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Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Ar-Men - L'Enfer des enfers
Ar-Men - L'Enfer des enfers

Le marin rêve face à la mer, le gardien de phare face à la terre. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Publié pour la première fois en 2017, il est réalisé par Emmanuel Lepage, scénario, dessins et couleurs. Dans cette édition de 2022, se trouvent un dossier de dix pages, une rédigée par Claude Gendrot sur l'origine du projet, et les autres contenant de somptueuses illustrations préparatoires. À l'école ou au café, Germain a toujours aimé la table du fond, dos au mur, seul dans son coin. Invisible, il écoutait bruisser les autres. Rien ne pouvait l'atteindre, il se sentait en sécurité. Il a choisi de vivre au fond du monde. Par temps clair, il croit apercevoir la silhouette sombre de la pointe du Raz qui s'avance comme une griffe. Au creux d'abers imprécis, les taches blanches des maisons de pécheurs se confondent avec l'écume qui ruisselle le long de falaises labourées d'entailles. Parfois il distingue la tour de la Vieille, qui semble s'arracher à ces tenailles pour gagner le large. À moins que ce soit la masse du phare de Tévennec, le phare maudit où aucun gardien ne veut vivre. Seule maison-phare en pleine mer, Tévennec est vide depuis des décennies, mais les légendes demeurent. Puis à l'ouest, l'île de Sein résiste aux assauts incessants d'une mer jamais tendre. Maigre échine d'une terre que l'on prétend aujourd'hui engloutie. Et puis un chapelet de roches qui court jusqu'à lui : la chaussée. On dit qu'un navigateur qui la traversait sans l'aide d'un bon pilote de l'île ne devrait son salut qu'à un heureux hasard. Pendant des siècles, les navires se sont fracassés sur ses récifs meurtriers, un cimetière. le territoire sacré du Bag Noz, le vaisseau fantôme des légendes bretonnes. À la barre œuvre l'Ankou, le valet de la mort. Au bout de cette basse froide, un fût de vingt-neuf mètres émerge des flots, Ar-Men. Il est le phare le plus exposé et le plus difficile d'accès de Bretagne, c'est-à-dire du monde. On le surnomme l'enfer des enfers. C'est à Ar-Men que Germain s'est posé, adossé à l'océan. Loin de tout conflit, de tout engagement, il est libre. Ici, tout est à sa place… et il est à la sienne. Ce matin, c'est la relève, le pain frais. Pierrick qui est là depuis vingt jours cède sa place à Louis. Dix jours l'un, dix jours avec l'autre. Encore une dizaine pour Germain et il redescendra à Sein, si le temps le permet. Il aimerait parfois qu'on l'oublie là. Il se blottirait dans un coin et ne ferait plus de bruit. Quand Louis monte, ils se saluent à peine. Un bref kenavo à la Velléda, Louis rentre les épaules et dans le phare comme dans une mine. Gardien depuis dix-sept ans, et pourtant il semble surpris chaque fois de l'humidité glacée qui suinte des murs, été comme hiver, accablé de draps rêches, de l'odeur de pétrole qui imprègne tout, et du fracas des vagues. Louis râle. Germain est monté sur la galerie qui fait le tour du fanal au sommet du phare et il se plante sous les rayons du maigre soleil de novembre, à l'abri des lames du vent. Il attend que ça passe. Une fois installé, Louis prépare un repas, steak-frites, et ils écoutent la radio en mangeant : la dissolution de l‘assemblée voulue par le général De Gaulle a eu lieu. Une marine magnifique en couverture, un titre explicite : le lecteur sait qu'il va séjourner dans ce phare construit à l'extrémité de la chaussée de Sein, entre 1867 et 1881, en mer d'Iroise. S'il a rapidement feuilleté la bande dessinée, il a pu découvrir de magnifiques planches rendant hommage à ce phare classé au titre des monuments historiques en 2017. En effet, le récit s'ouvre par une séquence de cinq pages évoquant un survol en hélicoptère, avec des grandes cases mettant en valeur la mer et son bleu unique, l'extrémité dénudée de l'île de Sein, la maison-phare de Tévennec, l'île de Sein dans une belle perspective donnant à la voir dans toute sa longueur, la chaussée à son extrémité, le vol gracieux d'un oiseau de mer, et un dessin en double page avec la mer et ses vaguelettes, ainsi que le phare au loin dans la partie de droite. Dans la postface de Claude Gendrot, le lecteur apprend qu'Emmanuel Lepage a joué son propre rôle dans le documentaire Les gardiens de nos côtes, réalisé par Herlé Jouon en 2017, et qu'il a été déposé sur Ar-Men, en étant hélitreuillé, vraisemblablement l'origine de ladite séquence d'ouverture. Par la suite, le lecteur trouve tous les plans qu'il attend sur le phare et bien d'autres. Page dix, une vue de la mer en plongée depuis la galerie du sommet du phare. Page treize, Germain se tient sur la galerie de nuit, se découpant en ombre chinoise devant la lumière du fanal. Page quatorze, la silhouette du phare est à demi mangée par la brume de nuit. Page vingt-trois, le phare est lui-même réduit à une ombre chinoise dans la nuit, alors que son faisceau la transperce. Page vingt-cinq, c'est une nuée d'oiseaux de mer qui passe de chaque côté de la lanterne. Page vingt-six un nuage chargé de pluie s'abat sur le phare dans une image saisissante, et en vis-à-vis, ce sont des vagues aussi hautes que le phare qui viennent s'écraser dessus. La mer est présente dans presque toutes les pages, l'artiste y transcrivant les changements de texture, de fluidité, de luminosité en fonction des courants, des tempêtes, de l'heure de la journée. C'est un délice visuel du début à la fin grâce à un artiste à l'évidence amoureux de cette mer, dans cette région. Séduit par la promesse de séjourner dans ce phare, surnommé l'enfer des enfers, le lecteur ne s'interroge pas trop sur la nature du récit avant d'entamer la bande dessinée, certainement un séjour de plusieurs jours, voire de plusieurs années, en accompagnant un gardien. Cette portion de son horizon d'attente est bien comblée par l'auteur : séjourner dans le phare au quotidien avec Germain, sa relation avec Louis, à la fois quotidienne, à la fois distante, chacun ayant sa chambre à un étage différent, chacun respectant la volonté de solitude de l'autre. Les cases montrent deux hommes normaux, en bonne santé, sans musculature exagérée, sans dramatisation de leurs gestes ou de leurs humeurs. S'il n'y prête pas attention de prime abord, le lecteur finit par prendre conscience qu'en toute discrétion le dessinateur effectue également une, ou plutôt deux reconstitutions historiques : celle de l'époque du récit, c'est-à-dire 1962, et celle des années de construction du phare. Cela peut se voir dans les tenues vestimentaires, dans les outils et les équipements utilisés, ainsi que dans l'état du phare lui-même et les différents navires. Le lecteur se tient donc aux côtés de Germain et perçoit le phare, ce qu'il représente par ses yeux. Il comprend rapidement que ce personnage a souhaité obtenir cette affection pour jouir du calme qui vient avec l'isolement du phare, la coupure d'avec le monde. En filigrane, il apparaît que d'un côté cet homme a besoin du calme qui vient avec cette vie très réglée dans un espace restreint, celui du phare et le rocher autour, et d'un autre côté il se sent rasséréné par son rôle, assurer le bon fonctionnement de cet équipement pour éviter tout naufrage, et par le besoin d'entretien, de petites tâches de maintenance et de réparation qui ne connaît jamais de fin, qui assure une occupation continue. Il n'y a pas à proprement parler de mystère concernant la jeune fille à qui il raconte la légende de la cité d'Ys le soir, le lecteur ayant tôt fait de comprendre qui elle est et quelle est sa nature. Lorsque Germain lui raconte ladite légende, cela constitue un fil narratif secondaire, venant répondre comme un reflet déformé à la nature du phare. Cela donne lieu à des pages à l'apparence un peu différente, avec une palette de couleurs spécifique pour faire apparaître qu'il s'agit d'un conte, une histoire dans l'histoire. L'engloutissement de la ville agit comme un écho des lames qui viennent recouvrir le phare. La légende a également pour effet d'inscrire le phare dans le folklore breton, la ville d'Ys, mais aussi les marins décédés en mer et l'Ankou. À partir de la page trente-neuf apparaît un troisième fil narratif qui va prendre plus de place, et passer au premier plan à l'occasion de différentes séquences. Germain a découvert le journal de Moïzez, sous une forme originale, jeune homme ayant participé à la construction du phare, et étant devenu un de ses premiers gardiens. À l'opposé d'un artifice narratif pour remplir un quota de pages imposé, ce journal crée à la fois une profondeur de champ, la longue lignée d'hommes ayant officié comme gardiens de phare, et à la fois son origine même, ou plutôt l'histoire de sa construction, une entreprise humaine sortant de l'ordinaire. Moïzez est un orphelin découvert en tant que nourrisson en 1850, roux qui plus est. Il se porte volontaire pour construire le phare, lorsque que l'ingénieur Paul Joly et son chef viennent s'adresser aux îliens pour les informer du projet et requérir leur aide. L'auteur apporte plusieurs éléments historiques relatifs à ladite construction de 1867 à 1881 : la difficulté de travailler sur un rocher recouvert par la mer la plupart du temps, les risques de tempêtes, le travail en milieu humide, etc. Cette composante du récit est vécue au travers des yeux de Moïzez. Le lecteur s'attend à séjourner dans le phare et à ressentir le choc d'énormes vagues venant s'écraser dessus, sur toute sa hauteur, comme il a déjà pu le voir sur des photographies spectaculaires. Il découvre un vrai récit, deux hommes devenus gardien pour jouir de la retraite du monde agité, chacun pour leur raison. Il constate dès la première séquence l'amour de l'artiste pour ce coin du monde, pour le phare et pour la mer perpétuellement en mouvement, dans des planches auxquelles il ne manque que l'odeur de sel. Il découvre une bande dessiné généreuse, évoquant avec émotion la construction du phare d'Ar-Men, et l'inscrivant dans les contes et légendes celtes et bretons. Une œuvre touchante imprégnée par les embruns.

22/07/2024 (modifier)
Couverture de la série Fang
Fang

Un début d’aventure pas des plus consistants mais qui reste sympatoche. Pour l’instant l’histoire reste relativement banale, nous suivrons les péripéties d’une chasseuse de démons. L’originalité vient du cadre et de l’univers qui donnent pas de mal de charme je trouve. Les auteurs nous proposent du médiéval fantastique grandement inspiré de l’Asie (culture et bestiaire). Ça se met en place tout doucement jusqu’au cliffhanger. Ça donne un petit cachet que le graphisme vient entériner. Trait et couleurs participent grandement à l’ambiance et rappelle, par ailleurs, la localisation. C’est franchement agréable en plus d’être détaillé. Malgré le classicisme de l’histoire, j’ai pris plaisir à me plonger dans ce récit. J’ai bien aimé le personnage de Fang. Par contre je m’inquiète un peu … dans l’album lu, il est indiqué un 2eme tome pour juin 2022 !! Puis sur certains sites cet album apparaît à paraître en novembre 2022 ?! On est maintenant en 2024 et toujours rien … ça pue !! La suite n’était pas une priorité mais bien dommage. Une série qui avait du potentiel et des qualités.

22/07/2024 (modifier)
Par Cleck
Note: 2/5
Couverture de la série Nos Mondes perdus
Nos Mondes perdus

Cette BD de Montaigne peine vraiment à trouver son rythme de croisière. Aussi parce que le sujet de celle-ci est mal cerné. Le patriarcat ? Une autobiographie ? La paléontologie ? Comment une société oriente son regard sur les sciences en fonction de ses préoccupations contemporaines ? Il s'agit évidemment de tout cela à la fois, via un mélange longtemps dénué de véritable fil conducteur, au sein d'une vulgarisation scientifique plutôt amusante, mais aussi relativement fastidieuse à lire. Dans mon cas personnel, j'ai hésité à définitivement refermer cette BD durant les 50 premières pages, lues avec une vague curiosité mais sans rire ni sourire aux lèvres. L'inconvénient du style de Montaigne, est que si le propos intéresse modérément (cas du récit autobiographique ouvrant la BD), que le scénario est relativement bancal et les dessins aussi pauvres (même si sympathiques de bonhomie), alors il n'y a plus grand-chose pour retenir l'attention du lecteur. La suite fut heureusement un peu plus convaincante : l'humour notamment fut davantage au rendez-vous et le regard critique sur l'histoire de la paléontologie plus acerbe. Cela reste un rendez-vous manqué et invite une nouvelle fois à interroger le rôle des éditeurs ? À quoi servent-ils s'ils sont incapables de relire, recadrer, structurer et d'imposer des garde-fous aux auteurs ?

22/07/2024 (modifier)
Par jean-bart
Note: 4/5
Couverture de la série Jenny
Jenny

Didgé, G. Van Linthout et Stibane, nous signent une histoire un peu policier sur la protection d'une petite fille avec des papys américains héros de la seconde guerre mondiale durant la bataille des Ardennes, dessiner un Dakota qui s'écrase n'est pas forcément aisé, la bd de 48 pages, édition de 1995, vous entraine dans une histoire digne des hebdomadaires Tintin ou Spirou de l'époque. Bande dessinée édité par G+Editions pour la protection de l'enfance ASBL MARC & CORINNE...

22/07/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 3/5
Couverture de la série Le Lierre et l'Araignée
Le Lierre et l'Araignée

Ma note sera la même que Ro, même si ma première impulsion était de la faire descendre à l'inférieur. Parce que j'avais surtout en tête la lourdeur de la narration et les imperfections du dessin, surtout comparé à d'autres BD sur des sujets similaires. "Le Lierre et l'Araignée" mélange deux époques pour parler de la Seconde Guerre Mondiale en Alsace et du sort spécifique des populations alsaciennes. La BD arrive à montrer la problématique du tiraillement entre l'attachement à une France qui a traité ce territoire en tant que colonie, alors que l'Allemagne nazie ne fait pas mieux. Encore une fois, aucun camp ne semble être le gentil même si l'un est clairement le méchant. Si la BD veut nous montrer cette population dans les premiers temps de la guerre, on voit surtout comment des jeunes vont créer des groupes de résistance locaux, consistant surtout à emmerder l'occupant par des actions symboliques. Cependant cette résistance est vite défaite et la réalité des camps de travail puis de l’enrôlement forcé débarque. Une histoire tragique mais qui arriva à bon nombre d'alsaciens malheureusement. Cela dit, ça reste assez long à lire et un peu fastidieux, l'ensemble n'ayant pas le souffle de Le Voyage de Marcel Grob à mon avis. Le dessin est assez peu clair, notamment, et si les forêts rhénanes (hélas disparues) sont magnifiques, j'ai vite confondu toutes les têtes. C'est peu important dans le récit puisqu'on est sur un groupe et pas un individu, mais c'est assez fastidieux de tout comprendre lorsque les sautes temporelles arrivent. D'autre part, je trouve l'histoire moins maitrisée : on passe du temps sur la vie ordinaire (notamment du grand-père) puis sur la guerre et les conséquences, la résistance mais on a aussi des considérations sur l'écologie qui débarquent. Je pense que le lien existe (et j'en vois un) mais il est assez peu évident de prime abord. Bref, j'ai eu plus de mal à comprendre tout ce que l'auteur voulait englober. C'est riche en informations mais pas forcément intéressant. J'ai fini la BD sans trop de plaisir et je ne pense pas la relire. Pas franchement emballé donc !

22/07/2024 (modifier)
Par Jeïrhk
Note: 4/5
Couverture de la série Mécanique céleste
Mécanique céleste

J'ai été séduit dès les premières pages ! Ma note porte surtout sur le premier tome, car tout comme Ro, je me serais contenté de ce one-shot. Le second tome, que j'ai également apprécié pour son originalité, m'a tout de même un peu perdu par son rythme effréné. J'ai eu un véritable coup de cœur pour le style de dessin et la magnifique colorisation. J'adore le thème post-apocalyptique, et j'ai donc pris plaisir à scruter chaque planche pour tous les petits détails des décors. La gestuelle des personnages m'a particulièrement séduit, on sent vraiment le mouvement. En fait, le dessin à lui seul m'a suffi pour aimer cette BD. Le scénario m'a également conquis, je suis vite rentré dans l'histoire. J'ai aimé l'originalité de la "Mécanique céleste" (balle au prisonnier) qui monte en puissance à chaque cycle. Puis comment ne pas tomber sous le charme d'Aster, à qui on s'attache rapidement grâce à son caractère, son vécue, son style vestimentaire et ses mimiques. Je rejoins Ro sur l'esprit Shonen, ou plutôt dans l'esprit manga en général (shonen, seinen..), qui ne m'a pas déplu. C'est très appréciable de lire un one-shot de ce style, efficace, qui aurait pu s'éterniser en version manga. Les personnages secondaires sont tous attachants, en particulier la bande de pirates que j'ai aimé retrouver dans ce second tome. L'ensemble manque un peu d'explications et de développement pour certains personnages afin de les rendre encore plus attachants (là où effectivement le manga aurait pu apporter un +) , mais pour une série courte comme celle-ci, on ne peut pas être trop exigeant. C'est avant tout une lecture divertissante et un régal pour les yeux !

22/07/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 3/5
Couverture de la série Goldorak
Goldorak

Je n'ai aucun doute que cette BD est un rêve de gosse (et je ne parle pas que de celui des auteurs). Si vous avez vu Goldorak très jeune, cette BD est faite pour vous. Pour ma part, je ne connais strictement rien à Goldorak. Heureusement que le résumé est présent en début d'album ! D'ailleurs la BD est parfaitement lisible même sans information préalable. On sent les citations, les hommages et le travail pour coller à l'univers d'origine, mais globalement la BD est lisible pour un néophyte d'un bout à l'autre (avec quelques détails de recherches en voyant des personnages). La BD propose une histoire prenante, avec la question de l'immigration en ligne rouge mais aussi celle des ressources énergétiques qui ne me semble pas venir de n'importe où. Il y a un véritable histoire, dense et travaillée, sur une trame certes classique mais qui reste efficace. Encore une fois, je peux imaginer que la BD est plus sombre et sérieuse que la série, mais je n'en ai aucune idée. En tout cas, lier Goldorak à la Seconde Guerre mondiale par un effet d'histoire racontée me semble effectivement assez peu probable dans la série d'animation d'origine. Niveau dessin il y a un beau travail, sans doute aussi une volonté de se rapprocher des graphismes d'origines (que je ne connais pas du tout) mais c'est clair et lisible, avec une esthétique moderne et dynamique. A ce niveau-là, aucun reproche : c'est soigné de bout en bout ! Personnellement je suis assez peu investi dans une telle BD et je doute que je l'achèterai un jour. Mais je vois toutes ses qualités et je le répète : vous avez regardé Goldorak ? Foncez !

22/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Freaks of the Heartland
Freaks of the Heartland

Place aux jeunes - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les 6 épisodes initialement parus en 2004, écrits par Steve Niles, dessinés, encrés et mis en couleurs par Greg Ruth qui a également réalisé les couvertures. Il se termine par 6 pages d'études graphiques de Ruth. Quelque part dans une zone rurale des États-Unis, un endroit appelé Gristlewood Valley, au début de vingtième siècle, un enfant sort de la ferme parentale isolée en courant et s'amuse dans les champs. L'adulte qu'il est devenu se souvient et se dit qu'il lui est difficile d'exprimer ce que ces jours pouvaient signifier pour lui à l'époque. Tant de malheurs se sont produits, et tout ça parce qu'ils étaient effrayés, inquiets du passé, terrifiés du futur. Quelle façon de vivre ? le petit garçon s'amuse à tirer sur des ennemis imaginaires avec un faux pistolet. Il regarde le ciel et se rend compte que le soleil est en train de se coucher. Il doit rentrer, mais il a bien profité de ce moment de jeu. Il rentre en passant devant un groupe de pierres tombales, en pensant à l'absence de bruit d'oiseaux, juste le bruit du vent. Ses parents sont déjà attablés, sa mère Marion étant silencieuse, la tête baissée, son père Henry reposant la bouteille sur la table. Trevor Owen va s'assoir en répondant à son père lui reprochant son retard. Il se fait remettre à sa place, et se tait. Sa mère commence une phrase pour le défendre, et son mari se montre menaçant avec sa fourchette. Il se rassoit satisfait du respect craintif qu'il impose. À la fin du repas, il rappelle à Trevor qu'il doit laver son assiette, puis il lui dit qu'il doit aller nourrir son frère. Trevor va prendre la clef accrochée sur le mur de l'entrée, et sort dans le noir, se dirigeant vers la grange. Il passe devant le tas d'ossements dans l'enclos adjacent. Il prend le seau qu'il remplit de nourriture et pénètre dans la grange. Il marque un temps d'arrêt pour allumer la lampe à pétrole. Il arrive enfin devant le corps hypertrophié de son jeune frère, et lui demande comment il va. Will répond que ça va, même s'il a froid et faim. Trevor répond qu'il essaiera de chaparder une couverture supplémentaire quand l'occasion se présentera. Il raconte à son frère qu'il est allé en ville ce jour et qu'il a vu un énorme camion tout neuf, aussi gros qu'un tracteur, d'un rouge vif. Il pense qu'il venait d'un endroit à l'extérieur de la vallée. Will demande si Trevor pense qu'à l'extérieur de la vallée c'est rouge, et ajoute qu'il a encore faim. Son frère lui répond que non, c'est le camion qui était rouge, et il pense que Will mange beaucoup pour un garçonnet de six ans. Il ajoute que parfois il voit des images dans sa tête qu'il ne peut pas expliquer, Will ajoute que c'est comme lui. Trevor indique que non, il n'est pas comme lui, que c'est Will qui n'est pas bien dans sa tête. Ce dernier lui attrape la cheville pour chahuter, Trevor parvient à se dégager, et Will est arrêté net dans son élan pour le rattraper, étant arrivé au bout de la longueur de la chaîne attachée par un collier autour de son cou. La voix du père retentit, sommant Trevor de revenir dans la maison. Il s'exécute, tout en indiquant à son frère qu'il reviendra pendant la nuit pour qu'ils fassent un tour dehors. Au fil des années, Steve Niles est devenu le maître des récits d'horreur au rythme rapide, et à la trame simple. Il a acquis sa notoriété avec la série 30 jours de nuit, créée avec Ben Templesmith. Greg Ruth quant à lui a illustré plusieurs épisodes de la série Conan, écrite par Kurt Busiek. Il a la lourde tâche d'apporter de la consistance au scénario. En effet, l'écriture de Niles repose sur la création d'une situation à la dynamique simple, filée de manière linéaire, laissant beaucoup de place à l'artiste, ou faisant reposer une grande partie de l'histoire sur ses épaules. En l'occurrence, le jeune Trevor, pas encore un adolescent vit dans une ferme isolée, dans une région rurale des États-Unis sous la coupe d'un père abusif, et d'une mère soumise, par la force des choses. Son jeune frère est affligé d'une maladie d'origine inconnue qui a accéléré la croissance de son corps, mais pas celle de son esprit. Il est donc tenu à l'écart dans la grange et enchaîné. L'histoire raconte comment Trevor décide de s'enfuir avec son frère, et ce qu'ils découvrent dans les fermes avoisinantes, avec les efforts déployés par les adultes pour les rattraper et les abattre comme des animaux nuisibles. Et voilà. D'une certaine manière, il n'y a pas de quoi en faire 6 épisodes, sauf à décompresser la narration : il y a donc intérêt à ce que les dessins apportent quelque chose, et ne soient pas juste fonctionnels. L'artiste détoure les formes en s'attachant plus à l'impression globale qu'à la précision du contour, ou au niveau de détail. Pour autant, dès la première page, le lecteur est transporté dans cette Amérique rurale, industrialisée, tout en paraissant surannée, les champs lui donnant une allure immuable. La page donne la sensation d'un environnement très concret, avec des couleurs typiques, c'est-à-dire la couleur des blés, par une journée un peu couverte. La mise en couleurs apporte donc texture, relief et ambiance lumineuse. Au fil des séquences, la mise en peinture apporte la texture et la couleur des blés, la pénombre de la nuit alors que le soleil vient juste de se coucher, et qu'il ne reste plus qu'une faible luminosité, mais pas de couleurs, la faible luminosité apportée par une lampe à pétrole, l'incandescence d'un crachat de flammes, la grisaille d'un jour incertain. L'artiste ne se sert pas de la couleur pour détourer des formes, mais pour apporter des impressions données par le ciel ou la nature du terrain, tout en respectant le détourage réalisé à l'encre. Il joue également sur les niveaux de noir, avec des zones encrées d'un noir profond et régulier, et d'autres zones peintes en noir, avec des variations d'intensité. Cela apporte une forte solidité aux dessins, un poids à chaque case, et des degrés de noirceur, parfois pour des ténèbres évoquant la violence et la méchanceté, d'autres fois plutôt une couleur rassurante, évoquant le fait que les enfants ont plutôt confiance a priori, même si le lecteur comprend bien que l'obscurité peut être aussi bien favorable qu'angoissante. Les traits de contour sont souvent très fins, un peu irréguliers comme s'ils étaient mal assurés, mais sans jamais donner l'impression d'être rigide. La sensation de se trouver dans chaque lieu incite le lecteur à prendre du temps pour détailler les éléments représentés. Il se rend vite compte que ces dessins n'ont pas été conçus pour être lus ainsi. D'un côté, il reconnaît immédiatement chaque forme représentée, de l'autre s'il s'y attarde un peu, il se rend compte que la représentation peut être un peu naïve, ou un peu superficielle. Ce n'est qu'avec la combinaison de la couleur que chaque case devient une image complète avec une impressionnante force d'évocation. Il en va de même pour les personnages : s'il s'attarde un peu trop sur une silhouette, un visage, ou même la morphologie exacte de Will, le lecteur va se mettre à chipoter sur une proportion ou une cohérence d'une page à une autre. En revanche, s'il reste au niveau de l'impression globale, il ressent de l'empathie pour le caractère très sain de Trevor, pour l'envie de vivre de Will, pour l'accablement de Marion incapable de tenir tête à son époux, pour la colère de ce dernier. Le lecteur prend plaisir à accompagner Trevor et son frère Will dans leur recherche de liberté. Il ne s'attarde pas trop sur le mystère de découvrir ce qui a provoqué la déformité de Will, ne sachant pas si l'auteur en donnera la raison, mais ressentant bien que cela n'a pas d'importance significative pour l'histoire. Il voit bien que Niles maintient son point d'équilibre instable entre une histoire qui est presque un reportage en temps réel, et un conte. D'un côté, Trevor et Will ont conscience qu'ils vont devoir trouver à manger, à s'abriter. D'e l'autre côté, la réaction des pères de famille est assez monolithique, sans réelle opposition, l'atmosphère de ville isolée relève du cliché de genre. Enfin le scénariste sort un ou deux rebondissements de son chapeau (le feu craché par Will) sans aucune explication, sans aucune consistance, car il n'en est plus jamais question. Dans le même temps, la narration visuelle apporte effectivement une consistance palpable à cette ambiance horrifique, ce qui est indispensable pour que la trame de Niles évolue en un récit consistant. Grâce à Greg Ruth, le lecteur s'immerge effectivement dans un environnement où l'horreur devient palpable : la maltraitance générée par l'autoritarisme de Henry Owen, la souffrance émotionnelle de Trevor qui voit son petit frère enchaîné, la haine des adultes envers les monstres, etc. le récit devient alors une parabole poignante sur les souffrances que les adultes infligent aux enfants, sur leur peur de leur progéniture qui vient perturber leur chemin de vie tout tracé. Les récits de Steve Niles sont souvent simples, avec le risque de devenir simpliste si l'artiste effectue un travail basique de mise en images. Pour ce récit, Greg Ruth fait bien plus que ça, avec une narration visuelle envoûtante, enveloppante, axée sur l'ambiance émotionnelle, très réussie. Du coup, le récit prend de l'envergure et devient une fable sur l'enfance et la peur des parents cherchant à canaliser et maîtriser ces êtres nouveaux et indépendants.

21/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Steam Man
Steam Man

Exercice de style professionnel et hommage à HG Wells - Ce recueil contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015/2016. L'histoire a été écrite par Joe R. Lansdale. Mark Miller en a réalisé le script. Les dessins et l'encrage sont l'œuvre de Piotr Kowalski. La mise en couleurs a été réalisée par Kelly Diane Fitzpatrick. Les dessins des couvertures ont également été réalisés par Kowalski, avec une mise en couleurs de Aurore Folny. En 1899, un robot géant piloté par un groupe de 4 hommes avance dans une forêt enneigée du nord des États-Unis. 4 ans auparavant, dans la petite ville de Nacogdoches au Texas, un inventeur (William Beadle) avait bâti ce robot géant pour combattre une invasion d'extraterrestres venus conquérir la Terre dans des tripodes. Ils ont fini par succomber aux germes microbiens, mais leur mode de déplacement pour arriver sur Terre avait ouvert des portes qui ont permis à d'autres choses de passer. Ce robot baptisé Steam Man progresse dans la neige à la poursuite du Dark Rider. L'équipe se compose de William Beadle, Mike Hamner, John Feather et Alfred Blake. La progression du robot est régulière mais ils avancent dans une direction générale, sans savoir réellement où se trouve le Dark Rider. Ils doivent faire une pause pour faire le plein d'eau et de bois, pour alimenter la chaudière qui donne son énergie au Steam Man. William Beadle se souvient des conditions de la mort de sa femme. le Dark Rider se souvient de son histoire personnelle, de son utilisation de sa machine à voyager dans le temps. En découvrant ce récit, le lecteur commence par apprécier les dessins de Piotr Kowalski. Cet artiste a également travaillé avec Joe Casey pour la série Sex, avec Peter Milligan pour une histoire complète Terminal Hero, ou encore avec Éric Corbeyran pour plusieurs séries dont Badlands T01 : l'enfant-hibou. Il réalise des dessins dans une veine réaliste avec un bon sens du détail pour donner de la consistance au récit. Bien sûr, le lecteur commence par observer le Steam Man. Les auteurs ont choisi une haute silhouette élancée qui fait tout de suite tiquer le lecteur. En effet il est évident qu'une telle forme place le centre de gravité très haut, ce qui induit un risque de basculement élevé (ce qui se produit à plusieurs reprises dans le récit). Les pages de recherche graphique en fin de volume expliquent que Kowalski avait d'abord proposé une forme plus massive, évoquant une usine victorienne. Mais il explique également qu'une telle machine de guerre devait pouvoir se déplacer rapidement et être maniable, ce qui convainc le lecteur. La forme du Steam Man porte le sceau de l'ère victorienne et les marques du genre steampunk de manière naturelle. Au cours des déplacements et des affrontements, le lecteur peut voir les 4 machinistes utiliser les commandes à l'intérieur, et il y a quelques trouvailles amusantes. de même lors des voyages dans le temps, les cases ne se limitent pas à des stéréotypes visuels. le dessinateur donne corps aux différents endroits visités par l'inventeur qui deviendra le Dark Rider. Kowalski dessine des personnages à la morphologie normale, avec des vêtements d'époque, adaptés à leur condition sociale. Les expressions des visages ne sont pas très nuancées, mais les situations ne le requièrent pas, puisqu'elles se limitent à des observations de la part des personnages, ou des actions de combat. Il ne s'agit pas d'un récit d'étude de caractère, ou d'une comédie dramatique de moeurs. L'approche descriptive détaillée de Piotr Kowalski a pour effet de rendre très concret chaque endroit, chaque individu, chaque accessoire et action. Ainsi le lecteur n'éprouve aucune difficulté pour reconnaître les références comme le Wicker Man (dieu d'osier) ou le Death Dealer de Frank Frazetta. Il ressent les blessures des protagonistes pendant les affrontements. Il ne peut que prendre au sérieux les sévices infligés par Dark Rider sur l'un des membres de l'équipe, pendant une longue séance de torture sadique. Les dessins transcrivent aussi bien l'humanité des personnages, que les éléments steampunk (essentiellement Steam Man), les éléments horrifiques, et les éléments plus fantastiques. La mise en couleurs de Kelly Diane Fitzpatrick complète bien les dessins. Elle utilise une approche qui évoque le travail de Dave Stewart, développant des ambiances sur la base d'une teinte majoritaire, ou augmentant la différenciation entre les différentes formes, sans pour autant abuser des millions de nuances rendues possibles par l'infographie. En lisant ce récit, le lecteur éprouve comme un sentiment confus de déjà-vu. S'il a déjà lu The Rook de Steven Grant & Paul Gulacy, paru quelques semaines avant, il identifie rapidement les points communs et comprend que Joe R. Lansdale a écrit un hommage un peu plus personnel que celui de Steven Grant, sur l'œuvre d'Herbert George Wells (1868-1946). Lansdale est lui-même un écrivain réputé, en particulier pour ses polars mettant en scène une duo original Hap Collins et Leonard Pine, voir par exemple L'arbre à bouteilles. Il a également écrit plusieurs comics comme Jonah Hex: Shadows west dessiné par Timothy Truman, Conan and the songs of the dead également avec Truman, ou encore 30 days of night: Night again avec Sam Kieth. Visiblement pour ce récit, il a fourni une trame détaillée que Mark Miller (avec un e) a finalisée, travail qu'il avait déjà effectué pour la série Next Testament de Clive Barker. le lecteur ne ressent pas de hiatus entre l'intrigue et les dialogues des personnages ou le découpage de l'histoire. La couverture promet une aventure de type steampunk. Effectivement le Steam Man a une allure de technologie développée à partir du moteur à vapeur, et d'éléments métalliques à base de cuivre. Les auteurs prennent soin de dater leur récit, et de mettre en avant William Beadle qui est un ingénieur et un inventeur. Ce personnage reste un héros d'action, mais les auteurs lui donnent également le rôle de celui qui trouve des solutions, qui réfléchit et qui conçoit la technologie. Ils ont donc transposé le genre steampunk (souvent base en Angleterre) aux États-Unis, dans une partie encore sauvage. le point de départ est donc cet hommage aux récits d'Herbert George Wells, avec l'invasion de la guerre des mondes et l'invention de la machine à explorer le temps (il ne manque que l'homme invisible). Les éléments du Far West se retrouvent d'abord dans la ville de Nacogdoches, puis dans le grand Nord américain, avec ses étendues sauvages. Les auteurs ont ensuite choisi de donner le second rôle à John Feather, un amérindien. Il ne s'agit pas d'une revendication pour redonner leur place aux américains d'origine, mais d'une volonté de reconnaître leur place, sans en faire un faire-valoir du vrai héros. John Feather sauve les autres à plusieurs reprises grâce à ses compétences et son courage. Joe R. Lansdale et Mark Miller ne développent pas énormément leurs personnages. Ils prennent tout juste le temps d'expliquer que William Beadle ira jusqu'au bout à cause de ce qui est arrivé à sa femme Matilda, mais il s'agit d'un raccourci narratif, car le lecteur n'apprendra rien sur elle. de même le profil psychologique des 4 aventuriers reste très sommaire. Ils composent donc un récit d'aventure piochant dans l'imaginaire. Il s'agit pour eux de raconter une histoire divertissante sur la base de ce robot improbable. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils se contentent d'une suite d'affrontements rendus spectaculaires grâce aux dessins de Piotr Kowalski. Comme à son habitude, Joe R. Lansdale n'hésite pas à intégrer quelques scènes bien glauques. Il y a par exemple un empalement à vif montré de manière explicite, avec une façon pour le personnage de s'y soustraire des plus morbides. La scène de torture de l'épisode s'étend sur 6 pages bien crades, et simultanément un autre personnage s'inflige des épreuves physiques tout aussi terribles. de manière moins évidente, il consacre l'épisode 2 à l'histoire de l'inventeur qui devient le Dark Rider, avec un commentaire acerbe sur la valeur d'un Paradis qui serait donné et non gagné, c'est-à-dire mérité. L'appréciation du lecteur pour ce récit dépend de ce qu'il est venu y chercher. Joe R. Lansdale, Mark Miller et Piotr Kowalski racontent une histoire virile (il n'y a pas de personnage féminin) dense, avec des morceaux de violence qui tâche, sur la base d'un robot mu par la vapeur. L'aventure est au rendez-vous et les dessins permettent de se projeter dans cet hommage respectueux sans être servile à HG Wells. En revanche, il ne faut pas attendre beaucoup plus de ce récit.

21/07/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Blue in green
Blue in green

Il n'y a pas de honte à être insignifiant. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, parue d'un seul tenant, sans prépublication. La première édition date de 2020. L'histoire a été écrite par Ram V, dessinée et encrée par Anand RK, et mise en couleurs par John Pearson. L'ouvrage a bénéficié d'un design conçu par Tom Muller. Il contient également les couvertures variantes d'Aaron Campbell, Khary Randolph, Declan Shalvey, Elsa Charretier, Evan Cage, Jorge Fornes, Matt Griffin, Anand RK. Au temps présent, Erik Dieter est un saxophoniste de jazz, plutôt bon, mais pas extraordinaire. Il a opté pour une carrière de professeur de son instrument de prédilection dans une université. Ce samedi-là, il a fini de donner sa dernière classe à 11h00 et un élève vient lui poser une question sur son jeu, pour savoir s'il a une chance de devenir un jour un excellent musicien, car il n'a pas envie de finir professeur dans une université. Dieter s'excuse : il ne peut pas répondre car il doit prendre un appel urgent sur son portable. C'est sa sœur Dinah qui lui annonce le décès de leur mère Alana Joseph Roux. Il prend l'avion le lendemain et se rend à l'enterrement. En vol, il imagine un accident et les passagers qui chutent à travers le ciel comme des flocons de neige, disparaissant avant d'attendre le sol. Pendant la cérémonie, devant la tombe de sa mère, il passe le bras autour des épaules de sa sœur, chose qu'il n'a pas faite depuis des années. le soir, ils reçoivent les condoléances des proches au cours d'une réception donnée dans la maison de la défunte. Dieter se dit que ces retrouvailles avec des gens perdus de vue se déroulent toutes de la même manière, en parlant des succès de chacun dans la vie qu'il ou elle a menée. En passant de groupe en groupe, il aperçoit Vera Carter, celle qui fut son premier amour au lycée. Erik Dieter finit par pouvoir aborder Vera Carter : elle est devenue responsable d'une galerie d'art, et elle continue à peindre pour elle. Il s'enquiert de son mari Travis : elle a divorcé. Elle le quitte car il faut qu'elle aille coucher ses enfants, mais elle reste encore quelques jours dans la chambre d'ami. Les invités s'en vont progressivement, et il se retrouve seul avec sa sœur qui est dans la cuisine. Elle a un petit coup dans le nez et elle lui reproche son absence, le fait qu'il n'ait pas rendu visite à leur mère pendant toutes ces années. Elle finit par se calmer et s'endormir sur le canapé. Il va se coucher mais il ne trouve pas le sommeil. Il pense au corps de sa mère qui va se décomposer, sans ressentir ni chagrin, ni peine, ni tristesse. Il finit par se relever pour aller dans le bureau de sa mère : il y voit un spectre blanchâtre en train de fouiller dans ses papiers, qui se retourne vers lui et qui lui demande s'il joue toujours et s'il souffre pour sa musique. Il n'y a qu'à regarder la couverture pour se rendre compte que c'est une bande dessinée très personnelle. Au bout de quelques séquences, il apparaît que c'est l'histoire d'un musicien, un saxophoniste de jazz, qui s'interroge sur la direction qu'a prise sa vie, et qui s'interroge sur la jeunesse de sa mère. C'est donc une forme d'introspection existentielle, narrée avec une grande fluidité. Il y a bien évidemment des cartouches de flux de pensée et de réflexions intérieures, mais aussi des dialogues, et es pages muettes, la narration visuelle ne se limitant pas à juste montrer les personnages et les lieux. Son apparence est très sophistiquée : un rendu peint, avec des contours encrés en dessous, et l'utilisation de plusieurs effets spéciaux permis par l'infographie, toujours au service du récit, ne supplantant jamais l'histoire pour impressionner le lecteur. du coup, ce dernier peut être partagé entre une forte curiosité pour une narration aussi élaborée, et la crainte d'un produit un peu prétentieux, à la fois sur la recherche personnelle et sur la mise en forme visuelle, et pas forcément à la hauteur de ses prétentions. La scène d'ouverture rassure tout de suite avec une chaude ambiance mordorée, des dessins entremêlant réalisme photographique et ressenti impressionniste dans un tout cohérent, et une situation très terre à terre (le jeune élève posant une question insultante sans s'en rendre compte). Effectivement, il est possible de lire cette bande dessinée au premier degré : l'histoire d'un musicien qui s'est rendu compte qu'il était juste bon, et pas génial, incapable d'exprimer des émotions de manière poignante ou universelle, de les transmettre à ses auditeurs. Il se retrouve face à son premier véritable amour à qui il n'a jamais su le dire. Il doit faire face à ses choix de vie : se tenir éloigné de sa mère, sans lui rendre visite, et en laisser la responsabilité à sa sœur. Il ne peut que constater qu'il ne laissera pas de trace après sa mort. Il est accablé par le fait qu'il ne connaissait pas vraiment sa mère. La narration visuelle est étonnante de bout en bout, rappelant les grandes heures de Bill Sienkiewicz, mais sans ses fulgurances les plus avant-gardistes. L'artiste maîtrise parfaitement le dessin réaliste, la mise en couleurs de type peinture, les collages, les surimpressions, des pages vraisemblablement réalisées à partir de différentes techniques, assemblées et complétées à l'infographie, sans la froideur qui y est parfois associée, en conservant la chaleur organique du dessin à l'ancienne. le lecteur est invité à suivre la prise de conscience progressive d'Erik Dieter, dans des pages diffusant doucement des émotions adultes. le scénariste développe son récit sur une structure d'enquête (Qui était Dalton Blakely ?), avec un unique élément surnaturel (le spectre blanchâtre), apportant une accroche divertissante, sans nuire à l'introspection du personnage principal. Il est très difficile de parler musique en bande dessinée, car celle-ci ne permet pas de faire ressentir une mélodie, ou un rythme. Ici, les auteurs ont choisi de s'y prendre autrement. Erik Dieter est un saxophoniste professionnel et il joue du saxophone à quelques reprises, le lecteur pouvant voir la réaction des spectateurs touchés par sa musique, alors même que le récit ne précise pas dans quelle branche du jazz il s'inscrit. Pour autant, il ne fait nul doute que l'histoire se déroule bien sous l'influence du jazz. de temps à autre, le lecteur peut apercevoir un bout d'affiche ou de programme, avec une portion de nom. Ainsi même s'ils ne sont pas mentionnés explicitement, plusieurs grands noms sont présents en filigrane : Miles Davis (1926-1991), Charlie Parker (1920-1955), Charles Mingus (1922-1979), Thelonius Monk (1917-1982), Bill Evans (1929-1980), John Coltrane (1926-1967). C'est un moyen élégant de ne pas assommer le lecteur néophyte avec des références qui ne lui parleraient pas, en les conservant en arrière-plan, et également de faire des clins d'œil discrets au connaisseur. Le lecteur se laisse donc envelopper par ces ambiances visuelles, ressentant les états d'esprit du personnage principal qui est presque de tous les plans, le suivant dans son questionnement. Effectivement, la narration visuelle s'avère riche et variée, très agréable, aussi sophistiquée qu'accessible, et suscitant des émotions aussi ténues que touchantes. Il devient vite évident que le scénariste a pensé sa narration en termes visuels, car ce n'est pas une suite de cases avec que des têtes en train de parler. Les personnages accomplissent des actions de la vie de tous les jours qui montrent une partie de leurs relations interpersonnelles. Les mises en page peuvent aussi bien être sous forme de bandes de cases rectangulaires, que sous forme d'illustration accolées, ou encore de cases en insert, de dessin en pleine page, etc. Pour autant, il se dégage une forte cohérence visuelle dans la narration. le lecteur se retrouve vite subjugué par le jeu entre réalisme et impressionnisme, par la mise en couleurs sans rapport avec un simple coloriage naturaliste, par des visuels saisissants sur le moment. Il découvre après coup que cette magnifique vue du dessus d'Erik Dieter montant un escalier en spirale constitue un motif visuel qui va revenir plus tard, donnant un autre sens à cette image. Anand RK sait combiner la banalité du monde avec l'unicité d'en faire l'expérience, à la fois physique et mentale, rendant évident l'état d'esprit du personnage alors que des processus mentaux complexes sont à l'œuvre. Le lecteur ressent bien que le parcours d'Erik Dieter est celui d'un homme ayant déjà plusieurs décennies d'expérience, vraisemblablement un quadragénaire. Il découvre en même temps que lui une vision de la jeunesse d'Alana Roux sa mère, et sa fascination pour un musicien de jazz (un saxophoniste) qui n'a laissé aucune trace et qui est mort dans un incendie vraisemblablement criminel. L'enquête avance tranquillement de témoin en témoin, avec un bon coup de pouce d'un inspecteur de police sympathique. Mais l'intérêt du récit ne réside pas l'enquête, plus dans la manière dont elle éclaire les choix de vie de Dieter, et ce qu'elle apporte à sa compréhension du passé, de l'éducation qui lui a donné sa mère. L'élément surnaturel fait sens, comme la matérialisation d'un élément essentiel dans le jazz. La compréhension progressive d'Erik Dieter est celle d'un adulte qui prend la mesure de l'importance des choix de ses parents dans la construction de sa vie d'adulte, avec un regard pénétrant et intelligent de l'auteur. La couverture et le design de cette bande dessinée contiennent la promesse d'un récit sophistiqué et adulte. Le lecteur a le plaisir de découvrir que la promesse est tenue, avec une narration visuelle épatante et pertinente, et une prise de conscience progressive et signifiante pour le personnage principal. Les auteurs ont réussi un magnifique portrait d'un professeur de saxophone jazz, découvrant un autre regard sur sa vie.

21/07/2024 (modifier)