Les derniers avis (106027 avis)

Couverture de la série La Rôtisserie de la reine Pédauque
La Rôtisserie de la reine Pédauque

Rarement une série éditée par Mosquito sera parvenue à me convaincre, et ce récit ne dérogera pas à la règle. Comme pour d’autres œuvres parues chez Mosquito, je trouve le dessin de cette adaptation très bon et parfaitement adapté au sujet. Je pourrais bien lui reprocher son occasionnel manque de clarté mais Marc Jondot a vraiment une patte d’artiste. Malheureusement, pour moi une bande dessinée a pour but premier de me raconter une histoire, et là, je dois bien avouer être bien moins satisfait de ma lecture. Tout d’abord l’œuvre originale dont est tirée cette adaptation me semble de peu d’intérêt. Un jeune apprenti désireux de s’élever dans la société va se retrouver embarqué dans d’étranges aventures mêlant ésotérisme et grivoiserie. La plupart du temps passif, il est balloté tel un fétu de paille au gré des événements. La Rôtisserie de la reine Pédauque peut ainsi être vu comme un pastiche dans lequel Anatole France se moque quelque peu des curés, de la noblesse et des alchimistes, les tournant régulièrement en dérision. L’adaptation qu’en tire Marc Jondot me semble très partielle et, surtout, extrêmement décousue. Le lecteur qui connaitrait parfaitement l’œuvre originale aura sans doute moins de mal à suivre la bande dessinée mais pour qui, comme moi, ne connait en rien le roman, la seule lecture de la bande dessinée s’avère des plus pénibles. On saute constamment d’une scène à une autre, des personnages apparaissent que nous sommes sensés connaître mais dont nous ignorons tout, les motivations des différents acteurs demeurent obscures, tout va très vite et ne débouche sur rien. Une lecture vraiment pénible. Et c’est d’autant plus regrettable que le dessin est très beau, mais décidément, mosquito n’est pas une maison d’édition faite pour moi.

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Chocochat & moi
Chocochat & moi

On ne criera pas au génie mais cette série me semble des plus recommandables dans sa catégorie. Il s’agit de recueils de gags qui forment une histoire suivie. Cette histoire, c’est celle de Chocochat, un chaton qui vit dans un univers semblable au nôtre sauf que les chats y occupent la place de l’homme. Un soir, en revenant de l’école, Chocochat découvre un humain et décide de l’adopter. Il l'emmènera ensuite à l'école puis tentera de lui apprendre à devenir un vrai chat. Vous l’aurez compris, l’humour réside dans l’inversion des rôles. C’est gentil, sympathique, bourré de bons sentiments, enfantin mais pas infantilisant. Plusieurs gags m’auront fait largement sourire alors que mon grand âge ne me désigne plus vraiment comme le cœur de cible. Bien sûr, on peut regretter l’humour parfois pipi caca (la litière et les crottes se croisent fréquemment) mais, a contrario, je trouve qu’il y a aussi une vraie réflexion sur la place que nous donnons à nos animaux de compagnie, à leur importance et à leurs caractéristiques. Le dessin va à l’essentiel et convient parfaitement au public visé. C’est très lisible, caricatural et expressif. A destiner bien entendu prioritairement au public visé (les 6-8 ans).

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Miroir de nos peines
Miroir de nos peines

Miroir de nos peines est un roman qui fait suite à l'excellent Au revoir là-haut de Pierre Lemaître. Les deux histoires sont distinctes et nul besoin d'avoir lu le premier roman pour s'immerger avec bonheur dans celui-ci. Je n'ai pas lu cette suite (en roman)mais on retrouve dans l'adaptation de Christian de Metter les qualités que j'avais aimées dans Au revoir là-haut. Premièrement le scénario est superbement bien construit autour de destins croisés qui vont converger vers un même point. C'est finement orchestré de façon à rendre un récit fluide, logique et cohérent qui est facilement compréhensible. Pour autant, les auteurs Lemaitre/de Metter distillent les informations de façon parcimonieuse ce qui fait du début du roman un véritable polar avec une enquête à surprises. Ensuite les personnages expriment une humanité forte. Louise en premier lieu qui est le révélateur des sentiments bons ou mauvais qui entouraient l'histoire d'amour de sa mère. Cela produit une seconde partie bien plus intime et sentimentale qui donne une vision plus profonde des divers intervenants. Cela est enveloppé d'une atmosphère historique qui sert de critique à l'organisation sociétale d'une France déboussolée. On pourrait reprocher aux auteurs de favoriser la vision optimiste avec une fin de style "tout est bien qui finit bien" mais j'ai apprécié ce côté frais et rayonnant du récit. Si de Metter est cadré par sa volonté de suivre l'esprit du roman, il propose un graphisme bien personnel riche en détails et une mise en scène très efficace. Son découpage et sa mise en scène créent un fort dynamisme et renforcent les effets de surprise de l'enquête. De Metter réussit très bien à créer une ambiance où la petite histoire se cale parfaitement à la grande histoire. Les personnages sont juste conformes à l'esprit de leur époque. Le choix des dialogues, les détails architecturaux, les costumes ou uniformes et surtout les expressions des visages, tout est à sa place. Cela donne une lecture qui m'a capturé de plus en plus au fil des pages. Une très bonne lecture qui m'a bien touché par son esprit très positif.

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Ether
Ether

C'est une lecture que j'oublierai vite. Ce diptyque surfe sur l'esprit du temps qui mêle Fantasy avec un graphisme qui tend vers un trait manga approximatif. Gamih est une héroîne style ado rebelle avec des dons innés qu'un maître est chargé de lui en apprendre la maîtrise. Ce n'est pas l'idée la plus originale qui soit tellement cela a été utilisé depuis la guerre des étoiles. On reste sur une route balisée et prévisible tout au long du récit. Les dialogues sont pauvres tutoyant la vulgarité en de nombreux passages. Le graphisme fait penser à de l'animation manga assez frustre. Certaines cases ( surtout dans T2) sont bâclées. Les scènes de combats sont souvent confuses et finissent abruptement de façon bien trop facile. Une lecture sans beaucoup d'intérêt.

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Il était une fois le jeu vidéo
Il était une fois le jeu vidéo

C’est surtout la première moitié de l’album qui m’a fait l’effet d’une madeleine de Proust. Né en 1968, j’ai en effet été marqué par le développement des jeux d’arcades (j’y ai dépensé quelques sous et heures), puis par celui des premières consoles et du développement des PC (j’allais jouer chez des copains qui en possédaient après mes cours de collège et de lycée). La période suivante, je la connais d’un peu plus loin. Certes, j’ai joué à certains jeux (combien d’heures passées à jouer à « Pirates » - même s'il n'est pas évoqué ici ?), et je m’y suis remis un tout petit peu avec l’arrivée de mes enfants et celle de la Nintendo DS (et de ses dérivés), en jouant avec eux à Mario Kart. Mais depuis longtemps je m’étais écarté de cet univers, et je ne suis donc pas du tout un « gamer » (désolé Alix !). Ce qui ne m’empêche pas de conseiller cet album, qui s’adresse bien sûr aux « gamers » actuels, mais aussi et surtout je pense à tous ceux qui veulent comprendre la genèse d’un phénomène de société – et, disons-le, d’un « business » avant tout. Il n’est pas nécessaire d’être passionné ou acteur de ce milieu pour apprécier cette lecture, qui propose une vision historique, avec ses héros, ses entreprises et ses « produits phares ». La narration est très fluide et parvient très bien à mêler à côtés ludiques et connaissances factuelles (les deux auteurs se mettent en scène, et se retrouvent régulièrement embarqués dans l’univers des jeux qu’ils décrivent). Vers la fin, quelques réflexions éthiques, sur la place des jeux vidéo dans nos vies, les conséquences de leur « emprise » éventuelle, sont plutôt bienvenues. Seul le dessin n’est pas trop mon truc (mais il est adapté au sujet et passe bien finalement). En fait, ce sont surtout les personnages (les deux auteurs essentiellement donc) qui me semblent moins bien réussis. Pour ce qui est de l’univers graphique des jeux vidéo, c’est beaucoup mieux réussi, ce qui est l’essentiel ici. On a donc là une lecture intéressante, où l’on apprend (ou révise) de façon ludique.

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Wanted - Portrait de sang
Wanted - Portrait de sang

Le western revient en force chez les éditeurs ces dernières années, avec plus ou moins de succès. Il est vrai qu’il est difficile de faire preuve d’originalité dans un genre si balisé. Avec ce « Wanted » on sort globalement satisfait de sa lecture. Le récit est très rythmé, on ne s’ennuie jamais, et cette histoire de vengeance est plutôt bien menée. L’aspect fantastique n’est pas trop surjoué et passe bien ici, et les personnages principaux sont intrigants. Il y a quelques petites facilités quand même (le jeune Cheyenne est franchement très doué avec son tomahawk, et les héros, mêmes plombés, s’en sortent miraculeusement). Mais ce western, sans être un must, procure une petite lecture détente agréable.

11/06/2024 (modifier)
Couverture de la série Berlin sera notre tombeau
Berlin sera notre tombeau

Nous suivons au plus près dans ce triptyque les combats désespérés de volontaires français de la SS dans les derniers jours d’avril 1945, dans Berlin en ruines démoli par les Soviétiques. La reconstitution des combats est bien faite, on sent que les auteurs, au scénario et au dessin, maîtrisent leur sujet. C’est forcément dynamique, il n’y a pas de temps mort. Il n’y a d’ailleurs que le temps qui ne meure pas, puisque les uns après les autres disparaissent les soldats que nous croisons. Sans que nous puissions nous attacher à eux ou en connaitre davantage (à part quelques flash-backs nous informant sur les causes de l’engagement de l’un d’entre eux). Du coup, si l’aspect militaire est bien traité, reste quand même le regret que ne soit évoqué que le courage et le sacrifice de ces Français, en mettant trop en sourdine les côtés nauséabonds de leurs idées (les SS n’étaient pas de simples boy-scouts !). On se trouve ici dans la lignée de certains bouquins d’Erwan Bergot par exemple (pas vraiment ma tasse de thé !). L’enfer des derniers combats d’arrière-garde à Berlin est bien rendu, aussi par le dessin, très réaliste (un peu figé parfois). Clairement pour amateurs de reconstitution militaire, mais il manque quand même un contexte et quelques choses pour étoffer les personnages et « l’histoire ».

11/06/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Sous les galets la plage
Sous les galets la plage

Économiser sur le plaisir, tu parles d'un placement ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Pascal Rabaté pour le scénario, les dessins, les lavis de gris et de brun, le lettrage. Il s'agit d'une bande dessinée de 134 pages. L'édition Canal BD comprend un cahier supplémentaire de 7 pages, avec une interview de l'auteur et des planches à différents stades réalisation. Albert et son père flânent dans la grande rue de la cité balnéaire Kertudy, en regardant ce que proposent les différents étals de la brocante. le père s'arrête pour examiner une petite statuette d'un dieu crocodile, mais la repose quand le brocanteur lui indique qu'il s'agit d'un souvenir des colonies. Un peu plus loin, ils s'arrêtent devant un joli meuble. Marius, un type avec un béret, en train de fumer la pipe, leur en propose mille francs. le père commence à marchander : le vendeur se justifie de quatre francs par année, pour un meuble qui date du dix-huitième siècle. le père continue de négocier et ils se mettent d'accord sur cinq cents francs. Ils repartent avec le meuble et le père fait observer à son fils qu'il faut toujours marchander : c'est comme ça qu'on économise et qu'on peut épargner. Ils rentrent jusqu'à la résidence secondaire de la famille et installent le meuble. Les deux enfants plus jeunes finissent d'installer la bâche sur la remorque et la fixer avec des tendeurs. le père et la mère font leur au revoir à Albert, en lui remettant les clés de la maison : il reste encore quelques jours alors que le reste de la famille rentre. Peu de temps après, Édouard passe à vélo pour saluer son ami et s'assurer du départ de ses vieux. Ceux de Francis sont également partis. Les trois amis se retrouvent sur la plage. Édouard propose que le soir ils fassent un sort à la cave de son père. Dans la mesure du raisonnable, ils peuvent lui tirer quatre bouteilles au max, plus, il verrait. Édouard et Francis se mettent à faire une partie de badminton. Le soir venu, les trois amis viennent de finir leur plat de pâtes et ils terminent la deuxième bouteille. La première était un Morgon la deuxième un Juliénas. Édouard indique qu'il n'a pas fait la différence entre les deux. Albert cherche dans la collection de disque : il en sort un peu déçu car il n'y a que du classique. Francis indique que le lendemain ils pourront aller chez ses parents qui ont des disques de jazz. Ils décident d'aller descendre la troisième bouteille, sur la plage. Ils s'y installent et font un petit feu, avec la mer devant eux, et leur héritage derrière. Ils commencent à faire tourner la bouteille, et ils entendent un bruit derrière eux : des gens qui se tiennent à l'entrée d'une villa, sûrement des résidents. Albert trouve ça bizarre, et il décide d'aller voir. Il se lève et avance vers la villa mais une personne allume sa lampe torche braquée sur lui, puis l'éteint. C'est une jeune femme qui leur demande si elle peut se joindre à eux. Ils acceptent. Elle boit un coup. Ils se présentent. Odette se déshabille pour aller prendre un bain de minuit. Les garçons la rejoignent. Dès la première page, le lecteur est conquis par la narration visuelle. Une vue en plongée sur la rue principale de Kertudy où se tient la brocante. le dessin est de nature réaliste et descriptif, avec un degré de simplification pour le rendre plus rapidement lisible par l’œil, et des détails marqueurs du lieu et de l'époque. le lecteur peut voir une affiche avec une graphie des années 1960, et des vespasiennes dans le coin en bas à droite de la première case. L'allure d'Albert et son père est étonnante de maintien et d'une forme d'assurance donnant une impression de supériorité, avec leur polo Lacoste immaculé et boutonné jusqu'en haut. Dès le départ, le lecteur ressent visuellement le décalage temporel. Il fait connaissance de Marius, avec sa veste à rayures horizontales et verticales, un béret sur la tête, une pipe et un chandail à col montant : une sorte de beatnik à la française. Les tenues vestimentaires sont encore assez strictes. de temps à autre, le lecteur voit passer un figurant : une femme avec un beau chapeau, un scout de France avec son uniforme caractéristique. Une jeune femme avec une belle robe aux motifs imprimés. Un homme bedonnant se promenant sur la plage avec sa chemise et son pull sans manche. Il en devient presque difficile de croire que Francis ou Edmond puissent porter des teeshirts sans col. L'artiste sait insuffler de la vie et de la personnalité à chaque protagoniste, avec des traits de contour pas forcément jointifs, parfois comme tracés sur le vif. le lecteur ressent leur état d'esprit : l'assurance militaire du père d'Albert, l'assurance très différente de Marius qui donne l'impression d'une étonnante liberté par rapport aux contraintes de la société, les expressions vives d'Albert et de ses amis qui découvrent la vie sans être blasés, les expressions plus ambigües d'Odette dont il n'est pas possible de deviner le fond de sa pensée ou la réalité de ses émotions, etc. Rien qu'à regarder chaque personnage, le lecteur perçoit une partie de son caractère, voit les différences entre l'un et l'autre. Le lecteur remarque rapidement la qualité de la mise en scène, en particulier au travers des scènes de dialogue où le bédéiste ne se contente pas d'alterner des champs et contrechamps, mais montre l'activité à laquelle se livrent les personnages en même temps, ou comment ils changent de posture en fonction de l'évolution de leur état d'esprit, ou encore la façon dont ils prennent une mimique étudiée quand ils se livrent à une forme de séduction, de manipulation plus ou moins consciente. Dans un premier temps, le lecteur éprouve l'impression qu'il y a même régulièrement des pages muettes, sans aucun mot ni de dialogue, ni dans un cartouche. En réalité, il n'y en a que douze, mais l'auteur laisse souvent parler des cases uniquement par le dessin. En fonction de sa sensibilité, le lecteur le remarque plus ou moins rapidement. Cela peut être en page 27, quand Odette se déshabille devant les trois garçons sur la plage de nuit, pour aller prendre un bain de minuit, dans une bande de trois cases, où à l'évidence Albert, Francis et Édouard ne disposent pas des mots nécessaires pour exprimer l'intensité de ce qu'ils ressentent. Cela peut survenir plus loin quand Albert connaît sa première expérience sexuelle en pages 67 & 68. Page 100, il découvre une autre planche sans mot, Albert allongé sur le dos profitant du moment présent, de la sensation de bien-être et même de bonheur. le lecteur ressent cette sensation et se retrouve à sourire doucement de contentement. Page 80, un monsieur bedonnant promène son chien sur la plage : sympathique, évident de naturel, mais qu'est-ce que ça vient faire là ? C'est un peu la question que le lecteur finit par se poser. La narration visuelle est douce empathique, les personnages sont sympathiques et complexes. La narration visuelle lui permet de se promener : sur une plage sans personne, dans des intérieurs de résidence secondaire, dans un magasin d'alimentation général, à vélo au beau milieu d'une route de campagne déserte, dans une vieille grange immense servant d'entrepôt à des meubles, etc. le lecteur apprécie ce moment hors du temps, de jeunes hommes tout juste adultes, livrés à eux-mêmes dans une station balnéaire en arrière-saison, les rues étant vides, les habitants très peu nombreux et comme inexistants, car les jeunes gens ne les croisent jamais. le récit devient à la fois une histoire alternant les environnements, et presque un huis-clos entre une demi-douzaine d'individus, car il n'y a pas de petits rôles et très peu de figurants. Dans un premier temps, le lecteur est donc séduit par ce supplément de vacances hors du temps et de l'agitation du monde, puis par le mystère d'Odette, cette jeune femme qui n'a pas froid aux yeux, tout en en ne semblant pas fréquentable. Puis il se retrouve happé par le chantage que subissent les trois jeunes gens. Il se prend au jeu de l'intrigue, pour savoir si les trois jeunes hommes s'en sortiront. Il apprécie l'approche naturaliste de l'auteur : le récit ne verse pas dans le roman d'aventure, ni dans le mélodrame. Il n'y a que l'histoire personnelle d'Odette et celle d'Edmond qui sont un peu appuyées, tout en restant plausible, et peut-être que celui qui les évoque n'est pas forcément entièrement fiable. Au fur et à mesure des séquences, l'auteur oppose donc la jeunesse tranquille et assurée d'Albert, Édouard et Francis à celle d'Edmond et d'Odette, la vie bien rangée des parents des trois jeunes gens, à celle bohème de l'autre trio. D'un côté des vies qui semblent bien tracées dans la société, de l'autre des vies en marge de la société, du mauvais côté de la loi. Dans la dernière case, apparaît le A de l'anarchisme, seule échappatoire possible pour des individus refusant le carcan de la norme sociale, ou dont l'histoire personnelle ne leur permet pas de s'y conformer, en tout n'ayant aucune intention de l'entretenir, de la perpétrer. La situation échappe à une dichotomie simpliste, grâce au personnage d'Albert. À travers une scène terrifiante, l'auteur fait apparaître le prix que le jeune homme a à payer pour faire partie de la bonne société, la réalité des leçons à recevoir, à subir, à endurer, auxquelles se plier pour rentrer dans le moule. le lecteur peut supposer qu'il en coûte autant, d'une autre manière, à Édouard et à Francis. le récit sort alors d'une vague virée plus ou moins romanesque dans l'illégalité, pour une représentation plus nuancée et plus sombre des dessous de l'humanité, chaque personnage étant tout aussi façonné par les lois systémiques de la société, par les traumatismes historiques (par exemple seconde guerre mondiale) dont les séquelles sont encore des plaies ouvertes faisant souffrir les individus. Pascal Rabaté propose un récit naturaliste entre thriller, polar et chronique sociale. Il installe très élégamment les circonstances : l'année, le lieu, l'époque, la classe sociale des personnages, tout cela façonnant l'intrigue de manière organique, à l'opposé d'un mécanisme d'intrigue artificiellement plaqué sur un contexte sans incidence. le lecteur est touché par la jeunesse des personnages, leurs choix, leur conformisme ou leur esprit de rébellion, de refus, le rôle et la place dans la société qui leur ont été attribués d'autorité, les cantonnant d'office à une vie ou à une autre. La narration visuelle est d'une rare élégance, évidente de bout en bout en bout, douce et consistante. L'histoire révèle progressivement ses saveurs sociales, peut-être pas assez affirmées, un peu en retrait de l'intrigue, empreintes d'une fatalité qui semble attribuer un monolithisme à la société française établie de l'époque, une société de plomb figée, plus une exagération qu'une réalité.

11/06/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Paradis perdu de John Milton
Le Paradis perdu de John Milton

Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ? - Ce tome est indépendant de tout autre et constitue une adaptation du poème épique le Paradis Perdu (première version en 10 parties en 1667, deuxième version en 12 parties en 1674), de John Milton (1608-1674). Il a été réalisé par Pablo Auladell, et sa première édition date de 2015. La traduction de l'espagnol en français a été réalisée par Benoît Mitaine, en suivant la traduction de 1836, réalisée par François-René Chateaubriand (1768-1848). L'ouvrage commence avec un avant-propos de l'auteur expliquant la genèse de cette adaptation débutée en 2010, interrompue pendant deux ans, puis reprise pendant trois ans. Dans l'obscurité, Satan dort contre une ange dans son lit. le jour se lève sur la cité radieuse : Satan écarte le rideau et regarde par la fenêtre. Il aperçoit au loin l'archange majeur Michel debout sur un rempart et regardant dans le lointain. Michel tourne son regard perçant vers lui, puis il lève son épée vers le ciel alors que la pluie se met à tomber. Un chapeau avec un ruban chute dans les ténèbres, dans le gouffre des Tartares. Dans l'Enfer s'élève le panache d'un feu, et des oiseaux planent au-dessus d'un charnier. Des anges gisent semblant morts, des épées et des lances éparses à proximité d'eux. le narrateur s'interroge : quelle cause poussa les premiers parents à se séparer de leur Créateur ? Qui les entraîna à cette honteuse révolte ? À transgresser leur unique interdit ? Dans les eaux noires du lac, une silhouette bouge et se redresse : le serpent, l'infernal serpent, Satan. Son orgueil l'avait précipité du ciel avec son armée d'anges rebelles. Jeté la tête en bas par le souverain Pouvoir, entouré de flammes, depuis la voute éthérée. Satan se redresse et contemple l'environnement qui l'entoure. Il est tombé dans le gouffre dans fond de la perdition, dans des régions de chagrin où ni repos, ni espérance ne pourraient jamais habiter. Il découvre un autre corps entre deux eaux et le reconnaît : Belzébuth. Il lui fait prendre conscience de quelle hauteur, dans quel abîme ils sont tombés. Mais tout n'est pas perdu. Ni sa colère, ni sa puissance ne pourront jamais soumettre sa volonté et son courage. Satan ne demandera point grâce d'un genou suppliant, et il ne respectera point un pouvoir venu à douter de son empire, par la terreur de son bras. Belzébuth a repris conscience et l'interroge : et si leur vainqueur avait laissé entiers leur esprit et leur vigueur afin qu'ils puissent endurer la souffrance d'un éternel châtiment ? Satan fait quelques pas de côté et saisi une lance fichée dans l'eau. Il s'envole et survole l'étendue sous lui. Est-ce ici le séjour où ils devront changer contre le ciel ? Soit, plus loin de Lui ils seront, mieux ce sera. Qu'importe où il sera, s'il est toujours le même et ce qu'il doit être. Ici au moins, ils seront libres. Mieux vaut régner dans l'Enfer, que servir dans le Ciel. Mais abandonnera-t-il ses amis fidèles dans le lac de l'Oubli ? Satan prend sa lance, tue une bête, la décapite, couvre la tête de Belzébuth avec elle de l'animal. Les deux s'envolent vers un promontoire, et Satan s'adresse aux autres anges encore inanimés. Voilà un projet ambitieux : transcrire en bande dessinée, le long poème épique de Milton. Dans sa traduction de 1836, Chateaubriand explicitait ses choix de traducteur pour conserver les qualités propres de l’œuvre, sans la trahir, malgré certaines de ses particularités la rendant parfois maladroite, parfois obscure. Dans son introduction, il rappelle entre autres que John Milton était aveugle quand il a composé son œuvre. Bentley prétend que, Milton étant aveugle, les éditeurs ont introduit dans le Paradis perdu des interpolations qu'il n'a pas connues : c'est peut-être aller loin ; mais il est certain que la cécité du chantre d'Éden a pu nuire à la correction de son ouvrage. le poète composait la nuit ; quand il avait fait quelques vers, il sonnait ; sa fille ou sa femme descendait ; il dictait : ce premier jet, qu'il oubliait nécessairement bientôt après, restait à peu près tel qu'il était sorti de son génie. le poème fut ainsi conduit à sa fin par inspirations et par dictées ; l'auteur ne put en revoir l'ensemble ni sur le manuscrit ni sur les épreuves. Or il y a des négligences, des répétitions de mots, des cacophonies qu'on n'aperçoit, et pour ainsi dire, qu'on n'entend qu'avec l’œil, en parcourant les épreuves. Milton isolé, sans assistance, sans secours, presque sans amis, était obligé de faire tous les changements dans son esprit, et de relire son poème d'un bout à l'autre dans sa mémoire. Quel prodigieux effort de souvenir ! et combien de fautes ont dû lui échapper ! Chateaubriand évoque également le fait que cette œuvre comprend des références culturelles évidentes au dix-septième siècle, mais déjà perdues au dix-neuvième siècle, rendant certains vers incompréhensibles. En entamant cette bande dessinée, le lecteur a peut-être une idée déjà précise du récit ou de l'intrigue, du style du poète, ou pas du tout. Mais il doit avoir à l'esprit qu'il plonge dans une narration reposant sur des idées et des façons de penser qui datent du dix-septième siècle. du point de vue de l'adaptation, Pablo Auladell a choisi les passages qu'il a retenus, et ceux qu'il a condensés ou laissés de côté. le lecteur ne retrouve donc pas l'intégralité des douze livres de la seconde édition. de même, il a fait des choix esthétiques dans la manière de donner à voir ces êtres bibliques, la cité de Dieu, le Paradis, les anges, et les anges déchus. L'histoire est donc celle de la chute de Satan ange déchu et de ses légions, ainsi que celle d'Ève et Adam, vivants au jardin d'Éden. L'auteur se retrouve à représenter les anges, les démons, les chérubins, Dieu et le Diable. C'est un défi de parvenir à proposer une interprétation visuelle qui ne soit ni naïve, ni stéréotypée, ni emprunte de grandiloquence ridicule, ou de religiosité plus ou moins sincère. L'artiste a choisi de donner des silhouettes anthropomorphes à chacun de ces personnages, avec quelques exceptions pour les chérubins, ou lorsque l'Ennemi prend la forme du serpent dans le jardin d'Éden. Satan dispose d'un corps de haute taille, bien découplé, sans être musculeux, nu du début jusqu'à la fin, avec des attributs sexuels masculins. Il ne porte comme tout vêtement qu'un chapeau à rebord avec un ruban, ce qui permet de l'identifier à coup sûr. Il est doté d'une paire d'ailes. Son visage est souvent fermé, peu expressif. Les autres démons ont également une forme humanoïde, parfois un peu plus massive, seul Belzébuth ayant un visage vraiment différent. La représentation des anges et de Dieu est tout aussi délicate. le lecteur constate que leurs visages sont un peu plus différenciés pour l'archange Michel, Gabriel, Raphael et Abdiel. de manière inattendue, le dessinateur a choisi de leur donner un vêtement, une tunique, ou un chapeau, pour augmenter leur différenciation, par opposition à la multitude des anges déchus. Michel est celui qui fait la plus forte impression sur le lecteur avec son nez aquilin, et son regard bleuté perçant. Auladell a également effectué des choix pour le Très Haut : un individu d'une forte corpulence, quasiment pas de cou, et une tête un peu petite. le lecteur n'en tire pas d'interprétation particulière, si ce n'est qu'il a effectivement fait les hommes à son image. Ève et Adam sont deux êtres humains normaux, vivant nus au Paradis, dépourvus de toute pilosité. Il apparaît quatre autres personnages fort surprenants, au physique un peu différent, la fille de Satan et le fils de cette dernière, ainsi que Chaos et Nuit. Les lieux ne sont pas très nombreux : l'Enfer, la citadelle de Dieu, le jardin d'Éden. le premier est une zone désolée s'étendant à perte de vue, rocheuse avec des étendues d'eau noire. le dessinateur met alors essentiellement en œuvre des nuances de gris, avec une touche de brun. La citadelle céleste ressemble à un haut palais perché dans les nuages, avec une belle architecture que l'on retrouve également pour le mur de clôture du jardin d'Éden. Cet environnement est plus clair, avec des touches de bleu. À nouveau, le lecteur n'y voit pas de sens particulier, si ce n'est que l'artiste s'en est tenu à la vision de John Milton, et à celles qui existaient à son époque. le jardin d'Éden est verdoyant dans une teinte un peu foncée et un peu terne. Il est visible que le couple d'humains y vit en toute sérénité. Les animaux et les végétaux ont une allure un peu fantastique et un peu naïve, attestant du fait que c'est un jardin mythologique. Au fil des séquences, le lecteur constate que l'auteur privilégie les mises en page sous la forme de deux cases de la largeur de la page, mais il peut passer en mode 3, 4 ou 6 cases par page quand la nature de la scène le nécessite. le choix des couleurs sombre produit un effet ténébreux très palpable pour l'Enfer, et semble faire peser comme une contrainte invisible dans le jardin d'Éden et la cité céleste. le lecteur peut l'interpréter comme la présence de Dieu, ou plutôt l'omniprésence de sa volonté en toute chose et en tout être. Régulièrement le lecteur est surpris par un visuel inattendu comme la tour construite autour de Satan, ou le regard scrutateur et perçant de l'archange Michel. Même s'il connaît l'argument de l’œuvre, le lecteur se laisse emmener par cette visualisation de la chute de Lucifer, de la levée de son armée en Enfer, et de la tentation à laquelle il soumet Ève. En fonction de ses convictions religieuses, il peut soit confronter sa foi à cette représentation, tout en conservant à l'esprit qu'elle a été formulée à une autre époque, soit prendre le récit sur un plan mythologique. Il attend évidemment avec impatience la célèbre réplique : Mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le ciel. La scène s'avère intense et prenante. Il savoure le développement de Satan sur sa motivation : Moi qui m'élevais avec gloire […] jusqu'à ce que l'orgueil et l'ambition m'aient précipité dans l'abîme pour déclarer la guerre au roi du ciel ! Il m'avait créé dans un rang éminent. Être à son service n'avait rien de rude. Mais sa bonté n'a produit en moi que malice. Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ? Payer et toujours payer, et toujours devoir. Il est fort probable que le lecteur ait choisi de se lancer dans cette bande dessinée en toute connaissance de cause : l'adaptation d'un long poème épique dont il a déjà apprécié la lecture, ou qu'il souhaite découvrir sous une forme plus accessible. Pablo Auladell a réalisé un solide travail d'adaptation en restant fidèle à l'esprit de l’œuvre, tout en effectuant des choix, d'une part en mettant en avant certains passages et en en passant d'autres sous silence, ensuite en donnant à voir un monde où la volonté de Dieu est omniprésente. le lecteur apprécie ainsi le récit pour l'intrigue, mais aussi pour la manière dont il fait s'incarner la vision de la foi chrétienne de John Milton.

11/06/2024 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5
Couverture de la série Bulles de tendresse
Bulles de tendresse

Andres J. Colmenares est un auteur colombien qui a créé son propre label, Wawawiwa, par le biais duquel il diffuse ses productions. Sur Instagram il est suivi par des millions de personnes et il arrive enfin chez nous. Ce recueil comprend 135 gags, construits en 2, 4, 6 dessins, qui forment donc des gags. le point commun entre tous ces gags est la bienveillance, la gentillesse, l'esprit feel good. C'est assez sympa, ça détend, et je dois avouer que certaines trouvailles graphiques ou narratives m'ont bien plu, comme les objets, fruits ou animaux qui changent de forme selon les circonstances ou avec le temps, ou les noyaux d'avocat qui ont différents usages, les astres très joueurs, etc. Le style graphique de Colmenares est très simple, plutôt naïf, ce qui colle bien au propos. Sympathique.

10/06/2024 (modifier)