Cet album est un conte nous racontant l'histoire de Céleste, géante désireuse de découvrir le monde et qui réalisera lors de ses voyages que son statut de femme est malheureusement son réel handicap en société.
En effet, dans ses aventures, Céleste est assez peu gênée de sa taille gigantesque (si ce n'est au début). Sa taille est en réalité plus souvent utilisée comme symbole de son sentiment de ne pas appartenir au même monde que les autres, d'être hors-norme. Une scène laisse même entendre que sa taille de géante pourrait être une représentation de la grandeur des femmes, de la Femme, qui se trouve en elle, une forme de réappropriation de l'espace de vie féminine.
Oui, vous l'aurez devinez au résumé, ceci est un conte féministe.
Au-delà du féminisme, c'est un conte sur l'ouverture à l'autre, sur les stigmates causés par une société cultivant les inégalités, pourchassant et éliminant les différences et souhaitant contrôler ce qui ne la regarde pas (on aborde même le sujet des relations amoureuses non-monogames, plus ouvertes, plus libres). Dans cette société aux allures médiévales, l'histoire aborde le sujet de la féminité, du statut des femmes sont un patriarcat étouffant, des créations des femmes pour s'en sortir, partir ou tout simplement grandir. Comme souvent, on utilise à un moment un personnage de sorcière pour symboliser la femme de science pourchassée par les hommes souhaitant la contrôler. J'ai également bien aimé que le sujet des femmes dans les troupes de saltimbanques et d'artistes itinérants dans les sociétés médiévales ait été abordé ici, c'était une de mes parties préférées lorsque j'avais étudié l’histoire des arts scéniques.
Bref, Géante raconte l'histoire d'une jeune femme mûrissant, découvrant le monde et apprenant de ses découvertes, et qui, par la force de ses expériences et de ses convictions, créera petit à petit une communauté qui lui convienne et qui lui semble juste.
Peut-être trop idéaliste mais ça fait du bien.
(Note réelle 3,5)
Alors ça, c'est glauque à souhait.
Jolies ténèbres, c'est un conte macabre, un récit fantastique mêlant les joies enfantines aux horreurs plus sombres et cruelles du monde réel. Tout commence dans l'esprit d'une jeune fille… morte. Oui, ici, nous allons suivre des petits êtres humanoïdes tout droit sortis de l'imaginaire d'une enfant et qui vont devoir tenter de survivre hors de sa tête lorsque celle-ci meurt en pleine forêt dans des circonstances inconnues. Le sujet, en réalité, ne sera pas la mort de la jeune fille en elle-même (si ce n'est à la rigueur que tout ce récit pourrait être interprété comme une métaphore pour la mort symbolique de l'enfance et un passage forcé et dramatique à l'âge adulte et ses horreurs plus froides). Ici, nous allons suivre ces petits personnages à l'apparence si innocente progressivement se transformer en monstres. Vols, inégalités, meurtres, survie en milieu hostiles, … On comprend très rapidement que l'on ne nous raconte pas ici une histoire joyeuse.
Comme le nom de l'album l'indique, nous avons ici un croisement du beau, du mignon, de l'idéal (de l'idéalisé, même) et du terrifiant, du monstrueux, du froid, du réel. Seuls une poignée de personnages semblent objectivement sympathiques, mais bien évidemment, comme souvent dans ce genre de récit, ce sont elleux qui subiront les pires tragédies.
Aurore, notre protagoniste, est une jeune rêveuse, souhaitant l'entraide, la paix avec les animaux et tout simplement que tout le monde puisse vivre en harmonie. Cette histoire est celle de ses désillusion, de la perte de son innocence, de sa découverte presque trop cruelle des pires aspects de l'humanité. Elle qui n'était qu'une sorte de poupée idéalisée au début, ne rêvant que de fêtes, de thés et de son beau prince, elle finira traumatisée, froide, monstrueuse à son tour.
L'album retourne, met sincèrement mal à l'aise par moment, et surtout réussi son pari de faire de ce récit une rencontre entre une leçon de vie poétique et imagée et une version horrifique du roman "Les Chapardeurs" de Mary Norton.
Le dessin de Kerascoët est, comme toujours, très beau. Iels arrivent toujours à donner des visages et des apparences adorables à leurs personnages, ce qui aide beaucoup pour le contraste avec les évènements affreux que ces petits êtres vivent. Les dernières planches beaucoup plus froides et terrifiantes m'ont vraiment bluffée.
L'album m'a sincèrement retournée. C'est glauque, prenant, angoissant, …
La lecture est on ne peut plus recommandée pour moi.
Je n'ai franchement aucune affinité avec toute cette histoire, dont je ne connais pas le film d'ailleurs (American Sniper). Mais Nury et Brüno qui s'associent pour parler de ça, c'est suffisant pour me donner envie. Et j'ai donc commencé la BD sans trop d'attente, ce qui m'a permis de complètement l'apprécier.
En effet, la BD pose deux conditions pour une lecture agréable : ne pas s'attendre à une histoire exhaustive, ne pas s'attendre à une considération sur les personnes. Ne connaissant pas l'histoire, donc, j'ai été surpris que l'ensemble présente les faits et (presque) que les faits. Les auteurs ne se posent jamais en père-la-morale et se contentent de présenter tout les personnages, leurs idées, comment cette journée arriva et ce qu'il en résultat. Mais aussi la suite, avec la veuve de Chris Kyle, tout ce qui s'est passé autour de son image etc ...
Ce qui fait la confusion possible de plusieurs lecteurs et lectrices, c'est que la BD semble vouloir explorer cette histoire aux personnages assez peu manichéen, alors que le propos des auteurs me semble tout autre. Bien qu'il ne mette que les faits allant jusqu'à retranscrire des interviews télévisuelles, c'est dans l'organisation des pages que j'ai senti ce qui se jouait. Pour moi (du haut de mon expérience de lecteur), les auteurs veulent utiliser cette histoire pour présenter une société, la société américaine, dans toutes ses contradictions. Une société qui ne s'occupe pas de la santé de ses milliers de vétérans, fasciné par les armes à feux, embrassant la violence comme solution (le slogan est incroyable !), utilisant toute histoire pour faire de l'argent, capitalisant sur le succès populaire ...
Pour moi, cette BD est surtout une constatation de ce qu'est l'Amérique de Chris Kyle. Une Amérique qui ne fait pas du tout rêver et qui semble surtout un échec cuisant. Voir la jeune veuve sortir livre sur livre et créer des sociétés en profitant de la mort de son mari me parait indécent, mais c'est l'Amérique ! Voir les personnages utilisés en tout sens, les procès s'empiler, les interviews (parfois lunaire) se succéder, le tout baigné des valeurs bien USA (arme, protestantisme, procès, argent ...). C'est une fin bien amère qui est présentée, à mon gout, lorsque l'on voit encore une page de mort qui s'entasse, morts anonymes qui ne seront jamais déplorés ... La BD est une enquête sur un sujet qui n'est pas le meurtre de Chris Kyle et dont j'ai l'impression que le sous-titre est le plus important : une histoire Américaine.
Cet album est très intéressant. D’une part parce qu’il explique de façon très simple et très claire comment les multinationales s’exonèrent des obligations collectives en matière fiscale, en jouant sur les règles, avec la complicité de dirigeants politiques, et d’États aux allures de paradis fiscaux – ici le Luxembourg, avec des boites de Conseils et d’Audit spécialisées pour les conseiller à frauder le fisc.
L’autre intérêt est de montrer, au travers de ce qui est arrivé à Antoine Deltour, qui travaillait dans l’un de ces cabinets géants (qui œuvrent pour « accompagner » les multinationales du monde entier – celles qui ont des « sièges sociaux » ne contenant qu’une boîte aux lettres au Luxembourg) et qui est devenu « lanceur d’alerte », fournissant des documents à "Cash Investigation" - entre autres. C’est le début pour lui d’un harcèlement judiciaire de la part de son ancien employeur – secondé par la justice luxembourgeoise au début. Cela interroge donc aussi sur le statut de lanceur d’alerte, officiellement défendu, mais qui en fait est plus que fragile. Et il faut beaucoup de courage pour le devenir et le rester, puisque plusieurs années de combat judiciaire, de pressions diverses s’ensuivent.
La narration est agréable et limpide, y compris lorsque Deltour explique les mécanismes de la fraude. On reste pourtant dégoûté en comprenant que rien n’a changé sur le fond, puisque les mécanismes qui permettent aux multinationales d’utiliser le dumping fiscal et les complicités des dirigeants leur permettent toujours de ne presque rien payer en impôts sur leurs réels bénéfices. Comme le rappelle Deltour (et c’est le moteur de son action), ceci entraine la baisse des investissements dans l’éducation, le social, les hôpitaux, etc., puisque l’argent qui leur serait nécessaire est détourné au profit des actionnaires des grands groupes, suite à quelques jeux d’écriture.
Un album peu épais, vite lu, mais instructif (à compléter avec quelques articles du Monde diplo, quelques émissions d’Élise Lucet – qui se fend de la préface et certains livres et BD de Denis Robert).
Une lecture recommandée.
"La Gloire de mon père" et Le Château de ma Mère , sa suite, ont la particularité d'être des excellents romans bénéficiant de très bonnes adaptations ciné et BD. J'aime beaucoup l'univers marseillais de Pagnol et je trouve que la collection proposée par Stocco et Stoffel rend fidèlement hommage à ce grand artiste. Pagnol est un auteur très "cinématographique" dans ses récits. C'est donc presque naturel de retrouver le même déroulé scénaristique dans la série. Pas de surprise donc mais un plaisir évident de retrouver cet équilibre entre l'intimité de l'enfance heureuse, la peinture sociétale et sociale de ce début de siècle où la séparation de l'Eglise et de l'Etat est une grande affaire, et la pointe d'ironie sur l'image idolâtrée du père. Les dialogues sont souvent issus du roman ce qui apporte une belle qualité littéraire à la série.
Le graphisme de Tanco qui manie humour des expressions et précision des paysages contribue grandement à la qualité d'une lecture dont je ne me lasserai jamais.
Vivre avec / Vivre contre
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les sept épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Steve Skroce qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par le studio Fonografiks.
Nathaniel Hawkthorne, le président des États-Unis, s'adresse à son peuple depuis son pupitre, avec le drapeau américain derrière lui. Il se trouve dans un énorme hangar souterrain militaire, devant des civils assis, avec des militaires debout, et de nombreux avions de chasse, ainsi que des chars occupant l'immense espace. Le temps est venu pour le peuple de la Bulle de reconquérir le territoire de la nation. Après un sabotage de grande ampleur il y a quelques années, leur arsenal est revenu au plus haut niveau, grâce à une reconstruction automatisée. Il est certain que ce projet de reconstruction est le bon, c'est ce qu'il lit dans le regard des civils assis, dans celui des soldats, et même celui des anciens rebelles en tenue orange qui ont finit par se soumettre. La ville rutilante n'est plus que ruines, mais les fondations sont encore solides : il est temps que d'ensemencer pour que quelque chose de plus beau puisse prendre racine. Dans le même temps, deux individus, Dom et Mike, ont réussi à s'infiltrer dans une autre partie du hangar et ils se mettent à trafiquer un avion. Ils sont repérés par deux soldats.
Comprenant qu'ils ont été identifiés comme des rebelles, les deux hommes dégainent et abattent les deux soldats. Le président a entendu les coups de feu et ordonnent aux soldats d'intervenir sans faire de prendre de prisonnier. Dom et Mike sont parvenus à s'installer au poste de pilotage de l'avion, mais les balles commencent à fuser. Dans l'étage supérieur, quatre autres rebelles contemplent la situation et savent ce qu'il leur reste à faire : déclencher l'explosion des charges même s'ils se trouvent en plein dans leur champ d'action. Les deux rebelles profitent de l'explosion pour décoller et sortir de cette gigantesque base installée au cœur du mont Cheyenne dans le Colorado. Malheureusement l'appareil a été touché et ils vont devoir se poser rapidement. Dans un campement non loin de là, Rudy, un individu chétif avec des plaques de rougeur sur le corps, accueille Carolyn, pendant qu'un petit groupe regarde un dessin animé en plein air, mettant en scène les superhéros Night Terror et Don. Il s'adresse à une jeune femme peu commode qui explique qu'elle est venue parler à leur chef F.F. Celui-ci arrive en volant grâce à un exosquelette et ordonne à Rudy d'aller voir ailleurs vite, parce que ses talents de cannibale n'apportent pas grand-chose à la communauté. Puis il s'adresse à Carolyn, lui indiquant qu'il apprécie ses talents et qu'il souhaite l'aider à les mettre à profit de la communauté. de manière peut-être ironique, elle répond qu'elle est touchée de pouvoir interagir à haut niveau avec le vrai responsable. Soudain, quelqu'un pointe du doigt un aéronef dans le ciel qui semble proche de se crasher.
Après Maestros (2018) et une histoire de magie, Steve Skroce réalise une nouvelle histoire entre science-fiction et anticipation : la civilisation s'est écroulée, une communauté a survécu dans un environnement protégé, avec toute la modernité technologique préservée et automatisée. Il est temps pour l'autorité légitime des États-Unis de reconquérir le territoire et de rebâtir la nation. Oui, ça commence comme ça, mais le personnage identifié comme le héros s'oppose à cette campagne militaire. Le créateur ne fait pas les choses à moitié : il donne à voir ce futur du vingt-troisième siècle dans le détail, sans ménager sa peine. La vision panoramique de l'énorme caverne impressionne le lecteur : le nombre d'avions, les citoyens assis sur des rangées de chaises bien alignées, l'uniforme des soldats, la tenue des prisonniers, avec des visages tous différents. Le lecteur un peu plus exigeant relève que la caverne comprend également des installations techniques permettant la sortie et la rentrée des avions, la place pour qu'ils puissent évoluer. Ce n'est pas un dessin effectué sous le coup de l'inspiration, mais une installation pensée pour être fonctionnelle.
Après cette entrée en matière qui en jette, le lecteur se demande si l'investissement de l'artiste va baisser ou va rester de même niveau au fil des épisodes. Il obtient la réponse très rapidement : il n'y a pas de scène sacrifiée, ou de passage en mode expéditif. Ainsi le lecteur va pouvoir se projeter dans plusieurs endroits de la Bulle, l'environnement dans le Mont Cheyenne évidé, comme la zone de plage, la fabrique automatisée de drones, la salle de commandement militaire, les serres hydroponiques, le restaurant haut de gamme, les cascades intérieures, les nurseries, et même un plan holographique de l'ensemble des installations de la Bulle. Il peut satisfaire sa curiosité en prenant le temps de détailler les caractéristiques d'autres lieux : le camp de F.F. mettant à profit des bâtiments abandonnés, avec son arène pour des affrontements sanglants et son sol tapissé d'ossements, ses enclos à prisonniers, la ville préservée d'où est originaire Carolyn, une mégapole dont les gratte-ciels s'écroulent, sans oublier les installations très inattendues des studios Wonder à Hollywood. L'artiste se montre d'une inventivité tout aussi généreuse pour les véhicules, les armes, les accessoires, les personnages tout du long : le harnais de vol autonome, des prothèses remplaçant des membres perdus, des simulateurs de plaisirs pour le pénis, un 4*4 vraiment tout terrain, des bolas réalisés avec des têtes humaines, des droïdes de combat, des animatronics, des poulets particulièrement agressifs. Le lecteur se rend également compte qu'il y a des éléments visuels nouveaux dans chaque épisode, que le dessinateur n'attire pas l'attention dessus de manière ostentatoire ou démonstrative. Il reste donc libre d'y prêter attention ou non, et ça vaut le coup : impossible d'oublier la veste et la chemise en peau humaine en dernière page de l'épisode 1. En fonction de sa culture comics, le lecteur peut y voir un clin d’œil à la série Crossed de Jacen Burrows et Garth Ennis. Dans la silhouette en ombre chinoise en dessin en pleine page à la fin de l'épisode 2, il peut voir un hommage au Dark Knight de Frank Miller. À chaque fois, il s'agit d'une influence bien assimilée, par d'un ersatz pour rendre la page plus intéressante.
Il apparaît rapidement que le scénario est aussi dense que le sont les dessins. le premier épisode propose un point de départ simple : une version totalitaire d'un gouvernement sans légitimité aucune (et certainement pas démocratique) s'apprête à pratiquer la politique de la terre brûlée en annihilant toutes les communautés sur le territoire pour en devenir maître et rétablir une société favorisant les nantis. Deux rebelles vont tenter de stopper cette machine de guerre. Bien sûr, Dom et Mike vont faire l'expérience désagréable de la réalité : les communautés à l'extérieur ne sont pas démocratiques non plus, et pratiquent la politique du plus fort également. Dans l'épisode 1, le président des États-Unis par défaut revient sur une partie de l'historique de la situation actuelle, à l'occasion de son discours sur deux pages. Mike explique la situation de la Bulle à Carolyn lors d'une page d'exposition bien fournie. C'est un peu lourd comme mode de présentation mais ça passe vite. Dans l'épisode 2, le président fait un nouveau discours de deux pages pour en dire plus sur l'actualité, et le lecteur tombe des nues en découvrant le secret de Carolyn. Dans l'épisode 3, nouvelle ville et informations complémentaires sur l'arrivée de l'élite dans la bulle, l'accession au pouvoir de Nathaniel Hawkthorne, dans des planches bien fournies en texte et en illustrations. Steve Skroce ne se moque pas du lecteur : il n'a pas étiré son intrigue sur 7 épisodes, il a même du mal à tout faire tenir en seulement 7 épisodes.
Cette histoire accroche de suite le lecteur pour sa narration graphique évoquant par moment la minutie de Geoff Darrow, parfois l'élégance de Frank Quitely, parfois la froideur descriptive de Jacen Burrows, en conservant toujours la personnalité propre de Skroce. Ce récit post apocalyptique contient de nombreux éléments spécifiques, et montre des combats brutaux et soignés, ce qui le place au-dessus du tout-venant des comics de ce genre. Plusieurs éléments relevant de l'humour noir et même macabre, avec une touche de gore, viennent relever le plat. Il y a également quelques touches d'humour moins sanglant, en particulier un petit doigt de pied espion irrésistible. Le fond de l'histoire ne se réduit pas à un affrontement manichéen entre des bons et des méchants, chaque faction ayant la conviction d’œuvrer pour le bien général. Le lecteur sourit en découvrant la forme de patriotisme du président en place, le fait qu'il ne tire pas légitimité d'une élection, sa vision impérialiste de la domination de l'élite. Il se rend compte que ce qui s'avère encore plus dérangeant réside dans le fait que les habitants de la Bulle n'ont aucun mérite : ils se sont installés dans cette énorme base, prête à l'emploi sans avoir aucun effort à faire, tout étant automatisé, et ne s'attribuant comme seule responsabilité que de survivre en prenant du bon temps. Par la force des choses, la communauté cannibale ne présente pas de valeur morale digne d'admiration. La douceur de vivre de la communauté d'où est originaire Carolyn a un coût. La société des studios Wonder a son propre objectif qui exclut également une partie significative de la population encore en vie. Pour autant, le scénariste ne verse pas non plus dans le Tous pourris, et l'évolution de la situation se fait au travers d'un effort collectif. En cherchant plus loin, le lecteur constate que les individus ayant combattu dans le conflit en portent les stigmates. En continuant sur cette lancée, le lecteur constate que ce qui différencie les factions en présence, c'est leur façon d'envisager la société : soit Vivre contre une autre communauté (ou plusieurs), soit chercher des solutions pour Vivre avec.
Au vu de la couverture, le lecteur se prépare à une lecture détente, de combats brutaux dans une société post apocalyptique. Son horizon d'attente est comblé au-delà de ses espérances, car Steve Skroce investit du temps dans la conception de ce futur peu engageant et dans sa représentation détaillée. L'humanité étant ce qu'elle est, les profiteurs sont toujours de ce monde, et en plus, ils ont les armes de leur côté. Au fur et à mesure que les conflits progressent, l'intrigue prend de l'ampleur et le propos se révèle plus sophistiqué que prévu, plus intelligent et plus constructif également. Dans un divertissement de haut vol, l'auteur met en œuvre le principe qui devrait être évident que vivre en société, c'est vivre avec les autres, et pas contre les autres.
Shuzo Oshimi est décidément un auteur à part et cette série le prouve encore une fois.
L'auteur aime parler de sujets durs et souvent tabous sans prendre les gants et ce n'est donc pas une lecture que je recommande à tout le monde. Il y a des passages très crus montant la sexualité et les fantasmes d'adolescents qui risquent de choquer les âmes sensibles.
L'histoire met en avant trois adolescents qui sont mal dans leur peau et surtout dans les rôles que leur donne la société japonaise qui est très conformiste et rigide sur ce que doit être un homme et ce que doit être une femme et gare à celui ou celle qui ne tient pas son rôle convenablement. Je ne vois pas trop quoi ajouter de plus à l'avis de gruizzli hormis que je suis souvent d'accord avec son avis.
L'auteur réussit le tour de force de montrer du sordide sans tomber dans l'exploitation de bas étages. On sent un amour pour les personnages même lorsqu'ils font des trucs malsains. Il faut dire que l'auteur se sent concerné par le sujet et a donc mis beaucoup de lui-même dans cette série...
Les 7 tomes se lisent bien. Il faut dire qu'il y a souvent peu de texte durant plusieurs pages de suite. La mise en scène est incroyable.
Brave Bell est un manga dense qui apporte une trame originale mêlant de nombreuses thématiques et qui ne se laisse pas deviner.
Cela commence comme un shonen classique, avec un héros lycéen qui a la particularité d'être le fils d'un chef yakuza et d'avoir une vie scolaire particulière à cause de l'aura que cela implique. Une seule fille au lycée ose en effet le traiter d'égal à égal, mais hormis cela il se sent bien seul. Jusqu'au jour où tout le clan de sa famille est massacré par une organisation inconnue et qu'il se retrouve avec la vengeance comme seul objectif. Mais avant cela, il doit découvrir ce que contient le coffre bancaire que son père lui a laissé en héritage. Qu'elle n'est pas sa surprise de découvrir qu'une jeune fille y est hébergée, une petite soeur qui lui était inconnue et dont il apprend qu'elle détient un pouvoir surnaturel de même que l'une des antagonistes qu'il rencontre par la même occasion ! C'est avec l'aide de cette enfant et de ses pouvoirs, ainsi qu'avec le soutien de sa seule amie du lycée, qu'il va continuer à mener l'enquête pour comprendre qui est cette organisation qui a tué sa famille.
Un scénario complexe et intense pour un récit plutôt noir, avec une dose de polar et une autre de fantastique.
On sent qu'il dispose d'un scénariste d'une part et d'un dessinateur d'autre part, contrairement à ces séries manga où un seul auteur s'occupe des deux. Car en effet le dessin est ici tout aussi pro et travaillé que le scénario. Les planches sont soigneusement réalisées, avec un trait réaliste et détaillé. Il y a un gros boulot derrière ça et la narration reste très lisible.
L'histoire est rythmée, très prenante, avec une bonne intelligence dans son déroulement et sa mise en scène. Il se passe beaucoup en un unique tome d'introduction et on se demande vraiment où l'intrigue va nous mener pour se terminer en 6 tomes. A suivre de près.
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres.
Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes.
Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé.
Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953.
On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin.
Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde.
Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin.
Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur.
Un Zidrou en grande forme !
Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante.
La mise en page est dynamique.
La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie.
Un album qui donne la banane ! ;)
Coup de cœur.
Garulfo, c'est l'histoire d'une grenouille éponyme qui, las de sa condition de batracien et envieuse des humains qu'elle idéalise depuis toujours, va un jour trouver une fée pour exaucer son souhait : pouvoir devenir un homme. Malheureusement, l'humanité est bien loin de l'image optimiste qu'il en avait, et c'est bientôt la cruauté, l'injustice et la vilenie qui feront son monde. A moins qu'il puisse parvenir à redevenir une grenouille insouciante…
Ajoutez à cela un prince humain qui lui aurait bien besoin d'une bonne dose d'empathie et d'une leçon de gentillesse et de politesse et vous aurez la base de cette série : un conte sur la nature humaine.
Des textes bien construits, une histoire jouant des codes des récits chevaleresques, des clins d'œil à des contes bien connus de-ci de-là, un propos filé sur la cruauté humaine et, par son libre arbitre, le potentiel de l'humanité à devenir meilleure, … bref, l'œuvre est pleine de qualités. C'est du bon, du très bon même. Pourtant ça n'atteint pas le "culte" pour moi. Cela n'en est pas loin, je ne saurais pas vraiment dire ce qui manquerait, mais c'est mon ressenti : très bon mais pas parfait.
(Note réelle 3,5)
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Géante - Histoire de celle qui parcourut le monde à la recherche de la liberté
Cet album est un conte nous racontant l'histoire de Céleste, géante désireuse de découvrir le monde et qui réalisera lors de ses voyages que son statut de femme est malheureusement son réel handicap en société. En effet, dans ses aventures, Céleste est assez peu gênée de sa taille gigantesque (si ce n'est au début). Sa taille est en réalité plus souvent utilisée comme symbole de son sentiment de ne pas appartenir au même monde que les autres, d'être hors-norme. Une scène laisse même entendre que sa taille de géante pourrait être une représentation de la grandeur des femmes, de la Femme, qui se trouve en elle, une forme de réappropriation de l'espace de vie féminine. Oui, vous l'aurez devinez au résumé, ceci est un conte féministe. Au-delà du féminisme, c'est un conte sur l'ouverture à l'autre, sur les stigmates causés par une société cultivant les inégalités, pourchassant et éliminant les différences et souhaitant contrôler ce qui ne la regarde pas (on aborde même le sujet des relations amoureuses non-monogames, plus ouvertes, plus libres). Dans cette société aux allures médiévales, l'histoire aborde le sujet de la féminité, du statut des femmes sont un patriarcat étouffant, des créations des femmes pour s'en sortir, partir ou tout simplement grandir. Comme souvent, on utilise à un moment un personnage de sorcière pour symboliser la femme de science pourchassée par les hommes souhaitant la contrôler. J'ai également bien aimé que le sujet des femmes dans les troupes de saltimbanques et d'artistes itinérants dans les sociétés médiévales ait été abordé ici, c'était une de mes parties préférées lorsque j'avais étudié l’histoire des arts scéniques. Bref, Géante raconte l'histoire d'une jeune femme mûrissant, découvrant le monde et apprenant de ses découvertes, et qui, par la force de ses expériences et de ses convictions, créera petit à petit une communauté qui lui convienne et qui lui semble juste. Peut-être trop idéaliste mais ça fait du bien. (Note réelle 3,5)
Jolies ténèbres
Alors ça, c'est glauque à souhait. Jolies ténèbres, c'est un conte macabre, un récit fantastique mêlant les joies enfantines aux horreurs plus sombres et cruelles du monde réel. Tout commence dans l'esprit d'une jeune fille… morte. Oui, ici, nous allons suivre des petits êtres humanoïdes tout droit sortis de l'imaginaire d'une enfant et qui vont devoir tenter de survivre hors de sa tête lorsque celle-ci meurt en pleine forêt dans des circonstances inconnues. Le sujet, en réalité, ne sera pas la mort de la jeune fille en elle-même (si ce n'est à la rigueur que tout ce récit pourrait être interprété comme une métaphore pour la mort symbolique de l'enfance et un passage forcé et dramatique à l'âge adulte et ses horreurs plus froides). Ici, nous allons suivre ces petits personnages à l'apparence si innocente progressivement se transformer en monstres. Vols, inégalités, meurtres, survie en milieu hostiles, … On comprend très rapidement que l'on ne nous raconte pas ici une histoire joyeuse. Comme le nom de l'album l'indique, nous avons ici un croisement du beau, du mignon, de l'idéal (de l'idéalisé, même) et du terrifiant, du monstrueux, du froid, du réel. Seuls une poignée de personnages semblent objectivement sympathiques, mais bien évidemment, comme souvent dans ce genre de récit, ce sont elleux qui subiront les pires tragédies. Aurore, notre protagoniste, est une jeune rêveuse, souhaitant l'entraide, la paix avec les animaux et tout simplement que tout le monde puisse vivre en harmonie. Cette histoire est celle de ses désillusion, de la perte de son innocence, de sa découverte presque trop cruelle des pires aspects de l'humanité. Elle qui n'était qu'une sorte de poupée idéalisée au début, ne rêvant que de fêtes, de thés et de son beau prince, elle finira traumatisée, froide, monstrueuse à son tour. L'album retourne, met sincèrement mal à l'aise par moment, et surtout réussi son pari de faire de ce récit une rencontre entre une leçon de vie poétique et imagée et une version horrifique du roman "Les Chapardeurs" de Mary Norton. Le dessin de Kerascoët est, comme toujours, très beau. Iels arrivent toujours à donner des visages et des apparences adorables à leurs personnages, ce qui aide beaucoup pour le contraste avec les évènements affreux que ces petits êtres vivent. Les dernières planches beaucoup plus froides et terrifiantes m'ont vraiment bluffée. L'album m'a sincèrement retournée. C'est glauque, prenant, angoissant, … La lecture est on ne peut plus recommandée pour moi.
L'Homme qui tua Chris Kyle
Je n'ai franchement aucune affinité avec toute cette histoire, dont je ne connais pas le film d'ailleurs (American Sniper). Mais Nury et Brüno qui s'associent pour parler de ça, c'est suffisant pour me donner envie. Et j'ai donc commencé la BD sans trop d'attente, ce qui m'a permis de complètement l'apprécier. En effet, la BD pose deux conditions pour une lecture agréable : ne pas s'attendre à une histoire exhaustive, ne pas s'attendre à une considération sur les personnes. Ne connaissant pas l'histoire, donc, j'ai été surpris que l'ensemble présente les faits et (presque) que les faits. Les auteurs ne se posent jamais en père-la-morale et se contentent de présenter tout les personnages, leurs idées, comment cette journée arriva et ce qu'il en résultat. Mais aussi la suite, avec la veuve de Chris Kyle, tout ce qui s'est passé autour de son image etc ... Ce qui fait la confusion possible de plusieurs lecteurs et lectrices, c'est que la BD semble vouloir explorer cette histoire aux personnages assez peu manichéen, alors que le propos des auteurs me semble tout autre. Bien qu'il ne mette que les faits allant jusqu'à retranscrire des interviews télévisuelles, c'est dans l'organisation des pages que j'ai senti ce qui se jouait. Pour moi (du haut de mon expérience de lecteur), les auteurs veulent utiliser cette histoire pour présenter une société, la société américaine, dans toutes ses contradictions. Une société qui ne s'occupe pas de la santé de ses milliers de vétérans, fasciné par les armes à feux, embrassant la violence comme solution (le slogan est incroyable !), utilisant toute histoire pour faire de l'argent, capitalisant sur le succès populaire ... Pour moi, cette BD est surtout une constatation de ce qu'est l'Amérique de Chris Kyle. Une Amérique qui ne fait pas du tout rêver et qui semble surtout un échec cuisant. Voir la jeune veuve sortir livre sur livre et créer des sociétés en profitant de la mort de son mari me parait indécent, mais c'est l'Amérique ! Voir les personnages utilisés en tout sens, les procès s'empiler, les interviews (parfois lunaire) se succéder, le tout baigné des valeurs bien USA (arme, protestantisme, procès, argent ...). C'est une fin bien amère qui est présentée, à mon gout, lorsque l'on voit encore une page de mort qui s'entasse, morts anonymes qui ne seront jamais déplorés ... La BD est une enquête sur un sujet qui n'est pas le meurtre de Chris Kyle et dont j'ai l'impression que le sous-titre est le plus important : une histoire Américaine.
Fronde fiscale - Antoine Deltour - Parcours d'un lanceur d'alerte
Cet album est très intéressant. D’une part parce qu’il explique de façon très simple et très claire comment les multinationales s’exonèrent des obligations collectives en matière fiscale, en jouant sur les règles, avec la complicité de dirigeants politiques, et d’États aux allures de paradis fiscaux – ici le Luxembourg, avec des boites de Conseils et d’Audit spécialisées pour les conseiller à frauder le fisc. L’autre intérêt est de montrer, au travers de ce qui est arrivé à Antoine Deltour, qui travaillait dans l’un de ces cabinets géants (qui œuvrent pour « accompagner » les multinationales du monde entier – celles qui ont des « sièges sociaux » ne contenant qu’une boîte aux lettres au Luxembourg) et qui est devenu « lanceur d’alerte », fournissant des documents à "Cash Investigation" - entre autres. C’est le début pour lui d’un harcèlement judiciaire de la part de son ancien employeur – secondé par la justice luxembourgeoise au début. Cela interroge donc aussi sur le statut de lanceur d’alerte, officiellement défendu, mais qui en fait est plus que fragile. Et il faut beaucoup de courage pour le devenir et le rester, puisque plusieurs années de combat judiciaire, de pressions diverses s’ensuivent. La narration est agréable et limpide, y compris lorsque Deltour explique les mécanismes de la fraude. On reste pourtant dégoûté en comprenant que rien n’a changé sur le fond, puisque les mécanismes qui permettent aux multinationales d’utiliser le dumping fiscal et les complicités des dirigeants leur permettent toujours de ne presque rien payer en impôts sur leurs réels bénéfices. Comme le rappelle Deltour (et c’est le moteur de son action), ceci entraine la baisse des investissements dans l’éducation, le social, les hôpitaux, etc., puisque l’argent qui leur serait nécessaire est détourné au profit des actionnaires des grands groupes, suite à quelques jeux d’écriture. Un album peu épais, vite lu, mais instructif (à compléter avec quelques articles du Monde diplo, quelques émissions d’Élise Lucet – qui se fend de la préface et certains livres et BD de Denis Robert). Une lecture recommandée.
La Gloire de mon Père
"La Gloire de mon père" et Le Château de ma Mère , sa suite, ont la particularité d'être des excellents romans bénéficiant de très bonnes adaptations ciné et BD. J'aime beaucoup l'univers marseillais de Pagnol et je trouve que la collection proposée par Stocco et Stoffel rend fidèlement hommage à ce grand artiste. Pagnol est un auteur très "cinématographique" dans ses récits. C'est donc presque naturel de retrouver le même déroulé scénaristique dans la série. Pas de surprise donc mais un plaisir évident de retrouver cet équilibre entre l'intimité de l'enfance heureuse, la peinture sociétale et sociale de ce début de siècle où la séparation de l'Eglise et de l'Etat est une grande affaire, et la pointe d'ironie sur l'image idolâtrée du père. Les dialogues sont souvent issus du roman ce qui apporte une belle qualité littéraire à la série. Le graphisme de Tanco qui manie humour des expressions et précision des paysages contribue grandement à la qualité d'une lecture dont je ne me lasserai jamais.
Post Americana
Vivre avec / Vivre contre - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les sept épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Steve Skroce qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par le studio Fonografiks. Nathaniel Hawkthorne, le président des États-Unis, s'adresse à son peuple depuis son pupitre, avec le drapeau américain derrière lui. Il se trouve dans un énorme hangar souterrain militaire, devant des civils assis, avec des militaires debout, et de nombreux avions de chasse, ainsi que des chars occupant l'immense espace. Le temps est venu pour le peuple de la Bulle de reconquérir le territoire de la nation. Après un sabotage de grande ampleur il y a quelques années, leur arsenal est revenu au plus haut niveau, grâce à une reconstruction automatisée. Il est certain que ce projet de reconstruction est le bon, c'est ce qu'il lit dans le regard des civils assis, dans celui des soldats, et même celui des anciens rebelles en tenue orange qui ont finit par se soumettre. La ville rutilante n'est plus que ruines, mais les fondations sont encore solides : il est temps que d'ensemencer pour que quelque chose de plus beau puisse prendre racine. Dans le même temps, deux individus, Dom et Mike, ont réussi à s'infiltrer dans une autre partie du hangar et ils se mettent à trafiquer un avion. Ils sont repérés par deux soldats. Comprenant qu'ils ont été identifiés comme des rebelles, les deux hommes dégainent et abattent les deux soldats. Le président a entendu les coups de feu et ordonnent aux soldats d'intervenir sans faire de prendre de prisonnier. Dom et Mike sont parvenus à s'installer au poste de pilotage de l'avion, mais les balles commencent à fuser. Dans l'étage supérieur, quatre autres rebelles contemplent la situation et savent ce qu'il leur reste à faire : déclencher l'explosion des charges même s'ils se trouvent en plein dans leur champ d'action. Les deux rebelles profitent de l'explosion pour décoller et sortir de cette gigantesque base installée au cœur du mont Cheyenne dans le Colorado. Malheureusement l'appareil a été touché et ils vont devoir se poser rapidement. Dans un campement non loin de là, Rudy, un individu chétif avec des plaques de rougeur sur le corps, accueille Carolyn, pendant qu'un petit groupe regarde un dessin animé en plein air, mettant en scène les superhéros Night Terror et Don. Il s'adresse à une jeune femme peu commode qui explique qu'elle est venue parler à leur chef F.F. Celui-ci arrive en volant grâce à un exosquelette et ordonne à Rudy d'aller voir ailleurs vite, parce que ses talents de cannibale n'apportent pas grand-chose à la communauté. Puis il s'adresse à Carolyn, lui indiquant qu'il apprécie ses talents et qu'il souhaite l'aider à les mettre à profit de la communauté. de manière peut-être ironique, elle répond qu'elle est touchée de pouvoir interagir à haut niveau avec le vrai responsable. Soudain, quelqu'un pointe du doigt un aéronef dans le ciel qui semble proche de se crasher. Après Maestros (2018) et une histoire de magie, Steve Skroce réalise une nouvelle histoire entre science-fiction et anticipation : la civilisation s'est écroulée, une communauté a survécu dans un environnement protégé, avec toute la modernité technologique préservée et automatisée. Il est temps pour l'autorité légitime des États-Unis de reconquérir le territoire et de rebâtir la nation. Oui, ça commence comme ça, mais le personnage identifié comme le héros s'oppose à cette campagne militaire. Le créateur ne fait pas les choses à moitié : il donne à voir ce futur du vingt-troisième siècle dans le détail, sans ménager sa peine. La vision panoramique de l'énorme caverne impressionne le lecteur : le nombre d'avions, les citoyens assis sur des rangées de chaises bien alignées, l'uniforme des soldats, la tenue des prisonniers, avec des visages tous différents. Le lecteur un peu plus exigeant relève que la caverne comprend également des installations techniques permettant la sortie et la rentrée des avions, la place pour qu'ils puissent évoluer. Ce n'est pas un dessin effectué sous le coup de l'inspiration, mais une installation pensée pour être fonctionnelle. Après cette entrée en matière qui en jette, le lecteur se demande si l'investissement de l'artiste va baisser ou va rester de même niveau au fil des épisodes. Il obtient la réponse très rapidement : il n'y a pas de scène sacrifiée, ou de passage en mode expéditif. Ainsi le lecteur va pouvoir se projeter dans plusieurs endroits de la Bulle, l'environnement dans le Mont Cheyenne évidé, comme la zone de plage, la fabrique automatisée de drones, la salle de commandement militaire, les serres hydroponiques, le restaurant haut de gamme, les cascades intérieures, les nurseries, et même un plan holographique de l'ensemble des installations de la Bulle. Il peut satisfaire sa curiosité en prenant le temps de détailler les caractéristiques d'autres lieux : le camp de F.F. mettant à profit des bâtiments abandonnés, avec son arène pour des affrontements sanglants et son sol tapissé d'ossements, ses enclos à prisonniers, la ville préservée d'où est originaire Carolyn, une mégapole dont les gratte-ciels s'écroulent, sans oublier les installations très inattendues des studios Wonder à Hollywood. L'artiste se montre d'une inventivité tout aussi généreuse pour les véhicules, les armes, les accessoires, les personnages tout du long : le harnais de vol autonome, des prothèses remplaçant des membres perdus, des simulateurs de plaisirs pour le pénis, un 4*4 vraiment tout terrain, des bolas réalisés avec des têtes humaines, des droïdes de combat, des animatronics, des poulets particulièrement agressifs. Le lecteur se rend également compte qu'il y a des éléments visuels nouveaux dans chaque épisode, que le dessinateur n'attire pas l'attention dessus de manière ostentatoire ou démonstrative. Il reste donc libre d'y prêter attention ou non, et ça vaut le coup : impossible d'oublier la veste et la chemise en peau humaine en dernière page de l'épisode 1. En fonction de sa culture comics, le lecteur peut y voir un clin d’œil à la série Crossed de Jacen Burrows et Garth Ennis. Dans la silhouette en ombre chinoise en dessin en pleine page à la fin de l'épisode 2, il peut voir un hommage au Dark Knight de Frank Miller. À chaque fois, il s'agit d'une influence bien assimilée, par d'un ersatz pour rendre la page plus intéressante. Il apparaît rapidement que le scénario est aussi dense que le sont les dessins. le premier épisode propose un point de départ simple : une version totalitaire d'un gouvernement sans légitimité aucune (et certainement pas démocratique) s'apprête à pratiquer la politique de la terre brûlée en annihilant toutes les communautés sur le territoire pour en devenir maître et rétablir une société favorisant les nantis. Deux rebelles vont tenter de stopper cette machine de guerre. Bien sûr, Dom et Mike vont faire l'expérience désagréable de la réalité : les communautés à l'extérieur ne sont pas démocratiques non plus, et pratiquent la politique du plus fort également. Dans l'épisode 1, le président des États-Unis par défaut revient sur une partie de l'historique de la situation actuelle, à l'occasion de son discours sur deux pages. Mike explique la situation de la Bulle à Carolyn lors d'une page d'exposition bien fournie. C'est un peu lourd comme mode de présentation mais ça passe vite. Dans l'épisode 2, le président fait un nouveau discours de deux pages pour en dire plus sur l'actualité, et le lecteur tombe des nues en découvrant le secret de Carolyn. Dans l'épisode 3, nouvelle ville et informations complémentaires sur l'arrivée de l'élite dans la bulle, l'accession au pouvoir de Nathaniel Hawkthorne, dans des planches bien fournies en texte et en illustrations. Steve Skroce ne se moque pas du lecteur : il n'a pas étiré son intrigue sur 7 épisodes, il a même du mal à tout faire tenir en seulement 7 épisodes. Cette histoire accroche de suite le lecteur pour sa narration graphique évoquant par moment la minutie de Geoff Darrow, parfois l'élégance de Frank Quitely, parfois la froideur descriptive de Jacen Burrows, en conservant toujours la personnalité propre de Skroce. Ce récit post apocalyptique contient de nombreux éléments spécifiques, et montre des combats brutaux et soignés, ce qui le place au-dessus du tout-venant des comics de ce genre. Plusieurs éléments relevant de l'humour noir et même macabre, avec une touche de gore, viennent relever le plat. Il y a également quelques touches d'humour moins sanglant, en particulier un petit doigt de pied espion irrésistible. Le fond de l'histoire ne se réduit pas à un affrontement manichéen entre des bons et des méchants, chaque faction ayant la conviction d’œuvrer pour le bien général. Le lecteur sourit en découvrant la forme de patriotisme du président en place, le fait qu'il ne tire pas légitimité d'une élection, sa vision impérialiste de la domination de l'élite. Il se rend compte que ce qui s'avère encore plus dérangeant réside dans le fait que les habitants de la Bulle n'ont aucun mérite : ils se sont installés dans cette énorme base, prête à l'emploi sans avoir aucun effort à faire, tout étant automatisé, et ne s'attribuant comme seule responsabilité que de survivre en prenant du bon temps. Par la force des choses, la communauté cannibale ne présente pas de valeur morale digne d'admiration. La douceur de vivre de la communauté d'où est originaire Carolyn a un coût. La société des studios Wonder a son propre objectif qui exclut également une partie significative de la population encore en vie. Pour autant, le scénariste ne verse pas non plus dans le Tous pourris, et l'évolution de la situation se fait au travers d'un effort collectif. En cherchant plus loin, le lecteur constate que les individus ayant combattu dans le conflit en portent les stigmates. En continuant sur cette lancée, le lecteur constate que ce qui différencie les factions en présence, c'est leur façon d'envisager la société : soit Vivre contre une autre communauté (ou plusieurs), soit chercher des solutions pour Vivre avec. Au vu de la couverture, le lecteur se prépare à une lecture détente, de combats brutaux dans une société post apocalyptique. Son horizon d'attente est comblé au-delà de ses espérances, car Steve Skroce investit du temps dans la conception de ce futur peu engageant et dans sa représentation détaillée. L'humanité étant ce qu'elle est, les profiteurs sont toujours de ce monde, et en plus, ils ont les armes de leur côté. Au fur et à mesure que les conflits progressent, l'intrigue prend de l'ampleur et le propos se révèle plus sophistiqué que prévu, plus intelligent et plus constructif également. Dans un divertissement de haut vol, l'auteur met en œuvre le principe qui devrait être évident que vivre en société, c'est vivre avec les autres, et pas contre les autres.
Welcome back, Alice
Shuzo Oshimi est décidément un auteur à part et cette série le prouve encore une fois. L'auteur aime parler de sujets durs et souvent tabous sans prendre les gants et ce n'est donc pas une lecture que je recommande à tout le monde. Il y a des passages très crus montant la sexualité et les fantasmes d'adolescents qui risquent de choquer les âmes sensibles. L'histoire met en avant trois adolescents qui sont mal dans leur peau et surtout dans les rôles que leur donne la société japonaise qui est très conformiste et rigide sur ce que doit être un homme et ce que doit être une femme et gare à celui ou celle qui ne tient pas son rôle convenablement. Je ne vois pas trop quoi ajouter de plus à l'avis de gruizzli hormis que je suis souvent d'accord avec son avis. L'auteur réussit le tour de force de montrer du sordide sans tomber dans l'exploitation de bas étages. On sent un amour pour les personnages même lorsqu'ils font des trucs malsains. Il faut dire que l'auteur se sent concerné par le sujet et a donc mis beaucoup de lui-même dans cette série... Les 7 tomes se lisent bien. Il faut dire qu'il y a souvent peu de texte durant plusieurs pages de suite. La mise en scène est incroyable.
Brave Bell
Brave Bell est un manga dense qui apporte une trame originale mêlant de nombreuses thématiques et qui ne se laisse pas deviner. Cela commence comme un shonen classique, avec un héros lycéen qui a la particularité d'être le fils d'un chef yakuza et d'avoir une vie scolaire particulière à cause de l'aura que cela implique. Une seule fille au lycée ose en effet le traiter d'égal à égal, mais hormis cela il se sent bien seul. Jusqu'au jour où tout le clan de sa famille est massacré par une organisation inconnue et qu'il se retrouve avec la vengeance comme seul objectif. Mais avant cela, il doit découvrir ce que contient le coffre bancaire que son père lui a laissé en héritage. Qu'elle n'est pas sa surprise de découvrir qu'une jeune fille y est hébergée, une petite soeur qui lui était inconnue et dont il apprend qu'elle détient un pouvoir surnaturel de même que l'une des antagonistes qu'il rencontre par la même occasion ! C'est avec l'aide de cette enfant et de ses pouvoirs, ainsi qu'avec le soutien de sa seule amie du lycée, qu'il va continuer à mener l'enquête pour comprendre qui est cette organisation qui a tué sa famille. Un scénario complexe et intense pour un récit plutôt noir, avec une dose de polar et une autre de fantastique. On sent qu'il dispose d'un scénariste d'une part et d'un dessinateur d'autre part, contrairement à ces séries manga où un seul auteur s'occupe des deux. Car en effet le dessin est ici tout aussi pro et travaillé que le scénario. Les planches sont soigneusement réalisées, avec un trait réaliste et détaillé. Il y a un gros boulot derrière ça et la narration reste très lisible. L'histoire est rythmée, très prenante, avec une bonne intelligence dans son déroulement et sa mise en scène. Il se passe beaucoup en un unique tome d'introduction et on se demande vraiment où l'intrigue va nous mener pour se terminer en 6 tomes. A suivre de près.
La Crevette
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres. Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes. Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé. Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953. On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin. Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde. Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin. Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur. Un Zidrou en grande forme ! Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante. La mise en page est dynamique. La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie. Un album qui donne la banane ! ;) Coup de cœur.
Garulfo
Garulfo, c'est l'histoire d'une grenouille éponyme qui, las de sa condition de batracien et envieuse des humains qu'elle idéalise depuis toujours, va un jour trouver une fée pour exaucer son souhait : pouvoir devenir un homme. Malheureusement, l'humanité est bien loin de l'image optimiste qu'il en avait, et c'est bientôt la cruauté, l'injustice et la vilenie qui feront son monde. A moins qu'il puisse parvenir à redevenir une grenouille insouciante… Ajoutez à cela un prince humain qui lui aurait bien besoin d'une bonne dose d'empathie et d'une leçon de gentillesse et de politesse et vous aurez la base de cette série : un conte sur la nature humaine. Des textes bien construits, une histoire jouant des codes des récits chevaleresques, des clins d'œil à des contes bien connus de-ci de-là, un propos filé sur la cruauté humaine et, par son libre arbitre, le potentiel de l'humanité à devenir meilleure, … bref, l'œuvre est pleine de qualités. C'est du bon, du très bon même. Pourtant ça n'atteint pas le "culte" pour moi. Cela n'en est pas loin, je ne saurais pas vraiment dire ce qui manquerait, mais c'est mon ressenti : très bon mais pas parfait. (Note réelle 3,5)