Attention, cette BD s'adresse clairement aux nostalgiques des Livres dont Vous Etes le Héros des années 80 et 90, et plus précisément aux amateurs de la série Défis Fantastiques. A l'origine, The Trolltooth Wars est un roman de Steve Jackson paru en 1989, au moment où le genre était à son apogée. Il propose une histoire indépendante située en Allansia, le continent où se déroulent la plupart des Défis Fantastiques. Le récit, censé précéder les livres, réunit des personnages et éléments majeurs de La Citadelle du Chaos, Le Sorcier de la Montagne de Feu, La Créature Venue du Chaos, ainsi que quelques références à d'autres titres, dont le sorcier Yaztromo. Ce roman a été adapté en comics en 2017, et c'est cette adaptation que le Scriptarium vient de publier en France.
Grand fan de LDVELH mais moins attaché aux Défis Fantastiques, je me suis plongé dans cette BD avec une curiosité teintée de nostalgie, sans attendre un chef-d'oeuvre, juste un plaisir régressif. Et au final, ce n'est pas mauvais du tout.
Le dessin, très comics indé fantasy, manque d'ambition pour les décors (dommage pour ceux qui espéraient admirer l'Allansia), mais reste efficace. La narration graphique, quant à elle, fonctionne bien.
L'histoire n'est pas très complexe mais elle possède un vrai charme, notamment grâce au plaisir de retrouver des lieux et des figures marquantes des livres. Le coeur du récit met en scène un conflit entre trois grands antagonistes issus des oeuvres de Steve Jackson, dont l'incontournable Sorcier de la Montagne de Feu. Le héros, un guerrier brutal mais neutre, sert idéalement d'avatar au lecteur-joueur, et il est accompagné d'un serviteur plus fin et spirituel qui apporte un contraste appréciable. Ce duo, ainsi que les antagonistes et personnages secondaires, constitue le vrai point fort de l'album : les personnages sont bien écrits, crédibles, dotés de dialogues réussis, et l'ensemble se suit avec plaisir. Les péripéties, sans être étonnantes, sont prenantes, portées par un rythme vif et de nombreuses ellipses qui donnent l'impression que beaucoup de choses se passent. On relève tout de même quelques incohérences par rapport aux livres d'origine, puisque certains évènements empêchent des actions que les lecteurs-joueurs étaient censés accomplir eux-mêmes, mais cela reste secondaire.
Ma seule vraie déception concerne la conclusion : trop rapide, trop facile, presque expédiée. Un danger disparaît sans que l'on assiste à la scène, et l'autre est réglé sans grande difficulté par le héros. J'ai davantage apprécié le chemin que l'arrivée.
L'édition française est soignée : un bel album cartonné, assez épais, avec quelques bonus intéressants, dont une carte d'ouverture (pas très jolie, mais appréciable) et des descriptions détaillées des lieux et personnages. Le lettrage des bulles de dialogues et onomatopées est cependant assez informatique et pas toujours très gracieux, dommage. Et il a manqué une relecture aussi puisque j'ai noté un mot manquant dans une bulle.
En bref, c'est une BD surtout destinée aux vrais passionnés des Défis Fantastiques. Ce sont les références qui donnent tout son intérêt au récit, et sans elles on passerait à côté de la plupart de ses qualités. Avec une fin moins abrupte et des décors plus soignés, j'aurais trouvé l'ensemble très bien.
L'histoire vraie de Robert-Houdin, l'illusionniste français que l'armée de Napoléon III envoya en Algérie en 1856 pour contrer les marabouts soufis de la rébellion.
Un petit tour de passe-passe en images dans les coulisses de notre histoire coloniale.
Tout le monde connait Robert-Houdin, le célèbre illusionniste.
Ah oui, le roi de l'évasion des coffres fermés avec chaînes et cadenas ...
Et bien non c'est pas lui. Robert-Houdin était franco-français et a vécu un peu avant le Houdini qui lui a volé la vedette.
Ok, mais saviez-vous que notre Robert-Houdin national fut envoyé en Algérie pour 'pacifier' (c'est comme ça qu'on disait à l'époque, encore un tour de passe-passe) pour 'pacifier' les populations rebelles à la civilisation ?
Et c'est cette histoire-vraie sur fond d'Histoire tout court, qu'est allé chercher le scénariste Mathieu Mariolle, féru d'histoire et de BD. Il est accompagné de l'aquarelliste basque Julen Ribas pour signer cet album : Artifices.
Robert-Houdin c'est l'illusionniste dont l'américain Ehrich Weisz empruntera plus tard le nom pour devenir le fameux Houdini, roi de l'évasion (on confond souvent les deux).
Mais revenons un peu plus tôt, aux débuts de ce XIXe, à notre français Jean-Eugène Robert-Houdin qui a donné ses lettres de noblesse à la prestidigitation, à l’illusionnisme, et relégué aux oubliettes les charlatans de foire.
Le XIXe est le siècle du progrès, des expositions universelles, de la fée électricité et des sciences capables de miracles rationnels.
L'horloger Robert-Houdin était passionné de « mécanique merveilleuse, de physique amusante, de magie scientifique ». Ses tournées émerveilleront l'Europe avec des tours qui reposent pourtant sur une vérité très simple : « ce que nous voyons n'est pas toujours réel ». Il voulait « tromper pour émerveiller, et non pour nuire ».
Épuisé par ses tournées, Robert-Houdin est à la retraite, chez lui à Blois, en 1856 lorsque l'État Français de Napoléon III, empêtré dans une guerre coloniale qui dure un peu trop, vient le chercher pour une curieuse mission : « on lui demande de 'pacifier les esprits', d'utiliser ses talents de prestidigitateur pour ébranler les croyances populaires. L'objectif : briser l'autorité symbolique des chefs religieux kabyles », les fameux marabouts.
Une surprenante mission qui fera dire à Baudelaire : « il appartenait à une société d'incrédules d'envoyer Robert-Houdin chez les Arabes pour les détourner des miracles ».
Robert-Houdin vieillissant et usé, espère peut-être sauver quelques vies en acceptant à contre cœur la mission que l'armée veut lui confier.
Dès son arrivée à Alger, les marabouts et la secte des Aïssaoua, menés par l'influent maître soufi Sidi Tahar Bou Tayeb, voient en lui une incarnation de Sheitan.
Le personnage féminin de Nélia est librement inspiré de Lalla Fatma N'Soumer, héroïne de la résistance algérienne à la colonisation française : le dossier qui complète l'album met en avant le rôle des femmes dans la résistance.
? Ce sont les aspects historiques et culturels qui font tout l'attrait de cet album : ils sont soigneusement développés dans le dossier très complet qui termine l'album.
Le scénario est somme toute assez simple : le personnage de Robert-Houdin est un esprit pacifiste pris entre deux feux, celui de la rébellion algérienne et celui des appétits colonialistes de l'armée française.
Mais en filigrane, les auteurs nous laissent deviner le portrait d'une guerre coloniale féroce, sanglante et qui durera plus d'un demi-siècle.
Salutaire, est ce rappel historique d'une guerre qui sera éclipsée par la suivante.
? Côté graphismes, les aquarelles de Julen Ribas dessinent une Algérie attachante, baignée de tons ocres.
« J'avais découvert la face sombre de la colonisation, celle qui permettait à tous mes compatriotes de vivre de manière aisée » : ce sera l'amère conclusion du voyage de Robert-Houdin.
En ce moment, je lis les BD de Jim que je n'avais fait que survoler en supermarché il y a plus de vingt ans. Celle-ci, parlant désir et sans doute passages coquins, avait tout pour attirer le chaland.
Le dessin de Jim, tout en dynamisme et en souplesse, fonctionne très bien et ses filles sont sexy quand elles doivent l'être. Le trait n'est pas toujours impeccable toutefois, avec un léger manque de lisibilité et quelques expressions de visages qui, sont assez difficiles à déchiffrer quand il ne s'agit de grands sourires exagérés (je pense par exemple aux quelques fois où la fille fait la gueule ou est déçue).
Quand j'ai entamé ma lecture, j'ai cru que ce serait un bon cru. Les gags n'étaient pas forcément drôles mais l'ambiance était sympa, avec ce qu'il fallait de diversité et en même temps un peu de suivi des mêmes personnages. Toutefois, assez rapidement, l'inspiration s'est visiblement épuisé et il y a eu beaucoup de répétitions des mêmes thèmes, et des gags vraiment pas drôles, tirant du côté de la vulgarité et même de la scatophilie sur la fin. Et puis ça m'agace de voir glissé ici et là qu'un bon moyen de remédier à un désir qui s'étiole est de tromper son ou sa partenaire.
Dans la droite lignée de l'album Le Roi des oiseaux, Alexander Utkin nous propose ici de nouveaux une succession de récits adaptés de contes slaves, découpés en épisodes et pouvant être reliés les uns aux autres par des personnages récurrents et les remarques du narrateur.
Ici, contrairement à l'album précédent, les histoire sont moins suivies, plus décousues. Enfin, par là je veux dire que, même si deux grandes histoires se détachent clairement de tout ceci (celle de Vasilia et celle de John), elles ne se filent pas l'une l'autre aussi fluidement que l'on fait les récits du premier album (si ce n'est que le récit de John se passe vraisemblablement avant celui de Vasilia). Bon, si, techniquement elles se suivent toutes deux sur le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un récit centré sur un enfant devant braver les dangers pour porter secours à son père, mais je voulais parlé d'un filage intra-diégétique plus explicite.
Pourtant, chose intéressante, c'est bien cet album qui m'a la plus plu. Peut-être est-ce parce que chacun des deux récits a su davantage me parler, peut-être aussi parce que Baba Yaga étant la seule figure du folklore slave que je connaissais un minimum j'ai su m'attacher plus vite, peut-être encore est-ce le fait que j'ai bien plus ici ressenti cet effet de style narratif évoquant les soirées où l'on se partage des histoires au coin du feu, où les histoires se suivent, se lient et prennent vie mais pas nécessairement dans un ordre chronologique mais plutôt thématique. Quoi qu'il en soi l'album m'a plu, énormément. Qu'il s'agisse du récit initiatique de la jeune sorcière Vasilia ou de la quête épique du bon et brave John, les récits et les personnages m'ont plu, parus vivants et leurs aventures et leurs déboires possédaient bien toute la puissance évocatrice que j’attends d'un conte.
On retrouve là aussi l'oiseau Gamaïoun pour la narration, nous partageant de nouveau de petites digressions au gré de ses histoires, des portes d'entrées et de sorties vers d'autres récits (mais pour d'autres moments). Nous retrouvons d'ailleurs au détour de quelques pages la souris, le serpent, le chasseur et son fils, personnages dont l'histoire nous a été racontée dans le précédent album (tout comme nous retrouvions dans leurs histoires l'éponyme Princesse Guerrière, John et Vasilia au détour de quelques épisodes).
Le dessin d'Alexander Utkin est toujours aussi beau, mais là encore je l'ai préféré ici. Le travail des couleurs vives contrastées par la nuit noir lors des passages avec Baba Yaga, les couleurs bleus et orange de ce bon John qui se marient si bien, les yeux brillant de Vasilia et de sa grand-mère, l'esprit du feu, … j'ai trouvé le travail des couleurs bien plus intéressant et plus puissant dans cet album.
Soi dit en passant, c'est cet album-là que j'ai lu en premier, et non Le Roi des oiseaux, peut-être cela a-t-il davantage appuyé ma préférence pour l'album ici présent.
J'adore les contes et légendes, j'aime découvrir et même étudier les variations d'histoires, les sens de lectures et leurs buts évoluant avec les lieux et les temps, leur force évocatrice intemporelle, … Bref, j'adore les contes.
Mais je dois bien avouer que je m'y connais assez mal en contes slaves (si ce n'est quelques récits autour de Baba Yaga), alors un album jouant visiblement les recueils et dessiné par le talentueux Alexander Utkin je me dis que ce serait une excellente initiation.
L'album est une succession de récits - principalement deux - eux même découpés en une succession d'épisodes, un peu à la manière d'une saga. Le personnage principal peut varier, changer le temps d'un épisode, mais l'on peut tout de même considérer l'album comme une sorte de récit filé puisque tous ces épisodes finissent tous d'une manière ou d'une autre par avoir un lien logique entre eux.
La narration est assurée par Gamaïoun, sorte d'oiseau prophétique issu lui aussi des légendes slaves, intervenant de-ci de-là entre les cases pour nous partager de petites anecdotes, des ouvertures vers d'autres histoires qui mériteraient elles aussi d'être racontées (et qui le seront pour la plupart dans l'album La Princesse guerrière). J'ai particulièrement aimé ce parti-pris de rendre le narrateur aussi présent, donnant ainsi à la narration de l'album une vraie similitude, un vrai rappel de la nature orale et partagée de ce genre de récits à l'origine. Même si les histoires ne m'ont pas autant emballées que ce à quoi je m'attendais j'ai pu rentrer sincèrement dans l'album et son histoire (et SES histoires, du coup).
Un petit mot encore sur le dessin d'Alexander Utkin que je trouve personnellement magnifique. J'aime sincèrement les styles crayonnés, les traits gras, comme au fusain, qui permettent de jouer de manière imaginative avec les corps tout en restant ancré, concret. Pas sûre de bien m'exprimer là-dessus mais gardez juste en tête que j'aime ce style. Les couleurs, quant-à-elles, sont variées et chatoyantes, un bon plus également à mes yeux.
Même si les histoires en elles-même ne m'ont pas nécessairement parlées plus que ça la forme, elle, a su me convaincre et me touchée, et même me motiver à trouver plus de récits adaptés de contes slaves.
(Note réelle 3,5)
Voilà un album plutôt original – un peu sur le fond, et bien plus sur la forme – et qui ne peut qu’intriguer ses lecteurs.
L’intrigue est centrée autour un personnage maladroit et étrange, qui peine à exprimer clairement ses pensées, en tout cas qui peine à le faire dans le cadre imposé par la société. De fait, il est en grande partie inadapté à la société, même si certains de ses proches – sa sœur, sa mère, et la jeune femme médecin avec laquelle il noue une relation – tentent de le raccrocher à cette société.
Confronté à la maladie de sa mère, il va quand même reprendre pied sur la réalité vers la fin.
Bon, ça n’est pas toujours très clair, et certaines choses ont dû m’échapper. En particulier toutes les dernières pages autour de la femme médecin, qu’elles soient métaphoriques ou pas, cette conclusion m’a laissé de côté.
La narration est souvent aussi elliptique, voire énigmatique que la pensée du héros, c’est un peu décousu.
La mise en page est elle aussi hors norme, avec des cases aux formes et aux nombres très variables (on a parfois une petite case au milieu de la page, entourée de blanc donc). Déroutant.
Le dessin est globalement très bon, semble-t-il rehaussé au lavis ou à l’aquarelle (toutes sortes de nuances de gris et de Noir et Blanc, avec certaines pages en couleurs). Ce dessin est centré sur les personnages, parfois en plan serré, les décors étant quasiment absents. Cela renforce la froideur de l’ensemble. Je ne suis pas fans des yeux, qui semblent être en permanence exorbités.
Étrange, déroutant, avec quelques longueurs, les qualités – réelles – de cet album n’ont que partiellement contrebalancé les côtés obscurs et froids de ce récit.
Une lecture plutôt sympa et très rapide – malgré une pagination conséquente – mais qui m’a laissé un peu sur ma faim. Qui me laisse en tout cas un goût de « trop peu » après avoir refermé l’album.
Le dessin est agréable, et certaines planches sont vraiment jolies, avec une belle colorisation. Mais ce dessin est aussi avare de détails : comme pour l’intrigue, il joue davantage sur l’ambiance, les marges, que sur quelque chose de précis et fouillé.
En effet, l’histoire est à la fois simple et légère. Plaisante à suivre, mais aussi manquant de développements, de profondeur. La société terrienne du XXIIIème siècle est à peine effleurée, alors que pourtant on nous la présente comme repoussante, l’Homme ayant visiblement continué à dégrader l’environnement, au point que des paysages sont projetés dans des intérieurs aux fenêtres closes, l’extérieur n’étant « pas beau à voir ».
Le récit est centré sur une femme, qui voyage dans l’espace (depuis près d’une dizaine d’années), explore – de façon virtuelle – les diverses planètes rencontrées – en espérant y trouver les ressources qui manquent désespérément à la Terre. Ses messages/dialogues avec l’ordinateur de bord sont ses seuls moyens d’être entendue – à défaut d’être écoutée – avec quelques passages d’énervement, d’incompréhension presque amusants. Apparait aussi une autre jeune femme – dans des flash-backs – que l’héroïne a aimée, mais qu’elle a dû quitter pour sa mission spatiale.
Comme je l’ai déjà écrit, ça se laisse lire facilement. Mais j’aurais aimé que soit plus étoffé l’intrigue. Surtout que la fin ouverte laisse le lecteur avec pas mal de questions.
Mais bon, cela part du choix de l’auteur j’imagine.
Note réelle 3,5/5.
Si je connais le personnage de comics, j'avoue n'avoir jamais pris le temps d'aller découvrir ce personnage de Spawn. Mais loin d'être un énième épisode de ses aventures, nos auteurs nous proposent ici une version cyberpunk qui nous propulse en 2107.
A cette période la guerre fait rage et une troupe d'élite de soldats augmentés version cyborgs foire magistralement sa mission ; la plupart des intervenants meurent et les rares survivants sont lourdement blessés. Peter Cairn, faisait parti du commando et s'est retrouvé amputé des deux jambes. Il se voit alors proposé des prothèses expérimentales et l'injection de nono-robots pour devenir un nouveau super-soldat. Mais forcément, ça va partir en sucette, un nouveau "monstre" est né...
Le dessin de Zé Carlos est plutôt bon, nous immergeant parfaitement dans cet univers futuriste. Il se marie en tout cas parfaitement au scénario concocté par Erica Schultz. Le rythme soutenu du récit est parfaitement porté par un découpage élégant et nerveux, et on est vite happé par le destin de Peter Cairn.
Voilà en tout cas un très bon premier tome qui donne envie de découvrir la suite !
Disons-le tout de suite, comme on peut s'en douter, cette bande dessinée est plutôt réservée à un public de niche, à savoir un public catholique, comme bon nombre de bandes dessinées des Éditions du Triomphe. Parue peu avant la dernière ostension de la Sainte Tunique d'Argenteuil, les auteurs ambitionnent de retracer toute la trajectoire de cette tunique que la tradition de l'Église vénère comme étant celle ayant appartenu au Christ, et ayant été tissée par sa mère. Comme le Saint Suaire de Turin, la science n'a pu établir avec sûreté ni son authenticité, ni son inauthenticité. Tout comme la relique de Turin, d'ailleurs, son origine n'est retraçable qu'à partir du Moyen-Âge, où son parcours a été relaté avec une certaine précision par différents chroniqueurs.
C'est la principale force de cet album, d'ailleurs : même si le parti pris des auteurs en faveur de l'authenticité de la relique est évident, ils s'en tiennent au maximum aux faits avérés, et ce qui est raconté dans cet album est toujours très sourcé. Des chroniqueurs médiévaux aux tentatives plus récentes de datation, tout le trajet de la tunique est décrit plus ou moins dans le détail, et certains épisodes sont très intéressants. Il faut bien reconnaître, en revanche, que cet album souffre des défauts de presque toutes les biographies souhaitant être "trop" complètes ou autres albums retraçant des histoires sur plusieurs siècles : le récit est trop découpé. Même si les auteurs font de visibles efforts pour donner un maximum de cohérence narrative à leur récit, on passe souvent trop vite d'une époque à une autre, ce qui donne un côté morcelé à l'histoire.
Reste un album assez intéressant, qui, au-delà de sa volonté de propager une dévotion catholique, nous apprend quelques épisodes historiques peu connus et qui dressent en creux un portrait du pouvoir en France à différentes époques, et de son rapport à la religion. Le dessin de Julie Ducoudray est très agréable à l'œil, et même si certaines cases semblent dessinées plus vite que d'autre, les pages sont très belles dans l'ensemble. Rien de très incontournable, donc, mais un album qui se laisse lire avec un certain intérêt. A condition - bien sûr - d'avoir un certain intérêt pour son sujet.
En vérité, elle était un million de fois plus belle que sur le dessin.
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Ce tome constitue un recueil d’histoires courtes de l’auteur. Son édition originale date de 2008. Les quinze histoires courtes regroupées ici ont toutes été réalisées par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée, réalisée sur une période de vingt ans, de 1983 pour la première à 2003 pour la dernière.
Blues, 1983, trois pages : Un afro-américain joue de la guitare en marchant dans les rues d’une petite bourgade des États-Unis et des hommes blancs se mettent le suivre, mal intentionnés. Dans son esprit, il pense à la situation : du blues, les blancs qui le dévorent, il hait les esclaves plus que les maîtres. - L’amour, 1989, deux pages : Violence. Haine. Bestialité… Impuissance des mots, alors il dessine. La main crispée sur le pinceau, le bras tétanisé, coincé dans son épaule, un rictus sur la bouche, dans la tête du béton, il dépose sur la feuille ce qu’il croit avoir appris sur le mal des hommes. Il dépose sur la feuille blanche sa violence, sa haine, sa bestialité. Et puis il recommence… encore… encore. Et puis il regarde. Non, ce n’est pas encore ça… Juste un pâle reflet de ce qu’il voulait exprimer… Encore travailler… son dessin. Demain il essaiera de peindre l’amour. – Le car, 1992, six pages : une femme effectue un voyage en car. Elle observe un homme qui regarde le paysage défiler… Quelque part en lui-même. Elle somnole vaguement, bercée par le ronron du car. Un peu enivrée par l’odeur de Jean, qui monte d’entre ses cuisses. Ils avaient fait l’amour juste avant son départ. Elle avait encore dans sa bouche, le souvenir de son passage. Lhomme à la fenêtre avait des bras comme elle aime. Des avant-bras surtout. Elle est sûre qu’elle peut dessiner le sexe d’un homme rien qu’à regarder ses bras. Elle a bien envie de vérifier. Ses yeux se sont perdus.
1420406088198, 1992, vingt-cinq pages : proche de Marseille ou de Nice, Baudoin est assis sur un rocher, une de ses filles à ses côtés, ils regardent l’horizon au loin au-dessus de la mer. Il explique à sa fille qu’il vient souvent ici, qu’il y reste. Quand il reste longtemps, il a du mal à retourner dans la ville, derrière eux. Il continue : La vrai richesse est devant, dans le vide de l’horizon, les vagues éphémères, l’argent de leurs reflets. Elle demande à son père ce qu’il a contre l’argent. Elle, elle aimerait avoir une Porsche, une Jaguar aussi. Il s’explique : L’argent lui semble être une maladie, ou plutôt comme un symptôme d’une maladie qu’ils auraient tous. Son père à lui, son grand-père, à elle était communiste, il disait que Ce sera le communisme quand plus personne dans le monde n’aura besoin d’argent. Edmond lui demandait alors comment on fera pour aller au cinéma ? Le monsieur qui fait le cinéma il sera payé comment ? La réponse du père : Ce sera gratuit, ils iront autant de fois qu’ils voudront. Le projectionniste ne sera pas payé, ça ne lui servirait à rien, tout sera gratuit. Les hommes travailleront pour le bien de tous.
Edmond Baudoin est un créateur prolifique que ce soient des bandes dessinées, des histoires courtes, et même des livres. Au fil de sa carrière, il a ainsi régulièrement réalisé des nouvelles dessinées de quelques pages, pour des éditeurs très divers. Ce recueil en rassemble quinze, allant d’une page pour la plus courte (intitulée : Tu m’aimes ?) à vingt-cinq pour la plus longue (intitulée 1420406088198), pour des publications souvent confidentielles comme Le citron hallucinogène n°17, Labo (Futuropolis), Transports fripons (Les Humanoïdes Associés), L’argent roi (éditions Autrement), Le cheval sans tête n°1, Ego comme X n°1, Manga Surprise (Kodansha), Algérie la douleur et le mal, Le drozophile n°4, El Lado Oscuro III, Comix 2000 (L’Association), Stripburger n°2, Bang n°3 (Casterman), Marseille l’Hebdo n°151. Le lecteur qui a suivi sa carrière apprécie de pouvoir avoir ainsi accès à des créations dont il ne connaissait pas forcément l’existence ou qu’il n’avait pas pu se procurer du fait d’un tirage et d’une diffusion confidentiels. Il retrouve également l’habitude de ce créateur de travailler avec de nombreux éditeurs différents, certains connus d’autres moins. Dans chacune des histoires, il retrouve les caractéristiques habituelles de ce créateur : dessins souvent au pinceau parfois rehaussés de traits à la plume, mise en page très libre allant de cases avec bordure à des illustrations agrémentées de commentaires, parfois il se met en scène d’autres fois non, et toujours ce regard bienveillant si humaniste caractéristique.
La diversité des histoires fait qu’il est aussi bien possible de les lire une par une en laissant passer du temps entre, que de les lire d’une traite sans crainte de répétition. Les histoires sont intitulées : Blues, L’amour, Le car, 1420406088198, America, Désemparé, Tu m’aimes ? Edmond Alain et Hughes, Algérie, Le train, Paris, Comix 2000, Sarajevo, Cuba. Baudoin y aborde de façon très personnelle à chaque fois des thèmes comme le racisme systémique envers les afro-américains, les émotions négatives envahissantes, son premier petit boulot de peintre de lettres sur des enseignes, un dialogue avec une américaine alors qu’il ne sait pas parler anglais, la situation déprimante d’un chômeur abandonné par sa femme et sa maitresse, l’incapacité des hommes à savoir aimer, trois potes en train de regarder les filles passer, la nécessité de s’aimer soi-même, la métaphore de la voie de chemin de fer, une soirée à zoner à Paris comme artiste sans le sou et sans toit, un coucher de soleil, la morbidité de la mission du tireur d’élite, des rencontres de rue à Cuba, la personnalité de Marseille. Ces histoires vont du plus concret comme un carnet de voyage au plus conceptuel comme les cinq pages sans parole consacrée à un coucher de soleil. Et toujours un regard sur le monde qui n’appartient qu’à cet être humain singulier, cet artiste.
À elle seule, en trois pages, la première histoire donne un excellent aperçu de l’étendue graphique de l’artiste. Chaque page est composée de trois cases de la largeur de la page, montrant l’avancée de l’afro-américain, avec un texte au-dessus ou en-dessous de la case, correspondant à la voix intérieure de ce joueur de blues. Dans trois de ces cases, le dessinateur représente la situation de manière descriptive, avec un jeu sur les aplats de noir pour renforcer les zones d’ombre jusqu’à l’expressionisme. Quatre cases se focalisent sur les individus, les traits de pinceau s’épaississent pour des rendus allant vers l’impressionnisme, plus la sensation produite par ses individus en faisant apparaître l’état d’esprit de la foule, exagérant les traits de visages, les ombres mangeant le visage, le langage corporel pour faire ressortir la menace. Cette approche bascule dans l’expressionnisme alors que les individus forment un groupe plus compact agissant comme un seul homme, et s’apprêtant à agresser le bluesman. L’avant dernière case adopte un cadrage conceptuel avec l’individu à terre comme à demi enfoncé dans le sol, et les habitations bien alignées sur la ligne d’horizon au loin. Déjà dans ce récit des débuts de l’artiste, le lecteur peut déceler sa grande liberté quant à sa conception de la bande dessinée.
En fonction de sa sensibilité, le lecteur apprécie plus le thème d’une histoire que celui d’une autre tout en ressentant l’expression de la personnalité de l’auteur dans chacune d’elle, et dans toutes il peut voir cette cohérence et cette diversité dans les représentations. Les gros coups de pinceau rageurs dans L’amour. Les beaux paysages du sud de la France délicatement esquissés dans Le car. Puis l’incroyable expressivité d’un simple coup de pinceau pour évoquer la côte ou la ligne d’horizon maritime, cette façon très visuelle de faire surgir une image ou plutôt une représentation mentale de la tête même d’un personnage, la représentation délicatement changeante d’un visage au fil d’un dialogue, la grâce féminine, les cases chargées d’un noir charbonneux pour transcrire l’angoisse habitant un individu au point de percevoir une réalité déformée par ses peurs, la dimension visuelle métaphorique d’un rail de voie ferrée, l’individu réduit à la morphologie d’une statue d’Alberto Giacometti (1901-1966), le contraste total et saisissant entre le lourd équipement d’un militaire et le corps ondulant et souple d’une jeune femme nue, des silhouettes en train de danser (extraordinaire dans leur mouvement), le portrait d’une vieille femme, ou encore l’évocation de quelques habitants de Marseille. Tout est perçu au travers du regard de l’artiste, chacun est habité d’une vie remarquable, avec un respect unique en son genre.
Par la force des choses, ce recueil de nouvelles dresse en creux le portrait de l’auteur, par les choix des thèmes, par le regard qu’il porte sur ses semblables, par ce sur quoi porte son attention et son intérêt. Ce que ces nouvelles disent d’Edmond Baudoin : sa capacité à identifier le racisme systémique et le dégout de soi-même qu’il peut provoquer chez la victime qui voit les ressemblances qui existent entre lui et ses persécuteurs, son combat contre ses instincts destructeurs (violence, haine, bestialité), son rapport de haine vis-à-vis de l’argent, son émerveillement devant la beauté féminine, sa conviction profonde que la capacité de donner la vie fait des femmes des êtres profondément différents des hommes, la nécessité de commencer par s’aimer soi-même, la fraternité entre les êtres humains, la beauté des paysages, des villes, et bien sûr des arbres. Le lecteur en ressort rasséréné qu’un tel être humain puisse exister, partager ce qu’il ressent, y compris ses doutes et ses défauts.
Un recueil de quinze nouvelles dont la parution s’est étalée sur vingt ans, une curiosité ? L’habitué de ce créateur découvre des œuvres d’un niveau de qualité égal à celle de ces bandes dessinées plus longues, avec la même liberté de forme, la même sensibilité extraordinaire, le même plaisir dans la fraternité humaine, cette chaleur humaine libre et honnête. Il en ressort avec la sensation d’une grande richesse visuelle unique en son genre, exprimant la personnalité de l’auteur, et des thèmes essentiels sur la condition humaine. Formidable.
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La Guerre de la Dent-du-Troll
Attention, cette BD s'adresse clairement aux nostalgiques des Livres dont Vous Etes le Héros des années 80 et 90, et plus précisément aux amateurs de la série Défis Fantastiques. A l'origine, The Trolltooth Wars est un roman de Steve Jackson paru en 1989, au moment où le genre était à son apogée. Il propose une histoire indépendante située en Allansia, le continent où se déroulent la plupart des Défis Fantastiques. Le récit, censé précéder les livres, réunit des personnages et éléments majeurs de La Citadelle du Chaos, Le Sorcier de la Montagne de Feu, La Créature Venue du Chaos, ainsi que quelques références à d'autres titres, dont le sorcier Yaztromo. Ce roman a été adapté en comics en 2017, et c'est cette adaptation que le Scriptarium vient de publier en France. Grand fan de LDVELH mais moins attaché aux Défis Fantastiques, je me suis plongé dans cette BD avec une curiosité teintée de nostalgie, sans attendre un chef-d'oeuvre, juste un plaisir régressif. Et au final, ce n'est pas mauvais du tout. Le dessin, très comics indé fantasy, manque d'ambition pour les décors (dommage pour ceux qui espéraient admirer l'Allansia), mais reste efficace. La narration graphique, quant à elle, fonctionne bien. L'histoire n'est pas très complexe mais elle possède un vrai charme, notamment grâce au plaisir de retrouver des lieux et des figures marquantes des livres. Le coeur du récit met en scène un conflit entre trois grands antagonistes issus des oeuvres de Steve Jackson, dont l'incontournable Sorcier de la Montagne de Feu. Le héros, un guerrier brutal mais neutre, sert idéalement d'avatar au lecteur-joueur, et il est accompagné d'un serviteur plus fin et spirituel qui apporte un contraste appréciable. Ce duo, ainsi que les antagonistes et personnages secondaires, constitue le vrai point fort de l'album : les personnages sont bien écrits, crédibles, dotés de dialogues réussis, et l'ensemble se suit avec plaisir. Les péripéties, sans être étonnantes, sont prenantes, portées par un rythme vif et de nombreuses ellipses qui donnent l'impression que beaucoup de choses se passent. On relève tout de même quelques incohérences par rapport aux livres d'origine, puisque certains évènements empêchent des actions que les lecteurs-joueurs étaient censés accomplir eux-mêmes, mais cela reste secondaire. Ma seule vraie déception concerne la conclusion : trop rapide, trop facile, presque expédiée. Un danger disparaît sans que l'on assiste à la scène, et l'autre est réglé sans grande difficulté par le héros. J'ai davantage apprécié le chemin que l'arrivée. L'édition française est soignée : un bel album cartonné, assez épais, avec quelques bonus intéressants, dont une carte d'ouverture (pas très jolie, mais appréciable) et des descriptions détaillées des lieux et personnages. Le lettrage des bulles de dialogues et onomatopées est cependant assez informatique et pas toujours très gracieux, dommage. Et il a manqué une relecture aussi puisque j'ai noté un mot manquant dans une bulle. En bref, c'est une BD surtout destinée aux vrais passionnés des Défis Fantastiques. Ce sont les références qui donnent tout son intérêt au récit, et sans elles on passerait à côté de la plupart de ses qualités. Avec une fin moins abrupte et des décors plus soignés, j'aurais trouvé l'ensemble très bien.
Artifices
L'histoire vraie de Robert-Houdin, l'illusionniste français que l'armée de Napoléon III envoya en Algérie en 1856 pour contrer les marabouts soufis de la rébellion. Un petit tour de passe-passe en images dans les coulisses de notre histoire coloniale. Tout le monde connait Robert-Houdin, le célèbre illusionniste. Ah oui, le roi de l'évasion des coffres fermés avec chaînes et cadenas ... Et bien non c'est pas lui. Robert-Houdin était franco-français et a vécu un peu avant le Houdini qui lui a volé la vedette. Ok, mais saviez-vous que notre Robert-Houdin national fut envoyé en Algérie pour 'pacifier' (c'est comme ça qu'on disait à l'époque, encore un tour de passe-passe) pour 'pacifier' les populations rebelles à la civilisation ? Et c'est cette histoire-vraie sur fond d'Histoire tout court, qu'est allé chercher le scénariste Mathieu Mariolle, féru d'histoire et de BD. Il est accompagné de l'aquarelliste basque Julen Ribas pour signer cet album : Artifices. Robert-Houdin c'est l'illusionniste dont l'américain Ehrich Weisz empruntera plus tard le nom pour devenir le fameux Houdini, roi de l'évasion (on confond souvent les deux). Mais revenons un peu plus tôt, aux débuts de ce XIXe, à notre français Jean-Eugène Robert-Houdin qui a donné ses lettres de noblesse à la prestidigitation, à l’illusionnisme, et relégué aux oubliettes les charlatans de foire. Le XIXe est le siècle du progrès, des expositions universelles, de la fée électricité et des sciences capables de miracles rationnels. L'horloger Robert-Houdin était passionné de « mécanique merveilleuse, de physique amusante, de magie scientifique ». Ses tournées émerveilleront l'Europe avec des tours qui reposent pourtant sur une vérité très simple : « ce que nous voyons n'est pas toujours réel ». Il voulait « tromper pour émerveiller, et non pour nuire ». Épuisé par ses tournées, Robert-Houdin est à la retraite, chez lui à Blois, en 1856 lorsque l'État Français de Napoléon III, empêtré dans une guerre coloniale qui dure un peu trop, vient le chercher pour une curieuse mission : « on lui demande de 'pacifier les esprits', d'utiliser ses talents de prestidigitateur pour ébranler les croyances populaires. L'objectif : briser l'autorité symbolique des chefs religieux kabyles », les fameux marabouts. Une surprenante mission qui fera dire à Baudelaire : « il appartenait à une société d'incrédules d'envoyer Robert-Houdin chez les Arabes pour les détourner des miracles ». Robert-Houdin vieillissant et usé, espère peut-être sauver quelques vies en acceptant à contre cœur la mission que l'armée veut lui confier. Dès son arrivée à Alger, les marabouts et la secte des Aïssaoua, menés par l'influent maître soufi Sidi Tahar Bou Tayeb, voient en lui une incarnation de Sheitan. Le personnage féminin de Nélia est librement inspiré de Lalla Fatma N'Soumer, héroïne de la résistance algérienne à la colonisation française : le dossier qui complète l'album met en avant le rôle des femmes dans la résistance. ? Ce sont les aspects historiques et culturels qui font tout l'attrait de cet album : ils sont soigneusement développés dans le dossier très complet qui termine l'album. Le scénario est somme toute assez simple : le personnage de Robert-Houdin est un esprit pacifiste pris entre deux feux, celui de la rébellion algérienne et celui des appétits colonialistes de l'armée française. Mais en filigrane, les auteurs nous laissent deviner le portrait d'une guerre coloniale féroce, sanglante et qui durera plus d'un demi-siècle. Salutaire, est ce rappel historique d'une guerre qui sera éclipsée par la suivante. ? Côté graphismes, les aquarelles de Julen Ribas dessinent une Algérie attachante, baignée de tons ocres. « J'avais découvert la face sombre de la colonisation, celle qui permettait à tous mes compatriotes de vivre de manière aisée » : ce sera l'amère conclusion du voyage de Robert-Houdin.
Le Désir
En ce moment, je lis les BD de Jim que je n'avais fait que survoler en supermarché il y a plus de vingt ans. Celle-ci, parlant désir et sans doute passages coquins, avait tout pour attirer le chaland. Le dessin de Jim, tout en dynamisme et en souplesse, fonctionne très bien et ses filles sont sexy quand elles doivent l'être. Le trait n'est pas toujours impeccable toutefois, avec un léger manque de lisibilité et quelques expressions de visages qui, sont assez difficiles à déchiffrer quand il ne s'agit de grands sourires exagérés (je pense par exemple aux quelques fois où la fille fait la gueule ou est déçue). Quand j'ai entamé ma lecture, j'ai cru que ce serait un bon cru. Les gags n'étaient pas forcément drôles mais l'ambiance était sympa, avec ce qu'il fallait de diversité et en même temps un peu de suivi des mêmes personnages. Toutefois, assez rapidement, l'inspiration s'est visiblement épuisé et il y a eu beaucoup de répétitions des mêmes thèmes, et des gags vraiment pas drôles, tirant du côté de la vulgarité et même de la scatophilie sur la fin. Et puis ça m'agace de voir glissé ici et là qu'un bon moyen de remédier à un désir qui s'étiole est de tromper son ou sa partenaire.
La Princesse guerrière
Dans la droite lignée de l'album Le Roi des oiseaux, Alexander Utkin nous propose ici de nouveaux une succession de récits adaptés de contes slaves, découpés en épisodes et pouvant être reliés les uns aux autres par des personnages récurrents et les remarques du narrateur. Ici, contrairement à l'album précédent, les histoire sont moins suivies, plus décousues. Enfin, par là je veux dire que, même si deux grandes histoires se détachent clairement de tout ceci (celle de Vasilia et celle de John), elles ne se filent pas l'une l'autre aussi fluidement que l'on fait les récits du premier album (si ce n'est que le récit de John se passe vraisemblablement avant celui de Vasilia). Bon, si, techniquement elles se suivent toutes deux sur le fait qu'il s'agit à chaque fois d'un récit centré sur un enfant devant braver les dangers pour porter secours à son père, mais je voulais parlé d'un filage intra-diégétique plus explicite. Pourtant, chose intéressante, c'est bien cet album qui m'a la plus plu. Peut-être est-ce parce que chacun des deux récits a su davantage me parler, peut-être aussi parce que Baba Yaga étant la seule figure du folklore slave que je connaissais un minimum j'ai su m'attacher plus vite, peut-être encore est-ce le fait que j'ai bien plus ici ressenti cet effet de style narratif évoquant les soirées où l'on se partage des histoires au coin du feu, où les histoires se suivent, se lient et prennent vie mais pas nécessairement dans un ordre chronologique mais plutôt thématique. Quoi qu'il en soi l'album m'a plu, énormément. Qu'il s'agisse du récit initiatique de la jeune sorcière Vasilia ou de la quête épique du bon et brave John, les récits et les personnages m'ont plu, parus vivants et leurs aventures et leurs déboires possédaient bien toute la puissance évocatrice que j’attends d'un conte. On retrouve là aussi l'oiseau Gamaïoun pour la narration, nous partageant de nouveau de petites digressions au gré de ses histoires, des portes d'entrées et de sorties vers d'autres récits (mais pour d'autres moments). Nous retrouvons d'ailleurs au détour de quelques pages la souris, le serpent, le chasseur et son fils, personnages dont l'histoire nous a été racontée dans le précédent album (tout comme nous retrouvions dans leurs histoires l'éponyme Princesse Guerrière, John et Vasilia au détour de quelques épisodes). Le dessin d'Alexander Utkin est toujours aussi beau, mais là encore je l'ai préféré ici. Le travail des couleurs vives contrastées par la nuit noir lors des passages avec Baba Yaga, les couleurs bleus et orange de ce bon John qui se marient si bien, les yeux brillant de Vasilia et de sa grand-mère, l'esprit du feu, … j'ai trouvé le travail des couleurs bien plus intéressant et plus puissant dans cet album. Soi dit en passant, c'est cet album-là que j'ai lu en premier, et non Le Roi des oiseaux, peut-être cela a-t-il davantage appuyé ma préférence pour l'album ici présent.
Le Roi des oiseaux
J'adore les contes et légendes, j'aime découvrir et même étudier les variations d'histoires, les sens de lectures et leurs buts évoluant avec les lieux et les temps, leur force évocatrice intemporelle, … Bref, j'adore les contes. Mais je dois bien avouer que je m'y connais assez mal en contes slaves (si ce n'est quelques récits autour de Baba Yaga), alors un album jouant visiblement les recueils et dessiné par le talentueux Alexander Utkin je me dis que ce serait une excellente initiation. L'album est une succession de récits - principalement deux - eux même découpés en une succession d'épisodes, un peu à la manière d'une saga. Le personnage principal peut varier, changer le temps d'un épisode, mais l'on peut tout de même considérer l'album comme une sorte de récit filé puisque tous ces épisodes finissent tous d'une manière ou d'une autre par avoir un lien logique entre eux. La narration est assurée par Gamaïoun, sorte d'oiseau prophétique issu lui aussi des légendes slaves, intervenant de-ci de-là entre les cases pour nous partager de petites anecdotes, des ouvertures vers d'autres histoires qui mériteraient elles aussi d'être racontées (et qui le seront pour la plupart dans l'album La Princesse guerrière). J'ai particulièrement aimé ce parti-pris de rendre le narrateur aussi présent, donnant ainsi à la narration de l'album une vraie similitude, un vrai rappel de la nature orale et partagée de ce genre de récits à l'origine. Même si les histoires ne m'ont pas autant emballées que ce à quoi je m'attendais j'ai pu rentrer sincèrement dans l'album et son histoire (et SES histoires, du coup). Un petit mot encore sur le dessin d'Alexander Utkin que je trouve personnellement magnifique. J'aime sincèrement les styles crayonnés, les traits gras, comme au fusain, qui permettent de jouer de manière imaginative avec les corps tout en restant ancré, concret. Pas sûre de bien m'exprimer là-dessus mais gardez juste en tête que j'aime ce style. Les couleurs, quant-à-elles, sont variées et chatoyantes, un bon plus également à mes yeux. Même si les histoires en elles-même ne m'ont pas nécessairement parlées plus que ça la forme, elle, a su me convaincre et me touchée, et même me motiver à trouver plus de récits adaptés de contes slaves. (Note réelle 3,5)
Au-Dedans.
Voilà un album plutôt original – un peu sur le fond, et bien plus sur la forme – et qui ne peut qu’intriguer ses lecteurs. L’intrigue est centrée autour un personnage maladroit et étrange, qui peine à exprimer clairement ses pensées, en tout cas qui peine à le faire dans le cadre imposé par la société. De fait, il est en grande partie inadapté à la société, même si certains de ses proches – sa sœur, sa mère, et la jeune femme médecin avec laquelle il noue une relation – tentent de le raccrocher à cette société. Confronté à la maladie de sa mère, il va quand même reprendre pied sur la réalité vers la fin. Bon, ça n’est pas toujours très clair, et certaines choses ont dû m’échapper. En particulier toutes les dernières pages autour de la femme médecin, qu’elles soient métaphoriques ou pas, cette conclusion m’a laissé de côté. La narration est souvent aussi elliptique, voire énigmatique que la pensée du héros, c’est un peu décousu. La mise en page est elle aussi hors norme, avec des cases aux formes et aux nombres très variables (on a parfois une petite case au milieu de la page, entourée de blanc donc). Déroutant. Le dessin est globalement très bon, semble-t-il rehaussé au lavis ou à l’aquarelle (toutes sortes de nuances de gris et de Noir et Blanc, avec certaines pages en couleurs). Ce dessin est centré sur les personnages, parfois en plan serré, les décors étant quasiment absents. Cela renforce la froideur de l’ensemble. Je ne suis pas fans des yeux, qui semblent être en permanence exorbités. Étrange, déroutant, avec quelques longueurs, les qualités – réelles – de cet album n’ont que partiellement contrebalancé les côtés obscurs et froids de ce récit.
Au-delà de Neptune
Une lecture plutôt sympa et très rapide – malgré une pagination conséquente – mais qui m’a laissé un peu sur ma faim. Qui me laisse en tout cas un goût de « trop peu » après avoir refermé l’album. Le dessin est agréable, et certaines planches sont vraiment jolies, avec une belle colorisation. Mais ce dessin est aussi avare de détails : comme pour l’intrigue, il joue davantage sur l’ambiance, les marges, que sur quelque chose de précis et fouillé. En effet, l’histoire est à la fois simple et légère. Plaisante à suivre, mais aussi manquant de développements, de profondeur. La société terrienne du XXIIIème siècle est à peine effleurée, alors que pourtant on nous la présente comme repoussante, l’Homme ayant visiblement continué à dégrader l’environnement, au point que des paysages sont projetés dans des intérieurs aux fenêtres closes, l’extérieur n’étant « pas beau à voir ». Le récit est centré sur une femme, qui voyage dans l’espace (depuis près d’une dizaine d’années), explore – de façon virtuelle – les diverses planètes rencontrées – en espérant y trouver les ressources qui manquent désespérément à la Terre. Ses messages/dialogues avec l’ordinateur de bord sont ses seuls moyens d’être entendue – à défaut d’être écoutée – avec quelques passages d’énervement, d’incompréhension presque amusants. Apparait aussi une autre jeune femme – dans des flash-backs – que l’héroïne a aimée, mais qu’elle a dû quitter pour sa mission spatiale. Comme je l’ai déjà écrit, ça se laisse lire facilement. Mais j’aurais aimé que soit plus étoffé l’intrigue. Surtout que la fin ouverte laisse le lecteur avec pas mal de questions. Mais bon, cela part du choix de l’auteur j’imagine. Note réelle 3,5/5.
Rat City
Si je connais le personnage de comics, j'avoue n'avoir jamais pris le temps d'aller découvrir ce personnage de Spawn. Mais loin d'être un énième épisode de ses aventures, nos auteurs nous proposent ici une version cyberpunk qui nous propulse en 2107. A cette période la guerre fait rage et une troupe d'élite de soldats augmentés version cyborgs foire magistralement sa mission ; la plupart des intervenants meurent et les rares survivants sont lourdement blessés. Peter Cairn, faisait parti du commando et s'est retrouvé amputé des deux jambes. Il se voit alors proposé des prothèses expérimentales et l'injection de nono-robots pour devenir un nouveau super-soldat. Mais forcément, ça va partir en sucette, un nouveau "monstre" est né... Le dessin de Zé Carlos est plutôt bon, nous immergeant parfaitement dans cet univers futuriste. Il se marie en tout cas parfaitement au scénario concocté par Erica Schultz. Le rythme soutenu du récit est parfaitement porté par un découpage élégant et nerveux, et on est vite happé par le destin de Peter Cairn. Voilà en tout cas un très bon premier tome qui donne envie de découvrir la suite !
L'Épopée de la Sainte Tunique du Christ
Disons-le tout de suite, comme on peut s'en douter, cette bande dessinée est plutôt réservée à un public de niche, à savoir un public catholique, comme bon nombre de bandes dessinées des Éditions du Triomphe. Parue peu avant la dernière ostension de la Sainte Tunique d'Argenteuil, les auteurs ambitionnent de retracer toute la trajectoire de cette tunique que la tradition de l'Église vénère comme étant celle ayant appartenu au Christ, et ayant été tissée par sa mère. Comme le Saint Suaire de Turin, la science n'a pu établir avec sûreté ni son authenticité, ni son inauthenticité. Tout comme la relique de Turin, d'ailleurs, son origine n'est retraçable qu'à partir du Moyen-Âge, où son parcours a été relaté avec une certaine précision par différents chroniqueurs. C'est la principale force de cet album, d'ailleurs : même si le parti pris des auteurs en faveur de l'authenticité de la relique est évident, ils s'en tiennent au maximum aux faits avérés, et ce qui est raconté dans cet album est toujours très sourcé. Des chroniqueurs médiévaux aux tentatives plus récentes de datation, tout le trajet de la tunique est décrit plus ou moins dans le détail, et certains épisodes sont très intéressants. Il faut bien reconnaître, en revanche, que cet album souffre des défauts de presque toutes les biographies souhaitant être "trop" complètes ou autres albums retraçant des histoires sur plusieurs siècles : le récit est trop découpé. Même si les auteurs font de visibles efforts pour donner un maximum de cohérence narrative à leur récit, on passe souvent trop vite d'une époque à une autre, ce qui donne un côté morcelé à l'histoire. Reste un album assez intéressant, qui, au-delà de sa volonté de propager une dévotion catholique, nous apprend quelques épisodes historiques peu connus et qui dressent en creux un portrait du pouvoir en France à différentes époques, et de son rapport à la religion. Le dessin de Julie Ducoudray est très agréable à l'œil, et même si certaines cases semblent dessinées plus vite que d'autre, les pages sont très belles dans l'ensemble. Rien de très incontournable, donc, mais un album qui se laisse lire avec un certain intérêt. A condition - bien sûr - d'avoir un certain intérêt pour son sujet.
Patchwork
En vérité, elle était un million de fois plus belle que sur le dessin. - Ce tome constitue un recueil d’histoires courtes de l’auteur. Son édition originale date de 2008. Les quinze histoires courtes regroupées ici ont toutes été réalisées par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée, réalisée sur une période de vingt ans, de 1983 pour la première à 2003 pour la dernière. Blues, 1983, trois pages : Un afro-américain joue de la guitare en marchant dans les rues d’une petite bourgade des États-Unis et des hommes blancs se mettent le suivre, mal intentionnés. Dans son esprit, il pense à la situation : du blues, les blancs qui le dévorent, il hait les esclaves plus que les maîtres. - L’amour, 1989, deux pages : Violence. Haine. Bestialité… Impuissance des mots, alors il dessine. La main crispée sur le pinceau, le bras tétanisé, coincé dans son épaule, un rictus sur la bouche, dans la tête du béton, il dépose sur la feuille ce qu’il croit avoir appris sur le mal des hommes. Il dépose sur la feuille blanche sa violence, sa haine, sa bestialité. Et puis il recommence… encore… encore. Et puis il regarde. Non, ce n’est pas encore ça… Juste un pâle reflet de ce qu’il voulait exprimer… Encore travailler… son dessin. Demain il essaiera de peindre l’amour. – Le car, 1992, six pages : une femme effectue un voyage en car. Elle observe un homme qui regarde le paysage défiler… Quelque part en lui-même. Elle somnole vaguement, bercée par le ronron du car. Un peu enivrée par l’odeur de Jean, qui monte d’entre ses cuisses. Ils avaient fait l’amour juste avant son départ. Elle avait encore dans sa bouche, le souvenir de son passage. Lhomme à la fenêtre avait des bras comme elle aime. Des avant-bras surtout. Elle est sûre qu’elle peut dessiner le sexe d’un homme rien qu’à regarder ses bras. Elle a bien envie de vérifier. Ses yeux se sont perdus. 1420406088198, 1992, vingt-cinq pages : proche de Marseille ou de Nice, Baudoin est assis sur un rocher, une de ses filles à ses côtés, ils regardent l’horizon au loin au-dessus de la mer. Il explique à sa fille qu’il vient souvent ici, qu’il y reste. Quand il reste longtemps, il a du mal à retourner dans la ville, derrière eux. Il continue : La vrai richesse est devant, dans le vide de l’horizon, les vagues éphémères, l’argent de leurs reflets. Elle demande à son père ce qu’il a contre l’argent. Elle, elle aimerait avoir une Porsche, une Jaguar aussi. Il s’explique : L’argent lui semble être une maladie, ou plutôt comme un symptôme d’une maladie qu’ils auraient tous. Son père à lui, son grand-père, à elle était communiste, il disait que Ce sera le communisme quand plus personne dans le monde n’aura besoin d’argent. Edmond lui demandait alors comment on fera pour aller au cinéma ? Le monsieur qui fait le cinéma il sera payé comment ? La réponse du père : Ce sera gratuit, ils iront autant de fois qu’ils voudront. Le projectionniste ne sera pas payé, ça ne lui servirait à rien, tout sera gratuit. Les hommes travailleront pour le bien de tous. Edmond Baudoin est un créateur prolifique que ce soient des bandes dessinées, des histoires courtes, et même des livres. Au fil de sa carrière, il a ainsi régulièrement réalisé des nouvelles dessinées de quelques pages, pour des éditeurs très divers. Ce recueil en rassemble quinze, allant d’une page pour la plus courte (intitulée : Tu m’aimes ?) à vingt-cinq pour la plus longue (intitulée 1420406088198), pour des publications souvent confidentielles comme Le citron hallucinogène n°17, Labo (Futuropolis), Transports fripons (Les Humanoïdes Associés), L’argent roi (éditions Autrement), Le cheval sans tête n°1, Ego comme X n°1, Manga Surprise (Kodansha), Algérie la douleur et le mal, Le drozophile n°4, El Lado Oscuro III, Comix 2000 (L’Association), Stripburger n°2, Bang n°3 (Casterman), Marseille l’Hebdo n°151. Le lecteur qui a suivi sa carrière apprécie de pouvoir avoir ainsi accès à des créations dont il ne connaissait pas forcément l’existence ou qu’il n’avait pas pu se procurer du fait d’un tirage et d’une diffusion confidentiels. Il retrouve également l’habitude de ce créateur de travailler avec de nombreux éditeurs différents, certains connus d’autres moins. Dans chacune des histoires, il retrouve les caractéristiques habituelles de ce créateur : dessins souvent au pinceau parfois rehaussés de traits à la plume, mise en page très libre allant de cases avec bordure à des illustrations agrémentées de commentaires, parfois il se met en scène d’autres fois non, et toujours ce regard bienveillant si humaniste caractéristique. La diversité des histoires fait qu’il est aussi bien possible de les lire une par une en laissant passer du temps entre, que de les lire d’une traite sans crainte de répétition. Les histoires sont intitulées : Blues, L’amour, Le car, 1420406088198, America, Désemparé, Tu m’aimes ? Edmond Alain et Hughes, Algérie, Le train, Paris, Comix 2000, Sarajevo, Cuba. Baudoin y aborde de façon très personnelle à chaque fois des thèmes comme le racisme systémique envers les afro-américains, les émotions négatives envahissantes, son premier petit boulot de peintre de lettres sur des enseignes, un dialogue avec une américaine alors qu’il ne sait pas parler anglais, la situation déprimante d’un chômeur abandonné par sa femme et sa maitresse, l’incapacité des hommes à savoir aimer, trois potes en train de regarder les filles passer, la nécessité de s’aimer soi-même, la métaphore de la voie de chemin de fer, une soirée à zoner à Paris comme artiste sans le sou et sans toit, un coucher de soleil, la morbidité de la mission du tireur d’élite, des rencontres de rue à Cuba, la personnalité de Marseille. Ces histoires vont du plus concret comme un carnet de voyage au plus conceptuel comme les cinq pages sans parole consacrée à un coucher de soleil. Et toujours un regard sur le monde qui n’appartient qu’à cet être humain singulier, cet artiste. À elle seule, en trois pages, la première histoire donne un excellent aperçu de l’étendue graphique de l’artiste. Chaque page est composée de trois cases de la largeur de la page, montrant l’avancée de l’afro-américain, avec un texte au-dessus ou en-dessous de la case, correspondant à la voix intérieure de ce joueur de blues. Dans trois de ces cases, le dessinateur représente la situation de manière descriptive, avec un jeu sur les aplats de noir pour renforcer les zones d’ombre jusqu’à l’expressionisme. Quatre cases se focalisent sur les individus, les traits de pinceau s’épaississent pour des rendus allant vers l’impressionnisme, plus la sensation produite par ses individus en faisant apparaître l’état d’esprit de la foule, exagérant les traits de visages, les ombres mangeant le visage, le langage corporel pour faire ressortir la menace. Cette approche bascule dans l’expressionnisme alors que les individus forment un groupe plus compact agissant comme un seul homme, et s’apprêtant à agresser le bluesman. L’avant dernière case adopte un cadrage conceptuel avec l’individu à terre comme à demi enfoncé dans le sol, et les habitations bien alignées sur la ligne d’horizon au loin. Déjà dans ce récit des débuts de l’artiste, le lecteur peut déceler sa grande liberté quant à sa conception de la bande dessinée. En fonction de sa sensibilité, le lecteur apprécie plus le thème d’une histoire que celui d’une autre tout en ressentant l’expression de la personnalité de l’auteur dans chacune d’elle, et dans toutes il peut voir cette cohérence et cette diversité dans les représentations. Les gros coups de pinceau rageurs dans L’amour. Les beaux paysages du sud de la France délicatement esquissés dans Le car. Puis l’incroyable expressivité d’un simple coup de pinceau pour évoquer la côte ou la ligne d’horizon maritime, cette façon très visuelle de faire surgir une image ou plutôt une représentation mentale de la tête même d’un personnage, la représentation délicatement changeante d’un visage au fil d’un dialogue, la grâce féminine, les cases chargées d’un noir charbonneux pour transcrire l’angoisse habitant un individu au point de percevoir une réalité déformée par ses peurs, la dimension visuelle métaphorique d’un rail de voie ferrée, l’individu réduit à la morphologie d’une statue d’Alberto Giacometti (1901-1966), le contraste total et saisissant entre le lourd équipement d’un militaire et le corps ondulant et souple d’une jeune femme nue, des silhouettes en train de danser (extraordinaire dans leur mouvement), le portrait d’une vieille femme, ou encore l’évocation de quelques habitants de Marseille. Tout est perçu au travers du regard de l’artiste, chacun est habité d’une vie remarquable, avec un respect unique en son genre. Par la force des choses, ce recueil de nouvelles dresse en creux le portrait de l’auteur, par les choix des thèmes, par le regard qu’il porte sur ses semblables, par ce sur quoi porte son attention et son intérêt. Ce que ces nouvelles disent d’Edmond Baudoin : sa capacité à identifier le racisme systémique et le dégout de soi-même qu’il peut provoquer chez la victime qui voit les ressemblances qui existent entre lui et ses persécuteurs, son combat contre ses instincts destructeurs (violence, haine, bestialité), son rapport de haine vis-à-vis de l’argent, son émerveillement devant la beauté féminine, sa conviction profonde que la capacité de donner la vie fait des femmes des êtres profondément différents des hommes, la nécessité de commencer par s’aimer soi-même, la fraternité entre les êtres humains, la beauté des paysages, des villes, et bien sûr des arbres. Le lecteur en ressort rasséréné qu’un tel être humain puisse exister, partager ce qu’il ressent, y compris ses doutes et ses défauts. Un recueil de quinze nouvelles dont la parution s’est étalée sur vingt ans, une curiosité ? L’habitué de ce créateur découvre des œuvres d’un niveau de qualité égal à celle de ces bandes dessinées plus longues, avec la même liberté de forme, la même sensibilité extraordinaire, le même plaisir dans la fraternité humaine, cette chaleur humaine libre et honnête. Il en ressort avec la sensation d’une grande richesse visuelle unique en son genre, exprimant la personnalité de l’auteur, et des thèmes essentiels sur la condition humaine. Formidable.