J'ai une relation particulière avec le premier roman de William Golding. Comme certains ici et comme l'autrice, je l'ai découvert en cours d'anglais, vers l'âge de 13 à 15 ans. Ce fut immédiatement un choc. Dans un récit d'une puissance, d'une fulgurance que j'ai rarement rencontrées depuis, l'auteur britannique a su saisir la substantifique moëlle de deux aspects de l'Homme : le délicat passage de l'enfance à l'adolescence, avec une autonomie renforcée mais parfois chaotique, et d'autre part la frontière fragile entre la civilisation et la barbarie. Un roman court, tétanisant, que j'ai dévoré à l'époque en VO, et relu dans la langue d'origine et en français depuis.
Une histoire qui m'a hanté pendant une trentaine d'années, au point de vouloir moi-même l'adapter en bande dessinée. Mais les éventuels problèmes liés aux droits d'auteur (Golding étant mort en 1993) et peut-être une immaturité dans le projet l'ont bien vite fait capoter; Je referme là la parenthèse personnelle pour revenir à l'album d'Aimée de Jongh.
Lorsque j'ai vu la sortie de cet album, j'ai eu un petit pincement au cœur, et n'ai pas hésité longtemps avant de l'acquérir (après l'avoir bien sûr feuilleté pour m'assurer qu'au moins mes yeux se régaleraient). J'ai mis un peu plus de temps avant de le lire, souhaitant bien sûr m'entourer des meilleurs conditions pour lire cet album que, quelque part, j'attendais impatiemment. Et le résultat ne m'a déçu. Sur le plan graphique tout d'abord. Il fallait un(e) artiste au style à la fois anguleux et au trait bien affirmé pour adapter cette histoire, qui s'adresse autant aux jeunes ados qu'aux adultes. Aimée de Jongh requiert en effet ces qualités, avec une mise en couleurs qui insiste sur les verts et les nuances de feu, des nuances qui ont toute leur importance dans le récit. J'ai beaucoup aimé également son traitement des moments-clés, tels l'acharnement des enfants sur Simon, la chute de Piggy, ou encore la découverte de la conque et les premiers échanges entre les enfants. J'ai beaucoup aimé ses choix de cadrages, sur les visages ou sur d'autres parties du corps, que ce soit pendant les scènes d'action ou plus contemplatives. Pour moi on n'est pas loin de l'adaptation que j'aurais aimé voir.
Je recommande donc cette lecture à toute personne de plus de 12 ans si elle ne connaît pas le roman, car c'est pour moi, tout simplement, une excellente adaptation d'un roman majeur du XXème siècle.
Un régal de suivre cette bande de bras cassés aux trognes expressives et variées.
Les planches aérées et dynamiques rendent la lecture fluide.
J'avais parfois l'impression de lire du Tarantino : des personnages hauts en couleur, beaucoup d'action et une touche d'ultra-violence.
Scénaristiquement, c'est pas mal mais il y a quelques facilités : notre groupe se retrouve souvent au mauvais endroit au mauvais moment et j'ai eu du mal à croire que John, José et Chiquita puissent travailler pour un tocard comme le père de Lily.
Le cadre m'a rappelé celui des tomes 3 et 4 de West, qui évoquaient aussi les magouilles des Etats-Unis durant une révolution cubaine, mais à une époque antérieure.
On nage encore plus dans la caricature amusante ici.
Pour le moment, la partie historique évoquée en introduction est assez détachée de la trame principale. J'espère que la suite de l'histoire ne versera pas trop dans l'action.
La scène dépeinte en couverture n'apparait pas dans l'album. Un peu d'anticipation ?
Je suis un peu déçu après la lecture du tome 2 de la série de P.H. Gomont. En ça je partage l'avis de Canarde. Le tome 1 est original, vif avec un scénario très fluide et souvent drôle.
Le couple Slava-Lavrine fonctionne à merveille et l'empathie est immédiate pour Nina et sa bande de mineurs menée par un papa gorille. Gomont réussit à créer une atmosphère de western dans un état sans foi ni loi sauf celle du plus fort.
Le graphisme de type humoristique donne un ton léger qui amène de la dérision à une réalité conduite par des escrocs ou des mafieux. Si le trait est quelque peu minimaliste Gomont sait proposer de très beaux décors extérieurs au moment où il le faut.
Malheureusement j'ai trouvé le tome 2 bien en dessous. Le couple Lavrine/Slava est disloqué et Slava devient même insignifiant à courir après Nina pour tirer son coup. Sans Lavrine ce tome est une coquille vide où Nina comble les faiblesses d'un scénario devenu très convenu en se déshabillant de plus en plus souvent. C'est agréable comme visuel mais cela vide Slava de sa consistance. La voix off devient envahissante sans qu'on sache qui parle du narrateur ou de l'auteur. Enfin le personnage de Nina devient très trouble avec ce passage à la délation voire à la complicité d'assassinat sans aucun remords.
Pour finir je trouve l'image que propose l'auteur des Russes caricaturale et très discutable.
Je lirai le tome 3 pour voir où veut nous mener Gomont mais je reste dubitatif pour le moment.
J'ai lu le tome 3 plusieurs fois avant d'infléchir mon avis car mes doutes n'étaient pas justifiés.
J'ai décidé d'augmenter ma note de une étoile après la relecture de l'excellent tome 3 de la série. Après un tome 2 que j'avais trouvé en demi teinte, Gomont nous entraine dans un récit qui allie intensité dramatique, nostalgie sociale et réflexion intime sur le vécu de l'artiste et sa prise réelle sur la réalité des événements. Si Volodia, Lavrine et Nina restent premiers dans les deux premières thématiques, Gomont donne une véritable profondeur au personnage de Slava qui se révèle ainsi pleinement. Ce final dramatique et inattendu est la pierre d'angle qui consolide l'ensemble de la série lui donnant une valeur épique sur le sens de l'histoire sociale et sa relation avec les artistes.
Je suppose que Gomont met beaucoup de lui même dans le personnage de Slava et de son impuissance à modifier le cours des choses avec son simple pinceau. Ce développement m'a ému ce qui est déjà la preuve que l'artiste n'a pas failli.
J'ai dévoré avec avidité cette adaptation d'un roman noir de Marcus Malte. Je ne connais pas l'œuvre d'origine mais Gomont lui fait honneur de brillante façon. J'ai été happé dès les premières planches par cette ambiance glauque que le graphisme de l'auteur retranscrit à merveille. Il y a beaucoup d'inventivité dans la poursuite de ces deux récits en parallèle des couples Clovis/ Nathalie et Clovis/Cesaria. Les sauts temporels soulignés par une très légère différence de couleurs sont introduits de manière si ingénieuse que la fluidité du récit reste parfaite. Gomont s'arrange à créer un équilibre qui fait monter l'intensité dramatique de façon similaire dans chacune des deux histoires. J'ai donc autant été passionné par l'histoire Brigade Rouge que par le road trip avec Césaria. Si Clovis est un personnage classique et attachant même dans ses actions troubles, j'ai beaucoup aimé l'opposition des personnages Nathalie/Césaria.
Ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans les époques décrites, les années de plomb puis les années SIDA. Au milieu de ces ambiances mortifères il y a ces deux histoires d'amours improbables et inabouties car secondaires pour un Clovis aveugle.
Le graphisme de Gomont est entièrement synchrone avec l'esprit du roman. Les expressions sont très bien travaillées avec un Clovis taiseux, une Nathalie fofolle et une Césaria profonde.
Le final m'a bouleversé pour conclure une lecture qui m'a séduit de bout en bout.
Un top pour ce genre.
Azur asphalte est une tranche de vie un peu particulière.
Les illustrations à l'aquarelle sont la vraie réussite de ce roman graphique, que l'auteur a eu la bonne idée de ne pas cloisonner dans des cases un peu trop strictement refermées. Elles donnent un sacré souffle, du détachement aussi car invitant à les lire tels des tableaux, ce que l'aspect quasi documentaire de l'intrigue accentuera.
Ce dernier point va constituer la petite réserve pointant malheureusement à mi-chemin. L'intrigue est parfaitement plantée, très ancrée dans un quotidien laborieux (celui de deux sœurs, des trentenaires prolos joignant péniblement les deux bouts financièrement, dans la belle ville de Nice), mais trop soucieuse de décrire un quotidien banal, de s'inscrire pleinement dans la chronique sociale, d'atteindre la justesse et la plus parfaite crédibilité, elle avance sans véritable enjeu ni moteur de l'intrigue. Il faut accepter ce postulat et dès lors vivre les situations présentées et les goûter simplement, apprécier ici l'humour des dialogues populaires et de quelques situations, être touché là par la mélancolie et de la tendresse à l'égard de ces vies simples ne se concevant que dans le combat pour une modeste dignité, et il est vrai, regretter que l'auteur ait délibérément refuser de s'aventurer sur le terrain social ou politique, à moins que cela ne soit justement son discours, que je ne partage pas, de n'envisager le social que sous l'angle purement individuel et d'ignorer la politique : le "struggle for life" des personnages est tristement égoïste dans sa relation au travail, le collectif ne se conçoit que dans le cadre familial ou des relations amicales/amoureuses, et les joies simples sont bassement mercantiles, assujetties aux acteurs majeurs de l'économie et de l'industrie culturelle.
Une très belle chronique sociale, aux magnifiques illustrations, qui tourne un peu à vide, sans révolte, malgré un quotidien pour le moins laborieux. Une parfaite introduction à un récit qui n'aura malheureusement pas lieu.
C'est vraiment un super livre !! Je le conseille vraiment aux gens intéressés par la Guerre mondiale. C'est le seul livre que j'ai lu avec Irena qui m'a vraiment fait prendre conscience de ce qu'ont subi les gens pendant la guerre, à quel point ils souffraient, à quel point c'était grave. Je le déconseille au moins de 12ans car c'est violent et très triste, mais ça reste incroyable !
Je peux arrêter de lire des BD jusqu’à ma mort après cette plongée dans les bas-fonds du Pirée en compagnie de ces attachants Rébètes. David Prudhomme, en sortant une suite (et fin ?) à Rébétiko (je n’osais même pas en rêver), vient en effet d’accomplir un petit exploit : faire mieux que Rébétiko !
Que dire ? Par où commencer ? Rébétissa (l’antidote) m’a procuré un tel bonheur et a généré en moi des émotions si vigoureuses que je ne me sens pas du tout à la hauteur pour rédiger une critique. Peut-être par-là : j’étais l’un des musiciens, et tous à la fois. J’étais même les chanteuses, Béba ou Marika. J’ai ressenti leur colère, leur force intérieure inébranlable face à l’inéluctable. J’étais de leur combat et de toutes leurs petites combines. J’ai fumé le narguilé avec eux, j’ai voulu me battre, défendre moi aussi le café de Katina. J’ai voulu fuir, tout quitter. Et j’ai chialé comme un gosse dans les dernières pages.
L’essentiel passe par le dessin dément de David Prudhomme. Dans cette version en noir et blanc, bien meilleure selon moi que la version colorisée (qui est elle-même moins réussie que pour Rébétiko, voire carrément ratée), le lecteur en prend plein les mirettes. L'écrin est magnifique. Les fonds couleur crème font ressortir le trait. C'est magnifique. Prudhomme fait preuve d’une maitrise totale des jeux d’ombre et de lumière. Le dessin s’anime, on entend penser tout haut les personnages, on voit leurs idées flotter dans l’air et se mêler à la petite fumée du haschich. A la faveur d’un regard, l’émotion éclabousse la page. Tous dansent, chantent, fument, tentent de faire bonne figure face à l’adversité, et dignes. Oui, j’insiste : on peut même les entendre penser ! Qu’est-ce qu’ils sont beaux ces personnages ! Perso, j’adore le fanfaronnant Stavros ou l’espiègle Batis, mais tous sans exception sont attachants jusque dans leurs travers. Et même les nouveaux que l’on découvre sont extrêmement soignés, à l'image de la savoureuse Katina.
Le scénario prend ici un relief qui en comparaison semble à peine esquissé dans Rébétiko. Dans ce volume, la situation devient réellement tragique car l’étau de la dictature se resserre. Les personnages sont amenés à faire des choix qui les engagent totalement tant ils se retrouvent acculés, et face à la répression, toutes et tous restent dignes jusqu'au bout. On ne pouvait rêver plus beau chant du cygne. Les dialogues ne gâchent rien, même si par-ci par-là, le lecteur pointilleux pourra relever quelques futilités qui auraient pu ne pas exister pour laisser d’avantage de place au dessin. Mais franchement, vue la qualité exceptionnelle de l’ensemble, on oublie… Rébétissa s’inscrit dans la grande lignée des tragédies grecques.
Mais au-delà de toutes ces considérations, ce récit saisit quelque chose du monde d’aujourd’hui. J’aimerais ne pas trop en dire afin de laisser le plaisir de la découverte, mais oui, nous sommes, Nous, collectivement, les Rébètes. Pour reprendre les paroles de l'un d'entre eux, "nous avons le malheur de n'être que ce que nous sommes, dans un monde qui ne veut plus de ce que nous sommes". J'avoue que ce sentiment de décalage s'accorde en tous points avec mon propre ressenti. A moins que ce ne soit Prudhomme lui-même qui nous exhorte à le devenir ? Fin d’un monde, fin d’une culture, mise en place d’une dictature… Mais c’est véritablement la toute fin qui saute à la gueule. Il y a dans cette dernière scène une métaphore subtile, à la fois touchante, mélancolique et effrayante... Juste pour dire comment j'ai transposé tellement le tableau est vivant...
Voilà dit dans un désordre abominable tout le bien que je pense de cette BD. Bien entendu, mes centres d’intérêt personnels y sont pour quelque chose. Ma passion pour la musique, et en particulier le Blues et le personnage d’Alan Lomax (qu’on retrouve d’ailleurs un peu sous les traits du personnage de Péristéris) n’a fait que décupler mon affection pour cette histoire. Mais y a pas à tortiller : Rébétissa (l’antidote) est l’œuvre d’un grand !
Cette série est un très bon divertissement. Sur un schéma ultra classique et très visité, El diablo joue avec les clichés pour fournir un récit haletant dont il est difficile de se détacher. L'auteur aime à jouer les contre pieds tout au long de son histoire Gus n'est pas le bon écolo dernier barrage contre la honteuse exploitation de la forêt et Jay est un personnage d'une grande faiblesse malgré les apparences. Le rythme est très vif avec une narration bien fluide qui s'ingénie à souvent nous dérouter. La pointe de fantastique n'est elle, d'ailleurs, pas celle que se construisent les personnages dans un monde où l'irrationnel à encore sa place. Le très bon final nous laisse d'ailleurs avec plusieurs interprétations possibles avec une dernière planche surprise qui rebat ce que l'on croyait acquis.
J'ai bien aimé le graphisme de Deroche qui exprime bien cette ambiance de conflit en huis clos entre la colline et la ville. Quelques doubles pages sympathiques nous rappelle que l'histoire s'inscrit dans les vastes étendues canadiennes de tout beauté.
Une lecture très plaisante avec un récit bien construit autour de thèmes très classiques mais revisités avec brio.
La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop. Benoîte Groult
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Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue indépendamment de toute autre. Il s’inscrit également dans une série thématique : Le Démon de midi ou Changement d'herbage réjouit les veaux (1996), Le Démon d'après Midi... (2005), et Le Démon du soir ou la ménopause héroïque (2013). Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Florence Cestac pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-neuf pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une préface d’une page, rédigée par Albert Algoud, louant la manière dont l’autrice possède le sens du burlesque, tout en réussissant à marier le réalisme à la caricature et l’ironie à la plus vive à la bienveillance amusée.
Dans un parc ou un jardin public, un groupe d’une demi-douzaine de femmes âgées papotent, alors que des enfants crient : Mamie ! Mamie ! Mamie ! Mamie ! Mamie ! Noémie se rend compte que ce sont ses petits-enfants qui l’appellent. Ces dames évoquent les différents noms qui leur ont été donnés : Mamie pour la plupart, mais aussi Mémé, Mamour, Mam, Bonne-Maman, Nona, Babou, Mamibolo (car elle est la reine des spaghettis bolognaise, et c’est tous les mercredis midi. Noémie explique que la voilà grand-mère, deux fois avec son fils. Sa fille, elle, a décidé de ne pas se reproduire : planète pourrie, trop de monde sur terre, climat qui… La demoiselle en question l’interrompt pour rappeler qu’elle préfère les filles. La grand-mère évoque alors le souvenir de la naissance du premier : la visite à la maternité, et c’est parti pour un tour du gâtisme postnatal. Les démonstrations d’affection de Noémie, et déjà les conseils des parents : ne jamais mettre le bébé sur le ventre dans son berceau (risque de morts inattendues du nourrisson), coussin pour éviter la plagiocéphalie, etc.
Noémie continue en expliquant la découverte du matos exponentiel pour le jeune enfant. Au moins deux couffins. Un pour la maison, et un autre pour la poussette et la voiture. La table à langer avec tout son équipement. Le porte-bébé devant. Le porte-bébé derrière. Et l’écharpe de portage. La baignoire pliable avec son thermomètre. Plusieurs kilos de vêtements. Coussin d’allaitement, sac à langer, tire-lait, cocon, nid, couches. Tapis d’éveil, le mobile, la petite veilleuse, le doudou, l’indémodable Sophie la girafe. La tétine lumineuse, le babyphone connecté avec sa caméra. Le siège auto, le siège vélo, le lit pliant évolutif. La poussette 3 en 1, la chaise haute, le parc en bois, le lit à barreaux. Le hamac, le transat, les biberons, le chauffe-biberon, le stérilisateur. Trois tonnes de jouets et jeux divers… Pour la page : le maillot et tee-shirt anti-UV, le bob, les lunettes, la crème solaire. Les brassards, les bouées, le seau, la pelle, le râteau, les méduses. La tente, la serviette, la trousse de secours, le goûter, la gourde. Le chariot de marche, le siège suspendu, le youpala. La balancelle berceuse électrique et programmable. Puis vient le soir où on vous demande de garder le petit…
Quatrième tome de cette série : après la quarantaine et le démon de midi, la cinquantaine et la ménopause, la soixantaine et l’arrivée de la retraite, voici la phase vers les soixante-dix ans, mise en scène par l’autrice. Comme dans les tomes précédents, elle opte pour une présentation en scènes courtes de trois ou quatre pages, pour aborder une situation après l’autre. Elle utilise une mise en scène qui entremêle Noémie (un avatar composite d’elle-même et de plusieurs autres femmes) en train de s’adresser aux lectrices face caméra, des suites de vignettes montrant différentes variations d’une situation donnée (par exemple les rencontres avec de nouveaux hommes) et le texte qui court de case en case, et enfin des séquences narratives plus classiques une même action se déroulant dans une succession de cases (comme la déambulation dans l’allée du parc ou le voyage en train avec deux enfants en bas âge). Le lecteur retrouve la personnalité graphique de l’autrice : des dessins descriptifs avec un degré de simplification, réaliste avec une touche d’exagération. Elle continue de rester fidèle aux gros nez pour les personnages, et aux mains à quatre doigts. Ce choix rend tous les personnages immédiatement sympathiques, et très expressifs. Impossible de résister à l’enthousiasme exubérant et sans retenue des enfants, aux réactions pas toujours mesurées qu’ils provoquent chez les adultes de tout poil, et aux marques de la vieillesse physique.
Le lecteur retrouve avec plaisir et sympathie Noémie / Florence. Le choix de parler à la quasi première personne induit que l’autrice parle d’elle-même, de son expérience personnelle, et en même temps son avatar évoque différentes configurations, indiquant implicitement que la bédéaste évoque également l’expérience d’autres femmes de cette tranche d’âge, car toutes ne sont pas compatibles entre elles (elle ne peut pas à la fois être célibataire et en couple, par exemple). Comme l’indique Algoud dans sa préface, Florence Cestac a l’art et la manière de concilier des points de vue différents dans une même narration, à la fois du vécu et des ressentis très personnels, à la fois un panorama d’autres possibilités, sans toutefois verser dans le catalogue. Par exemple, lorsqu’elle évoque le club Tamalou, c’est-à-dire, la propension des personnes âgées à aborder un sujet qui les préoccupe au quotidien, leur santé, le lecteur voit des personnages énoncer leurs soucis. Lombalgie, rhumatismes articulaires, acouphènes, crise de goutte, ulcère à l’estomac, trop de cholestérol, trop de glycémie, diabète, crise de colique néphrétique, polypes colorectaux, foie gras, apnées du sommeil, cataracte, descente d’organes. Le lecteur voit plus d’une douzaine de personnages, à raison de deux par case, dans une même page, chacun avec leur expression et leur posture propres, entre résignation et douleur de fond, tous criants de vérité, regardés avec gentillesse par l’artiste.
De la même manière, l’autrice passe en revue les différentes occupations possibles à cet âge de la vie : salle de gym, aquagym, marche aquatique côtière, randonnée pédestre genre les chemins de Compostelle, les sorties touristiques dites La ménopause en vadrouille, le jardinage sous l’œil amusé du paysan du coin, les jeux de société comme le scrabble, le bridge, faire de l’art comme la poterie ou la peinture, la visite d’une exposition en troupeau, la séance de cinéma en avant-première avec réu-débat après, etc. Chaque situation fait l’objet d’une à trois cases : une mise en scène qui apporte des éléments d’informations supplémentaires et souvent un regard amusé, entre réalité peu clémente, et éléments comiques. Ainsi la marche aquatique côtière (très en vogue) s’effectue sous la pluie en combinaison intégrale, et le lecteur peut remarquer un monsieur avec une pipe à la bouche évoquant Popeye. Il faut voir Noémie batailler avec ses aiguilles pour produire un tricot informe, ou encore la réaction du chef cuisinier à ce qu’elle lui présente à l’issue du cours.
Le lecteur se rend compte que le sourire né dès les premières pages ne le quitte plus tout du long. Il repense à l’introduction et partage le jugement de son auteur. Florence Cestac sait manier le burlesque avec élégance et dextérité, des touches de bouffonnerie outrée : la quantité de régurgitation d’un nouveau-né, ses cris inextinguibles et perçants, sa façon de recracher la nourriture en la projetant partout, la surexcitation de ces dames en évoquant bruyamment leurs frasques passées autour d’un verre au café (pour la plus grande exaspération des plus jeunes), la difficulté de l’effort physique pour monsieur en plein acte sexuel, Noémie en tenue paramilitaire arcboutée à sa porte blindée en pleine crise de délire de persécution, etc. Ces moments sont imparables car elle sait marier le réalisme à la caricature, ses idiosyncrasies de dessin gommant tout risque de hiatus entre ces deux registres. Et puis, elle fait preuve d’une grande empathie, pour les seniors encore plus âgés ayant perdu une partie de leurs moyens soit physiques, soit mentaux, et pour chaque individu devenu sénile. Le lecteur se retrouve à verser une larme alors qu’une dame étreint Noémie, par gratitude dans le cadre de la distribution de denrées alimentaires.
Au fil des situations et des facettes de la vieillesse mises en scène, le lecteur ressent l’honnêteté de cette présentation, les différentes facettes de cette réalité, les différentes circonstances en fonction de sa situation de famille, de santé. Il se sent réconforté par les différents personnages, comprenant que cette sensation qui le rassérène provient du regard avec lequel l’autrice les considère, avec bienveillance. Elle montre chaque individu sans fard, avec ses défauts, avec la distance qui s’installe avec l’âge, par exemple dans les relations amoureuses, aussi bien sentimentales que physiques. Il ressent également l’acceptation de l’autrice quant aux évolutions qui accompagnent cet âge. Cela produit un effet bien différent de la résignation. Il repense à cette notion de temps additionnel, selon la formule de Christian Boltanski (1944-2021), artiste plasticien français. La mort devenant une perspective de plus en plus tangible, les années se condensent, la forces des intentions aussi, le temps additionnel a une intensité bien différente.
La perspective de découvrir une bande dessinée parlant de la vieillesse peut doucher l’enthousiasme du lecteur, d’autant que la couverture annonce des aspects peu reluisants du grand âge. D’un autre côté, la verve de Florence Cestac fait des merveilles à chaque fois, aussi bien dans les observations, les situations et les dialogues, que dans les dessins avec un sens formidable du burlesque. Elle parle aussi bien des pertes successives de toute nature, que de la capacité de l’individu à s’y adapter, à parvenir à l’acceptation, et à profiter de ce temps additionnel. Ravigotant et rassénérant.
C'est probablement la première œuvre BD posthume que je lis. A la mort de Poïvet, Rodolphe pensait leur travail perdu. Grace à la perspicacité du fils Poïvet, elle fut retrouvée et put être éditée une bonne vingtaine d'années après sa création.
La légende du docteur Faust qui vend son âme au diable pour avoir une seconde jeunesse et séduire Marguerite fait partie du patrimoine littéraire depuis la popularité de l'œuvre de Goethe. Rodolphe reprend fidèlement le Faust I de Goethe même si la lutte mystique entre les prières de Marguerite (et sa rédemption) et les actions de Méphistophélès sont peu présentes. Rodolphe propose donc une adaptation intéressante avec un texte très travaillé et une mise en scène fluide et accessible.
Le dessin de Poïvet colle parfaitement à l'esprit de l'œuvre. Comme à son habitude l'auteur propose un N&B réaliste d'une grande précision. L'expressivité que donne l'auteur à ses personnages est fondamentale pour exprimer les tourments internes de Faust et Marguerite.
Une œuvre peu connue mais qui mérite de l'être.
Une belle lecture pour un large public afin de mieux connaitre cette œuvre majeure du patrimoine littéraire.
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Sa Majesté des Mouches
J'ai une relation particulière avec le premier roman de William Golding. Comme certains ici et comme l'autrice, je l'ai découvert en cours d'anglais, vers l'âge de 13 à 15 ans. Ce fut immédiatement un choc. Dans un récit d'une puissance, d'une fulgurance que j'ai rarement rencontrées depuis, l'auteur britannique a su saisir la substantifique moëlle de deux aspects de l'Homme : le délicat passage de l'enfance à l'adolescence, avec une autonomie renforcée mais parfois chaotique, et d'autre part la frontière fragile entre la civilisation et la barbarie. Un roman court, tétanisant, que j'ai dévoré à l'époque en VO, et relu dans la langue d'origine et en français depuis. Une histoire qui m'a hanté pendant une trentaine d'années, au point de vouloir moi-même l'adapter en bande dessinée. Mais les éventuels problèmes liés aux droits d'auteur (Golding étant mort en 1993) et peut-être une immaturité dans le projet l'ont bien vite fait capoter; Je referme là la parenthèse personnelle pour revenir à l'album d'Aimée de Jongh. Lorsque j'ai vu la sortie de cet album, j'ai eu un petit pincement au cœur, et n'ai pas hésité longtemps avant de l'acquérir (après l'avoir bien sûr feuilleté pour m'assurer qu'au moins mes yeux se régaleraient). J'ai mis un peu plus de temps avant de le lire, souhaitant bien sûr m'entourer des meilleurs conditions pour lire cet album que, quelque part, j'attendais impatiemment. Et le résultat ne m'a déçu. Sur le plan graphique tout d'abord. Il fallait un(e) artiste au style à la fois anguleux et au trait bien affirmé pour adapter cette histoire, qui s'adresse autant aux jeunes ados qu'aux adultes. Aimée de Jongh requiert en effet ces qualités, avec une mise en couleurs qui insiste sur les verts et les nuances de feu, des nuances qui ont toute leur importance dans le récit. J'ai beaucoup aimé également son traitement des moments-clés, tels l'acharnement des enfants sur Simon, la chute de Piggy, ou encore la découverte de la conque et les premiers échanges entre les enfants. J'ai beaucoup aimé ses choix de cadrages, sur les visages ou sur d'autres parties du corps, que ce soit pendant les scènes d'action ou plus contemplatives. Pour moi on n'est pas loin de l'adaptation que j'aurais aimé voir. Je recommande donc cette lecture à toute personne de plus de 12 ans si elle ne connaît pas le roman, car c'est pour moi, tout simplement, une excellente adaptation d'un roman majeur du XXème siècle.
Havana Split
Un régal de suivre cette bande de bras cassés aux trognes expressives et variées. Les planches aérées et dynamiques rendent la lecture fluide. J'avais parfois l'impression de lire du Tarantino : des personnages hauts en couleur, beaucoup d'action et une touche d'ultra-violence. Scénaristiquement, c'est pas mal mais il y a quelques facilités : notre groupe se retrouve souvent au mauvais endroit au mauvais moment et j'ai eu du mal à croire que John, José et Chiquita puissent travailler pour un tocard comme le père de Lily. Le cadre m'a rappelé celui des tomes 3 et 4 de West, qui évoquaient aussi les magouilles des Etats-Unis durant une révolution cubaine, mais à une époque antérieure. On nage encore plus dans la caricature amusante ici. Pour le moment, la partie historique évoquée en introduction est assez détachée de la trame principale. J'espère que la suite de l'histoire ne versera pas trop dans l'action. La scène dépeinte en couverture n'apparait pas dans l'album. Un peu d'anticipation ?
Slava
Je suis un peu déçu après la lecture du tome 2 de la série de P.H. Gomont. En ça je partage l'avis de Canarde. Le tome 1 est original, vif avec un scénario très fluide et souvent drôle. Le couple Slava-Lavrine fonctionne à merveille et l'empathie est immédiate pour Nina et sa bande de mineurs menée par un papa gorille. Gomont réussit à créer une atmosphère de western dans un état sans foi ni loi sauf celle du plus fort. Le graphisme de type humoristique donne un ton léger qui amène de la dérision à une réalité conduite par des escrocs ou des mafieux. Si le trait est quelque peu minimaliste Gomont sait proposer de très beaux décors extérieurs au moment où il le faut. Malheureusement j'ai trouvé le tome 2 bien en dessous. Le couple Lavrine/Slava est disloqué et Slava devient même insignifiant à courir après Nina pour tirer son coup. Sans Lavrine ce tome est une coquille vide où Nina comble les faiblesses d'un scénario devenu très convenu en se déshabillant de plus en plus souvent. C'est agréable comme visuel mais cela vide Slava de sa consistance. La voix off devient envahissante sans qu'on sache qui parle du narrateur ou de l'auteur. Enfin le personnage de Nina devient très trouble avec ce passage à la délation voire à la complicité d'assassinat sans aucun remords. Pour finir je trouve l'image que propose l'auteur des Russes caricaturale et très discutable. Je lirai le tome 3 pour voir où veut nous mener Gomont mais je reste dubitatif pour le moment. J'ai lu le tome 3 plusieurs fois avant d'infléchir mon avis car mes doutes n'étaient pas justifiés. J'ai décidé d'augmenter ma note de une étoile après la relecture de l'excellent tome 3 de la série. Après un tome 2 que j'avais trouvé en demi teinte, Gomont nous entraine dans un récit qui allie intensité dramatique, nostalgie sociale et réflexion intime sur le vécu de l'artiste et sa prise réelle sur la réalité des événements. Si Volodia, Lavrine et Nina restent premiers dans les deux premières thématiques, Gomont donne une véritable profondeur au personnage de Slava qui se révèle ainsi pleinement. Ce final dramatique et inattendu est la pierre d'angle qui consolide l'ensemble de la série lui donnant une valeur épique sur le sens de l'histoire sociale et sa relation avec les artistes. Je suppose que Gomont met beaucoup de lui même dans le personnage de Slava et de son impuissance à modifier le cours des choses avec son simple pinceau. Ce développement m'a ému ce qui est déjà la preuve que l'artiste n'a pas failli.
Les Nuits de Saturne
J'ai dévoré avec avidité cette adaptation d'un roman noir de Marcus Malte. Je ne connais pas l'œuvre d'origine mais Gomont lui fait honneur de brillante façon. J'ai été happé dès les premières planches par cette ambiance glauque que le graphisme de l'auteur retranscrit à merveille. Il y a beaucoup d'inventivité dans la poursuite de ces deux récits en parallèle des couples Clovis/ Nathalie et Clovis/Cesaria. Les sauts temporels soulignés par une très légère différence de couleurs sont introduits de manière si ingénieuse que la fluidité du récit reste parfaite. Gomont s'arrange à créer un équilibre qui fait monter l'intensité dramatique de façon similaire dans chacune des deux histoires. J'ai donc autant été passionné par l'histoire Brigade Rouge que par le road trip avec Césaria. Si Clovis est un personnage classique et attachant même dans ses actions troubles, j'ai beaucoup aimé l'opposition des personnages Nathalie/Césaria. Ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans les époques décrites, les années de plomb puis les années SIDA. Au milieu de ces ambiances mortifères il y a ces deux histoires d'amours improbables et inabouties car secondaires pour un Clovis aveugle. Le graphisme de Gomont est entièrement synchrone avec l'esprit du roman. Les expressions sont très bien travaillées avec un Clovis taiseux, une Nathalie fofolle et une Césaria profonde. Le final m'a bouleversé pour conclure une lecture qui m'a séduit de bout en bout. Un top pour ce genre.
Azur Asphalte
Azur asphalte est une tranche de vie un peu particulière. Les illustrations à l'aquarelle sont la vraie réussite de ce roman graphique, que l'auteur a eu la bonne idée de ne pas cloisonner dans des cases un peu trop strictement refermées. Elles donnent un sacré souffle, du détachement aussi car invitant à les lire tels des tableaux, ce que l'aspect quasi documentaire de l'intrigue accentuera. Ce dernier point va constituer la petite réserve pointant malheureusement à mi-chemin. L'intrigue est parfaitement plantée, très ancrée dans un quotidien laborieux (celui de deux sœurs, des trentenaires prolos joignant péniblement les deux bouts financièrement, dans la belle ville de Nice), mais trop soucieuse de décrire un quotidien banal, de s'inscrire pleinement dans la chronique sociale, d'atteindre la justesse et la plus parfaite crédibilité, elle avance sans véritable enjeu ni moteur de l'intrigue. Il faut accepter ce postulat et dès lors vivre les situations présentées et les goûter simplement, apprécier ici l'humour des dialogues populaires et de quelques situations, être touché là par la mélancolie et de la tendresse à l'égard de ces vies simples ne se concevant que dans le combat pour une modeste dignité, et il est vrai, regretter que l'auteur ait délibérément refuser de s'aventurer sur le terrain social ou politique, à moins que cela ne soit justement son discours, que je ne partage pas, de n'envisager le social que sous l'angle purement individuel et d'ignorer la politique : le "struggle for life" des personnages est tristement égoïste dans sa relation au travail, le collectif ne se conçoit que dans le cadre familial ou des relations amicales/amoureuses, et les joies simples sont bassement mercantiles, assujetties aux acteurs majeurs de l'économie et de l'industrie culturelle. Une très belle chronique sociale, aux magnifiques illustrations, qui tourne un peu à vide, sans révolte, malgré un quotidien pour le moins laborieux. Une parfaite introduction à un récit qui n'aura malheureusement pas lieu.
Simone
C'est vraiment un super livre !! Je le conseille vraiment aux gens intéressés par la Guerre mondiale. C'est le seul livre que j'ai lu avec Irena qui m'a vraiment fait prendre conscience de ce qu'ont subi les gens pendant la guerre, à quel point ils souffraient, à quel point c'était grave. Je le déconseille au moins de 12ans car c'est violent et très triste, mais ça reste incroyable !
Rébétissa (L'Antidote)
Je peux arrêter de lire des BD jusqu’à ma mort après cette plongée dans les bas-fonds du Pirée en compagnie de ces attachants Rébètes. David Prudhomme, en sortant une suite (et fin ?) à Rébétiko (je n’osais même pas en rêver), vient en effet d’accomplir un petit exploit : faire mieux que Rébétiko ! Que dire ? Par où commencer ? Rébétissa (l’antidote) m’a procuré un tel bonheur et a généré en moi des émotions si vigoureuses que je ne me sens pas du tout à la hauteur pour rédiger une critique. Peut-être par-là : j’étais l’un des musiciens, et tous à la fois. J’étais même les chanteuses, Béba ou Marika. J’ai ressenti leur colère, leur force intérieure inébranlable face à l’inéluctable. J’étais de leur combat et de toutes leurs petites combines. J’ai fumé le narguilé avec eux, j’ai voulu me battre, défendre moi aussi le café de Katina. J’ai voulu fuir, tout quitter. Et j’ai chialé comme un gosse dans les dernières pages. L’essentiel passe par le dessin dément de David Prudhomme. Dans cette version en noir et blanc, bien meilleure selon moi que la version colorisée (qui est elle-même moins réussie que pour Rébétiko, voire carrément ratée), le lecteur en prend plein les mirettes. L'écrin est magnifique. Les fonds couleur crème font ressortir le trait. C'est magnifique. Prudhomme fait preuve d’une maitrise totale des jeux d’ombre et de lumière. Le dessin s’anime, on entend penser tout haut les personnages, on voit leurs idées flotter dans l’air et se mêler à la petite fumée du haschich. A la faveur d’un regard, l’émotion éclabousse la page. Tous dansent, chantent, fument, tentent de faire bonne figure face à l’adversité, et dignes. Oui, j’insiste : on peut même les entendre penser ! Qu’est-ce qu’ils sont beaux ces personnages ! Perso, j’adore le fanfaronnant Stavros ou l’espiègle Batis, mais tous sans exception sont attachants jusque dans leurs travers. Et même les nouveaux que l’on découvre sont extrêmement soignés, à l'image de la savoureuse Katina. Le scénario prend ici un relief qui en comparaison semble à peine esquissé dans Rébétiko. Dans ce volume, la situation devient réellement tragique car l’étau de la dictature se resserre. Les personnages sont amenés à faire des choix qui les engagent totalement tant ils se retrouvent acculés, et face à la répression, toutes et tous restent dignes jusqu'au bout. On ne pouvait rêver plus beau chant du cygne. Les dialogues ne gâchent rien, même si par-ci par-là, le lecteur pointilleux pourra relever quelques futilités qui auraient pu ne pas exister pour laisser d’avantage de place au dessin. Mais franchement, vue la qualité exceptionnelle de l’ensemble, on oublie… Rébétissa s’inscrit dans la grande lignée des tragédies grecques. Mais au-delà de toutes ces considérations, ce récit saisit quelque chose du monde d’aujourd’hui. J’aimerais ne pas trop en dire afin de laisser le plaisir de la découverte, mais oui, nous sommes, Nous, collectivement, les Rébètes. Pour reprendre les paroles de l'un d'entre eux, "nous avons le malheur de n'être que ce que nous sommes, dans un monde qui ne veut plus de ce que nous sommes". J'avoue que ce sentiment de décalage s'accorde en tous points avec mon propre ressenti. A moins que ce ne soit Prudhomme lui-même qui nous exhorte à le devenir ? Fin d’un monde, fin d’une culture, mise en place d’une dictature… Mais c’est véritablement la toute fin qui saute à la gueule. Il y a dans cette dernière scène une métaphore subtile, à la fois touchante, mélancolique et effrayante... Juste pour dire comment j'ai transposé tellement le tableau est vivant... Voilà dit dans un désordre abominable tout le bien que je pense de cette BD. Bien entendu, mes centres d’intérêt personnels y sont pour quelque chose. Ma passion pour la musique, et en particulier le Blues et le personnage d’Alan Lomax (qu’on retrouve d’ailleurs un peu sous les traits du personnage de Péristéris) n’a fait que décupler mon affection pour cette histoire. Mais y a pas à tortiller : Rébétissa (l’antidote) est l’œuvre d’un grand !
Carcajou
Cette série est un très bon divertissement. Sur un schéma ultra classique et très visité, El diablo joue avec les clichés pour fournir un récit haletant dont il est difficile de se détacher. L'auteur aime à jouer les contre pieds tout au long de son histoire Gus n'est pas le bon écolo dernier barrage contre la honteuse exploitation de la forêt et Jay est un personnage d'une grande faiblesse malgré les apparences. Le rythme est très vif avec une narration bien fluide qui s'ingénie à souvent nous dérouter. La pointe de fantastique n'est elle, d'ailleurs, pas celle que se construisent les personnages dans un monde où l'irrationnel à encore sa place. Le très bon final nous laisse d'ailleurs avec plusieurs interprétations possibles avec une dernière planche surprise qui rebat ce que l'on croyait acquis. J'ai bien aimé le graphisme de Deroche qui exprime bien cette ambiance de conflit en huis clos entre la colline et la ville. Quelques doubles pages sympathiques nous rappelle que l'histoire s'inscrit dans les vastes étendues canadiennes de tout beauté. Une lecture très plaisante avec un récit bien construit autour de thèmes très classiques mais revisités avec brio.
Le Démon de mamie ou la sénescence enchantée
La vieillesse est si longue qu’il ne faut pas la commencer trop. Benoîte Groult - Ce tome contient une histoire complète qui peut être lue indépendamment de toute autre. Il s’inscrit également dans une série thématique : Le Démon de midi ou Changement d'herbage réjouit les veaux (1996), Le Démon d'après Midi... (2005), et Le Démon du soir ou la ménopause héroïque (2013). Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Florence Cestac pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-neuf pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une préface d’une page, rédigée par Albert Algoud, louant la manière dont l’autrice possède le sens du burlesque, tout en réussissant à marier le réalisme à la caricature et l’ironie à la plus vive à la bienveillance amusée. Dans un parc ou un jardin public, un groupe d’une demi-douzaine de femmes âgées papotent, alors que des enfants crient : Mamie ! Mamie ! Mamie ! Mamie ! Mamie ! Noémie se rend compte que ce sont ses petits-enfants qui l’appellent. Ces dames évoquent les différents noms qui leur ont été donnés : Mamie pour la plupart, mais aussi Mémé, Mamour, Mam, Bonne-Maman, Nona, Babou, Mamibolo (car elle est la reine des spaghettis bolognaise, et c’est tous les mercredis midi. Noémie explique que la voilà grand-mère, deux fois avec son fils. Sa fille, elle, a décidé de ne pas se reproduire : planète pourrie, trop de monde sur terre, climat qui… La demoiselle en question l’interrompt pour rappeler qu’elle préfère les filles. La grand-mère évoque alors le souvenir de la naissance du premier : la visite à la maternité, et c’est parti pour un tour du gâtisme postnatal. Les démonstrations d’affection de Noémie, et déjà les conseils des parents : ne jamais mettre le bébé sur le ventre dans son berceau (risque de morts inattendues du nourrisson), coussin pour éviter la plagiocéphalie, etc. Noémie continue en expliquant la découverte du matos exponentiel pour le jeune enfant. Au moins deux couffins. Un pour la maison, et un autre pour la poussette et la voiture. La table à langer avec tout son équipement. Le porte-bébé devant. Le porte-bébé derrière. Et l’écharpe de portage. La baignoire pliable avec son thermomètre. Plusieurs kilos de vêtements. Coussin d’allaitement, sac à langer, tire-lait, cocon, nid, couches. Tapis d’éveil, le mobile, la petite veilleuse, le doudou, l’indémodable Sophie la girafe. La tétine lumineuse, le babyphone connecté avec sa caméra. Le siège auto, le siège vélo, le lit pliant évolutif. La poussette 3 en 1, la chaise haute, le parc en bois, le lit à barreaux. Le hamac, le transat, les biberons, le chauffe-biberon, le stérilisateur. Trois tonnes de jouets et jeux divers… Pour la page : le maillot et tee-shirt anti-UV, le bob, les lunettes, la crème solaire. Les brassards, les bouées, le seau, la pelle, le râteau, les méduses. La tente, la serviette, la trousse de secours, le goûter, la gourde. Le chariot de marche, le siège suspendu, le youpala. La balancelle berceuse électrique et programmable. Puis vient le soir où on vous demande de garder le petit… Quatrième tome de cette série : après la quarantaine et le démon de midi, la cinquantaine et la ménopause, la soixantaine et l’arrivée de la retraite, voici la phase vers les soixante-dix ans, mise en scène par l’autrice. Comme dans les tomes précédents, elle opte pour une présentation en scènes courtes de trois ou quatre pages, pour aborder une situation après l’autre. Elle utilise une mise en scène qui entremêle Noémie (un avatar composite d’elle-même et de plusieurs autres femmes) en train de s’adresser aux lectrices face caméra, des suites de vignettes montrant différentes variations d’une situation donnée (par exemple les rencontres avec de nouveaux hommes) et le texte qui court de case en case, et enfin des séquences narratives plus classiques une même action se déroulant dans une succession de cases (comme la déambulation dans l’allée du parc ou le voyage en train avec deux enfants en bas âge). Le lecteur retrouve la personnalité graphique de l’autrice : des dessins descriptifs avec un degré de simplification, réaliste avec une touche d’exagération. Elle continue de rester fidèle aux gros nez pour les personnages, et aux mains à quatre doigts. Ce choix rend tous les personnages immédiatement sympathiques, et très expressifs. Impossible de résister à l’enthousiasme exubérant et sans retenue des enfants, aux réactions pas toujours mesurées qu’ils provoquent chez les adultes de tout poil, et aux marques de la vieillesse physique. Le lecteur retrouve avec plaisir et sympathie Noémie / Florence. Le choix de parler à la quasi première personne induit que l’autrice parle d’elle-même, de son expérience personnelle, et en même temps son avatar évoque différentes configurations, indiquant implicitement que la bédéaste évoque également l’expérience d’autres femmes de cette tranche d’âge, car toutes ne sont pas compatibles entre elles (elle ne peut pas à la fois être célibataire et en couple, par exemple). Comme l’indique Algoud dans sa préface, Florence Cestac a l’art et la manière de concilier des points de vue différents dans une même narration, à la fois du vécu et des ressentis très personnels, à la fois un panorama d’autres possibilités, sans toutefois verser dans le catalogue. Par exemple, lorsqu’elle évoque le club Tamalou, c’est-à-dire, la propension des personnes âgées à aborder un sujet qui les préoccupe au quotidien, leur santé, le lecteur voit des personnages énoncer leurs soucis. Lombalgie, rhumatismes articulaires, acouphènes, crise de goutte, ulcère à l’estomac, trop de cholestérol, trop de glycémie, diabète, crise de colique néphrétique, polypes colorectaux, foie gras, apnées du sommeil, cataracte, descente d’organes. Le lecteur voit plus d’une douzaine de personnages, à raison de deux par case, dans une même page, chacun avec leur expression et leur posture propres, entre résignation et douleur de fond, tous criants de vérité, regardés avec gentillesse par l’artiste. De la même manière, l’autrice passe en revue les différentes occupations possibles à cet âge de la vie : salle de gym, aquagym, marche aquatique côtière, randonnée pédestre genre les chemins de Compostelle, les sorties touristiques dites La ménopause en vadrouille, le jardinage sous l’œil amusé du paysan du coin, les jeux de société comme le scrabble, le bridge, faire de l’art comme la poterie ou la peinture, la visite d’une exposition en troupeau, la séance de cinéma en avant-première avec réu-débat après, etc. Chaque situation fait l’objet d’une à trois cases : une mise en scène qui apporte des éléments d’informations supplémentaires et souvent un regard amusé, entre réalité peu clémente, et éléments comiques. Ainsi la marche aquatique côtière (très en vogue) s’effectue sous la pluie en combinaison intégrale, et le lecteur peut remarquer un monsieur avec une pipe à la bouche évoquant Popeye. Il faut voir Noémie batailler avec ses aiguilles pour produire un tricot informe, ou encore la réaction du chef cuisinier à ce qu’elle lui présente à l’issue du cours. Le lecteur se rend compte que le sourire né dès les premières pages ne le quitte plus tout du long. Il repense à l’introduction et partage le jugement de son auteur. Florence Cestac sait manier le burlesque avec élégance et dextérité, des touches de bouffonnerie outrée : la quantité de régurgitation d’un nouveau-né, ses cris inextinguibles et perçants, sa façon de recracher la nourriture en la projetant partout, la surexcitation de ces dames en évoquant bruyamment leurs frasques passées autour d’un verre au café (pour la plus grande exaspération des plus jeunes), la difficulté de l’effort physique pour monsieur en plein acte sexuel, Noémie en tenue paramilitaire arcboutée à sa porte blindée en pleine crise de délire de persécution, etc. Ces moments sont imparables car elle sait marier le réalisme à la caricature, ses idiosyncrasies de dessin gommant tout risque de hiatus entre ces deux registres. Et puis, elle fait preuve d’une grande empathie, pour les seniors encore plus âgés ayant perdu une partie de leurs moyens soit physiques, soit mentaux, et pour chaque individu devenu sénile. Le lecteur se retrouve à verser une larme alors qu’une dame étreint Noémie, par gratitude dans le cadre de la distribution de denrées alimentaires. Au fil des situations et des facettes de la vieillesse mises en scène, le lecteur ressent l’honnêteté de cette présentation, les différentes facettes de cette réalité, les différentes circonstances en fonction de sa situation de famille, de santé. Il se sent réconforté par les différents personnages, comprenant que cette sensation qui le rassérène provient du regard avec lequel l’autrice les considère, avec bienveillance. Elle montre chaque individu sans fard, avec ses défauts, avec la distance qui s’installe avec l’âge, par exemple dans les relations amoureuses, aussi bien sentimentales que physiques. Il ressent également l’acceptation de l’autrice quant aux évolutions qui accompagnent cet âge. Cela produit un effet bien différent de la résignation. Il repense à cette notion de temps additionnel, selon la formule de Christian Boltanski (1944-2021), artiste plasticien français. La mort devenant une perspective de plus en plus tangible, les années se condensent, la forces des intentions aussi, le temps additionnel a une intensité bien différente. La perspective de découvrir une bande dessinée parlant de la vieillesse peut doucher l’enthousiasme du lecteur, d’autant que la couverture annonce des aspects peu reluisants du grand âge. D’un autre côté, la verve de Florence Cestac fait des merveilles à chaque fois, aussi bien dans les observations, les situations et les dialogues, que dans les dessins avec un sens formidable du burlesque. Elle parle aussi bien des pertes successives de toute nature, que de la capacité de l’individu à s’y adapter, à parvenir à l’acceptation, et à profiter de ce temps additionnel. Ravigotant et rassénérant.
Faust
C'est probablement la première œuvre BD posthume que je lis. A la mort de Poïvet, Rodolphe pensait leur travail perdu. Grace à la perspicacité du fils Poïvet, elle fut retrouvée et put être éditée une bonne vingtaine d'années après sa création. La légende du docteur Faust qui vend son âme au diable pour avoir une seconde jeunesse et séduire Marguerite fait partie du patrimoine littéraire depuis la popularité de l'œuvre de Goethe. Rodolphe reprend fidèlement le Faust I de Goethe même si la lutte mystique entre les prières de Marguerite (et sa rédemption) et les actions de Méphistophélès sont peu présentes. Rodolphe propose donc une adaptation intéressante avec un texte très travaillé et une mise en scène fluide et accessible. Le dessin de Poïvet colle parfaitement à l'esprit de l'œuvre. Comme à son habitude l'auteur propose un N&B réaliste d'une grande précision. L'expressivité que donne l'auteur à ses personnages est fondamentale pour exprimer les tourments internes de Faust et Marguerite. Une œuvre peu connue mais qui mérite de l'être. Une belle lecture pour un large public afin de mieux connaitre cette œuvre majeure du patrimoine littéraire.