-fiction, réflexion philosophique et émotion. Si vous aimez les récits intelligents, profonds et bouleversants, ce manga est un incontournable, même si certains aspects peuvent paraître un peu trop lents par moments.
Gunnm est un manga qui m’a totalement immergé dès le début. L’histoire suit Gally, une cyborg amnésique retrouvée dans une décharge, qui se réveille sans aucun souvenir de son passé. Alors qu’elle cherche à comprendre qui elle est, elle se découvre des capacités incroyables et se trouve plongée dans un monde brutal où la violence est omniprésente.
Ce qui rend Gunnm si captivant, c’est avant tout son personnage principal, Gally. Sa quête d’identité, son évolution et ses combats internes sont traités avec une grande profondeur, ce qui la rend incroyablement attachante. Le manga explore des thèmes puissants comme l’humanité, la rédemption et le sens de la justice, tout en nous plongeant dans un univers cyberpunk fascinant, où la frontière entre l’homme et la machine est floue.
Les scènes d’action sont saisissantes, avec des combats intenses et bien dessinés, mais ce qui fait vraiment l’intérêt de l’œuvre, c’est la réflexion qu’elle suscite sur la condition humaine et la violence. Le monde de Gally est impitoyable, et chaque nouveau chapitre nous dévoile un peu plus de sa complexité.
En résumé, Gunnm est un manga qui mêle à la fois action palpitante et réflexion sur l’identité et l’humanité. Si vous aimez les récits de science-fiction profonds avec des personnages complexes et un univers riche, ce manga est un incontournable.
Death Note est un manga que j’ai dévoré du début à la fin. L’histoire suit Light Yagami, un lycéen brillant qui tombe sur un cahier mystérieux, le Death Note, capable de tuer quiconque y est écrit. Ce pouvoir va totalement transformer sa vie et le pousser à mener une quête pour éliminer les criminels, tandis qu’il se retrouve face à un détective, L, un génie aux méthodes très différentes.
Ce qui rend Death Note vraiment unique, c’est la tension qui s’installe entre Light et L. Leur duel d’intelligence est fascinant, et chaque décision qu’ils prennent a des conséquences énormes. Le manga soulève des questions profondes sur la justice, le bien et le mal, et la moralité. C’est l’un de ces récits qui vous fait réfléchir tout en vous tenant en haleine.
Les personnages sont extrêmement bien développés, et les rebondissements sont tellement bien pensés qu’on ne voit jamais venir ce qui va se passer. Light, en particulier, est un personnage complexe et son évolution au fur et à mesure de l’histoire est vraiment marquante.
En résumé, Death Note est un manga qui vous prend dans son univers dès les premières pages et ne vous lâche plus. Si vous aimez les récits où le suspense est à son comble et où chaque choix fait réfléchir, alors ce manga est absolument à lire.
Une adaptation bouleversante et empreinte de poésie
Avec Dans la forêt, Lomig offre une adaptation saisissante du roman de Jean Hegland, à la fois fidèle et profondément personnelle. L’histoire de ces deux sœurs, isolées dans une maison en pleine forêt après l’effondrement de la civilisation, est un récit bouleversant sur la survie, l’amour familial et notre lien à la nature.
Au-delà de la tension et des épreuves qu’affrontent les personnages, cette bande dessinée nous invite à réfléchir sur notre mode de vie et sur l’importance de se reconnecter à l’essentiel : la nature, nos racines, et ce qui nous nourrit véritablement. La forêt, omniprésente, devient un personnage à part entière, à la fois protecteur et indifférent, sublimé par les magnifiques dessins en noir et blanc de Lomig.
Le choix graphique, tout en sobriété, renforce l’intensité du récit. Les traits épurés et les jeux d’ombres et de lumières capturent à merveille la beauté et la rudesse de ce retour à l’état sauvage.
Dans la forêt n’est pas seulement une adaptation réussie, c’est une œuvre profondément actuelle, qui nous questionne sur notre rapport à l’écologie, à la modernité et à la résilience humaine. Une lecture puissante, qui reste en tête longtemps après la dernière page.
Passionné d’Histoire et d’archéologie, Nicolas Puzenat prend soin de le préciser au début du livre, « Aux soirs de grande ardeur » est avant tout un récit de fiction qui ne recherche pas l’exactitude historique, et on lui sait gré de cette honnêteté ! Pour cela, il s’est tout de même inspiré des travaux des spécialistes pour raconter cette histoire qui se déroule pendant la révolution néolithique, où l’humanité découvrait l’agriculture et l’élevage, abandonnait le nomadisme pour se sédentariser.
Il sera difficile de ne pas faire le rapprochement avec son diptyque Mégafauna, qui était davantage une uchronie médiévale fantaisiste. Comme pour son prédécesseur, « Aux soirs de grande ardeur » permet à son auteur d’y développer plusieurs thématiques sur la manière dont fonctionne une société humaine, notamment avec sa hiérarchie, ses croyances et ses mythes. De ce point de vue, c’est assez crédible, et l’ouvrage souligne amèrement que le pouvoir a toujours été voué à la corruption et d’abord dans l’intérêt de ceux qui le détiennent avant celui de leurs citoyens.
Mais le récit est aussi une histoire d’amour mettant en scène Manakor, cette jeune servante un peu potelée qui fantasme secrètement sur son maître Kaal, qui, quant à lui, semble totalement indifférent à ses suppliques silencieuses. Sous les conseils toxiques de sa chuchoteuse, qui n’est autre que sa grand-mère, Manakor va devoir faire la part des choses en faisant davantage confiance à sa propre intuition. Car c’est ici l’élément fantastique du récit, une croyance selon laquelle les humains ont tous leur chuchoteur dédié, sorte de fantôme d’un ancêtre ou d’un parent représentant cette petite voix intérieure qui nous est tant familière, mais qui dans le récit apparaît comme négative et illustre bien la façon dont peuvent naître les superstitions. Quant à la « potentielle » histoire d’amour, d’abord à sens unique, elle va évoluer vers une sorte de triangle amoureux, avec l’irruption de la jeune nomade Ferline, amante secrète de Kaal, dès lors que l’incendie de forêt obligera les habitants à quitter la cité.
Et c’est un autre élément qui servira de toile de fond à l’histoire : un énorme incendie qui ravage la forêt environnante et sera le catalyseur d’une quête initiatique pour Kaal et sa servante. On serait bien tenté de faire un rapprochement avec les « mégafeux » qui se manifestent de plus en plus fréquemment dans notre monde actuel — notamment les plus récents qui ont dévasté des quartiers entiers de Los Angeles — en les voyant comme le symptôme d’un bouleversement de la société. Dans le livre, c’est le nomadisme qui se confronte à la sédentarisation (on peut juste supposer que l’incendie est un acte malveillant de la part de ceux qui désapprouvent l’arrivée du progrès puisque cela n’est pas dit explicitement) pour déboucher sur l’ère néolithique. Dans notre réalité, les effets du changement climatique menaçant de plus en plus le confort de nos sociétés, pour déboucher sur... l'avenir reste trop indécis pour le dire. Mais ne nous égarons pas…
Le dessin de Nicolas Puzenat reste toujours aussi fouillé, avec force détails sur l’architecture, les outils, les armes et les parures en usage il y 10 000 ans. On apprécie beaucoup son côté « artisanal », antithèse d’un certain académisme un peu lisse que l’on vérifie souvent dans la bande dessinée, qui amène beaucoup de fraîcheur à la narration. On relèvera également l’effort sur la mise en couleur, en particulier dans la représentation des paysages forestiers, indifférents et pourtant fragiles face à la menace du feu.
Si la narration est peut-être un peu moins prenante que Mégafauna, elle reste plutôt bien menée, sous la loupe du conteur qu’est Nicolas Puzenat. La conclusion arrive comme une ode à la liberté, après un parcours semé d'embuches et non des moindres, où l’on découvrira une Manakor littéralement transfigurée, résultat d’une quête initiatique accomplie.
Comment est-il possible que le citoyen Allemand moyen ait pu tolérer, accepter, voire encourager les horreurs nazies commises autour d’eux au quotidien ? C’est une question judicieuse dont les historiens et sociologues débattent beaucoup depuis des décennies.
« Irmina » apporte sa pierre à l’édifice de cette réflexion, un début d’explication, une fenêtre sur la vie d’une jeune femme qui a vraiment existé, et dont le destin interpelle. On observe sa lente transformation, son assimilation « malgré elle » au système de pensée nazi. L’autrice réussit à rendre sa vie crédible, sa passivité logique, inévitable… la fin est effectivement juste et touchante, alors que Irmina se retrouve forcée de faire un bilan finalement assez douloureux et rempli de regrets.
La mise en image est magnifique, j’ai pris beaucoup de plaisir à visiter Londres, Oxford, Berlin, et enfin Bridgetown.
Un excellent moment de lecture.
Adaptation quasiment mot pour mot du Podcast éponyme, on y suit le parcours d'Anne Bonny la célèbre pirate qui raconte son histoire au soir de sa vie.
Entre récit fantasmé et envie de décrire le plus fidèlement possible l'aventure d'une femme (dans toute sa complexité).
Le dessin est dynamique et trés agréable dans l'ensemble, même s'il manque un peu d'iconisation des personnage. Mais c'est aussi dû a une certaine faiblesse du scénario. En effet on ne connait pas le destin d'Anne Bonny après son procès (mort, évasion, survie ?), et finalement sa période de piraterie a été de courte durée. Et c'est la force est la faiblesse du livre : force pour son ancrage historique et faiblesse pour son manque d'épique.
Mais l'ensemble a marché sur moi, même pour l'intervention des historiens que j'ai trouvé intéressante (bien qu'il manque une conclusion à celle ci), permettant de prendre du recul sur le récit et de le remettre ne perspective.
Il aurait utilisé quelque chose de plus ingénieux, de plus complexe…
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Ce tome est le premier d’un diptyque de la reprise d’une série Bruce J. Hawker créée par William Vance en 1976, comprenant sept tomes parus de 1979 à 1987. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, et par Carlos Puerta pour le dessin et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée.
Dans la forêt de Chizé, Haut-Poitou, dans la nuit du douze octobre 1307 : un groupe de templiers a établi son campement pour la nuit, certains sont encore sur leur monture. Aymeric, un cavalier, s’adresse à un autre pour lui indiquer qu’ils doivent prendre la mer avant le lever du jour, et lui demandant s’il est certain que frère Hughes va bien les rejoindre. L’autre lui enjoint de garder la foi, ils ont encore du temps, le crépuscule vient à peine de tomber, et il est certain que le frère a lui aussi pris la fuite. Il continue : Le Seigneur ne les abandonnera pas, Il guide les pas de Hughes de Chalons jusqu’à eux. En effet, un soldat vient leur annoncer que frère Hughes approche avec trois charrettes recouvertes de paille. Chaque cavalier revêt un lourd manteau informe pour cacher leur blason. Il ne faut pas qu’ils risquent d’être découverts une fois hors de cette forêt. Ils continuent d’échanger des consignes et des informations. Ils doivent gagner le port de la Rochelle, là où leurs nefs les attendent. Ils se demandent si frère Jean saura garder le secret, tout en étant sûrs qu’il sera supplicié. C’est le sort réservé par Guillaume de Nogaret à beaucoup de leurs frères. Le roi les accuse d’idolâtrie et de sodomie. Philippe le Bel ne veut pas seulement l’anéantissement de leur ordre, il veut aussi leur mort. Alors qu’ils arrivent au port, deux dockers identifient le maître précepteur, et il en déduit que les charrettes sont chargées du trésor du visiteur général. Les templiers sont prêts à prendre la mer les coffres remplis d’argent, avec les archives et les artefacts ramenés de Terre sainte placés dans la cale, et les cartes vikings.
Vendredi treize octobre 1307, sur l'île aux Juifs, à Paris, tous les templiers de France sont arrêtés sur ordre du roi Philippe IV. Dix-huit mars 1314, Jacques de Molay est exécuté, sur un bûcher dressé et il prononce sa malédiction. Le vingt-huit août 1803, dans la baie de Gibraltar, mister Dunn explique l’origine mythologique de cette formation à Bruce J. Hawker : Merlqart est l’équivalent d’Hercule pour les phéniciens, dans les légendes il aurait brisé les chaînes de l’isthme et percé une brèche divine dans la masse montagneuse mariant ainsi les eaux de l’océan et celles de la Méditerranée. Hawker le remercie et se félicite d’avoir à son bord en qualité de second quelqu’un d’aussi érudit. Il regrette de ne pas en dire autant de ce jeune loup des Royal Marines, le lieutenant Lowe. Il n’a jamais trop apprécié les soldats d’infanterie blanchis à la terre à pipe, car ils ne voient guère plus loin que la pointe de leur baïonnette. Dunn ironise que le lieutenant sait bien pourquoi ils ont des marines à bord : car les chèvres sortiraient trop facilement du lot. Hawker monte dans le canot qui doit l’amener à bord du Victory où il est attendu par l’amiral Nelson.
Un exercice délicat : la reprise d’une série qui a laissé une empreinte dans la mémoire collective, majoritairement du fait de l’implication de son créateur et auteur, de sa personnalité. En entamant ce tome, l’horizon d’attente du lecteur comprend une aventure maritime, un personnage principal droit dans ses bottes, sans beaucoup de personnalités, et bien sûr des références aux aventures originales. Les auteurs répondent à ces attentes. Bruce J. Hawker est égal à lui-même : un beau jeune homme, bien fait de sa personne, à la silhouette un peu guindée, avec une chevelure fournie blond platine. Au détour d’une discussion, un marin du Lark mentionne l’âge du lieutenant : vingt-trois ans, ce qui correspond à la création de William Vance. Il est fait mention des aventures des deux premiers albums : la mission du Lark sous les ordres de Hawker, et même l’anecdote selon laquelle il aurait sauvé la vie de l’amiral Nelson. Celle-ci est évoquée par l’amiral directement avec Hawker, avec une certaine froideur. Au cœur des aventures originales se trouvaient la nationalité du héros et sa qualité de militaire. Le lecteur retrouve ces caractéristiques au début du récit elles revêtent moins d’importance dans la deuxième moitié de ce tome. Enfin, il retrouve la responsabilité de commander un navire britannique, soumis aux conséquences de croiser un bâtiment ennemi. Indéniablement les auteurs ont lu les récits de William et veillent à en respecter l’esprit.
En fonction de sa sensibilité, le lecteur attend peut-être une forme d’intrigue plutôt qu’une autre. Le scénariste a choisi de faire partir le héros depuis Gibraltar, et de l’envoyer vers le nouveau monde. En cela, il s’écarte du schéma des sept tomes précédents, tout en conservant le principe que Bruce J. Hawker que la responsabilité militaire d’un navire le place dans des situations périlleuses et il assume pleinement les responsabilités de sa charge, recourant à la violence comme à la discussion. La dynamique de l’intrigue repose sur la recherche d’un trésor. L’auteur se sert du mythe du trésor des templiers, et des différentes hypothèses historiques. Il évoque en trois cases autant de faits historiques : le départ de la flotte des templiers, l’arrestation des templiers, l’exécution de Jacques de Molay (1244/49-1314) vingt-troisième et dernier maître de l’ordre du Temple, sans mention explicative, en tenant ces faits comme connus du lecteur. En fonction des événements historiques, il les mentionne comme connus de tout le monde, ou il les complète d’une brève mention. Le lecteur voit ainsi Horatio Nelson (1758-1805) le temps d’une scène, Jacques de Molay le temps d’une case, et Félicité de Lannion (1745–1830), comtesse de la Rochefoucauld joue un rôle important dans le récit (reprenant ainsi l’habitude d’avoir un personnage féminin fort). Enfin, le scénariste reprend l’hypothèse des voyages de Le chevalier Henri Sinclair (1355-1404).
Le lecteur peut être familier de la personnalité graphique de l’artiste avec ses précédentes séries, comme Baron Rouge (trois tomes, 2012-2013-2015) avec Pierre Veys, Maudit sois-tu (trois tomes, 2019-2021-2022) avec Philippe Pelaez, Jules Verne et l’astrolabe d’Uranie (deux tomes, 2016-2017) avec Gil Esther. La première planche s’avère très caractéristique de son approche : une mise en couleurs très sophistiquée, apportant une sensation de rendu photographique pour certains éléments, ou relevant d’une impression donnée par un camaïeu. Dans la première catégorie, le rendu s’avère saisissant quand il reproduit à la perfection la texture de la roche pour Gibraltar, les vaguelettes de la mer, ou encore les brins d’herbe dans une vaste étendue verdoyante. Dans la deuxième catégorie, il réussit à donner l’impression d’un ciel de tempête avec un camaïeu de gris et de fines zébrures, des habits dégoutant d’eau dans la tempête par un jeu de bleus, une terre à l’horizon par des formes vertes indistinctes, ou encore une feuillage vert tel que le lecteur peut s’imaginer en avoir la perception dans le lointain. L’artiste joue de la même manière avec la façon de représenter les visages, en rendu quasi photographique, ou une approche plus classique avec trait de contour, hachure et mise en couleur. Il est possible que le lecteur ait besoin de disposer d’un temps d’adaptation pour accepter ces fluctuations au sein d’une même page. Pour autant, la maîtrise graphique a tôt fait de l’enthousiasmer en mariant ainsi des descriptions d’un rare réalisme avec des ambiances relevant plus des sensations.
Le lecteur se sent vite emmené aux côtés de Bruce J. Hawker dans une vraie aventure, plausible, avec des moments attendus (bataille maritime, emprisonnement à fond de cale, recherche d’un trésor, tempête en plein océan), avec un enjeu de taille dans un contexte historique nourri et développé. Il fait l’expérience de deux créateurs en phase, au point de ne faire qu’un, avec des moments mémorables : la première apparition du navire avec ses voiles blanches ornées de croix rouges, le médecin préparant ses instruments dans le pont inférieur, les canons crachant le feu, le navire bringuebalé par les vagues immenses, le feu de Saint Elme, un navire vu du ciel à la verticale, la végétation luxuriante, la découverte de la forme artificielle d’un marais, le ciel nocturne embrasé par les fusées volantes, etc. Il se rend compte que la narration présente une densité élevée : à la fois par le volume d’informations contenues dans les dialogues, et au cours d’une ou deux explications plus longues, à la fois par les éléments visuels. Parfois, il lui semble que le scénariste tient à rentrer dans le détail, afin de rester concret et plausible, qualité qui se propage aux éléments fictionnels. Le dessinateur en fait de même de son côté. Cela peut avoir pour effet d’amoindrir la dimension spectaculaire de certaines moments (par exemple la découverte des restes de la charpente d’un navire enterré, qui n’est que le résultat de jours et de semaine du dur labeur de pelletage). À d’autres moments, cela rehausse un événement, comme la découverte de la fuite nocturne des prisonniers anglais.
La promesse de découvrir un héros emblématique d’une série, ou de le retrouver, dans une interprétation différente par de nouveaux créateurs : un pari à double tranchant, entre la certitude de ne pas faire aussi bien que l’équipe originelle, et l’obligation de reprendre les éléments caractérisant la série. Bec & Puerta remplissent cette seconde condition : la beauté et la froideur de Bruce J. Hawker, des scènes de mer, une dynamique conflictuelle entre Anglais et leurs ennemis de l’époque, un ancrage dans une époque historique. L’artiste se montre aussi ambitieux que William Vance, tout en conservant ses propres caractéristiques visuelles, peut-être en deçà pour rendre l’océan vivant, peut-être plus convaincantes pour le réalisme. Le scénariste intègre et cite des éléments des précédentes aventures, tout en emmenant le personnage plus loin qu’il n’a jamais navigué. Une histoire solide pour elle-même, respectant les conventions de l’hommage, tout en prenant des libertés. Un beau voyage exploratoire.
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Rosalie Blum
J'arrive un peu après la bataille, mais j'ai beaucoup aimé cet album où j'ai retrouvé les qualités de "Juliette, les fantômes reviennent au printemps"' C'est l'histoire d'un coiffeur qui se met à suivre dans la rue une épicière... A partir de ce pitch de quinzaine commerciale, tout l'univers des deux personnages va se mettre en place devant nous, et les incapacités des uns associées à l'oisiveté des autres va finir par faire une belle histoire d'amour éclairée par un ancien fait divers. Pour résumer : Des personnages et des paysages péri-urbains qui semblent sortir de notre quotidien. Un humour délicat ou les aléas du désir restent souvent en toile de fond. Un dessin entre Sempé, Davodeau et Bernadette Després (Tom-Tom et Nana), mais avec des couleurs et contrastes plus sensuels et jouisseurs. Bref si on aime cet univers de tous les jours, à la fois bien observé et bien transformé pour nous mettre de bonne humeur et nous émouvoir, il ne faut pas hésiter.
Coboye
Cet album mérite d'être dans toutes les bibliothèques et dans toutes les familles. C'est le décalage entre les aventures réelles de la petite Cécile autour de sa maison et le récit qu'elle en fait, avec sa mère en shérif, et elle en "coboye", qui fait le sel du volume. Un dessin charnu et coloré prend presque toute la place, et cette voix off, pas du tout bavarde (2 phrases max à chaque page ou double-page : une au début, une à la fin) qui crée le décalage. Un dispositif simple et efficace qui nous rend le personnage attachant, et installe Cécile dans son rôle de fillette entreprenante, inventive et joufflue. Un cadeau qui marchera je pense pour tout enfant, de n'importe quel âge. A lire avec eux sur les genoux pour ceux qui ne savent pas encore lire, pourquoi pas même apprendre à lire dessus ?
Pluto
Pluto est une œuvre magistrale qui réinvente l’univers d’Osamu Tezuka d’une manière brillante et émotive. Inspiré de l’arc “Le Robot le Plus Fort du Monde” d’Astro Boy, ce manga prend un tournant sombre et profond, en explorant des thèmes de l’humanité, de la conscience et de la justice à travers les yeux des robots et des humains. L’histoire suit Gesicht, un détective robot, qui enquête sur une série de meurtres mystérieux impliquant des robots influents. Peu à peu, il découvre que ces meurtres sont liés à des événements plus vastes, mettant en jeu la nature même de ce que signifie être vivant. Ce manga m’a beaucoup fait penser à l’univers du jeu Detroit: Become Human, notamment au personnage de Connor, le détective androïde. Comme Gesicht, Connor est un robot qui cherche à comprendre son rôle dans un monde où les humains commencent à douter de la véritable nature des machines. Dans Pluto, tout comme dans Detroit: Become Human, on explore cette frontière floue entre l’humain et le robot, et la quête de conscience et d’identité des machines. Les dilemmes moraux de ces personnages, qui cherchent à comprendre leur place dans le monde, sont un thème central des deux œuvres. L’un des points forts de Pluto est la manière dont Urasawa parvient à donner de la profondeur à ses personnages, notamment les robots, qui sont loin d’être de simples machines. Ils sont traités avec humanité, et leurs dilemmes existentiels ajoutent une richesse émotionnelle rare dans les récits de science-fiction. Les thèmes de la conscience, de la souffrance et de la perte sont explorés avec beaucoup de subtilité et de sensibilité. Le dessin est d’une grande finesse, avec des scènes d’action intenses et des moments très touchants. L’univers créé par Urasawa est à la fois futuriste et profondément humain, et chaque chapitre nous immerge un peu plus dans cet univers complexe et fascinant. En résumé, Pluto est un manga qui mélange parfaitement science-fiction, réflexion philosophique et émotion. Si vous aimez les récits intelligents, profonds et bouleversants, ce manga est un incontournable, même si certains aspects peuvent paraître un peu trop lents par moments.
Gunnm
Gunnm est un manga qui m’a totalement immergé dès le début. L’histoire suit Gally, une cyborg amnésique retrouvée dans une décharge, qui se réveille sans aucun souvenir de son passé. Alors qu’elle cherche à comprendre qui elle est, elle se découvre des capacités incroyables et se trouve plongée dans un monde brutal où la violence est omniprésente. Ce qui rend Gunnm si captivant, c’est avant tout son personnage principal, Gally. Sa quête d’identité, son évolution et ses combats internes sont traités avec une grande profondeur, ce qui la rend incroyablement attachante. Le manga explore des thèmes puissants comme l’humanité, la rédemption et le sens de la justice, tout en nous plongeant dans un univers cyberpunk fascinant, où la frontière entre l’homme et la machine est floue. Les scènes d’action sont saisissantes, avec des combats intenses et bien dessinés, mais ce qui fait vraiment l’intérêt de l’œuvre, c’est la réflexion qu’elle suscite sur la condition humaine et la violence. Le monde de Gally est impitoyable, et chaque nouveau chapitre nous dévoile un peu plus de sa complexité. En résumé, Gunnm est un manga qui mêle à la fois action palpitante et réflexion sur l’identité et l’humanité. Si vous aimez les récits de science-fiction profonds avec des personnages complexes et un univers riche, ce manga est un incontournable.
Death Note
Death Note est un manga que j’ai dévoré du début à la fin. L’histoire suit Light Yagami, un lycéen brillant qui tombe sur un cahier mystérieux, le Death Note, capable de tuer quiconque y est écrit. Ce pouvoir va totalement transformer sa vie et le pousser à mener une quête pour éliminer les criminels, tandis qu’il se retrouve face à un détective, L, un génie aux méthodes très différentes. Ce qui rend Death Note vraiment unique, c’est la tension qui s’installe entre Light et L. Leur duel d’intelligence est fascinant, et chaque décision qu’ils prennent a des conséquences énormes. Le manga soulève des questions profondes sur la justice, le bien et le mal, et la moralité. C’est l’un de ces récits qui vous fait réfléchir tout en vous tenant en haleine. Les personnages sont extrêmement bien développés, et les rebondissements sont tellement bien pensés qu’on ne voit jamais venir ce qui va se passer. Light, en particulier, est un personnage complexe et son évolution au fur et à mesure de l’histoire est vraiment marquante. En résumé, Death Note est un manga qui vous prend dans son univers dès les premières pages et ne vous lâche plus. Si vous aimez les récits où le suspense est à son comble et où chaque choix fait réfléchir, alors ce manga est absolument à lire.
Dans la forêt - d'après le roman de Jean Hegland
Une adaptation bouleversante et empreinte de poésie Avec Dans la forêt, Lomig offre une adaptation saisissante du roman de Jean Hegland, à la fois fidèle et profondément personnelle. L’histoire de ces deux sœurs, isolées dans une maison en pleine forêt après l’effondrement de la civilisation, est un récit bouleversant sur la survie, l’amour familial et notre lien à la nature. Au-delà de la tension et des épreuves qu’affrontent les personnages, cette bande dessinée nous invite à réfléchir sur notre mode de vie et sur l’importance de se reconnecter à l’essentiel : la nature, nos racines, et ce qui nous nourrit véritablement. La forêt, omniprésente, devient un personnage à part entière, à la fois protecteur et indifférent, sublimé par les magnifiques dessins en noir et blanc de Lomig. Le choix graphique, tout en sobriété, renforce l’intensité du récit. Les traits épurés et les jeux d’ombres et de lumières capturent à merveille la beauté et la rudesse de ce retour à l’état sauvage. Dans la forêt n’est pas seulement une adaptation réussie, c’est une œuvre profondément actuelle, qui nous questionne sur notre rapport à l’écologie, à la modernité et à la résilience humaine. Une lecture puissante, qui reste en tête longtemps après la dernière page.
Aux soirs de grande ardeur
Passionné d’Histoire et d’archéologie, Nicolas Puzenat prend soin de le préciser au début du livre, « Aux soirs de grande ardeur » est avant tout un récit de fiction qui ne recherche pas l’exactitude historique, et on lui sait gré de cette honnêteté ! Pour cela, il s’est tout de même inspiré des travaux des spécialistes pour raconter cette histoire qui se déroule pendant la révolution néolithique, où l’humanité découvrait l’agriculture et l’élevage, abandonnait le nomadisme pour se sédentariser. Il sera difficile de ne pas faire le rapprochement avec son diptyque Mégafauna, qui était davantage une uchronie médiévale fantaisiste. Comme pour son prédécesseur, « Aux soirs de grande ardeur » permet à son auteur d’y développer plusieurs thématiques sur la manière dont fonctionne une société humaine, notamment avec sa hiérarchie, ses croyances et ses mythes. De ce point de vue, c’est assez crédible, et l’ouvrage souligne amèrement que le pouvoir a toujours été voué à la corruption et d’abord dans l’intérêt de ceux qui le détiennent avant celui de leurs citoyens. Mais le récit est aussi une histoire d’amour mettant en scène Manakor, cette jeune servante un peu potelée qui fantasme secrètement sur son maître Kaal, qui, quant à lui, semble totalement indifférent à ses suppliques silencieuses. Sous les conseils toxiques de sa chuchoteuse, qui n’est autre que sa grand-mère, Manakor va devoir faire la part des choses en faisant davantage confiance à sa propre intuition. Car c’est ici l’élément fantastique du récit, une croyance selon laquelle les humains ont tous leur chuchoteur dédié, sorte de fantôme d’un ancêtre ou d’un parent représentant cette petite voix intérieure qui nous est tant familière, mais qui dans le récit apparaît comme négative et illustre bien la façon dont peuvent naître les superstitions. Quant à la « potentielle » histoire d’amour, d’abord à sens unique, elle va évoluer vers une sorte de triangle amoureux, avec l’irruption de la jeune nomade Ferline, amante secrète de Kaal, dès lors que l’incendie de forêt obligera les habitants à quitter la cité. Et c’est un autre élément qui servira de toile de fond à l’histoire : un énorme incendie qui ravage la forêt environnante et sera le catalyseur d’une quête initiatique pour Kaal et sa servante. On serait bien tenté de faire un rapprochement avec les « mégafeux » qui se manifestent de plus en plus fréquemment dans notre monde actuel — notamment les plus récents qui ont dévasté des quartiers entiers de Los Angeles — en les voyant comme le symptôme d’un bouleversement de la société. Dans le livre, c’est le nomadisme qui se confronte à la sédentarisation (on peut juste supposer que l’incendie est un acte malveillant de la part de ceux qui désapprouvent l’arrivée du progrès puisque cela n’est pas dit explicitement) pour déboucher sur l’ère néolithique. Dans notre réalité, les effets du changement climatique menaçant de plus en plus le confort de nos sociétés, pour déboucher sur... l'avenir reste trop indécis pour le dire. Mais ne nous égarons pas… Le dessin de Nicolas Puzenat reste toujours aussi fouillé, avec force détails sur l’architecture, les outils, les armes et les parures en usage il y 10 000 ans. On apprécie beaucoup son côté « artisanal », antithèse d’un certain académisme un peu lisse que l’on vérifie souvent dans la bande dessinée, qui amène beaucoup de fraîcheur à la narration. On relèvera également l’effort sur la mise en couleur, en particulier dans la représentation des paysages forestiers, indifférents et pourtant fragiles face à la menace du feu. Si la narration est peut-être un peu moins prenante que Mégafauna, elle reste plutôt bien menée, sous la loupe du conteur qu’est Nicolas Puzenat. La conclusion arrive comme une ode à la liberté, après un parcours semé d'embuches et non des moindres, où l’on découvrira une Manakor littéralement transfigurée, résultat d’une quête initiatique accomplie.
Irmina
Comment est-il possible que le citoyen Allemand moyen ait pu tolérer, accepter, voire encourager les horreurs nazies commises autour d’eux au quotidien ? C’est une question judicieuse dont les historiens et sociologues débattent beaucoup depuis des décennies. « Irmina » apporte sa pierre à l’édifice de cette réflexion, un début d’explication, une fenêtre sur la vie d’une jeune femme qui a vraiment existé, et dont le destin interpelle. On observe sa lente transformation, son assimilation « malgré elle » au système de pensée nazi. L’autrice réussit à rendre sa vie crédible, sa passivité logique, inévitable… la fin est effectivement juste et touchante, alors que Irmina se retrouve forcée de faire un bilan finalement assez douloureux et rempli de regrets. La mise en image est magnifique, j’ai pris beaucoup de plaisir à visiter Londres, Oxford, Berlin, et enfin Bridgetown. Un excellent moment de lecture.
La Dernière Nuit d'Anne Bonny
Adaptation quasiment mot pour mot du Podcast éponyme, on y suit le parcours d'Anne Bonny la célèbre pirate qui raconte son histoire au soir de sa vie. Entre récit fantasmé et envie de décrire le plus fidèlement possible l'aventure d'une femme (dans toute sa complexité). Le dessin est dynamique et trés agréable dans l'ensemble, même s'il manque un peu d'iconisation des personnage. Mais c'est aussi dû a une certaine faiblesse du scénario. En effet on ne connait pas le destin d'Anne Bonny après son procès (mort, évasion, survie ?), et finalement sa période de piraterie a été de courte durée. Et c'est la force est la faiblesse du livre : force pour son ancrage historique et faiblesse pour son manque d'épique. Mais l'ensemble a marché sur moi, même pour l'intervention des historiens que j'ai trouvé intéressante (bien qu'il manque une conclusion à celle ci), permettant de prendre du recul sur le récit et de le remettre ne perspective.
Les Nouvelles Aventures de Bruce J. Hawker
Il aurait utilisé quelque chose de plus ingénieux, de plus complexe… - Ce tome est le premier d’un diptyque de la reprise d’une série Bruce J. Hawker créée par William Vance en 1976, comprenant sept tomes parus de 1979 à 1987. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, et par Carlos Puerta pour le dessin et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Dans la forêt de Chizé, Haut-Poitou, dans la nuit du douze octobre 1307 : un groupe de templiers a établi son campement pour la nuit, certains sont encore sur leur monture. Aymeric, un cavalier, s’adresse à un autre pour lui indiquer qu’ils doivent prendre la mer avant le lever du jour, et lui demandant s’il est certain que frère Hughes va bien les rejoindre. L’autre lui enjoint de garder la foi, ils ont encore du temps, le crépuscule vient à peine de tomber, et il est certain que le frère a lui aussi pris la fuite. Il continue : Le Seigneur ne les abandonnera pas, Il guide les pas de Hughes de Chalons jusqu’à eux. En effet, un soldat vient leur annoncer que frère Hughes approche avec trois charrettes recouvertes de paille. Chaque cavalier revêt un lourd manteau informe pour cacher leur blason. Il ne faut pas qu’ils risquent d’être découverts une fois hors de cette forêt. Ils continuent d’échanger des consignes et des informations. Ils doivent gagner le port de la Rochelle, là où leurs nefs les attendent. Ils se demandent si frère Jean saura garder le secret, tout en étant sûrs qu’il sera supplicié. C’est le sort réservé par Guillaume de Nogaret à beaucoup de leurs frères. Le roi les accuse d’idolâtrie et de sodomie. Philippe le Bel ne veut pas seulement l’anéantissement de leur ordre, il veut aussi leur mort. Alors qu’ils arrivent au port, deux dockers identifient le maître précepteur, et il en déduit que les charrettes sont chargées du trésor du visiteur général. Les templiers sont prêts à prendre la mer les coffres remplis d’argent, avec les archives et les artefacts ramenés de Terre sainte placés dans la cale, et les cartes vikings. Vendredi treize octobre 1307, sur l'île aux Juifs, à Paris, tous les templiers de France sont arrêtés sur ordre du roi Philippe IV. Dix-huit mars 1314, Jacques de Molay est exécuté, sur un bûcher dressé et il prononce sa malédiction. Le vingt-huit août 1803, dans la baie de Gibraltar, mister Dunn explique l’origine mythologique de cette formation à Bruce J. Hawker : Merlqart est l’équivalent d’Hercule pour les phéniciens, dans les légendes il aurait brisé les chaînes de l’isthme et percé une brèche divine dans la masse montagneuse mariant ainsi les eaux de l’océan et celles de la Méditerranée. Hawker le remercie et se félicite d’avoir à son bord en qualité de second quelqu’un d’aussi érudit. Il regrette de ne pas en dire autant de ce jeune loup des Royal Marines, le lieutenant Lowe. Il n’a jamais trop apprécié les soldats d’infanterie blanchis à la terre à pipe, car ils ne voient guère plus loin que la pointe de leur baïonnette. Dunn ironise que le lieutenant sait bien pourquoi ils ont des marines à bord : car les chèvres sortiraient trop facilement du lot. Hawker monte dans le canot qui doit l’amener à bord du Victory où il est attendu par l’amiral Nelson. Un exercice délicat : la reprise d’une série qui a laissé une empreinte dans la mémoire collective, majoritairement du fait de l’implication de son créateur et auteur, de sa personnalité. En entamant ce tome, l’horizon d’attente du lecteur comprend une aventure maritime, un personnage principal droit dans ses bottes, sans beaucoup de personnalités, et bien sûr des références aux aventures originales. Les auteurs répondent à ces attentes. Bruce J. Hawker est égal à lui-même : un beau jeune homme, bien fait de sa personne, à la silhouette un peu guindée, avec une chevelure fournie blond platine. Au détour d’une discussion, un marin du Lark mentionne l’âge du lieutenant : vingt-trois ans, ce qui correspond à la création de William Vance. Il est fait mention des aventures des deux premiers albums : la mission du Lark sous les ordres de Hawker, et même l’anecdote selon laquelle il aurait sauvé la vie de l’amiral Nelson. Celle-ci est évoquée par l’amiral directement avec Hawker, avec une certaine froideur. Au cœur des aventures originales se trouvaient la nationalité du héros et sa qualité de militaire. Le lecteur retrouve ces caractéristiques au début du récit elles revêtent moins d’importance dans la deuxième moitié de ce tome. Enfin, il retrouve la responsabilité de commander un navire britannique, soumis aux conséquences de croiser un bâtiment ennemi. Indéniablement les auteurs ont lu les récits de William et veillent à en respecter l’esprit. En fonction de sa sensibilité, le lecteur attend peut-être une forme d’intrigue plutôt qu’une autre. Le scénariste a choisi de faire partir le héros depuis Gibraltar, et de l’envoyer vers le nouveau monde. En cela, il s’écarte du schéma des sept tomes précédents, tout en conservant le principe que Bruce J. Hawker que la responsabilité militaire d’un navire le place dans des situations périlleuses et il assume pleinement les responsabilités de sa charge, recourant à la violence comme à la discussion. La dynamique de l’intrigue repose sur la recherche d’un trésor. L’auteur se sert du mythe du trésor des templiers, et des différentes hypothèses historiques. Il évoque en trois cases autant de faits historiques : le départ de la flotte des templiers, l’arrestation des templiers, l’exécution de Jacques de Molay (1244/49-1314) vingt-troisième et dernier maître de l’ordre du Temple, sans mention explicative, en tenant ces faits comme connus du lecteur. En fonction des événements historiques, il les mentionne comme connus de tout le monde, ou il les complète d’une brève mention. Le lecteur voit ainsi Horatio Nelson (1758-1805) le temps d’une scène, Jacques de Molay le temps d’une case, et Félicité de Lannion (1745–1830), comtesse de la Rochefoucauld joue un rôle important dans le récit (reprenant ainsi l’habitude d’avoir un personnage féminin fort). Enfin, le scénariste reprend l’hypothèse des voyages de Le chevalier Henri Sinclair (1355-1404). Le lecteur peut être familier de la personnalité graphique de l’artiste avec ses précédentes séries, comme Baron Rouge (trois tomes, 2012-2013-2015) avec Pierre Veys, Maudit sois-tu (trois tomes, 2019-2021-2022) avec Philippe Pelaez, Jules Verne et l’astrolabe d’Uranie (deux tomes, 2016-2017) avec Gil Esther. La première planche s’avère très caractéristique de son approche : une mise en couleurs très sophistiquée, apportant une sensation de rendu photographique pour certains éléments, ou relevant d’une impression donnée par un camaïeu. Dans la première catégorie, le rendu s’avère saisissant quand il reproduit à la perfection la texture de la roche pour Gibraltar, les vaguelettes de la mer, ou encore les brins d’herbe dans une vaste étendue verdoyante. Dans la deuxième catégorie, il réussit à donner l’impression d’un ciel de tempête avec un camaïeu de gris et de fines zébrures, des habits dégoutant d’eau dans la tempête par un jeu de bleus, une terre à l’horizon par des formes vertes indistinctes, ou encore une feuillage vert tel que le lecteur peut s’imaginer en avoir la perception dans le lointain. L’artiste joue de la même manière avec la façon de représenter les visages, en rendu quasi photographique, ou une approche plus classique avec trait de contour, hachure et mise en couleur. Il est possible que le lecteur ait besoin de disposer d’un temps d’adaptation pour accepter ces fluctuations au sein d’une même page. Pour autant, la maîtrise graphique a tôt fait de l’enthousiasmer en mariant ainsi des descriptions d’un rare réalisme avec des ambiances relevant plus des sensations. Le lecteur se sent vite emmené aux côtés de Bruce J. Hawker dans une vraie aventure, plausible, avec des moments attendus (bataille maritime, emprisonnement à fond de cale, recherche d’un trésor, tempête en plein océan), avec un enjeu de taille dans un contexte historique nourri et développé. Il fait l’expérience de deux créateurs en phase, au point de ne faire qu’un, avec des moments mémorables : la première apparition du navire avec ses voiles blanches ornées de croix rouges, le médecin préparant ses instruments dans le pont inférieur, les canons crachant le feu, le navire bringuebalé par les vagues immenses, le feu de Saint Elme, un navire vu du ciel à la verticale, la végétation luxuriante, la découverte de la forme artificielle d’un marais, le ciel nocturne embrasé par les fusées volantes, etc. Il se rend compte que la narration présente une densité élevée : à la fois par le volume d’informations contenues dans les dialogues, et au cours d’une ou deux explications plus longues, à la fois par les éléments visuels. Parfois, il lui semble que le scénariste tient à rentrer dans le détail, afin de rester concret et plausible, qualité qui se propage aux éléments fictionnels. Le dessinateur en fait de même de son côté. Cela peut avoir pour effet d’amoindrir la dimension spectaculaire de certaines moments (par exemple la découverte des restes de la charpente d’un navire enterré, qui n’est que le résultat de jours et de semaine du dur labeur de pelletage). À d’autres moments, cela rehausse un événement, comme la découverte de la fuite nocturne des prisonniers anglais. La promesse de découvrir un héros emblématique d’une série, ou de le retrouver, dans une interprétation différente par de nouveaux créateurs : un pari à double tranchant, entre la certitude de ne pas faire aussi bien que l’équipe originelle, et l’obligation de reprendre les éléments caractérisant la série. Bec & Puerta remplissent cette seconde condition : la beauté et la froideur de Bruce J. Hawker, des scènes de mer, une dynamique conflictuelle entre Anglais et leurs ennemis de l’époque, un ancrage dans une époque historique. L’artiste se montre aussi ambitieux que William Vance, tout en conservant ses propres caractéristiques visuelles, peut-être en deçà pour rendre l’océan vivant, peut-être plus convaincantes pour le réalisme. Le scénariste intègre et cite des éléments des précédentes aventures, tout en emmenant le personnage plus loin qu’il n’a jamais navigué. Une histoire solide pour elle-même, respectant les conventions de l’hommage, tout en prenant des libertés. Un beau voyage exploratoire.