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Couverture de la série Toute la Poussière du Chemin
Toute la Poussière du Chemin

J'aime bien le travail de Wander Antunes et ici encore je n'ai pas été déçu. On peut lui reprocher que le road trip de Tom fait un peu catalogue des situations les plus injustes et dramatiques qu'ont connu les USA de Roosevelt au début des années 30. Il reprend ainsi la thématique raciste déjà lue dans Big Bill est mort mais il montre que la violence n'était pas qu'une couleur de peau dans des années où le chacun pour soi avait pignon sur rue. Même si les personnages sont très stéréotypés voire manichéens; la construction du récit de Antunes fait passer ce défaut. L'auteur a su toucher une corde sensible du parent que je suis en envoyant des enfants isolés sur les routes pleines de périls. Le récit ne propose pas de pause dans l'intensité dramatique qui atteint son paroxysme dans un récit à trous d'un Morgan mourant. Pourtant l'auteur rééquilibre son récit par un final qui rappelle l'espoir de se relever. Le graphisme de Jaime Martin est un peu brutal avec ses traits épais et sa coloration blafarde mais cela donne une ambiance très sombre qui convient parfaitement au récit. Une lecture prenante, rapide et touchante que j'ai bien appréciée.

04/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Garnimos
Les Garnimos

Personnellement je n'ai pas été séduit par cette série pour la jeunesse. J'ai trouvé que les scenarii tournaient en rond avec des gags répétitifs autour du concept "je te mange, je te mange pas". Je n'ai d'ailleurs pas vraiment compris certains gags comme le croco qui mange le singe à chaque album. Les dialogues mélangent les genres avec des références quasi impossibles à comprendre pour des petits. J'ai franchement trouvé certains passages assez longs. L'histoire des gorilles est un incontournable mille fois lu de l'idée de tolérance mais pas un incontournable en orthographe. En effet quand on fait un running gag autour d'un concept autant faire attention à son écriture sinon cela fait tache! Dans ce cas il vaut mieux se remettre à la tâche pour rendre une copie lisible. Le graphisme fait le travail même si je lui trouve un manque de rondeurs. Une lecture moyenne, il y a beaucoup mieux dans le domaine de la jeunesse.

04/06/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Les Petits Ruisseaux
Les Petits Ruisseaux

J’aime beaucoup Rabaté pour sa sensibilité, son humanité et son regard touchant sur la vie. Ici il aborde le sujet du vieillissement dans une histoire à la fois simple et profondément émouvante. J’avais été un peu spoilé car j’ai vu le film (que j’ai adoré) avant de lire la BD. L’histoire suit Émile, un retraité veuf qui mène une vie tranquille en campagne. Sa routine est bouleversée lorsqu’il découvre que son ami Edmond, récemment décédé, avait une vie amoureuse et sexuelle riche et secrète. Inspiré par les aventures posthumes de son ami, Émile décide de sortir de sa coquille et de vivre pleinement, en explorant de nouvelles relations et en redécouvrant sa propre sexualité. Rabaté dépeint le vieillissement non pas comme une fin, mais comme une période de la vie où l’on peut encore découvrir et éprouver des choses nouvelles. Il brise les stéréotypes en montrant que les personnes âgées ont des désirs et des aspirations. Le récit explore l’amour et la sexualité à un âge avancé, un sujet rarement abordé, encore moins en format BD. J’aime beaucoup la manière dont Rabaté traite ces thèmes avec respect et humour, sans tomber dans le voyeurisme. Comme d’habitude avec cet auteur, les relations entre les personnages sont authentiques et touchantes. Le style graphique de Rabaté dans Les Petits Ruisseaux est caractérisé par des dessins simples mais expressifs, avec une utilisation judicieuse des couleurs. Les lignes claires et épurées permettent de se concentrer sur les expressions et les émotions des personnages. Les décors, souvent minimalistes, mettent en valeur l’atmosphère paisible. La mise en page est fluide, facilitant la lecture et l’immersion dans l’histoire. L’atmosphère de Les Petits Ruisseaux est à la fois douce et mélancolique. Le ton est empreint de nostalgie, mais aussi d’espoir et de légèreté. Rabaté mélange habilement l’humour et l’émotion, rendant l’histoire accessible et émouvante sans jamais être moralisatrice ou sentimentale. Les Petits Ruisseaux est une ode à la vie dans toute sa complexité et sa beauté. C’est un rappel que chaque étape de la vie est précieuse et mérite d’être vécue pleinement. Ce sont un film et une BD qui me resteront et c’est un véritable coup de coeur pour moi.

04/06/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Azimut
Azimut

Si je connaissais très bien Wilfrid Lupano dont j’ai adoré Le Singe de Hartlepool, Un océan d'amour ou Les Vieux Fourneaux, je n’avais pas encore lu de BD dessinée par Jean-Baptiste Andreae, même si j’ai La Cuisine des ogres dans ma pile à lire. J’ai pris le temps de dormir avant de réfléchir à la note car je dois avouer que j’ai été bluffé par ce cocktail d’originalité, de profondeur narrative et cet univers visuel incroyable. J’étais passé à côté de cette série et c’est en lisant un commentaire ici que je m’en suis rendu compte. Wilfrid Lupano, connu pour son talent à créer des histoires profondes et engageantes, brille une fois de plus avec Azimut. Le scénario est riche et complexe, mêlant aventures rocambolesques, réflexions philosophiques et satire sociale. Lupano explore des thèmes variés tels que la quête de l’immortalité, la manipulation du temps, et la critique des excès de la société moderne, le tout avec une touche d’humour et de dérision mais sans en abuser. Je trouve l’équilibre très réussi à cet égard. Il crée ici un monde complet, étrange et fascinant où les lois du temps et de la nature sont constamment défiées. On y suit les aventures de personnages hauts en couleur autour de la quête de l’immortalité et de la recherche du “Nord”, dans ce monde où les points cardinaux sont volatils. Jean-Baptiste Andreae offre de son côté une véritable symphonie visuelle avec ses illustrations. J’ai été sous le charme dès les premières cases. Son style est à la fois détaillé et onirique, parfaitement adapté à l’univers fantastique d’Azimut. Les décors sont somptueux, foisonnants de détails, et les personnages sont dessinés avec une expressivité et une originalité remarquables. Les couleurs vives et les jeux de lumière renforcent l’atmosphère féerique de la série. Chaque page est une œuvre d’art en soi, invitant le lecteur à s’attarder pour apprécier la minutie et la créativité des illustrations. L’univers d’Azimut est à la fois merveilleux et déroutant. Lupano et Andreae ont créé des lieux, des créatures et des objets fantastiques qui constituent un univers unique et fascinant. J’ai trouvé cette série exceptionnelle et on est pour moi sur un cinq étoiles coup de cœur. Et le commentaire d’Alix m’a amené à commander les premiers tomes de La Nef des fous pour essayer de prolonger ce genre d’expériences.

04/06/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
Couverture de la série Claire et Malou
Claire et Malou

Une nouvelle série jeunesse mettant en scène une jeune fille énergique et son chien blasé. Présentée en petits albums souples à rabats, elle vise le public des 6-10 ans. Claire est une enfant pleine de joie de vivre et de projets. Son chien l'aime et la soutient mais il est bien plus mesuré et aussi doté de son petit caractère. Ensemble ils vont faire des étincelles dans une ambiance bon enfant et souriante. C'est une série mignonne, le genre que les parents mettent volontiers dans les mains de leur progéniture. Le dessin est rond et joyeusement coloré. Il fonctionne bien pour refléter l'atmosphère gaie et dynamique de l'histoire et de son héroïne. Le récit est simple, basé sur le quotidien d'une petite fille entre sa famille, l'école et ses amis, les petites engueulades, les petites joies, etc... Ce que j'ai aimé dans cette série, c'est que même si les motivations et envies de Claire sont celles d'une petite fille, elle a un jugement intelligent et des réactions souvent matures. Ce n'est pas idiot. Bref, une série douce et joyeuse qu'on lit avec plaisir.

04/06/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5
Couverture de la série Gaston Lagaffe (Delaf d'après Franquin)
Gaston Lagaffe (Delaf d'après Franquin)

Voilà une reprise qui a fait couler beaucoup d'encre et je suis ravi de lire beaucoup de modération et d'objectivité dans les critiques précédentes. J'ai en effet trouvé dans d'autres endroits la critique très sévère avec Delaf. Oui ce n'est pas Franquin, oui il touche à la légende mais 1/ ce n'est pas la première fois que ca arrive chez Dupuis quand même ? et 2/ objectivement, Delaf a fait du bon boulot. On voit que Delaf s'y est attelé avec beaucoup de respect et je ne sais franchement pas si j'aurais vu une différence à l'aveugle, sans savoir. Je trouve que Delaf a su capter l'essence de Gaston, car il ne s'agit pas de que de gags absurdes, il y a du charme en plus que Delaf a su maintenir de mon point de vue. Sur l'aspect graphique, ce n'était pas une mince affaire de reprendre Franquin et je trouve qu'on est bien dans le même esprit, avec peut être une petite touche de modernité. Oui ce n'est pas exactement le même dessin, mais c'est inévitable. La reprise de Gaston par Delaf est une agréable surprise, un hommage respectueux et rafraîchissant à un classique intemporel.

04/06/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
Couverture de la série Gamer'z - Accros à la manette
Gamer'z - Accros à la manette

J'avoue que je m'attendais à pire. Cet album est une BD d'humour à thèmes, ici le monde des joueurs de jeux vidéos, le genre qu'on trouve en supermarché et qu'on lit par désœuvrement. Mais elle n'est pas si médiocre. Le graphisme a un petit je-ne-sais-quoi d'amateur, qui vient peut-être de l'uniformité de son encrage, mais le dessin lui-même n'est pas mauvais quoiqu'un peu figé. La mise en scène fonctionne, il y a quelques petites recherches d'esthétisme, décors et personnages sont corrects, et les filles sont plutôt mignonnes. La colorisation par contre fait cheap et manque d'harmonie. Les gags ne sont pas hilarants mais j'ai aimé la diversité de leurs sujets. Ce n'est pas répétitif et on sent que les auteurs sont eux aussi des gamers car il y a pas mal de références et de situations qui parleront aux autres joueurs. Bref, une petite lecture pour passer le temps, pas formidable mais pas mauvaise non plus. Note : 2,5/5

04/06/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Célestin et le coeur de Vendrezanne
Célestin et le coeur de Vendrezanne

On ne vole pas la Pieuvre. - Ce tome est le troisième dans la série des contes de la pieuvre après La malédiction de Gustave Babel (2017) et Un destin de trouveur (2019). Ce tome contient une histoire complète centré sur le personnage du titre, qui peut être lu indépendamment, qui s'enrichit avec la lecture des 2 premiers tomes. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Gess, pour le scénario, le dessin et les couleurs. À l'été 1842, 51 rue de la Montagne sainte Geneviève dans le cinquième arrondissement de Paris, un nouveau-né dort dans son berceau. Il se réveille et voit un cœur briller dans la pénombre, flottant dans les airs. Il sourit. le spectre d'une fillette en robe se matérialise et elle hurle. le père fait irruption dans la pièce, sabre au clair. Il pourfend le spectre en embrochant son cœur : elle explose. Il réunit ses restes dans le tapis, et l'emmène dans ce baluchon improvisé. le nourrisson saigne de l'oreille. Fin novembre 1879, dans les égouts du dix-huitième arrondissement, dans sa barque, le père Trouvaille supervise une opération de fouille des eaux usées pour récupérer les objets précieux. Soudain une énorme vague se propage, soulevant son embarcation, et noyant la majorité de son équipe. Quatre adolescents parviennent à en réchapper en montant les barreaux dans un conduit de cheminée. Ils débouchent dans une caverne souterraine. N'ayant d'autre choix, ils vont de l'avant avec dans l'idée de récupérer rapidement des vêtements secs. Ils découvrent un spectacle impressionnant. Début décembre 1879 à l'auberge de la Pieuvre dans le dix-septième arrondissement, Célestin a revêtu son habit de garçon de café et il est au travail. Il pense au fait que Dieu a créé l'homme à son image, mais qu'en contemplant ses semblables avec ses yeux, il constate la vertigineuse diversité des apparences des êtres humains. C'est son don : voir les gens tels qu'ils sont au fond. Petit, il pensait que tout le monde était comme lui, mais en observant des gravures, des peintures et maintenant des daguerréotypes, il a compris à quel point sa vision de l'humanité est différente de celle des autres, et combien il avait bien fait de n'en rien dire à personne. Francis, celui qui lui a tout appris, répétait sans cesse : le secret d'un bon serveur est d'être discret. Il circule entre les tables pour apporter les consommations, captant une bribe de la conversation à chaque fois. Une fois son plateau vide, il retourne au comptoir où mademoiselle Rose lui indique que ça va être le coup de feu. Il faut qu'il vérifie que Gros a fini, puis qu'il dresse les tables. Il se rend en cuisine et le chef lui indique qu'il est bien sûr prêt. Il prend la poubelle bien pleine et sort dans l'arrière-cour pour la vider directement à l'égout. Il repense à cet endroit quand il y est arrivé enfant. C'était encore une auberge de campagne, à l'extérieur de Paris, un relais de poste, et la propriété du père Maturel. Du fait de l'excellence du tome précédent, les attentes du lecteur sont déraisonnablement élevées pour ce tome 3. Dès la prise en main du tome, il constate le soin apporté à l'ouvrage : léger relief pour le titre, vernis sélectif pour le cœur sur la couverture, papier à l'apparence vieillie pour évoquer l'époque où se déroule le récit, découpage en chapitre avec numérotation, citation, localisation de la scène correspondante, et date. Tout au long de sa lecture, il ressent cette finition peaufinée. Il se dit que son expérience de lecture lui évoque celle d'un grand roman du dix-neuvième siècle : distribution importante sans être hors de contrôle, personnages substantiels sans être caricaturaux, diversité des lieux tout en restant dans Paris, mystères sur l'identité du spectre et son objectif, suspense quant au sort des principaux personnages car on ne fréquente pas impunément le milieu du crime organisé, reconstitution historique très soignée, évocation en filigrane de plusieurs facettes de la société, le tout servi par un récit populaire dans le bon sens du terme. Un délice de bout en bout. Le lecteur retrouve donc les caractéristiques des contes de la Pieuvre : une organisation criminelle qui règne en maître sur les trafics dans Paris, et des individus dotés de talents, c'est-à-dire des capacités surnaturelles. Il s'enfonce avec délice dans l'intrigue : le mystère de ce qui se cache dans les catacombes, le sort de Daumale qui a la pieuvre à ses trousses, le mystère de ce spectre appelé la Chose, la naissance à venir chez l'Œil, et d'autres phénomènes surprenant comme cette litanie de noms qui s'échappent avec des bulles d'air au pied de la passerelle de l'estacade de l'île Saint-Louis. Il absorbe les silhouettes des individus tels que Célestin les voit. Il lui faut un peu de temps pour pleinement réaliser que les dessins présentent une cohérence du début jusqu'à la fin, amalgamant tous ces ingrédients dans des visuels qui font sens. de prime abord, les dessins peuvent produire une impression un peu étrange, parfois avec trop de détails, d'autres fois avec une finition des traits de contour un peu rugueuse. de même certains choix de couleurs peuvent paraître curieux, comme ce rose persan. Mais en fait chaque élément est parfaitement à sa place, s'imbriquant avec les autres dans un tout homogène, chaque particularité visuelle étant signifiante. Une fois passé le prologue, le lecteur se rend compte qu'il s'attache immédiatement à Célestin, individu simple, enjoué, soucieux de bien faire son travail, un peu effacé, ayant conscience de sa différence. Il fait sa connaissance alors qu'il se tient au milieu de deux dessins en pleine page successifs, dans sa tenue de serveur, dans son milieu professionnel. de manière tout à fait naturelle, il s'adresse directement au lecteur, brisant ainsi le quatrième mur, et initiant ainsi ses remarques, son monologue intérieur. Cette accroche fonctionne parfaitement, le lecteur se sentant concerné puisqu'on s'adresse directement à lui. Au fil des pages, il peut apprécier le caractère foncièrement honnête et un peu altruiste de Célestin, satisfait de n'être rien de particulier, d'être quelqu'un d'ordinaire, de sa routine qu'il juge gratifiante. Au travers des dessins, le lecteur voit un jeune homme calme et posé, efficace et rapide dans son métier, naturellement souriant, sans hypocrisie professionnelle, à la fois banal dans son apparence, et unique en tant qu'être humain, sa seule fantaisie étant sa coupe de cheveux. Il porte une tenue vestimentaire adaptée à chaque occasion : tablier pour l'auberge, joli costume pour se rendre au cabaret monstrueux, longue chemise de nuit pour dormir. Indubitablement, Célestin est le personnage principal du récit, et pour autant le lecteur peut partager le point de vue d'autres protagonistes : l'Œil, Daumale, L Insomniaque, le Gros. Ils ne sont pas mis autant en avant que Célestin, et ils peuvent occuper le devant de la scène le temps d'une séquence, ou revenir de manière chronique en personnage secondaire le temps d'une ou deux cases, d'une ou deux répliques. le lecteur effectue également un investissement émotionnel en eux, de manière différente à chaque fois. Il peut être touché par la souffrance de l'un d'eux et transporté par un moment de grâce visuelle inattendu (l'Insomniaque et son rêve). Il peut s'accoutumer à un autre et le retrouver avec plaisir, l'amitié bourrue de Gros. Il se rend compte que l'Œil acquiert une épaisseur émotionnelle qui le fait exister, ne permettant plus de le réduire à son rôle de méchant au sein de la Pieuvre, devenant un individu complexe au-delà d'une simple dichotomie Bien / Mal. Chaque personnage dispose d'une apparence particulière, physique et vestimentaire, avec un registre de gestes dans lesquels transparaissent son caractère (l'emportement de l'Oeil), ou ses automatismes professionnels (la préparation des repas en cuisine). Il n'y a pas de petit personnage qui serait réduit à un simple artifice narratif. Tout au long de cette histoire, il y a un autre personnage qui apparait en fait dans plus de pages que Célestin : Paris. C'est un lieu commun de dire que le lieu constitue un personnage à part entière, mais dans cette bande dessinée, ce constat se situe à un autre niveau. L'artiste a apporté un grand soin et un investissement exemplaire pour recréer les rues, les intérieurs de la capitale à cette époque. Au fil des séquences, le lecteur peut se projeter dans un gros collecteur en égout, dans un troquet populaire, avec son arrière-cour et la trappe pour jeter les déchets directement à l'égout dans le dix-septième arrondissement, passage Vendrezanne dans le treizième arrondissement, quai de l'Archevêché, sur de la passerelle de l'estacade de l'île Saint-Louis, dans la cour de l'hôtel particulier de l'Œil dans le cinquième arrondissement, etc. La précision du lieu de la scène en début de chaque chapitre ne se limite pas à un simple expédient narratif pour indiquer le lieu, mais constitue une aide pour le lecteur impatient d'avancer sans s'appesantir sur les dessins, ainsi qu'un repère pour l'amoureux de Paris qui souhaite comparer les descriptions minutieuses et attentionnées à ses connaissances, ou aller les approfondir par des recherches ensuite. En fin du chapitre 8, il peut également recomposer le parcours de la fuite de Célestin grâce aux indications : rue de l'Abreuvoir, rue Girardon, rue du Faubourg Montmartre, Pont Neuf, rue Monsieur-le-Prince, rue Lhomond, rue des Cordelières, rue Croulebarbe, rue des Reculettes. La qualité de cette reconstitution historique ne donne pas simplement de la consistance aux décors : elle rend visuelle et apparente une réalité sociale. Mis à part pour les dirigeants de la Pieuvre, le lecteur côtoie des gens du peuple, les voit dans leur vie de tous les jours, aussi bien le serveur, que la responsable des consommations, le cuistot, les enfants et jeunes adolescents en bande organisée rapportant le fruit de leurs rapines et de leurs récupérations à un adulte, les nervis de la bande de la Pieuvre, les voleurs en train d'évoquer leurs futurs coups attablés à l'auberge, les dames faisant une pause avant de retourner battre le trottoir, etc. À la lecture, cette dimension du récit ne passe pas au premier plan : elle reste en arrière-plan, discrète et organique. Il n'y a pas de personnage qui se mette soudain à faire une déclaration attirant l'attention sur sa condition sociale, pour autant le récit met en scène des gens du peuple, ordinaires, faisant de leur mieux dans un contexte social peu favorable à leur classe. Cette direction d'acteurs naturaliste favorise l'empathie du lecteur pour des êtres humains normaux, comme lui, en butte aux difficultés quotidiennes de la vie. Il se retrouve émotionnellement impliqué par les actes de Célestin pour aider Daumale, par l'angoisse de ce dernier se sachant poursuivi par les séides de la Pieuvre, par l'inquiétude de l'Œil pour l'accouchement, et même par le plaisir par anticipation de Nez à manger un plat succulent, etc. Ainsi le lecteur est en immersion complète dans le récit, ressentant les émotions des personnages, partageant leur point de vue personnel, impatient de savoir ce qui va se passer, tout en en laisser porter par le rythme de la narration. Il ressent le fait que l'auteur raconte son histoire avec une honnêteté de cœur, sans dédain hautain. Il est perceptible qu'il aime ce genre, mélange historique et fantastique. Comme dans les deux premiers tomes, la mise en scène d'individus disposant de talents surnaturels peut être prise au premier degré, à la fois fascinant pour ces capacités extraordinaires et pour leur utilisation visuellement spectaculaire. C'est un divertissement populaire sans hypocrisie, sans condescendance intellectuelle. Dans le même temps, cette approche n'exclut pas l'ambition. Plusieurs têtes de chapitre comprennent une citation d'auteur : Guillaume Apollinaire (1880-1918), un verset de la Genèse, Évariste Gallois (1811-1832), Albert Samain (1858-1900), Victor Hugo (1802-1885), Honoré de Balzac (1799-1840), John Donne (1572-1631). le lecteur peut y voir une volonté de rattacher cette œuvre à la culture classique. Il peut aussi se dire que l'auteur a logiquement explicité certaines de ses sources d'inspiration, des œuvres qui l'ont nourri et qui affleurent de ci de là, comme cette forme de Cour de Miracles, ou cette volonté naturaliste et cette représentation d'une société au travers de plusieurs personnages liés entre eux, dont les chemins de vie se croisent et deviennent interdépendants. La présence ponctuelle de personnages dans chaque tome fait également penser à la structure d'une chronique de grande ampleur tissée dans plusieurs romans. Effectivement, les individus dotés d'une capacité extraordinaire (les talents) peuvent se voir également comme une métaphore d'une personne excellant dans son art, une lecture plus littéraire de ce divertissement, mais aussi une dimension quasi mythologique (l'un d'entre eux ne s'appelle-t-il pas Pluton ?). En outre, malgré leurs talents, ils restent soumis à la structure sociale de l'époque, à la propension naturelle de l'individu de profiter des autres, soit en exploitant sa faiblesse physique, soit en exploitant sa faiblesse sociale. Avec ce point de vue, d'autres thèmes sous-jacents apparaissent : la place de la femme dans la société à travers la Chose et Mama-Brûleur (Et puis quoi ensuite, le droit de vote ?), le désir très humain d'avoir une progéniture, les forces systémiques d'une société qui enserre le déroulement de la vie d'un individu (les conditions de sa naissance qui induisent son accès à l'éducation, à une classe sociale, à une place prédéterminée dans la société), un système de valeurs qu'il soit humaniste comme celui de Célestin, ou fondé sur les règles et l'obéissance à l'autorité comme celui de la Pieuvre, les mécanismes de perpétuation d'un système (la dictature de la Pieuvre), une économie parallèle, le devoir de mémoire pour les victimes, la puissance irrépressible du besoin de justice, etc. Avec l'évocation d'un embryon de syndicalisme ou d'une entreprise en autogestion, l'auteur évoque à la fois les gens du peuple s'organisant de manière solidaire pour contrecarrer les effets d'une oppression capitaliste par les possesseurs des outils de production, mais aussi la façon dont ces mêmes propriétaires contrattaquent pour rendre ces initiatives inefficaces et inoffensives. Cette lecture s'avère aussi puissante et profonde qu'un grand roman du dix-neuvième siècle. Au fur et à mesure le lecteur s'imprègne de sa richesse et de sa gentillesse, de son humanité. Il savoure les mots d'argot employés, en nombre maîtrisé, sans que cela ne devienne un artifice ou que les que cela ne rende les propos abscons. Il ressent l'horreur primale de certaines situations : devoir pourfendre un cœur battant toutes les deux minutes, quelle sorte de séquelle cela peut-il laisser chez le bourreau de s'acharner ainsi à exterminer une vie ? Il ressent des échos entre différentes situations. Par exemple, il apparaît que la dernière image du prologue signifie que le nouveau-né a les tympans percés, qu'il sera donc sourd à vie. En lisant le monologue de Célestin, le lecteur peut le voir comme un individu parlant de sa différence, qui pourrait très bien être compris comme des propos relatifs à une infirmité, s'appliquant alors à la situation de ce nouveau-né qui va grandir sourd parmi des bien-entendants. Troisième tome des contes de la Pieuvre : troisième réussite exceptionnelle pour l'histoire, la reconstitution historique qui transpire l'amour du vieux Paris, la finesse de la narration visuelle, la richesse d'un récit populaire et ambitieux. En artisan méticuleux et incroyablement généreux, Gess réalise un chef d’œuvre ayant sa place aux côtés des œuvres littéraires populaires.

04/06/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Un destin de trouveur
Un destin de trouveur

En quoi cela est-il bon ? - Ce tome contient une histoire complète racontant la vie du Trouveur. Elle se déroule dans le même environnement que le premier tome de la série La malédiction de Gustave Babel (2017) avec l'apparition de personnages qui en sont tirés. Il est possible d'apprécier cette nouvelle histoire sans avoir lu la première, mais ce serait se priver d'une excellente lecture. Il est paru en 2019, écrit, dessiné, encré, mis en couleurs par Gess qui a également réalisé le lettrage. En début se trouve un court texte de l'auteur évoquant la situation du petit peuple de Paris à la fin du dix-neuvième siècle, ainsi que les événements de la commune. Ce tome comprend un récit principal de 200 pages de bande dessinée, et un récit complémentaire consacré à la Bête (un personnage secondaire du récit) de 20 pages de bande dessinée. L'histoire s'ouvre avec une lettre adressée par Jean-Baptiste Farges à son fils Émile, datée du 28 mai 1871, évoquant du contrat Social (1762) de Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et la Commune de Paris (1871). Pendant l'hiver 1888, dans l'impasse de la Cerisaie (treizième arrondissement), 2 policiers Émile Farges et Alphonse Lepic s'avancent prudemment arme à la main. Ils découvrent l'Hypnotiseur en train de s'adonner à sa sale besogne : assassiner une pauvre victime à grand coup de cane. Il utilise son talent pour faire s'agenouiller les 2 policiers dans la neige, car son talent annihile toute volonté. Il les contraint à lui indiquer comment ils l'ont trouvé : grâce au talent d'Émile Farges qui est un Trouveur. Il lance un caillou sur une carte en pensant à ce qu'il cherche et le caillou va se positionner à l'endroit correspondant. L'Hypnotiseur leur impose de l'oublier, de rêver de lui toutes les nuits sous la forme d'un crâne qui rit, et à Alphonse Lepic de se suicider avec son arme de service le lendemain. Plus tard dans la nuit, quand Émile Farges et Alphonse Lepic reprennent connaissance, ils s'apprêtent à pénétrer dans l'église de la Trinité dans le neuvième arrondissement. le caillou du Trouveur les balade dans l'église, sans les mener au criminel, les laissant interdits. Émile Farges se remémore quand enfant (en 1869) son père l'avait présenté à une vieille dame avec un talent, lui avait offert cadeau d'une valeur inestimable et qui peut-être aisément remplacé, et qu'elle avait indiqué qu'Émile dispose d'un talent de trouveur. En hiver 1888, Émile Farges explique à son épouse enceinte Léonie l'impasse où l'a mené son talent. Elle lui fait tester sur d'autres personnes à trouver, et le talent est opérationnel et précis. Dans la nuit, Émile Farges se réveille à 04h47 précise du fait d'un cauchemar éprouvant. Il se lève et va se préparer un café. En même temps, il teste à nouveau son talent pour trouver l'Hypnotiseur et le caillou lui indique encore l'église de la Trinité. Il s'y rend et trouve Alphonse Lepic déjà présent, tout aussi déconcerté en ayant reconstitué leur emploi du temps car il y a deux heures pendant lesquelles il ne sait pas ce qu'ils ont pu faire. Ils sortent de l'église et se rendent au commissariat. Le lecteur a hâte de découvrir un nouveau conte de la Pieuvre, cette fois-ci centré sur un autre personnage que le premier. Il découvre la lettre du père d'Émile qui apporte une touche politique au récit, puis les méfaits de l'Hypnotiseur, l'histoire personnelle d'Émile par petits retours en arrière, ainsi que l'intrigue principale : l'enlèvement de Zélie la fille de la Bouche, et l'implication du Trouveur dans sa recherche. Il entre très facilement dans le récit : une enquête où l'on suit le policier, enfin plutôt une deuxième enquête qui s'apparente à une course contre la montre pour retrouver à temps l'enfant enlevé. le principe est simple et l'intrigue se déroule de manière linaire (sauf pour les retours en arrière sur la relation entre Léonie & Émile). Cette forme de course-poursuite fournit une dynamique classique au récit, et le lecteur se laisse prendre au jeu de retrouver la demoiselle et de capturer la Bête. Il note que l'auteur met en œuvre des conventions de genre attendues et banales : la rivalité entre 2 policiers, le chantage exercé sur Émile Farges par l'organisation criminelle, l'obligation de collaborer entre des individus qui sont ennemis, l'emprise du crime organisé. En cours de route, Gess ajoute l'emploi de conventions d'autres genres. C'est ainsi que l'accumulation d'individus disposant de talents fait penser à des personnes que les pouvoirs mettent à l'écart de la société normale qui se défie d'eux, un peu comme un groupe de mutants dans l'univers partagé Marvel. Le lecteur retrouve également les caractéristiques des pages de l'auteur : des dessins descriptifs dont les formes sont détourées avec un trait encré non lissé, souvent une teinte dominante par séquence, déclinée en nuances, une absence de volonté pour rendre les personnages beaux ou les endroits spectaculaires, des cases sagement rectangulaires, des pages comptant généralement entre 6 et 8 cases, avec des variations entre 3 à 11 par page, des phylactères pouvant occuper les 2 tiers d'une case. Il s'agit donc de dessins plutôt fonctionnels, assurant une narration visuelle efficace, ne cherchant pas à se faire admirer. La lecture donne la sensation d'une fluidité sans heurt, mais sans éclat non plus. Plus que ça, le ressenti du lecteur est plutôt celui de la simplicité, du plaisir immédiat et de la transparence quant aux influences et références. Il ne faut pas longtemps pour se rendre compte qu'en fait la banalité et la simplicité de la narration relèvent en fait d'une maîtrise sophistiquée et d'une grande générosité de conteur. L'auteur ne s'appuie sur aucun effet de manche pyrotechnique et indique explicitement à son lecteur d'où vient son inspiration. Lorsque le nombre de talents va augmentant, le lecteur de comics pense tout de suite aux X-Men, au fait que la population civile se défient d'eux et qu'ils sont obligés de vivre à part. Pour autant, il n'éprouve pas l'impression d'un plagiat. Au contraire, il prend progressivement conscience que Gess est parvenu à la quadrature du cercle : établir des superhéros français, sans impression de succédané des superhéros américains. Il s'agit bien d'individus dotés de superpouvoirs, mais ils ne portent pas de costume bariolé, ni ne lutte contre le crime par altruisme inné. le fait qu'ils se reconnaissent entre eux tient autant de la visibilité de leur talent, qu'à une expérience de la vie similaire concernant la défiance dont ils sont l'objet. Gess apporte la même attention à tous les éléments du récit, qu'à la coexistence contrainte des talents avec les êtres humains. le lecteur peut très bien ne pas y prêter attention et savourer les déplacements des personnages à Paris et en proche banlieue. S'il connaît un ou deux de ces lieux, il se rend compte que ces dessins en apparence rapides et faciles décrivent avec exactitude leurs caractéristiques. Non seulement, la narration visuelle ne comporte pas d'endroit générique construit à la va-vite, mais en plus la cohérence des temps de déplacements, de la configuration des lieux est rigoureuse et fait que le lecteur éprouve la sensation d'y être. À nouveau cette dimension de la narration ne prend pas le pas sur l'histoire, n'est pas mise au premier plan pour être admirée. S'il le souhaite, le lecteur peut y attacher de l'intérêt, relire la courte introduction de l'auteur et y avoir la confirmation de son investissement pour satisfaire son goût du réel. C'est ce degré d'implication discret, restant en arrière-plan, qui aboutit à une aventure dont le plaisir de lecture est immédiat, sans besoin d'investissement ou de concentration. Les péripéties d'Émile Farges en acquièrent une consistance épatante, et une logique interne qui s'appuie sur cette reconstitution du réel. Au-delà de cet aspect, le lecteur ressent également l'honnêteté de la narration, l'humilité du narrateur, et sa générosité. Le plaisir de lecture provient tout d'abord du mystère qui entoure l'Hypnotiseur (Émile Farges pourra-t-il se défaire de cet ordre hypnotique ?), puis du risque encouru par Zélie et sa mère, et du chantage sur la vie de Léonie et leur fille Claire. le lecteur se rend compte progressivement de l'ampleur du récit qui s'apparente à un véritable roman, avec les différents personnages, leur histoire personnelle, leurs interactions. Gess ne se contente pas d'un récit mené par l'intrigue aux dépends des personnages. Ceux-ci acquièrent de l'épaisseur et de la personnalité au fur et à mesure des pages. Émile Farges est un simple policier consciencieux avec un talent particulier au début du récit. Petit à petit, le lecteur découvre l'influence de son père, sa relation avec sa femme et avec la communauté des Sœurs de l'Ubiquité (Mama-Brûleur, Léonie, Lisette & Mathilde, Margot, Colette, Clara), l'incidence que cela a sur ses opinions, ses convictions, ses valeurs héritées de son père, ses engagements. Il observe également Léonie, son talent et son caractère indissolublement liés, sa sollicitude pour son époux, sans incidence sur son autonomie. L'auteur fait en sorte que chaque personnage ne soit pas cantonné dans une simple dichotomie Bon ou Méchant. Même le Dresseur qui utilise un autre homme (la Bête) pour commettre ses assassinats raconte son histoire et le lecteur peut comprendre qui il est, comment il en est venu à adopter ce mode de vie, sans pour autant qu'il ne devienne un héros aux yeux du lecteur. Même Pluton, un autre homme de main sans pitié, acquiert une touche d'humanité quand Claire se rend compte d'une particularité le concernant. Il n'y a que 2 individus qui restent sans rien pour les racheter. le premier est La Bouche (Édouard Ronsard) parce qu'il refuse de changer face à l'évidence. le second est l'Hypnotiseur dans lequel le lecteur peut voir une forme de clin d’œil, pas simplement parce qu'il apparaît dans La malédiction de Gustave Babel, mais aussi parce qu'il est traqué en 1888, la même année où Jack l'Éventreur avait sévi à Withechapel. Coïncidence ? Je ne crois pas. Le plaisir de lecture se trouve encore augmenté par les différents thèmes abordés. Gess ouvre chaque chapitre de son histoire avec une citation de Jean-Jacques Rousseau, extraite du Contrat Social, ou de Émile, ou, de l'éducation (1762). le lecteur apprécie l'intérêt de ces extraits pour eux-mêmes, mais aussi mis en résonance par l'expérience de la Commune, ou par la manière dont les personnages ont été élevés, ou ont élevés leurs propres enfants. L'auteur évoque également la condition féminine au travers de la position sociale des personnages féminins, mais aussi des crimes commis contre elles, et de l'action des Sœurs de l'Ubiquité pour aider et même venger certaines femmes. Conscient de ces thématiques, le lecteur peut également reconnaître dans la notion de talent une forme d'expertise des personnes qui les possèdent, c'est-à-dire une métaphore de la manière dont l'excellence dans un métier ou un art place une personne un peu à part de la masse, sans qu'il ne s'agisse d'un discours élitiste. le lecteur en identifie le mécanisme de mise à l'écart, de tentative de récupération par certains pour monétiser le talent des autres. Il sourit également quand, enfants, les personnes douées d'un talent doivent aller voir une vieille femme pour qu'elle identifie le talent, et doivent payer avec un cadeau d'une valeur inestimable et qui peut être aisément remplace, une formulation de conte. le lecteur se fait alors la remarque que Gess lui-même dispose d'un talent de conteur extraordinaire, et que le questionnement d'Émile Farges (En cela est-il bon ?) est également celui de l'auteur quant à l'utilisation de son propre talent, à nouveau en toute humilité. Ce deuxième récit des contes de la Pieuvre s'avère encore plus abouti que le premier qui est déjà extraordinaire. Gess raconte une histoire prenante, avec des personnages sympathiques ou au moins humains, avec une intrigue vive et inquiétante (n'oubliant pas le sous-titre de Conte de la Pieuvre), en abordant avec naturel des thèmes complexes et intelligents. L'auteur donne énormément au lecteur, en toute simplicité, en toute modestie, en toute générosité. Comme Mama-Brûleur le dit de Clara : il rend le monde plus vivable. le lecteur n'éprouve aucune difficulté à appliquer la question de fond du récit (En quoi cela est-il bon ?) au présent récit, et à trouver une multitude de réponse. Chef d’œuvre.

04/06/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Inhumain
Inhumain

Un humain doit s'accomplir individuellement, sinon ce n'est qu'une fourmi. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2020. Elle a été réalisée par Valérie Mangin & Denis Bajram pour le scénario, par Thibaud de Rochebrune pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs. Il s'agit d'une bande dessinée de 94 pages. Une petite navette spatiale en provenance d'une arche de colonisation arrive à proximité d'une planète plongée dans l'obscurité, avec une zone rougeoyante à sa surface. À son bord se trouve 5 membres d'équipages humains et un robot : la capitaine, Miller, Tafsir, la docteure Malika, Hiroshi et l'androïde Ellis. Cette dernière s'inquiète des ordres déconcertants de la capitaine. Peu de temps après le vaisseau traverse l'atmosphère de la planète et coule dans ses eaux, à proximité de la zone rougeoyante. Comprenant que leur navette s'enfonce dans l'océan, les membres de l'équipage revêtent leur combinaison pour sortir, bien qu'ils aient constaté la présence de créatures monstrueuses évoquant un croisement entre des méduses et des pieuvres géantes. le vaisseau explose alors que Miller ne parvient pas à en sortir et il meurt. Les autres se retrouvent vite encerclés par les créatures aquatiques. Il leur faut un peu de temps pour se rendre compte qu'elles ne les attaquent pas, mais qu'au contraire, elles les aident à gagner la surface, les sauvant ainsi de la noyade. Plus surprenant encore, elles remontent également le cadavre de Miller, qu'elles déposent sur la grève. Les quatre survivants et le robot commencent à réfléchir sur qu'ils peuvent faire. Analyser l'air pour savoir s'il est respirable par des humains, puis se mettre en quête de nourriture. L'activité volcanique génère une lueur rougeâtre qui illumine assez la nuit pour qu'ils se rendent compte que se tiennent devant eux plusieurs dizaines d'êtres humains nus. La capitaine retire alors le casque de sa combinaison comprenant que l'air est respirable. Quelques individus s'avancent vers eux et leur prennent gentiment un gant, un casque. Les cinq rescapés suivent les autochtones vers une zone dégagée entourée d'habitations basses en forme de dôme. Ils ont remarqué des ossements humains accrochés à des pics autour du campement. Un ancien leur adresse la parole, parlant la même langue qu'eux et leur demandant d'où ils viennent. La capitaine explique qu'ils viennent de l'arche colonisatrice Alma Mater, son commandant les a envoyés en reconnaissance à la recherche d'une planète habitable. C'est maintenant l'heure de manger. Une femme apporte un bol avec de la nourriture aux cinq voyageurs. Ellis se livre à une analyse de son contenu : un aliment comestible, végétal, riche en protéines. Ils mangent sans crainte, sauf Ellis un robot qui n'a pas besoin de sustenter. Elle note qu'ils disposent d'objets en plastique, et en métal usiné. Une fois le repas terminé, une autre indigène leur indique qu'il faut dormir maintenant. Ils essayent d'engager la conversation sur leur origine, sur les créatures marines, peut-être dressées. Mais ils n'obtiennent que des réponses brèves sans information, et le rappel que c'est l'heure d'aller se coucher. Ils obtempèrent, tout en passant devant ces squelettes exposés sur des piques. Une fois dans l'habitation qui leur a été attribuée, ils se demandent si Miller sera aussi exposé sur une pique, s'il y a des rites funéraires dans cette communauté. Enfin, Hiroshi va monter la garde avec Ellis pour la nuit. Les époux Valérie Mangin (scénariste de la série Alix Senator) & Denis Bajram (scénariste d'Universal War) ont déjà collaboré sur d'autres histoires comme Abymes (2013, 3 tomes avec Griffo et Loïc Malnati), Expérience Mort (2014-2016, 4 tomes avec Jean-Michel Ponzio). Ici, ils ont réalisé une histoire de science-fiction, complète en 1 tome. le lecteur découvre rapidement que le récit fonctionne sur une mécanique pour partie d'enquête, pour partie de thriller. Il s'agit pour les 5 voyageurs de découvrir d'où proviennent les êtres humains de la communauté qui les a accueillis, et de comprendre comment fonctionne leur société. le temps est compté car il y a une force inconnue à l’œuvre qui sape leur volonté de bien étrange manière, avec des conséquences incapacitantes. le lecteur suit donc Ellis, la capitaine, Tafsir, Malika et Hiroshi dans leur exploration pour découvrir ce qu'il en est. Les auteurs font en sorte que chaque personnage a un rôle ou une profession qui le définit, et le distingue des autres. L'artiste fait en sorte de leur donner des traits différenciés de manière que le lecteur les reconnaisse au premier coup d’œil. Ils n'ont pas une personnalité très marquée, essentiellement un unique trait de caractère lié à leur métier pour le soldat Hiroshi, à la prise de décision pour la capitaine, à la curiosité scientifique. Pour autant, l'empathie fonctionne parce que le lecteur se retrouve confronté au mystère de cette communauté, de la même manière que les voyageurs. Comme eux, ils se demandent quoi faire, quel degré de méfiance il faut avoir, comment s'y prendre pour comprendre les valeurs et les coutumes de cette société, et à quel moment il sera possible d'envisager la probabilité de l'établissement de l'envoi d'un message de détresse à l'arche colonisatrice, ou la nécessité de se résigner à un long séjour sur cet atoll. La couverture promet un mystère : celui d'un explorateur spatial face à une communauté primitive. En y prêtant un peu plus attention, le lecteur se rend compte que les personnages sur le rivage sont nus pour la plupart. C'est un choix assez risqué, car vite perçu comme politiquement incorrect, mais qui reflète totalement l'intérieur de la bande dessinée. Car, oui, il y a bien une communauté de gens qui vivent dans le plus simple appareil et ils sont dessinés avec le même naturel que sur la couverture, avec la même distance. du coup, cela n'a rien d'érotique, tout en étant une caractéristique essentielle de ladite communauté. le lecteur prend ainsi conscience de l'habileté de l'artiste à intégrer un élément visuel pouvant facilement s'avérer tendancieux et prêter le flanc à la critique. Tout du long de l'histoire, il va pouvoir se régaler de visions inattendues et spectaculaires. Sans tout dévoiler, il est possible de prendre deux exemples. le passage sous-marin dans une eau rendue rouge par l'activité volcanique est magnifique, les angles de prise de vue rendant bien compte de l'inquiétude des astronautes face à ces créatures marines dont ils ignorent tout des intentions. Lors de leurs explorations, ils découvrent des cultures en terrasse, sous une lumière artificielle, dans une lumière splendide, avec un très bel effet de profondeur. Dépassée la moitié du récit, le lecteur peut également prendre la mesure de l'agencement de cet environnement très particulier, et du fait que la disposition de cette différentes parties fait sens par rapport à l'élément structurant principal. Bien sûr, comme le récit fonctionne sur le principe de la découverte d'une planète et de son peuple, le lecteur s'attend à découvrir des sites différents. C'est bien le cas, et le dessinateur leur donne à tous une identité propre, des caractéristiques spécifiques, et une ambiance particulière en leur attribuant une tonalité lumineuse à chacun, par exemple le rouge pour la phase sous-marine, le bleu chaleureux pour l'eau du lagon et pour le ciel, une teinte gris bleuté pour a nuit, le vert pour la séquence avec les cultures en terrasse. le lecteur ressent ainsi bien les différentes phases du récit, à chaque changement de lieu. le fait que Thibaud de Rochebrune réalise l'intégralité de ses planches (découpage, dessin, encrage, couleurs) leur apporte une unité et une fluidité remarquable. En particulier, il gère la densité d'information visuelle avec une intelligence impressionnante, entre ce qu'il représente, et ce qu'il suggère par le biais d'un camaïeu de couleur en fond de case. Cela donne une lecture visuelle légère avec une bonne densité d'informations, sans jamais ressentir d'impression de vide des cases, un équilibre remarquable. S'il y est sensible, le lecteur remarque également que l'artiste apporte de la variété dans sa narration visuelle en utilisant aussi bien des bandes de cases rectangulaires, que des cases de la largeur de la page, ou des cases de la hauteur de la page, en fonction de la nature de la séquence. Le lecteur emboîte donc le pas des cinq explorateurs pour découvrir le mode de fonctionnement de cette étrange communauté. Il remarque que le scénario est construit sur des étapes très claires, avec une progression quasi mécanique dans ce qui arrive aux explorateurs, l'un après l'autre, sur la base du passage en revue des quatre éléments naturels. Il retrouve le goût de Bajram pour la science-fiction claire et bien construite, et le savoir-faire d'exposition naturelle. Sa curiosité est piquée par plusieurs mystères, et son attention est captive du fait d'un rythme rapide et régulier, sans être précipité. Il repère rapidement le thème principal sous-jacent : celui de la place du libre arbitre dans une société humaine, et de la place de l'être humain dans un écosystème. À quelques reprises, il relève une remarque qui fait écho à d'autres notions. Difficile de ne pas reconnaître une philosophie spirituelle quand un autochtone explique qu'il passe sa vie à souffrir. Difficile de ne pas sourire en voyant des humains courir dans des roues de type roue pour cage de rongeur, et refuser de quitter ce système, comme un employé bossant comme un automate sans espoir de ne jamais aller nulle part. Ce passage entre d'ailleurs en résonance avec le fait que l'entité du Grand Tout aime tous ceux qui lui sont utiles. Les auteurs proposent au lecteur de suivre une bande de cinq naufragés sur une planète essentiellement aquatique, où se trouve déjà une autre communauté d'humains mais qui n'ont aucun souvenir que leurs ancêtres aient connu une autre vie. La narration visuelle semble un peu légère par endroit en surface, mais très vite elle emporte le lecteur par son dosage parfait entre densité d'informations et suggestion, avec un rythme vif et régulier. L'intrigue happe le lecteur avec ses mystères, plutôt qu'avec ses personnages, avec leur situation et l'exploration qu'ils doivent effectuer. le lecteur voit apparaître les phases mécaniques du récit, mais aussi la structure sous-jacente logique et élégante, et il voit émerger petit à petit une réflexion sur la société, mais aussi sur la construction d'une interaction entre deux communautés différentes, avec un le rôle ironique du robot, un élément non humain, mais fabriqué par des humains.

04/06/2024 (modifier)