J'ai été très séduit par cette œuvre de SF (c'est rare). En effet j'ai trouvé la série de Guillaume Singelin originale, avec des thématiques fortes traitées avec justesse et un graphisme plaisant et dynamique.
Le scénario réussit à nous faire vivre dans des stations orbitales et sur des planètes colonisées avec le même bonheur. Cela produit deux ambiances qui s'équilibrent parfaitement : le confinement des stations et les grands espaces d'une vie planétaire.
J'ai été très impressionné par les détails très crédibles qui affectent le personnage d'Alex (perte de la masse osseuse et musculaire, troubles importants dans une atmosphère gravitationnelle.) On a l'impression de suivre le check up de Thomas Pesquet après son retour sur terre.
Le scénario commence de façon classique et un peu manichéenne avec des vilaines sociétés capitaliste avides de profit et quasi esclavagistes. Mais Singelin ne reste pas dans cette superficialité facile en montrant les responsabilités individuelles de ses héroïnes Park et Camina.
Cela conduit à des dialogues intelligents et un certain pragmatisme malgré une attirance pour l'utopie presque "peace and love". C'est finement construit avec des scènes de rappel à la réalité quand l'ambiance se bisounours un peu trop. Il n'y a aucun temp mort, les situations même prévisibles se renouvellent pour donne beaucoup de rythme au récit.
La narration scénaristique est très bien soutenue par le graphisme. J'ai admiré la précision et la multiplicité des détails dans les stations, les planètes.
L'idée des serres apporte un excellent contrepoint à l'univers métallique, confiné et surpeuplé des stations orbitales. La silhouette des personnages avec leurs petits pieds leur donne un look de danseuses/eurs de balais ce qui crée un fort dynamisme dans leurs gestuelles. Ce parti pris d'individu très semblables avec une forte connotation asiatique rend crédible un fort métissage et brassage d'une future humanité. C'est un point que je souligne souvent dans les SF qui savent sortir du schéma occidental pour les personnages principaux.
Un excellent moment de lecture qui m'invite à découvrir les autres œuvres de l'auteur.
Pour commencer son règne, mieux vaut être haï que méprisé.
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À la date de ce commentaire, le premier de ce diptyque est paru. Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Xavier Dorison pour le scénario, et par Timothée Montaigne pour les dessins, Clara Teissier pour la couleur. Il compte cent-vingt-huit pages de bandes dessinées. Il s'ouvre avec une introduction d'une page, rédigée par le scénariste, intitulée L'extinction de l'âme, phénomène décrit par Philippe Zimbardo, et évoquant la réalité historique du naufrage du Jakarta, comme cas d'école de l'arrêt complet de l'empathie d'un groupe d'humains associé à la suspension de leur jugement moral, avec pour conséquences immédiates sadisme et massacre. Viennent ensuite un plan en coupe du navire Jakarta sur deux pages, puis les routes maritimes sur un planisphère, et celle empruntée par le Jakarta.
Quelque part sur île déserte, une femme se tient face à la mer et regarde l'horizon. Un individu se fait la réflexion que celui qui lira ces mots apprendra bientôt à le mépriser et à le haïr. Il serait aisé pour lui de s'attribuer la phrase : Tous devront simplement être rayés de l'existence. Ce serait un tort car ces paroles sont celles du roi Agamemnon, plus noble citoyen de la plus noble des sociétés, patrie de la philosophie et du droit. Alors quand viendra l'envie de le juger, de lui cracher au visage ou de lui briser les os à coups de pierre, il faudra repenser à Agamemnon et se poser une question et une seule. Si le sage roi de Mycènes, héros de la guerre de Troie, est la mesure du bien, qui pourra être celle du mal ? Chapitre un : Seuls les désespérés. À Amsterdam en 1628, Francisco Pelsaert se présente devant le comité des directeurs de la VOC : Vereenigde Oost-Indische Compagnie, c'est-à-dire la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. le responsable de la séance évoque ses états de service et l'informe qu'ils l'ont nommé subrécargue du Jakarta, le tout dernier Returnsheppen de la compagnie. Outre le camée, ils emporteront aux Indes plus de trois cents mille florins en pièces et bijoux pour les négoces, un montant jamais embarqué par un navire de la VOC.
Le responsable du directoire continue : le navire doit appareiller cette nuit. Il indique le nom du capitaine ; Arian Jakob. Pelsaert le connaît de réputation : un ivrogne. le capitaine fait son entrée dans la pièce et salue les directeurs, tout en se plaçant aux côtés du subrécargue. le directeur indique ensuite l'identité du second : Jeronimus Cornelius. Un novice en matière de marine, mais un expert en épices, chaudement recommandé par plusieurs de leurs connaissances. Un homme d'une éducation et d'un savoir inégalés pour ce type de poste. Ils ont toute raison de penser que ce second surprendra Pelsaert et Jakob. le même soir, Wiebe Hayes va chercher dame Lucrétia Hans dans sa demeure. Elle doit faire le voyage sur le navire Jakarta pour rejoindre son époux. Elle emmène avec elle Hugger, son petit lémurien de compagnie. Ses malles sont prêtes et elle descend pour rejoindre le matelot venu la chercher. le carrosse l'emmène au port et passe lentement au milieu de la foule du peuple vaquant à ses occupations pour remplir les formalités d'embarquement.
Difficile d'échapper à la promotion de cette bande dessinée à sa sortie : un récit tiré d'une histoire vraie, un cas d'école d'individus asservis de leur propre volonté à une personne toxique, une soumission volontaire conduisant à une oppression systémique. En avançant dans le récit, le lecteur constate que c'est exactement ça, ni plus ni moins. L'artiste s'ingénie à réaliser une reconstitution historique avec application, presque de manière scolaire. Ça commence bien sûr avec la coupe du navire Jakarta, minutieuse et schématique, indiquant la localisation de onze éléments : cale, faux-pont, pont principal, pont, timonerie, cahute, cabine, cabine supérieure, gaillard d'arrière, dunette, gaillard d'avant, poulaine. Après l'introduction de quatre pages, le lecteur découvre une superbe vue plongeante sur la cour du bâtiment abritant le conseil des directeurs, avec une perspective impeccable. À l'intérieur, il peut admirer les boiseries, le parquet, les tentures. de même, chez les Hans, il peut admire les appartements de Lucrétia dans une vue du dessus en oblique. En page vingt-deux et vingt-trois, il découvre un dessin en double page, une vue massive du Jakarta à quai dans laquelle il ne manque ni une planche à la coque, ni un cordage aux mâts. Par la suite, il a tout le temps de se familiariser avec ce bâtiment, à la fois en vue générale depuis l'océan, à la fois sur le pont ou dans les cabines, toujours avec cette application pour le représenter en détail.
Le lecteur avance tranquillement, tourne les pages, et découvre ce à quoi il s'attend : des tenues vestimentaires avec ce qu'il faut de détails pour ne pas être génériques, mais sans non plus un niveau d'exécution incroyable, des accessoires exacts par rapport à l'époque, sans être d'une grande invention, quelques paysages naturels comme l'océan et ses divers états de calme ou d'agitation, ou encore une île avec de la verdure, sans qu'il ne soit possible d'identifier l'essence des arbres ou des plantes. le navire est bien mis en valeur, que ce soit des prises de vue sur le pont, ou vu de plus loin en train de voguer par temps clair et calme ou sous la pluie, avec quelques vues en élévation dans les cordages. le nombre de cases par page est régulièrement de huit, parfois un peu plus, parfois un peu moins. Les angles de vue sont variés, ainsi que les cadrages. Les cases se présentent sagement alignées en bande, parfois avec quelques-unes en insert, et de temps à autre, une disposition moins conventionnelle. L'intrigue progresse de manière linéaire, au rythme de l'avancée de l'expédition. Lucrétia devient le personnage principal, avec comme personnages secondaires le subrécargue Francisco Pelsaert, le second Jéronimus Cornélius, un peu moins fréquemment le capitaine Arian Jakob, et de plus en plus régulièrement Wiebe Hayes, le gabier de la première dunette. La tension monte tout aussi progressivement entre les marins, le capitaine, et les passagers de la grande cabine. le lecteur se laisse porter par cette chronique d'une catastrophe annoncée, tout en relevant facilement les éléments relatifs à la discipline, à la manière dont s'exerce l'autorité, et effectivement à la soumission passive des marins.
De temps à autre, une séquence s'avère plus intense : le premier grain, la première punition publique sur le pont, la mise à mort d'un cochon, un vol de mouettes, la capture d'un requin, les morts enveloppés dans des draps et jetés à la baille, etc. Certes, le lecteur ressent la sensation d'une lecture plan-plan : pas fade, mais avec un déroulement sur des rails, pas dépourvue d'âme, mais avec des personnages au caractère assez monolithique, pas sans surprise, mais au déroulé très mécanique, très programmé. Mais quand même… Les auteurs ne font pas semblant : leur narration semble s'en tenir à des points de passage attendus, et dans le même temps Dorison & Montaigne ne prennent jamais de raccourci. Ils réalisent tous les points de passage obligés, avec une forme particulièrement classique, presque académique. Mais quand même, le malaise gagne en intensité, de séquence en séquence.
Certes le dessinateur semble s'en tenir à des cadrages, des plans très sages, mais il ne triche jamais. Il n'utilise pas de raccourcis, il n'a pas recours aux trucs et astuces pour dessiner plus vite, et se maintenir juste au-dessus du minimum syndical. Il fait preuve d'une réelle diversité, peut-être pas originale, mais certainement pas pauvre non plus. Il n'y a pas grande imagination dans ce dessin en double page du Jakarta à quai, mais tous les détails attendus sont là sans exception. Il n'y a pas grande surprise dans le plan de prise de vue du premier châtiment corporel public, mais tous les matelots et tous les cordages sont scrupuleusement représentés. Il n'y a pas grande séduction chez Lucrétia Hans, mais son caractère est apparent dans ses postures, dans les expressions de son visage, dans ses mouvements, dans sa façon d'affronter l'humiliation de l'épouillage de sa coiffure en public, ou encore de son agression par les matelots. Il n'y a pas de réel romantisme chez Wiebe Hayes, mais il apparaît séducteur et touchant à sa manière. Il n'y a pas des vrais héros, mais il y a des êtres humains.
De la même manière, le scénariste n'est pas des plus subtiles, en particulier quand le subrécargue, ou le second, ou le capitaine expriment à haute voix leur conception de l'autorité, pour être sûr que le lecteur ne passe pas à côté de ce thème. Les matelots restent une masse d'individus quasi indifférenciés, sans personnalité, sans que le lecteur ne puisse envisager ce voyage avec leur point de vue de groupe, ou avec le point de vue de l'un d'eux. Mais le récit ne stagne pas dans un manichéisme basique. Chaque personne présente des qualités et des défauts, chaque personne se retrouve à jouer son rôle avec les règles imposées de cette société à cet endroit du monde, à cette époque. Chaque individu se heurte au fonctionnement systémique et doit fait preuve de courage pour prendre sur lui, pour subir, pour maintenir un lambeau de conviction morale malgré les règles qui s'imposent à lui. Rapidement, le lecteur accepte le fonctionnement de la narration parce que les auteurs sont entièrement investis et focalisés sur leur récit, sans finalement porter de jugement moral ou autre sur leurs personnages.
Dans un premier temps, le lecteur se retrouve déstabilisé car il prend fait et cause pour Lucrétia Hans qui se retrouve à voyager dans des conditions dégradées auxquelles elle n'est pas habituée, subissant la pression subliminale d'être une femme sous le regard d'un équipage masculin. En même temps, elle appartient à une classe privilégiée, n'ayant pas à travailler sur le navire, échappant pratiquement à l'autorité du capitaine, mais obligée de regarder un marin fouetté avec une garcette, une scène prouvant que l'implication des auteurs ne faiblit pas même lorsqu'il faut raconter et montrer ces atrocités. Puis vient la question de l'évacuation des urines et des excréments : à nouveau les auteurs exposent les faits, sans rien édulcorer ou dramatiser. En page cinquante-trois, le temps d'une unique case de la largeur de la page, le lecteur découvre ce qu'il advient des marins dont la santé a failli sous le labeur et les conditions de vie : pas de dramatisation romanesque, du factuel, encore plus implacable.
Raconter le naufrage d'un des plus grands navires d'une compagnie maritime de commerce, et recréer les conditions de vie des marins : les auteurs s'y appliquent sans beaucoup de panache, en appuyant le thème qu'ils explorent. Certes, mais ils le font avec consistance, sans céder à la facilité, sans changer de cap, avec une honnêteté et une constance remarquables. Rapidement le lecteur se laisse prendre pas cette narration visuelle détaillée et variée, par ces scènes prosaïques bien construites. Il se retrouve à son tour prisonnier du mode de fonctionnement d'une société, dictant leur conduite à chacun, sans laisser de latitude à l'empathie, à l'entraide, à la solidarité, un comble pour des individus vivant à bord du même navire.
Deuxième partie du diptyque entamé avec Deep Me, « Deep It » continue brillamment sur cette lancée. Cette fois, la couverture est totalement blanche, et comme l’opus précédent tout en noir, les mentions du titre, de l’auteur ou du résumé en quatrième de couverture se distinguent à peine. Une approche culottée qui n’aura assurément pas joué en faveur de sa visibilité, ce qui peut expliquer le peu de retombées lors de sa publication (du moins c’est mon ressenti), et c’est tout à fait dommage, car le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ouvrage est audacieux (comme à peu près toutes les parutions de l’auteur) ! Ceux qui en principe ne se seront pas arrêtés à la loi des apparences — et d’autres peut-être qui auront été intrigués — sont vraisemblablement les inconditionnels de Marc-Antoine Mathieu.
C’est ainsi que l’on retrouve ici le narrateur du premier volume, « Adam », entité « post-humaine », sorte d’ « élu » vainqueur d’un jeu de réalité virtuelle après avoir survécu aux situations les plus critiques. Assemblage complexe édifié à l’aide de programmes d’intelligence artificielle, Adam a été conçu pour survivre à une apocalypse prévisible. Et désormais, si le Grand Deuil a bel et bien eu lieu, Adam se retrouve confronté à la solitude et à sa propre immortalité, n’ayant comme seul interlocuteur qu’un auxiliaire relationnel, « embarqué » tout comme lui dans cette capsule errant dans les abysses d’un monde où toute vie a disparu.
Le découpage narratif consiste en une succession de veilles numérotées, où notre entité immortelle, en attendant de distinguer la lueur hypothétique d’une vie émergente, ne dort « que d’un œil » entre chaque mise à jour et se livre à diverses réflexions métaphysiques de haut vol. A titre d’exemples : comment survivre à l’infinitude et quelles sont les raisons de son statut d’ « élu ultime » ; où se situe sa condition véritable (entre l’objet fabriqué et l’humain doté d’une conscience) ; et tout autant de questionnements sur ce qui fait notre humanité, sur le temps, la mort et la vie…
Une fois encore, Marc-Antoine Mathieu nous époustoufle en nous embarquant dans ses réflexions philosophiques auxquelles il ne fournit guère de réponse. Mais il alimente avec bonheur notre méditation dans ce qu’on pourrait qualifier de sublime et vertigineux voyage vers des espaces insondés où l’intelligence artificielle, qui est devenue une nouvelle réalité de notre époque, constitue le cœur du propos. Et l’humour n’est pas en reste, l’auteur disséminant ses saillies subtiles dont il s’est montré coutumier à travers sa production.
Réalisant une synthèse parfaite entre la philosophie, la science et la poésie, l’auteur nous propose une œuvre qui, si elle pourra en effaroucher certains par son contenu et son abstraction apparente, reste extrêmement humaine. A qui d’autre que nous-mêmes et notre âme s’adresse la voix off d’Adam, qui se fait en quelque sorte notre confident ? Le sort et la solitude éternelle à laquelle il est condamné, quand bien même il est le résultat d’un programme d’IA, ne peut manquer de nous émouvoir si tant est que l’on est doté d’empathie. Car en effet, Adam bénéficie bel et bien d’une conscience.
Comme dans la première partie, le défi pouvait consister à allier philosophie et graphisme dans un format (la bande dessinée) où le visuel représente une part incontournable. Et de ce point de vue, c’est totalement réussi. MAM nous offre un dessin tout à fait remarquable qui constitue la partie poétique du livre. Son utilisation du noir et blanc ne fait que confirmer, si besoin était, sa maîtrise totale. Un parti pris graphique dans lequel il excelle depuis ses débuts et qui n’a cessé de s’affiner au fil des années. Il suffit pour s’en convaincre d’admirer les cases où sur fond noir, l’artiste recourt au pointillisme pour faire apparaître formes et visages, nous plongeant en une sorte d’apesanteur spirituelle.
Lu les 9 tomes en deux jours, j'ai adoré. Gruizzli a parfaitement exprimé ce que je ressens après cette lecture, et bien plus encore. Je m'attendais à une lecture légère et amusante avec ce côté fantastique de l'échange des corps. Mais l'auteur a surpassé toutes mes attentes créant un véritable petit chef-d'œuvre, original et bien plus touchant que ce que j'imaginais.
Un beau dessin et contrairement à d'autres mangas, j'ai trouvé les expressions des visages magnifiques, chaque mimique transmet parfaitement l'émotion voulue.
4.5, et je vais suivre Gruizzli en lui attribuant la note maximale car c'est amplement mérité.
Une histoire touchante en seulement 9 tomes (les pages se lisent vite) qui ne s'étire jamais inutilement, captivant du début à la fin avec une conclusion parfaitement réussie.
Profession de foi
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Ce tome est paru d'un seul tenant, sans prépublication, initialement en 1976, écrit et dessiné par Jack Kirby, qui en a également assuré la direction éditoriale. Il est composé de cinq chapitres encrés successivement par Barry Windsor Smith pour le 1, Herb Trimpe pour les 2 & 3, Trimpe & John Romita senior pour le 4, Trimpe pour le 5. Il se termine avec 5 pin-ups de Captain America dessinés par Kirby et encrés par Romita.
En pénétrant dans la pièce, Captain America se demande encore pourquoi il a accepté l'invitation de Mister Buda. Celui-ci se tient en position du lotus dans une sorte de cage pyramidale dorée avec des parois vitrées, semblant être en transe. Captain America sursaute, pris par surprise par l'irruption de la forme astrale de Buda. Celle-ci lui adresse la parole, lui souhaitant la bienvenue dans son humble demeure. Buda ouvre les yeux et déclare que son voyage est achevé et que ça fait du bien d'être de retour. Il ouvre la porte de la pyramide et s'en extrait, supposant que son interlocuteur n'a jamais vu de pyramide d'énergie, un dispositif vital pour faciliter le processus de projection astrale. le capitaine reconnaît que c'est un tour de première, et que s'il s'agit d'un tour d'hypnotisme, il est particulièrement maîtrisé. Buda se présente : il est un maître dans l'art de la sorcellerie. Dans son pays, il a atteint le même niveau de renommée que le capitaine dans le sien. Il apprend aux gens à croire, et ainsi à comprendre tout le temps et l'espace. Les portes de l'éternité s'ouvrent en grand. Il est possible de contempler les choses avec un œil universel. Ainsi Captain America pourrait contempler le symbole de son pays comme il ne l'a jamais vu.
Le superhéros explique que son devoir est de servir sa patrie, son destin est dédié à ce boulot. Il tourne les talons et commence à partir. Dans son dos, Buda effectue des gestes qui créent un pli dans l'espace, dans lequel son hôte entre sans même s'en rendre compte. Captain America se retrouve dans une construction labyrinthique inextricable aux formes géométriques. Il comprend qu'il ne peut qu'aller de l'avant, et finit par chuter dans une trappe. Il se retrouve dans un grand hall avec une grande tenture portant une croix gammée. Il s'avance discrètement pour ne pas se faire remarquer du garde. Un autre soldat tombe nez à nez avec lui, Catpain America profite de sa surprise pour l'estourbir sans bruit. Il continue d'avancer et aboutit dans une pièce où deux officiers nazis maltraitent un prisonnier ligoté sur une chaise, sous les yeux d'un autre, tous lui tournant le dos. Ayant senti la présence de l'intrus, ils se retournent d'un coup, et Captain America reconnaît Adolf Hitler. Il fait quelques pas dans la pièce et sent quelqu'un l'attaquer par derrière. Il se retourne d'un mouvement vif et l'assomme d'un coup de bouclier. Les officiers ouvrent le feu. Il lance son bouclier.
Le personnage de Captain America a été créé en 1941, par Joe Simon & Jack Kirby, et publié par l'éditeur Timely Comics qui deviendra des décennies plus tard Marvel Comics. Ses aventures ont été publiées jusqu'en 1949. Il est revenu pour quelques aventures en 1953/1954, puis a disparu des étals. Il est revenu pour de bon en 1964, dans le numéro 4 de la série Avengers, par Jack Kirby & Stan Lee pour devenir un des superhéros les populaires de l'univers partagé Marvel. Ayant cocréé de nombreux superhéros Marvel en 1961, Jack Kirby décide d'aller travailler pour DC Comics de 1971 à 1975, puis de revenir travailler pour Marvel sur les séries Eternals, Devil Dinosaur, Machine Man, Black Panther, 2001. Il revient également à la série Captain America dont il réalise, scénario & dessins, les épisodes 193 à 214, et numéros annuels 3 & 4, ainsi que le présent numéro spécial réalisé à l'occasion du bicentenaire des États-Unis, tous regroupés dans Captain America by Jack Kirby Omnibus . C'est donc un retour en demi-teinte pour ce créateur hors norme, déçu par les pratiques éditoriales de DC Comics, obligé de revenir dans l'entreprise dont il avait claqué la porte, mais disposant d'un contrat où il est son propre responsable éditorial sur la série Captain America, personnage qu'il a cocréé plus de trente ans auparavant, et dont il n'a jamais détenu les droits de propriété intellectuelle, sur lequel il ne touche aucun pourcentage.
À l'occasion du bicentenaire de la déclaration d'indépendance, il réalise ce numéro aux dimensions hors norme (à peu près la taille de deux fois celle d'un comics ordinaire) au cours duquel Captain America se retrouve projeté à différents moments de l'histoire du pays, dans des situations critiques, à rencontrer des Américains, Mister Buda lui promettant qu'il acquerra ainsi une meilleure compréhension de sa patrie. Fort logiquement (?), pour commencer, le superhéros se retrouve en Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale, face au Führer en personne, ce qui lui permet de retrouver Bucky, et de se battre contre des soldats. le lecteur retrouve les caractéristiques habituelles des dessins de l'artiste : des personnages en mouvement, courant, bondissant, frappant, des mains tendues vers le lecteur, des personnages en gros plan regardant le lecteur, des découpages de page souvent sages en 3 bandes de 2 cases de même dimension, ou 2 bandes de 2 cases de dimensions identiques. Captain America dispose d'un corps d'athlète musclé et parfait. Il ne quitte jamais son costume de superhéros, pas même son masque. Les reconstitutions historiques amalgament des éléments d'époque avec une bonne dose de licence artistique, pour un résultat tour à tour saisissant de naturel, édulcoré et quelque peu naïf, voire parfois en carton-pâte. le lecteur ne doit donc pas s'attendre à une reconstitution historique rigoureuse et académique : uniformes de l'armée allemande plus esthétiques qu'authentiques, rues de Philadelphie en 1776 pour un décor plus mythologique que réaliste, évocation romancée des mauvais quartiers de New York dans les années 1930, mise en scène très théâtrale de Geronimo, biplan de la première guerre mondiale revu et corrigé pour une esthétique plus dynamique, sans oublier un magnifique numéro musical pour un film hollywoodien.
Cette histoire se lit donc comme une histoire pour enfant, avec des dessins percutants. Captain America passe d'époque en époque au gré de la fantaisie du sigil imprimé sur son gant. D'ailleurs, le lecteur finit par se demander pour quelle raison le héros n'enlève pas tout simplement ce gant pour se débarrasser de ce signe cabalistique. Les différents lieux sont à la fois simples pour être assimilés au premier coup d'œil, et évocateurs grâce à quelques détails bien choisis dans l'inconscient collectif américain. Les éléments historiques sont faciles à identifier pour un Américain : Benjamin Franklin (1706-1790), Betsy Ross (1752-1836, supposée avoir cousu le premier drapeau américain), John L. Sullivan (1858-1918, célèbre boxeur), John Brown (1800-1859, abolitionniste), Geronimo (1829-1909). le héros surmonte les épreuves grâce à son courage, sa force, la solidité de ses valeurs morales, et sa foi dans sa patrie. le héros finit par pousser son guide dans ses derniers retranchements, et par énoncer clairement l'esprit qui caractérise les États-Unis, ce qui en fait une nation forte et puissante.
Dans le même temps, le lecteur adulte prend plaisir aux caractéristiques de la narration visuelle de Jack Kirby : le dynamisme et la puissance des personnages, leur dignité, l'énergie incroyable qui se dégage des pages, des situations. Il se dit également, qu'étant son propre responsable éditorial, le créateur a disposé d'une réelle latitude pour construire son histoire comme il l'entendait. Il perçoit la voix de l'auteur lorsque Captain America se trouve à discuter avec le chef indien Geronimo (sans barrière de langue bien sûr), et que la cavalerie commence à charger. le déroulement indique que Kirby estime que les indiens appartiennent au peuple américain comme tous les autres citoyens, et qu'il condamne la persécution dont ils ont fait l'objet. La même prise de position se retrouve avec la persécution des afro-américains. Il semble naturel d'attribuer ces valeurs à l'auteur ainsi que celles qui se dégagent des autres séquences. En fin de récit, le lecteur peut découvrir le credo de Jack Kirby concernant son pays : des individus qui essayent de réussir, la conviction qu'il est possible de devenir assez fort et assez intelligent pour surmonter des problèmes harassants. C'est l'Amérique : un pays de confiance obstinée, où les jeunes et les vieux peuvent espérer, et traverser les déceptions, le désespoir, et le fardeau des événements avec l'espoir de pouvoir donner du sens à la vie. S'il s'est déjà intéressé à la vie de l'auteur, il se rend compte que ces valeurs ne sont pas de circonstance pour le bicentenaire, mais qu'elles correspondent bien aux siennes, celles qu'il a mises en œuvre toute sa vie durant. de ce point de vue, il s'agit bien d'une œuvre d'auteur, assez intime qui plus est.
Une histoire de circonstance pour fêter le bicentenaire de la Déclaration d'Indépendance, avec un héros s'habillant littéralement avec le drapeau des États-Unis. Un récit parfois naïf avec un superhéros bon et valeureux qui sait cogner, à destination d'un public d'enfants. Une profession foi de l'auteur sur la façon dont il conçoit sa patrie, avec ses défauts, et les valeurs morales d'un citoyen, qui doivent guider son comportement dans la vie, et qu'il a mises en application à titre personnel.
L'éducation est l'arme la puissante pour changer le monde. – Nelson Mandela
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2023. Il a été réalisé par Lax (Christian Lacroix), pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte cent-quarante-quatre pages de bandes dessinées. Il se termine avec une postface de deux pages, rédigée par Pascal Ory, de l'Académie française. Dans celle-ci, il commence par évoquer la célèbre maxime d'Héraclite : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Il reprend les principales phases de l'intrigue en commentant sous l'angle de la vocation de l'instituteur, en consacrant la seconde moitié de son texte au paradoxe de l'école, à la fois métonymie d'une crise plus générale, à la fois lieu où cette crise pourrait trouver sa résolution. Il développe ensuite la force narrative des planches de cette bande dessinée, pour conclure sur le sens à donner au dénouement tragique du récit.
Col de la Rousse, novembre 1833. C'est par là que les colporteurs passent d'Ubaye en Durance, malgré la neige qui recouvre la trace avec obstination. Fortuné Chabert n'est pas un colporteur comme les autres. Les trois plumes d'oie glissée dans la ganse de son chapeau en sont l'attestation. Il est colporteur en écriture, autrement dit instituteur itinérant. Il transporte son savoir de village en village. Et principalement pendant les longs mois d'hiver, quand les enfants ne sont pas assujettis aux travaux des champs. Et s'il a trois plumes, Fortuné, c'est que son savoir est triple. Il n'a que dix-sept ans mais il peut enseigner lecture, écriture et chiffres. Nombre de ses collègues n'ont pas la chiffre, n'arborant que les deux plumes de l'écriture et de la lecture. Dans chaque hameau, les parents fournissent gîte, couvert et salle de classe. Les frais d'écolage sont rétribués modestement, à hauteur de cent francs maximum. Familles et fondations pieuses y pourvoient.
Fortuné Chabert progresse lentement dans la neige et il croise Seyoz, un marchand ambulant, roi de la mercerie comme il le surnomme. Seyoz se rend au Lauzet d'Ubaye et souhaite connaître l'état du col pour le passer. Fortuné lui répond, et indique qu'il est attendu au hameau des Guions, au-dessus de Saint Crépin. Les deux voyageurs se saluent et poursuivent leur chemin chacun de leur côté. L'instituteur itinérant finit par arriver aux maisons du hameau et plusieurs enfants se dirigent à sa rencontre en courant. La classe peut commencer. Dans la journée, le curé vient le trouver : il indique qu'il a appris que Fortuné garde une fille en leçon de calcul. Il ajoute que c'est lui qui décide de ce qui est nuisible ou pas pour ses paroissiens. En réponse à une remarque de l'instituteur, il ajoute que du moment que les filles savent leur catéchisme, ça suffit, catéchisme sur lequel Fortuné ne s'attarde pas outre mesure, d'ailleurs. Mais le curé se félicite que Chabert ne va pas sévir bien longtemps. Il lui demande s'il a attendu parler des lois Guizot.
Le texte de quatrième de couverture annonce le programme : des Alpes françaises aux montagnes d'Afghanistan, du XIXe siècle à nos jours, l'école a toujours été martyrisée par les obscurantistes de toute obédience. En effet, le récit commence dans les Alpes françaises au XIXe siècle, pour se continuer aux États-Unis en suivant le personnage principal qui décide d'émigrer, et la seconde partie du récit se déroule au XXe siècle en suivant Arizona Florès, arrière-arrière-petite-fille de Fortuné Chabert, travaillant comme journaliste aux États-Unis et allant effectuer un reportage en Afghanistan, le passage de l'un à l'autre personnage s'effectuant en page cinquante-neuf. le premier apparaît au lecteur alors qu'il est un instituteur itinérant, la seconde exerce la profession de journaliste. L'un et l'autre sont liés par les liens du sang en descendance directe, ainsi que par l'université des chèvres, fondée par Fortuné Chabert, et dont la pancarte subsiste dans la propriété des parents d'Arizona Florès. L'un a exercé le métier d'instituteur et de professeur à deux reprises dans sa vie ; l'autre constate l'hostilité contre le lieu d'apprentissage qu'est l'école, sous deux formes très différentes, avec des pressions exercées par deux types de fondamentalistes de nature opposée.
La narration débute avec une très belle illustration en pleine page, majoritairement blanche pour rendre compte de la neige, avec juste la minuscule silhouette de Fortuné Chabert qui progresse laborieusement, la silhouette de deux rochers, et celle d'un flanc de montagne sur la droite. Vient ensuite une illustration en double page mettant en évidence la fragilité de la silhouette de l'homme qui s'appuie sur un solide bâton, et l'immensité des montagnes enneigées en premier plan et en arrière-plan, rendant dérisoire et insignifiante cette unique présence humaine. le blanc s'impose encore dans les deux pages suivantes, avant d'être progressivement habité et supplanté par l'activité des enfants et les solides constructions humaines en pierre. le lecteur apprécie également la qualité de la reconstitution historique, en plus de l'immersion hivernale dans les Alpes : les tenues vestimentaires, les maisons de pierre, l'équipement de l‘instituteur, les ardoises des enfants, sa mule et son chargement de livres quand il devient libraire ambulant à l'été. Puis, Fortuné Chabert décide de partir pour le nouveau monde, et le lecteur prend tout autant son temps pour admirer le paysage et la reconstitution historique : les montagnes de Californie et ses ruisseaux (peut-être) aurifères, le déplacement d'une colonne de chariots en territoire indien avec une lumière caractéristique de ces déserts montagneux, la communauté de Hopis avec leurs tenues et leurs outils agraires, et même un pensionnat dans une ville de colons, destinés à accueillir de jeunes Indiens pour les éduquer.
Dans la seconde partie du récit, le plaisir du voyage se trouve multiplié par deux : la petite ville dans la banlieue de Phoenix en Arizona, ploucs compris, et les différentes régions dans lesquelles le reportage emmène Arizona Florès en Afghanistan. le lecteur passe ainsi du siège social du journal Phoenix Post avec son bel immeuble moderne, à la province désertique de Nimroz, terre frontière avec l'Iran et le Pakistan, en passant par l'école de Tommy le fils d'Arizona, ou le tunnel routier de Salang (2.700m de longueur), passant sous le col de Salang, reliant la capitale Kaboul et le nord du pays. L'artiste sait donner à voir ces endroits d'une manière pragmatique et banal, reflétant leur caractère ordinaire pour ceux qui y habitent, à l'opposé d'une vision touristique tournée vers le spectacle, mais sans minimiser ou gommer leurs singularités, leur personnalité façonnée par les caractéristiques géographiques ou historiques. Lax dessine dans un registre naturaliste, sans chercher un niveau de détail photographique, plutôt en dosant la densité d'informations visuelles en fonction de la séquence : plus de précisions dans les décors pour permettre au lecteur de s'y projeter, ou bien une impression générale pour refléter une ambiance, un état d'esprit, des visages et des tenues vestimentaires détaillées pour pouvoir faire connaissance avec ces personnes et comprendre leurs conditions de vie, ou au contraire juste des silhouettes plus ou moins mangées par l'ombre.
Le lecteur suit donc avec le plus grand naturel, ce jeune homme qui se déplace de hameau en hameau pour enseigner lecture, écriture et calcul d'abord dans les Alpes françaises, puis de manière sédentaire dans un village hopi. Il accompagne ensuite Arizona Florès en Afghanistan, prise en charge par son fixeur Sanjar dès son arrivée à l'aéroport, puis de rencontre en rencontre. L'auteur commence par montrer comment l'instruction remet en cause des traditions peu accommodantes craignant toute forme de questionnement, puis comment ce même savoir est accueilli à bras ouvert dans une autre communauté qui sait le faire coexister avec sa culture et ses croyances. Au vingt-et-unième siècle, l'école provoque les mêmes réactions : un rejet de ce qui remet en cause des valeurs fondamentales d'une communauté, aussi bien aux États-Unis qu'en Afghanistan, une avidité d'apprendre, d'acquérir des outils qui permettent de comprendre. Lax ne fait que mettre en scène des faits historiques (les terrifiantes écoles pour (ré)éduquer les Indiens), la résistance de certains curés qui craignaient la remise en cause de traditions séculaires (à commencer par la place de la femme dans la société). Au vingt-et-unième siècle, c'est du pareil au pire : les ultraconservateurs qui récusent une partie de la science, ou les intégristes religieux qui ne peuvent pas tolérer quelque questionnement que ce soit sur le dogme (en particulier, encore une fois, la place et le rôle de la femme dans la société), c'est-à-dire la réalité de la similarité de certains comportements aussi bien dans les États-Unis de Donald Trump que dans l'Afghanistan des Talibans.
Une école sanctuarisée qui émancipe et qui libère : ce récit met en scène cet enjeu essentiel de chaque société, au travers du parcours d'un instituteur itinérant, puis d'une journaliste, dans quatre sociétés différentes, plus ou moins tolérantes, plus ou moins réfractaires ou enclines à instrumentaliser l'éducation en la biaisant. La narration visuelle atteint un tel niveau de maitrise qu'elle semble secondaire, presque inconséquente, alors qu'elle assure une narration d'une qualité extraordinaire, sans jamais paraître ostentatoire.
Il va être difficile pour moi de rester un minimum rationnel et objectif dans mon propos tant j'ai vraiment adoré cette BD !
Globalement, je trouve que ce que fait Emmanuel Lepage est toujours, ou presque, de qualité. Il nous a habitué depuis quelques temps déjà à faire des sortes de reportages / documentaires / carnets de voyage (ou tout cela à la fois) dans ses précédentes productions, on pense à Voyage aux îles de la Désolation, et surtout à Un printemps à Tchernobyl (je dois avouer ne pas avoir encore lu 'La lune est blanche', ni Ar-Men ), mais là, c'est autre chose, on est bien au-delà de ça. Un vrai scénar, pour une vraie BD !
Sur un plan graphique, on retrouve toujours ce superbe travail, ce dessin, en particulier de bateaux et de la mer qui accompagne (ou donne naissance ?) au souffle épique qui traverse tout l'ouvrage.
Sur le fond, c'est fin, c'est intelligent, c'est bien senti, le lecteur plonge dans cette histoire avec plaisir, délectation, et soif de connaissances. Un vrai beau voyage dans, et devant, la BD en somme !
Si vous lisez ce petit avis en vous demandant si la BD vaut le coup d'être achetée, franchement, n'hésitez pas un seul instant, c'est beau et atypique, il serait plus qu'étonnant que cela vous laisse indifférent(e).
Peut-être dans mon top 10, ou top 15, tous styles confondus. C'est dire.... !
Bref, ne tournons pas autour du pot : chef-d'oeuvre !
La haine se répand comme la peste, mais elle attaque l’âme, pas le corps.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s’inscrit dans un cycle thématique des auteurs, commencé avec Vincent - Un saint au temps des mousquetaires (2016). Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s’ouvre avec une introduction d’une page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque la réputation de Charles de Foucault, ainsi que la tentation qui fut la sienne dans le désert algérien. Il conclut avec ces phrases : Car l’autre, le frère d’en face, n’est qu’un enrichissement de notre moi. Il dédie ensuite cet ouvrage à ses amis musulmans, à ses amis juifs. Il y a une table où il partagera le pain et le vin avec eux. Vœu pieu ? Ainsi vont ses croyances, en tout cas.
I. Temps des extravagances. En France, dans la petite commune de Pont-à-Mousson, en 1880. La fête bat son plein, avec un bal organisé par l'école spéciale militaire de Saint-Cyr. Philippe Pétain demande à trois officiers s’ils savent où se trouve Charles, car il le cherche depuis une demi-heure. L’un d’eux répond qu’il est entré à l’intérieur, avec la petite Joséphine Gillain. Pétain se dit qu’il ne devrait pas le déranger, mais le Dom Pérignon manque, à rendre la situation intenable. Dans le grand salon, la jeune femme demande à Charles pour quelle raison, il ne veut pas d’elle. Elle l’aime, que doit-elle faire pour l’en convaincre ? Il lui répond qu’il ne connaît pas personne plus adorable, plus exquise qu’elle, mais il ne pourrait que la décevoir. Là où elle ne met que de la vie, de la gaieté, de la beauté, lui ne ressent que de la lassitude. Il se sent vide, sans consistance, comme ces épouvantails qui grincent au vent. Les convenances n’encombrent guère la vie qu’il mène, et il lui arrive parfois de le regretter.
Charles de Foucauld décide de partir de la fête et il enlève sa veste. Le régisseur le prend pour un assistant de cuisine et le charge de tâches de manutention. Il s’en acquitte, puis décide de suivre une jeune chanteuse juive dont le régisseur vient de refuser l’offre de service. II. Vipère à cornes. Dans le désert proche de Tamanrasset en Algérie, en 1916. Un groupe de bédouins montant des dromadaires s’arrêtent en découvrant un homme couché sur le sol, le visage tourné vers le sable. L’un d’eux descend de sa monture en dégainant son épée. Il tranche en deux la vipère à cornes qui vient de mordre Charles de Foucauld. Kaocen, de la tribu des Ikaskazen, demande à Saïd, de ramener le marabout au fortin. Le soir, Saïd a brûlé la plaie au fer rouge, mais le blessé ne réagit pas. Kaocen lui ordonne de lui brûler la plante des pieds : il réagira. Effectivement, Charles pousse un cri de douleur. Kaocen ordonne qu’on lui apporte du lait de chèvre, même si un de ses hommes lui répond qu’il ne comprend pas pour quelle raison sauver cet homme, vu que c’est un Français. Pendant plusieurs jours, la vie de Charles de Foucauld, le marabout, ne tient qu’à un fil.
Avec Vincent de Paul (1581-1660), les auteurs mettaient en scène un homme pieux dans une enquête qui lui faisait rencontrer des individus de tout horizon social, et le montrait pratiquer sa Foi au quotidien. Avec ce deuxième tome consacré à un saint homme, ils s’aventurent un peu plus loin en mettant en scène la tentation dans le désert, celle de l’orgueil. Dans l’introduction, le scénariste prévient que l’ouvrage ne constitue ni une biographie, ni une hagiographie de Charles de Foucauld (1858-1916), mais quelques moments de la vie d’un homme, pas d’un saint, la marche vers la lumière, le dépouillement. Il précise également qu’il y a eu plusieurs Foucauld, comme il y a eu plusieurs Philippe Pétain, et que le premier est parvenu à dépasser certains stéréotypes colonialistes de son époque, pour devenir un défricheur, un frère universel. Après s’être ainsi justifié, il commence son récit en rappelant ce lien entre Foucauld et Pétain, avec la scène introductive en 1880 : voici d’où vient le religieux, il fut un officier de cavalerie de l'armée française, il est sorti de Saint Cyr. C’est un homme de son époque. Après cette scène de six pages, le récit passe en 1916, pour les derniers jours de la vie de Charles de Foucauld, et sa tentation dans le désert.
Comme pour le premier tome, la narration visuelle appartient au registre descriptif et réaliste. Pour la scène introductive, Martin Jamar nage dans son élément : une reconstitution historique dans avec uniformes, belles toilettes de soirée pour les dames, un magnifique bâtiment, etc. C’est un vrai plaisir pour le lecteur de pouvoir ainsi se projeter dans ces lieux, de suivre Pétain passer du bal en extérieur à l’atmosphère plus feutrée à l’intérieur, de prendre le temps de regarder la multitude de détails : les violons, les boutons d’uniforme, les décorations florales, le modèle des verres en cristal, les cageots de légumes, les plans de travail en cuisine, etc. Puis vient le temps du désert, des bédouins, de fort Motylinski, situé à Taghaouhaout, à cinquante kilomètres environ à l'est de Tamanrasset. En fin de tome, l’artiste remercie deux membres de sa famille pour leurs photographies d’Algérie qui l’ont aidé plus qu’ils ne le pensent. Beaucoup de sable à perte de vue, de ciel bleu et quelques dunes, mais pas seulement. Le dessinateur se montre tout autant investi dans la représentation des costumes, des harnachements des dromadaires et des selles avec leur tapis, des armes et bien sûr des sandales. Il représente avec le même souci du détail authentique les constructions et le fort Motylinski, ou encore la tente de la Damassine et le festin qui s’y déroule. Le lecteur sait qu’il regarde des visuels fiables sur le plan historique. Il observe des êtres humains normaux en train d’interagir. Il peut croire pleinement et sans réserve à ce qui lui est montré.
Ces dernières semaines de la vie de Charles de Foucauld ne se limitent pas à une sortie dans le désert pour se confronter à la tentation de l’orgueil, à l’instar des quarante jours passés dans le désert par Jésus où il fut soumis à la tentation par le Diable. La vie de ce religieux s’inscrit dans un contexte historique : celui de confrontations entre tribus du désert, de la colonisation, de la cohabitation entre les Algériens et les blancs. La vie de cet homme est tributaire de la réalité géopolitique. Dans l’introduction, le scénariste indique qu’il a choisi de montrer un homme qui est parvenu à dépasser les stéréotypes de son époque : Charles de Foucauld parvient à mettre en œuvre la charité telle qu’elle est définie dans la théologie chrétienne, c’est-à-dire l'amour de l'homme envers son prochain en tant que créature de Dieu. Comme pour le tome consacré à Vincent de Paul, les auteurs ne font pas acte de prosélytisme, ils ne cherchent pas à convertir qui que ce soit. Ils souhaitent montrer un homme de Foi vivant conformément aux préceptes moraux de sa Foi, sans le dissocier de sa croyance. Ainsi, une fois passée la scène introductive à Pont-à-Mousson, Charles de Foucauld porte la bure blanche ornée du cœur surmonté de la croix. Il se livre à la prière à deux ou trois reprises. Il fait preuve de tolérance, de refus de combattre, d’acceptation des conséquences de s’en remettre à Dieu, d’amour envers son prochain quelles que soient son origine et ses croyances. Par ailleurs, lors d’une discussion avec Elizabeth Archer journaliste au San Francisco Chronicle, la discussion revient sur son parcours : cartes des pistes au Maroc (de par ses études et son investissement, il a étendu de plus de 2.250 kilomètres les itinéraires connus dans le pays), commentaires de poèmes touareg, éléments de grammaire sur le Coran, notes sur Les élévations sur les mystères, de Bossuet, dictionnaire français-touareg, etc. Ce à quoi, de Foucauld répond qu’on ne peut pas aimer son prochain sans le comprendre.
Le lecteur perçoit donc d’abord Charles de Foucauld comme un officier, puis comme un moine itinérant dans une région désertique de l’Algérie colonisée, étant la proie de guerres entre tribus, et parfois contre la présence française. Puis, il le voit accepter le dialogue avec tout le monde, officiers de l’armée française, comme bédouins. Ce n’est qu’ensuite qu’il perçoit la tentation qui donne son nom au titre du récit. En réponse à une remarque de la journaliste, il répond qu’il reste une proie pour l’ombre, l’ombre qui danse, qui invite l’individu à la rejoindre, une ombre prête à l’engloutir. L’ombre des facilités, des leurres, de l’orgueil de la lumière fausse, une ombre qu’il doit affronter. Il décide alors de s’éloigner, de s’avancer dans le désert pour se confronter à des convictions qu’il ne peut pas maîtriser. Le voilà confronté à un mirage, ou à des hallucinations dans une scène de quatre pages, planches trente-et-un à trente-quatre, entre manifestation de l’inconscient et expérience mystique, les auteurs laissant le choix de l’interprétation au lecteur. D’un côté, celui-ci peut n’y voir qu’élucubrations induites par une forme d’auto-persuasion, ou un moment de grâce divine. Dans un cas comme dans l’autre, ce moment participe à décrire un individu animé par une Foi qui connaît le doute, et par voie de conséquence la remise en question, et ayant un comportement guidé par des valeurs morales admirables. Pour la deuxième fois, les auteurs ont réussi leur pari : mettre en scène un croyant digne d’admiration qu’on partage sa Foi ou non.
Mettre en scène la vie d’un saint homme, ou même une partie de sa vie, voilà une gageure singulière, la proposition d’un récit générant des a priori irrépressibles, et les critiques qui vont avec, avant même d’avoir lu la première page. Comme d’habitude, le sérieux et la solidité de la narration visuelle de Martin Jamar désamorcent toute forme de moquerie ou de mépris, attestant de l’investissement d’un professionnel de très haut niveau. Ensuite, l’investissement de Jean Dufaux est indéniable : il a fait le choix de réaliser ce récit qui a de l’importance pour lui. Il s’en suit une lecture qui sort de l’ordinaire, qui ose mettre en scène un homme religieux, sans questionner le dogme qu’il vénère et ses pratiques, la réalité des actions guidées par une Foi, un être humain qui mérite le respect quelles que soient les convictions du lecteur.
Que faire de ma vie ?
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Ce tome regroupe les épisodes 51 à 55 de la série de Daredevil débutée en 1998. Il vaut mieux avoir lu Tranche de vide avant.
Maya Lopez est sourde. Elle a revêtu pendant une courte période un costume et porté le nom d'Echo. Wilson Fisk l'avait envoyé se battre contre Daredevil et elle était tombé amoureuse de Matt Murdock. Avec ce tome, David Mack revient au personnage pour une histoire complète qu'il écrit et illustre.
Sous la forme d'une introspection, Maya Lopez cherche sa voie. Elle se souvient de son père, des histoires qu'il lui racontait grâce au langage des signes quand elle était encore enfant. Elle se rappelle du temps qu'il a fallu pour que son entourage se rende compte qu'elle était sourde, et non pas attardé. Elle se remémore sa découverte des œuvres d'art picturales et du sens qu'elle leur a accordé. Elle repense à la manière dont sa surdité innée a façonné sa vision et sa compréhension du monde et de la question qu'elle se posait sur le son provoqué par les nuages ou par la queue d'un chien en train de remuer.
En fait Maya Lopez est à un moment de sa vie où elle ne sait plus que faire. Sa liaison avec Matt Murdock est arrivée à son terme. Les liens qui l'unissaient à Wilson Fisk se sont révélés faux et artificiels. Elle décide donc de se rendre dans la réserve indienne où son père l'emmenait parfois passer quelques jours. Elle y retrouve un vieil indien, un homme médecine avec qui son père entretenait des relations amicales. Elle le retrouve à peine plus âgé que dans son souvenir et elle lui demande comment accomplir une quête de la vision, un rite de passage indien.
David Mack est un créateur complet (scénario et illustration) qui évolue dans une classe où il n'y a que lui. Il a acquis une maîtrise sans pareille de tous les styles graphiques de l'esquisse la plus pure à la peinture abstraite. Il aborde des thèmes philosophiques et spirituels. Il marie les deux aspects de son art (histoire et illustration) dans une fusion où la forme compte autant que le fond et transmet également autant d'information. Son œuvre principale est la série Kabuki et parfois son génie produit des pages tellement denses en information, complexes en structure et intellectuelles que le lecteur peut se sentir perdu.
Pour cette histoire, il utilise toutes ces techniques au service d'un récit accessible, sans rien perdre de sa profondeur. Il a franchi un nouveau palier pour atteindre un mode de communication qui n'appartient qu'à lui, mais qui est accessible à tous. Par contre, Daredevil n'apparaît que le tant d'une poignée de pages et les autres superhéros n'ont qu'un rôle secondaire (sauf Logan) ; il s'agit avant tout de l'histoire d'un moment charnière de la vie de Maya Lopez, jeune femme sourde et surdouée, artiste géniale.
Je suis tombé en pamoison devant la beauté et la richesse de certaines pages. J'ai été transporté par cette quête de sens à donner à sa vie, de recherche de direction et de repères qui m'a éclairé d'un point de vue que j'ai trouvé valide et intelligent. Et j'ai été diverti par ce conte pour adultes qui ne repose ni sur la violence, ni sur la provocation, et encore moins sur une gratification sexuelle immédiate.
David Mack déroule un conte, presqu'une légende dans laquelle une femme capable de tout faire, une artiste exceptionnelle, un individu qui a surmonté son handicap (sa surdité) au point de mieux comprendre son prochain que les bien-entendants ne sait pas à quoi utiliser tous ces dons.
David Mack aborde des thèmes complexes sans jamais perdre son lecteur, ni paraître pédant ou présenter son point de vue comme une vérité universelle. Il traite de la manière dont le langage forme la réalité et la limite, de la transmission de sens des parents aux enfants, d'une approche du sens de l'histoire de l'art pictural, de la fonction des contes pour les enfants, de la forme des mythologies modernes, du développement intérieur de chacun, de la relation à autrui, de mes obligations d'être humain, des conséquences de mon agressivité, etc. David Mack ne révolutionne pas la philosophie, il ne propose une pensée unique miraculeuse, il donne à voir son cheminement intérieur, ses propres interrogations et l'orientation qu'il a donné à sa vie après avoir acquis une maîtrise quasi-parfaite des techniques picturales qui s'offraient à lui. Ces différentes thématiques s'imbriquent les unes dans les autres pour constituer un gestalt lumineux, intelligent et simple. Il n'y a finalement que lorsque qu'il satisfait à ses obligations contractuelles de lier son héroïne à l'univers Marvel que la narration retombe ; heureusement cela ne concerne que 13 pages. En fait aussi improbable que cela puisse paraître, seule l'apparition de Wolverine s'intègre harmonieusement au récit.
David Mack est un créateur complet et ses illustrations racontent aussi bien les actions de Maya Lopez et les lieux dans lesquels elle évolue, que ses états d'âme, ses sensations, sa façon de penser, sa vision du monde et les sentiments qu'elle éprouve. David Mack est à l'opposé du dessinateur cherchant à épater le lecteur en étalant un catalogue de tous les styles qu'il sait imiter. Au contraire, chaque style n'apparaît qu'en fonction de la narration. Chaque style sert à évoquer un état d'âme, conjurer une ambiance, refléter l'état d'esprit de Maya Lopez. Il est facile de se focaliser sur les hommages à Picasso à Vincent van Gogh ou à Gustav Klimt. Mais il ne s'agit pas pour Mack de dresser un catalogue de sa culture picturale, il s'agit de montrer comment Maya Lopez a cherché à comprendre des langages autres que parlés en étudiant les arts. Chaque planche est une composition sophistiquée étudiée pour refléter un amalgame du monde extérieur et du monde intérieur de l'héroïne. Chaque page est d'une beauté confondante, chaque image apporte une myriade d'informations que le langage écrit est incapable de transcrire.
C'est la raison pour laquelle (malheureusement, je m'en rends compte) ce piètre commentaire est incapable de faire honneur à cet incroyable voyage intérieur doté de visuels d'une richesse extraordinaire et d'une spiritualité intelligente, à mille lieux d'un new-age de pacotille. Je suis ressorti de cette lecture, plus intelligent et plus sensible à ce qui m'entoure, avec une proposition constructive et pertinente de quoi faire d'une partie de ma vie (proposition qui me parle et dont j'ai déjà pu apprécier la richesse). Merci monsieur David Mack.
Séduction graphique
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Le tandem Jeph Loeb + Tim Sale s'est rendu célèbre pour avoir réalisé de mémorables histoires de Batman (par exemple Catwoman à Rome, même s'il s'agit plus de Catwoman). Après ces histoires chez DC, ils viennent mettre en œuvre leur magie chez Marvel. Cela donnera 3 histoires : Daredevil jaune (en 2001), Spider-Man bleu (en 2002) et Hulk gris (en 2003). Puis plus tard, Captain America Blanc (2015/2016).
Peter Parker est en train de confier ses pensées à un magnétophone à cassettes. Il explique qu'il va parler de sa relation avec Gwen Stacy, et comment elle s'inscrit dans une thématique illustrant que dans sa vie les choses doivent vraiment se dégrader et empirer, avant de pouvoir s'améliorer. Tout commence avec une rencontre décisive contre Green Goblin (Norman Osborn) qui a appris l'identité secrète de Spider-Man. Fort heureusement, à l'issue du combat contre son ennemi juré, il est victime d'une amnésie qui lui fait oublier cette information cruciale. Peter Parker est encore à la fac et il cachetonne pour le Daily Bugle qui le paye à la semaine. Comme Peter tire le diable par la queue, il préfèrerait être payé dès ses clichés remis à J. Jonah Jameson. Peter va rendre visite à Norman Osborn sur son lit d'hôpital où il commence à se lier d'amitié avec son fils et où il rencontre une blonde sublime dans les couloirs Gwen Stacy. Dans l'ombre un de ses ennemis non identifié s'arrange pour libérer ou faire échapper plusieurs supercriminels, à commencer par Rhino (Aleksei Mikhailovich Sytsevich). Ah, oui, il y a aussi une rousse flamboyante, fille d'Anna Watson, un déménagement à New York et un copain qui s'engage dans l'armée pour faire quelque chose de sa vie, etc.
Alors que pour Hulk et Daredevil, Jeph Loeb revenait sur les premiers épisodes de leur série respective, pour Peter Parker, il commence un peu plus tard. le combat décisif contre Green Goblin se déroule pendant les épisodes 39 et 40 de la série, publiés en 1966. Loeb se complait à évoquer cette époque du tisseur, en utilisant toutes les caractéristiques correspondantes, qui sont devenues autant de clichés au fil des années. Bizarrement, il évite de citer Betty Brant (l'amour précédent de Peter), certainement pour ne pas alourdir la narration.
Si vous avez lu les épisodes originaux de cette période, l'aspect nostalgique confine au copiage, plus qu'à l'hommage. Contrairement à Jaune et à Gris, Loeb semble tellement impressionné et respectueux des originaux qu'il n'arrive pas à les dépasser pour leur donner plus de sens ou plus d'émotion, pour dégager une nouvelle thématique avec le recul des années. Loeb reprend la relation entre Parker et Jameson en l'état, sans la développer ou l'approfondir. Jonah est juste irascible et impatient devant ce jeune dans le besoin, mais rien de plus. Peter est de nouveau tiraillé entre la rousse et la bonde, comme l'écrivait Stan Lee, dépassé par la situation. Les ennemis croisés ont une personnalité aussi épaisse qu'une feuille de papier à cigarette. Et tout semble juste une resucée de l'original, avec la même fibre naïve un peu irritante, un peu enfantine.
Par contre, Tim Sale s'est surpassé. Il écrit dans les brèves notes de fin de volume qu'il souhaitait retrouver l'élégance du trait de John Romita senior, tout en y incorporant son propre style. Et il a parfaitement réussi. Il capture le style graphique des années 1960, en particulier en copiant le style vestimentaire. Mais les personnages ont acquis une dimension supplémentaire qui les sort de la naïveté des illustrations de l'époque en leur conférant une part d'ombre suggérée. Comme à son habitude, Tim Sale adopte une mise en page aérée de 3 ou 4 cases par page en moyenne, pour pouvoir réaliser de plus grands dessins. Il insère évidemment quelques pleines pages, voire doubles pages, mais en nombre raisonnable : Spider-Man se balançant au bout de sa toile, Gwen en passagère sur la moto de Peter, Spider-Man en train de prendre connaissance de la une du Daily Bugle, la tête en bas à hauteur du kiosque de journaux, ..., et bien sûr celle que tout le monde attend, à savoir la première apparition de MJ déclarant : Face it, tiger. You've just hit the jackpot. Elle est absolument magnifique car elle combine cette innocence propre aux comics des années 1960, avec une présence extraordinaire et une sensualité torride.
Certes, Tim Sale évoque avec talent l'élégance de John Romita senior pour les scènes en civil, et il capture un petit peu de la spécificité de Steve Ditko pour les scènes de Spider-Man en costume. Mais le vrai spectacle, les visuels irrésistibles sont ceux où apparaissent Gwen ou MJ, ou les 2. Il faut voir la subtilité avec laquelle il met en scène l'inimitié de bon aloi entre les deux, alors qu'elles rendent visite en même temps à un pauvre Peter alité par un bon rhume. Tim Sale renoue avec la sophistication des meilleures comédies romantiques de l'âge d'or du cinéma américain.
Du point de vue du scénario, ce tome n'est pas le meilleur car Jeph Loeb reste trop fidèle au modèle original. Par contre du point de vue graphique, Tim Sale marie les styles de l'époque avec ses encrages un peu appuyés pour mettre en images une comédie sentimentale subtile et magnifique. Il transforme un scénario nostalgique à l'excès en un tour de force graphique au pouvoir de séduction ravageur.
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J'ai été très séduit par cette œuvre de SF (c'est rare). En effet j'ai trouvé la série de Guillaume Singelin originale, avec des thématiques fortes traitées avec justesse et un graphisme plaisant et dynamique. Le scénario réussit à nous faire vivre dans des stations orbitales et sur des planètes colonisées avec le même bonheur. Cela produit deux ambiances qui s'équilibrent parfaitement : le confinement des stations et les grands espaces d'une vie planétaire. J'ai été très impressionné par les détails très crédibles qui affectent le personnage d'Alex (perte de la masse osseuse et musculaire, troubles importants dans une atmosphère gravitationnelle.) On a l'impression de suivre le check up de Thomas Pesquet après son retour sur terre. Le scénario commence de façon classique et un peu manichéenne avec des vilaines sociétés capitaliste avides de profit et quasi esclavagistes. Mais Singelin ne reste pas dans cette superficialité facile en montrant les responsabilités individuelles de ses héroïnes Park et Camina. Cela conduit à des dialogues intelligents et un certain pragmatisme malgré une attirance pour l'utopie presque "peace and love". C'est finement construit avec des scènes de rappel à la réalité quand l'ambiance se bisounours un peu trop. Il n'y a aucun temp mort, les situations même prévisibles se renouvellent pour donne beaucoup de rythme au récit. La narration scénaristique est très bien soutenue par le graphisme. J'ai admiré la précision et la multiplicité des détails dans les stations, les planètes. L'idée des serres apporte un excellent contrepoint à l'univers métallique, confiné et surpeuplé des stations orbitales. La silhouette des personnages avec leurs petits pieds leur donne un look de danseuses/eurs de balais ce qui crée un fort dynamisme dans leurs gestuelles. Ce parti pris d'individu très semblables avec une forte connotation asiatique rend crédible un fort métissage et brassage d'une future humanité. C'est un point que je souligne souvent dans les SF qui savent sortir du schéma occidental pour les personnages principaux. Un excellent moment de lecture qui m'invite à découvrir les autres œuvres de l'auteur.
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
Pour commencer son règne, mieux vaut être haï que méprisé. - À la date de ce commentaire, le premier de ce diptyque est paru. Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Xavier Dorison pour le scénario, et par Timothée Montaigne pour les dessins, Clara Teissier pour la couleur. Il compte cent-vingt-huit pages de bandes dessinées. Il s'ouvre avec une introduction d'une page, rédigée par le scénariste, intitulée L'extinction de l'âme, phénomène décrit par Philippe Zimbardo, et évoquant la réalité historique du naufrage du Jakarta, comme cas d'école de l'arrêt complet de l'empathie d'un groupe d'humains associé à la suspension de leur jugement moral, avec pour conséquences immédiates sadisme et massacre. Viennent ensuite un plan en coupe du navire Jakarta sur deux pages, puis les routes maritimes sur un planisphère, et celle empruntée par le Jakarta. Quelque part sur île déserte, une femme se tient face à la mer et regarde l'horizon. Un individu se fait la réflexion que celui qui lira ces mots apprendra bientôt à le mépriser et à le haïr. Il serait aisé pour lui de s'attribuer la phrase : Tous devront simplement être rayés de l'existence. Ce serait un tort car ces paroles sont celles du roi Agamemnon, plus noble citoyen de la plus noble des sociétés, patrie de la philosophie et du droit. Alors quand viendra l'envie de le juger, de lui cracher au visage ou de lui briser les os à coups de pierre, il faudra repenser à Agamemnon et se poser une question et une seule. Si le sage roi de Mycènes, héros de la guerre de Troie, est la mesure du bien, qui pourra être celle du mal ? Chapitre un : Seuls les désespérés. À Amsterdam en 1628, Francisco Pelsaert se présente devant le comité des directeurs de la VOC : Vereenigde Oost-Indische Compagnie, c'est-à-dire la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. le responsable de la séance évoque ses états de service et l'informe qu'ils l'ont nommé subrécargue du Jakarta, le tout dernier Returnsheppen de la compagnie. Outre le camée, ils emporteront aux Indes plus de trois cents mille florins en pièces et bijoux pour les négoces, un montant jamais embarqué par un navire de la VOC. Le responsable du directoire continue : le navire doit appareiller cette nuit. Il indique le nom du capitaine ; Arian Jakob. Pelsaert le connaît de réputation : un ivrogne. le capitaine fait son entrée dans la pièce et salue les directeurs, tout en se plaçant aux côtés du subrécargue. le directeur indique ensuite l'identité du second : Jeronimus Cornelius. Un novice en matière de marine, mais un expert en épices, chaudement recommandé par plusieurs de leurs connaissances. Un homme d'une éducation et d'un savoir inégalés pour ce type de poste. Ils ont toute raison de penser que ce second surprendra Pelsaert et Jakob. le même soir, Wiebe Hayes va chercher dame Lucrétia Hans dans sa demeure. Elle doit faire le voyage sur le navire Jakarta pour rejoindre son époux. Elle emmène avec elle Hugger, son petit lémurien de compagnie. Ses malles sont prêtes et elle descend pour rejoindre le matelot venu la chercher. le carrosse l'emmène au port et passe lentement au milieu de la foule du peuple vaquant à ses occupations pour remplir les formalités d'embarquement. Difficile d'échapper à la promotion de cette bande dessinée à sa sortie : un récit tiré d'une histoire vraie, un cas d'école d'individus asservis de leur propre volonté à une personne toxique, une soumission volontaire conduisant à une oppression systémique. En avançant dans le récit, le lecteur constate que c'est exactement ça, ni plus ni moins. L'artiste s'ingénie à réaliser une reconstitution historique avec application, presque de manière scolaire. Ça commence bien sûr avec la coupe du navire Jakarta, minutieuse et schématique, indiquant la localisation de onze éléments : cale, faux-pont, pont principal, pont, timonerie, cahute, cabine, cabine supérieure, gaillard d'arrière, dunette, gaillard d'avant, poulaine. Après l'introduction de quatre pages, le lecteur découvre une superbe vue plongeante sur la cour du bâtiment abritant le conseil des directeurs, avec une perspective impeccable. À l'intérieur, il peut admirer les boiseries, le parquet, les tentures. de même, chez les Hans, il peut admire les appartements de Lucrétia dans une vue du dessus en oblique. En page vingt-deux et vingt-trois, il découvre un dessin en double page, une vue massive du Jakarta à quai dans laquelle il ne manque ni une planche à la coque, ni un cordage aux mâts. Par la suite, il a tout le temps de se familiariser avec ce bâtiment, à la fois en vue générale depuis l'océan, à la fois sur le pont ou dans les cabines, toujours avec cette application pour le représenter en détail. Le lecteur avance tranquillement, tourne les pages, et découvre ce à quoi il s'attend : des tenues vestimentaires avec ce qu'il faut de détails pour ne pas être génériques, mais sans non plus un niveau d'exécution incroyable, des accessoires exacts par rapport à l'époque, sans être d'une grande invention, quelques paysages naturels comme l'océan et ses divers états de calme ou d'agitation, ou encore une île avec de la verdure, sans qu'il ne soit possible d'identifier l'essence des arbres ou des plantes. le navire est bien mis en valeur, que ce soit des prises de vue sur le pont, ou vu de plus loin en train de voguer par temps clair et calme ou sous la pluie, avec quelques vues en élévation dans les cordages. le nombre de cases par page est régulièrement de huit, parfois un peu plus, parfois un peu moins. Les angles de vue sont variés, ainsi que les cadrages. Les cases se présentent sagement alignées en bande, parfois avec quelques-unes en insert, et de temps à autre, une disposition moins conventionnelle. L'intrigue progresse de manière linéaire, au rythme de l'avancée de l'expédition. Lucrétia devient le personnage principal, avec comme personnages secondaires le subrécargue Francisco Pelsaert, le second Jéronimus Cornélius, un peu moins fréquemment le capitaine Arian Jakob, et de plus en plus régulièrement Wiebe Hayes, le gabier de la première dunette. La tension monte tout aussi progressivement entre les marins, le capitaine, et les passagers de la grande cabine. le lecteur se laisse porter par cette chronique d'une catastrophe annoncée, tout en relevant facilement les éléments relatifs à la discipline, à la manière dont s'exerce l'autorité, et effectivement à la soumission passive des marins. De temps à autre, une séquence s'avère plus intense : le premier grain, la première punition publique sur le pont, la mise à mort d'un cochon, un vol de mouettes, la capture d'un requin, les morts enveloppés dans des draps et jetés à la baille, etc. Certes, le lecteur ressent la sensation d'une lecture plan-plan : pas fade, mais avec un déroulement sur des rails, pas dépourvue d'âme, mais avec des personnages au caractère assez monolithique, pas sans surprise, mais au déroulé très mécanique, très programmé. Mais quand même… Les auteurs ne font pas semblant : leur narration semble s'en tenir à des points de passage attendus, et dans le même temps Dorison & Montaigne ne prennent jamais de raccourci. Ils réalisent tous les points de passage obligés, avec une forme particulièrement classique, presque académique. Mais quand même, le malaise gagne en intensité, de séquence en séquence. Certes le dessinateur semble s'en tenir à des cadrages, des plans très sages, mais il ne triche jamais. Il n'utilise pas de raccourcis, il n'a pas recours aux trucs et astuces pour dessiner plus vite, et se maintenir juste au-dessus du minimum syndical. Il fait preuve d'une réelle diversité, peut-être pas originale, mais certainement pas pauvre non plus. Il n'y a pas grande imagination dans ce dessin en double page du Jakarta à quai, mais tous les détails attendus sont là sans exception. Il n'y a pas grande surprise dans le plan de prise de vue du premier châtiment corporel public, mais tous les matelots et tous les cordages sont scrupuleusement représentés. Il n'y a pas grande séduction chez Lucrétia Hans, mais son caractère est apparent dans ses postures, dans les expressions de son visage, dans ses mouvements, dans sa façon d'affronter l'humiliation de l'épouillage de sa coiffure en public, ou encore de son agression par les matelots. Il n'y a pas de réel romantisme chez Wiebe Hayes, mais il apparaît séducteur et touchant à sa manière. Il n'y a pas des vrais héros, mais il y a des êtres humains. De la même manière, le scénariste n'est pas des plus subtiles, en particulier quand le subrécargue, ou le second, ou le capitaine expriment à haute voix leur conception de l'autorité, pour être sûr que le lecteur ne passe pas à côté de ce thème. Les matelots restent une masse d'individus quasi indifférenciés, sans personnalité, sans que le lecteur ne puisse envisager ce voyage avec leur point de vue de groupe, ou avec le point de vue de l'un d'eux. Mais le récit ne stagne pas dans un manichéisme basique. Chaque personne présente des qualités et des défauts, chaque personne se retrouve à jouer son rôle avec les règles imposées de cette société à cet endroit du monde, à cette époque. Chaque individu se heurte au fonctionnement systémique et doit fait preuve de courage pour prendre sur lui, pour subir, pour maintenir un lambeau de conviction morale malgré les règles qui s'imposent à lui. Rapidement, le lecteur accepte le fonctionnement de la narration parce que les auteurs sont entièrement investis et focalisés sur leur récit, sans finalement porter de jugement moral ou autre sur leurs personnages. Dans un premier temps, le lecteur se retrouve déstabilisé car il prend fait et cause pour Lucrétia Hans qui se retrouve à voyager dans des conditions dégradées auxquelles elle n'est pas habituée, subissant la pression subliminale d'être une femme sous le regard d'un équipage masculin. En même temps, elle appartient à une classe privilégiée, n'ayant pas à travailler sur le navire, échappant pratiquement à l'autorité du capitaine, mais obligée de regarder un marin fouetté avec une garcette, une scène prouvant que l'implication des auteurs ne faiblit pas même lorsqu'il faut raconter et montrer ces atrocités. Puis vient la question de l'évacuation des urines et des excréments : à nouveau les auteurs exposent les faits, sans rien édulcorer ou dramatiser. En page cinquante-trois, le temps d'une unique case de la largeur de la page, le lecteur découvre ce qu'il advient des marins dont la santé a failli sous le labeur et les conditions de vie : pas de dramatisation romanesque, du factuel, encore plus implacable. Raconter le naufrage d'un des plus grands navires d'une compagnie maritime de commerce, et recréer les conditions de vie des marins : les auteurs s'y appliquent sans beaucoup de panache, en appuyant le thème qu'ils explorent. Certes, mais ils le font avec consistance, sans céder à la facilité, sans changer de cap, avec une honnêteté et une constance remarquables. Rapidement le lecteur se laisse prendre pas cette narration visuelle détaillée et variée, par ces scènes prosaïques bien construites. Il se retrouve à son tour prisonnier du mode de fonctionnement d'une société, dictant leur conduite à chacun, sans laisser de latitude à l'empathie, à l'entraide, à la solidarité, un comble pour des individus vivant à bord du même navire.
Deep it
Deuxième partie du diptyque entamé avec Deep Me, « Deep It » continue brillamment sur cette lancée. Cette fois, la couverture est totalement blanche, et comme l’opus précédent tout en noir, les mentions du titre, de l’auteur ou du résumé en quatrième de couverture se distinguent à peine. Une approche culottée qui n’aura assurément pas joué en faveur de sa visibilité, ce qui peut expliquer le peu de retombées lors de sa publication (du moins c’est mon ressenti), et c’est tout à fait dommage, car le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ouvrage est audacieux (comme à peu près toutes les parutions de l’auteur) ! Ceux qui en principe ne se seront pas arrêtés à la loi des apparences — et d’autres peut-être qui auront été intrigués — sont vraisemblablement les inconditionnels de Marc-Antoine Mathieu. C’est ainsi que l’on retrouve ici le narrateur du premier volume, « Adam », entité « post-humaine », sorte d’ « élu » vainqueur d’un jeu de réalité virtuelle après avoir survécu aux situations les plus critiques. Assemblage complexe édifié à l’aide de programmes d’intelligence artificielle, Adam a été conçu pour survivre à une apocalypse prévisible. Et désormais, si le Grand Deuil a bel et bien eu lieu, Adam se retrouve confronté à la solitude et à sa propre immortalité, n’ayant comme seul interlocuteur qu’un auxiliaire relationnel, « embarqué » tout comme lui dans cette capsule errant dans les abysses d’un monde où toute vie a disparu. Le découpage narratif consiste en une succession de veilles numérotées, où notre entité immortelle, en attendant de distinguer la lueur hypothétique d’une vie émergente, ne dort « que d’un œil » entre chaque mise à jour et se livre à diverses réflexions métaphysiques de haut vol. A titre d’exemples : comment survivre à l’infinitude et quelles sont les raisons de son statut d’ « élu ultime » ; où se situe sa condition véritable (entre l’objet fabriqué et l’humain doté d’une conscience) ; et tout autant de questionnements sur ce qui fait notre humanité, sur le temps, la mort et la vie… Une fois encore, Marc-Antoine Mathieu nous époustoufle en nous embarquant dans ses réflexions philosophiques auxquelles il ne fournit guère de réponse. Mais il alimente avec bonheur notre méditation dans ce qu’on pourrait qualifier de sublime et vertigineux voyage vers des espaces insondés où l’intelligence artificielle, qui est devenue une nouvelle réalité de notre époque, constitue le cœur du propos. Et l’humour n’est pas en reste, l’auteur disséminant ses saillies subtiles dont il s’est montré coutumier à travers sa production. Réalisant une synthèse parfaite entre la philosophie, la science et la poésie, l’auteur nous propose une œuvre qui, si elle pourra en effaroucher certains par son contenu et son abstraction apparente, reste extrêmement humaine. A qui d’autre que nous-mêmes et notre âme s’adresse la voix off d’Adam, qui se fait en quelque sorte notre confident ? Le sort et la solitude éternelle à laquelle il est condamné, quand bien même il est le résultat d’un programme d’IA, ne peut manquer de nous émouvoir si tant est que l’on est doté d’empathie. Car en effet, Adam bénéficie bel et bien d’une conscience. Comme dans la première partie, le défi pouvait consister à allier philosophie et graphisme dans un format (la bande dessinée) où le visuel représente une part incontournable. Et de ce point de vue, c’est totalement réussi. MAM nous offre un dessin tout à fait remarquable qui constitue la partie poétique du livre. Son utilisation du noir et blanc ne fait que confirmer, si besoin était, sa maîtrise totale. Un parti pris graphique dans lequel il excelle depuis ses débuts et qui n’a cessé de s’affiner au fil des années. Il suffit pour s’en convaincre d’admirer les cases où sur fond noir, l’artiste recourt au pointillisme pour faire apparaître formes et visages, nous plongeant en une sorte d’apesanteur spirituelle.
Dans l'intimité de Marie
Lu les 9 tomes en deux jours, j'ai adoré. Gruizzli a parfaitement exprimé ce que je ressens après cette lecture, et bien plus encore. Je m'attendais à une lecture légère et amusante avec ce côté fantastique de l'échange des corps. Mais l'auteur a surpassé toutes mes attentes créant un véritable petit chef-d'œuvre, original et bien plus touchant que ce que j'imaginais. Un beau dessin et contrairement à d'autres mangas, j'ai trouvé les expressions des visages magnifiques, chaque mimique transmet parfaitement l'émotion voulue. 4.5, et je vais suivre Gruizzli en lui attribuant la note maximale car c'est amplement mérité. Une histoire touchante en seulement 9 tomes (les pages se lisent vite) qui ne s'étire jamais inutilement, captivant du début à la fin avec une conclusion parfaitement réussie.
Captain America - Bicentenaire
Profession de foi - Ce tome est paru d'un seul tenant, sans prépublication, initialement en 1976, écrit et dessiné par Jack Kirby, qui en a également assuré la direction éditoriale. Il est composé de cinq chapitres encrés successivement par Barry Windsor Smith pour le 1, Herb Trimpe pour les 2 & 3, Trimpe & John Romita senior pour le 4, Trimpe pour le 5. Il se termine avec 5 pin-ups de Captain America dessinés par Kirby et encrés par Romita. En pénétrant dans la pièce, Captain America se demande encore pourquoi il a accepté l'invitation de Mister Buda. Celui-ci se tient en position du lotus dans une sorte de cage pyramidale dorée avec des parois vitrées, semblant être en transe. Captain America sursaute, pris par surprise par l'irruption de la forme astrale de Buda. Celle-ci lui adresse la parole, lui souhaitant la bienvenue dans son humble demeure. Buda ouvre les yeux et déclare que son voyage est achevé et que ça fait du bien d'être de retour. Il ouvre la porte de la pyramide et s'en extrait, supposant que son interlocuteur n'a jamais vu de pyramide d'énergie, un dispositif vital pour faciliter le processus de projection astrale. le capitaine reconnaît que c'est un tour de première, et que s'il s'agit d'un tour d'hypnotisme, il est particulièrement maîtrisé. Buda se présente : il est un maître dans l'art de la sorcellerie. Dans son pays, il a atteint le même niveau de renommée que le capitaine dans le sien. Il apprend aux gens à croire, et ainsi à comprendre tout le temps et l'espace. Les portes de l'éternité s'ouvrent en grand. Il est possible de contempler les choses avec un œil universel. Ainsi Captain America pourrait contempler le symbole de son pays comme il ne l'a jamais vu. Le superhéros explique que son devoir est de servir sa patrie, son destin est dédié à ce boulot. Il tourne les talons et commence à partir. Dans son dos, Buda effectue des gestes qui créent un pli dans l'espace, dans lequel son hôte entre sans même s'en rendre compte. Captain America se retrouve dans une construction labyrinthique inextricable aux formes géométriques. Il comprend qu'il ne peut qu'aller de l'avant, et finit par chuter dans une trappe. Il se retrouve dans un grand hall avec une grande tenture portant une croix gammée. Il s'avance discrètement pour ne pas se faire remarquer du garde. Un autre soldat tombe nez à nez avec lui, Catpain America profite de sa surprise pour l'estourbir sans bruit. Il continue d'avancer et aboutit dans une pièce où deux officiers nazis maltraitent un prisonnier ligoté sur une chaise, sous les yeux d'un autre, tous lui tournant le dos. Ayant senti la présence de l'intrus, ils se retournent d'un coup, et Captain America reconnaît Adolf Hitler. Il fait quelques pas dans la pièce et sent quelqu'un l'attaquer par derrière. Il se retourne d'un mouvement vif et l'assomme d'un coup de bouclier. Les officiers ouvrent le feu. Il lance son bouclier. Le personnage de Captain America a été créé en 1941, par Joe Simon & Jack Kirby, et publié par l'éditeur Timely Comics qui deviendra des décennies plus tard Marvel Comics. Ses aventures ont été publiées jusqu'en 1949. Il est revenu pour quelques aventures en 1953/1954, puis a disparu des étals. Il est revenu pour de bon en 1964, dans le numéro 4 de la série Avengers, par Jack Kirby & Stan Lee pour devenir un des superhéros les populaires de l'univers partagé Marvel. Ayant cocréé de nombreux superhéros Marvel en 1961, Jack Kirby décide d'aller travailler pour DC Comics de 1971 à 1975, puis de revenir travailler pour Marvel sur les séries Eternals, Devil Dinosaur, Machine Man, Black Panther, 2001. Il revient également à la série Captain America dont il réalise, scénario & dessins, les épisodes 193 à 214, et numéros annuels 3 & 4, ainsi que le présent numéro spécial réalisé à l'occasion du bicentenaire des États-Unis, tous regroupés dans Captain America by Jack Kirby Omnibus . C'est donc un retour en demi-teinte pour ce créateur hors norme, déçu par les pratiques éditoriales de DC Comics, obligé de revenir dans l'entreprise dont il avait claqué la porte, mais disposant d'un contrat où il est son propre responsable éditorial sur la série Captain America, personnage qu'il a cocréé plus de trente ans auparavant, et dont il n'a jamais détenu les droits de propriété intellectuelle, sur lequel il ne touche aucun pourcentage. À l'occasion du bicentenaire de la déclaration d'indépendance, il réalise ce numéro aux dimensions hors norme (à peu près la taille de deux fois celle d'un comics ordinaire) au cours duquel Captain America se retrouve projeté à différents moments de l'histoire du pays, dans des situations critiques, à rencontrer des Américains, Mister Buda lui promettant qu'il acquerra ainsi une meilleure compréhension de sa patrie. Fort logiquement (?), pour commencer, le superhéros se retrouve en Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale, face au Führer en personne, ce qui lui permet de retrouver Bucky, et de se battre contre des soldats. le lecteur retrouve les caractéristiques habituelles des dessins de l'artiste : des personnages en mouvement, courant, bondissant, frappant, des mains tendues vers le lecteur, des personnages en gros plan regardant le lecteur, des découpages de page souvent sages en 3 bandes de 2 cases de même dimension, ou 2 bandes de 2 cases de dimensions identiques. Captain America dispose d'un corps d'athlète musclé et parfait. Il ne quitte jamais son costume de superhéros, pas même son masque. Les reconstitutions historiques amalgament des éléments d'époque avec une bonne dose de licence artistique, pour un résultat tour à tour saisissant de naturel, édulcoré et quelque peu naïf, voire parfois en carton-pâte. le lecteur ne doit donc pas s'attendre à une reconstitution historique rigoureuse et académique : uniformes de l'armée allemande plus esthétiques qu'authentiques, rues de Philadelphie en 1776 pour un décor plus mythologique que réaliste, évocation romancée des mauvais quartiers de New York dans les années 1930, mise en scène très théâtrale de Geronimo, biplan de la première guerre mondiale revu et corrigé pour une esthétique plus dynamique, sans oublier un magnifique numéro musical pour un film hollywoodien. Cette histoire se lit donc comme une histoire pour enfant, avec des dessins percutants. Captain America passe d'époque en époque au gré de la fantaisie du sigil imprimé sur son gant. D'ailleurs, le lecteur finit par se demander pour quelle raison le héros n'enlève pas tout simplement ce gant pour se débarrasser de ce signe cabalistique. Les différents lieux sont à la fois simples pour être assimilés au premier coup d'œil, et évocateurs grâce à quelques détails bien choisis dans l'inconscient collectif américain. Les éléments historiques sont faciles à identifier pour un Américain : Benjamin Franklin (1706-1790), Betsy Ross (1752-1836, supposée avoir cousu le premier drapeau américain), John L. Sullivan (1858-1918, célèbre boxeur), John Brown (1800-1859, abolitionniste), Geronimo (1829-1909). le héros surmonte les épreuves grâce à son courage, sa force, la solidité de ses valeurs morales, et sa foi dans sa patrie. le héros finit par pousser son guide dans ses derniers retranchements, et par énoncer clairement l'esprit qui caractérise les États-Unis, ce qui en fait une nation forte et puissante. Dans le même temps, le lecteur adulte prend plaisir aux caractéristiques de la narration visuelle de Jack Kirby : le dynamisme et la puissance des personnages, leur dignité, l'énergie incroyable qui se dégage des pages, des situations. Il se dit également, qu'étant son propre responsable éditorial, le créateur a disposé d'une réelle latitude pour construire son histoire comme il l'entendait. Il perçoit la voix de l'auteur lorsque Captain America se trouve à discuter avec le chef indien Geronimo (sans barrière de langue bien sûr), et que la cavalerie commence à charger. le déroulement indique que Kirby estime que les indiens appartiennent au peuple américain comme tous les autres citoyens, et qu'il condamne la persécution dont ils ont fait l'objet. La même prise de position se retrouve avec la persécution des afro-américains. Il semble naturel d'attribuer ces valeurs à l'auteur ainsi que celles qui se dégagent des autres séquences. En fin de récit, le lecteur peut découvrir le credo de Jack Kirby concernant son pays : des individus qui essayent de réussir, la conviction qu'il est possible de devenir assez fort et assez intelligent pour surmonter des problèmes harassants. C'est l'Amérique : un pays de confiance obstinée, où les jeunes et les vieux peuvent espérer, et traverser les déceptions, le désespoir, et le fardeau des événements avec l'espoir de pouvoir donner du sens à la vie. S'il s'est déjà intéressé à la vie de l'auteur, il se rend compte que ces valeurs ne sont pas de circonstance pour le bicentenaire, mais qu'elles correspondent bien aux siennes, celles qu'il a mises en œuvre toute sa vie durant. de ce point de vue, il s'agit bien d'une œuvre d'auteur, assez intime qui plus est. Une histoire de circonstance pour fêter le bicentenaire de la Déclaration d'Indépendance, avec un héros s'habillant littéralement avec le drapeau des États-Unis. Un récit parfois naïf avec un superhéros bon et valeureux qui sait cogner, à destination d'un public d'enfants. Une profession foi de l'auteur sur la façon dont il conçoit sa patrie, avec ses défauts, et les valeurs morales d'un citoyen, qui doivent guider son comportement dans la vie, et qu'il a mises en application à titre personnel.
L'Université des Chèvres
L'éducation est l'arme la puissante pour changer le monde. – Nelson Mandela - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2023. Il a été réalisé par Lax (Christian Lacroix), pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte cent-quarante-quatre pages de bandes dessinées. Il se termine avec une postface de deux pages, rédigée par Pascal Ory, de l'Académie française. Dans celle-ci, il commence par évoquer la célèbre maxime d'Héraclite : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Il reprend les principales phases de l'intrigue en commentant sous l'angle de la vocation de l'instituteur, en consacrant la seconde moitié de son texte au paradoxe de l'école, à la fois métonymie d'une crise plus générale, à la fois lieu où cette crise pourrait trouver sa résolution. Il développe ensuite la force narrative des planches de cette bande dessinée, pour conclure sur le sens à donner au dénouement tragique du récit. Col de la Rousse, novembre 1833. C'est par là que les colporteurs passent d'Ubaye en Durance, malgré la neige qui recouvre la trace avec obstination. Fortuné Chabert n'est pas un colporteur comme les autres. Les trois plumes d'oie glissée dans la ganse de son chapeau en sont l'attestation. Il est colporteur en écriture, autrement dit instituteur itinérant. Il transporte son savoir de village en village. Et principalement pendant les longs mois d'hiver, quand les enfants ne sont pas assujettis aux travaux des champs. Et s'il a trois plumes, Fortuné, c'est que son savoir est triple. Il n'a que dix-sept ans mais il peut enseigner lecture, écriture et chiffres. Nombre de ses collègues n'ont pas la chiffre, n'arborant que les deux plumes de l'écriture et de la lecture. Dans chaque hameau, les parents fournissent gîte, couvert et salle de classe. Les frais d'écolage sont rétribués modestement, à hauteur de cent francs maximum. Familles et fondations pieuses y pourvoient. Fortuné Chabert progresse lentement dans la neige et il croise Seyoz, un marchand ambulant, roi de la mercerie comme il le surnomme. Seyoz se rend au Lauzet d'Ubaye et souhaite connaître l'état du col pour le passer. Fortuné lui répond, et indique qu'il est attendu au hameau des Guions, au-dessus de Saint Crépin. Les deux voyageurs se saluent et poursuivent leur chemin chacun de leur côté. L'instituteur itinérant finit par arriver aux maisons du hameau et plusieurs enfants se dirigent à sa rencontre en courant. La classe peut commencer. Dans la journée, le curé vient le trouver : il indique qu'il a appris que Fortuné garde une fille en leçon de calcul. Il ajoute que c'est lui qui décide de ce qui est nuisible ou pas pour ses paroissiens. En réponse à une remarque de l'instituteur, il ajoute que du moment que les filles savent leur catéchisme, ça suffit, catéchisme sur lequel Fortuné ne s'attarde pas outre mesure, d'ailleurs. Mais le curé se félicite que Chabert ne va pas sévir bien longtemps. Il lui demande s'il a attendu parler des lois Guizot. Le texte de quatrième de couverture annonce le programme : des Alpes françaises aux montagnes d'Afghanistan, du XIXe siècle à nos jours, l'école a toujours été martyrisée par les obscurantistes de toute obédience. En effet, le récit commence dans les Alpes françaises au XIXe siècle, pour se continuer aux États-Unis en suivant le personnage principal qui décide d'émigrer, et la seconde partie du récit se déroule au XXe siècle en suivant Arizona Florès, arrière-arrière-petite-fille de Fortuné Chabert, travaillant comme journaliste aux États-Unis et allant effectuer un reportage en Afghanistan, le passage de l'un à l'autre personnage s'effectuant en page cinquante-neuf. le premier apparaît au lecteur alors qu'il est un instituteur itinérant, la seconde exerce la profession de journaliste. L'un et l'autre sont liés par les liens du sang en descendance directe, ainsi que par l'université des chèvres, fondée par Fortuné Chabert, et dont la pancarte subsiste dans la propriété des parents d'Arizona Florès. L'un a exercé le métier d'instituteur et de professeur à deux reprises dans sa vie ; l'autre constate l'hostilité contre le lieu d'apprentissage qu'est l'école, sous deux formes très différentes, avec des pressions exercées par deux types de fondamentalistes de nature opposée. La narration débute avec une très belle illustration en pleine page, majoritairement blanche pour rendre compte de la neige, avec juste la minuscule silhouette de Fortuné Chabert qui progresse laborieusement, la silhouette de deux rochers, et celle d'un flanc de montagne sur la droite. Vient ensuite une illustration en double page mettant en évidence la fragilité de la silhouette de l'homme qui s'appuie sur un solide bâton, et l'immensité des montagnes enneigées en premier plan et en arrière-plan, rendant dérisoire et insignifiante cette unique présence humaine. le blanc s'impose encore dans les deux pages suivantes, avant d'être progressivement habité et supplanté par l'activité des enfants et les solides constructions humaines en pierre. le lecteur apprécie également la qualité de la reconstitution historique, en plus de l'immersion hivernale dans les Alpes : les tenues vestimentaires, les maisons de pierre, l'équipement de l‘instituteur, les ardoises des enfants, sa mule et son chargement de livres quand il devient libraire ambulant à l'été. Puis, Fortuné Chabert décide de partir pour le nouveau monde, et le lecteur prend tout autant son temps pour admirer le paysage et la reconstitution historique : les montagnes de Californie et ses ruisseaux (peut-être) aurifères, le déplacement d'une colonne de chariots en territoire indien avec une lumière caractéristique de ces déserts montagneux, la communauté de Hopis avec leurs tenues et leurs outils agraires, et même un pensionnat dans une ville de colons, destinés à accueillir de jeunes Indiens pour les éduquer. Dans la seconde partie du récit, le plaisir du voyage se trouve multiplié par deux : la petite ville dans la banlieue de Phoenix en Arizona, ploucs compris, et les différentes régions dans lesquelles le reportage emmène Arizona Florès en Afghanistan. le lecteur passe ainsi du siège social du journal Phoenix Post avec son bel immeuble moderne, à la province désertique de Nimroz, terre frontière avec l'Iran et le Pakistan, en passant par l'école de Tommy le fils d'Arizona, ou le tunnel routier de Salang (2.700m de longueur), passant sous le col de Salang, reliant la capitale Kaboul et le nord du pays. L'artiste sait donner à voir ces endroits d'une manière pragmatique et banal, reflétant leur caractère ordinaire pour ceux qui y habitent, à l'opposé d'une vision touristique tournée vers le spectacle, mais sans minimiser ou gommer leurs singularités, leur personnalité façonnée par les caractéristiques géographiques ou historiques. Lax dessine dans un registre naturaliste, sans chercher un niveau de détail photographique, plutôt en dosant la densité d'informations visuelles en fonction de la séquence : plus de précisions dans les décors pour permettre au lecteur de s'y projeter, ou bien une impression générale pour refléter une ambiance, un état d'esprit, des visages et des tenues vestimentaires détaillées pour pouvoir faire connaissance avec ces personnes et comprendre leurs conditions de vie, ou au contraire juste des silhouettes plus ou moins mangées par l'ombre. Le lecteur suit donc avec le plus grand naturel, ce jeune homme qui se déplace de hameau en hameau pour enseigner lecture, écriture et calcul d'abord dans les Alpes françaises, puis de manière sédentaire dans un village hopi. Il accompagne ensuite Arizona Florès en Afghanistan, prise en charge par son fixeur Sanjar dès son arrivée à l'aéroport, puis de rencontre en rencontre. L'auteur commence par montrer comment l'instruction remet en cause des traditions peu accommodantes craignant toute forme de questionnement, puis comment ce même savoir est accueilli à bras ouvert dans une autre communauté qui sait le faire coexister avec sa culture et ses croyances. Au vingt-et-unième siècle, l'école provoque les mêmes réactions : un rejet de ce qui remet en cause des valeurs fondamentales d'une communauté, aussi bien aux États-Unis qu'en Afghanistan, une avidité d'apprendre, d'acquérir des outils qui permettent de comprendre. Lax ne fait que mettre en scène des faits historiques (les terrifiantes écoles pour (ré)éduquer les Indiens), la résistance de certains curés qui craignaient la remise en cause de traditions séculaires (à commencer par la place de la femme dans la société). Au vingt-et-unième siècle, c'est du pareil au pire : les ultraconservateurs qui récusent une partie de la science, ou les intégristes religieux qui ne peuvent pas tolérer quelque questionnement que ce soit sur le dogme (en particulier, encore une fois, la place et le rôle de la femme dans la société), c'est-à-dire la réalité de la similarité de certains comportements aussi bien dans les États-Unis de Donald Trump que dans l'Afghanistan des Talibans. Une école sanctuarisée qui émancipe et qui libère : ce récit met en scène cet enjeu essentiel de chaque société, au travers du parcours d'un instituteur itinérant, puis d'une journaliste, dans quatre sociétés différentes, plus ou moins tolérantes, plus ou moins réfractaires ou enclines à instrumentaliser l'éducation en la biaisant. La narration visuelle atteint un tel niveau de maitrise qu'elle semble secondaire, presque inconséquente, alors qu'elle assure une narration d'une qualité extraordinaire, sans jamais paraître ostentatoire.
Les Voyages d'Ulysse
Il va être difficile pour moi de rester un minimum rationnel et objectif dans mon propos tant j'ai vraiment adoré cette BD ! Globalement, je trouve que ce que fait Emmanuel Lepage est toujours, ou presque, de qualité. Il nous a habitué depuis quelques temps déjà à faire des sortes de reportages / documentaires / carnets de voyage (ou tout cela à la fois) dans ses précédentes productions, on pense à Voyage aux îles de la Désolation, et surtout à Un printemps à Tchernobyl (je dois avouer ne pas avoir encore lu 'La lune est blanche', ni Ar-Men ), mais là, c'est autre chose, on est bien au-delà de ça. Un vrai scénar, pour une vraie BD ! Sur un plan graphique, on retrouve toujours ce superbe travail, ce dessin, en particulier de bateaux et de la mer qui accompagne (ou donne naissance ?) au souffle épique qui traverse tout l'ouvrage. Sur le fond, c'est fin, c'est intelligent, c'est bien senti, le lecteur plonge dans cette histoire avec plaisir, délectation, et soif de connaissances. Un vrai beau voyage dans, et devant, la BD en somme ! Si vous lisez ce petit avis en vous demandant si la BD vaut le coup d'être achetée, franchement, n'hésitez pas un seul instant, c'est beau et atypique, il serait plus qu'étonnant que cela vous laisse indifférent(e). Peut-être dans mon top 10, ou top 15, tous styles confondus. C'est dire.... ! Bref, ne tournons pas autour du pot : chef-d'oeuvre !
Foucauld - Une tentation dans le désert
La haine se répand comme la peste, mais elle attaque l’âme, pas le corps. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s’inscrit dans un cycle thématique des auteurs, commencé avec Vincent - Un saint au temps des mousquetaires (2016). Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s’ouvre avec une introduction d’une page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque la réputation de Charles de Foucault, ainsi que la tentation qui fut la sienne dans le désert algérien. Il conclut avec ces phrases : Car l’autre, le frère d’en face, n’est qu’un enrichissement de notre moi. Il dédie ensuite cet ouvrage à ses amis musulmans, à ses amis juifs. Il y a une table où il partagera le pain et le vin avec eux. Vœu pieu ? Ainsi vont ses croyances, en tout cas. I. Temps des extravagances. En France, dans la petite commune de Pont-à-Mousson, en 1880. La fête bat son plein, avec un bal organisé par l'école spéciale militaire de Saint-Cyr. Philippe Pétain demande à trois officiers s’ils savent où se trouve Charles, car il le cherche depuis une demi-heure. L’un d’eux répond qu’il est entré à l’intérieur, avec la petite Joséphine Gillain. Pétain se dit qu’il ne devrait pas le déranger, mais le Dom Pérignon manque, à rendre la situation intenable. Dans le grand salon, la jeune femme demande à Charles pour quelle raison, il ne veut pas d’elle. Elle l’aime, que doit-elle faire pour l’en convaincre ? Il lui répond qu’il ne connaît pas personne plus adorable, plus exquise qu’elle, mais il ne pourrait que la décevoir. Là où elle ne met que de la vie, de la gaieté, de la beauté, lui ne ressent que de la lassitude. Il se sent vide, sans consistance, comme ces épouvantails qui grincent au vent. Les convenances n’encombrent guère la vie qu’il mène, et il lui arrive parfois de le regretter. Charles de Foucauld décide de partir de la fête et il enlève sa veste. Le régisseur le prend pour un assistant de cuisine et le charge de tâches de manutention. Il s’en acquitte, puis décide de suivre une jeune chanteuse juive dont le régisseur vient de refuser l’offre de service. II. Vipère à cornes. Dans le désert proche de Tamanrasset en Algérie, en 1916. Un groupe de bédouins montant des dromadaires s’arrêtent en découvrant un homme couché sur le sol, le visage tourné vers le sable. L’un d’eux descend de sa monture en dégainant son épée. Il tranche en deux la vipère à cornes qui vient de mordre Charles de Foucauld. Kaocen, de la tribu des Ikaskazen, demande à Saïd, de ramener le marabout au fortin. Le soir, Saïd a brûlé la plaie au fer rouge, mais le blessé ne réagit pas. Kaocen lui ordonne de lui brûler la plante des pieds : il réagira. Effectivement, Charles pousse un cri de douleur. Kaocen ordonne qu’on lui apporte du lait de chèvre, même si un de ses hommes lui répond qu’il ne comprend pas pour quelle raison sauver cet homme, vu que c’est un Français. Pendant plusieurs jours, la vie de Charles de Foucauld, le marabout, ne tient qu’à un fil. Avec Vincent de Paul (1581-1660), les auteurs mettaient en scène un homme pieux dans une enquête qui lui faisait rencontrer des individus de tout horizon social, et le montrait pratiquer sa Foi au quotidien. Avec ce deuxième tome consacré à un saint homme, ils s’aventurent un peu plus loin en mettant en scène la tentation dans le désert, celle de l’orgueil. Dans l’introduction, le scénariste prévient que l’ouvrage ne constitue ni une biographie, ni une hagiographie de Charles de Foucauld (1858-1916), mais quelques moments de la vie d’un homme, pas d’un saint, la marche vers la lumière, le dépouillement. Il précise également qu’il y a eu plusieurs Foucauld, comme il y a eu plusieurs Philippe Pétain, et que le premier est parvenu à dépasser certains stéréotypes colonialistes de son époque, pour devenir un défricheur, un frère universel. Après s’être ainsi justifié, il commence son récit en rappelant ce lien entre Foucauld et Pétain, avec la scène introductive en 1880 : voici d’où vient le religieux, il fut un officier de cavalerie de l'armée française, il est sorti de Saint Cyr. C’est un homme de son époque. Après cette scène de six pages, le récit passe en 1916, pour les derniers jours de la vie de Charles de Foucauld, et sa tentation dans le désert. Comme pour le premier tome, la narration visuelle appartient au registre descriptif et réaliste. Pour la scène introductive, Martin Jamar nage dans son élément : une reconstitution historique dans avec uniformes, belles toilettes de soirée pour les dames, un magnifique bâtiment, etc. C’est un vrai plaisir pour le lecteur de pouvoir ainsi se projeter dans ces lieux, de suivre Pétain passer du bal en extérieur à l’atmosphère plus feutrée à l’intérieur, de prendre le temps de regarder la multitude de détails : les violons, les boutons d’uniforme, les décorations florales, le modèle des verres en cristal, les cageots de légumes, les plans de travail en cuisine, etc. Puis vient le temps du désert, des bédouins, de fort Motylinski, situé à Taghaouhaout, à cinquante kilomètres environ à l'est de Tamanrasset. En fin de tome, l’artiste remercie deux membres de sa famille pour leurs photographies d’Algérie qui l’ont aidé plus qu’ils ne le pensent. Beaucoup de sable à perte de vue, de ciel bleu et quelques dunes, mais pas seulement. Le dessinateur se montre tout autant investi dans la représentation des costumes, des harnachements des dromadaires et des selles avec leur tapis, des armes et bien sûr des sandales. Il représente avec le même souci du détail authentique les constructions et le fort Motylinski, ou encore la tente de la Damassine et le festin qui s’y déroule. Le lecteur sait qu’il regarde des visuels fiables sur le plan historique. Il observe des êtres humains normaux en train d’interagir. Il peut croire pleinement et sans réserve à ce qui lui est montré. Ces dernières semaines de la vie de Charles de Foucauld ne se limitent pas à une sortie dans le désert pour se confronter à la tentation de l’orgueil, à l’instar des quarante jours passés dans le désert par Jésus où il fut soumis à la tentation par le Diable. La vie de ce religieux s’inscrit dans un contexte historique : celui de confrontations entre tribus du désert, de la colonisation, de la cohabitation entre les Algériens et les blancs. La vie de cet homme est tributaire de la réalité géopolitique. Dans l’introduction, le scénariste indique qu’il a choisi de montrer un homme qui est parvenu à dépasser les stéréotypes de son époque : Charles de Foucauld parvient à mettre en œuvre la charité telle qu’elle est définie dans la théologie chrétienne, c’est-à-dire l'amour de l'homme envers son prochain en tant que créature de Dieu. Comme pour le tome consacré à Vincent de Paul, les auteurs ne font pas acte de prosélytisme, ils ne cherchent pas à convertir qui que ce soit. Ils souhaitent montrer un homme de Foi vivant conformément aux préceptes moraux de sa Foi, sans le dissocier de sa croyance. Ainsi, une fois passée la scène introductive à Pont-à-Mousson, Charles de Foucauld porte la bure blanche ornée du cœur surmonté de la croix. Il se livre à la prière à deux ou trois reprises. Il fait preuve de tolérance, de refus de combattre, d’acceptation des conséquences de s’en remettre à Dieu, d’amour envers son prochain quelles que soient son origine et ses croyances. Par ailleurs, lors d’une discussion avec Elizabeth Archer journaliste au San Francisco Chronicle, la discussion revient sur son parcours : cartes des pistes au Maroc (de par ses études et son investissement, il a étendu de plus de 2.250 kilomètres les itinéraires connus dans le pays), commentaires de poèmes touareg, éléments de grammaire sur le Coran, notes sur Les élévations sur les mystères, de Bossuet, dictionnaire français-touareg, etc. Ce à quoi, de Foucauld répond qu’on ne peut pas aimer son prochain sans le comprendre. Le lecteur perçoit donc d’abord Charles de Foucauld comme un officier, puis comme un moine itinérant dans une région désertique de l’Algérie colonisée, étant la proie de guerres entre tribus, et parfois contre la présence française. Puis, il le voit accepter le dialogue avec tout le monde, officiers de l’armée française, comme bédouins. Ce n’est qu’ensuite qu’il perçoit la tentation qui donne son nom au titre du récit. En réponse à une remarque de la journaliste, il répond qu’il reste une proie pour l’ombre, l’ombre qui danse, qui invite l’individu à la rejoindre, une ombre prête à l’engloutir. L’ombre des facilités, des leurres, de l’orgueil de la lumière fausse, une ombre qu’il doit affronter. Il décide alors de s’éloigner, de s’avancer dans le désert pour se confronter à des convictions qu’il ne peut pas maîtriser. Le voilà confronté à un mirage, ou à des hallucinations dans une scène de quatre pages, planches trente-et-un à trente-quatre, entre manifestation de l’inconscient et expérience mystique, les auteurs laissant le choix de l’interprétation au lecteur. D’un côté, celui-ci peut n’y voir qu’élucubrations induites par une forme d’auto-persuasion, ou un moment de grâce divine. Dans un cas comme dans l’autre, ce moment participe à décrire un individu animé par une Foi qui connaît le doute, et par voie de conséquence la remise en question, et ayant un comportement guidé par des valeurs morales admirables. Pour la deuxième fois, les auteurs ont réussi leur pari : mettre en scène un croyant digne d’admiration qu’on partage sa Foi ou non. Mettre en scène la vie d’un saint homme, ou même une partie de sa vie, voilà une gageure singulière, la proposition d’un récit générant des a priori irrépressibles, et les critiques qui vont avec, avant même d’avoir lu la première page. Comme d’habitude, le sérieux et la solidité de la narration visuelle de Martin Jamar désamorcent toute forme de moquerie ou de mépris, attestant de l’investissement d’un professionnel de très haut niveau. Ensuite, l’investissement de Jean Dufaux est indéniable : il a fait le choix de réaliser ce récit qui a de l’importance pour lui. Il s’en suit une lecture qui sort de l’ordinaire, qui ose mettre en scène un homme religieux, sans questionner le dogme qu’il vénère et ses pratiques, la réalité des actions guidées par une Foi, un être humain qui mérite le respect quelles que soient les convictions du lecteur.
Daredevil / Echo - Quête de Vision (Daredevil - Echo)
Que faire de ma vie ? - Ce tome regroupe les épisodes 51 à 55 de la série de Daredevil débutée en 1998. Il vaut mieux avoir lu Tranche de vide avant. Maya Lopez est sourde. Elle a revêtu pendant une courte période un costume et porté le nom d'Echo. Wilson Fisk l'avait envoyé se battre contre Daredevil et elle était tombé amoureuse de Matt Murdock. Avec ce tome, David Mack revient au personnage pour une histoire complète qu'il écrit et illustre. Sous la forme d'une introspection, Maya Lopez cherche sa voie. Elle se souvient de son père, des histoires qu'il lui racontait grâce au langage des signes quand elle était encore enfant. Elle se rappelle du temps qu'il a fallu pour que son entourage se rende compte qu'elle était sourde, et non pas attardé. Elle se remémore sa découverte des œuvres d'art picturales et du sens qu'elle leur a accordé. Elle repense à la manière dont sa surdité innée a façonné sa vision et sa compréhension du monde et de la question qu'elle se posait sur le son provoqué par les nuages ou par la queue d'un chien en train de remuer. En fait Maya Lopez est à un moment de sa vie où elle ne sait plus que faire. Sa liaison avec Matt Murdock est arrivée à son terme. Les liens qui l'unissaient à Wilson Fisk se sont révélés faux et artificiels. Elle décide donc de se rendre dans la réserve indienne où son père l'emmenait parfois passer quelques jours. Elle y retrouve un vieil indien, un homme médecine avec qui son père entretenait des relations amicales. Elle le retrouve à peine plus âgé que dans son souvenir et elle lui demande comment accomplir une quête de la vision, un rite de passage indien. David Mack est un créateur complet (scénario et illustration) qui évolue dans une classe où il n'y a que lui. Il a acquis une maîtrise sans pareille de tous les styles graphiques de l'esquisse la plus pure à la peinture abstraite. Il aborde des thèmes philosophiques et spirituels. Il marie les deux aspects de son art (histoire et illustration) dans une fusion où la forme compte autant que le fond et transmet également autant d'information. Son œuvre principale est la série Kabuki et parfois son génie produit des pages tellement denses en information, complexes en structure et intellectuelles que le lecteur peut se sentir perdu. Pour cette histoire, il utilise toutes ces techniques au service d'un récit accessible, sans rien perdre de sa profondeur. Il a franchi un nouveau palier pour atteindre un mode de communication qui n'appartient qu'à lui, mais qui est accessible à tous. Par contre, Daredevil n'apparaît que le tant d'une poignée de pages et les autres superhéros n'ont qu'un rôle secondaire (sauf Logan) ; il s'agit avant tout de l'histoire d'un moment charnière de la vie de Maya Lopez, jeune femme sourde et surdouée, artiste géniale. Je suis tombé en pamoison devant la beauté et la richesse de certaines pages. J'ai été transporté par cette quête de sens à donner à sa vie, de recherche de direction et de repères qui m'a éclairé d'un point de vue que j'ai trouvé valide et intelligent. Et j'ai été diverti par ce conte pour adultes qui ne repose ni sur la violence, ni sur la provocation, et encore moins sur une gratification sexuelle immédiate. David Mack déroule un conte, presqu'une légende dans laquelle une femme capable de tout faire, une artiste exceptionnelle, un individu qui a surmonté son handicap (sa surdité) au point de mieux comprendre son prochain que les bien-entendants ne sait pas à quoi utiliser tous ces dons. David Mack aborde des thèmes complexes sans jamais perdre son lecteur, ni paraître pédant ou présenter son point de vue comme une vérité universelle. Il traite de la manière dont le langage forme la réalité et la limite, de la transmission de sens des parents aux enfants, d'une approche du sens de l'histoire de l'art pictural, de la fonction des contes pour les enfants, de la forme des mythologies modernes, du développement intérieur de chacun, de la relation à autrui, de mes obligations d'être humain, des conséquences de mon agressivité, etc. David Mack ne révolutionne pas la philosophie, il ne propose une pensée unique miraculeuse, il donne à voir son cheminement intérieur, ses propres interrogations et l'orientation qu'il a donné à sa vie après avoir acquis une maîtrise quasi-parfaite des techniques picturales qui s'offraient à lui. Ces différentes thématiques s'imbriquent les unes dans les autres pour constituer un gestalt lumineux, intelligent et simple. Il n'y a finalement que lorsque qu'il satisfait à ses obligations contractuelles de lier son héroïne à l'univers Marvel que la narration retombe ; heureusement cela ne concerne que 13 pages. En fait aussi improbable que cela puisse paraître, seule l'apparition de Wolverine s'intègre harmonieusement au récit. David Mack est un créateur complet et ses illustrations racontent aussi bien les actions de Maya Lopez et les lieux dans lesquels elle évolue, que ses états d'âme, ses sensations, sa façon de penser, sa vision du monde et les sentiments qu'elle éprouve. David Mack est à l'opposé du dessinateur cherchant à épater le lecteur en étalant un catalogue de tous les styles qu'il sait imiter. Au contraire, chaque style n'apparaît qu'en fonction de la narration. Chaque style sert à évoquer un état d'âme, conjurer une ambiance, refléter l'état d'esprit de Maya Lopez. Il est facile de se focaliser sur les hommages à Picasso à Vincent van Gogh ou à Gustav Klimt. Mais il ne s'agit pas pour Mack de dresser un catalogue de sa culture picturale, il s'agit de montrer comment Maya Lopez a cherché à comprendre des langages autres que parlés en étudiant les arts. Chaque planche est une composition sophistiquée étudiée pour refléter un amalgame du monde extérieur et du monde intérieur de l'héroïne. Chaque page est d'une beauté confondante, chaque image apporte une myriade d'informations que le langage écrit est incapable de transcrire. C'est la raison pour laquelle (malheureusement, je m'en rends compte) ce piètre commentaire est incapable de faire honneur à cet incroyable voyage intérieur doté de visuels d'une richesse extraordinaire et d'une spiritualité intelligente, à mille lieux d'un new-age de pacotille. Je suis ressorti de cette lecture, plus intelligent et plus sensible à ce qui m'entoure, avec une proposition constructive et pertinente de quoi faire d'une partie de ma vie (proposition qui me parle et dont j'ai déjà pu apprécier la richesse). Merci monsieur David Mack.
Spider-Man - Bleu
Séduction graphique - Le tandem Jeph Loeb + Tim Sale s'est rendu célèbre pour avoir réalisé de mémorables histoires de Batman (par exemple Catwoman à Rome, même s'il s'agit plus de Catwoman). Après ces histoires chez DC, ils viennent mettre en œuvre leur magie chez Marvel. Cela donnera 3 histoires : Daredevil jaune (en 2001), Spider-Man bleu (en 2002) et Hulk gris (en 2003). Puis plus tard, Captain America Blanc (2015/2016). Peter Parker est en train de confier ses pensées à un magnétophone à cassettes. Il explique qu'il va parler de sa relation avec Gwen Stacy, et comment elle s'inscrit dans une thématique illustrant que dans sa vie les choses doivent vraiment se dégrader et empirer, avant de pouvoir s'améliorer. Tout commence avec une rencontre décisive contre Green Goblin (Norman Osborn) qui a appris l'identité secrète de Spider-Man. Fort heureusement, à l'issue du combat contre son ennemi juré, il est victime d'une amnésie qui lui fait oublier cette information cruciale. Peter Parker est encore à la fac et il cachetonne pour le Daily Bugle qui le paye à la semaine. Comme Peter tire le diable par la queue, il préfèrerait être payé dès ses clichés remis à J. Jonah Jameson. Peter va rendre visite à Norman Osborn sur son lit d'hôpital où il commence à se lier d'amitié avec son fils et où il rencontre une blonde sublime dans les couloirs Gwen Stacy. Dans l'ombre un de ses ennemis non identifié s'arrange pour libérer ou faire échapper plusieurs supercriminels, à commencer par Rhino (Aleksei Mikhailovich Sytsevich). Ah, oui, il y a aussi une rousse flamboyante, fille d'Anna Watson, un déménagement à New York et un copain qui s'engage dans l'armée pour faire quelque chose de sa vie, etc. Alors que pour Hulk et Daredevil, Jeph Loeb revenait sur les premiers épisodes de leur série respective, pour Peter Parker, il commence un peu plus tard. le combat décisif contre Green Goblin se déroule pendant les épisodes 39 et 40 de la série, publiés en 1966. Loeb se complait à évoquer cette époque du tisseur, en utilisant toutes les caractéristiques correspondantes, qui sont devenues autant de clichés au fil des années. Bizarrement, il évite de citer Betty Brant (l'amour précédent de Peter), certainement pour ne pas alourdir la narration. Si vous avez lu les épisodes originaux de cette période, l'aspect nostalgique confine au copiage, plus qu'à l'hommage. Contrairement à Jaune et à Gris, Loeb semble tellement impressionné et respectueux des originaux qu'il n'arrive pas à les dépasser pour leur donner plus de sens ou plus d'émotion, pour dégager une nouvelle thématique avec le recul des années. Loeb reprend la relation entre Parker et Jameson en l'état, sans la développer ou l'approfondir. Jonah est juste irascible et impatient devant ce jeune dans le besoin, mais rien de plus. Peter est de nouveau tiraillé entre la rousse et la bonde, comme l'écrivait Stan Lee, dépassé par la situation. Les ennemis croisés ont une personnalité aussi épaisse qu'une feuille de papier à cigarette. Et tout semble juste une resucée de l'original, avec la même fibre naïve un peu irritante, un peu enfantine. Par contre, Tim Sale s'est surpassé. Il écrit dans les brèves notes de fin de volume qu'il souhaitait retrouver l'élégance du trait de John Romita senior, tout en y incorporant son propre style. Et il a parfaitement réussi. Il capture le style graphique des années 1960, en particulier en copiant le style vestimentaire. Mais les personnages ont acquis une dimension supplémentaire qui les sort de la naïveté des illustrations de l'époque en leur conférant une part d'ombre suggérée. Comme à son habitude, Tim Sale adopte une mise en page aérée de 3 ou 4 cases par page en moyenne, pour pouvoir réaliser de plus grands dessins. Il insère évidemment quelques pleines pages, voire doubles pages, mais en nombre raisonnable : Spider-Man se balançant au bout de sa toile, Gwen en passagère sur la moto de Peter, Spider-Man en train de prendre connaissance de la une du Daily Bugle, la tête en bas à hauteur du kiosque de journaux, ..., et bien sûr celle que tout le monde attend, à savoir la première apparition de MJ déclarant : Face it, tiger. You've just hit the jackpot. Elle est absolument magnifique car elle combine cette innocence propre aux comics des années 1960, avec une présence extraordinaire et une sensualité torride. Certes, Tim Sale évoque avec talent l'élégance de John Romita senior pour les scènes en civil, et il capture un petit peu de la spécificité de Steve Ditko pour les scènes de Spider-Man en costume. Mais le vrai spectacle, les visuels irrésistibles sont ceux où apparaissent Gwen ou MJ, ou les 2. Il faut voir la subtilité avec laquelle il met en scène l'inimitié de bon aloi entre les deux, alors qu'elles rendent visite en même temps à un pauvre Peter alité par un bon rhume. Tim Sale renoue avec la sophistication des meilleures comédies romantiques de l'âge d'or du cinéma américain. Du point de vue du scénario, ce tome n'est pas le meilleur car Jeph Loeb reste trop fidèle au modèle original. Par contre du point de vue graphique, Tim Sale marie les styles de l'époque avec ses encrages un peu appuyés pour mettre en images une comédie sentimentale subtile et magnifique. Il transforme un scénario nostalgique à l'excès en un tour de force graphique au pouvoir de séduction ravageur.