Les derniers avis (242 avis)

Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Fange
La Fange

Il n’est pas si courant d’avoir dans les mains une bande dessinée signée d’un auteur australien, et celle-ci constitue assurément une des belles surprises de cette fin d’année. Pat Grant signe là sa seconde bande dessinée (après « Blue », parue en 2012), et c’est une vraie réussite de la part de ce jeune auteur adoubé par Craig Thomson. Avec ce « western dystopique totalement hors-normes », tel que le qualifie très justement l’éditeur Ici Même, Grant nous emmène dans un pays qui pourrait bien être le sien, une Australie entre présent et futur qui nous fait revisiter le mythe de la ruée vers l’or à la sauce Mad Max light, avec de faux airs de « Triplettes de Belleville » et une pincée de Covid-19. Cette fable haute en couleurs, en apparence bien barrée si l’on ne se fie qu’au style graphique, sorte de croisement entre South Park et les Simpsons, se révèle beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît. Contre toute attente, le scénario reste fluide et bien construit, et malgré des dialogues parfois nonsensiques, la mayonnaise prend assez vite et parvient à captiver le lecteur jusqu’à la dernière page. Malgré la rondeur du trait, les personnages dégagent une hargne et une bêtise primaire, certains apparaissant même inquiétants. Dans cette jungle qu’est Falter City, cette ville surpeuplée, sale et puante où les escrocs sont légion, impossible de ne pas devenir parano… Les scènes de foule évoquent par moment les tableaux de James Ensor et ses visages difformes au rictus effrayant. Dès que les deux jeunes hommes, couvés par leur maman, poseront le pied dans la ville en décrépitude — où une « nouvelle peste » sévit dans les quartiers les plus pauvres, allusion à peine voilée à notre coronavirus —, on se doute que tout finira mal, surtout pour Lippy, d’une honnêteté qui tranche avec l’immoralité de sa mère, représentée telle une mère maquerelle obèse… De ces deux frères, que tout sépare sauf peut-être une certaine bêtise innée — Penn est un beau gosse enjôleur et Lippy apparaît gras et bouffi, constamment inquiet — on comprend vite que le second, le chouchou de maman qui l’a chargé de gérer la petite fortune familiale, se fera bouffer tout cru… « La Fange », récit tragi-comique sur la déchéance de ceux qui croient pouvoir s’offrir un lit de rose sans les épines, s’avère, sous ses airs de ne pas y toucher, une allégorie sordide et saisissante du capitalisme dans toute sa splendeur. Ce capitalisme qui, tout en prétendant défendre la liberté, précipite les âmes dans la fange de l’avidité et de l’individualisme et transforme l’environnement en cloaque nauséabond, capable de recycler à l’infini la pourriture en comprimant notre temps de cerveau disponible. Loin d’être mainstream, cette œuvre aussi grinçante qu’originale est chaudement recommandée pour prendre un peu de recul par rapport à cette ambiance de fin des temps que nous connaissons depuis bientôt un an…

21/12/2020 (modifier)
Par Franz
Note: 5/5
Couverture de la série Super Negra
Super Negra

Super Negra : The Mickey Mutant Show / Winshluss. – Albi : Les Requins Marteaux, 1999. Dans le précis de décomposition du petit Mickey de chez Disney, le grand Winshluss est passé maître. Jamais une bande dessinée n’a été aussi subversive, corrosive et hilarante en même temps. Mickey et Dingo partent pêcher à la dynamite dans une zone militaire d’essais atomiques. Une bombe explose en représailles. La dernière vignette en page 5 montrant Dingo éberlué et Mickey, clope au bec, lunettes de soleil vissées au museau, conduisant sur le chemin du retour, est à hurler de rire. Les radiations transforment Mickey en « super bad ». La souris devient un gros rat pourchassé par la meute des honnêtes gens, Donald en tête, hystérique et sanguinaire. Les péripéties sont à se tordre de rire. La parodie est démultipliée : Mister Hyde, Frankenstein, Godzilla… 27 feuillets en noir et blanc avec une mise en page inventive, un dessin faussement naïf et une thématique déjà bien en place : le galonné méchant et borné, l’innocence bafouée, l’asservissement et le cynisme omniprésents. On peut lire et relire cette histoire sans jamais l’épuiser. Winshluss est un génie du 9e art. Super Negra. – Les Requins marteaux, DL 2012 [1999, 2005]. Les éditions albigeoises Les Requins Marteaux remettent pour la troisième fois le couvert à propos du Super Negra de Winshluss (1999, 2005 et 2012). A chaque fois, l’opuscule se trouve modifié par ajout ou suppression d’appendices. L’édition de 2005 proposait en plus cinq planches narrant le parasitage de soirée privée par les trois pas marrants petits canards, Riri, Fifi et Loulou, petits-neveux du vieil avare Balthazar Picsou, bien loin de la bienséance disneyenne, plus proche de la voyouterie décomplexée d’aujourd’hui. Elle incluait aussi en 2e de couverture une superbe reproduction en couleur tirée de la revue Ferraille où Betty Boop s’offusque que les trois petits cochons, roses et grimaçants, s’amoncellent derrière son épaule pour lire la revue Ferraille qu’elle tient ou peut-être veulent-ils tout simplement bigler sur ses superbes seins qu’elle dissimule derrière le « journal préféré des petits cochons ». La 4e de couverture dévoilait les mimiques de Mickey à l’Actor Studio. Tout cela a disparu dans l’édition de 2012 mais d’autres historiettes indépendantes de l’histoire centrale où Mickey et Dingo mutent après avoir goûté aux radiations, la souris de Disney devenant un rat, Dingo virant en monstre gigantesque à l’exemple de Godzilla. On y trouve « Caroline invite ses amis à sa soirée de merde » très librement inspiré d’un album de Pierre Probst « Une fête chez Caroline ». Winshluss se délecte à pourfendre le mythe de la petite fille modèle, ici une « jeune fille sophistiquée », égocentrée qui « aime les trucs kitchs, les beaux mecs et perdre du poids ». Ses pseudo amis, Noiro, Boum et Youpi sont les « rois de l’incruste » et remplacent sans peine les trois canardeaux dépravés. Le véritable et jouissif apport est la parodie du « Temple du soleil » où Tintin devient Jean-Jean, accompagné du « Capitaine » et du chien Dagobère. Six planches extraordinaires proviennent du n° 16 de la revue Jade [1]. Bien que l’édition des Requins Marteaux reproduise les planches avec une belle qualité d’impression, le format est trop petit et le dessin fouillé de Winshluss en pâtit un peu. Nonobstant cette contrainte comme dirait le vieux schnock de professeur, amateur de baronne et de cognac, dans chacune de ses petites mains expertes, racontant les mésaventures de Jean-Jean, la trivialité est excitante, le dessin colle à la peau des personnages, les dialogues sont hilarants, le découpage proche du génie à l’exemple des deux cases où Shirley, offerte nue sur un lit d’hôtel invite Jean-Jean à une partie fine. Elle lui demande son nom et scande dans l’image suivante : « Jean-Jean ! Jean-Jean ! » dans une prise en levrette biaisée alors que le jeune reporter aventurier serait en droit de scander des borborygmes de bûcheron sous forme de « Han-han ! » mais, bien élevé, il se contente de grimacer et d’exsuder en silence sous son Marcel. Besogne accomplie, enfilant son pantalon de golf, il complimentera son amante d'un jour : « Vous êtes une fille fantastique Shirley… Je crois que je vous aime… » Jean-Jean, jeune homme niais, en prend pour son grade, notamment après la découverte de sa cuisante gonorrhée que shirley fait passer pour un coup de chaleur mais Tintin, héros inoxydable, n’en souffre pas. Winshluss est un créateur exceptionnel dont le trait expressif et la narration fluide régénère un média souvent phagocyté par des séries amidonnées. Des boues et des turpitudes humaines, Winshluss en fait de l’or en barre. [1] Fanzine créé en 1991 puis revue en 1995, stoppée en 2003, relancée en 2006 dans la collection Lépidoptère des éditions 6 Pieds sous terre.

18/12/2020 (modifier)
Par Yannis
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Hitler est mort
Hitler est mort

J'avais déjà eu l'occasion de lire "La Mort d'Hitler dans les dossiers secrets du KGB" du même auteur. Dans cet essai, aidé de Lana Parshina, Jean-Christophe Brisard avait enquêté sur ce que savaient les Russes en 1945 de la mort d'Hitler et sur ce que serait devenu son corps. Cette enquête était déjà passionnante, j'étais donc ravi de me plonger dans l'adaptation en BD par le journaliste lui-même. Nous suivons donc deux équipes et deux enquêtes sur la mort d'Hitler menées par deux organisations d'espionnage de l'URSS : le Smersh (contre-espionnage) et le NKVD qui deviendra plus tard le KGB. Loin de s'entraider c'est une lutte fratricide qui se déroule sous nos yeux où tous les coups sont permis. L'objectif de chaque organisation est d'accomplir sa mission pour que son chef puisse briller auprès de Staline et que la gloire rejaillisse sur eux par écoulement. Le contexte de la fin de la guerre est bien dépeint également avec les exactions commises par les soldats russes ou les échanges d'informations parcellaires entre les alliés. Le dessin de Pagliaro colle bien à l'histoire. Certains de ses personnages ont des "gueules" et on se prend de sympathie ou d'antipathie instantanément pour certains d'entre eux. Hâte de découvrir la suite de l'histoire de cette BD qui, contrairement au livre qui s'adresse plus aux passionnés, ravira tous les amateurs de BD historique ou d'enquêtes policières.

09/12/2020 (modifier)
Par pol
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Odyssée d'Hakim
L'Odyssée d'Hakim

Pourquoi tant d’hommes, de femmes, ou de familles entières quittent tout et prennent le risque de mourir en traversant la Méditerranée dans un canoë de fortune ? Parce que la situation dans leur pays est désespérée à tel point qu’ils n’ont plus d’autres alternatives pour continuer leur vie. J’avais déjà été très touché par la lecture de Ce n'est pas toi que j'attendais du même auteur. Fabien Toulmé remet le couvert avec un nouveau récit bouleversant. Il nous raconte au travers de 3 magnifiques albums l’odyssée d’Hakim, un réfugié syrien qui a fuit son pays et la guerre pour rejoindre la France. Et (malheureusement) ce n’est nullement une fiction. Il a rencontré et interviewé à de nombreuses reprises Hakim, et c’est le récit de cette tranche de vie incroyable qu’il nous met entre les mains. Le genre de récit qui vous prends aux tripes, qui fait un gros noeud avec et qui vous retourne pour quelques jours une fois la lecture terminée. L’histoire d’Hakim c’est pas celle d’un pauvre type qui vit dans la misère et qui s’est levé un matin en se disant tiens je vais aller m’installer en Europe et vivre des allocs. L’histoire des réfugiés ce sont des gens qui quittent un pays déchiré par la guerre civile, les bombardements quotidiens, la dictature, la torture. Leur but ? Survivre… Ceux qui fuient, ce sont ceux qui ont les moyens de le faire, ceux qui ne les ont pas restent là bas en attendant la mort. Horrible réalité. En l’occurence notre Hakim est patron de sa petite entreprise, propriétaire de son appartement quand éclate la guerre dans son pays. C’est l’instinct de survie qui va l’amener à se décider à franchir le pas. Pas loin de 800 pages prenantes pour raconter en détail un parcours incroyable, des épreuves terribles, de l’espoir, de l’attente, de la peur, des désillusions, des petites victoires qui se résument parfois à un simple repas où juste un toit pour dormir une nuit. On s’attache tellement à Hakim, on souffre pour lui, on a envie de l’aider, on ressent tellement d’injustices à la lecture de ces pages. Ce récit est incroyable. Il montre la dure réalité des migrants et des réfugiés. Au fil du voyage d’Hakim, on découvre les conditions dans lesquelles ils sont accueillis dans les différents pays européens, si on peut appeler ça un accueil… Le propos est juste, la narration est brillante, le dessin est merveilleusement bien adapté, avec un style jovial qui contraste avec la violence du sujet. Lorsque vient la dernière page, on à l’impression de connaitre Hakim comme un ami. On n’a pas envie que le récit s’arrête là. On a envie de la suite : comment lui et sa famille vont aujourd’hui ? Quelle est sa vie maintenant ? Une série d’utilité publique, à lire de toute urgence. Le genre de livre qui ouvre les yeux sur le monde qui nous entoure. Une lecture marquante dont je ressors indéniablement changé.

05/12/2020 (modifier)
Par DCD
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Transmetropolitan
Transmetropolitan

Arrivé à la moitié du premier volume, la collection en compte six, je m’orientais vers le premier avis tant « Spider Jérusalem » le personnage central est trivial sur la forme, alors que l’histoire peine à avoir du fond. Mais petit à petit, on se prend à aimer suivre les enquêtes de ce journaliste indépendant et sans concession, quand on lit ses premiers articles écrits à l’acide et aux fèces (oui, oui). On comprend mieux la ville futuriste dans laquelle il évolue, qui n’est en réalité qu’une exagération de notre société médiatique actuelle. L’information télévisuelle y est partout et intrusive (comprenez, sur tous les murs de votre logement, sur les trottoirs...), mais n’explique rien et se contente d’énoncer des faits, pour pouvoir mieux placer ses émissions de divertissement très vulgaires et ses pubs. Ce monde est d’ailleurs fantastique, avec ses émissions pornographiques pour enfants, sa fabrication d’humains pour l’alimentation, et oh oui ! ses « faiseurs » ! Des machines capables, à partir d’un bloc de matière densifiée (ou d’ordures pour la classe moyenne), de fabriquer vos vêtements, vos repas et… leur propre drogue. Et si vous la leur retirez, une tête de cheval qu’ils placeront dans votre lit, comme menace de mort quand ils appartiennent à la mafia. Les progrès scientifiques y sont légions, comme l’asexuation, pour ne plus à avoir de rapports sexuels, les médicaments contre le cancer, pour pouvoir énormément fumer, le remplissage de l’estomac par des bactéries, pour ne plus avoir à manger, et d’autres qui seront moins anecdotiques, comme la capacité à réveiller les personnes cryogénisées dans le passé, dont l’arrivée dans ce futur oppressant rendent fous, ou ces humains qui veulent se transformer en « faiseur » ! « Spider Jérusalem » traverse ce décor avec sa rage, sa violence et son humour, pour ouvrir les yeux de ses concitoyens lobotomisés, quitte à les secouer trop vivement et à vous faire souffrir de le lire. Mais si vous passez la lecture du premier volume, vous devriez succomber à cet univers brutal et à son personnage féroce même si l’œuvre reste de premier abord décousue. En seconde lecture, la personnalité surprenante du héros ne jouant plus, c'est réellement une très bonne bande dessinée !

24/11/2020 (modifier)
Par Pirlouit
Note: 5/5
Couverture de la série XIII
XIII

Rien à ajouter aux jugements positifs sur cette série, dont je me rappelle avoir lu d'une traite, la nuit, les 12 premiers épisodes. Auparavant je n'avais même jamais cherché à la lire, car le titre, "XIII", me rebutait. Par contre, je voudrais regretter ici, et ce, encore une fois malgré la qualité du scénario, les invraisemblances assez grosses qui se nichent surtout dans les premiers épisodes, et qui laissent à penser que Van Hamme a construit son scénario au fur et à mesure: On sait au bout du compte que Carington sait depuis le début que XIII est en réalité Jason MacLane, qu'il l'a recruté lui-même pour faire croire aux comploteurs que Steve Rowland n'était pas mort. Or, dans "Où va l'indien", il est bien persuadé d'avoir en face de lui Rowland, ce qui ne tient pas la route. Et on ne voit vraiment pas pourquoi, vu qu'il sait qui est en réalité XIII, il ne le lui dit pas ou ne l'aide pas à se retrouver. Pourquoi il l'envoie retrouver sa pseudo famille Rowland, ce qui ne sert à rien s'il sait qui est XIII, qui n'apporte rien non plus dans la résolution du complot, et ne fait que mettre XIII en danger. Et puis, le couplet sentimental sur Rowland dont la mort l'aurait presque fait pleurer alors que celui-ci est quand même assez proche d'une ordure, ça ne tient pas. Cette invraisemblance dure tout de même un certain nombre d'épisodes. Je pense que Van Hamme a fait aussi de Kim la fille de Carington seulement au bout d'un certain temps. Il n'y avait pas pensé au début, cela se voit. Autre petite invraisemblance: On ne comprend pas bien comment on peut trouver sur le fusil de Rowland (qui a tué Sheridan) les empreintes de XIII, et que celles-ci ne sont pas celles de Rowland. A moins que Rowland ne se soit lui aussi fait changer ses empreintes, et qu'on ait ensuite mis les mêmes à XIII, ce qui est incompréhensible. Le plus normal aurait été qu'on ait changé les empreintes de XIII en les remplaçant justement par celles de Rowland. Mais comme les empreintes de Rowland à la suite d'une verbalisation pour conduite en état d'ivresse sont le moyen de prouver que XIII n'est pas Rowland, tout ça se mord la queue!... ouf! Bref, il y a aussi d'autres petites invraisemblances, mais malgré tout on reste toujours fasciné par cette série, et pour ma part je la relis régulièrement... en m'agaçant à chaque fois des invraisemblances, mais ce n'est pas grave. Comme beaucoup, j'estime qu'après le 12e volume, la série perd de son intérêt, et j'ai arrêté d'acheter après le tome 19 (enfin j''ai acheté les trois ou 4 premiers de la nouvelle série, puis j'ai abandonné. Sans intérêt) Quant aux volumes sur chaque personnage, je les trouve souvent (pas tous quand même) inintéressants, et même souvent trahissant les personnages.

20/11/2020 (modifier)
Par grogro
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Discours de la panthère
Le Discours de la panthère

Jérémie Moreau est décidément un auteur à suivre. S'il n'a (presque) pas toujours réalisé des chefs d’œuvre (Penss et les plis du monde était une déception du point de vue graphique avec ses personnages à moitié mangaïsés), il sait cependant se renouveler. C'est un auteur qui cherche, explore, trouve souvent... On sent le gars généreux, plein d'audace, qui a des choses à dire et à faire voir, et surtout, qui ne s'assoie pas sur le succès. Rien que pour cette raison, avec Le Discours de la panthère, l'ami Moreau confirme tout le bien qu'on pensait de lui et s'impose comme un artiste incontournable. C'est finalement assez rare pour être souligné me semble-t-il. Ce nouvel essai est, une fois encore, marqué d'emblée par un changement de style graphique tout à fait saisissant. Même si l'on retrouve par moments ce goût pour les fonds texturés qui avaient conféré une puissance phénoménale à La Saga de Grimr, les dessins, épurés et chatoyants donnent ici l'impression d'un parti pris très fort et parfaitement assumé. "Penss", son ouvrage précédent, m'avait au contraire laissé un goût d'inachevé. On sentait clairement que l'ami Moreau hésitait alors entre plusieurs voies possibles. Au contraire, la sobriété lumineuse du Discours de la panthère tranche net et nous invite à pénétrer dans un monde merveilleux. L'expressivité des personnages (ici exclusivement des animaux) a toute la place pour s'exprimer. Moreau parvient à capter l'essence de chaque animal et à la fixer dans des gestes et des attitudes tout à fait typiques : mouvements de tête caractéristiques de l'autruche, marche lourde et chaloupée de l'éléphant, pas rapides du pagure (le fameux bernard l'hermite)... Mention spéciale aux vols acrobatiques et si féériques des étourneaux. Le dessin vibre et s'anime comme dans un trip sous LSD. De toute beauté ! Ce livre est d'abord un enchantement pour les yeux, à plus forte raison parce que les éditions 2024 ont su apporter à ce conte animalier l'écrin qui lui sied comme un gant. Mais ce magnifique dépouillement, tout en aplat de couleurs, souvent réduit à une ligne d'horizon, une dune, un arbre, une montagne, un nuage... permet également à l'histoire de s'étirer dans les moindres recoins. Cet ensemble de fables, comme autant de paraboles habilement imbriquées les unes dans les autres, voit son graphisme mis entièrement au service du propos, autant spirituel que philosophique. Au fil du livre, à travers chaque expérience de vie, le lecteur assemble peu à peu ce puzzle dont la dernière pièce (l'histoire du singe, sorte de proto humain en quelque sorte) donne tout son sens à cette réflexion sur la vie et ce qui nous unit à elle de manière intime. C'est beau et profond dans la forme et tout autant, sinon plus, dans le fond. Et tout ça sans jamais verser dans la lourdeur, le pathos ou la morale à papa. Une gageure ! En réalité, Jérémie Moreau choisit bien l'animal en fonction de ce qu'il lui fait vivre. Par exemple, de manière certes un peu convenue mais qu'importe puisque ça fonctionne, l'éléphant illustrera l'Histoire et la mémoire, ainsi que la manière dont on se construit aussi en fonction d'elle. L'autruche, animal a fortiori nettement moins gracieux qu'un chaton, symbolisera quant à elle l'image que l'on a de soi-même... Ainsi, chaque histoire s'attache à un aspect de la vie (et de la mort) pour former un ensemble parfaitement dense et cohérent. Blindée de discrètes références (on songe pêle-mêle au douanier Rousseau, à Kipling, La Fontaine, Esope...), le Discours de la panthère et son style naïf ne manquera pas d'interpeller. Magnifiquement illustrée, soutenue par des textes malins, le lecteur se voit tout entier absorbé par cette histoire d'une originalité certaine. Ajoutons que ce livre s'adresse aussi bien aux adultes qu'aux enfants, et on comprendra que l'on tient ici une bande-dessinée aussi originale qu'universelle. Cette lecture fut un véritable enchantement qui m'a scotché un sourire béat aux commissures toute la journée. Ben moi, j'appelle ça un coup de cœur !

10/11/2020 (MAJ le 12/11/2020) (modifier)
Par pol
Note: 4/5
Couverture de la série Les Frères Rubinstein
Les Frères Rubinstein

Voilà une fresque familiale des plus prometteuses. La collaboration de plusieurs auteurs se fait avec une harmonie remarquable à tous les niveaux. Entre histoire et dessin bien sûr, puisque le visuel nous permet de plonger les deux pieds en avant dans le récit. Mais également entre personnages et décors puisque 2 dessinateurs se partagent ce découpage sans qu'il y ait quoi que ce soit à redire tant le résultat est cohérent et esthétique. Des visages joviaux et expressifs, rendant sympathiques nos deux héros dès les premières cases. L'architecture des villes nous emmène brillamment au siècle dernier. Un sans faute graphique. Et l'histoire n'est pas en reste. On suit les aventures de 2 frères à travers les âges et les lieux, d'un coron du nord de la France, jusqu'au camp de Sobibor en passant par Paris. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il s'en passe des choses dans leur existence. Les difficultés que leur réserve la vie semblent les unir encore plus, et chacun est prêt à tout pour son frère. C'est beau, le lien qui unit cette fratrie fait plaisir à voir, d'autant plus qu'on y croit à fond. Cela ne parait jamais cliché et pour une histoire de juifs pendant la guerre, cela ne parait pas déjà lu cent fois. Les relations familiales sont vraiment au premier plan, bien mises en lumière par les nombreuses péripéties et le contexte historique. Les héros sont vraiment attachants, leurs aventures pleines de rebondissements qu'on prend plaisir à suivre. L'histoire se ballade dans le temps de 1927 à 1942, en revenant régulièrement entre les deux, sans que cela soit confus ou perturbant. Au contraire ces flashbacks amènent un vrai plus à la narration. Les évènements présents trouvant leur source dans le passé, le comportement d'un personnage faisant écho à une péripétie plus ancienne. C'est limpide, cohérent, tout trouve du sens au fur et à mesure que l'histoire avance. On a vraiment envie de connaitre le destin de nos deux héros. La saga semble partie pour durer, il ne reste qu'à espérer que ce soit aussi bon tout au long des tomes à venir.

07/11/2020 (modifier)
Par Ju
Note: 4/5
Couverture de la série Dans la tête de Sherlock Holmes
Dans la tête de Sherlock Holmes

Sans aucun doute un très bon travail que voici. J’ai eu une très courte période d’attrait pour Sherlock Holmes durant mon adolescence, j’ai lu quelques romans et j’aimais beaucoup. Cela n’a pas duré mais j’ai toujours gardé de l’affection pour ce fameux détective, notamment en bd avec Baker Street. Néanmoins, nous sommes dans une bd qui n’a rien à voir avec la précédente nommée. Nous avons ici un Sherlock génial et intuitif, et dont les addictions prennent pas mal de place. Watson est son parfait faire valoire, sérieux, honorable mais beaucoup moins génial et intuitif. L’intrigue est plutôt agréable même si pas extraordinairement originale. Mais pour les amateurs de polar, cela suffit amplement. La véritable originalité de cette bd réside néanmoins dans son aspect graphique. Le dessin est assez agréable, la colorisation aide aussi à rentrer dans l’ambiance, et le découpage des cases, qui prennent différentes formes, apporte de l’originalité. Mais j’ai surtout apprécié certaines planches où la pensée de Sherlock est détaillée, où les liens qui se font dans son esprit sont couchés sur le papier sous formes de dessins. Plus que pour la narration de l’histoire en elle-même, c’est en cela que l’idée de raconter une histoire à la Holmes et non à la Watson est intéressante. Suivre seulement l’intrigue dans une bd classique m’aurait ennuyé. Mais suivre cette intrigue avec ces dessins et cette particularité sur plusieurs planches, là, j’ai vraiment trouvé ça intéressant. J’ai aussi bien aimé jouer avec les pages (plier, voir en transparence) mais pour le coup j’ai trouvé que ça aurait pu aller plus loin (il fait dire que je venais de lire la série entière des Julius Corentin Acquefacques). On sent que Benoît Dahan s’est cassé la tête sur chaque planche pour donner le meilleur résultat possible. Et le résultat est là. Vivement la suite, j’avoue attendre encore plus d’originalité d’un point de vue graphique et "matériel".

26/10/2020 (modifier)
Par Gaendoul
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou - La Bête
Le Marsupilami de Frank Pé et Zidrou - La Bête

Bwouf...je viens de terminer La Bête et c'est excellent. Le dessin et surtout la mise en page sont très bien maîtrisés et parcourir les pages de cet album est un véritable plaisir. La scène d'introduction est parfaite, la cohérence de l'ensemble, le travail de présentation des personnages... du très beau boulot et on ne peut que se prendre d'affection pour Fran(z)çois, sa mère, Monsieur Boniface et autres seconds rôles. Le tout a un côté cinématographique très prononcé, notamment dans les angles de vue et le déroulement. Certaines planches retranscrivent à merveille les émotions des personnages sans avoir besoin de montrer leur visage ou de les faire parler... Bref, une très très bonne surprise et je recommande vivement la lecture de cet album riche en émotions.

24/10/2020 (modifier)