Un chef-d’œuvre du genre post-apocalyptique
The Walking Dead, c’est bien plus qu’un simple comics. C’est une œuvre qui m’a complètement happé, une plongée dans l’horreur et l’humanité la plus brute. Ce qui rend cette série si incroyable, ce sont les personnages : ils sont tellement humains, avec leurs forces, leurs failles, leurs erreurs… On s’attache à eux, on souffre avec eux, et parfois, on est dévasté par leurs pertes.
Les relations sociales et les dilemmes moraux sont au cœur de l’histoire, et c’est ce qui m’a le plus touché. Ce n’est pas juste une histoire de zombies, c’est une réflexion sur ce que signifie survivre dans un monde où tout s’effondre.
Le noir et blanc renforce cette immersion : il donne une ambiance sombre, réaliste, et chaque dessin de Charlie Adlard est chargé d’émotion et de tension. Les morts sont brutales, imprévisibles, et elles nous rappellent constamment que personne n’est à l’abri.
Franchement, je manque de mots pour décrire à quel point cette série est exceptionnelle. C’est une œuvre qui reste en tête longtemps après l’avoir lue. Pour moi, The Walking Dead est incontournable, que vous soyez fan de comics ou non.
Mens agitat molem.
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Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Nicolas Barral pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec la participation Marie Baral pour les couleurs. Il comprend cent-trente-et-une pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de Simño Cerdeira. Il se termine avec une photographie de la malle remplie de manuscrits de l’écrivain, et une page comprenant une bibliographie recensant trois ouvrages sur l’écrivain, et huit ouvrages de l’écrivain, ainsi que la liste des ouvrages de Barral chez le même éditeur et chez d’autres éditeurs.
Lisbonne, en 1935, Fernando Pessoa est en consultation chez son médecin qui lui annonce que son foie est très abimé. Le poète regarde le chantier de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure. Il demande au docteur s’il a déjà pris l’ascenseur. Il explique que celui-ci a été créé par un ingénieur français, Raoul Megnier, et appartient à la compagnie des tramways électriques. Il dessert le Largo du Carmo. Le billet pour accéder tout en haut est un cher, mais quel panorama ! Le médecin ne se laisse pas distraire : il indique qu’il est très sérieux et qu’il va falloir qu’il hospitalise Pessoa. Ce dernier lui répond qu’il doit lui faire une confidence : il est immortel. Le médecin ne s’en laisse toujours pas conter et il ajoute qu’en attendant il adresse l’écrivain à un confrère à l’hôpital Saint-Louis des Français, il lui conseille de prendre ses dispositions. Pessoa sort du cabinet, et il salue un homme habillé de tout de noir dans la salle d’attente. En descendant dans l’escalier, il tousse et crache un peu de sang dans son mouchoir. Il sort dans la rue, et il marche sur le motif pavé de vagues de la place du Rossio. Son esprit se met à vagabonder.
Fernando Pessoa se souvient d’un épisode de son enfance, en 1936 sur un navire de ligne au large du cap de Bonne Espérance. Il était dans une cabine avec sa mère et elle lui lit une histoire pour l’endormir : celle du chevalier de Pas qui plonge dans les douves pour échapper aux gardes du château, et qui reste sous l’eau en utilisant un roseau pour respirer. Le jeune garçon s’endort paisiblement en suçant son pouce. La mère va s’assoir sur le lit en face, regarde le portrait d’un homme qu’elle a sorti de ses affaires, et sort un calepin où elle écrit un court poème destiné à cet homme. Puis elle prend son châle, et elle sort prendre l’air. Le bruit de la porte réveille Fernando et il lit le poème d’amour. Il déchire le poème car il comprend qu’il est destiné au nouvel amoureux de sa mère alors qu’elle avait promis de n’aimer qu’un seul, son défunt mari, le père de Fernando. La mère rentre dans la cabine à ce moment et elle est prise de colère. Elle récupère la feuille déchirée, et elle jette le ballon de son fils par le hublot. Geste qu’elle regrette immédiatement et elle demande pardon à son fils. 28 novembre 1935, à Lisbonne au petit matin, dans la salle de rédaction du Diario de Lisboa, le rédacteur-en-chef M. Da Silva comprend qu’il va falloir rédiger une nécrologie. Il la confie à Simão Cerdeira.
Fernando Pessoa (1888-1935), écrivain et poète portugais : pas forcément un auteur connu du lecteur, une référence dans son pays d’origine. En fonction de sa familiarité avec cet auteur, le lecteur comprend immédiatement que le récit commence à quelques jours de son décès, et il constate qu’il revient en arrière de temps à autre. Il apparaît plusieurs personnages au temps présent : Pessoa lui-même, Simão Cerdeira un jeune pigiste et écrivain débutant, qui va à la rencontre de personnes ayant connu le grand homme, Rosa la secrétaire du journal Diario de Lisboa, Henriqueta Nogueira la sœur de Fernando Pessoa, et quelques personnages plus secondaires comme son barbier, M. Da Silva rédacteur-en-chef du quotidien, ou Artur Portela qui a connu Pessoa, le ministre António Ferro (1895-1956), la jeune secrétaire Ofelia Queiroz. Dans le passé, apparaissent rapidement la mère de Fernando, les amis avec lesquels il a fondé la revue Orpheu, le second époux de sa mère. Le lecteur ne prête pas forcément attention au monsieur dans la salle d’attente du médecin. Il est représenté avec la même approche réaliste que les autres personnages : un visage un peu simplifié pour en faciliter la lecture et l’identification, une morphologie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il est surpris de le retrouver en page cinquante-cinq alors que Pessoa se promène dans un cimetière.
Le récit s’ouvre avec un dessin qui occupe les deux tiers de la page, sous le rappel du titre : une vue du sommet de l’échafaudage qui entoure le sommet d’une des deux tours de la cathédrale en rénovation, et une vue des derniers étages et des toits de ce quartier de Lisbonne. L’artiste prend soin de représenter la ville telle qu’elle était à cette époque, avec une approche descriptive et réaliste : les motifs du pavage de la place du Rossio, différentes rues de Lisbonne avec son tramway, un café, les installations portuaires, un grand parc, les quais, un cimetière, la cathédrale, et plusieurs intérieurs comme l’appartement de Pessoa, le cabinet du docteur, la salle de rédaction du Diario de Lisboa, une chambre d’hôpital, etc. Ces dessins peuvent devenir très détaillés pour insister sur un élément : par exemple, la métallerie de la construction permettant d’accéder à la tour de la cathédrale. Il fait preuve du souci de l’authenticité historique, à la fois dans les éléments urbains, à la fois dans les accessoires de la vie quotidiennes et dans les tenues vestimentaires. Le dessinateur utilise des traits de contour pour délimiter les personnages et les éléments du décor, avec une épaisseur parfois un peu plus appuyée, et un souci de lisibilité, de ne pas surcharger les cases. Il réalise une mise en couleurs naviguant entre le réalisme et une approche plus impressionniste, en particulier pour accompagner Pessoa et ses états d’âme, restreignant alors sa palette majoritairement des tons ocre et marron. Il fait preuve d’une sensibilité particulière pour la direction d’acteurs, en particulier pour le langage corporel du poète qui apparaît comme fragile et précautionneux, posé et mesuré.
Dès le départ, le lecteur apprécie la place laissée à la narration visuelle. Il remarque que la troisième planche est muette, laissant ainsi les dessins porter toute la narration. L’auteur a ainsi réalisé vingt-quatre planches muettes, avec des moments insoupçonnables comme une filature (Simão Cerdeira emboîtant le pas à Pessoa pour savoir où il se rend), et une tuerie à l’arme à feu dans cette structure métallique autour de la cathédrale. Le dessinateur met à profit des dispositifs visuels comme le motif du pavage qui rappelle les vagues à Pessoa, suscitant ainsi la remontée d’un souvenir d’enfance. Ou encore la possibilité d’inclure un personnage fiction, le chevalier Pas se tenant aux côtés de Fernando enfant. La mystérieuse présence de papillons virevoltant dans la chambre de son appartement : entre symbole et métaphore de la manifestation de l’inspiration et de la liberté fragile de création. Des pages où la mise en couleurs se restreint à des teintes bleutées correspondant à des scènes dans le passé. Ou encore la vie d’un personnage de fiction, Bernardo Soares, représenté dans le même registre réaliste que celle de Fernando Pessoa, l’auteur. Soucieux de la compréhension de son lecteur, l’auteur fait expliquer la notion d’hétéronyme par Artur Portela à Simão Cerdeira. Le lecteur se souvient alors de l’homme dans la salle d’attente du médecin.
Dans un premier temps, la démarche de l’auteur apparaît comme étant de relater les derniers jours de l’écrivain, de le mettre en relation au regard des personnes qu’il côtoie. Dans un second temps, le lecteur comprend que la scène en 1936 du voyage en bateau, celle de la rencontre avec Ofelia Queiroz, ou encore d’un repas de famille correspondent à des moments que Nicolas Baral a jugés comme déterminant dans la vie du poète, à la fois dans la construction de sa personnalité, à la fois dans sa vocation d’écrivain et de ce qu’il souhaite exprimer. Dans un troisième temps, il saisit également leur fibre psychanalytique, particulièrement émouvante concernant le ballon jeté par le hublot en page quatorze, un acte qui traumatise le jeune garçon comprenant que sa mère le punit en lui faisant mal. Toutefois en page soixante-six, Pessoa entreprend d’expliquer l’importance de la littérature à son barbier, en lui demandant de décrire un ballon, ce qui apporte une tout autre perspective audit traumatisme. En page trente-deux, Artur Portal explique la notion d’hétéronyme à Simão Cerdeira, une marque de fabrique de l’écrivain. Ainsi le lecteur néophyte peut comprendre ce qui se joue au cimetière, puis dans plusieurs scènes après. L’auteur met ainsi en scène les déclarations mêmes de Pessoa quant à la réalité de ces hétéronymes, ce qui a pour effet de donner à voir au lecteur ce pan de sa vie tel que l’écrivain lui-même le ressent. Avec ces différentes composantes, ce récit biographique amalgame les faits avec la vision d’auteur de Fernando Pessoa, et sa méthode d’écriture.
Les auteurs de bande dessinée biographique naviguent entre la transcription factuelle et académique des faits, parfois alourdie par de copieux cartouches, et une interprétation à l’aune des œuvres de l’artiste. Ici, l’auteur sait combiner ces deux façons d’appréhender une telle biographie, avec une narration visuelle descriptive consistante et légère à la fois, et un tour de main élégant mêlant harmonieusement les faits avec les intentions de Fernando Pessoa, l’impact émotionnel et psychologique de certains événements et le carburant créatif qu’ils constituent. Inspirant.
Pouah pouah pouah mais quelle BD. Un vrai coup de cœur !!
J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez !
C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte.
C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais.
Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité.
J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !!
J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques …
Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène.
Merci Mme Mohamed.
Superbe bd qui change de l'approche classique post apo. J'attends la suite de la série, mais elle sera en bonne place dans la bibliothèque ... A coté des conserves, provisions et rations de survie ;).
Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ?
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Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée.
Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage.
Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil.
Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe.
Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29.
Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant.
À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus.
Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.
Quel horrible individu, ennuyeux, refoulé et un peu répugnant…
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Ce tome est une anthologie regroupant cinq récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2009. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend quarante pages de bande dessinée, chaque histoire comprenant huit pages.
Krull, publié pour la première fois 1984. Le village est sombre et silencieux, les adultes sont plongés dans un sommeil pesant. Dans la chambre des enfants, la lumière tarde à s’éteindre car la peur rôde à la lueur tremblante des bougies. La nuit est profonde et c’est de nuit que Krull arrive… Rien ne vient rompre cet épais silence. Les ruelles sont désertes. Dans le village, seuls les enfants vaillent… et voici l’ogre ! Krull avec son sac et son coutelas, l’ogre qui vient enlever pour les manger… - Champignons, publié pour la première fois en 1983. Un petit gnome assis sur un champignon se plaint de sa condition : il n’en peut plus d’être assis du matin au soir sur des champignons, quel sens cela a-t-il de vivre sa vie de façon aussi grotesque ? Il a été assis sur toutes sortes de champignons. Rien que du bout des fesses, il arrive à reconnaître les chanterelles, les amanites, les pleurotes et les lépiotes. Il s’est enquiquiné sur des russules, des cèpes… Champignons, champignons jusqu’à la nausée… Le crapaud l’écoute et lui répond gentiment qu’il lui semble que c’est exactement le boulot du gnome. À quoi servent les gnomes dans les forêts si ce n’est à rester assis sur leurs petits champignons ? Son interlocuteur estime que le crapaud a beau jeu quand de temps à autre, il se transforme en beau jeune homme et il embarque de jolies princesses au lit. En son for intérieur, le crapaud se dit qu’il s’agit d’un individu ennuyeux, refoulé et un peu répugnant.
Le roi et le corbeau, publié pour la première fois en 1997. Dans une plaine ondulée, marquée par des rochers, se tient une statue de roi au milieu de nulle part. Lentes s‘écoulent les années, et, comme le lichen, elles recouvrent le grand roi de pierre, héros de batailles oubliées. Les pluies ont creusé de profondes rides de mélancolie sur son visage. Plus que le souvenir de ceux qui l’ont aimé et craint, ce qui le tourmente dans la succession silencieuse des saisons, c’est la nostalgie des territoires qu’il a vaincus et conquis. Il voit voler un corbeau vers lui et il lui demande de venir alléger sa peine. - Hortruge, publié pour la première fois en 1987. De grands yeux profonds, un visage d’albâtre, une splendide chevelure… Cependant jamais un homme n’est venu dans sa maison entre les sombres falaises de rochers. En revanche, viennent lui rendre visite, le grand ours brun, le loup gris sortis des forêts profondes par des sentiers secrets. Hortruge les caresse, ses doigts courent dans la fourrure, légers comme le vent du matin avant le lever du soleil. Mais ni l’ours brun, ni le loup gris ne repasseront par la porte comme ils étaient venus… - Puppenherstellerstr. 89, publié pour la première fois en 1982. Dans son atelier, un marionnettiste s’adresse à sa dernière création, une marionnette de petite fille, en lui indiquant qu’elle n’a qu’un chose à faire : obéir, toujours lui obéir et rien d’autre !
Ce tome fait partie de la vingtaine que l’éditeur Mosquito a consacré à ce bédéiste à la très forte personnalité. Le texte de la quatrième de couverture souhaite la bienvenue dans le monde des contes gothiques de Toppi. […] Le maître milanais distille avec humour sa noire vision de l’humanité, chaque fois l’ironie est grinçante, la pointe finale du récit surprenante et acérée. Le lecteur comprend qu’il va découvrir cinq récits à la structure très cadrée : une histoire de huit pages, un élément fantastique ou un personnage de conte, dans une version avec le point de vue de l’auteur. Comme d’habitude avec ces recueils, le lecteur peut s’interroger sur la nature de ce qu’il lit, entre bande dessinée et texte illustré. D’un côté, il y a de nombreuses pages qui s’assimilent à une illustration en pleine page, ou à une composition agrégeant deux ou trois dessins en une seule image, neuf planches sur quarante, soit près du quart. De l’autre côté, l’auteur fait usage de phylactères, souvent pour un texte d’exposition, de cases, souvent des moments juxtaposés, sans mouvement, ne participant pas d’un même mouvement de caméra, Enfin les dessins sont finement ouvragés, texturés jusqu’à l’obsession, certains personnages donnent l’impression de poser, des éléments peuvent être déformés pour revêtir une qualité expressionniste, et chaque récit comprend une composante fantastique évoquant un conte.
Du fait de la pagination de huit pages, chaque récit repose sur une idée principale, avec un monstre ou une créature issue des contes, et une chute qui prend la conclusion habituelle à rebours. Premier récit : un ogre qui enlève des enfants pour les manger. Il les ramène dans sa maison dans les bois pour les confier à son épouse une femme magnifique, qui les cuisine. Pas de doute, il s’agit bien d’un conte, car il est peu plausible que l’ogre ait pu se construire une maison en pierres d’une telle dimension, sans que les villageois ne parviennent à la localiser. Ou qu’il puisse enlever des enfants très régulièrement pour les manger, et qu’il en trouve encore à proximité de sa demeure après toutes ces années. Le lecteur peut relever ces formes de licences littéraires dans les autres contes : l’existence même d’un kobold (créature légendaire du folklore germanique) et un crapaud qui parle (et paraît-il se transforme occasionnellement en beau prince), une statue de pierre qui parle avec un corbeau, une femme qui vit dans une demeure isolée sans moyen de subsistance, ou encore une marionnette douée de vie.
Le lecteur se rend vite compte que l’auteur sait ce qu’il fait, c’est-à-dire qu’il utilise sciemment le genre du conte pour évoquer des thèmes adultes, soit par sous-entendu, soit de manière explicite. Cet horrible ogre monstrueux ne sait pas dire non à son épouse, et est resté très attaché à sa mère. Le gnome rêve d’être quelqu’un d’autre, avec des envies qui donnent à réfléchir : un maréchal fastueux, cynique et crapuleux, un archiduc Habsbourg qui s’adonnerait aux plus ténébreuses perversions, un chef de police secrète qui s’occuperait de couper en rondelles les opposants au régime. Le gnome évoque nominativement Guenrikh Grigorievitch Iagoda (1891-1938) acteur majeur dans la mise en place des goulags, et Félix Dzerjinski (1877-1926), fondateur de la Tchéka (police politique). Le crapaud pense en lui-même que : Ça ferait le bonheur du plus tordu des disciples de Freud que de connaître les désirs des gnomes de livres pour enfants. Il devient ainsi patent que l’auteur utilise sciemment la dimension psychanalytique des contes pour enfants, en intégrant des thèmes comme l’homme adulte encore sous l’influence de sa mère qui le choie toujours comme un enfant, l’envie de devenir quelqu’un d’autre grâce à un philtre magique, la nostalgie des heures de gloire passées pour un vieil homme, la puissance et l’aveuglement de la passion amoureuse, la prise d’autonomie d’un enfant qui se conduit comme il a vu ses parents se conduire.
Toutefois s’il connaît déjà cet artiste, le lecteur est plutôt venu pour sa narration visuelle si personnelle, et plus précisément pour ses dessins. Il est servi dès la couverture avec cette magnifique teinte verte, rehaussé par la touche violette, les doigts impossiblement longs du crapaud et la mine peu amène du kobold. Puis il découvre une illustration s’étalant sur deux pages, une chaumière dans la nuit, un voyageur qui s’en approche, une très belle utilisation de taches d’encre pour donner l’apparence de la nuit au paysage. Le récit Krull commence avec une illustration en pleine page, une vue de bâtiments du village avec un cadrage déstabilisant : le dernier étage et le toit de la maison en premier plan, et le toit de l’église rehaussé de deux bulbes, une architecture mixte étrange. L’artiste mélange ainsi plusieurs influences, ici avec des touches slaves marquées, et un sens du regard (la maison avec son porche et ses deux lucarnes qui font comme un visage dans la deuxième planche). Par comparaison, la maison de l’ogre et de son épouse apparaît plus grossière, et celle de sa mère plus ancienne, avec de nombreuses poutres extérieures non équarries. Le chalet en bois de Hortruge a bénéficié d’une construction rigoureuse et d’une finition très propre. Les rues de la ville où réside le marionnettiste présentent de solides constructions en pierres de deux ou trois étages et des maisons à un étage en bois ayant dû être consolidées avec des pièces rapportées.
Comme il convient à des contes, certains personnages sortent de l’ordinaire : l’ogre avec sa dentition acérée, son grand couteau bien sûr, et ses chausses pointues, Dzybilyactun, halac Huinic, grand chef des Mayas Totzil, à la parure tellement chargée qu’il semble être à moitié pétrifié, la magnifique Hortruge avec sa mèche de cheveu blanc dans sa chevelure noire, le vieux marionnettiste avec son costume trois pièces, sa mèche rebelle et ses yeux enfoncés. Sans oublier cette mise en page incroyable : une narration graphique qui intègre de véritables illustrations comme gravées avec une minutie inimaginable, et des séquences plus classiques comme le vol du corbeau au-dessus de ce que fut le royaume du héros de batailles oubliées. Le lecteur éprouve la sensation de pouvoir toucher chaque élément, de sentir leur texture. Il constate que régulièrement une case ou un élément le prend par surprise : un hibou en premier plan dans la dernière case de la page 9 avec l’ogre en arrière-plan, un oiseau perché sur un pieu en bois dans une case de la hauteur de la page, un dessin en pleine page consacré aux arabesques d’un champignon, des parures mayas, un abreuvoir en train de se remplir d’une eau s’écoulant d’un tronc d’arbre évidé, une rombière dans une robe noire bouffante du plus bel effet, etc. Chaque page est un délice pour les yeux, un véritable enchantement. C’est d’ailleurs ce qui donne une ampleur peu commune à chacun de ces cinq contes.
Cinq contes avec des figures assez classiques, d’une pagination assez brève, avec une chute plus ou moins originale. Oui, mais c’est raconté par Sergio Toppi, ce qui change tout. La narration visuelle plonge le lecteur dans des endroits donnant une sensation tactile par la richesse de leurs textures, elle montre des endroits plausibles tout en amalgamant des éléments venus de culture différentes. Les personnages participent à la fois du registre du conte et du registre romanesque. L’amalgame entre texte illustré et bande dessinée est parfaitement maîtrisé, l’art de conteur qui n’appartient qu’à ce créateur. Le lecteur n’est pas près d’oublier chacun de ces endroits, et les thèmes adultes mis en scène.
Bon, voilà, c'est mon centième avis.
Et, sans grande originalité, il portera sur "De Cape et de Crocs".
Bah oui, que voulez-vous ? Comme dit dans mon avis sur Edmond, c'est grâce à cette série (et grâce à Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand) que j'ai enfin compris ce que cherchais à accomplir le langage poétique. En tout cas j'ai compris l'une des manières de comprendre la poésie : la poésie comme un langage esthétique ancré dans le réel et le vivant, et non comme le cachet ampoulé et pédant que je pensais qu'elle était.
Parce que de Cape et de Croc est une série poétique dans ce sens là. On cherche le beau mais pas comme une fin en soi. Ou alors si, justement, pour le simple plaisir de jouer avec les mots, de prendre plaisir à les dire, pour trouver le beau au delà de la simple image du beau. La forme est belle pour montrer que le fond l'est tout autant. Alors ça rime, ça rythme et ça compte, mais surtout pour appuyer des dialogues vifs, percutants, cinglants parfois même.
Les personnages sont pour beaucoup inspirés d'archétypes théâtraux, provenant de la Comedia Del Arte comme du répertoire néo-classique français (je pense à des archétypes très Molièriens comme celui de Cénile Spilorcio, clairement inspiré d'Harpagon). Mais l'on retrouve aussi des références aux œuvres de La Fontaine, au Roman de Renart, à un poème de Baudelaire même ! Il y a même du cinéma, parfois ! Bref, les références et inspirations fusent tout du long, tout ça, encore une fois, dans un but d'esthétisme mais surtout de connivence. On ressent tout au long de l'histoire le plaisir qu'Ayroles a eu à l'écrire.
Nos protagonistes, Don Lope et Armand, sont bons. Le premier est un hidalgo sanguin, brave et orgueilleux, le second un français poète et romantique. A eux-deux, ils forment un bon duo, jonglant sans transition entre le comique et l'épique, par leurs personnalités opposées entrant en conflit ou bien s'accordant en un éclair pour asséner à grand coup d'épée et de répliques cinglantes de cuisantes défaites à leurs adversaires. Ils sont également accompagnés d'Eusèbe, gentil et doux lapin, personnage principal des deux derniers albums (en réalité une préquel). Il y a également plein d'autres personnages importants, Kader, Hermine et Séléné pour ne citer que les plus célèbres de leurs adjuvant-e-s.
Voilà, ça se bat avec panache, à l'épée comme à la langue, ça part à l'aventure jusqu'au bout du monde (et même hors du monde s'il le faut), ça fait des bons mots pour le plaisir même de les faire, ça sait être drôle comme ça sait être triste, en un mot comme en cent : j'adore.
Certes, l'œuvre n'est pas sans défaut. Déjà, il y a les deux derniers albums centrés sur Eusèbe évoqués plus tôt. Bien qu'ils restent très bons, leurs qualités est moindre et contraste tellement avec les dix albums précédents qu'ils en pâlissent malgré eux. Il y a aussi certaines longueurs qui sont souvent reprochées à l'arc des sélénites, mais je dois bien avoué qu'ici je parlerais vraiment d'une affaire de goût. Je comprend d'où viennent les reproches, je constate bien que le rythme devient plus lent à ce moment là, sans doute trop lent pour certain-e-s, mais moi il ne m'a pas dérangé. Pire : j'aime bien cet arc.
Alors voilà, si même face aux défauts j'en viens à me dire qu'ils ne me gênent guère, je n'aurais aucun scrupule à donner la note maximale à cette série.
Certes, j'ai dit que les deux derniers albums étaient moindres (ils vaudraient un solide 4 étoiles à mes yeux) et selon mes critères de notation je devrait ajuster ma note en conséquent. Mais s'il y a bien une série qui doit être mon exception, un avis où j'ai envie d'envoyer voler l'impartialité sans une once de remords, c'est bien "De Cape et de Crocs".
Anticipation pertinente & festin graphique
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Ce recueil regroupe les huit épisodes de la série (arrêtée brutalement faute de ventes suffisantes), parus en 1974/1975. Jack Kirby réalise tous les scénarios et les dessins. L'encrage est assuré par Mike Royer pour les épisodes 1 et 8 ; les épisodes 2 à 7 sont encrés par Bruce Berry.
Dans un futur proche, une organisation mondiale (Global Peace Agency, en abrégé GPA) a établi la paix à l'échelle de la planète. Les armées sont proscrites sur Terre. Les agents de a GPA n'utilisent que des armes défensives. Pour toutes les opérations de police requérant l'usage de la force ou d'armes, la GPA fait intervenir OMAC (One Man Army Corps). Il s'agit d'un être surhumain qui est assisté par une intelligence artificielle logée dans un satellite en orbite autour de la Terre et dénommé Brother Eye.
Le premier épisode est consacré à l'origine d'OMAC, comment Buddy Blank, un petit employé de bureau, est devenu ce soldat exceptionnel. Par la suite OMAC est dépêché sur des missions impliquant une résurgence du crime organisé, un dictateur ayant organisé une armée illégale, un trafic d'organes à grande échelle, et un vol à grande échelle des ressources en eau de la planète.
Il s'agit donc d'une série de science-fiction de Jack Kirby, avec un parfum de superhéros lié au costume d'OMAC et à sa force gigantesque. Toutefois les situations conflictuelles imaginées par Kirby prennent avant tout leur source dans l'anticipation et une projection des risques éthiques générés par les avancées scientifiques. Dès la première page, Jack Kirby le scénariste et Jack Kirby le dessinateur en donnent pour leur argent aux lecteurs. Cette image de femme encadrée par ses deux jambes nues forme une composition aussi troublante que dérangeante et étonnement sensuelle.
Le trafic d'organe propose également une forte probabilité de dérive des applications scientifiques et génétiques au profit de la couche de population qui dispose des plus forts revenus. Le scénariste joue le jeu de l'anticipation pour aborder des thématiques qui restent encore d'actualité de nos jours.
La série reprend des codes de superhéros : les conflits réglés par la force physique, le héros courageux et désintéressé (presque dépourvu de personnalité après son remodelage en OMAC), les criminels commettant des actes définitivement répréhensibles, etc. Kirby utilise également Brother Eye à la manière d'un deus ex machina, un peu trop voyant. D'un coté il y a cette superbe idée de placer l'intelligence artificielle comme un œil ayant vu sur la terre entière (l'œil de Dieu). De l'autre il s'en sert pour donner plus de pouvoir à OMAC ou pour envoyer un rayon destructeur afin de faire basculer le rapport des forces en présence et de donner la victoire facilement à OMAC. Il y a également quelques passages dans lesquels les principes de base de la science sont accommodés à la sauce comics pour les besoins de l'intrigue.
Coté graphique, Jack Kirby est en grande forme. Les scénarios donnent l'impression qu'il peut enfin parler de choses qui lui tiennent à cœur, les dessins possèdent l'énergie légendaire du King, avec des scènes inventives et marquantes. Outre cette première pleine page d'une totale étrangeté, le lecteur retrouve la capacité de Kirby à aller vers l'épure, et même vers l'abstraction. Pour l'épure, il y a cet œil artificiel en orbite qui flotte tel un disque géométrique au milieu d'énergies cosmiques impossibles. Kirby ne représente pas la réalité, il l'interprète, il la transforme en une source de merveilleux.
Brother Eye a droit à une double page dans l'épisode quatre qui exprime à la fois la naïveté du concept (des rayons d'énergie multi-usage transmis à OMAC sur terre, une myriade de corps spatiaux impossibles (de simples ronds de couleurs), et à la fois l'essence même de cette présence omnipotente. L'arrière plan cosmique se transforme en un tableau d'art abstrait exprimant l'idée du vide spatiale et des merveilles inconnues qu'il recèle. Et du coup Brother Eye apparaît pour ce qu'il est : un deus ex machina, l'incarnation même du créateur Jack Kirby dans son comics. Cette façon de dessiner les décors comme un élément pictural renforçant l'ambiance, débarrassé de toute obligation de réalisme (une spécialité de Kirby) imprègne les premiers épisodes et se généralise à partir de l'épisode 6 pour des pages magnifiques où la technologie d'anticipation, mais aussi les murs de maçonnerie, les bâtiments, les armes futuristes sont habitées par une vision conceptuelle suggérant qu'une dimension inconnue et ancienne est là sous nos yeux. L'environnement regorge de points de passage vers cet ailleurs.
Ce mode de représentation qui accentue les figures géométriques et les ombrages déconnectés des sources de lumière va jusqu'à transfigurer la nature également : une double page hallucinée des fonds sous-marins privé d'eau dans l'épisode 7. Pour le plus grand plaisir du lecteur, Bruce Berry encre de manière respectueuse les crayonnés de Kirby (il y a quelques pages crayonnées sans encrage dans le volume, en plus des épisodes), même s'il manque un peu de sensibilité. Les deux épisodes (1 & 8) encrés par Mike Royer sont parfaits : il parachève les dessins de Kirby en respectant ses traits et en les épurant discrètement.
Bien sûr cette manière de transformer les décors en composants artistiques proches de l'abstraction n'est pas spécifique à la série OMAC, il est possible de l'observer dans d'autres séries de Kirby. Mais ce tome en contient un exemple remarquable. Cette approche graphique plus sophistiquée qu'il n'y paraît (peu de dessinateurs de comics maîtrisent cette technique d'abstraction) est encore renforcée par une imagination visuelle exceptionnelle.
Jack Kirby (le scénariste) concocte des situations à fort potentiel visuel, magnifiées par Jack Kirby le dessinateur : ces femmes objets à monter soi même, des mannequins à tabasser pour employés de bureau stressés, deux tueurs costumés pour mardi gras, un monstre fantasmagorique dans une réalité virtuelle (double page inoubliable, avec une texture à mi-chemin entre la peau et la pierre), un camion démesuré porte-hélicoptères, une batterie de tank congelés, des cœlacanthes antédiluviens, etc. L'imagination de Kirby ne connaît aucune limite et il marie avec brio une anticipation perspicace avec des archétypes jungiens.
Malheureusement OMAC s'est arrêté en cours d'histoire et il aurait fallu un épisode pour boucler la dernière intrigue. Toutefois, ne vous laissez pas arrêter par ce détail de peu d'importance au regard du plaisir exceptionnel de lecture que procure cette œuvre d'anticipation adulte, aux illustrations en prise directe avec une réalité fantastique, ce qui fait facilement oublier quelques facilités naïves du scénario.
Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée.
Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS.
Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau.
Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge.
Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan.
Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter.
Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère.
Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme.
Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.
Super découverte. C'est un manga magnifique autant du point de vue du dessin que de l'histoire. L'ouvrage se distingue par sa qualité de réalisation plus que par son originalité.
Il coche toutes les cases de ce que j'aime et attends d'un manga Post apocalypse. Cecidit c'est une narration très lente et avec peu d'action qui ne plairait peut-être pas à tout le monde.
C'est un travail sur l'ambiance à travers la découverte d'un univers fait de villes en ruines et de monde détruit. Une recherche de sens qui joue sur les sentiments de gâchis, de nostalgie et de terreur. C'est une mise en évidence de la beauté de notre monde à travers la contemplation des ruines de la transformation que l'homme a infligé à notre planète.
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Walking Dead
Un chef-d’œuvre du genre post-apocalyptique The Walking Dead, c’est bien plus qu’un simple comics. C’est une œuvre qui m’a complètement happé, une plongée dans l’horreur et l’humanité la plus brute. Ce qui rend cette série si incroyable, ce sont les personnages : ils sont tellement humains, avec leurs forces, leurs failles, leurs erreurs… On s’attache à eux, on souffre avec eux, et parfois, on est dévasté par leurs pertes. Les relations sociales et les dilemmes moraux sont au cœur de l’histoire, et c’est ce qui m’a le plus touché. Ce n’est pas juste une histoire de zombies, c’est une réflexion sur ce que signifie survivre dans un monde où tout s’effondre. Le noir et blanc renforce cette immersion : il donne une ambiance sombre, réaliste, et chaque dessin de Charlie Adlard est chargé d’émotion et de tension. Les morts sont brutales, imprévisibles, et elles nous rappellent constamment que personne n’est à l’abri. Franchement, je manque de mots pour décrire à quel point cette série est exceptionnelle. C’est une œuvre qui reste en tête longtemps après l’avoir lue. Pour moi, The Walking Dead est incontournable, que vous soyez fan de comics ou non.
L'Intranquille monsieur Pessoa
Mens agitat molem. - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Nicolas Barral pour le scénario, les dessins et les couleurs, avec la participation Marie Baral pour les couleurs. Il comprend cent-trente-et-une pages de bande dessinée. Il s’ouvre avec une introduction de Simño Cerdeira. Il se termine avec une photographie de la malle remplie de manuscrits de l’écrivain, et une page comprenant une bibliographie recensant trois ouvrages sur l’écrivain, et huit ouvrages de l’écrivain, ainsi que la liste des ouvrages de Barral chez le même éditeur et chez d’autres éditeurs. Lisbonne, en 1935, Fernando Pessoa est en consultation chez son médecin qui lui annonce que son foie est très abimé. Le poète regarde le chantier de la cathédrale Sainte-Marie-Majeure. Il demande au docteur s’il a déjà pris l’ascenseur. Il explique que celui-ci a été créé par un ingénieur français, Raoul Megnier, et appartient à la compagnie des tramways électriques. Il dessert le Largo du Carmo. Le billet pour accéder tout en haut est un cher, mais quel panorama ! Le médecin ne se laisse pas distraire : il indique qu’il est très sérieux et qu’il va falloir qu’il hospitalise Pessoa. Ce dernier lui répond qu’il doit lui faire une confidence : il est immortel. Le médecin ne s’en laisse toujours pas conter et il ajoute qu’en attendant il adresse l’écrivain à un confrère à l’hôpital Saint-Louis des Français, il lui conseille de prendre ses dispositions. Pessoa sort du cabinet, et il salue un homme habillé de tout de noir dans la salle d’attente. En descendant dans l’escalier, il tousse et crache un peu de sang dans son mouchoir. Il sort dans la rue, et il marche sur le motif pavé de vagues de la place du Rossio. Son esprit se met à vagabonder. Fernando Pessoa se souvient d’un épisode de son enfance, en 1936 sur un navire de ligne au large du cap de Bonne Espérance. Il était dans une cabine avec sa mère et elle lui lit une histoire pour l’endormir : celle du chevalier de Pas qui plonge dans les douves pour échapper aux gardes du château, et qui reste sous l’eau en utilisant un roseau pour respirer. Le jeune garçon s’endort paisiblement en suçant son pouce. La mère va s’assoir sur le lit en face, regarde le portrait d’un homme qu’elle a sorti de ses affaires, et sort un calepin où elle écrit un court poème destiné à cet homme. Puis elle prend son châle, et elle sort prendre l’air. Le bruit de la porte réveille Fernando et il lit le poème d’amour. Il déchire le poème car il comprend qu’il est destiné au nouvel amoureux de sa mère alors qu’elle avait promis de n’aimer qu’un seul, son défunt mari, le père de Fernando. La mère rentre dans la cabine à ce moment et elle est prise de colère. Elle récupère la feuille déchirée, et elle jette le ballon de son fils par le hublot. Geste qu’elle regrette immédiatement et elle demande pardon à son fils. 28 novembre 1935, à Lisbonne au petit matin, dans la salle de rédaction du Diario de Lisboa, le rédacteur-en-chef M. Da Silva comprend qu’il va falloir rédiger une nécrologie. Il la confie à Simão Cerdeira. Fernando Pessoa (1888-1935), écrivain et poète portugais : pas forcément un auteur connu du lecteur, une référence dans son pays d’origine. En fonction de sa familiarité avec cet auteur, le lecteur comprend immédiatement que le récit commence à quelques jours de son décès, et il constate qu’il revient en arrière de temps à autre. Il apparaît plusieurs personnages au temps présent : Pessoa lui-même, Simão Cerdeira un jeune pigiste et écrivain débutant, qui va à la rencontre de personnes ayant connu le grand homme, Rosa la secrétaire du journal Diario de Lisboa, Henriqueta Nogueira la sœur de Fernando Pessoa, et quelques personnages plus secondaires comme son barbier, M. Da Silva rédacteur-en-chef du quotidien, ou Artur Portela qui a connu Pessoa, le ministre António Ferro (1895-1956), la jeune secrétaire Ofelia Queiroz. Dans le passé, apparaissent rapidement la mère de Fernando, les amis avec lesquels il a fondé la revue Orpheu, le second époux de sa mère. Le lecteur ne prête pas forcément attention au monsieur dans la salle d’attente du médecin. Il est représenté avec la même approche réaliste que les autres personnages : un visage un peu simplifié pour en faciliter la lecture et l’identification, une morphologie tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Il est surpris de le retrouver en page cinquante-cinq alors que Pessoa se promène dans un cimetière. Le récit s’ouvre avec un dessin qui occupe les deux tiers de la page, sous le rappel du titre : une vue du sommet de l’échafaudage qui entoure le sommet d’une des deux tours de la cathédrale en rénovation, et une vue des derniers étages et des toits de ce quartier de Lisbonne. L’artiste prend soin de représenter la ville telle qu’elle était à cette époque, avec une approche descriptive et réaliste : les motifs du pavage de la place du Rossio, différentes rues de Lisbonne avec son tramway, un café, les installations portuaires, un grand parc, les quais, un cimetière, la cathédrale, et plusieurs intérieurs comme l’appartement de Pessoa, le cabinet du docteur, la salle de rédaction du Diario de Lisboa, une chambre d’hôpital, etc. Ces dessins peuvent devenir très détaillés pour insister sur un élément : par exemple, la métallerie de la construction permettant d’accéder à la tour de la cathédrale. Il fait preuve du souci de l’authenticité historique, à la fois dans les éléments urbains, à la fois dans les accessoires de la vie quotidiennes et dans les tenues vestimentaires. Le dessinateur utilise des traits de contour pour délimiter les personnages et les éléments du décor, avec une épaisseur parfois un peu plus appuyée, et un souci de lisibilité, de ne pas surcharger les cases. Il réalise une mise en couleurs naviguant entre le réalisme et une approche plus impressionniste, en particulier pour accompagner Pessoa et ses états d’âme, restreignant alors sa palette majoritairement des tons ocre et marron. Il fait preuve d’une sensibilité particulière pour la direction d’acteurs, en particulier pour le langage corporel du poète qui apparaît comme fragile et précautionneux, posé et mesuré. Dès le départ, le lecteur apprécie la place laissée à la narration visuelle. Il remarque que la troisième planche est muette, laissant ainsi les dessins porter toute la narration. L’auteur a ainsi réalisé vingt-quatre planches muettes, avec des moments insoupçonnables comme une filature (Simão Cerdeira emboîtant le pas à Pessoa pour savoir où il se rend), et une tuerie à l’arme à feu dans cette structure métallique autour de la cathédrale. Le dessinateur met à profit des dispositifs visuels comme le motif du pavage qui rappelle les vagues à Pessoa, suscitant ainsi la remontée d’un souvenir d’enfance. Ou encore la possibilité d’inclure un personnage fiction, le chevalier Pas se tenant aux côtés de Fernando enfant. La mystérieuse présence de papillons virevoltant dans la chambre de son appartement : entre symbole et métaphore de la manifestation de l’inspiration et de la liberté fragile de création. Des pages où la mise en couleurs se restreint à des teintes bleutées correspondant à des scènes dans le passé. Ou encore la vie d’un personnage de fiction, Bernardo Soares, représenté dans le même registre réaliste que celle de Fernando Pessoa, l’auteur. Soucieux de la compréhension de son lecteur, l’auteur fait expliquer la notion d’hétéronyme par Artur Portela à Simão Cerdeira. Le lecteur se souvient alors de l’homme dans la salle d’attente du médecin. Dans un premier temps, la démarche de l’auteur apparaît comme étant de relater les derniers jours de l’écrivain, de le mettre en relation au regard des personnes qu’il côtoie. Dans un second temps, le lecteur comprend que la scène en 1936 du voyage en bateau, celle de la rencontre avec Ofelia Queiroz, ou encore d’un repas de famille correspondent à des moments que Nicolas Baral a jugés comme déterminant dans la vie du poète, à la fois dans la construction de sa personnalité, à la fois dans sa vocation d’écrivain et de ce qu’il souhaite exprimer. Dans un troisième temps, il saisit également leur fibre psychanalytique, particulièrement émouvante concernant le ballon jeté par le hublot en page quatorze, un acte qui traumatise le jeune garçon comprenant que sa mère le punit en lui faisant mal. Toutefois en page soixante-six, Pessoa entreprend d’expliquer l’importance de la littérature à son barbier, en lui demandant de décrire un ballon, ce qui apporte une tout autre perspective audit traumatisme. En page trente-deux, Artur Portal explique la notion d’hétéronyme à Simão Cerdeira, une marque de fabrique de l’écrivain. Ainsi le lecteur néophyte peut comprendre ce qui se joue au cimetière, puis dans plusieurs scènes après. L’auteur met ainsi en scène les déclarations mêmes de Pessoa quant à la réalité de ces hétéronymes, ce qui a pour effet de donner à voir au lecteur ce pan de sa vie tel que l’écrivain lui-même le ressent. Avec ces différentes composantes, ce récit biographique amalgame les faits avec la vision d’auteur de Fernando Pessoa, et sa méthode d’écriture. Les auteurs de bande dessinée biographique naviguent entre la transcription factuelle et académique des faits, parfois alourdie par de copieux cartouches, et une interprétation à l’aune des œuvres de l’artiste. Ici, l’auteur sait combiner ces deux façons d’appréhender une telle biographie, avec une narration visuelle descriptive consistante et légère à la fois, et un tour de main élégant mêlant harmonieusement les faits avec les intentions de Fernando Pessoa, l’impact émotionnel et psychologique de certains événements et le carburant créatif qu’ils constituent. Inspirant.
Shubeik Lubeik
Pouah pouah pouah mais quelle BD. Un vrai coup de cœur !! J’en ai lu des chouettes trucs de 2024 mais pour l’instant cet album sort clairement du lot. Il semble être malheureusement passé un peu inaperçu mais si je n’avais qu’un mot à dire, c’est : Foncez ! C’est une œuvre qui vous surprendra et vous charmera. Une petite pépite venue d’Égypte. C’est rempli de spontanéité, de fraîcheur, d’émotions, d’intelligence, de trouvailles, de surprises … une lecture tout simplement excellente et magnifique. Je l’ai lu en 3 soirées et en espérant que ça ne s’arrête jamais. Je vous renvoie au bien bel avis de Spooky pour en connaître davantage (que je remercie pour la découverte). Je passe juste pour vous encourager à tomber dessus le plus rapidement possible (pourquoi pas pour le prix bdtheque ? ;) ça serait mérité. J’en suis sorti franchement bluffé, une autrice à suivre et de grands talents. Bravo à elle !! J’ai adoré son univers et le soin apporté : c’est ponctué d’articles, chiffres dans la veine de doggybags ; il y a une belle variété dans le trait et couleurs (ne vous arrêtez pas à la galerie ou couverture) ; le message transmis est superbe, l’usage du conte judicieux, les personnages magnifiques … Bon vous l’aurez compris je suis plus qu’enthousiaste, il s’en dégage une magie indéniable, je n’ai rien à redire. Plus qu’une bouffée d’air frais, une véritable bouteille d’oxygène. Merci Mme Mohamed.
Happy End
Superbe bd qui change de l'approche classique post apo. J'attends la suite de la série, mais elle sera en bonne place dans la bibliothèque ... A coté des conserves, provisions et rations de survie ;).
Hiver à l'opéra
Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ? - Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage. Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil. Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe. Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29. Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant. À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus. Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.
Krull
Quel horrible individu, ennuyeux, refoulé et un peu répugnant… - Ce tome est une anthologie regroupant cinq récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2009. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend quarante pages de bande dessinée, chaque histoire comprenant huit pages. Krull, publié pour la première fois 1984. Le village est sombre et silencieux, les adultes sont plongés dans un sommeil pesant. Dans la chambre des enfants, la lumière tarde à s’éteindre car la peur rôde à la lueur tremblante des bougies. La nuit est profonde et c’est de nuit que Krull arrive… Rien ne vient rompre cet épais silence. Les ruelles sont désertes. Dans le village, seuls les enfants vaillent… et voici l’ogre ! Krull avec son sac et son coutelas, l’ogre qui vient enlever pour les manger… - Champignons, publié pour la première fois en 1983. Un petit gnome assis sur un champignon se plaint de sa condition : il n’en peut plus d’être assis du matin au soir sur des champignons, quel sens cela a-t-il de vivre sa vie de façon aussi grotesque ? Il a été assis sur toutes sortes de champignons. Rien que du bout des fesses, il arrive à reconnaître les chanterelles, les amanites, les pleurotes et les lépiotes. Il s’est enquiquiné sur des russules, des cèpes… Champignons, champignons jusqu’à la nausée… Le crapaud l’écoute et lui répond gentiment qu’il lui semble que c’est exactement le boulot du gnome. À quoi servent les gnomes dans les forêts si ce n’est à rester assis sur leurs petits champignons ? Son interlocuteur estime que le crapaud a beau jeu quand de temps à autre, il se transforme en beau jeune homme et il embarque de jolies princesses au lit. En son for intérieur, le crapaud se dit qu’il s’agit d’un individu ennuyeux, refoulé et un peu répugnant. Le roi et le corbeau, publié pour la première fois en 1997. Dans une plaine ondulée, marquée par des rochers, se tient une statue de roi au milieu de nulle part. Lentes s‘écoulent les années, et, comme le lichen, elles recouvrent le grand roi de pierre, héros de batailles oubliées. Les pluies ont creusé de profondes rides de mélancolie sur son visage. Plus que le souvenir de ceux qui l’ont aimé et craint, ce qui le tourmente dans la succession silencieuse des saisons, c’est la nostalgie des territoires qu’il a vaincus et conquis. Il voit voler un corbeau vers lui et il lui demande de venir alléger sa peine. - Hortruge, publié pour la première fois en 1987. De grands yeux profonds, un visage d’albâtre, une splendide chevelure… Cependant jamais un homme n’est venu dans sa maison entre les sombres falaises de rochers. En revanche, viennent lui rendre visite, le grand ours brun, le loup gris sortis des forêts profondes par des sentiers secrets. Hortruge les caresse, ses doigts courent dans la fourrure, légers comme le vent du matin avant le lever du soleil. Mais ni l’ours brun, ni le loup gris ne repasseront par la porte comme ils étaient venus… - Puppenherstellerstr. 89, publié pour la première fois en 1982. Dans son atelier, un marionnettiste s’adresse à sa dernière création, une marionnette de petite fille, en lui indiquant qu’elle n’a qu’un chose à faire : obéir, toujours lui obéir et rien d’autre ! Ce tome fait partie de la vingtaine que l’éditeur Mosquito a consacré à ce bédéiste à la très forte personnalité. Le texte de la quatrième de couverture souhaite la bienvenue dans le monde des contes gothiques de Toppi. […] Le maître milanais distille avec humour sa noire vision de l’humanité, chaque fois l’ironie est grinçante, la pointe finale du récit surprenante et acérée. Le lecteur comprend qu’il va découvrir cinq récits à la structure très cadrée : une histoire de huit pages, un élément fantastique ou un personnage de conte, dans une version avec le point de vue de l’auteur. Comme d’habitude avec ces recueils, le lecteur peut s’interroger sur la nature de ce qu’il lit, entre bande dessinée et texte illustré. D’un côté, il y a de nombreuses pages qui s’assimilent à une illustration en pleine page, ou à une composition agrégeant deux ou trois dessins en une seule image, neuf planches sur quarante, soit près du quart. De l’autre côté, l’auteur fait usage de phylactères, souvent pour un texte d’exposition, de cases, souvent des moments juxtaposés, sans mouvement, ne participant pas d’un même mouvement de caméra, Enfin les dessins sont finement ouvragés, texturés jusqu’à l’obsession, certains personnages donnent l’impression de poser, des éléments peuvent être déformés pour revêtir une qualité expressionniste, et chaque récit comprend une composante fantastique évoquant un conte. Du fait de la pagination de huit pages, chaque récit repose sur une idée principale, avec un monstre ou une créature issue des contes, et une chute qui prend la conclusion habituelle à rebours. Premier récit : un ogre qui enlève des enfants pour les manger. Il les ramène dans sa maison dans les bois pour les confier à son épouse une femme magnifique, qui les cuisine. Pas de doute, il s’agit bien d’un conte, car il est peu plausible que l’ogre ait pu se construire une maison en pierres d’une telle dimension, sans que les villageois ne parviennent à la localiser. Ou qu’il puisse enlever des enfants très régulièrement pour les manger, et qu’il en trouve encore à proximité de sa demeure après toutes ces années. Le lecteur peut relever ces formes de licences littéraires dans les autres contes : l’existence même d’un kobold (créature légendaire du folklore germanique) et un crapaud qui parle (et paraît-il se transforme occasionnellement en beau prince), une statue de pierre qui parle avec un corbeau, une femme qui vit dans une demeure isolée sans moyen de subsistance, ou encore une marionnette douée de vie. Le lecteur se rend vite compte que l’auteur sait ce qu’il fait, c’est-à-dire qu’il utilise sciemment le genre du conte pour évoquer des thèmes adultes, soit par sous-entendu, soit de manière explicite. Cet horrible ogre monstrueux ne sait pas dire non à son épouse, et est resté très attaché à sa mère. Le gnome rêve d’être quelqu’un d’autre, avec des envies qui donnent à réfléchir : un maréchal fastueux, cynique et crapuleux, un archiduc Habsbourg qui s’adonnerait aux plus ténébreuses perversions, un chef de police secrète qui s’occuperait de couper en rondelles les opposants au régime. Le gnome évoque nominativement Guenrikh Grigorievitch Iagoda (1891-1938) acteur majeur dans la mise en place des goulags, et Félix Dzerjinski (1877-1926), fondateur de la Tchéka (police politique). Le crapaud pense en lui-même que : Ça ferait le bonheur du plus tordu des disciples de Freud que de connaître les désirs des gnomes de livres pour enfants. Il devient ainsi patent que l’auteur utilise sciemment la dimension psychanalytique des contes pour enfants, en intégrant des thèmes comme l’homme adulte encore sous l’influence de sa mère qui le choie toujours comme un enfant, l’envie de devenir quelqu’un d’autre grâce à un philtre magique, la nostalgie des heures de gloire passées pour un vieil homme, la puissance et l’aveuglement de la passion amoureuse, la prise d’autonomie d’un enfant qui se conduit comme il a vu ses parents se conduire. Toutefois s’il connaît déjà cet artiste, le lecteur est plutôt venu pour sa narration visuelle si personnelle, et plus précisément pour ses dessins. Il est servi dès la couverture avec cette magnifique teinte verte, rehaussé par la touche violette, les doigts impossiblement longs du crapaud et la mine peu amène du kobold. Puis il découvre une illustration s’étalant sur deux pages, une chaumière dans la nuit, un voyageur qui s’en approche, une très belle utilisation de taches d’encre pour donner l’apparence de la nuit au paysage. Le récit Krull commence avec une illustration en pleine page, une vue de bâtiments du village avec un cadrage déstabilisant : le dernier étage et le toit de la maison en premier plan, et le toit de l’église rehaussé de deux bulbes, une architecture mixte étrange. L’artiste mélange ainsi plusieurs influences, ici avec des touches slaves marquées, et un sens du regard (la maison avec son porche et ses deux lucarnes qui font comme un visage dans la deuxième planche). Par comparaison, la maison de l’ogre et de son épouse apparaît plus grossière, et celle de sa mère plus ancienne, avec de nombreuses poutres extérieures non équarries. Le chalet en bois de Hortruge a bénéficié d’une construction rigoureuse et d’une finition très propre. Les rues de la ville où réside le marionnettiste présentent de solides constructions en pierres de deux ou trois étages et des maisons à un étage en bois ayant dû être consolidées avec des pièces rapportées. Comme il convient à des contes, certains personnages sortent de l’ordinaire : l’ogre avec sa dentition acérée, son grand couteau bien sûr, et ses chausses pointues, Dzybilyactun, halac Huinic, grand chef des Mayas Totzil, à la parure tellement chargée qu’il semble être à moitié pétrifié, la magnifique Hortruge avec sa mèche de cheveu blanc dans sa chevelure noire, le vieux marionnettiste avec son costume trois pièces, sa mèche rebelle et ses yeux enfoncés. Sans oublier cette mise en page incroyable : une narration graphique qui intègre de véritables illustrations comme gravées avec une minutie inimaginable, et des séquences plus classiques comme le vol du corbeau au-dessus de ce que fut le royaume du héros de batailles oubliées. Le lecteur éprouve la sensation de pouvoir toucher chaque élément, de sentir leur texture. Il constate que régulièrement une case ou un élément le prend par surprise : un hibou en premier plan dans la dernière case de la page 9 avec l’ogre en arrière-plan, un oiseau perché sur un pieu en bois dans une case de la hauteur de la page, un dessin en pleine page consacré aux arabesques d’un champignon, des parures mayas, un abreuvoir en train de se remplir d’une eau s’écoulant d’un tronc d’arbre évidé, une rombière dans une robe noire bouffante du plus bel effet, etc. Chaque page est un délice pour les yeux, un véritable enchantement. C’est d’ailleurs ce qui donne une ampleur peu commune à chacun de ces cinq contes. Cinq contes avec des figures assez classiques, d’une pagination assez brève, avec une chute plus ou moins originale. Oui, mais c’est raconté par Sergio Toppi, ce qui change tout. La narration visuelle plonge le lecteur dans des endroits donnant une sensation tactile par la richesse de leurs textures, elle montre des endroits plausibles tout en amalgamant des éléments venus de culture différentes. Les personnages participent à la fois du registre du conte et du registre romanesque. L’amalgame entre texte illustré et bande dessinée est parfaitement maîtrisé, l’art de conteur qui n’appartient qu’à ce créateur. Le lecteur n’est pas près d’oublier chacun de ces endroits, et les thèmes adultes mis en scène.
De Cape et de Crocs
Bon, voilà, c'est mon centième avis. Et, sans grande originalité, il portera sur "De Cape et de Crocs". Bah oui, que voulez-vous ? Comme dit dans mon avis sur Edmond, c'est grâce à cette série (et grâce à Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand) que j'ai enfin compris ce que cherchais à accomplir le langage poétique. En tout cas j'ai compris l'une des manières de comprendre la poésie : la poésie comme un langage esthétique ancré dans le réel et le vivant, et non comme le cachet ampoulé et pédant que je pensais qu'elle était. Parce que de Cape et de Croc est une série poétique dans ce sens là. On cherche le beau mais pas comme une fin en soi. Ou alors si, justement, pour le simple plaisir de jouer avec les mots, de prendre plaisir à les dire, pour trouver le beau au delà de la simple image du beau. La forme est belle pour montrer que le fond l'est tout autant. Alors ça rime, ça rythme et ça compte, mais surtout pour appuyer des dialogues vifs, percutants, cinglants parfois même. Les personnages sont pour beaucoup inspirés d'archétypes théâtraux, provenant de la Comedia Del Arte comme du répertoire néo-classique français (je pense à des archétypes très Molièriens comme celui de Cénile Spilorcio, clairement inspiré d'Harpagon). Mais l'on retrouve aussi des références aux œuvres de La Fontaine, au Roman de Renart, à un poème de Baudelaire même ! Il y a même du cinéma, parfois ! Bref, les références et inspirations fusent tout du long, tout ça, encore une fois, dans un but d'esthétisme mais surtout de connivence. On ressent tout au long de l'histoire le plaisir qu'Ayroles a eu à l'écrire. Nos protagonistes, Don Lope et Armand, sont bons. Le premier est un hidalgo sanguin, brave et orgueilleux, le second un français poète et romantique. A eux-deux, ils forment un bon duo, jonglant sans transition entre le comique et l'épique, par leurs personnalités opposées entrant en conflit ou bien s'accordant en un éclair pour asséner à grand coup d'épée et de répliques cinglantes de cuisantes défaites à leurs adversaires. Ils sont également accompagnés d'Eusèbe, gentil et doux lapin, personnage principal des deux derniers albums (en réalité une préquel). Il y a également plein d'autres personnages importants, Kader, Hermine et Séléné pour ne citer que les plus célèbres de leurs adjuvant-e-s. Voilà, ça se bat avec panache, à l'épée comme à la langue, ça part à l'aventure jusqu'au bout du monde (et même hors du monde s'il le faut), ça fait des bons mots pour le plaisir même de les faire, ça sait être drôle comme ça sait être triste, en un mot comme en cent : j'adore. Certes, l'œuvre n'est pas sans défaut. Déjà, il y a les deux derniers albums centrés sur Eusèbe évoqués plus tôt. Bien qu'ils restent très bons, leurs qualités est moindre et contraste tellement avec les dix albums précédents qu'ils en pâlissent malgré eux. Il y a aussi certaines longueurs qui sont souvent reprochées à l'arc des sélénites, mais je dois bien avoué qu'ici je parlerais vraiment d'une affaire de goût. Je comprend d'où viennent les reproches, je constate bien que le rythme devient plus lent à ce moment là, sans doute trop lent pour certain-e-s, mais moi il ne m'a pas dérangé. Pire : j'aime bien cet arc. Alors voilà, si même face aux défauts j'en viens à me dire qu'ils ne me gênent guère, je n'aurais aucun scrupule à donner la note maximale à cette série. Certes, j'ai dit que les deux derniers albums étaient moindres (ils vaudraient un solide 4 étoiles à mes yeux) et selon mes critères de notation je devrait ajuster ma note en conséquent. Mais s'il y a bien une série qui doit être mon exception, un avis où j'ai envie d'envoyer voler l'impartialité sans une once de remords, c'est bien "De Cape et de Crocs".
O.M.A.C.
Anticipation pertinente & festin graphique - Ce recueil regroupe les huit épisodes de la série (arrêtée brutalement faute de ventes suffisantes), parus en 1974/1975. Jack Kirby réalise tous les scénarios et les dessins. L'encrage est assuré par Mike Royer pour les épisodes 1 et 8 ; les épisodes 2 à 7 sont encrés par Bruce Berry. Dans un futur proche, une organisation mondiale (Global Peace Agency, en abrégé GPA) a établi la paix à l'échelle de la planète. Les armées sont proscrites sur Terre. Les agents de a GPA n'utilisent que des armes défensives. Pour toutes les opérations de police requérant l'usage de la force ou d'armes, la GPA fait intervenir OMAC (One Man Army Corps). Il s'agit d'un être surhumain qui est assisté par une intelligence artificielle logée dans un satellite en orbite autour de la Terre et dénommé Brother Eye. Le premier épisode est consacré à l'origine d'OMAC, comment Buddy Blank, un petit employé de bureau, est devenu ce soldat exceptionnel. Par la suite OMAC est dépêché sur des missions impliquant une résurgence du crime organisé, un dictateur ayant organisé une armée illégale, un trafic d'organes à grande échelle, et un vol à grande échelle des ressources en eau de la planète. Il s'agit donc d'une série de science-fiction de Jack Kirby, avec un parfum de superhéros lié au costume d'OMAC et à sa force gigantesque. Toutefois les situations conflictuelles imaginées par Kirby prennent avant tout leur source dans l'anticipation et une projection des risques éthiques générés par les avancées scientifiques. Dès la première page, Jack Kirby le scénariste et Jack Kirby le dessinateur en donnent pour leur argent aux lecteurs. Cette image de femme encadrée par ses deux jambes nues forme une composition aussi troublante que dérangeante et étonnement sensuelle. Le trafic d'organe propose également une forte probabilité de dérive des applications scientifiques et génétiques au profit de la couche de population qui dispose des plus forts revenus. Le scénariste joue le jeu de l'anticipation pour aborder des thématiques qui restent encore d'actualité de nos jours. La série reprend des codes de superhéros : les conflits réglés par la force physique, le héros courageux et désintéressé (presque dépourvu de personnalité après son remodelage en OMAC), les criminels commettant des actes définitivement répréhensibles, etc. Kirby utilise également Brother Eye à la manière d'un deus ex machina, un peu trop voyant. D'un coté il y a cette superbe idée de placer l'intelligence artificielle comme un œil ayant vu sur la terre entière (l'œil de Dieu). De l'autre il s'en sert pour donner plus de pouvoir à OMAC ou pour envoyer un rayon destructeur afin de faire basculer le rapport des forces en présence et de donner la victoire facilement à OMAC. Il y a également quelques passages dans lesquels les principes de base de la science sont accommodés à la sauce comics pour les besoins de l'intrigue. Coté graphique, Jack Kirby est en grande forme. Les scénarios donnent l'impression qu'il peut enfin parler de choses qui lui tiennent à cœur, les dessins possèdent l'énergie légendaire du King, avec des scènes inventives et marquantes. Outre cette première pleine page d'une totale étrangeté, le lecteur retrouve la capacité de Kirby à aller vers l'épure, et même vers l'abstraction. Pour l'épure, il y a cet œil artificiel en orbite qui flotte tel un disque géométrique au milieu d'énergies cosmiques impossibles. Kirby ne représente pas la réalité, il l'interprète, il la transforme en une source de merveilleux. Brother Eye a droit à une double page dans l'épisode quatre qui exprime à la fois la naïveté du concept (des rayons d'énergie multi-usage transmis à OMAC sur terre, une myriade de corps spatiaux impossibles (de simples ronds de couleurs), et à la fois l'essence même de cette présence omnipotente. L'arrière plan cosmique se transforme en un tableau d'art abstrait exprimant l'idée du vide spatiale et des merveilles inconnues qu'il recèle. Et du coup Brother Eye apparaît pour ce qu'il est : un deus ex machina, l'incarnation même du créateur Jack Kirby dans son comics. Cette façon de dessiner les décors comme un élément pictural renforçant l'ambiance, débarrassé de toute obligation de réalisme (une spécialité de Kirby) imprègne les premiers épisodes et se généralise à partir de l'épisode 6 pour des pages magnifiques où la technologie d'anticipation, mais aussi les murs de maçonnerie, les bâtiments, les armes futuristes sont habitées par une vision conceptuelle suggérant qu'une dimension inconnue et ancienne est là sous nos yeux. L'environnement regorge de points de passage vers cet ailleurs. Ce mode de représentation qui accentue les figures géométriques et les ombrages déconnectés des sources de lumière va jusqu'à transfigurer la nature également : une double page hallucinée des fonds sous-marins privé d'eau dans l'épisode 7. Pour le plus grand plaisir du lecteur, Bruce Berry encre de manière respectueuse les crayonnés de Kirby (il y a quelques pages crayonnées sans encrage dans le volume, en plus des épisodes), même s'il manque un peu de sensibilité. Les deux épisodes (1 & 8) encrés par Mike Royer sont parfaits : il parachève les dessins de Kirby en respectant ses traits et en les épurant discrètement. Bien sûr cette manière de transformer les décors en composants artistiques proches de l'abstraction n'est pas spécifique à la série OMAC, il est possible de l'observer dans d'autres séries de Kirby. Mais ce tome en contient un exemple remarquable. Cette approche graphique plus sophistiquée qu'il n'y paraît (peu de dessinateurs de comics maîtrisent cette technique d'abstraction) est encore renforcée par une imagination visuelle exceptionnelle. Jack Kirby (le scénariste) concocte des situations à fort potentiel visuel, magnifiées par Jack Kirby le dessinateur : ces femmes objets à monter soi même, des mannequins à tabasser pour employés de bureau stressés, deux tueurs costumés pour mardi gras, un monstre fantasmagorique dans une réalité virtuelle (double page inoubliable, avec une texture à mi-chemin entre la peau et la pierre), un camion démesuré porte-hélicoptères, une batterie de tank congelés, des cœlacanthes antédiluviens, etc. L'imagination de Kirby ne connaît aucune limite et il marie avec brio une anticipation perspicace avec des archétypes jungiens. Malheureusement OMAC s'est arrêté en cours d'histoire et il aurait fallu un épisode pour boucler la dernière intrigue. Toutefois, ne vous laissez pas arrêter par ce détail de peu d'importance au regard du plaisir exceptionnel de lecture que procure cette œuvre d'anticipation adulte, aux illustrations en prise directe avec une réalité fantastique, ce qui fait facilement oublier quelques facilités naïves du scénario.
Dirty Rose
Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS. Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau. Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge. Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan. Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter. Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère. Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme. Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.
Mission in the apocalypse
Super découverte. C'est un manga magnifique autant du point de vue du dessin que de l'histoire. L'ouvrage se distingue par sa qualité de réalisation plus que par son originalité. Il coche toutes les cases de ce que j'aime et attends d'un manga Post apocalypse. Cecidit c'est une narration très lente et avec peu d'action qui ne plairait peut-être pas à tout le monde. C'est un travail sur l'ambiance à travers la découverte d'un univers fait de villes en ruines et de monde détruit. Une recherche de sens qui joue sur les sentiments de gâchis, de nostalgie et de terreur. C'est une mise en évidence de la beauté de notre monde à travers la contemplation des ruines de la transformation que l'homme a infligé à notre planète.