Philippe Xavier est un dessinateur formé sur le continent américain à la publicité et au graphisme.
Matz (Alexis Nolent) est un scénariste que l'on connait bien : c'est celui de la série Le Tueur, dont on retrouve ici quelques caractéristiques (monologues en voix off, ...) et de quelques autres albums remarquables, souvent des coups de cœur.
Tous deux sont régulièrement aux commandes d'une série d'albums : Tango, dont on reparlera certainement.
Voici donc Le serpent et le coyote, tout un programme !
Les BD "à texte" de Matz qui sait jouer les "écrivains" et qui s'y entend pour nous faire partager la route d'un coyote solitaire comme on les aime : on ne se lasse pas de ces monologues ou de ces dialogues, de ce ton sec et nerveux qui claque et qui est celui des meilleurs romans noirs US.
Les cadrages "home cinema" de Xavier et la mise en couleurs soignée : les paysages US de l'Arizona ou du Colorado y sont fort bien exploités et les effets de zoom dynamisent les images tout comme l'histoire.
Même si, je cite : [le moment est mal venu pour faire le malin avec des références cinématographiques à la con].
Les auteurs se sont emparés d'un thème cher au polar noir : le programme US de protection des témoins, le WITSEC (le Witness Security Program) qui offre, aux frais de l'État, une seconde vie aux truands qui acceptent de témoigner contre de pires truands. Un dispositif qui a connu des débuts difficiles quand il a été mis en place à la fin des années 60 mais qui a permis quelques victoires contre le crime organisé : c'est tout cela qui est évoqué dans cet album.
Dans son camping-car, "Joe" (c'est son nom aujourd'hui, comme celui de tous les témoins protégés du Witsec), parcourt le désert US entre Arizona et Utah. Il aura bientôt la compagnie d'un coyote à qui il peut raconter sa vie mouvementée.
[...] - J'ai l'impression qu'on est un peu pareils, tous les deux ... T'as plus de famille et plus d'amis, on dirait, non ?
- Wiif
- Tout seuls dans le vaste monde ... Mais tu sais, je me dis que parfois c'est pas plus mal ...
Je suppose que c'est comme ça qu'il faut voir les choses, quand on n'a pas trop le choix. Qu'est ce qu'en te dis, Crash ?
- Wouif Wiff
- Ouais, nous sommes d'accord. Un homme doit faire ce qu'il doit faire avec ce qu'il a. Ça doit marcher pareil pour les clébards.
[...] - Et puis je suis content d'avoir quelqu'un à qui parler, même si c'est un clébard. Les clébards, ça sait écouter. Les chats, ça se fout pas mal de nos problèmes d'humains de merde.
Sur les traces de "Joe", on trouve bien sûr ses anciens amis qui ne lui veulent pas que du bien mais aussi les marshalls qui veulent le rappeler à la barre des témoins d'un nouveau procès ...
Tous comprendront un peu tard qu'il faut se méfier du serpent qui semble dormir caché dans le sable du désert.
Christian Lacroix dit Lax est un auteur de bandes dessinées qui signe ses scénarios comme ses dessins.
L'université des chèvres est un très bel album mais aussi un beau plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement, dans une tonalité socio-naturaliste qui rappelle un peu le style Davodeau.
Avant de vous plonger dans l'album, on vous invite à lire la courte postface de Pascal Ory (historien de la culture, membre de l'Académie Française) qui donne tout la perspective nécessaire à la compréhension des histoires qui seront contées.
On aime les magnifiques dessins aux tons pastels qui n'hésitent pas à s'étaler sur quelques doubles pages. Les paysages de montagnes, du Dauphiné à l'Hindu Kush, sont superbes.
On aime le scénario très astucieux, façon "la boucle est bouclée", qui réussit à croiser les destins, les géographies et les époques sans que cela paraisse artificiel : de 1883 à 2019, [c'est une longue histoire] portée par un propos parfaitement maîtrisé.
Cet album est un élégant plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement.
Un discret mais efficace réquisitoire contre tous ceux qui s'y opposèrent et s'y opposent encore : les curés, les conservateurs rétrogrades, les intégristes mais aussi les états qui préfèrent garder la mainmise sur l'accès à la culture ou en exclure certain(e)s.
Avec l'évocation des tueries US, c'est aussi un autre regard sur la présence d'armes à feu dans ces écoles qui devraient rester des sanctuaires, à l'écart des violences de la NRA comme de celles des talibans.
En 1833, Fortuné Chabert est "colporteur en écriture" dans les montagnes du Dauphiné.
Son chapeau arbore "les 3 plumes" : la lecture, l'écriture et "la chiffre", celle du calcul, ce qui lui permet de faire l'école dans les villages des hauteurs, c'est l'université des chèvres.
Cette année-là, les lois Guizot vont instaurer un système d'enseignement public (sur lequel le clergé gardera une forte influence, l'école publique devra attendre 1882 et Ferry pour devenir laïque) : c'en est fini des colporteurs en écriture comme Fortuné Chabert. Il part pour la Californie.
Il reprendra l'école, cette fois pour les enfants des tribus Hopis, et finira par s'opposer de nouveau à l'état et aux pensionnats et internats qui visaient à "acculturer" les enfants indiens.
Plus tard, alors qu'aux US triomphent la NRA et le trumpisme, son arrière-petite-fille journaliste, est envoyée pour un reportage en Afghanistan. Son "fixeur" est Sanjar, un instituteur itinérant (un colporteur local donc) chassé des villages à coups de pierres par les talibans : la boucle semble ainsi presque bouclée.
C'est le bouquin de Sophie Brocas (Le baiser) qui nous avait mis sur la piste de cette histoire incroyable : le procès du sculpteur Constantin Brancusi contre les États-Unis au sujet de droits de douane sur une de ses sculptures ...
Et c'est Arnaud Nebbache (illustrateur et professeur d'art) qui s'y colle pour retracer en images ce procès historique ...
On se passionne pour le débat ouvert par ce procès : qu'est-ce qui fait une œuvre d'art ? Son caractère unique (oui, mais il y a les moulages successifs), la main de l'artiste (oui, mais il y a un atelier de fonderie), le jugement des pairs (oui, mais il y a des réfractaires à un nouveau style), la beauté contemplée, le plaisir ressenti (oui, mais tout cela prête à interprétation) ...
Et puis c'est aussi une époque où art, artisanat et industrie se télescopent : outre Brancusi, c'est l'époque de Fernand Léger et d'Alexandre Calder par exemple.
On apprécie les croquis supposés de Marcel Duchamp que l'artiste dessine pendant le procès pour tenir informé son ami Brancusi resté à Paris : voilà un moyen astucieux pour retracer de façon vivante les débats de la justice.
Dans les années 1920, Marcel Duchamp organise à NY une exposition des sculptures de Brancusi.
À leur arrivée par bateau, les "objets" sont taxés par les douanes US comme "produits manufacturés".
L'une des sculptures, L'oiseau un moulage de bronze poli quasi abstrait, est prise comme pièce à conviction et s'ouvre alors en 1927 ce fameux procès pour lui faire reconnaître le statut d'œuvre d'art ...
Le dessin de Nebbache pourra dérouter au premier abord mais on reconnaîtra qu'il s'accorde plutôt bien avec son sujet : l'espace des œuvres d'art et le mouvement du sculpteur, ...
En bon professeur d'art, l'auteur prend d'ailleurs tout son temps pour imaginer et dessiner tout le long processus de création qui aura conduit l'artiste (le plus abstrait des sculpteurs figuratifs) à cette forme aboutie, qui ne ressemblait plus vraiment à un oiseau mais qui voulait saisir l'esprit du mouvement, l'envol de l'oiseau.
C'est un choix de scénario judicieux qui permet de mettre le lecteur dans les meilleures conditions pour apprécier tout le sens du procès qui va se dérouler.
Laissons finalement le dernier mot au juge Waite avec une sentence qui fera date dans l'histoire de l'art :
[...] Une école d’art dite moderne s'est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte.
Le lendemain du 26 novembre 1928, la presse US ironise : It's a bird !
Manu Larcenet met en bulles et en images La route, le roman culte de Cormac McCarthy qui avait obtenu le prix Pulitzer en 2007.
Un pari osé mais un album réussi et très fidèle à ce monument littéraire.
Manu Larcenet avait déjà lâché en 2009 une petite bombe dans le petit monde la BD avec Blast : exit les couleurs acryliques et rutilantes, Manu nous proposait quatre gros albums au noir & blanc éclatant, expressif et même lumineux. Déjà, c'était une histoire de SDF errant sur les routes.
Après avoir adapté Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était somme toute assez logique que Manu Larcenet s'attaque au roman culte de Cormac McCarthy, qui avait déjà été porté sur écran en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen.
De toute évidence, la noirceur du dessin de Larcenet était faite pour illustrer ce sombre récit post-apocalyptique.
La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas trop comment et cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes sorties de Mad Max.
Un récit dans lequel il n'y a plus de noms, presque plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler et le roman de McCarthy était avare de dialogues, rempli de silences et de non-dits.
Voilà qui laisse toute la place à Larcenet pour déployer son talent de metteur en scène et faire en sorte que le dessin devienne lui-même le récit - un beau challenge pour un bédéaste.
Sans cartouches de texte "off", sans bulles explicatives, c'est uniquement grâce à l'enchaînement des cases et à la force suggestive des dessins que le récit est retranscrit dans un noir et blanc sale et charbonneux à l'image de ce monde de cendres apocalyptiques, parfois teinté de sépia ou de teintes orangées.
Les rares phylactères jaillissent de cet univers pour mieux souligner les non-dits des rares dialogues entre l'homme et son petit.
Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repassait sans cesse, encore et encore. Mais quelle image puissante !
Une image qui lui a valu un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprégnait durablement le lecteur et même tout le monde littéraire.
Une image dont s'est emparé avec brio Manu Larcenet dont les planches arrivent à nous faire partager le quotidien de ces deux êtres en perdition et ressentir les souffrances (et les trop rares joies) de ces corps amaigris.
En un peu plus de 150 pages, l'auteur prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker... tout y est.
Le pari était osé, voire risqué, mais avec la réussite et la reconnaissance des lecteurs, le succès est au rendez-vous : l'album a déjà été réimprimé et cela dans plusieurs langues.
Larcenet avoue tout de même un regret : « Ne pas avoir pu remettre cet album à Cormac McCarthy lui-même. » puisque l'auteur américain est décédé en juin dernier.
À noter : les éditions Points (avec l'arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de ré-éditer le roman de McCarthy en version "collector" avec quelques planches illustrées tirées de la BD, histoire de doubler le plaisir avec la (re-)lecture du roman !
• On voit tout de suite ce qui a pu séduire Larcenet dans ce texte rapidement devenu mythique.
Le sombre récit de McCarthy laissait les rares et pauvres dialogues se dissoudre dans une prose puissante. Les planches en noir et blanc de la BD sont à la hauteur de la puissance du récit et les bulles y retranscrivent les rares dialogues presque mot pour mot.
• Un complément essentiel au livre où l'enfant prend toute sa place.
La fin du monde a eu lieu.
Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant.
Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max.
[...] Il sera de quelle couleur l'océan ?
Et quelques planches plus loin :
[...] Je te demande pardon ... L'océan n'est pas bleu.
Après le succès du Monde sans fin, voici Capital & Idéologie, cuisiné selon la même recette : sur le fond, la réflexion et la caution d'une grosse tête d'intellectuel progressiste (après Jancovici sur les énergies, ce sera le tour de Thomas Piketty sur l'économie) et sur la forme, le travail lumineux de celles et ceux qui ont un don magique pour vulgariser les sujets les plus complexes (ce sera Claire Alet, journaliste et documentariste, elle travaille au magazine Alternatives économiques).
Benjamin Adam a mis ses talents d'illustrateur et de graphiste au service des deux économistes.
Bref, il y a là tous les bons ingrédients et une bonne recette : le résultat est évidemment à la hauteur !
• On ne peut qu'applaudir des deux mains à ce travail de vulgarisation et de mise en scène du livre de Thomas Piketty : c'est un remarquable travail qui donne à tous les clés d'accès indispensables. Cet ouvrage lumineux est éclairant ! Une lecture obligatoire pour mieux maîtriser les débats économiques !
• Certains raccourcis historiques sont saisissants : les indemnisations des privilèges de la noblesse et du clergé, plus tard de l'esclavage aboli, l'analyse (je cite) du retournement du clivage éducatif, la fameuse courbe de l'éléphant, ... tout cela élève le débat (et le lecteur) à des hauteurs insoupçonnées.
• On apprécie le dernier chapitre qui donne quelques clés pour faire évoluer le capitalisme et l'Europe : contrairement au plaidoyer nucléaire de Jancovici (qui s'avérait peu convaincant), les propositions de Piketty sont captivantes et éclairantes.
L'album :
L'album est un véritable cours d'Histoire de l'économie occidentale au travers de l'évolution de toute une famille : l'arbre généalogique court de 1789 jusqu'à aujourd'hui.
L'abolition (et l'indemnisation) des privilèges à la Révolution, l'abolition (et l'indemnisation) de l'esclavage, le temps béni des colonies, la naissance des impôts modernes, l'évolution de la propriété, les guerres bien sûr (Sécession, 1914, 1940), la Grande Dépression, le New Deal, Keynes, les Trente Glorieuses, la crise de la dette et l'inflation, c'est toute notre histoire occidentale qui est revisitée à travers le prisme de celle du capitalisme.
Du Donbass au Sahel, deux journalistes de Jeune Afrique nous livrent un reportage en images sur la fameuse milice Wagner : l'histoire secrète des mercenaires de Poutine après 3 ans d'enquête.
On a entendu beaucoup de choses et leurs contraires sur la tristement fameuse milice russe Wagner qu'il était bien commode de diaboliser autour de son patron Evgueni Prigojine, mais qui lui survit sans problème depuis sa mort en août 2023.
Benjamin Roger et Mathieu Olivier sont tous deux journalistes : autant dire que cette BD n'est pas un album d'aventures de guerre mais une très sérieuse BD-reportage.
Ils ont travaillé tous deux pour le magazine Jeune Afrique et connaissent donc parfaitement leur sujet.
Thierry Chavant s'est engagé à leurs côtés pour illustrer cette enquête qui s'étend sur plusieurs années et plus d'un continent.
Cette bande dessinée est une façon bien commode d'améliorer sa connaissance du sujet : l'ascension du groupe Wagner, les exactions commises, les enjeux financiers, la géopolitique africaine, ...
Le récit est très documenté : basé sur les investigations des deux journalistes et les témoignages recueillis, c'est un gros travail de plusieurs années qui nous est résumé dans ces planches.
[...] Nous ne sommes pas des soldats, juste des mercenaires Wagner.
[...] On n'est pas ici pour les médailles ou vaincre les nazis, juste pour toucher la solde et rentrer en un seul morceau.
[...] On est des mercenaires, pas des soldats ! Tout ça, c'est du business !
Simple et sans fioritures, le dessin de Thierry Chavant est tout au service du texte et il sait même s'estomper ou s'éloigner quand les horreurs sont trop dures pour notre regard.
L'album, très pédagogique, use de la voix off, de témoignages et de dialogues entre personnages de fiction.
Le récit est découpé en plusieurs mouvements (tel un drame lyrique wagnérien !) et n'hésite pas à faire des aller-retour entre les époques et les lieux pour nous brosser un tableau aussi intelligible que possible.
Cet album est aussi le portrait des principaux dirigeants de Wagner : le fameux oligarque Evgueni Prigojine qui fit d'abord fortune dans la restauration (!) avant de s'associer avec un mercenaire expérimenté, Dimitri Outkine, qui sera le commandant opérationnel de Wagner, Prigojine restant le grand chef et le grand financier.
Mais en bons journalistes, les auteurs ne se contentent pas des leaders médiatiques et nous avons droit à tous les principaux acteurs du groupe Wagner et quelques personnages de fiction pour fluidifier le récit.
On retrouve même quelques figures de la diplomatie française ... qui ne sort pas vraiment grandie de ce tableau.
Après quelques faits d'armes au Donbass en Ukraine en 2014 ou en Syrie en 2016, la "compagnie" (c'est le surnom interne de Wagner) se déploie à Bangui en CentrAfrique (sous la coupe de Bokassa jusqu'en 1996) et bientôt au Mali.
Dans chaque pays, un scénario bien éprouvé se répète : corruption des dirigeants locaux, élimination des gêneurs, déploiement de mercenaires, formation de troupes locales, propagande anti-française et ... surexploitation des ressources minières (de l'or, notamment) qui sont exportées à l'étranger en toute illégalité, une contrebande source de gigantesques profits pour Wagner et la Russie.
La diplomatie française sous-estimera l'influence grandissante de Wagner et des russes jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
Dans le centre du Mali, en mars 2022, le village peul de Moura est le lieu d'un massacre perpétré au nom de la lutte anti-terroriste : plus de 500 victimes ... dont à peine une trentaine de djihadistes.
Mais au plan militaire et face aux rebelles, les mercenaires de Wagner ne sont finalement pas beaucoup plus efficaces que leurs prédécesseurs européens ou américains : "l'État Islamique au Grand Sahara (EIGS), la filiale sahélienne de l'État Islamique, a repris progressivement pied".
Bientôt la folle guerre d'Ukraine vient de nouveau brasser les cartes : le groupe Wagner y rapatrie le gros de ses troupes, dépense des millions de dollars et envoie au casse-pipe des dizaines de milliers de "volontaires" dont les fameux prisonniers de droit commun.
Mais rapidement le torchon brûle entre Wagner et le Kremlin : en juin 2023, un convoi de mercenaires roule vers Moscou et il faudra la médiation du biélorusse Alexandre Loukachenko pour éteindre ce début d'incendie.
Hélas, Prigogine et Outkine ont oublié que "Vladimir Poutine ne pardonne jamais la traîtrise. Le maître du Kremlin n'oublie jamais rien". C'est lui dont l'ombre menaçante et inquiétante clôture l'album !
Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ?
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Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2013 Il a été réalisé par José Lenzini (auteur des livres : Derniers jours de la vie d’Albert Camus, Camus et l’Algérie) pour le scénario, et par Laurent Gnoni pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste des vingt ouvrages d’Albert Camus sous forme d’un petit dessin dans une case carrée et du titre situé au-dessus, avec une liste en bonne et due forme et les dates dans la colonne de gauche.
Quand le narrateur a appris la nouvelle, il a ressenti la nécessité d’écrire. Il a hésité. De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’école Aumerat, depuis leurs virées au jardin d’Essai et aux Sablettes, depuis les matchs de foot au Champ-Vert ! Il a froissé plusieurs feuilles de papier sans pouvoir aller plus loin que les quelques mots du début. Albert, Bébert, Moustique ? Ils étaient si proche… Comment l’appeler sans être inconvenant ? L’enfance est loin et Albert a eu le prix Nobel, c’est quand même autre chose qu’un prix d’honneur de fin d’année ! Tiens le prix Nobel… Il pourrait commencer par ça, pourquoi pas ? Les copains et lui étaient tellement fiers quand Camus l’a eu ! Alors, il a ressorti une vieille machine à écrire, mais pas aussi vieille que leurs souvenirs de gosses, et il se met à lui parler avec ses mots écrits au fil de la mémoire partagée. Des lignes que Camus ne lira pas… Le jour est le 10 décembre 1957. Sous les ors et les brocarts de l’Hôtel de ville de Stockholm. Le narrateur imagine Camus… un goût âcre dans la bouche. Des gestes ankylosés par un engourdissement diffus. Tête lourde et tempes folles. Le souffle encore plus court qu’à l’issue de la récré. Il doit être blême. Au bord de l’évanouissement. Le doute oppresse une fois encore l’écrivain. Toujours ce vieux complexe face à un monde qui n’est pas le sien. Des flashs crépitent tels des soleils terribles. Comme il l’a dit à quelques proches, ce prix Nobel de littérature devait revenir à André Malraux. Albert n’a que quarante-trois ans. C’est un peu jeune. Et puis… son œuvre n’en est qu’à ses débuts. Une musique de cour retentit. Les applaudissements fusent dans un bruit de plage tourmentée. Impossible de se jeter à l’eau. Pourtant, il doit s’en souvenir, aux Sablettes, on y allait même par fortes vagues on y allait !
La guerre fait rage en Algérie. En ce moment de gloire, les pensées d’Albert Camus vont sûrement vers sa mère, là-bas, toujours silencieuse, résignée et digne dans sa pauvreté. Albert Camus entame son discours devant l’assemblée du prix Nobel : En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement.
Pas facile de restituer toutes les dimensions d’un tel homme que Albert Camus (1913-1960) : philosophe, écrivain, journaliste militant en particulier pendant la seconde guerre mondiale, romancier, dramaturge et novelliste, s’étant engagé en faveur des indépendantistes algériens, et ayant également dénoncé la barbarie de l’arme atomique utilisée sur Hiroshima et sur Nagasaki (comme rappelé dans le présent ouvrage). Le scénariste propose un point de vue original : celui d’un ancien copain et camarade de classe de l’auteur. Ce dispositif permet aux auteurs d’utiliser des mises en page sortant de l’ordinaire. Régulièrement, le lecteur découvre un page de texte avec des illustrations, le narrateur écrivant ses souvenirs ou ses ressentis et ses attentes vis-à-vis de Camus. Une vingtaine de pages s’apparentent à du texte illustré, et quelques-unes encore à un récitatif courant au fil de cases de bande dessinée. La page intitulée Épilogue correspond à une page de texte sans illustration et elle introduit la dernière partie de huit pages, consacrée à la déclaration relative à la préférence accordée à sa mère avant la justice. En page cinq, le lecteur découvre un titre : Discours de Suède, première partie. Il y a encore quatre extraits dudit discours, qui ouvrent chacune un nouveau chapitre dans la vie de l’auteur. Le lecteur voit alors Albert Camus à la tribune devant l’assemblée convoquée par l’Académie suédoise, avec des phylactères contenant des extraits authentiques de son discours.
D’une certaine manière, Albert Camus devient celui passé à la postérité, un peu après la moitié de l’ouvrage. Le scénariste a déjà consacré quatre ouvrages à cet écrivain, et il en présente la vie, faisant des choix sur les moments de sa vie retenus, et en intégrant plusieurs des convictions de Camus. Le lecteur plonge donc dans une présentation à la structure sophistiquée, plus ambitieuse qu’une reconstitution historique chronologique des faits. L’auteur accorde la moitié de la bande dessinée, à l’enfance d’Albert pour montrer d’où il vient, à la fois son histoire familiale, le contexte sociopolitique du milieu dans lequel il a grandi. La partie biographique commence avec la mère âgée de l’auteur se replongeant dans ses souvenirs, le pendant se trouvant dans l’épilogue qui est consacré à la phrase de l’auteur sur la défense de sa mère avant la justice. L’écrivain engagé naît en 1913 dans la campagne algérienne. Le lecteur ne s’attend pas forcément au dénuement qu’il voit : pas de voiture à l’époque mais une charrette, pas d’hôpital mais un médecin-colonel qui arrive après l’accouchement. L’emploi modeste du père : caviste dans une grande propriété vinicole, ce qui consiste à surveiller les vendanges en cours, veiller à la bonne marche des opérations dans un contexte colonial, avec un fond de racisme. Un voyage en train jusqu’à Alger en troisième classe du fait des faibles revenus du père. Un séjour chez la grand-mère qui compte chaque centime. L’opposition de cette dernière à ce que son petit-enfant continue des études car il doit travailler dès que possible pour améliorer les revenus de la famille. Etc.
Le lecteur a peut-être relevé l’emploi d’une palette de couleurs assez particulière sur la couverture, avec ce fond jaune et cette ombre carmin. L’artiste compose ses cases avec un mixte de figures détourées par un trait de contour, et d’autres éléments représentés en couleur directe. En outre il met régulièrement en œuvre une palette de couleur avec des compositions expressionnistes, plutôt que naturalistes. Il en va ainsi pour la scène de déplacement sous la pluie et d’accouchement dans la cuisine : des aplats de deux tons de jaune, d’orange, de bleu foncé, développant une ambiance entre isolement dans la nuit et chaleur humaine de solidarité. Au fil des séquences, le lecteur ressent cette sensibilité apportée par les couleurs : la robe majoritairement en aplat noir solide de la grand-mère, les fonds de case rouge alors que l’enfant Albert ressent de plein fouet la colère sourde de sa grand-mère, le blanc éclatant alors que l’enfant court dans les rues d’Alger pour exprimer la force de la lumière du soleil, le marron terne lors du séjour à l’hôpital, la superbe alliance d’un rouge carmin pour un tapis avec les rats noirs formant une svastika sur le cercle blanc comme allégorie de La peste, etc.
L’artiste sait rendre l’apparence d’Albert Camus. Il représente des personnages à la morphologie normale, sans exagération anatomique, en simplifiant leur représentation, moins de traits, tout en conservant leur humanité et leur capacité à susciter l’empathie chez le lecteur. Ce dernier sent la séduction graphique opérer sur lui : un équilibre parfait entre ce qui est montré et délimité par des traits de contour et ce qui est suggéré par les couleurs, sous-entendu et laissé à l’imagination. Il remarque la coordination étroite entre scénariste et artiste pour des mises en page pensées et imaginées spécifiquement en fonction de la scène. Il voit des trouvailles visuelles très expressives : des pages sans bordure avec des images se fondant l’une dans l’autre pour exprimer une continuité (par exemple dans les différentes tâches professionnelles de Lucien Auguste Camus), des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique mettant en valeur la beauté des paysages algériens, des personnages dessinés par-dessus les cases d’une page pour indiquer qu’ils passent de l’une à l’autre lors de leur trajet, trois cases de la hauteur de la page pour conférer la sensation d’étroitesse de l’appartement de la grand-mère, une case se déployant comme une bande médiane sur deux pages en vis-à-vis avec les personnages représentés dans différentes positions, un fac-similé de une d’un journal, un champignon atomique avec un monceau de crânes à son pied, le visage de Camus en noir sur fond blanc dans la partie gauche de la planche s’opposant à celui de Sartre en contraste inversé (traits de contour blancs sur fond noir) pour marquer l’opposition irréconciliable, etc.
Le lecteur sent bien que les auteurs brossent un portrait orienté d’Albert Camus. Du fait de la pagination, ils ont dû faire des choix : en particulier, ils ne s’appesantissent pas les rappels historiques, ils ne développent ni le contexte de la seconde guerre mondiale, ni celui de la guerre d’Algérie (1954-1962) dont il vaut mieux disposer d’une connaissance basique pour apprécier et comprendre la position de l’écrivain. De la même manière, ils évoquent les titres des ouvrages de l’écrivain, sans les présenter que ce soit leur intrigue, ou leur contenu philosophique. Là encore, une connaissance superficielle ajoute à la richesse de cette lecture. Ils ont choisi le point de vue familial et celui du contexte géographique, social et historique. Ils se tiennent à l’écart d’une narration de type Moments clés ayant défini à tout jamais la trajectoire de vie d’Albert Camus, se positionnant plutôt dans une optique montrant les conditions dans lesquelles se sont opérées son enfance et sa trajectoire de vie jusqu’à l’âge adulte, le lecteur étant libre d’en déduire comment se sont forgées ses convictions morales, et comment il a été conduit à s’engager dans certaines causes.
Impossible de présenter Albert Camus de façon complète dans un ouvrage de moins de cent-cinquante pages. Aussi, il apparaît que les auteurs ont choisi sciemment un point de vue, celui d’un ancien camarade de classe de l’écrivain, pour évoquer des composantes précises de la vie de l’auteur. La narration visuelle s’avère très agréable, avec des émotions portées par des compositions de couleurs, et une mise à profit de solutions visuelles variées. Le lecteur découvre la singularité du parcours de vie d’Albert Camus, en tant qu’homme de son temps, avec des origines qui lui sont propres, l’amenant à mieux comprendre ses choix d’auteur. Enrichissant.
J'ai souvent souligné que le western est le genre que j'apprécie le moins, mais cette fois-ci je dois bien dire que le récit est bien plus intéressant que d'autres que j'ai pu lire. Déjà parce qu'on parle d'une femme, chose plus rare qu'on ne le pense, tandis que le récit s'articule non pas autour d'actes violents mais autour d'une vie. Une vie qui sera brisée par des actes violents ...
Je ne connaissais pas l'histoire de Naduah, mais le récit est intéressant et original. J'ai apprécié ce détail de montrer le tout du point de vu d'une petite fille et de ne pas insister outre mesure sur les actes de violence. Seulement la vie de Naduah -ou ce que les auteurs en disent- et la façon dont l'humanité l'a dépossédé deux fois de ce qu'elle avait de vie. Loin des clichés de l'ouest sauvage, Naduah est une BD qui rappelle que ces scènes de films et de BD souvent dantesque et sanglante cachent également des souffrances pour les femmes.
La BD est servie par un dessin qui colle tout à fait à l'atmosphère, avec une utilisation des décors et des couleurs qui plonge dans les grandes plaines. C'est beau, bien mené et je suis franchement content de l'avoir lu. Il est assez originale de tomber sur un tel récit et c'est ce qui me semble justifier ma note. La BD est un peu courte, quelques pages en plus n'auraient pas fait de mal. Mais oui, c'est sympa !
Une série jeunesse, mais le lecteur adulte que je suis ne l’a pas trouvée trop mièvre ou naïve. Mon ressenti serait de 3 étoiles tirant sur le niveau supérieur, j’arrondirai à 4 pour le public cible.
En fait l’album arrive à évoquer un sujet sensible et grave (les conséquences de la catastrophe de Fukushima, la mort d’un être cher) en le faisant de façon douce, autour de deux gamins pleins de vie et de ressources.
Deux gamins qui ont perdu leurs parents dans la catastrophe (le tsunami), et qui veulent à tout prix amener les cendres de leur grand-mère décédée dans sa maison abandonnée dans la zone fortement irradiée et désormais interdite. En particulier le plus jeune, Osamu, qui depuis les drames qui l’ont touché mélange rêve et réalité, préférant la compagnie des Yôkaï à celle des humains.
L’album se lit vite, car il y a peu de textes. Et aussi parce que la narration est fluide, rythmée (c’est une sorte de course-poursuite entre Osamu, sa sœur Akiko, et les autorités contrôlant la zone dangereuse.
Si les auteurs sont bien européens, on est dans un univers japonisant. Bien sûr pour le cadre. Mais aussi parce que le dessin de Michaël Crouzat – en particulier pour les visages et leurs expressions – joue sur des influences de manga. On est aussi parfois dans quelque chose de proche de ce que les studios Ghibli ont pu proposer (Miyazaki bien sûr, mais aussi Takahata), en particulier lorsque les Yokaï apparaissent, mais aussi pour la présence d’une nature plus que résiliente.
Bon, ce sont surtout les plus jeunes qui y trouveront leur compte quand même. J’ai en particulier trouvé un peu trop grosses les ficelles pour tout ce qui touche aux interventions des autruches.
Note réelle 3,5/5.
Voila une BD bien étrange et pourtant tout à fait dans le genre de ce que j'ai lu avec Dans un rayon de soleil qui présente des thématiques communes mais surtout les mêmes procédés qui ajoutent l'étrangeté au récit.
Mélange de road-trip, fable, métaphore fantastique et histoire classique, "Sur la route de West" est indéniablement une œuvre qui surprend. Elle ne conviendra pas à tout le monde, mais (les notes des aviseurs en sont témoins) convient très bien à certaines personnes. Il faut dire que l'autrice ne fait rien pour faciliter le travail d'un lecteur ou d'une lectrice : histoire cryptique avec de nombreuses clés de lectures permettant d'imaginer bon nombre de développement, personnages mutiques pendant une bonne partie du récit avant de dévoiler ce qui les ronge, arrivé d'un fantastique qui semble faire métaphore d'une peur, ou d'une reconstruction ... Bref, le récit demande un investissement de la part de son lectorat, tout en restant en essence très facile d'accès. Le récit est fluide, la lecture facile et l'ensemble, bien que conséquent, ne prend pas une heure à terminer.
En fait, ce qui est fascinant, c'est tout les détails que l'autrice ajoute pour parler visuellement. Les hommes par exemple : présence menaçante dès que l'un se présente dans le cadre (que ce soit justifié ou non), menace voilée pour ces deux femmes qui préfèrent les femmes. J'en connais qui s'insurgerait ("On est pas tous comme ça !") mais j'aime beaucoup que lorsque la BD part du regard de ces deux jeunes femmes, alors ils deviennent tous danger potentiel. Aucun visage d'homme ne sera montré, juste des dentition de sourire carnassier, incarnant les prédateurs qu'elles redoutent. Ce qui rejoint certaines thématiques développées dans le récit ... De même les choix visuels dans les différences de tailles joue particulièrement sur l'ambiance : grandes étendues vides, zones immenses et contraste de la petite voiture et sa petite caravane. Lorsque le trajet devient course-poursuite, le décor devient abstrait et toujours aussi grand, perdant deux petites femmes dans un monde semble-t-il toujours plus hostile.
La BD est dense et sa lecture interroge sur plein de points. Son sujet est dur, âme sensible s'abstenir, mais a quelque chose de réconfortant. La recherche d'une échappatoire à cela, essayant de s'en sortir malgré tout. Elle a surtout beaucoup de choses en elle, de petits détails qui ne semblent pas en être, de questionnements qui restent à la fin et qui font sa force. Je pense qu'elle a de quoi marquer ses lecteurs, Tillie Walden étant une autrice assez unique dans le paysage de la BD actuelle. Il est difficile de recommander cette BD si atypique, mais si vous avez l'impression que c'est pour vous, alors foncez !
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Le Serpent et le Coyote
Philippe Xavier est un dessinateur formé sur le continent américain à la publicité et au graphisme. Matz (Alexis Nolent) est un scénariste que l'on connait bien : c'est celui de la série Le Tueur, dont on retrouve ici quelques caractéristiques (monologues en voix off, ...) et de quelques autres albums remarquables, souvent des coups de cœur. Tous deux sont régulièrement aux commandes d'une série d'albums : Tango, dont on reparlera certainement. Voici donc Le serpent et le coyote, tout un programme ! Les BD "à texte" de Matz qui sait jouer les "écrivains" et qui s'y entend pour nous faire partager la route d'un coyote solitaire comme on les aime : on ne se lasse pas de ces monologues ou de ces dialogues, de ce ton sec et nerveux qui claque et qui est celui des meilleurs romans noirs US. Les cadrages "home cinema" de Xavier et la mise en couleurs soignée : les paysages US de l'Arizona ou du Colorado y sont fort bien exploités et les effets de zoom dynamisent les images tout comme l'histoire. Même si, je cite : [le moment est mal venu pour faire le malin avec des références cinématographiques à la con]. Les auteurs se sont emparés d'un thème cher au polar noir : le programme US de protection des témoins, le WITSEC (le Witness Security Program) qui offre, aux frais de l'État, une seconde vie aux truands qui acceptent de témoigner contre de pires truands. Un dispositif qui a connu des débuts difficiles quand il a été mis en place à la fin des années 60 mais qui a permis quelques victoires contre le crime organisé : c'est tout cela qui est évoqué dans cet album. Dans son camping-car, "Joe" (c'est son nom aujourd'hui, comme celui de tous les témoins protégés du Witsec), parcourt le désert US entre Arizona et Utah. Il aura bientôt la compagnie d'un coyote à qui il peut raconter sa vie mouvementée. [...] - J'ai l'impression qu'on est un peu pareils, tous les deux ... T'as plus de famille et plus d'amis, on dirait, non ? - Wiif - Tout seuls dans le vaste monde ... Mais tu sais, je me dis que parfois c'est pas plus mal ... Je suppose que c'est comme ça qu'il faut voir les choses, quand on n'a pas trop le choix. Qu'est ce qu'en te dis, Crash ? - Wouif Wiff - Ouais, nous sommes d'accord. Un homme doit faire ce qu'il doit faire avec ce qu'il a. Ça doit marcher pareil pour les clébards. [...] - Et puis je suis content d'avoir quelqu'un à qui parler, même si c'est un clébard. Les clébards, ça sait écouter. Les chats, ça se fout pas mal de nos problèmes d'humains de merde. Sur les traces de "Joe", on trouve bien sûr ses anciens amis qui ne lui veulent pas que du bien mais aussi les marshalls qui veulent le rappeler à la barre des témoins d'un nouveau procès ... Tous comprendront un peu tard qu'il faut se méfier du serpent qui semble dormir caché dans le sable du désert.
L'Université des Chèvres
Christian Lacroix dit Lax est un auteur de bandes dessinées qui signe ses scénarios comme ses dessins. L'université des chèvres est un très bel album mais aussi un beau plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement, dans une tonalité socio-naturaliste qui rappelle un peu le style Davodeau. Avant de vous plonger dans l'album, on vous invite à lire la courte postface de Pascal Ory (historien de la culture, membre de l'Académie Française) qui donne tout la perspective nécessaire à la compréhension des histoires qui seront contées. On aime les magnifiques dessins aux tons pastels qui n'hésitent pas à s'étaler sur quelques doubles pages. Les paysages de montagnes, du Dauphiné à l'Hindu Kush, sont superbes. On aime le scénario très astucieux, façon "la boucle est bouclée", qui réussit à croiser les destins, les géographies et les époques sans que cela paraisse artificiel : de 1883 à 2019, [c'est une longue histoire] portée par un propos parfaitement maîtrisé. Cet album est un élégant plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement. Un discret mais efficace réquisitoire contre tous ceux qui s'y opposèrent et s'y opposent encore : les curés, les conservateurs rétrogrades, les intégristes mais aussi les états qui préfèrent garder la mainmise sur l'accès à la culture ou en exclure certain(e)s. Avec l'évocation des tueries US, c'est aussi un autre regard sur la présence d'armes à feu dans ces écoles qui devraient rester des sanctuaires, à l'écart des violences de la NRA comme de celles des talibans. En 1833, Fortuné Chabert est "colporteur en écriture" dans les montagnes du Dauphiné. Son chapeau arbore "les 3 plumes" : la lecture, l'écriture et "la chiffre", celle du calcul, ce qui lui permet de faire l'école dans les villages des hauteurs, c'est l'université des chèvres. Cette année-là, les lois Guizot vont instaurer un système d'enseignement public (sur lequel le clergé gardera une forte influence, l'école publique devra attendre 1882 et Ferry pour devenir laïque) : c'en est fini des colporteurs en écriture comme Fortuné Chabert. Il part pour la Californie. Il reprendra l'école, cette fois pour les enfants des tribus Hopis, et finira par s'opposer de nouveau à l'état et aux pensionnats et internats qui visaient à "acculturer" les enfants indiens. Plus tard, alors qu'aux US triomphent la NRA et le trumpisme, son arrière-petite-fille journaliste, est envoyée pour un reportage en Afghanistan. Son "fixeur" est Sanjar, un instituteur itinérant (un colporteur local donc) chassé des villages à coups de pierres par les talibans : la boucle semble ainsi presque bouclée.
Brancusi contre États-Unis
C'est le bouquin de Sophie Brocas (Le baiser) qui nous avait mis sur la piste de cette histoire incroyable : le procès du sculpteur Constantin Brancusi contre les États-Unis au sujet de droits de douane sur une de ses sculptures ... Et c'est Arnaud Nebbache (illustrateur et professeur d'art) qui s'y colle pour retracer en images ce procès historique ... On se passionne pour le débat ouvert par ce procès : qu'est-ce qui fait une œuvre d'art ? Son caractère unique (oui, mais il y a les moulages successifs), la main de l'artiste (oui, mais il y a un atelier de fonderie), le jugement des pairs (oui, mais il y a des réfractaires à un nouveau style), la beauté contemplée, le plaisir ressenti (oui, mais tout cela prête à interprétation) ... Et puis c'est aussi une époque où art, artisanat et industrie se télescopent : outre Brancusi, c'est l'époque de Fernand Léger et d'Alexandre Calder par exemple. On apprécie les croquis supposés de Marcel Duchamp que l'artiste dessine pendant le procès pour tenir informé son ami Brancusi resté à Paris : voilà un moyen astucieux pour retracer de façon vivante les débats de la justice. Dans les années 1920, Marcel Duchamp organise à NY une exposition des sculptures de Brancusi. À leur arrivée par bateau, les "objets" sont taxés par les douanes US comme "produits manufacturés". L'une des sculptures, L'oiseau un moulage de bronze poli quasi abstrait, est prise comme pièce à conviction et s'ouvre alors en 1927 ce fameux procès pour lui faire reconnaître le statut d'œuvre d'art ... Le dessin de Nebbache pourra dérouter au premier abord mais on reconnaîtra qu'il s'accorde plutôt bien avec son sujet : l'espace des œuvres d'art et le mouvement du sculpteur, ... En bon professeur d'art, l'auteur prend d'ailleurs tout son temps pour imaginer et dessiner tout le long processus de création qui aura conduit l'artiste (le plus abstrait des sculpteurs figuratifs) à cette forme aboutie, qui ne ressemblait plus vraiment à un oiseau mais qui voulait saisir l'esprit du mouvement, l'envol de l'oiseau. C'est un choix de scénario judicieux qui permet de mettre le lecteur dans les meilleures conditions pour apprécier tout le sens du procès qui va se dérouler. Laissons finalement le dernier mot au juge Waite avec une sentence qui fera date dans l'histoire de l'art : [...] Une école d’art dite moderne s'est développée dont les tenants tentent de représenter des idées abstraites plutôt que d’imiter des objets naturels. Que nous soyons ou non en sympathie avec ces idées d’avant-garde et les écoles qui les incarnent, nous estimons que leur existence comme leur influence sur le monde de l’art sont des faits que les tribunaux reconnaissent et doivent prendre en compte. Le lendemain du 26 novembre 1928, la presse US ironise : It's a bird !
La Route
Manu Larcenet met en bulles et en images La route, le roman culte de Cormac McCarthy qui avait obtenu le prix Pulitzer en 2007. Un pari osé mais un album réussi et très fidèle à ce monument littéraire. Manu Larcenet avait déjà lâché en 2009 une petite bombe dans le petit monde la BD avec Blast : exit les couleurs acryliques et rutilantes, Manu nous proposait quatre gros albums au noir & blanc éclatant, expressif et même lumineux. Déjà, c'était une histoire de SDF errant sur les routes. Après avoir adapté Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était somme toute assez logique que Manu Larcenet s'attaque au roman culte de Cormac McCarthy, qui avait déjà été porté sur écran en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen. De toute évidence, la noirceur du dessin de Larcenet était faite pour illustrer ce sombre récit post-apocalyptique. La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas trop comment et cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes sorties de Mad Max. Un récit dans lequel il n'y a plus de noms, presque plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler et le roman de McCarthy était avare de dialogues, rempli de silences et de non-dits. Voilà qui laisse toute la place à Larcenet pour déployer son talent de metteur en scène et faire en sorte que le dessin devienne lui-même le récit - un beau challenge pour un bédéaste. Sans cartouches de texte "off", sans bulles explicatives, c'est uniquement grâce à l'enchaînement des cases et à la force suggestive des dessins que le récit est retranscrit dans un noir et blanc sale et charbonneux à l'image de ce monde de cendres apocalyptiques, parfois teinté de sépia ou de teintes orangées. Les rares phylactères jaillissent de cet univers pour mieux souligner les non-dits des rares dialogues entre l'homme et son petit. Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repassait sans cesse, encore et encore. Mais quelle image puissante ! Une image qui lui a valu un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprégnait durablement le lecteur et même tout le monde littéraire. Une image dont s'est emparé avec brio Manu Larcenet dont les planches arrivent à nous faire partager le quotidien de ces deux êtres en perdition et ressentir les souffrances (et les trop rares joies) de ces corps amaigris. En un peu plus de 150 pages, l'auteur prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker... tout y est. Le pari était osé, voire risqué, mais avec la réussite et la reconnaissance des lecteurs, le succès est au rendez-vous : l'album a déjà été réimprimé et cela dans plusieurs langues. Larcenet avoue tout de même un regret : « Ne pas avoir pu remettre cet album à Cormac McCarthy lui-même. » puisque l'auteur américain est décédé en juin dernier. À noter : les éditions Points (avec l'arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de ré-éditer le roman de McCarthy en version "collector" avec quelques planches illustrées tirées de la BD, histoire de doubler le plaisir avec la (re-)lecture du roman ! • On voit tout de suite ce qui a pu séduire Larcenet dans ce texte rapidement devenu mythique. Le sombre récit de McCarthy laissait les rares et pauvres dialogues se dissoudre dans une prose puissante. Les planches en noir et blanc de la BD sont à la hauteur de la puissance du récit et les bulles y retranscrivent les rares dialogues presque mot pour mot. • Un complément essentiel au livre où l'enfant prend toute sa place. La fin du monde a eu lieu. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max. [...] Il sera de quelle couleur l'océan ? Et quelques planches plus loin : [...] Je te demande pardon ... L'océan n'est pas bleu.
Capital & Idéologie
Après le succès du Monde sans fin, voici Capital & Idéologie, cuisiné selon la même recette : sur le fond, la réflexion et la caution d'une grosse tête d'intellectuel progressiste (après Jancovici sur les énergies, ce sera le tour de Thomas Piketty sur l'économie) et sur la forme, le travail lumineux de celles et ceux qui ont un don magique pour vulgariser les sujets les plus complexes (ce sera Claire Alet, journaliste et documentariste, elle travaille au magazine Alternatives économiques). Benjamin Adam a mis ses talents d'illustrateur et de graphiste au service des deux économistes. Bref, il y a là tous les bons ingrédients et une bonne recette : le résultat est évidemment à la hauteur ! • On ne peut qu'applaudir des deux mains à ce travail de vulgarisation et de mise en scène du livre de Thomas Piketty : c'est un remarquable travail qui donne à tous les clés d'accès indispensables. Cet ouvrage lumineux est éclairant ! Une lecture obligatoire pour mieux maîtriser les débats économiques ! • Certains raccourcis historiques sont saisissants : les indemnisations des privilèges de la noblesse et du clergé, plus tard de l'esclavage aboli, l'analyse (je cite) du retournement du clivage éducatif, la fameuse courbe de l'éléphant, ... tout cela élève le débat (et le lecteur) à des hauteurs insoupçonnées. • On apprécie le dernier chapitre qui donne quelques clés pour faire évoluer le capitalisme et l'Europe : contrairement au plaidoyer nucléaire de Jancovici (qui s'avérait peu convaincant), les propositions de Piketty sont captivantes et éclairantes. L'album : L'album est un véritable cours d'Histoire de l'économie occidentale au travers de l'évolution de toute une famille : l'arbre généalogique court de 1789 jusqu'à aujourd'hui. L'abolition (et l'indemnisation) des privilèges à la Révolution, l'abolition (et l'indemnisation) de l'esclavage, le temps béni des colonies, la naissance des impôts modernes, l'évolution de la propriété, les guerres bien sûr (Sécession, 1914, 1940), la Grande Dépression, le New Deal, Keynes, les Trente Glorieuses, la crise de la dette et l'inflation, c'est toute notre histoire occidentale qui est revisitée à travers le prisme de celle du capitalisme.
Wagner - L'histoire secrète des mercenaires de Poutine
Du Donbass au Sahel, deux journalistes de Jeune Afrique nous livrent un reportage en images sur la fameuse milice Wagner : l'histoire secrète des mercenaires de Poutine après 3 ans d'enquête. On a entendu beaucoup de choses et leurs contraires sur la tristement fameuse milice russe Wagner qu'il était bien commode de diaboliser autour de son patron Evgueni Prigojine, mais qui lui survit sans problème depuis sa mort en août 2023. Benjamin Roger et Mathieu Olivier sont tous deux journalistes : autant dire que cette BD n'est pas un album d'aventures de guerre mais une très sérieuse BD-reportage. Ils ont travaillé tous deux pour le magazine Jeune Afrique et connaissent donc parfaitement leur sujet. Thierry Chavant s'est engagé à leurs côtés pour illustrer cette enquête qui s'étend sur plusieurs années et plus d'un continent. Cette bande dessinée est une façon bien commode d'améliorer sa connaissance du sujet : l'ascension du groupe Wagner, les exactions commises, les enjeux financiers, la géopolitique africaine, ... Le récit est très documenté : basé sur les investigations des deux journalistes et les témoignages recueillis, c'est un gros travail de plusieurs années qui nous est résumé dans ces planches. [...] Nous ne sommes pas des soldats, juste des mercenaires Wagner. [...] On n'est pas ici pour les médailles ou vaincre les nazis, juste pour toucher la solde et rentrer en un seul morceau. [...] On est des mercenaires, pas des soldats ! Tout ça, c'est du business ! Simple et sans fioritures, le dessin de Thierry Chavant est tout au service du texte et il sait même s'estomper ou s'éloigner quand les horreurs sont trop dures pour notre regard. L'album, très pédagogique, use de la voix off, de témoignages et de dialogues entre personnages de fiction. Le récit est découpé en plusieurs mouvements (tel un drame lyrique wagnérien !) et n'hésite pas à faire des aller-retour entre les époques et les lieux pour nous brosser un tableau aussi intelligible que possible. Cet album est aussi le portrait des principaux dirigeants de Wagner : le fameux oligarque Evgueni Prigojine qui fit d'abord fortune dans la restauration (!) avant de s'associer avec un mercenaire expérimenté, Dimitri Outkine, qui sera le commandant opérationnel de Wagner, Prigojine restant le grand chef et le grand financier. Mais en bons journalistes, les auteurs ne se contentent pas des leaders médiatiques et nous avons droit à tous les principaux acteurs du groupe Wagner et quelques personnages de fiction pour fluidifier le récit. On retrouve même quelques figures de la diplomatie française ... qui ne sort pas vraiment grandie de ce tableau. Après quelques faits d'armes au Donbass en Ukraine en 2014 ou en Syrie en 2016, la "compagnie" (c'est le surnom interne de Wagner) se déploie à Bangui en CentrAfrique (sous la coupe de Bokassa jusqu'en 1996) et bientôt au Mali. Dans chaque pays, un scénario bien éprouvé se répète : corruption des dirigeants locaux, élimination des gêneurs, déploiement de mercenaires, formation de troupes locales, propagande anti-française et ... surexploitation des ressources minières (de l'or, notamment) qui sont exportées à l'étranger en toute illégalité, une contrebande source de gigantesques profits pour Wagner et la Russie. La diplomatie française sous-estimera l'influence grandissante de Wagner et des russes jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Dans le centre du Mali, en mars 2022, le village peul de Moura est le lieu d'un massacre perpétré au nom de la lutte anti-terroriste : plus de 500 victimes ... dont à peine une trentaine de djihadistes. Mais au plan militaire et face aux rebelles, les mercenaires de Wagner ne sont finalement pas beaucoup plus efficaces que leurs prédécesseurs européens ou américains : "l'État Islamique au Grand Sahara (EIGS), la filiale sahélienne de l'État Islamique, a repris progressivement pied". Bientôt la folle guerre d'Ukraine vient de nouveau brasser les cartes : le groupe Wagner y rapatrie le gros de ses troupes, dépense des millions de dollars et envoie au casse-pipe des dizaines de milliers de "volontaires" dont les fameux prisonniers de droit commun. Mais rapidement le torchon brûle entre Wagner et le Kremlin : en juin 2023, un convoi de mercenaires roule vers Moscou et il faudra la médiation du biélorusse Alexandre Loukachenko pour éteindre ce début d'incendie. Hélas, Prigogine et Outkine ont oublié que "Vladimir Poutine ne pardonne jamais la traîtrise. Le maître du Kremlin n'oublie jamais rien". C'est lui dont l'ombre menaçante et inquiétante clôture l'album !
Camus - Entre Justice et Mère
Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2013 Il a été réalisé par José Lenzini (auteur des livres : Derniers jours de la vie d’Albert Camus, Camus et l’Algérie) pour le scénario, et par Laurent Gnoni pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste des vingt ouvrages d’Albert Camus sous forme d’un petit dessin dans une case carrée et du titre situé au-dessus, avec une liste en bonne et due forme et les dates dans la colonne de gauche. Quand le narrateur a appris la nouvelle, il a ressenti la nécessité d’écrire. Il a hésité. De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’école Aumerat, depuis leurs virées au jardin d’Essai et aux Sablettes, depuis les matchs de foot au Champ-Vert ! Il a froissé plusieurs feuilles de papier sans pouvoir aller plus loin que les quelques mots du début. Albert, Bébert, Moustique ? Ils étaient si proche… Comment l’appeler sans être inconvenant ? L’enfance est loin et Albert a eu le prix Nobel, c’est quand même autre chose qu’un prix d’honneur de fin d’année ! Tiens le prix Nobel… Il pourrait commencer par ça, pourquoi pas ? Les copains et lui étaient tellement fiers quand Camus l’a eu ! Alors, il a ressorti une vieille machine à écrire, mais pas aussi vieille que leurs souvenirs de gosses, et il se met à lui parler avec ses mots écrits au fil de la mémoire partagée. Des lignes que Camus ne lira pas… Le jour est le 10 décembre 1957. Sous les ors et les brocarts de l’Hôtel de ville de Stockholm. Le narrateur imagine Camus… un goût âcre dans la bouche. Des gestes ankylosés par un engourdissement diffus. Tête lourde et tempes folles. Le souffle encore plus court qu’à l’issue de la récré. Il doit être blême. Au bord de l’évanouissement. Le doute oppresse une fois encore l’écrivain. Toujours ce vieux complexe face à un monde qui n’est pas le sien. Des flashs crépitent tels des soleils terribles. Comme il l’a dit à quelques proches, ce prix Nobel de littérature devait revenir à André Malraux. Albert n’a que quarante-trois ans. C’est un peu jeune. Et puis… son œuvre n’en est qu’à ses débuts. Une musique de cour retentit. Les applaudissements fusent dans un bruit de plage tourmentée. Impossible de se jeter à l’eau. Pourtant, il doit s’en souvenir, aux Sablettes, on y allait même par fortes vagues on y allait ! La guerre fait rage en Algérie. En ce moment de gloire, les pensées d’Albert Camus vont sûrement vers sa mère, là-bas, toujours silencieuse, résignée et digne dans sa pauvreté. Albert Camus entame son discours devant l’assemblée du prix Nobel : En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Pas facile de restituer toutes les dimensions d’un tel homme que Albert Camus (1913-1960) : philosophe, écrivain, journaliste militant en particulier pendant la seconde guerre mondiale, romancier, dramaturge et novelliste, s’étant engagé en faveur des indépendantistes algériens, et ayant également dénoncé la barbarie de l’arme atomique utilisée sur Hiroshima et sur Nagasaki (comme rappelé dans le présent ouvrage). Le scénariste propose un point de vue original : celui d’un ancien copain et camarade de classe de l’auteur. Ce dispositif permet aux auteurs d’utiliser des mises en page sortant de l’ordinaire. Régulièrement, le lecteur découvre un page de texte avec des illustrations, le narrateur écrivant ses souvenirs ou ses ressentis et ses attentes vis-à-vis de Camus. Une vingtaine de pages s’apparentent à du texte illustré, et quelques-unes encore à un récitatif courant au fil de cases de bande dessinée. La page intitulée Épilogue correspond à une page de texte sans illustration et elle introduit la dernière partie de huit pages, consacrée à la déclaration relative à la préférence accordée à sa mère avant la justice. En page cinq, le lecteur découvre un titre : Discours de Suède, première partie. Il y a encore quatre extraits dudit discours, qui ouvrent chacune un nouveau chapitre dans la vie de l’auteur. Le lecteur voit alors Albert Camus à la tribune devant l’assemblée convoquée par l’Académie suédoise, avec des phylactères contenant des extraits authentiques de son discours. D’une certaine manière, Albert Camus devient celui passé à la postérité, un peu après la moitié de l’ouvrage. Le scénariste a déjà consacré quatre ouvrages à cet écrivain, et il en présente la vie, faisant des choix sur les moments de sa vie retenus, et en intégrant plusieurs des convictions de Camus. Le lecteur plonge donc dans une présentation à la structure sophistiquée, plus ambitieuse qu’une reconstitution historique chronologique des faits. L’auteur accorde la moitié de la bande dessinée, à l’enfance d’Albert pour montrer d’où il vient, à la fois son histoire familiale, le contexte sociopolitique du milieu dans lequel il a grandi. La partie biographique commence avec la mère âgée de l’auteur se replongeant dans ses souvenirs, le pendant se trouvant dans l’épilogue qui est consacré à la phrase de l’auteur sur la défense de sa mère avant la justice. L’écrivain engagé naît en 1913 dans la campagne algérienne. Le lecteur ne s’attend pas forcément au dénuement qu’il voit : pas de voiture à l’époque mais une charrette, pas d’hôpital mais un médecin-colonel qui arrive après l’accouchement. L’emploi modeste du père : caviste dans une grande propriété vinicole, ce qui consiste à surveiller les vendanges en cours, veiller à la bonne marche des opérations dans un contexte colonial, avec un fond de racisme. Un voyage en train jusqu’à Alger en troisième classe du fait des faibles revenus du père. Un séjour chez la grand-mère qui compte chaque centime. L’opposition de cette dernière à ce que son petit-enfant continue des études car il doit travailler dès que possible pour améliorer les revenus de la famille. Etc. Le lecteur a peut-être relevé l’emploi d’une palette de couleurs assez particulière sur la couverture, avec ce fond jaune et cette ombre carmin. L’artiste compose ses cases avec un mixte de figures détourées par un trait de contour, et d’autres éléments représentés en couleur directe. En outre il met régulièrement en œuvre une palette de couleur avec des compositions expressionnistes, plutôt que naturalistes. Il en va ainsi pour la scène de déplacement sous la pluie et d’accouchement dans la cuisine : des aplats de deux tons de jaune, d’orange, de bleu foncé, développant une ambiance entre isolement dans la nuit et chaleur humaine de solidarité. Au fil des séquences, le lecteur ressent cette sensibilité apportée par les couleurs : la robe majoritairement en aplat noir solide de la grand-mère, les fonds de case rouge alors que l’enfant Albert ressent de plein fouet la colère sourde de sa grand-mère, le blanc éclatant alors que l’enfant court dans les rues d’Alger pour exprimer la force de la lumière du soleil, le marron terne lors du séjour à l’hôpital, la superbe alliance d’un rouge carmin pour un tapis avec les rats noirs formant une svastika sur le cercle blanc comme allégorie de La peste, etc. L’artiste sait rendre l’apparence d’Albert Camus. Il représente des personnages à la morphologie normale, sans exagération anatomique, en simplifiant leur représentation, moins de traits, tout en conservant leur humanité et leur capacité à susciter l’empathie chez le lecteur. Ce dernier sent la séduction graphique opérer sur lui : un équilibre parfait entre ce qui est montré et délimité par des traits de contour et ce qui est suggéré par les couleurs, sous-entendu et laissé à l’imagination. Il remarque la coordination étroite entre scénariste et artiste pour des mises en page pensées et imaginées spécifiquement en fonction de la scène. Il voit des trouvailles visuelles très expressives : des pages sans bordure avec des images se fondant l’une dans l’autre pour exprimer une continuité (par exemple dans les différentes tâches professionnelles de Lucien Auguste Camus), des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique mettant en valeur la beauté des paysages algériens, des personnages dessinés par-dessus les cases d’une page pour indiquer qu’ils passent de l’une à l’autre lors de leur trajet, trois cases de la hauteur de la page pour conférer la sensation d’étroitesse de l’appartement de la grand-mère, une case se déployant comme une bande médiane sur deux pages en vis-à-vis avec les personnages représentés dans différentes positions, un fac-similé de une d’un journal, un champignon atomique avec un monceau de crânes à son pied, le visage de Camus en noir sur fond blanc dans la partie gauche de la planche s’opposant à celui de Sartre en contraste inversé (traits de contour blancs sur fond noir) pour marquer l’opposition irréconciliable, etc. Le lecteur sent bien que les auteurs brossent un portrait orienté d’Albert Camus. Du fait de la pagination, ils ont dû faire des choix : en particulier, ils ne s’appesantissent pas les rappels historiques, ils ne développent ni le contexte de la seconde guerre mondiale, ni celui de la guerre d’Algérie (1954-1962) dont il vaut mieux disposer d’une connaissance basique pour apprécier et comprendre la position de l’écrivain. De la même manière, ils évoquent les titres des ouvrages de l’écrivain, sans les présenter que ce soit leur intrigue, ou leur contenu philosophique. Là encore, une connaissance superficielle ajoute à la richesse de cette lecture. Ils ont choisi le point de vue familial et celui du contexte géographique, social et historique. Ils se tiennent à l’écart d’une narration de type Moments clés ayant défini à tout jamais la trajectoire de vie d’Albert Camus, se positionnant plutôt dans une optique montrant les conditions dans lesquelles se sont opérées son enfance et sa trajectoire de vie jusqu’à l’âge adulte, le lecteur étant libre d’en déduire comment se sont forgées ses convictions morales, et comment il a été conduit à s’engager dans certaines causes. Impossible de présenter Albert Camus de façon complète dans un ouvrage de moins de cent-cinquante pages. Aussi, il apparaît que les auteurs ont choisi sciemment un point de vue, celui d’un ancien camarade de classe de l’écrivain, pour évoquer des composantes précises de la vie de l’auteur. La narration visuelle s’avère très agréable, avec des émotions portées par des compositions de couleurs, et une mise à profit de solutions visuelles variées. Le lecteur découvre la singularité du parcours de vie d’Albert Camus, en tant qu’homme de son temps, avec des origines qui lui sont propres, l’amenant à mieux comprendre ses choix d’auteur. Enrichissant.
Naduah
J'ai souvent souligné que le western est le genre que j'apprécie le moins, mais cette fois-ci je dois bien dire que le récit est bien plus intéressant que d'autres que j'ai pu lire. Déjà parce qu'on parle d'une femme, chose plus rare qu'on ne le pense, tandis que le récit s'articule non pas autour d'actes violents mais autour d'une vie. Une vie qui sera brisée par des actes violents ... Je ne connaissais pas l'histoire de Naduah, mais le récit est intéressant et original. J'ai apprécié ce détail de montrer le tout du point de vu d'une petite fille et de ne pas insister outre mesure sur les actes de violence. Seulement la vie de Naduah -ou ce que les auteurs en disent- et la façon dont l'humanité l'a dépossédé deux fois de ce qu'elle avait de vie. Loin des clichés de l'ouest sauvage, Naduah est une BD qui rappelle que ces scènes de films et de BD souvent dantesque et sanglante cachent également des souffrances pour les femmes. La BD est servie par un dessin qui colle tout à fait à l'atmosphère, avec une utilisation des décors et des couleurs qui plonge dans les grandes plaines. C'est beau, bien mené et je suis franchement content de l'avoir lu. Il est assez originale de tomber sur un tel récit et c'est ce qui me semble justifier ma note. La BD est un peu courte, quelques pages en plus n'auraient pas fait de mal. Mais oui, c'est sympa !
Retour à Tomioka
Une série jeunesse, mais le lecteur adulte que je suis ne l’a pas trouvée trop mièvre ou naïve. Mon ressenti serait de 3 étoiles tirant sur le niveau supérieur, j’arrondirai à 4 pour le public cible. En fait l’album arrive à évoquer un sujet sensible et grave (les conséquences de la catastrophe de Fukushima, la mort d’un être cher) en le faisant de façon douce, autour de deux gamins pleins de vie et de ressources. Deux gamins qui ont perdu leurs parents dans la catastrophe (le tsunami), et qui veulent à tout prix amener les cendres de leur grand-mère décédée dans sa maison abandonnée dans la zone fortement irradiée et désormais interdite. En particulier le plus jeune, Osamu, qui depuis les drames qui l’ont touché mélange rêve et réalité, préférant la compagnie des Yôkaï à celle des humains. L’album se lit vite, car il y a peu de textes. Et aussi parce que la narration est fluide, rythmée (c’est une sorte de course-poursuite entre Osamu, sa sœur Akiko, et les autorités contrôlant la zone dangereuse. Si les auteurs sont bien européens, on est dans un univers japonisant. Bien sûr pour le cadre. Mais aussi parce que le dessin de Michaël Crouzat – en particulier pour les visages et leurs expressions – joue sur des influences de manga. On est aussi parfois dans quelque chose de proche de ce que les studios Ghibli ont pu proposer (Miyazaki bien sûr, mais aussi Takahata), en particulier lorsque les Yokaï apparaissent, mais aussi pour la présence d’une nature plus que résiliente. Bon, ce sont surtout les plus jeunes qui y trouveront leur compte quand même. J’ai en particulier trouvé un peu trop grosses les ficelles pour tout ce qui touche aux interventions des autruches. Note réelle 3,5/5.
Sur la route de West
Voila une BD bien étrange et pourtant tout à fait dans le genre de ce que j'ai lu avec Dans un rayon de soleil qui présente des thématiques communes mais surtout les mêmes procédés qui ajoutent l'étrangeté au récit. Mélange de road-trip, fable, métaphore fantastique et histoire classique, "Sur la route de West" est indéniablement une œuvre qui surprend. Elle ne conviendra pas à tout le monde, mais (les notes des aviseurs en sont témoins) convient très bien à certaines personnes. Il faut dire que l'autrice ne fait rien pour faciliter le travail d'un lecteur ou d'une lectrice : histoire cryptique avec de nombreuses clés de lectures permettant d'imaginer bon nombre de développement, personnages mutiques pendant une bonne partie du récit avant de dévoiler ce qui les ronge, arrivé d'un fantastique qui semble faire métaphore d'une peur, ou d'une reconstruction ... Bref, le récit demande un investissement de la part de son lectorat, tout en restant en essence très facile d'accès. Le récit est fluide, la lecture facile et l'ensemble, bien que conséquent, ne prend pas une heure à terminer. En fait, ce qui est fascinant, c'est tout les détails que l'autrice ajoute pour parler visuellement. Les hommes par exemple : présence menaçante dès que l'un se présente dans le cadre (que ce soit justifié ou non), menace voilée pour ces deux femmes qui préfèrent les femmes. J'en connais qui s'insurgerait ("On est pas tous comme ça !") mais j'aime beaucoup que lorsque la BD part du regard de ces deux jeunes femmes, alors ils deviennent tous danger potentiel. Aucun visage d'homme ne sera montré, juste des dentition de sourire carnassier, incarnant les prédateurs qu'elles redoutent. Ce qui rejoint certaines thématiques développées dans le récit ... De même les choix visuels dans les différences de tailles joue particulièrement sur l'ambiance : grandes étendues vides, zones immenses et contraste de la petite voiture et sa petite caravane. Lorsque le trajet devient course-poursuite, le décor devient abstrait et toujours aussi grand, perdant deux petites femmes dans un monde semble-t-il toujours plus hostile. La BD est dense et sa lecture interroge sur plein de points. Son sujet est dur, âme sensible s'abstenir, mais a quelque chose de réconfortant. La recherche d'une échappatoire à cela, essayant de s'en sortir malgré tout. Elle a surtout beaucoup de choses en elle, de petits détails qui ne semblent pas en être, de questionnements qui restent à la fin et qui font sa force. Je pense qu'elle a de quoi marquer ses lecteurs, Tillie Walden étant une autrice assez unique dans le paysage de la BD actuelle. Il est difficile de recommander cette BD si atypique, mais si vous avez l'impression que c'est pour vous, alors foncez !