Le sujet m'intéresse. J'ai le sentiment que la place du sexe dans nos vies est en train de changer : Grâce à #metoo, la performance sexuelle masculine et hétéro n'est plus l'objectif commun d'accomplissement. Le capitalisme tardif, avec ses publicités sexualisées, continue son matraquage mais en perdant de la légitimité dans les milieux dominants. Dans le même temps, j'ai entendu sur radio Nova que plus des trois quarts des français déclarent ne pas avoir eu de relation sexuelle dans les 12 derniers mois. C'était un aveux impossible socialement, il y a seulement 10 ans.
Cet album décomplexe, informe, et remet à jour les pendules : non le sexe n'est pas une obligation pour avoir une vie accomplie. (Beaucoup de douleurs psychiques viennent de ce décalage entre le discours ambiant et la réalité de la vie des gens, en particulier à l'adolescence ; Je regrette que Marie de Brauer ne soit pas allée plus loin en rajoutant : le sexe a été utilisé par le capitalisme comme outil de commercialisation, comme dérivatif à tout engagement, et en particulier politique.) Les moments d'une relations sexuelle sont mis en scène, découpés, analysés, objectivés, : c'est pédagogique et probablement très utile pour les débutants puisque ça montre que nous sommes tous.tes différents et qu'apprendre à parler est un atout important pour la réussite de l'entreprise !
Je vois souvent MDB sur les réseaux sociaux et elle produit sur moi un sentiment de joie immédiat : elle fait du rentre dedans en choisissant des mots grossiers, tout en cherchant à créer du lien par l'évocation de situations familières très bien croquées, où elle ne se présente pas forcément à son avantage : L'autodérision est son outil principal pour créer un sentiment de sororité. Son ambiguïté (trash versus entretien du commun) est savamment entretenue, dans ses chroniques comme dans la BD. Sa croisade grossophile, bien légitime, a tendance à effacer les arguments politiques, qui restent sous-jacents.
Le dessin est un peu en contrepoint du fond, et c'est bien comme ça : tout rose, tout en rondeur suave, traits fins, légers, couleurs bonbons... Ça me rappelle mon premier livre de cuisine ! On voit qu'à l'époque l'idée était de donner envie aux petites filles de faire la cuisine comme maman ! j'espère qu'ici ce rose ambiant ne repoussera pas les hommes et que beaucoup d’adolescents liront ce petit précis de décomplexation sexuelle ! Faisons du sexe un sport comme un autre s'il est consenti et protégé, bien-sûr !
Grand format cartonné, dessin élégant proche de la ligne claire et couleurs contrastées, cette nouvelle série d'aventures du détective Harry Dickson donne envie au lecteur. Il s'agit de l'adaptation des romans du belge Jean Ray mettant en scène cette version américaine de Sherlock Holmes, résidant lui aussi à Baker Street mais dans les années 30. Contrairement aux enquêtes de Conan Doyle, les aventures d'Harry Dickson font une part nettement plus belle au fantastique voire à une touche de science-fiction.
J'ai été très rapidement happé par le début de ces nouvelles enquêtes, ayant pour cadre une tour rétro futuriste d'où a disparu une écrivaine solitaire. Le graphisme est plein d'élégance malgré un trait parfois raide. J'aime son choix atypique de couleurs, dans des ambiances de rouge intense, de vert et de bleu. Ne connaissant pas Harry Dickson, j'ai apprécié de découvrir cet ersatz de Sherlock Holmes et le cadre de ses enquêtes : j'avais grande envie de le voir résoudre cette énigme étonnante qui nous était proposée là.
Toutefois, après deux premiers chapitres très clairs et linéaires, le récit se fait soudain plus embrouillé en ajoutant du mystère au mystère, avec l'impression du début d'une nouvelle enquête à peine liée à la première alors que celle-ci n'était qu'à peine entamée. La narration aussi devient plus confuse, avec des péripéties où le lecteur perd pied, des retournements de situation peu compréhensibles (Que faisaient là ce sous-marin et son canon de DCA par exemple ?). J'ai dû relire une deuxième fois les troisième et quatrième chapitres tant j'ai eu du mal à les assimiler. De même, le détective et son acolyte ne sont pas très attachants. La résolution de certaines parties de l'énigme se base sur des révélations assez bancales ou en tout cas pas forcément crédibles.
Le second tome reprend la structure en chapitres courts issue des origines feuilletonesques du personnage, mais cette forme entraîne une succession de nouvelles enquêtes, reliées de manière maladroite et ponctuées de rebondissements forcés et de solutions faciles. Quant à Harry Dickson, il peine à convaincre dans son rôle de figure paternaliste idéalisée, vénérée sans nuance par son jeune assistant docile et un entourage admiratif.
Si le dessin en ligne claire et l'élégance rétro de l'ambiance continuent de m'attirer, la faiblesse du scénario, la mécanique narrative trop convenue et le manque de relief du protagoniste finissent par gâcher l'expérience de lecture.
Le style graphique de la BD est steampunk très appréciable. Je ne suis pas un adepte du style mais là c'est bien fait.
L'histoire est très intéressante et pousse à réfléchir. Le récit se raconte sous forme de chapitres comme une mini série.
C'est bourré de bonnes idées.
J'écris cet avis car il faut soutenir des BD aussi qualitatives !
Une série que je juge mi figue mi raisin. Le fond historique de la guerre de 70 suivie de la Commune est ce qui m'a le plus intéressé surtout dans des premiers tomes de très bonne qualité. Dufaux renvoie à Zola (La débâcle) ou à Hugo sans y mettre l'intensité dramatique que ces écrivains avaient su rendre dans ces luttes fratricides. A la place l'auteur joue sur un simili fantastique assez mièvre où la jeune Favier ne fait que fuir malgré sa pseudo invulnérabilité fournie par son maître la Mort. Cela produit une série qui aurait pu économiser deux albums pour la rendre plus nerveuse. Même les événements très connus de la semaine sanglante sont décrits de loin et superficiellement.
Le graphisme de Martin Jamar sauve la série de l'ennui ou de la routine en de nombreux endroits. C'est un régal de détails et de précision pour des extérieurs historiques compliqués. J'ai trouvé que beaucoup de scènes renvoyaient directement aux genres picturaux très riches de cette époque.
Le final en happy end un peu mièvre casse le fantastique dont on se demande après coup ce qu'il est venu faire ici.
Une lecture pas déplaisante pour son approche historique et son très beau graphisme. Elle traine toutefois un peu en longueur à certains endroits avec des personnages convenus.
Bande dessinée sans aucun intérêt. Une autrice qui n’a rien d’intéressant à raconter en dehors de son expérience personnelle, marquée par la toxicité, l’égoïsme, l’immaturité et une certaine prétention. Il s’agit essentiellement de sexe, de drogues et d’alcool : une vie chaotique et désordonnée menée sans esprit critique ni rigueur professionnelle. Le résultat, c’est cette bande dessinée banale et dépourvue d’intérêt.
J'ai dû abandonner ma lecture au tome 3 même si déjà j'étais en mode diagonale depuis longtemps. Pourtant il y a beaucoup de recherches et de travail sur cette production. Des trois parties, je suis resté en dehors du personnage d'Albino jeune ou vieux. La partie pirate m'a plus accroché par son graphisme exubèrant et orgiaque (fantasmes des auteurs ?). Toutefois j'ai été assez vite lassé par les dialogues où se mêlent grossièretés inutiles, jargon post numérique incompréhensible, pensées philosophico mystiques parmi quelques remarques dignes d'intérêt.
J'aime bien le graphisme de Janjetov. Ses personnages sont variés, ses filles pulpeuses , ses monstres impressionnants et le tout est travaillé avec beaucoup de détails soignés. Comme je ne suis pas fan du monde numérique je suis très vite sorti de ma lecture qui m'a vite ennuyé par ces textes peu à mon goût.
Je découvre cet auteur avec cet album qui, sans que ce soit inoubliable, se révèle une lecture sympathique.
C’est en fait le recueil de trois histoires, qui toutes soulèvent des questions intéressantes.
La première interroge l’engagement en temps de guerre, ses éventuelles limites, au travers du destin de deux frères qui tour à tour deviennent pilotes de chasse durant la seconde guerre mondiale, le plus jeune intégrant la chasse dans les derniers mois : à 17 ans, sa première mission sera la dernière, puisqu’il est désigné pour une opération, kamikaze. Au travers de cette histoire, et des réactions des proches du jeune homme, c’est l’horreur et l’absurdité de la guerre que l’auteur dénonce (la mission suicide rate et est inutile en plus).
La deuxième histoire raconte la rencontre d’une bande de gamins fuyant les campagnes où ils ont été « placés » (pour être protégés des bombardements des villes, mais en fait ils sont exploités et subissent des violences) et d’un Américain marié à une Japonaise, mais qui lui aussi fuit le camp où il était enfermé et maltraité pour retrouver sa femme. Là aussi l’absurdité de la guerre est dénoncée, en même temps que les préjugés racistes. Les dernières cases, avec des gamins regardant effarés les incendies ravageant Tokyo après un bombardement américain, m’ont un peu fait penser à quelques images du très beau film « Le tombeau des lucioles ».
La dernière histoire m’a un peu moins intéressé (le base-ball me laisse froid), même si la dénonciation des préjugés et du racisme (ici un Japonais vivant aux États-Unis dans les années 1930) n’est pas mal faite. Il y a dans cette histoire un pendant de la précédente, l’Américain au Japon et le Japonais aux États-Unis subissant le même type de désillusion.
Si je n’aime pas trop certaine tics pour exprimer des sentiments de façon exagérée (je n’aime pas trop ce type de chose dans la plupart des mangas), ça n’est ici pas trop accentué. Et d’ailleurs j’ai plutôt bien aimé le dessin. Un trait fin et précis, avec un rendu agréable (certains visages, comme celui de l’amoureuse du jeune héros de la première histoire, sont même très beau).
Une lecture intéressante. En tout cas plutôt agréable. Même si le côté très « personnel » du récit frôle parfois l’empilement d’anecdotes.
L’auteure essaye de reconstituer le long périple de ses parents et de quelques amis dans les années 1970, eux qui ont traversé une bonne partie de l’Europe et de l’Asie (en 4L !) jusqu’en Afghanistan, avec un retour lui aussi long et mouvementé (l’auteure naissant durant ce retour en Grèce, alors que sa mère est emprisonnée).
Le récit est assez dynamique et agréable. D’abord parce qu’au travers des anecdotes familiales, c’est un peu de l’époque post-soixante-huitarde qui nous est montrée, avec consommation de drogues diverses, aspirations aux voyages lointains. C’est d’ailleurs intéressant de voir l’évolution du monde, puisqu’il était possible d’improviser un voyage de ce type, dans des régions qui aujourd’hui (je pense à l’Afghanistan en particulier) sont toujours aussi belles, mais sont devenus inaccessibles du fait des menaces terroristes.
Ce qui rend le récit fluide, c’est aussi que l’auteure interrogeant ceux qui ont participé à ce voyage mythique pour la famille, ceux-ci ont des souvenirs divergents, parfois flous ou déformés, la confrontation des témoignages permettant d’aérer le récit.
Pas inoubliable, mais une lecture globalement plaisante.
Un récit qui se laisse lire, mais c’est quand même un Lemire mineur.
Le point de départ est intrigant. Lemire nous force à accepter la transformation progressive de certaines personnes en arbres, ne livrant finalement pas trop « d’explications ». Contrairement à certaines de ses autres séries, j’ai trouvé que manquait une certaine rêverie, un peu de poésie, ou de réflexion.
Du coup, ça part sur du fantastique étrange, et la narration mise tout sur le rythme. Et là par contre il y en a, avec ces hordes à la poursuite de la petite famille, dont les membres sont au centre du récit – et de cette « fin du monde ». De l’action, mais pas forcément assez de psychologie – même si Lemire prend quand même le temps de densifier les rapports entre les membres de la famille (au départ pas vraiment famille américaine idéale !).
Le dessin de Phil Hester fait le travail, dans un style comics efficace, même si j’aurais préféré que Lemire soit ici aussi à la baguette.
Une lecture sympathique, mais sans plus, me concernant.
Note réelle 2,5/5.
Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Jean-Marc Rochette pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il s’inscrit dans une trilogie thématique après Ailefroide - Altitude 3954 (2018) avec Olivier Bocquet pour le scénario, puis Le Loup (2019) avec Isabelle Merlet pour les couleurs.
Grenoble, prison Saint-Joseph, quatre heures du matin : trois gardiens accompagnent un responsable jusqu’à la cellule d’Édouard Roux. À l’extérieur dans la cour, la guillotine attend, prête. Un garde fait jouer la serrure de la cellule, l’officiel en costume entre et annonce au prisonnier que sa demande de grâce a été rejetée. En 1898 dans les montagnes enneigées du Vercors, un villageois avance laborieusement et annonce : Ils ont tué l’ours ! Alors qu’il approche d’autres villageois, il complète : C’est le berger Tolozan qui l’a tué ! Et il précise : À la grande cabane. Bientôt arrive un groupe de quatre hommes : le premier tenant la longe du cheval qui tire le traîneau de fortune sur lequel se trouve le cadavre d’un ours, avec trois chasseurs autour. Le petit groupe redescend vers le village. Il passe devant quatre enfants. L’un d’eux, roux, estime que c’est une belle horreur que de tuer une telle bête. Un autre, un peu plus grand, le raille, répliquant qu’il est bien comme sa mère, toujours dans les forêts et les montagnes à manger de l’herbe. Il se fait plus méchant en disant qu’elle couche avec les loups et avec les ours, et que d’ailleurs si Édouard est roux et qu’il n’a pas de père, c’est sûr et certain qu’il est le fils de l’ours. Les trois enfants reprennent en chœur cette moquerie : Fils de l’ours, en pointant Édouard du doigt. Celui-ci ne se laisse pas faire et prend un bâton pour frapper le plus grand.
Un gendarme intervient, intimant à Édouard de s’arrêter, et en lui administrant une baffe bien sentie. Il ajoute que le garçon va séjourner au cachot en attendant que sa mère vienne le chercher. Marie Roux vient récupérer son fils, et le gendarme lui prédit que son fils, un vaurien, finira au bagne ou à l’échafaud. La mère et le fils regagnent silencieusement leur maison à l’écart du village. Marie conseille à son fils de faire attention, car les gens sont méchants. Méchants et cruels. Bien plus que les bêtes de la forêt. Il faut s’en méfier comme de la peste et les fuir ; ils ont le diable en eux. Sur la place du village, les enfants jettent des boules de neige sur le cadavre de l’ours. Cent mille ans avant Jésus Christ, dans la même région du Vercors : un aigle plane haut dans le ciel. Deux oursons observent leur mère : elle est en train de pêcher dans le cours d’eau, et elle parvient à attraper un poisson. Suivie par ses deux petits, elle regagne la prairie pentue. En pleine nuit, le hurlement des loups se fait entendre : une meute comptant une dizaine d’individus. L’ourse gronde contre eux, ses deux oursons se demandant ce qui va se passer. Les loups passent à l’attaque.
C’est un énorme plaisir que de retrouver cet artiste dans un récit naturaliste : la dernière ourse du Vercors. C’est une surprise totale que de découvrir la nature du récit : celui-ci s’avère beaucoup plus fourni qu’une simple ode à un animal sauvage. Oui, l’ours est mis en valeur : en particulier par la mise en perspective de sa présence dans cette région du Vercors. Pour commencer la mort du dernier ours, du dernier roi en 1898. Puis un retour dans des temps reculés cent mille ans avant Jésus Christ pour la réalité sans pitié du règne animal avec une ourse et ses oursons contre une meute de loups. Puis trente mille ans avant Jésus Christ, toujours dans la même région, avec une expérience mystique et un chaman qui énonce que : Le soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. L’an mil : la traque à l’ours et la sorcière. L’an 1338 et la condamnation d’un animal pour ses crimes, avec comme peine d’être pendue puis brûlée, pratique authentique quand les animaux étaient tenus pour responsables de leurs actes, et jugés comme les êtres humains. La narration visuelle fait des miracles pour donner vie aux animaux en général, et à l’ours en particulier, sans anthropomorphisme ou personnification, en restituant leur caractère sauvage. Le lecteur se retrouve à la fois sous le charme, à la fois habité par un respect teinté de peur devant ces êtres vivants proches d’incarner des forces de la nature, avec des couleurs sombres soulignant un environnement naturel et indifférent.
Le début du récit annonce clairement sa résolution, et le sort du personnage principal, enfin du rôle principal pour un être humain. Le lecteur suit donc Édouard Roux de 1898, alors qu’il a dix ans (il énonce être né le premier février 1888), jusqu’à son destin final. Au cours de son existence, il commence par être un enfant élevé par sa mère dans un environnement naturel, à l’écart du village, puis une gueule cassée à l’issue de la première guerre mondiale, et puis le compagnon d’une artiste sculptrice. Le récit s’avère indissociable de cet homme, avec un degré d’intrication que seul une narration organique peut atteindre. À l’évidence s’il a lu Ailfroide, le lecteur peut déceler des éléments autobiographiques : le visage abimé (certes moins gravement pour Rochette), la vie dans les montagnes, la profession d’artiste, l’admiration pour le peintre Chaïm Soutine (1894-1943) et son tableau Le bœuf écorché (1925), et une forme de misanthropie assumée. Toutefois la narration va bien au-delà d’une simple projection de son auteur. Le lecteur ressent à chaque page la cohérence et le caractère intime de la narration. Il découvre chaque page sans plus s’attacher aux caractéristiques des dessins ou aux plans de prise de vue, se retrouvant habité par le tout. Il fait l’expérience d’une expression totale, d’une sincérité et d’une honnêteté extraordinaires. L’auteur vit ce qu’il raconte au plus profond de lui, l’exprime avec une clarté rayonnante, transformant chaque case, chaque séquence, chaque réplique, chaque geste en une évidence.
Cette qualité narrative irradie de chaque planche. Le lecteur peut aussi très bien prendre du recul, avec un point de vue plus analytique. Il retrouve toutes les qualités de l’art de Jean-Marc Rochette. Il utilise des traits encrés ou peints assez épais, des petits traits pour apporter des textures, des ombres portées : s’il lui prend l’envie de s’attarder sur une case et la manière dont les individus et les décors sont représentés, le lecteur peut y voir des dessins un peu grossiers, manquant de finitions précises. Dès que son regard passe à la case suivante, la magie opère à nouveau : les sensations sont là, l’impression est d’une justesse incroyable, tant pour la situation en elle-même, que pour les émotions qu’elle dégage, des impressions d’une justesse pénétrante. Oui, des ombres qui s’avancent jusqu’à la cellule où attend le condamné, cela constitue une scène déjà vue de nombreuses fois, mais pas avec cette saveur particulière d’une nuit tranquille et silencieuse, d’individus jouant leur rôle respectif avec acceptation, même s’il leur répugne, ils accomplissent leur devoir en adultes. Oui, une meute de loups qui s’en prend à une ourse et ses petits, c’est une scène animalière classique et les dessins tirent profit d’une nuit sans lune, d’une obscurité masquant les détails, d’une neige uniforme, et pourtant le lecteur se retrouve partagé entre une scène de la cruauté implacable de la vie entre prédateurs et une envie irrépressible d’y projeter des sentiments humains. Chaque scène peut se regarder avec détachement : on y retrouve les outils narratifs classiques, jusqu’aux têtes qui parlent en alternance de champ et contrechamp, et pourtant à chaque fois la magie opère et la narration visuelle emporte le lecteur.
Au travers de la situation d’Édouard Roux et du sort de la dernière reine, l’auteur aborde de nombreux thèmes nourrissant cette œuvre d’une grande richesse. Il met en perspective la présence des ours au sein du Vercors, dans un temps long, en partant de cent mille ans dans le passé, jusqu’au début du vingtième siècle, ce qui relativise drastiquement l’action de l’être humain, ainsi que sa relation avec le règne animal et naturel. Ainsi initié ce thème revient régulièrement et se développe de manière organique au gré des séjours du personnage dans le Vercors, parfois accompagné de Jeanne Sauvage. Ainsi, il établit le constat que les forêts sont devenues trop petites pour la liberté, que certaines sont transformées en zone de sylviculture en particulier pour les sapins destinés à être de futures planches, ce qui ne constitue pas une vraie forêt. La fragilité des zones naturelles cède sous le comportement de dévoration, d’ogre de l’être humain. Les hommes tuent la magie.
Le parcours de vie du soldat Roux met en scène l’horreur des tranchées, la responsabilité des chefs de guerre (il est dit de Clémenceau que son rôle est de faire couler le sang des autres), le stress post traumatique d’être défiguré au front sur le champ de bataille. Sa vie s’en trouve irrémédiablement gâchée, puisqu’il est condamné à vivre littéralement avec sac sur la tête pour cacher son visage ravagé au reste de ses semblables. Sa pension apparaît dérisoire au regard d’un tel traumatisme qui constitue une condamnation à vie pour avoir défendu sa patrie comme il lui était ordonné. La cruauté inouïe de ce sort ressort à chaque instant de manière flagrante en compagnie des hommes et des femmes mal à l’aide en sa présence dans un réflexe automatique irrépressible, sans même parler de la souffrance physique continue.
La sollicitude et la compassion de Jeanne Sauvage n’en rayonnent que d’autant plus. Édouard entre en contact avec elle sur la recommandation d’une autre gueule cassée, car elle confectionne des masques ressemblant à de la chair pour redonner apparence humaine à ces visages massacrés. L’auteur s’est inspiré de Jane Poupelet (1874–1932), artiste réalisant des sculptures animalières et des nus féminins, engagée auprès de la Croix-Rouge américaine, et modelant des masques (moulés à la cire sur les visages, remodelés, tirés en cuivre et ornés d'émail peint) à partir de photographies. Elle fréquente un milieu artistique parisien, à Montmartre, plus précisément au Lapin Agile, propriété de Aristide Bruant (1851-1925, chansonnier, écrivain). C’est en l’accompagnant que Roux finit par faire la connaissance de Soutine en lui livrant la carcasse qui servira de modèle pour le Bœuf écorché. Ces artistes évoquent également Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique (1910) de Roland Dorgelès (1885-1973, un tableau peint par la queue d’un âne), la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp (1887-1968, peintre, plasticien). Cette évolution de l’art fait dire à un des artistes présents que : Dans cinquante ans tout deviendra de l’art, de la pissotière à la canule, avec comme seul arbitre des élégances, le pognon, les banquiers feront marcher les artistes à la baguette, comme les ours de foire. Le lecteur ressent ce jugement de valeur comme étant celui de l’auteur. Cette appréciation se trouve renforcée en découvrant l’escroquerie que le galeriste Orloff commet aux dépens de Jeanne Sauvage, à la fois un individu sans moral grugeant une artiste, à la fois abusant du pouvoir que lui donne sa position sur une personne plus faible. Le lecteur découvre également la profession de foi de l’auteur en tant qu’artiste : L’art n’est rien s’il ne force le réel.
Ce dernier tome de cette trilogie thématique pulvérise en richesse et en qualité les deux précédents, déjà extraordinaires. Le lecteur ressent l’expression pleine et entière, directe et puissante de son créateur, tant au travers de la narration graphique que du récit et des thèmes abordés. Le lecteur prend le parti d’Édouard Roux sans aucune réserve, et il se trouver percuté de plein fouet par le sort que lui réserve la société, les bonnes gens. Éprouvant et salutaire.
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Une BD qui parle de cul
Le sujet m'intéresse. J'ai le sentiment que la place du sexe dans nos vies est en train de changer : Grâce à #metoo, la performance sexuelle masculine et hétéro n'est plus l'objectif commun d'accomplissement. Le capitalisme tardif, avec ses publicités sexualisées, continue son matraquage mais en perdant de la légitimité dans les milieux dominants. Dans le même temps, j'ai entendu sur radio Nova que plus des trois quarts des français déclarent ne pas avoir eu de relation sexuelle dans les 12 derniers mois. C'était un aveux impossible socialement, il y a seulement 10 ans. Cet album décomplexe, informe, et remet à jour les pendules : non le sexe n'est pas une obligation pour avoir une vie accomplie. (Beaucoup de douleurs psychiques viennent de ce décalage entre le discours ambiant et la réalité de la vie des gens, en particulier à l'adolescence ; Je regrette que Marie de Brauer ne soit pas allée plus loin en rajoutant : le sexe a été utilisé par le capitalisme comme outil de commercialisation, comme dérivatif à tout engagement, et en particulier politique.) Les moments d'une relations sexuelle sont mis en scène, découpés, analysés, objectivés, : c'est pédagogique et probablement très utile pour les débutants puisque ça montre que nous sommes tous.tes différents et qu'apprendre à parler est un atout important pour la réussite de l'entreprise ! Je vois souvent MDB sur les réseaux sociaux et elle produit sur moi un sentiment de joie immédiat : elle fait du rentre dedans en choisissant des mots grossiers, tout en cherchant à créer du lien par l'évocation de situations familières très bien croquées, où elle ne se présente pas forcément à son avantage : L'autodérision est son outil principal pour créer un sentiment de sororité. Son ambiguïté (trash versus entretien du commun) est savamment entretenue, dans ses chroniques comme dans la BD. Sa croisade grossophile, bien légitime, a tendance à effacer les arguments politiques, qui restent sous-jacents. Le dessin est un peu en contrepoint du fond, et c'est bien comme ça : tout rose, tout en rondeur suave, traits fins, légers, couleurs bonbons... Ça me rappelle mon premier livre de cuisine ! On voit qu'à l'époque l'idée était de donner envie aux petites filles de faire la cuisine comme maman ! j'espère qu'ici ce rose ambiant ne repoussera pas les hommes et que beaucoup d’adolescents liront ce petit précis de décomplexation sexuelle ! Faisons du sexe un sport comme un autre s'il est consenti et protégé, bien-sûr !
Harry Dickson (Dupuis)
Grand format cartonné, dessin élégant proche de la ligne claire et couleurs contrastées, cette nouvelle série d'aventures du détective Harry Dickson donne envie au lecteur. Il s'agit de l'adaptation des romans du belge Jean Ray mettant en scène cette version américaine de Sherlock Holmes, résidant lui aussi à Baker Street mais dans les années 30. Contrairement aux enquêtes de Conan Doyle, les aventures d'Harry Dickson font une part nettement plus belle au fantastique voire à une touche de science-fiction. J'ai été très rapidement happé par le début de ces nouvelles enquêtes, ayant pour cadre une tour rétro futuriste d'où a disparu une écrivaine solitaire. Le graphisme est plein d'élégance malgré un trait parfois raide. J'aime son choix atypique de couleurs, dans des ambiances de rouge intense, de vert et de bleu. Ne connaissant pas Harry Dickson, j'ai apprécié de découvrir cet ersatz de Sherlock Holmes et le cadre de ses enquêtes : j'avais grande envie de le voir résoudre cette énigme étonnante qui nous était proposée là. Toutefois, après deux premiers chapitres très clairs et linéaires, le récit se fait soudain plus embrouillé en ajoutant du mystère au mystère, avec l'impression du début d'une nouvelle enquête à peine liée à la première alors que celle-ci n'était qu'à peine entamée. La narration aussi devient plus confuse, avec des péripéties où le lecteur perd pied, des retournements de situation peu compréhensibles (Que faisaient là ce sous-marin et son canon de DCA par exemple ?). J'ai dû relire une deuxième fois les troisième et quatrième chapitres tant j'ai eu du mal à les assimiler. De même, le détective et son acolyte ne sont pas très attachants. La résolution de certaines parties de l'énigme se base sur des révélations assez bancales ou en tout cas pas forcément crédibles. Le second tome reprend la structure en chapitres courts issue des origines feuilletonesques du personnage, mais cette forme entraîne une succession de nouvelles enquêtes, reliées de manière maladroite et ponctuées de rebondissements forcés et de solutions faciles. Quant à Harry Dickson, il peine à convaincre dans son rôle de figure paternaliste idéalisée, vénérée sans nuance par son jeune assistant docile et un entourage admiratif. Si le dessin en ligne claire et l'élégance rétro de l'ambiance continuent de m'attirer, la faiblesse du scénario, la mécanique narrative trop convenue et le manque de relief du protagoniste finissent par gâcher l'expérience de lecture.
Un Battement d'aile de papillon
Le style graphique de la BD est steampunk très appréciable. Je ne suis pas un adepte du style mais là c'est bien fait. L'histoire est très intéressante et pousse à réfléchir. Le récit se raconte sous forme de chapitres comme une mini série. C'est bourré de bonnes idées. J'écris cet avis car il faut soutenir des BD aussi qualitatives !
Voleurs d'Empires
Une série que je juge mi figue mi raisin. Le fond historique de la guerre de 70 suivie de la Commune est ce qui m'a le plus intéressé surtout dans des premiers tomes de très bonne qualité. Dufaux renvoie à Zola (La débâcle) ou à Hugo sans y mettre l'intensité dramatique que ces écrivains avaient su rendre dans ces luttes fratricides. A la place l'auteur joue sur un simili fantastique assez mièvre où la jeune Favier ne fait que fuir malgré sa pseudo invulnérabilité fournie par son maître la Mort. Cela produit une série qui aurait pu économiser deux albums pour la rendre plus nerveuse. Même les événements très connus de la semaine sanglante sont décrits de loin et superficiellement. Le graphisme de Martin Jamar sauve la série de l'ennui ou de la routine en de nombreux endroits. C'est un régal de détails et de précision pour des extérieurs historiques compliqués. J'ai trouvé que beaucoup de scènes renvoyaient directement aux genres picturaux très riches de cette époque. Le final en happy end un peu mièvre casse le fantastique dont on se demande après coup ce qu'il est venu faire ici. Une lecture pas déplaisante pour son approche historique et son très beau graphisme. Elle traine toutefois un peu en longueur à certains endroits avec des personnages convenus.
Roxane vend ses culottes
Bande dessinée sans aucun intérêt. Une autrice qui n’a rien d’intéressant à raconter en dehors de son expérience personnelle, marquée par la toxicité, l’égoïsme, l’immaturité et une certaine prétention. Il s’agit essentiellement de sexe, de drogues et d’alcool : une vie chaotique et désordonnée menée sans esprit critique ni rigueur professionnelle. Le résultat, c’est cette bande dessinée banale et dépourvue d’intérêt.
Les Technopères
J'ai dû abandonner ma lecture au tome 3 même si déjà j'étais en mode diagonale depuis longtemps. Pourtant il y a beaucoup de recherches et de travail sur cette production. Des trois parties, je suis resté en dehors du personnage d'Albino jeune ou vieux. La partie pirate m'a plus accroché par son graphisme exubèrant et orgiaque (fantasmes des auteurs ?). Toutefois j'ai été assez vite lassé par les dialogues où se mêlent grossièretés inutiles, jargon post numérique incompréhensible, pensées philosophico mystiques parmi quelques remarques dignes d'intérêt. J'aime bien le graphisme de Janjetov. Ses personnages sont variés, ses filles pulpeuses , ses monstres impressionnants et le tout est travaillé avec beaucoup de détails soignés. Comme je ne suis pas fan du monde numérique je suis très vite sorti de ma lecture qui m'a vite ennuyé par ces textes peu à mon goût.
La Mélodie de Jenny
Je découvre cet auteur avec cet album qui, sans que ce soit inoubliable, se révèle une lecture sympathique. C’est en fait le recueil de trois histoires, qui toutes soulèvent des questions intéressantes. La première interroge l’engagement en temps de guerre, ses éventuelles limites, au travers du destin de deux frères qui tour à tour deviennent pilotes de chasse durant la seconde guerre mondiale, le plus jeune intégrant la chasse dans les derniers mois : à 17 ans, sa première mission sera la dernière, puisqu’il est désigné pour une opération, kamikaze. Au travers de cette histoire, et des réactions des proches du jeune homme, c’est l’horreur et l’absurdité de la guerre que l’auteur dénonce (la mission suicide rate et est inutile en plus). La deuxième histoire raconte la rencontre d’une bande de gamins fuyant les campagnes où ils ont été « placés » (pour être protégés des bombardements des villes, mais en fait ils sont exploités et subissent des violences) et d’un Américain marié à une Japonaise, mais qui lui aussi fuit le camp où il était enfermé et maltraité pour retrouver sa femme. Là aussi l’absurdité de la guerre est dénoncée, en même temps que les préjugés racistes. Les dernières cases, avec des gamins regardant effarés les incendies ravageant Tokyo après un bombardement américain, m’ont un peu fait penser à quelques images du très beau film « Le tombeau des lucioles ». La dernière histoire m’a un peu moins intéressé (le base-ball me laisse froid), même si la dénonciation des préjugés et du racisme (ici un Japonais vivant aux États-Unis dans les années 1930) n’est pas mal faite. Il y a dans cette histoire un pendant de la précédente, l’Américain au Japon et le Japonais aux États-Unis subissant le même type de désillusion. Si je n’aime pas trop certaine tics pour exprimer des sentiments de façon exagérée (je n’aime pas trop ce type de chose dans la plupart des mangas), ça n’est ici pas trop accentué. Et d’ailleurs j’ai plutôt bien aimé le dessin. Un trait fin et précis, avec un rendu agréable (certains visages, comme celui de l’amoureuse du jeune héros de la première histoire, sont même très beau).
Hippie Trail - Autobiographie prénatale
Une lecture intéressante. En tout cas plutôt agréable. Même si le côté très « personnel » du récit frôle parfois l’empilement d’anecdotes. L’auteure essaye de reconstituer le long périple de ses parents et de quelques amis dans les années 1970, eux qui ont traversé une bonne partie de l’Europe et de l’Asie (en 4L !) jusqu’en Afghanistan, avec un retour lui aussi long et mouvementé (l’auteure naissant durant ce retour en Grèce, alors que sa mère est emprisonnée). Le récit est assez dynamique et agréable. D’abord parce qu’au travers des anecdotes familiales, c’est un peu de l’époque post-soixante-huitarde qui nous est montrée, avec consommation de drogues diverses, aspirations aux voyages lointains. C’est d’ailleurs intéressant de voir l’évolution du monde, puisqu’il était possible d’improviser un voyage de ce type, dans des régions qui aujourd’hui (je pense à l’Afghanistan en particulier) sont toujours aussi belles, mais sont devenus inaccessibles du fait des menaces terroristes. Ce qui rend le récit fluide, c’est aussi que l’auteure interrogeant ceux qui ont participé à ce voyage mythique pour la famille, ceux-ci ont des souvenirs divergents, parfois flous ou déformés, la confrontation des témoignages permettant d’aérer le récit. Pas inoubliable, mais une lecture globalement plaisante.
Family Tree
Un récit qui se laisse lire, mais c’est quand même un Lemire mineur. Le point de départ est intrigant. Lemire nous force à accepter la transformation progressive de certaines personnes en arbres, ne livrant finalement pas trop « d’explications ». Contrairement à certaines de ses autres séries, j’ai trouvé que manquait une certaine rêverie, un peu de poésie, ou de réflexion. Du coup, ça part sur du fantastique étrange, et la narration mise tout sur le rythme. Et là par contre il y en a, avec ces hordes à la poursuite de la petite famille, dont les membres sont au centre du récit – et de cette « fin du monde ». De l’action, mais pas forcément assez de psychologie – même si Lemire prend quand même le temps de densifier les rapports entre les membres de la famille (au départ pas vraiment famille américaine idéale !). Le dessin de Phil Hester fait le travail, dans un style comics efficace, même si j’aurais préféré que Lemire soit ici aussi à la baguette. Une lecture sympathique, mais sans plus, me concernant. Note réelle 2,5/5.
La Dernière Reine (Rochette)
Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Jean-Marc Rochette pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il s’inscrit dans une trilogie thématique après Ailefroide - Altitude 3954 (2018) avec Olivier Bocquet pour le scénario, puis Le Loup (2019) avec Isabelle Merlet pour les couleurs. Grenoble, prison Saint-Joseph, quatre heures du matin : trois gardiens accompagnent un responsable jusqu’à la cellule d’Édouard Roux. À l’extérieur dans la cour, la guillotine attend, prête. Un garde fait jouer la serrure de la cellule, l’officiel en costume entre et annonce au prisonnier que sa demande de grâce a été rejetée. En 1898 dans les montagnes enneigées du Vercors, un villageois avance laborieusement et annonce : Ils ont tué l’ours ! Alors qu’il approche d’autres villageois, il complète : C’est le berger Tolozan qui l’a tué ! Et il précise : À la grande cabane. Bientôt arrive un groupe de quatre hommes : le premier tenant la longe du cheval qui tire le traîneau de fortune sur lequel se trouve le cadavre d’un ours, avec trois chasseurs autour. Le petit groupe redescend vers le village. Il passe devant quatre enfants. L’un d’eux, roux, estime que c’est une belle horreur que de tuer une telle bête. Un autre, un peu plus grand, le raille, répliquant qu’il est bien comme sa mère, toujours dans les forêts et les montagnes à manger de l’herbe. Il se fait plus méchant en disant qu’elle couche avec les loups et avec les ours, et que d’ailleurs si Édouard est roux et qu’il n’a pas de père, c’est sûr et certain qu’il est le fils de l’ours. Les trois enfants reprennent en chœur cette moquerie : Fils de l’ours, en pointant Édouard du doigt. Celui-ci ne se laisse pas faire et prend un bâton pour frapper le plus grand. Un gendarme intervient, intimant à Édouard de s’arrêter, et en lui administrant une baffe bien sentie. Il ajoute que le garçon va séjourner au cachot en attendant que sa mère vienne le chercher. Marie Roux vient récupérer son fils, et le gendarme lui prédit que son fils, un vaurien, finira au bagne ou à l’échafaud. La mère et le fils regagnent silencieusement leur maison à l’écart du village. Marie conseille à son fils de faire attention, car les gens sont méchants. Méchants et cruels. Bien plus que les bêtes de la forêt. Il faut s’en méfier comme de la peste et les fuir ; ils ont le diable en eux. Sur la place du village, les enfants jettent des boules de neige sur le cadavre de l’ours. Cent mille ans avant Jésus Christ, dans la même région du Vercors : un aigle plane haut dans le ciel. Deux oursons observent leur mère : elle est en train de pêcher dans le cours d’eau, et elle parvient à attraper un poisson. Suivie par ses deux petits, elle regagne la prairie pentue. En pleine nuit, le hurlement des loups se fait entendre : une meute comptant une dizaine d’individus. L’ourse gronde contre eux, ses deux oursons se demandant ce qui va se passer. Les loups passent à l’attaque. C’est un énorme plaisir que de retrouver cet artiste dans un récit naturaliste : la dernière ourse du Vercors. C’est une surprise totale que de découvrir la nature du récit : celui-ci s’avère beaucoup plus fourni qu’une simple ode à un animal sauvage. Oui, l’ours est mis en valeur : en particulier par la mise en perspective de sa présence dans cette région du Vercors. Pour commencer la mort du dernier ours, du dernier roi en 1898. Puis un retour dans des temps reculés cent mille ans avant Jésus Christ pour la réalité sans pitié du règne animal avec une ourse et ses oursons contre une meute de loups. Puis trente mille ans avant Jésus Christ, toujours dans la même région, avec une expérience mystique et un chaman qui énonce que : Le soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. L’an mil : la traque à l’ours et la sorcière. L’an 1338 et la condamnation d’un animal pour ses crimes, avec comme peine d’être pendue puis brûlée, pratique authentique quand les animaux étaient tenus pour responsables de leurs actes, et jugés comme les êtres humains. La narration visuelle fait des miracles pour donner vie aux animaux en général, et à l’ours en particulier, sans anthropomorphisme ou personnification, en restituant leur caractère sauvage. Le lecteur se retrouve à la fois sous le charme, à la fois habité par un respect teinté de peur devant ces êtres vivants proches d’incarner des forces de la nature, avec des couleurs sombres soulignant un environnement naturel et indifférent. Le début du récit annonce clairement sa résolution, et le sort du personnage principal, enfin du rôle principal pour un être humain. Le lecteur suit donc Édouard Roux de 1898, alors qu’il a dix ans (il énonce être né le premier février 1888), jusqu’à son destin final. Au cours de son existence, il commence par être un enfant élevé par sa mère dans un environnement naturel, à l’écart du village, puis une gueule cassée à l’issue de la première guerre mondiale, et puis le compagnon d’une artiste sculptrice. Le récit s’avère indissociable de cet homme, avec un degré d’intrication que seul une narration organique peut atteindre. À l’évidence s’il a lu Ailfroide, le lecteur peut déceler des éléments autobiographiques : le visage abimé (certes moins gravement pour Rochette), la vie dans les montagnes, la profession d’artiste, l’admiration pour le peintre Chaïm Soutine (1894-1943) et son tableau Le bœuf écorché (1925), et une forme de misanthropie assumée. Toutefois la narration va bien au-delà d’une simple projection de son auteur. Le lecteur ressent à chaque page la cohérence et le caractère intime de la narration. Il découvre chaque page sans plus s’attacher aux caractéristiques des dessins ou aux plans de prise de vue, se retrouvant habité par le tout. Il fait l’expérience d’une expression totale, d’une sincérité et d’une honnêteté extraordinaires. L’auteur vit ce qu’il raconte au plus profond de lui, l’exprime avec une clarté rayonnante, transformant chaque case, chaque séquence, chaque réplique, chaque geste en une évidence. Cette qualité narrative irradie de chaque planche. Le lecteur peut aussi très bien prendre du recul, avec un point de vue plus analytique. Il retrouve toutes les qualités de l’art de Jean-Marc Rochette. Il utilise des traits encrés ou peints assez épais, des petits traits pour apporter des textures, des ombres portées : s’il lui prend l’envie de s’attarder sur une case et la manière dont les individus et les décors sont représentés, le lecteur peut y voir des dessins un peu grossiers, manquant de finitions précises. Dès que son regard passe à la case suivante, la magie opère à nouveau : les sensations sont là, l’impression est d’une justesse incroyable, tant pour la situation en elle-même, que pour les émotions qu’elle dégage, des impressions d’une justesse pénétrante. Oui, des ombres qui s’avancent jusqu’à la cellule où attend le condamné, cela constitue une scène déjà vue de nombreuses fois, mais pas avec cette saveur particulière d’une nuit tranquille et silencieuse, d’individus jouant leur rôle respectif avec acceptation, même s’il leur répugne, ils accomplissent leur devoir en adultes. Oui, une meute de loups qui s’en prend à une ourse et ses petits, c’est une scène animalière classique et les dessins tirent profit d’une nuit sans lune, d’une obscurité masquant les détails, d’une neige uniforme, et pourtant le lecteur se retrouve partagé entre une scène de la cruauté implacable de la vie entre prédateurs et une envie irrépressible d’y projeter des sentiments humains. Chaque scène peut se regarder avec détachement : on y retrouve les outils narratifs classiques, jusqu’aux têtes qui parlent en alternance de champ et contrechamp, et pourtant à chaque fois la magie opère et la narration visuelle emporte le lecteur. Au travers de la situation d’Édouard Roux et du sort de la dernière reine, l’auteur aborde de nombreux thèmes nourrissant cette œuvre d’une grande richesse. Il met en perspective la présence des ours au sein du Vercors, dans un temps long, en partant de cent mille ans dans le passé, jusqu’au début du vingtième siècle, ce qui relativise drastiquement l’action de l’être humain, ainsi que sa relation avec le règne animal et naturel. Ainsi initié ce thème revient régulièrement et se développe de manière organique au gré des séjours du personnage dans le Vercors, parfois accompagné de Jeanne Sauvage. Ainsi, il établit le constat que les forêts sont devenues trop petites pour la liberté, que certaines sont transformées en zone de sylviculture en particulier pour les sapins destinés à être de futures planches, ce qui ne constitue pas une vraie forêt. La fragilité des zones naturelles cède sous le comportement de dévoration, d’ogre de l’être humain. Les hommes tuent la magie. Le parcours de vie du soldat Roux met en scène l’horreur des tranchées, la responsabilité des chefs de guerre (il est dit de Clémenceau que son rôle est de faire couler le sang des autres), le stress post traumatique d’être défiguré au front sur le champ de bataille. Sa vie s’en trouve irrémédiablement gâchée, puisqu’il est condamné à vivre littéralement avec sac sur la tête pour cacher son visage ravagé au reste de ses semblables. Sa pension apparaît dérisoire au regard d’un tel traumatisme qui constitue une condamnation à vie pour avoir défendu sa patrie comme il lui était ordonné. La cruauté inouïe de ce sort ressort à chaque instant de manière flagrante en compagnie des hommes et des femmes mal à l’aide en sa présence dans un réflexe automatique irrépressible, sans même parler de la souffrance physique continue. La sollicitude et la compassion de Jeanne Sauvage n’en rayonnent que d’autant plus. Édouard entre en contact avec elle sur la recommandation d’une autre gueule cassée, car elle confectionne des masques ressemblant à de la chair pour redonner apparence humaine à ces visages massacrés. L’auteur s’est inspiré de Jane Poupelet (1874–1932), artiste réalisant des sculptures animalières et des nus féminins, engagée auprès de la Croix-Rouge américaine, et modelant des masques (moulés à la cire sur les visages, remodelés, tirés en cuivre et ornés d'émail peint) à partir de photographies. Elle fréquente un milieu artistique parisien, à Montmartre, plus précisément au Lapin Agile, propriété de Aristide Bruant (1851-1925, chansonnier, écrivain). C’est en l’accompagnant que Roux finit par faire la connaissance de Soutine en lui livrant la carcasse qui servira de modèle pour le Bœuf écorché. Ces artistes évoquent également Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique (1910) de Roland Dorgelès (1885-1973, un tableau peint par la queue d’un âne), la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp (1887-1968, peintre, plasticien). Cette évolution de l’art fait dire à un des artistes présents que : Dans cinquante ans tout deviendra de l’art, de la pissotière à la canule, avec comme seul arbitre des élégances, le pognon, les banquiers feront marcher les artistes à la baguette, comme les ours de foire. Le lecteur ressent ce jugement de valeur comme étant celui de l’auteur. Cette appréciation se trouve renforcée en découvrant l’escroquerie que le galeriste Orloff commet aux dépens de Jeanne Sauvage, à la fois un individu sans moral grugeant une artiste, à la fois abusant du pouvoir que lui donne sa position sur une personne plus faible. Le lecteur découvre également la profession de foi de l’auteur en tant qu’artiste : L’art n’est rien s’il ne force le réel. Ce dernier tome de cette trilogie thématique pulvérise en richesse et en qualité les deux précédents, déjà extraordinaires. Le lecteur ressent l’expression pleine et entière, directe et puissante de son créateur, tant au travers de la narration graphique que du récit et des thèmes abordés. Le lecteur prend le parti d’Édouard Roux sans aucune réserve, et il se trouver percuté de plein fouet par le sort que lui réserve la société, les bonnes gens. Éprouvant et salutaire.