Je me range complètement aux louanges des précédents aviseurs.
P-H Gomont est devenu en l’espace de quelques albums un auteur à suivre quasi les yeux fermés, la promesse systématique d’un excellent moment, il m’a toujours surpris positivement de par sa réalisation et les sujets choisis.
Slava ne déroge pas à la règle, une lecture de haute volée. J’ai hâte de connaître la suite de cette trilogie.
Graphiquement, c’est de mieux en mieux, l’auteur améliore encore son style, coloré et fluide. Un dessin vivant, j’aime le rendu de ses mises en page avec l’absence de trait noir autour de ses cases.
L’histoire n’est pas en reste, on explore les années post chute mur de Berlin. On va découvrir une Russie confrontée à l’ultra libéralisme du jour au lendemain, via le parcours de quelques personnages hauts en couleur, parmi tant d’autres j’ai particulièrement savouré celui de Dimitri Lavrine.
J’ai été complètement emporté d’entrée de jeu, j’ai adoré la construction de l’album et la voix off de Slava.
Un album au Top !!
MàJ tome 2 :
2 albums au Top !!
J’ajoute un coup de cœur à cette série. J’admire la qualité d’écriture de l’auteur ainsi que sa patte graphique, il y a tout ce que j’aime dedans, flamboyance, dépaysement, densité, noirceur et légèreté … un plaisir de retrouver ces personnages russes.
MàJ tome 3 :
Ça y est Slava c’est fini.
Je dois avouer que le début de la série m’a plus parlé avec ce petit côté Kusturica. La fin sera bien moins insouciante que les débuts et surprendra sans doute un peu moins.
Une trilogie bien menée qui met vraiment l’âme russe à l’honneur.
Hâte de découvrir le prochain projet de l’auteur.
Les auteurs nous proposent avec « Ulysse & Cyrano » une quête initiatique très humaine.
Commençons par un avertissement : l’histoire est très classique, les évènements sont convenus et prévisibles, et la fin « feel good » sera sans doute trop sucrée pour certain-e-s (voir l’avis de Emka par exemple).
Cela étant dit, j’ai passé un excellent moment de lecture. J’ai adoré cette passion inconditionnelle et contagieuse de Cyrano pour la cuisine, et au travers l’apprentissage de Ulysse, la réflexion sur l’importance d’aimer son travail pour être heureux, de profiter de la vie et des amis, de ne jamais trahir ses valeurs… c’est un message auquel j’adhère à 100%.
La mise en image est magnifique, le grand format permet d’apprécier le dessin précis et détaillé de Stéphane Servain, avec une mention spéciale pour les visages des personnages, mais aussi les vues champêtres de Bourgogne.
Un album que j’ai dégusté assis au soleil avec un bon café, en prenant mon temps… un délice !
Une bonne pinte de zwanze
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Ce tome fait suite à Léopoldville 60 (paru en 2019) pour la chronologie de la parution des albums. En revanche, il s’agit du premier, à ce jour, pour la chronologie de la vie de l’héroïne. Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Sourire 58 (paru en 2018), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Philippe Wurm est remercié pour son travail de monitoring sur la couverture. Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Bruxelles une vie très occupée : Sous la botte nazie, On trouve tout au marché noir, Ça s’est passé en 1943, BD ça bulle pendant la guerre, Le Soir volé zwanze et courage, Bruxelles sous les bombes, un entretien avec Pierre Gérard (J’avais treize à Bruxelles en 1943). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listés les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif.
1960 un quartier au sud de Bruxelles par une belle matinée d’automne. Dans une grande maison, Kathleen Van Overstraeten appelle à haute voix sa mère Guillemette. Elle tient une petite réplique de l’Atomium dans la main droite, et une autre d’un masque africain dans la main gauche. Elle ne peut pas croire que sa mère veuille jeter ça, des cadeaux qu’elle lui a faits ! Sa mère lui redit qu’elle ne jette rien, elle va les donner à une œuvre, Les petits riens, de l’abbé Froidure. En outre, cette maison est devenue trop grande pour elle et comme elle va vivre en appartement, elle doit faire des choix. Elle demande à Kathleen de l’aider au lieu de jacasser. Qu’elle file dans le grenier et qu’elle fasse le tri. Il y a encore plein d’affaires à elle. Un peu agacée, Kathleen s’exécute et commence à farfouiller dans un coffre, où elle trouve un vieil appareil à visionner en stéréoscopie, un View-Master. Elle continue de fourrager dans ce coffre.
Kathleen en sort un lot de planches de bande dessinée, enserrées dans une bande de papier kraft, avec un message inscrit dessus : Fernand, je te confie mon travail. Tu es la seule personne en qui j’ai confiance. Je sais que tu en prendras grand soin. Merci à toi. Kathleen jette un coup d’œil sur les planches : des gags mettant en scène Adolf et Herman, son berger allemand. Ça fait remonter en elle des souvenirs de la seconde guerre mondiale à Bruxelles. 1943. Elle avait douze ans. Et sa ville était occupée par les Allemands, avec les soldats qui marchaient au pas de l’oie dans la rue. Ils l’appelaient Brüssel ! Elle ne comprenait pas grand-chose à la guerre, par exemple cette affiche d’une maman enserrant sa fille avec le slogan : Papa gagne de l’argent en Allemagne ! Sauf qu’elle ne devait pas répéter à l’extérieur ce qu’ils disaient à la maison. Et surtout pas à l’école. Elle était au lycée Dachsbeck, tout près du Sablon et même-là on ne savait jamais qui pensait quoi. Guillemette, sa mère, travaillait à l’Innovation, rue Neuve. Elle était vendeuse au rayon chapeaux pour dames.
Une couverture avec une illustration de type ligne claire, une mise en couleurs sophistiquée, et un titre explicite : la vie à Bruxelles en 1943, pendant l’occupation allemande, comme en atteste la croix gammée sur la façade de l’hôtel Continental en vis-à-vis de la fontaine Anspach sur la place de Brouckère. Les deux auteurs réalisent une bande dessinée de nature historique avec une solide reconstitution de l’occupation et de sa représentation. Au fil du tome, le scénariste évoque les troupes de soldats qui patrouillent dans la capitale belge, le risque de la délation et la méfiance de chaque instant dans les lieux publics, le rationnement et ses tickets, le parti rexiste et les collaborateurs, le salut nazi entre dignitaires et militaires allemands dans la rue, l’arrestation arbitraire de Juifs dans la rue en public, les contrôles de papiers d’identité à tout bout de champ, la censure de la presse et les restrictions de papier, la Sturmbrigade Wallonie (ex-légion wallonne passée en juin 1943 sous le giron de la Waffen-SS), le Front de l’Indépendance (réseau de résistance intérieure fondé en 1941), le marché noir (en particulier la bien-nommée rue du Radis située dans les Marolles), jusqu’au camp de prisonniers d'Esterwegen dans l’Emsland en Allemagne, et l’exil de Léon Degrelle en Espagne.
La reconstitution historique passe également par les dessins. Ceux-ci s’inscrivent dans le registre de la ligne claire avec un niveau impressionnant de détails. Le lecteur est tout de suite projeté ailleurs, dans le quartier résidentiel du sud de Bruxelles, dans un dessin en élévation. Il est fortement impressionné par les descriptions et les scènes de vie à Bruxelles en 1943. Il est visible que le dessinateur s’est solidement documenté aussi bien pour les uniformes et les armes des soldats et des officiers allemands, que pour les tenues vestimentaires des civils, afin d’assurer l’authenticité par rapport à l’époque. Il applique le même soin rigoureux et patient pour décrire les différents quartiers de la ville. Les auteurs tiennent toutes les promesses contenues dans le titre : immerger le lecteur dans cette capitale à cette année-là. Le lecteur ouvre grand les yeux et prend le temps de détailler chaque planche à son tour : les façades des immeubles bruxellois, les voitures garées dans les rues, le tramway, l’intérieur du magnifique café Le Cirio à deux pas de la Bourse, la place de Brouckère et son monument, la ferme des grands-parents maternels de Kathleen avec ses poules et son cochon, les alentours du château de Karreveld, les trafiquants assis à même le trottoir rue du Radis pour le marché noir, le Parc royal de Bruxelles, les statues du square du petit Sablon, la place du Jeu de Salle avec la caserne des pompiers, la gare du Midi, les chars de la deuxième armée britannique entrant dans la ville le 3 septembre 1944, etc.
L’immersion dans cette capitale gagne encore en intensité avec de nombreuses références ayant une saveur typique pour un touriste, présente tout du long du tome. Le scénariste fait preuve de la délicate attention de les expliciter dans la gouttière sous la case correspondante. Dans l’ordre où elles sont mentionnées : Abbé Froidure (prêtre catholique belge, fondateur d’œuvres sociales, dont Les Petits Riens), une aubette (un kiosque à journaux), du peket (nom donné au genièvre dans la région wallonne), le Rexisme (mouvement politique belge d’extrême droite nationaliste et antibolchévique, 1930-1945), ADS (les Amis De Spirou, un mouvement de jeunesse du journal Spirou créé en 1938), Schieve (fou), plusieurs des dix-neuf communes de Bruxelles (Saint-Josse-Ten-Noode, Boitsfort), Half en half (apéritif bruxellois, mélangeant à part égale du mousseux et du vin blanc sec), le zwanze (humour gouailleur associé à Bruxelles), etc. Chaque élément physique est dessiné avec le même souci de montrer précisément ce dont il s’agit. La mise en couleur de Bérengère Marquebreucq est qualifiée de mise en lumière. L’expression trouve tout son sens avec une sensibilité artistique sachant équilibrer une approche naturaliste, une lisibilité renforcée et une installation discrète d’ambiance.
Comme pour les autres albums, les auteurs ont choisi de raconter une histoire, pour rendre la reconstitution historique plus vivante. Le lecteur suit ainsi la jeune Kathleen, douze ans en 1943, et plusieurs des adultes qui croisent son chemin, comme ses parents, plus particulièrement son père Fernand, Bob Mertens, un ami dessinateur de son père, Alfred Mommens, un jeune adulte fils de rexiste, et quelques autres. Les personnages disposent d’assez d’épaisseur et de caractère pour ne pas être réduits à des artifices narratifs. Le lecteur croit en la conviction rexiste du père d’Alfred, à la conviction de Bob qui en fait un résistant, à la normalité des époux Guillemette et Fernand Van Overstraeten, essayant de conserver une forme de vie digne sous le joug de l’occupation par l’envahisseur. En tant que bédéistes belges, les auteurs font intervenir les deux auteurs les plus en vue de l’époque, Georges Rémi (1907-1983) étant un client régulier de l’aubette tenue par le père de Kathleen, venant parfois accompagné par Edgar-Pierre Jacobs (1904-1987), les deux travaillant sur Le trésor de Rackham le rouge, histoire publiée quotidiennement en noir et blanc dans le journal Le Soir, du 19 février au 23 septembre 1943.
Le lecteur savoure cette reconstitution historique au goût authentique de belgitude quand son attention gagne en intensité et en implication en page vingt-sept : le 7 septembre 1943 à 09h51. Les auteurs n’en font pas des tonnes : trois pages factuelles sans dramatisation tire-larme. Le lecteur ressort sonné du bombardement du quartier d’Ixelles à Bruxelles par les alliés. La bande dessinée vient de passer dans un registre plus personnel, plus bouleversant. La guerre s’est déchaînée au cœur de la cité, les civils sont impliqués, la réalité de l’occupation et du temps de guerre se fait palpable pour le lecteur. Parmi les événements relatés, les auteurs racontent avec la même justesse de sensibilité la réalisation du faux Soir et sa distribution le 4 novembre 1943. Les conséquences ne se font pas attendre pour l’imprimeur, le complice au sein du Soir volé, le linotypiste et le rotativiste. Même si dans le même temps, l‘exploit et le courage de ses promoteurs furent salués à travers toute l’Europe et Londres attribua une aide au Front de l’Indépendance.
Une grande réussite : les auteurs emmènent le lecteur dans Bruxelles occupée, par une reconstitution historique impeccable, à la fois par le choix des événements évoqués, et par leur mise en image et en couleur. Même le plus blasé des lecteurs par les évocations de la seconde guerre mondiale se retrouve parmi quelques individus de la population et sent le souffle des bombes qui tombent, le danger à faire acte de résistance. Il continue avec plaisir en se lançant dans la lecture du dossier en fin de tome.
Je me rends compte en écrivant mon avis sur Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle que je n'ai pas avisé cet autre chef d'oeuvre d'humour absurde. Les deux sont complètement cons et se passent au bureau, difficile de ne pas les avoir en tête en même temps.
Anouk Ricard dont j'apprécie beaucoup l'humour nous plonge dans un des ses univers où la débilité ambiante est reine. Richard, notre héros, se retrouve embauché dans une boîte de coucous suisses et découvre rapidement que ses collègues sont tous plus à côté de la plaque les uns que les autres.
Le dessin naïf est en total décalage avec les dialogues mordants et le ton résolument adulte. On pourrait croire à un univers enfantin avec ces animaux colorés, mais c’est bien tout l’inverse. Anouk Ricard balance un pastiche de la vie de bureau qui fait mouche, à la fois dans ses situations surréalistes et ses punchlines bien senties. Tout y passe : le management incompétent, les réunions absurdes, les sorties d’entreprise où tout le monde se tire dans les pattes. Et puis il y a cette pseudo-enquête sur un employé disparu, qui finit par devenir un prétexte pour des situations encore plus débiles.
L’humour est léger, presque con, mais c’est ce qui fonctionne. Le quotidien de Richard devient une succession de moments tragicomiques et ce n’est pas tant l’intrigue qui nous retient, mais bien la galerie de personnages tous plus barrés les uns que les autres.
Lecture recommandée comme Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle à ceux qui aiment l'humour bien décalé, pas sûr que cela fasse mouche avec tout le monde.
Un bon condensé de n’importe quoi très drôle dans un cadre auquel on ne s'attend pas vraiment de prime abord : un open space des années 90. Dans un style décalé qui m'a fait penser à Coucous Bouzon. Du pur plaisir d’assister à cette enquête avec des personnages aussi improbables que mémorables pour ceux qui aiment l'humour absurde (et je suis très bon public à ce sujet).
Le héros Jean Doux (tout le monde s'appelle Jean ou Jeanne quelque chose) découvre une disquette molle dans le faux plafond d’un bureau, et là, tout part en vrille. L’entreprise, qui fabrique des broyeuses de documents, devient le théâtre d’une quête complètement barrée à la recherche de la “broyeuse ultime”.
On se dit alors que l’histoire va partir dans un délire total, mais en fait, non, c’est bien tenu, le fil rouge de l’enquête reste crédible dans son absurdité. Bien joué par exemple le coup de la carte compressée pour tenir sur 256 ko. On est entre le polar et la grosse comédie potache, et ça fonctionne à merveille.
Côté dessin, c’est minimaliste mais juste avec ce style cubique, presque pixelisé qui fixe bien le décor. C’est drôle, bien ficelé, et ça replonge dans une époque avec juste ce qu’il faut de tendresse et de dérision.
Voici une bande dessinée qui réussit à transformer un sujet scientifique en une exploration visuelle et poétique des mystères de la forêt.
Loin de simplement vulgariser des faits biologiques, Bernard et Flao donnent vie aux arbres en les transformant presque en personnages à part entière. Le texte est bien documenté, mais jamais lourd, et chaque découverte sur les réseaux souterrains d’arbres ou les mécanismes de défense des forêts est enrobée d’une narration fluide et accessible.
Le dessin de Flao fonctionne très bien. Ses aquarelles et ses traits organiques capturent la beauté sauvage des forêts, mais aussi la complexité des systèmes végétaux.
Là où l’album est très bon, c’est dans sa capacité à faire réfléchir sans imposer de message moralisateur. Le lien entre les arbres et les humains est délicatement esquissé, et on ressort de cette lecture avec un sentiment de connexion renouvelée avec la nature. La bande dessinée donne envie d’aller marcher dans les bois, de s’arrêter et d’observer. Il y a cette idée récurrente que tout est interconnecté, que les arbres communiquent entre eux et forment une communauté, un réseau complexe que l’on commence à peine à comprendre.
L’aspect narratif, parfois, s’efface un peu derrière la pédagogie, c'est un peu le jeu dans ce genre de BD très documentées.
La Vie secrète des arbres n’est pas seulement une bande dessinée informative. Bernard et Flao réussissent à faire passer un message écologique fort, sans jamais tomber dans le didactisme. C’est une invitation à ralentir, à observer, à comprendre que la nature, loin d’être inerte, est un monde en perpétuel mouvement.
Je me suis enfin procuré cette BD que je n'ai lue qu'en empruntant à des amis. Voici une œuvre qui combine habilement la bande dessinée et la photographie, un mélange peu commun mais ici parfaitement maîtrisé et que je souhaitais avoir dans ma bibliothèque. Ce qui m’a frappé dès le départ, c’est la force du témoignage visuel. Le récit de Didier Lefèvre, photographe parti en Afghanistan avec une mission humanitaire de Médecins Sans Frontières, prend une dimension presque documentaire. On est plongé au cœur du conflit, sans fioritures, avec une approche très réaliste. Les photos, intégrées au dessin, donnent une profondeur et une véracité qui amplifient l’impact des scènes.
Le dessin de Guibert, simple et précis, accompagne ces photos de manière fluide. Il complète le récit sans jamais écraser les images. Les transitions entre les deux médiums se font naturellement, créant un rythme bien dosé, sans rupture. Le choix de cette narration visuelle permet d’aller au-delà du simple reportage photographique : on ne se contente pas de regarder des clichés, on vit littéralement l’expérience avec Lefèvre.
Côté scénario, c’est la dimension humaine qui m’a le plus marqué. Au-delà des images du conflit, c’est le quotidien des médecins, des populations locales, et surtout la prise de conscience progressive de Lefèvre qui donnent tout son poids à l’histoire. On ressent à chaque instant la tension de l’Afghanistan en guerre, mais aussi les moments de solidarité, d’échanges. Les difficultés, les doutes, les peurs sont montrés sans filtre, et c’est cette sincérité qui rend l’ensemble si puissant.
Malgré l’aspect documentaire, il n’y a jamais de sensation de voyeurisme ou de dramatisation forcée. Le photographe raconte son périple avec une certaine retenue, presque de manière factuelle, ce qui laisse toute la place à l’interprétation personnelle. C’est un témoignage sobre mais marquant, qui réussit à trouver un équilibre entre l’humain, le reportage, et la BD. Une œuvre à la fois simple dans son approche, mais profonde dans son impact et que j'ai pris beaucoup de plaisir à relire.
Dans la tête de Sherlock Holmes est un vrai coup de maître. Dès les premières pages, je me suis laissé emporter par l’ingéniosité de la mise en scène. On pénètre littéralement dans l’esprit de Sherlock, et tout est pensé pour refléter son processus de déduction, sans jamais tomber dans l’excès. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est l’originalité du découpage des planches, qui joue avec la forme des cases, parfois une loupe, parfois une coupe de bâtiment, et ce fameux fil rouge qui nous guide tout au long de l’enquête. C’est un procédé qui n’aurait pas pu exister autrement qu’en bande dessinée, et c’est ce qui rend cette œuvre unique.
L’intrigue elle-même est captivante, fidèle à l’esprit de Conan Doyle, tout en étant assez fluide pour ne jamais perdre en intensité. Les auteurs maîtrisent parfaitement l’art de raconter une enquête de Sherlock, avec ces petits détails que l’on découvre progressivement. Rien n’est laissé au hasard, chaque indice trouve son écho à un moment donné. Ce que j’ai apprécié, c’est que même si l’histoire semble parfois rocambolesque, tout finit par s’imbriquer de manière logique, comme une mécanique bien huilée.
Visuellement, c’est un régal. Chaque page est un vrai bijou, avec des dessins riches en détails qui plongent directement dans l’ambiance victorienne. L’idée de faire passer la pensée de Sherlock à travers une mise en page aussi élaborée est un pari osé, mais il fonctionne parfaitement. Le jeu sur les transparences, les pages à plier, tout cela ajoute un aspect ludique à la lecture, sans jamais en faire trop.
Au final, Dans la tête de Sherlock Holmes est une œuvre qui réussit à surprendre tout en restant fidèle à l’univers du célèbre détective. C’est brillant, inventif, et cela redonne vie à un personnage pourtant bien connu. Une lecture qui m’a tenu en haleine du début à la fin, avec un plaisir évident à suivre chaque déduction de Sherlock, tout en admirant le travail visuel impressionnant des auteurs.
Voici une œuvre marquante, à côté de laquelle je serais passé si ne fréquentais pas ce site. "Mauvaises Herbes" un témoignage puissant de l’histoire des “femmes de réconfort”, souvent passé sous silence. Cet album, réédité par Futuropolis, raconte avec une grande sensibilité le destin tragique de Oksun Lee, victime de l’esclavage sexuel sous l’occupation japonaise en Corée.
Dès les premières pages, on est frappé par la force brute du trait en noir et blanc. L’autrice joue habilement avec les épaisseurs de lignes pour donner à la fois un sentiment d’enfermement et de brutalité, tout en laissant place à une certaine douceur dans les paysages naturels. Ce contraste visuel reflète parfaitement le dilemme entre la beauté du monde et l’horreur des expériences humaines. Les mauvaises herbes, symboles de résistance et de résilience, parsèment l’œuvre comme un écho à la ténacité de ces femmes oubliées.
Le récit alterne habilement entre les souvenirs de Oksun et les entretiens que Keum Suk Gendry-Kim a menés avec elle. La structure narrative est fluide, permettant de ressentir le poids du traumatisme tout en étant guidé avec délicatesse à travers cette mémoire douloureuse. Gendry-Kim choisit d’aborder les moments les plus horribles avec pudeur, optant pour l’implicite plutôt que pour des représentations explicites, ce qui renforce la puissance émotionnelle de l’œuvre.
Le travail de l’autrice s’inscrit dans une démarche de mémoire, de réhabilitation de la parole des victimes, trop longtemps ignorée. Le ton est juste, sans voyeurisme ni surenchère dramatique, ce qui rend l’ouvrage d’autant plus poignant. On ne peut qu’être ébranlé par cette histoire, témoin d’une période sombre et encore taboue de l’histoire asiatique. C’est une œuvre nécessaire, un devoir de mémoire aussi essentiel que les autres récits historiques qui évoquent les grandes tragédies humaines.
Cet album est un coup de poing émotionnel, j'ai lu les 500+ pages d'une traite. Le dessin, brut mais subtil, la narration poétique et touchante, et surtout le sujet traité avec une sensibilité rare font de cette bande dessinée un véritable chef-d’œuvre qui devrait être lu et partagé largement. Je rejoins les avis précédents, une oeuvre magistrale et un grand coup de coeur.
C'est cette question de la sensation, vous comprenez ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première parution date de 2015 au Brésil, et de 2016 en France. Il a été traduit par Marie Zeni et Christine Zonzon. Il a été réalisé par Marcello Quintanilha pour le scénario et les dessins. Il compte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc, avec des nuances de gris.
Le soir, Rosângela, trentenaire, s’est couchée dans le lit conjugal, aux côtés de son mari Mario. Après avoir éteint la lumière, elle repense à cette histoire d’être, d’une certaine manière, supérieure. Non, ce n’est pas ça. En fait, c’est assez difficile à expliquer, parce que cette pensée là… Il ne s’agit pas d’une idée, comme on pourrait dire, tout simplement., Rosângela se sentait supérieure, car ce n’était pas ainsi qu’elle pensait. Du moins, on ne peut pas dire qu’elle pensait en ces termes-là. Non, ce n’est pas vraiment cela. C’est pourquoi il est difficile de l’expliquer, ce serait plutôt ? Comment dire ? Plutôt une espèce de sensation, vous comprenez ? Oui… Une espèce de sensation, vous savez ? Disons… Comme si … vous aviez le sentiment de faire partie d’une classe… disons… supérieure. Vous voyez ? Comme si vous apparteniez à un certain milieu social, c’est ce que je veux dire… Ce sont des gens qui vivent dans des conditions particulières, n’est-ce pas ? Le genre de personnes dont vous dites : Eh ben ! Pour être à cette place dans la peau de cette personne et vivre de cette façon, consommer, faire des voyages, faire l’amour, il faut appartenir à ce milieu ! Eh bien, c’était plus ou moins cela que Rosângela ressentait.
C’était ce qu’elle ressentait, et, curieusement, elle associait le fait d’être dans la peau d’une de ces personnes-là, dont tout le monde sait qu’elles appartiennent à une classe supérieure, à un moment précis, lorsqu’elle venait juste de faire l’amour avec son mari. Plus encore que lorsqu’elle descendait prendre sa voiture au garage, ou qu’elle laissait les enfants devant le collège, ou qu’elle rejoignait son cabinet. Et si vous pensez que personne ne s’en rendait compte, demandez donc au portier de l’immeuble, qui lui assène tous les matins son Bonjour Dr. Rosângela, demandez donc au gars du parking, demandez à tous ces gens qui regardent sa voiture du coin de l’œil, sans pouvoir s’acheter la même. Demandez-leur, et vous verrez… C’est plus ou moins comme si vous étiez dans la peau d’une personne à part, qui sait qu’il y a de la misère dans le monde, mais qui… Qui ne peut rien y faire, n’est-ce pas ? C’est embêtant, c’est triste, mais que faire ? Vous avez la chance d’être dans la peau de ce genre de personnes, un point c’est tout. Vous ne pouvez rien y faire, il vous faut donc vivre le mieux possible. La dentiste Rosângela est arrivée dans son cabinet de dentiste. Elle salue son assistante Irma, fait le point sur ses rendez-vous du matin. Elle doit recevoir sa cousine germaine Daniele qui vit dans le quartier populaire de Barreto, celle avec son père alcoolique dont, enfant, elle devait nettoyer le vomi, dont le premier mari lui crachait au visage. Celle qui est si jolie, une beauté incroyable, un sourire extraordinaire.
La quatrième de couverture présente Rosângela comme souffrant du syndrome de la femme parfaite : dentiste reconnue, un mari cardiologue à succès très amoureux d’elle, des enfants qui sont de véritables petites merveilles, une belle voiture, un compte bancaire bien rempli… Mais une cousine, pauvre et séparée de son mari, fait preuve d’une tranquillité d’esprit désarmante, dotée d’un sourire toujours éclatant. Une simple histoire de jalousie ? La narration apparaît tout de suite comme très personnelle. Des cases sans bordure, entre quatre et douze par page, avec des dessins naturalistes et descriptifs, et parfois des gros plan ou des contrastes qui aboutissent à une image abstraite si le lecteur la considère détachée des cases la précédant ou la suivant. Un flux de pensées qui n’est pas celui du personnage principal, mais celui du narrateur ou de l’auteur qui n’est pas omniscient. Ses remarques et ses observations oscillent entre des constats sur l’état d’esprit de Rosângela et ses pensées, et des interrogations dessus, comme s’il cherchait à comprendre ses émotions, leurs racines, comme s’il ne savait pas tout d’elle.
Le lecteur se retrouve immédiatement impliqué dans cette vie, dans les émotions de cette femme, vraisemblablement trentenaire qui fait l’objet de l’attention du narrateur qui s’interroge sur elle, tout en racontant son histoire. L’histoire se déroule à Niterói, ville située sur le côté est de l'entrée de la baie de Guanabara, face à Rio de Janeiro. Son nom est mentionné et Rosângela évoque d’autres villes et quartiers à proximité, pour souligner qu’elle a la chance d’habiter dans une zone privilégiée. On la voit emprunter le pont Rio-Niterói long de treize kilomètres, qui traverse ladite baie. De manière incidente, sans que la narration y fasse référence explicitement ou ne commente, certaines cases montrent des rues, des façades d’immeuble, les plages, les vagues de l’océan, avec ou sans êtres humains se livrant à leurs occupations. C’est une particularité narrative de cette bande dessinée que d’avoir parfois des cases qui ne se rattachent pas au sujet des réflexions du narrateur sur son personnage, mais qui viennent montrer le lieu, ou bien associer un lieu du quotidien de Rosângela, apportant un élément de sa vie. L’auteur montre ainsi de nombreux éléments de la vie de tous les jours de cette femme : le tableau de bord de sa voiture, sa chambre à coucher, la salle d’attente de son cabinet de dentiste, l’ascenseur qui y mène, un train sur la voie ferrée qui traverse le quartier où vit sa cousine germaine, son premier cabinet avenue Amaral Peixoto que lui avait offert son père, les immeubles le long de la baie vus depuis la mer, son fauteuil de dentiste avec les appareils, le salon de tante Bel avec son canapé très ordinaire recouvert d’un tissu pour le protéger, la mer venant lécher la base du rocher d’Itapuca pendant la marée, la grande salle de réception d’un appartement luxueux des amis de son mari, des immeubles d’autre partie de la ville, les lumières de la ville de nuit, des zones piétonnes, etc.
En plus de la diversité des lieux montrés au fil de l’eau, l’artiste se focalise parfois sur un détail, un gros plan : la plaque du cabinet dentaire, l’eau qui s’écoule dans un lavabo, une main sur laquelle on enfile un gant, le motif géométrique du plafonnier, une dentition, un lustre monumental dans un centre commercial, le motif du revêtement d’un trottoir, le chiffre d’un jour sur un calendrier, etc. Ces moments peuvent aussi bien correspondre à une vue subjective, ce sur quoi se concentre le regard Rosângela à ce moment-là, qu’un souvenir fugace dans son esprit. De temps à autre, ces images deviennent des très gros plans, sortant un détail d’une case vue précédemment, pour donner une figure abstraite qui ne fait sens que rattachée à la case ou à la séquence d’origine. Une forme conceptuelle comme si le réel perdait son sens pour ne plus être qu’un ressenti esthétique fugace. Ces caractéristiques de la narration visuelle génèrent un effet parfois sensoriel, parfois émotionnel, connectant ainsi directement le lecteur aux sens de la protagoniste. L’effet peut s’avérer d’autant plus troublant que les brèves cellules de texte déroulent une idée parallèle. Le lecteur se met alors à imaginer, ou plutôt à ressentir la connexion qu’il peut y avoir, soit directe les images fournissant le contexte du flux de pensées qui sont influencées inconsciemment par le lieu ou l’action, soit à retardement quand le souvenir revient par un mécanisme d’association sensoriel ou émotionnel, du grand art.
La qualité narrative fait de cette histoire banale tout autre chose qu’une télénovela produite industriellement au kilomètre. La banalité de la trajectoire de vie de Rosângela acquiert une profondeur extraordinaire, parfois sociologique, parfois émotionnelle, toujours personnelle. Certes les circonstances de sa naissance l’ont gâtée : parents aimants, attentionnés, financièrement à l’aise, bonne éducation, réussite scolaire, mariage très heureux avec un époux très attentionné, enfants agréables réussissant bien, confort matériel, réussite professionnelle, personnes à qui se comparer, dans son milieu social, mais aussi sa cousine germaine, sa tante et son oncle d’un milieu nettement moins favorisé, avec une histoire personnelle nettement moins heureuse (père alcoolique, mari méprisant, pas d’enfant). Rosângela sait qu’elle bénéficie d’une situation enviable, nettement meilleure que l’écrasante majorité de la population. Elle a conscience d’être regardée comme un modèle de bonheur, plus admirée qu’enviée. Au fil du récit, l’auteur aborde d’autres thèmes : une sensation de manque indéfinissable, une commisération de circonstance pour sa cousine germaine (pas vraiment de la peine, certainement pas de la jalousie), une forme d’injustice existentielle (le bon caractère et le plaisir de vivre évident de sa cousine, qu’y a-t-il dans son sourire ?), une interrogation sur ce qu’elle pourrait devoir d’une certaine manière (car elle n’a rien fait pour mériter tout ça, en fait si elle a mené sa vie en s’investissant pour construire cette forme de bonheur), une question de mérite… L’auteur ne se montre pas méchant avec son personnage, il fait tout pour se montrer le plus empathique possible pour la comprendre, ce qui incite tout naturellement le lecteur à faire de même. Soit il a développé de solides convictions sur le sens de la vie, et il n’éprouve alors aucune difficulté à se positionner par rapport à Rosângela, à trancher sur la nature de son mal-être. Soit il est plus dans l’empathie et il l’accompagne dans cette recherche de ce qui ne va pas, ce qui fait défaut, ce qui gêne, ce qui ne fait pas sens dans sa situation comparée au parcours de sa cousine Daniele. Au départ, il attend alors une sorte de révélation. Mais le récit s’avère beaucoup plus habile que cela, impliquant le lecteur tout en douceur dans la vie intérieure de la protagoniste, sans bulles de pensée. La compréhension ne se produit pas sous forme de révélation, mais en éprouvant ses ressentis. Aussi fort et intense qu’habile et élégant.
Une couverture peu parlante, un titre cryptique, une histoire banale de mère ayant tout réussi. Une narration personnelle faite de petites cases ouvertes, parfois en panoramique sur la largeur de la page, semblant très descriptives et très factuelles, tout en faisant ressentir l’état d’esprit de Rosângela de manière aussi douce qu’efficace. Le suspense se révèle d’ordre psychologique, voire existentiel, tout en sourdine, alors que le lecteur s’installe dans le quotidien de la protagoniste à Niterói, en profitant de son confort matériel. Une incroyable aventure dans le monde intérieur d’une femme, sans avoir accès à ses pensées. Extraordinaire.
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Slava
Je me range complètement aux louanges des précédents aviseurs. P-H Gomont est devenu en l’espace de quelques albums un auteur à suivre quasi les yeux fermés, la promesse systématique d’un excellent moment, il m’a toujours surpris positivement de par sa réalisation et les sujets choisis. Slava ne déroge pas à la règle, une lecture de haute volée. J’ai hâte de connaître la suite de cette trilogie. Graphiquement, c’est de mieux en mieux, l’auteur améliore encore son style, coloré et fluide. Un dessin vivant, j’aime le rendu de ses mises en page avec l’absence de trait noir autour de ses cases. L’histoire n’est pas en reste, on explore les années post chute mur de Berlin. On va découvrir une Russie confrontée à l’ultra libéralisme du jour au lendemain, via le parcours de quelques personnages hauts en couleur, parmi tant d’autres j’ai particulièrement savouré celui de Dimitri Lavrine. J’ai été complètement emporté d’entrée de jeu, j’ai adoré la construction de l’album et la voix off de Slava. Un album au Top !! MàJ tome 2 : 2 albums au Top !! J’ajoute un coup de cœur à cette série. J’admire la qualité d’écriture de l’auteur ainsi que sa patte graphique, il y a tout ce que j’aime dedans, flamboyance, dépaysement, densité, noirceur et légèreté … un plaisir de retrouver ces personnages russes. MàJ tome 3 : Ça y est Slava c’est fini. Je dois avouer que le début de la série m’a plus parlé avec ce petit côté Kusturica. La fin sera bien moins insouciante que les débuts et surprendra sans doute un peu moins. Une trilogie bien menée qui met vraiment l’âme russe à l’honneur. Hâte de découvrir le prochain projet de l’auteur.
Ulysse & Cyrano
Les auteurs nous proposent avec « Ulysse & Cyrano » une quête initiatique très humaine. Commençons par un avertissement : l’histoire est très classique, les évènements sont convenus et prévisibles, et la fin « feel good » sera sans doute trop sucrée pour certain-e-s (voir l’avis de Emka par exemple). Cela étant dit, j’ai passé un excellent moment de lecture. J’ai adoré cette passion inconditionnelle et contagieuse de Cyrano pour la cuisine, et au travers l’apprentissage de Ulysse, la réflexion sur l’importance d’aimer son travail pour être heureux, de profiter de la vie et des amis, de ne jamais trahir ses valeurs… c’est un message auquel j’adhère à 100%. La mise en image est magnifique, le grand format permet d’apprécier le dessin précis et détaillé de Stéphane Servain, avec une mention spéciale pour les visages des personnages, mais aussi les vues champêtres de Bourgogne. Un album que j’ai dégusté assis au soleil avec un bon café, en prenant mon temps… un délice !
Bruxelles 43
Une bonne pinte de zwanze - Ce tome fait suite à Léopoldville 60 (paru en 2019) pour la chronologie de la parution des albums. En revanche, il s’agit du premier, à ce jour, pour la chronologie de la vie de l’héroïne. Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Sourire 58 (paru en 2018), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Philippe Wurm est remercié pour son travail de monitoring sur la couverture. Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Bruxelles une vie très occupée : Sous la botte nazie, On trouve tout au marché noir, Ça s’est passé en 1943, BD ça bulle pendant la guerre, Le Soir volé zwanze et courage, Bruxelles sous les bombes, un entretien avec Pierre Gérard (J’avais treize à Bruxelles en 1943). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listés les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif. 1960 un quartier au sud de Bruxelles par une belle matinée d’automne. Dans une grande maison, Kathleen Van Overstraeten appelle à haute voix sa mère Guillemette. Elle tient une petite réplique de l’Atomium dans la main droite, et une autre d’un masque africain dans la main gauche. Elle ne peut pas croire que sa mère veuille jeter ça, des cadeaux qu’elle lui a faits ! Sa mère lui redit qu’elle ne jette rien, elle va les donner à une œuvre, Les petits riens, de l’abbé Froidure. En outre, cette maison est devenue trop grande pour elle et comme elle va vivre en appartement, elle doit faire des choix. Elle demande à Kathleen de l’aider au lieu de jacasser. Qu’elle file dans le grenier et qu’elle fasse le tri. Il y a encore plein d’affaires à elle. Un peu agacée, Kathleen s’exécute et commence à farfouiller dans un coffre, où elle trouve un vieil appareil à visionner en stéréoscopie, un View-Master. Elle continue de fourrager dans ce coffre. Kathleen en sort un lot de planches de bande dessinée, enserrées dans une bande de papier kraft, avec un message inscrit dessus : Fernand, je te confie mon travail. Tu es la seule personne en qui j’ai confiance. Je sais que tu en prendras grand soin. Merci à toi. Kathleen jette un coup d’œil sur les planches : des gags mettant en scène Adolf et Herman, son berger allemand. Ça fait remonter en elle des souvenirs de la seconde guerre mondiale à Bruxelles. 1943. Elle avait douze ans. Et sa ville était occupée par les Allemands, avec les soldats qui marchaient au pas de l’oie dans la rue. Ils l’appelaient Brüssel ! Elle ne comprenait pas grand-chose à la guerre, par exemple cette affiche d’une maman enserrant sa fille avec le slogan : Papa gagne de l’argent en Allemagne ! Sauf qu’elle ne devait pas répéter à l’extérieur ce qu’ils disaient à la maison. Et surtout pas à l’école. Elle était au lycée Dachsbeck, tout près du Sablon et même-là on ne savait jamais qui pensait quoi. Guillemette, sa mère, travaillait à l’Innovation, rue Neuve. Elle était vendeuse au rayon chapeaux pour dames. Une couverture avec une illustration de type ligne claire, une mise en couleurs sophistiquée, et un titre explicite : la vie à Bruxelles en 1943, pendant l’occupation allemande, comme en atteste la croix gammée sur la façade de l’hôtel Continental en vis-à-vis de la fontaine Anspach sur la place de Brouckère. Les deux auteurs réalisent une bande dessinée de nature historique avec une solide reconstitution de l’occupation et de sa représentation. Au fil du tome, le scénariste évoque les troupes de soldats qui patrouillent dans la capitale belge, le risque de la délation et la méfiance de chaque instant dans les lieux publics, le rationnement et ses tickets, le parti rexiste et les collaborateurs, le salut nazi entre dignitaires et militaires allemands dans la rue, l’arrestation arbitraire de Juifs dans la rue en public, les contrôles de papiers d’identité à tout bout de champ, la censure de la presse et les restrictions de papier, la Sturmbrigade Wallonie (ex-légion wallonne passée en juin 1943 sous le giron de la Waffen-SS), le Front de l’Indépendance (réseau de résistance intérieure fondé en 1941), le marché noir (en particulier la bien-nommée rue du Radis située dans les Marolles), jusqu’au camp de prisonniers d'Esterwegen dans l’Emsland en Allemagne, et l’exil de Léon Degrelle en Espagne. La reconstitution historique passe également par les dessins. Ceux-ci s’inscrivent dans le registre de la ligne claire avec un niveau impressionnant de détails. Le lecteur est tout de suite projeté ailleurs, dans le quartier résidentiel du sud de Bruxelles, dans un dessin en élévation. Il est fortement impressionné par les descriptions et les scènes de vie à Bruxelles en 1943. Il est visible que le dessinateur s’est solidement documenté aussi bien pour les uniformes et les armes des soldats et des officiers allemands, que pour les tenues vestimentaires des civils, afin d’assurer l’authenticité par rapport à l’époque. Il applique le même soin rigoureux et patient pour décrire les différents quartiers de la ville. Les auteurs tiennent toutes les promesses contenues dans le titre : immerger le lecteur dans cette capitale à cette année-là. Le lecteur ouvre grand les yeux et prend le temps de détailler chaque planche à son tour : les façades des immeubles bruxellois, les voitures garées dans les rues, le tramway, l’intérieur du magnifique café Le Cirio à deux pas de la Bourse, la place de Brouckère et son monument, la ferme des grands-parents maternels de Kathleen avec ses poules et son cochon, les alentours du château de Karreveld, les trafiquants assis à même le trottoir rue du Radis pour le marché noir, le Parc royal de Bruxelles, les statues du square du petit Sablon, la place du Jeu de Salle avec la caserne des pompiers, la gare du Midi, les chars de la deuxième armée britannique entrant dans la ville le 3 septembre 1944, etc. L’immersion dans cette capitale gagne encore en intensité avec de nombreuses références ayant une saveur typique pour un touriste, présente tout du long du tome. Le scénariste fait preuve de la délicate attention de les expliciter dans la gouttière sous la case correspondante. Dans l’ordre où elles sont mentionnées : Abbé Froidure (prêtre catholique belge, fondateur d’œuvres sociales, dont Les Petits Riens), une aubette (un kiosque à journaux), du peket (nom donné au genièvre dans la région wallonne), le Rexisme (mouvement politique belge d’extrême droite nationaliste et antibolchévique, 1930-1945), ADS (les Amis De Spirou, un mouvement de jeunesse du journal Spirou créé en 1938), Schieve (fou), plusieurs des dix-neuf communes de Bruxelles (Saint-Josse-Ten-Noode, Boitsfort), Half en half (apéritif bruxellois, mélangeant à part égale du mousseux et du vin blanc sec), le zwanze (humour gouailleur associé à Bruxelles), etc. Chaque élément physique est dessiné avec le même souci de montrer précisément ce dont il s’agit. La mise en couleur de Bérengère Marquebreucq est qualifiée de mise en lumière. L’expression trouve tout son sens avec une sensibilité artistique sachant équilibrer une approche naturaliste, une lisibilité renforcée et une installation discrète d’ambiance. Comme pour les autres albums, les auteurs ont choisi de raconter une histoire, pour rendre la reconstitution historique plus vivante. Le lecteur suit ainsi la jeune Kathleen, douze ans en 1943, et plusieurs des adultes qui croisent son chemin, comme ses parents, plus particulièrement son père Fernand, Bob Mertens, un ami dessinateur de son père, Alfred Mommens, un jeune adulte fils de rexiste, et quelques autres. Les personnages disposent d’assez d’épaisseur et de caractère pour ne pas être réduits à des artifices narratifs. Le lecteur croit en la conviction rexiste du père d’Alfred, à la conviction de Bob qui en fait un résistant, à la normalité des époux Guillemette et Fernand Van Overstraeten, essayant de conserver une forme de vie digne sous le joug de l’occupation par l’envahisseur. En tant que bédéistes belges, les auteurs font intervenir les deux auteurs les plus en vue de l’époque, Georges Rémi (1907-1983) étant un client régulier de l’aubette tenue par le père de Kathleen, venant parfois accompagné par Edgar-Pierre Jacobs (1904-1987), les deux travaillant sur Le trésor de Rackham le rouge, histoire publiée quotidiennement en noir et blanc dans le journal Le Soir, du 19 février au 23 septembre 1943. Le lecteur savoure cette reconstitution historique au goût authentique de belgitude quand son attention gagne en intensité et en implication en page vingt-sept : le 7 septembre 1943 à 09h51. Les auteurs n’en font pas des tonnes : trois pages factuelles sans dramatisation tire-larme. Le lecteur ressort sonné du bombardement du quartier d’Ixelles à Bruxelles par les alliés. La bande dessinée vient de passer dans un registre plus personnel, plus bouleversant. La guerre s’est déchaînée au cœur de la cité, les civils sont impliqués, la réalité de l’occupation et du temps de guerre se fait palpable pour le lecteur. Parmi les événements relatés, les auteurs racontent avec la même justesse de sensibilité la réalisation du faux Soir et sa distribution le 4 novembre 1943. Les conséquences ne se font pas attendre pour l’imprimeur, le complice au sein du Soir volé, le linotypiste et le rotativiste. Même si dans le même temps, l‘exploit et le courage de ses promoteurs furent salués à travers toute l’Europe et Londres attribua une aide au Front de l’Indépendance. Une grande réussite : les auteurs emmènent le lecteur dans Bruxelles occupée, par une reconstitution historique impeccable, à la fois par le choix des événements évoqués, et par leur mise en image et en couleur. Même le plus blasé des lecteurs par les évocations de la seconde guerre mondiale se retrouve parmi quelques individus de la population et sent le souffle des bombes qui tombent, le danger à faire acte de résistance. Il continue avec plaisir en se lançant dans la lecture du dossier en fin de tome.
Coucous Bouzon
Je me rends compte en écrivant mon avis sur Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle que je n'ai pas avisé cet autre chef d'oeuvre d'humour absurde. Les deux sont complètement cons et se passent au bureau, difficile de ne pas les avoir en tête en même temps. Anouk Ricard dont j'apprécie beaucoup l'humour nous plonge dans un des ses univers où la débilité ambiante est reine. Richard, notre héros, se retrouve embauché dans une boîte de coucous suisses et découvre rapidement que ses collègues sont tous plus à côté de la plaque les uns que les autres. Le dessin naïf est en total décalage avec les dialogues mordants et le ton résolument adulte. On pourrait croire à un univers enfantin avec ces animaux colorés, mais c’est bien tout l’inverse. Anouk Ricard balance un pastiche de la vie de bureau qui fait mouche, à la fois dans ses situations surréalistes et ses punchlines bien senties. Tout y passe : le management incompétent, les réunions absurdes, les sorties d’entreprise où tout le monde se tire dans les pattes. Et puis il y a cette pseudo-enquête sur un employé disparu, qui finit par devenir un prétexte pour des situations encore plus débiles. L’humour est léger, presque con, mais c’est ce qui fonctionne. Le quotidien de Richard devient une succession de moments tragicomiques et ce n’est pas tant l’intrigue qui nous retient, mais bien la galerie de personnages tous plus barrés les uns que les autres. Lecture recommandée comme Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle à ceux qui aiment l'humour bien décalé, pas sûr que cela fasse mouche avec tout le monde.
Jean Doux et le Mystère de la Disquette Molle
Un bon condensé de n’importe quoi très drôle dans un cadre auquel on ne s'attend pas vraiment de prime abord : un open space des années 90. Dans un style décalé qui m'a fait penser à Coucous Bouzon. Du pur plaisir d’assister à cette enquête avec des personnages aussi improbables que mémorables pour ceux qui aiment l'humour absurde (et je suis très bon public à ce sujet). Le héros Jean Doux (tout le monde s'appelle Jean ou Jeanne quelque chose) découvre une disquette molle dans le faux plafond d’un bureau, et là, tout part en vrille. L’entreprise, qui fabrique des broyeuses de documents, devient le théâtre d’une quête complètement barrée à la recherche de la “broyeuse ultime”. On se dit alors que l’histoire va partir dans un délire total, mais en fait, non, c’est bien tenu, le fil rouge de l’enquête reste crédible dans son absurdité. Bien joué par exemple le coup de la carte compressée pour tenir sur 256 ko. On est entre le polar et la grosse comédie potache, et ça fonctionne à merveille. Côté dessin, c’est minimaliste mais juste avec ce style cubique, presque pixelisé qui fixe bien le décor. C’est drôle, bien ficelé, et ça replonge dans une époque avec juste ce qu’il faut de tendresse et de dérision.
La Vie secrète des arbres
Voici une bande dessinée qui réussit à transformer un sujet scientifique en une exploration visuelle et poétique des mystères de la forêt. Loin de simplement vulgariser des faits biologiques, Bernard et Flao donnent vie aux arbres en les transformant presque en personnages à part entière. Le texte est bien documenté, mais jamais lourd, et chaque découverte sur les réseaux souterrains d’arbres ou les mécanismes de défense des forêts est enrobée d’une narration fluide et accessible. Le dessin de Flao fonctionne très bien. Ses aquarelles et ses traits organiques capturent la beauté sauvage des forêts, mais aussi la complexité des systèmes végétaux. Là où l’album est très bon, c’est dans sa capacité à faire réfléchir sans imposer de message moralisateur. Le lien entre les arbres et les humains est délicatement esquissé, et on ressort de cette lecture avec un sentiment de connexion renouvelée avec la nature. La bande dessinée donne envie d’aller marcher dans les bois, de s’arrêter et d’observer. Il y a cette idée récurrente que tout est interconnecté, que les arbres communiquent entre eux et forment une communauté, un réseau complexe que l’on commence à peine à comprendre. L’aspect narratif, parfois, s’efface un peu derrière la pédagogie, c'est un peu le jeu dans ce genre de BD très documentées. La Vie secrète des arbres n’est pas seulement une bande dessinée informative. Bernard et Flao réussissent à faire passer un message écologique fort, sans jamais tomber dans le didactisme. C’est une invitation à ralentir, à observer, à comprendre que la nature, loin d’être inerte, est un monde en perpétuel mouvement.
Le Photographe
Je me suis enfin procuré cette BD que je n'ai lue qu'en empruntant à des amis. Voici une œuvre qui combine habilement la bande dessinée et la photographie, un mélange peu commun mais ici parfaitement maîtrisé et que je souhaitais avoir dans ma bibliothèque. Ce qui m’a frappé dès le départ, c’est la force du témoignage visuel. Le récit de Didier Lefèvre, photographe parti en Afghanistan avec une mission humanitaire de Médecins Sans Frontières, prend une dimension presque documentaire. On est plongé au cœur du conflit, sans fioritures, avec une approche très réaliste. Les photos, intégrées au dessin, donnent une profondeur et une véracité qui amplifient l’impact des scènes. Le dessin de Guibert, simple et précis, accompagne ces photos de manière fluide. Il complète le récit sans jamais écraser les images. Les transitions entre les deux médiums se font naturellement, créant un rythme bien dosé, sans rupture. Le choix de cette narration visuelle permet d’aller au-delà du simple reportage photographique : on ne se contente pas de regarder des clichés, on vit littéralement l’expérience avec Lefèvre. Côté scénario, c’est la dimension humaine qui m’a le plus marqué. Au-delà des images du conflit, c’est le quotidien des médecins, des populations locales, et surtout la prise de conscience progressive de Lefèvre qui donnent tout son poids à l’histoire. On ressent à chaque instant la tension de l’Afghanistan en guerre, mais aussi les moments de solidarité, d’échanges. Les difficultés, les doutes, les peurs sont montrés sans filtre, et c’est cette sincérité qui rend l’ensemble si puissant. Malgré l’aspect documentaire, il n’y a jamais de sensation de voyeurisme ou de dramatisation forcée. Le photographe raconte son périple avec une certaine retenue, presque de manière factuelle, ce qui laisse toute la place à l’interprétation personnelle. C’est un témoignage sobre mais marquant, qui réussit à trouver un équilibre entre l’humain, le reportage, et la BD. Une œuvre à la fois simple dans son approche, mais profonde dans son impact et que j'ai pris beaucoup de plaisir à relire.
Dans la tête de Sherlock Holmes
Dans la tête de Sherlock Holmes est un vrai coup de maître. Dès les premières pages, je me suis laissé emporter par l’ingéniosité de la mise en scène. On pénètre littéralement dans l’esprit de Sherlock, et tout est pensé pour refléter son processus de déduction, sans jamais tomber dans l’excès. Ce qui m’a particulièrement marqué, c’est l’originalité du découpage des planches, qui joue avec la forme des cases, parfois une loupe, parfois une coupe de bâtiment, et ce fameux fil rouge qui nous guide tout au long de l’enquête. C’est un procédé qui n’aurait pas pu exister autrement qu’en bande dessinée, et c’est ce qui rend cette œuvre unique. L’intrigue elle-même est captivante, fidèle à l’esprit de Conan Doyle, tout en étant assez fluide pour ne jamais perdre en intensité. Les auteurs maîtrisent parfaitement l’art de raconter une enquête de Sherlock, avec ces petits détails que l’on découvre progressivement. Rien n’est laissé au hasard, chaque indice trouve son écho à un moment donné. Ce que j’ai apprécié, c’est que même si l’histoire semble parfois rocambolesque, tout finit par s’imbriquer de manière logique, comme une mécanique bien huilée. Visuellement, c’est un régal. Chaque page est un vrai bijou, avec des dessins riches en détails qui plongent directement dans l’ambiance victorienne. L’idée de faire passer la pensée de Sherlock à travers une mise en page aussi élaborée est un pari osé, mais il fonctionne parfaitement. Le jeu sur les transparences, les pages à plier, tout cela ajoute un aspect ludique à la lecture, sans jamais en faire trop. Au final, Dans la tête de Sherlock Holmes est une œuvre qui réussit à surprendre tout en restant fidèle à l’univers du célèbre détective. C’est brillant, inventif, et cela redonne vie à un personnage pourtant bien connu. Une lecture qui m’a tenu en haleine du début à la fin, avec un plaisir évident à suivre chaque déduction de Sherlock, tout en admirant le travail visuel impressionnant des auteurs.
Mauvaises Herbes
Voici une œuvre marquante, à côté de laquelle je serais passé si ne fréquentais pas ce site. "Mauvaises Herbes" un témoignage puissant de l’histoire des “femmes de réconfort”, souvent passé sous silence. Cet album, réédité par Futuropolis, raconte avec une grande sensibilité le destin tragique de Oksun Lee, victime de l’esclavage sexuel sous l’occupation japonaise en Corée. Dès les premières pages, on est frappé par la force brute du trait en noir et blanc. L’autrice joue habilement avec les épaisseurs de lignes pour donner à la fois un sentiment d’enfermement et de brutalité, tout en laissant place à une certaine douceur dans les paysages naturels. Ce contraste visuel reflète parfaitement le dilemme entre la beauté du monde et l’horreur des expériences humaines. Les mauvaises herbes, symboles de résistance et de résilience, parsèment l’œuvre comme un écho à la ténacité de ces femmes oubliées. Le récit alterne habilement entre les souvenirs de Oksun et les entretiens que Keum Suk Gendry-Kim a menés avec elle. La structure narrative est fluide, permettant de ressentir le poids du traumatisme tout en étant guidé avec délicatesse à travers cette mémoire douloureuse. Gendry-Kim choisit d’aborder les moments les plus horribles avec pudeur, optant pour l’implicite plutôt que pour des représentations explicites, ce qui renforce la puissance émotionnelle de l’œuvre. Le travail de l’autrice s’inscrit dans une démarche de mémoire, de réhabilitation de la parole des victimes, trop longtemps ignorée. Le ton est juste, sans voyeurisme ni surenchère dramatique, ce qui rend l’ouvrage d’autant plus poignant. On ne peut qu’être ébranlé par cette histoire, témoin d’une période sombre et encore taboue de l’histoire asiatique. C’est une œuvre nécessaire, un devoir de mémoire aussi essentiel que les autres récits historiques qui évoquent les grandes tragédies humaines. Cet album est un coup de poing émotionnel, j'ai lu les 500+ pages d'une traite. Le dessin, brut mais subtil, la narration poétique et touchante, et surtout le sujet traité avec une sensibilité rare font de cette bande dessinée un véritable chef-d’œuvre qui devrait être lu et partagé largement. Je rejoins les avis précédents, une oeuvre magistrale et un grand coup de coeur.
Talc de verre
C'est cette question de la sensation, vous comprenez ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première parution date de 2015 au Brésil, et de 2016 en France. Il a été traduit par Marie Zeni et Christine Zonzon. Il a été réalisé par Marcello Quintanilha pour le scénario et les dessins. Il compte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc, avec des nuances de gris. Le soir, Rosângela, trentenaire, s’est couchée dans le lit conjugal, aux côtés de son mari Mario. Après avoir éteint la lumière, elle repense à cette histoire d’être, d’une certaine manière, supérieure. Non, ce n’est pas ça. En fait, c’est assez difficile à expliquer, parce que cette pensée là… Il ne s’agit pas d’une idée, comme on pourrait dire, tout simplement., Rosângela se sentait supérieure, car ce n’était pas ainsi qu’elle pensait. Du moins, on ne peut pas dire qu’elle pensait en ces termes-là. Non, ce n’est pas vraiment cela. C’est pourquoi il est difficile de l’expliquer, ce serait plutôt ? Comment dire ? Plutôt une espèce de sensation, vous comprenez ? Oui… Une espèce de sensation, vous savez ? Disons… Comme si … vous aviez le sentiment de faire partie d’une classe… disons… supérieure. Vous voyez ? Comme si vous apparteniez à un certain milieu social, c’est ce que je veux dire… Ce sont des gens qui vivent dans des conditions particulières, n’est-ce pas ? Le genre de personnes dont vous dites : Eh ben ! Pour être à cette place dans la peau de cette personne et vivre de cette façon, consommer, faire des voyages, faire l’amour, il faut appartenir à ce milieu ! Eh bien, c’était plus ou moins cela que Rosângela ressentait. C’était ce qu’elle ressentait, et, curieusement, elle associait le fait d’être dans la peau d’une de ces personnes-là, dont tout le monde sait qu’elles appartiennent à une classe supérieure, à un moment précis, lorsqu’elle venait juste de faire l’amour avec son mari. Plus encore que lorsqu’elle descendait prendre sa voiture au garage, ou qu’elle laissait les enfants devant le collège, ou qu’elle rejoignait son cabinet. Et si vous pensez que personne ne s’en rendait compte, demandez donc au portier de l’immeuble, qui lui assène tous les matins son Bonjour Dr. Rosângela, demandez donc au gars du parking, demandez à tous ces gens qui regardent sa voiture du coin de l’œil, sans pouvoir s’acheter la même. Demandez-leur, et vous verrez… C’est plus ou moins comme si vous étiez dans la peau d’une personne à part, qui sait qu’il y a de la misère dans le monde, mais qui… Qui ne peut rien y faire, n’est-ce pas ? C’est embêtant, c’est triste, mais que faire ? Vous avez la chance d’être dans la peau de ce genre de personnes, un point c’est tout. Vous ne pouvez rien y faire, il vous faut donc vivre le mieux possible. La dentiste Rosângela est arrivée dans son cabinet de dentiste. Elle salue son assistante Irma, fait le point sur ses rendez-vous du matin. Elle doit recevoir sa cousine germaine Daniele qui vit dans le quartier populaire de Barreto, celle avec son père alcoolique dont, enfant, elle devait nettoyer le vomi, dont le premier mari lui crachait au visage. Celle qui est si jolie, une beauté incroyable, un sourire extraordinaire. La quatrième de couverture présente Rosângela comme souffrant du syndrome de la femme parfaite : dentiste reconnue, un mari cardiologue à succès très amoureux d’elle, des enfants qui sont de véritables petites merveilles, une belle voiture, un compte bancaire bien rempli… Mais une cousine, pauvre et séparée de son mari, fait preuve d’une tranquillité d’esprit désarmante, dotée d’un sourire toujours éclatant. Une simple histoire de jalousie ? La narration apparaît tout de suite comme très personnelle. Des cases sans bordure, entre quatre et douze par page, avec des dessins naturalistes et descriptifs, et parfois des gros plan ou des contrastes qui aboutissent à une image abstraite si le lecteur la considère détachée des cases la précédant ou la suivant. Un flux de pensées qui n’est pas celui du personnage principal, mais celui du narrateur ou de l’auteur qui n’est pas omniscient. Ses remarques et ses observations oscillent entre des constats sur l’état d’esprit de Rosângela et ses pensées, et des interrogations dessus, comme s’il cherchait à comprendre ses émotions, leurs racines, comme s’il ne savait pas tout d’elle. Le lecteur se retrouve immédiatement impliqué dans cette vie, dans les émotions de cette femme, vraisemblablement trentenaire qui fait l’objet de l’attention du narrateur qui s’interroge sur elle, tout en racontant son histoire. L’histoire se déroule à Niterói, ville située sur le côté est de l'entrée de la baie de Guanabara, face à Rio de Janeiro. Son nom est mentionné et Rosângela évoque d’autres villes et quartiers à proximité, pour souligner qu’elle a la chance d’habiter dans une zone privilégiée. On la voit emprunter le pont Rio-Niterói long de treize kilomètres, qui traverse ladite baie. De manière incidente, sans que la narration y fasse référence explicitement ou ne commente, certaines cases montrent des rues, des façades d’immeuble, les plages, les vagues de l’océan, avec ou sans êtres humains se livrant à leurs occupations. C’est une particularité narrative de cette bande dessinée que d’avoir parfois des cases qui ne se rattachent pas au sujet des réflexions du narrateur sur son personnage, mais qui viennent montrer le lieu, ou bien associer un lieu du quotidien de Rosângela, apportant un élément de sa vie. L’auteur montre ainsi de nombreux éléments de la vie de tous les jours de cette femme : le tableau de bord de sa voiture, sa chambre à coucher, la salle d’attente de son cabinet de dentiste, l’ascenseur qui y mène, un train sur la voie ferrée qui traverse le quartier où vit sa cousine germaine, son premier cabinet avenue Amaral Peixoto que lui avait offert son père, les immeubles le long de la baie vus depuis la mer, son fauteuil de dentiste avec les appareils, le salon de tante Bel avec son canapé très ordinaire recouvert d’un tissu pour le protéger, la mer venant lécher la base du rocher d’Itapuca pendant la marée, la grande salle de réception d’un appartement luxueux des amis de son mari, des immeubles d’autre partie de la ville, les lumières de la ville de nuit, des zones piétonnes, etc. En plus de la diversité des lieux montrés au fil de l’eau, l’artiste se focalise parfois sur un détail, un gros plan : la plaque du cabinet dentaire, l’eau qui s’écoule dans un lavabo, une main sur laquelle on enfile un gant, le motif géométrique du plafonnier, une dentition, un lustre monumental dans un centre commercial, le motif du revêtement d’un trottoir, le chiffre d’un jour sur un calendrier, etc. Ces moments peuvent aussi bien correspondre à une vue subjective, ce sur quoi se concentre le regard Rosângela à ce moment-là, qu’un souvenir fugace dans son esprit. De temps à autre, ces images deviennent des très gros plans, sortant un détail d’une case vue précédemment, pour donner une figure abstraite qui ne fait sens que rattachée à la case ou à la séquence d’origine. Une forme conceptuelle comme si le réel perdait son sens pour ne plus être qu’un ressenti esthétique fugace. Ces caractéristiques de la narration visuelle génèrent un effet parfois sensoriel, parfois émotionnel, connectant ainsi directement le lecteur aux sens de la protagoniste. L’effet peut s’avérer d’autant plus troublant que les brèves cellules de texte déroulent une idée parallèle. Le lecteur se met alors à imaginer, ou plutôt à ressentir la connexion qu’il peut y avoir, soit directe les images fournissant le contexte du flux de pensées qui sont influencées inconsciemment par le lieu ou l’action, soit à retardement quand le souvenir revient par un mécanisme d’association sensoriel ou émotionnel, du grand art. La qualité narrative fait de cette histoire banale tout autre chose qu’une télénovela produite industriellement au kilomètre. La banalité de la trajectoire de vie de Rosângela acquiert une profondeur extraordinaire, parfois sociologique, parfois émotionnelle, toujours personnelle. Certes les circonstances de sa naissance l’ont gâtée : parents aimants, attentionnés, financièrement à l’aise, bonne éducation, réussite scolaire, mariage très heureux avec un époux très attentionné, enfants agréables réussissant bien, confort matériel, réussite professionnelle, personnes à qui se comparer, dans son milieu social, mais aussi sa cousine germaine, sa tante et son oncle d’un milieu nettement moins favorisé, avec une histoire personnelle nettement moins heureuse (père alcoolique, mari méprisant, pas d’enfant). Rosângela sait qu’elle bénéficie d’une situation enviable, nettement meilleure que l’écrasante majorité de la population. Elle a conscience d’être regardée comme un modèle de bonheur, plus admirée qu’enviée. Au fil du récit, l’auteur aborde d’autres thèmes : une sensation de manque indéfinissable, une commisération de circonstance pour sa cousine germaine (pas vraiment de la peine, certainement pas de la jalousie), une forme d’injustice existentielle (le bon caractère et le plaisir de vivre évident de sa cousine, qu’y a-t-il dans son sourire ?), une interrogation sur ce qu’elle pourrait devoir d’une certaine manière (car elle n’a rien fait pour mériter tout ça, en fait si elle a mené sa vie en s’investissant pour construire cette forme de bonheur), une question de mérite… L’auteur ne se montre pas méchant avec son personnage, il fait tout pour se montrer le plus empathique possible pour la comprendre, ce qui incite tout naturellement le lecteur à faire de même. Soit il a développé de solides convictions sur le sens de la vie, et il n’éprouve alors aucune difficulté à se positionner par rapport à Rosângela, à trancher sur la nature de son mal-être. Soit il est plus dans l’empathie et il l’accompagne dans cette recherche de ce qui ne va pas, ce qui fait défaut, ce qui gêne, ce qui ne fait pas sens dans sa situation comparée au parcours de sa cousine Daniele. Au départ, il attend alors une sorte de révélation. Mais le récit s’avère beaucoup plus habile que cela, impliquant le lecteur tout en douceur dans la vie intérieure de la protagoniste, sans bulles de pensée. La compréhension ne se produit pas sous forme de révélation, mais en éprouvant ses ressentis. Aussi fort et intense qu’habile et élégant. Une couverture peu parlante, un titre cryptique, une histoire banale de mère ayant tout réussi. Une narration personnelle faite de petites cases ouvertes, parfois en panoramique sur la largeur de la page, semblant très descriptives et très factuelles, tout en faisant ressentir l’état d’esprit de Rosângela de manière aussi douce qu’efficace. Le suspense se révèle d’ordre psychologique, voire existentiel, tout en sourdine, alors que le lecteur s’installe dans le quotidien de la protagoniste à Niterói, en profitant de son confort matériel. Une incroyable aventure dans le monde intérieur d’une femme, sans avoir accès à ses pensées. Extraordinaire.