Les derniers avis (63 avis)

Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Environnement toxique
Environnement toxique

Ouch, elle est dure cette BD ... J'avais compris que ça n'allait pas spécialement parler écologie avec les autres avis, mais je ne pensais pas que ça serait aussi violent sur la question du sexisme. C'est une excellente BD, à mon gout, et je vais me permettre de la défendre après avoir lu quelques autres avis dessus. Parce que je trouve que la BD réussit parfaitement à traiter de son sujet et de façon très claire, impliquant le lecteur dans les évènements que vécu l'autrice. Et ça, c'est génial. Parce que la question du sexisme est ici traitée à la fois de l'intérieur (l'autrice subit des violences graves du fait d'être une femme) mais qu'elle ne se limite pas à ces constats. Elle développe, elle creuse légèrement. Et la conclusion est sans appel. Le déroulé de cette histoire du début des années 2000 va embrasser plusieurs années et faire un bilan du sexisme dans ces entreprises majoritairement masculine, mais aussi balayer quelques autres sujets : l'industrie et le capitalisme, la violence envers les populations autochtones, la pollution, le système à l'américaine avec les dettes d'études, les accidents du travail omniprésent, et j'en oublie encore. En fait, l'autrice dresse surtout un portrait d'une entreprise qui fait fortune en détruisant la nature pour en extraire du pétrole, sacrifiant la santé des employés, détruisant des nations premières. Et cet environnement toxique (d'où le titre) est celui où peut s'exprimer le sexisme comme normalité qui permet à des mecs solitaires et frustrés de se sentir plus puissant. Ce que l'autrice exprime cependant, ce n'est pas juste la violence qu'elle subit, mais celle qui est exprimée tout autour. Elle s'inquiète de la santé de ses collègues, mentale comme physique, mais se rend compte aussi que la violence qu'elle subit n'est qu'une facette de toute la violence qui s'exprime ici. Le final sera une constatation que toutes les luttes se rejoignent (tiens, ça me rappelle la convergence des luttes) et que le sexisme, l'écologie, la justice sociale, le système capitaliste, les amérindiens, tout ça se rejoint dans la nécessité de changement. J'ajouterais que la BD a l'audace de finir sur une dernière remarque pleine de sens : la normalisation de ces comportements, jusqu'à ce que quelqu'un fasse remarquer à quel point ça ne devrait pas être. La BD a cette violence latente qui devient norme et qu'elle a du redécouvrir comme problématique. Sans chercher à excuser, la BD cherche à comprendre comment tout cela est possible, comment des humains se laissent aller à être de sombres merdes dans un système qui pourtant les exploite. Si rien n'évoque clairement l'anti-capitalisme, la BD est clairement dans une contestation de ce système et à l'intelligence de faire remarquer que le sexisme, c'est pas une question de gros cons. Sinon ça serait bien plus simple à gérer ... C'est un voisin, un cousin, un père, un ami qui devient prédateur dans un environnement toxique. Encore une fois, ce titre est génialement bien trouvé, bravo à la traductrice ! Le dessin est simple, mais efficace. Il ressemble à des dessins de blog, avec des environnements simples et des personnages très typés qui ont beaucoup d'expressivité. Mais ça n'empêche pas d'avoir des passages travaillés dans le dessin (je pense à deux d'entre eux que je ne peux révéler sans spoiler). De façon générale, je trouve la BD courageuse de la part de l'autrice, qui ne fait ni dans le misérabilisme ni dans la synthèse froide. C'est un témoignage de cette violence sexiste, mais aussi un commentaire sur son origine, son développement, la façon dont elle devient normalisée dans une société qui détruit tout le reste avec. L'histoire est glauque, mais terriblement bien mise en scène et je trouve que la scène finale a un côté choquant par l'impact de la dernière page. Ce moment où tout bascule, où la protagoniste se rend compte que ce n'est pas normal. Cette prise de conscience finale semble terrible, mais salutaire et je crois bien que c'est ce que j'admire le plus dans la bd : avoir réussi à la transmettre.

10/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Riches au tribunal
Les Riches au tribunal

Je rejoins le commentaire précédent d'Erik. Voilà une bd facile à lire sur un sujet opaque : l'évasion fiscale. Et volontairement opaque, c'est le principe même, et cette bd l'explique très bien. C'est une bd très pédagogique, qui avec humour (et ça rend tout plus sympa), est le fruit d'un combat de la part du (relativement) célèbre couple de sociologues Pinçont-Charlot. Les dessins sont très efficaces aussi, et fluidifient la lecture, qui aurait pu être lourde (suivre un procès, son appel...). Une bd qui fait du bien car elle remet les ordres de grandeurs à leurs places. L'évasion fiscale est massive et structurelle, et met en danger, sans exagération aucune, notre démocratie. Elle souligne également un Etat de droit inégal notamment du fait que le droit est notamment écrit par les "notables". La liaison entre sociologie (étude des classes appelées "dominantes" dans la bd) et évasion fiscale a toujours été pour moi évidente. Les travaux de Thomas Piketty (lire l'adaptation géniale en bd de ses travaux : "capital et idéologie") ont achevés la démonstration sur les mécanismes d'inégalités en lien avec le capitalisme, la fiscalité et derrière ça les classes sociales. A l'heure ou j'écris les Etats d'Europe cherchent des équilibres à leurs budgets. On peine à financer quelques fonctionnaires dans la traque à l'évasion fiscale alors qu'elle représente, excusez du peu, 80-100 milliards d'euros par an. En parallèle on va traquer les fraudeurs au RSA, et c'est très bien, il le faut pour le symbole et le principe. Cependant la fraude au RSA c'est 2-3 milliard par an, au regard des 700 milliards versés (1,9 millions de personnes...quand on y pense, quelle trsitesse...). Moi qui suit un peu allé à l'école, généralement, et en dehors d'un affichage parfois indispensable, il vaut mieux aller s'occuper en premier lieu de 98% du problème plutôt que de mettre beaucoup d'énergie sur les 2%. Question de bon sens et d'efficacité. Bref, une bd a diffuser, car les batailles sont loin d'être gagnées (elles sont mollement entamées), et ça fait quelques siècles que ça dure.

10/11/2025 (modifier)
Par Fair Play
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Voleuse du Père Fauteuil
La Voleuse du Père Fauteuil

Une bd originale qui à mon sens mèle la Créature de Frankeinstein et Arsène Lupin. Je les ai tous lu, et je les adore tous. Pas la peine de faire un récit de 15 lignes. Quand on aime, on ne compte pas.

10/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Tebori
Tebori

J'ai pris bien du plaisir à lire ce triptyque. Je n'y connais rien en tatouage et pas plus dans l'organisation des Yakusas. Le scénario de Robledo prend le temps d'installer les personnages dans ce monde du Tebori qui est le tatouage traditionnel japonais, le seul qui convienne aux chefs Yakusas. Comme rien ne devrait sortir des conversations du salon de tatouage, cela permet à l'auteur d'y installer une intrigue policière et sentimentale bien ficelée. Le récit est fluide , tonique avec un zeste de fantastique qui sied bien à la culture locale. J'ai trouvé le T3 un ton en dessous avec des situations trop excessives pour une conclusion genre Happy end qui s'éloigne de l'esprit initial du récit. Le graphisme semi réaliste de Marcial Toledano est très plaisant pour moi. J'aime ces rondeurs et ce travail sur les détails des tatouages. La mise en couleur très réussie participe beaucoup au plaisir de lecture que j'ai éprouvé. Une lecture détente bien sympa. A découvrir.

10/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Légendes de la Garde
Légendes de la Garde

Voilà un coup de cœur très inattendu ! Si j’ai toujours été attirée par cette série, j’ai trouvé la lecture du premier tome fastidieuse. J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans l’univers, la faute en partie au graphisme. Les souris sont certes adorables, mais il y a un petit quelque chose qui me dérange au niveau de la colorisation. Par ailleurs, j’ai eu du mal à différencier les souris au départ, et certaines scènes d’action manquent de lisibilité. C’est donc avec un sentiment plus que mitigé que je suis arrivée au bout de ce premier tome ; et là, sans que je m’y attende, la scène de conclusion a réveillé mon intérêt. Je ne saurais expliquer comment, mais j’ai commencé à ressentir un je-ne-sais-quoi… comme si l’histoire qu’on venait de me raconter n’était pas une pure fiction, mais une légende basée sur un monde ayant réellement existé. C’est comme si ce monde, ces personnages, prenaient soudainement vie sous mes yeux, et que je ressentais le souffle de l’aventure qui m’appelait… C’est donc avec enthousiasme que j’ai entamé la lecture du deuxième tome, et cette fois-ci j’ai été embarquée immédiatement. J’ai aimé les décors, parfois grandioses, dans lesquels évoluent courageusement ces souris minuscules. J’ai aimé l’univers, avec tous ces petits détails, ces cités différentes. J’ai aimé les personnages, leurs relations, leurs nuances. J’ai aimé le sentiment d’aventure et les confrontations épiques. J’ai dévoré la suite, et j’ai même relu le premier tome que j’ai finalement beaucoup apprécié à ma seconde lecture. J’ai lu les albums il y a quelques mois après les avoir empruntés à la bibliothèque, et rien que d’écrire cette critique, je sens un petit pincement au cœur qui me donne envie de me procurer la série pour repartir à l’aventure avec Kenzie, Saxon et Lieam.

10/11/2025 (modifier)
Couverture de la série Six mois et un autre
Six mois et un autre

Je ne savais pas où je mettais les pieds en commençant cette série. Pourtant j'adore la rando (et le running) et je connais quelques passages du Chemin. Alors quand je vois ce jeune homme inexpérimenté partir seul au mois de janvier au moment où les gites sont fermés, je me dis que Blaise Pruvost avait peu de chances de me convaincre. Bonne surprise ! J'ai immédiatement été accroché par le ton simple et sincère de ce témoignage. Ce jeune chien fou, nourri aux spiritualités orientales qui se dépouille du superflu au fur et à mesure de son trajet révèle une personnalité bien attachante. Seul face à lui même, loin de la dispersion parisienne, Blaise apprend de ses faiblesses pour se découvrir autre et talentueux. Les rencontres souvent bienveillantes lui apportent une richesse qu'il ne soupçonnait pas en partant. Son récit est un véritable hymne à l'ouverture. Ouverture vers les autres souvent amicaux, ouverture intérieure qui puise dans sa spiritualité et ouverture vers la nature sauvage qu'il traverse avec respect . Contrairement à une série comme Le Droit du sol il n'y a pas de militantisme affiché dans la narration ce qui procure une douceur dans la narration très agréable. Le graphisme de Blaise Pruvost est probablement perfectible sur de nombreux points mais il procure une narration fluide et parfois humoristique. Une belle lecture antidépressive et anti anxiogène qui invite au ressourcement par un moyen très simple à la portée de (presque) tous. 3.5

09/11/2025 (modifier)
Couverture de la série 40 hommes et 12 fusils - Indochine 1954
40 hommes et 12 fusils - Indochine 1954

J'ai beaucoup apprécié cette fiction historique retraçant la fin de la guerre d'Indochine du côté Viet-Minh quelque peu dépolitisée. Minh est un jeune artiste libre d'esprit qui se retrouve enrôlé par les Rouges alors que sa famille et son éducation sont Bleues. Cela donne un récit documenté qui travaille sur deux axes. Le premier axe principal est militaire. Truong nous décrit d'une façon très crédible la montée du jeune soldat artiste vers la bataille décisive de Dien Ben Fu. L'auteur reprend toutes les situations qui ont fait la légende de la bravoure des paysans et paysannes Viet-Minh pour réussir à vaincre les troupes d'élites françaises qui se sont vaillamment battues. L'auteur utilise un road trip qui part du camp d'entrainement chinois jusqu'à l'enfer de Dien Bien Fu pour nous montrer la ténacité d'une armée en sandales, se déplaçant à pied de nuit sur des terrains difficiles aidée par des JF porteuses de lourdes caisses de munitions sur des axes continuellement bombardés et mitraillés. Le récit ne peut que conduire à l'admiration de ces combattant(e)s qui n'ont jamais faibli malgré des pertes colossales. L'auteur rappelle ainsi que le sort de la bataille a longtemps été incertain. Le second axe narratif concerne le côté politique qui imprégnait le discours idéologique des commissaires accompagnant la troupe. Les talents graphiques de Minh font de lui un élément de choix pour les unités de propagande (40 hommes ou femmes défendus par douze soldats) essentielles pour illustrer les exploits des uns et la cruauté des autres à une troupe et ses auxiliaires illettrés. Cette partie rend le personnage de Minh moins crédible. En effet il est douteux qu'une telle indépendance d'esprit considérée comme de l'insolence vis à vis de la doctrine communiste ait pu rester sans châtiment très sévère. Toutefois cela permet à l'auteur d'épingler la cécité de quelques intellectuels de l'époque qui participaient au culte de Staline et de rappeler le jdanovisme artistique qui sévissait dans les pays du bloc communiste. L'une des scènes est très symbolique du regard de l'auteur sur la liberté des artistes à cette époque. En effet la caricature que fait Minh de Staline superposé à Mao m'a immédiatement fait penser à la célèbre affaire du portrait de Picasso. Picasso est d'ailleurs honoré quelques pages plus loin comme artiste de la paix avec sa colombe. J'ai donc trouvé ce récit très riche tout au long des presque 300 pages qui se lisent sans effort. Le graphisme propose un N&B précis avec quelques nuances de couleurs. Les extérieurs sont bien travaillés ce qui plonge le/la lecteur-trice immédiatement dans l'ambiance du pays. Ma seule petite réserve graphique est qu'il est parfois difficile de distinguer certains personnages. Une lecture qui m'a parlé par sa justesse de ton et l'originalité de son point de vue. Un bon 4

08/11/2025 (modifier)
Couverture de la série La Force de vivre
La Force de vivre

Encore un album déchirant sur la perte d’un être cher, après que celui-ci ait lutté – longtemps et sans succès – contre une sale maladie. Certes. Mais je trouve que Laurent Astier est parvenu à maintenir le juste équilibre entre la sincérité et le pathos, qu’il n’a jamais perdu le lecteur avec une surenchère d’effets -même si, au final, on ne peut qu’être touché par cette mort, jeune, et la douleur d’Astier. Cet album est un hymne à l’amitié, sa force envers et contre tout, une amitié dont Astier nous décrit la construction, la consolidation. C’est aussi une déclaration d’amour – en partie posthume – d’Astier à son ami Cyril. Un amour que j’ai longtemps imaginé homosexuel assumé, tant la prise de conscience de cette amitié, des liens forts unissant Cyril et Laurent étaient montrée de façon appuyée et tactile au départ. Mais ça reste latent (ou imaginé par moi). Astier prend le temps de bien présenter les personnages, leurs interactions, sans que ce soit trop bavard. Là aussi un bon équilibre est respecté. Astier lui-même, et tous les personnages (copains, famille) sont entiers, crédibles, même si le côté positif, optimiste domine, gommant peut-être certaines failles ou crispations : l’éloignement de Laurent Astier de ses deux copains de lycée est ainsi traité assez rapidement et de façon pudique ensuite. Le cœur étant la relation entre Laurent et Cyril. J’ajoute que le dessin, réaliste, est très agréable. Dynamique, fluide, plaisant. Et le jeu sur la colorisation, est lui aussi intéressant : en fonction des moments/périodes, plus ou moins dramatiques et optimistes/pessimistes, des couleurs changent et saturent l’espace. Un récit autobiographique sincère et intéressant.

08/11/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Faux Soir
Le Faux Soir

Jean imagine déjà le journal, les moqueries, les pastiches, la zwanze. - Ce tome contient une histoire complète, de nature historique. Son édition originale date de 2021. Il a été réalisé par Daniel Couvreur et Denis Lapière pour le scénario, et par Christian Durieux pour les dessins et les couleurs. Il comprend quatre-vingts pages de bande dessinée. Il comporte une postface de deux pages, écrite par Couvreur, et une autre d’une page écrite par Durieux évoquant quelques petits choix à réaliser par rapport à la réalité historique. À l’époque contemporaine, les trois auteurs se trouvent dans les bureaux du Soir à Bruxelles. Daniel évoque la situation du journal à l’époque : Ils l’appelaient Le Soir emboché. Il a pu retrouver dans les archives une sorte de journal tenu par Marc Aubrion, c’est là qu’il a lu pour la première fois ce terme Emboché. Denis demande si c’est Aubrion qui est l’origine du Soir Volé. Le journaliste clarifie : Pas Le Soir Volé, mais le Faux Soir. Le Soir Volé, c’est le journal aux mains des Allemands, c’est Le Soir emboché justement. En réponse à une question de Christian, il précise qu’il a lu de larges extraits du journal d’Aubrion, et il en a préparé une copie pour son coscénariste. Denis parcourt en vitesse le récit : c’est formidable, un récit complètement exalté. Daniel confirme : Oui, quelque part, René Noël écrit qu’Aubrion était un grand échalas nerveux et enthousiaste. En réponse à un question, il détaille : Un canular, oui, et plusieurs en sont morts par la suite… Ils n’ont tué personne, ils n’ont détruit aucun bâtiment, aucune violence, et pourtant ce fait de résistance est remonté à la fois jusqu’à Hitler et jusqu’à Churchill ! Enfin, il indique qu’il a trouvé une offre de vente d’un exemplaire du Faux Soir et qu’il a fait une offre que le vendeur ne peut pas refuser. Le 10 septembre 1943 à Bruxelles, il fait encore chaud, l’été tarde à se retirer. René Noël, dit Jean, marche dans la rue, croisant une patrouille de soldats allemands. Il est le responsable du Front de l’Indépendance (F.I.) pour le Brabant et le Hainaut. Jean se rend ainsi, en cette fin d’après-midi un peu étouffante, chez son ami le peintre Léon Navez. Mais il ne s’agit pas d’amitié cette fois. Ils ont rendez-vous. Léon le fait rentrer chez lui et il lui présente Marc Aubrion qui déclare qu’il se sent si inutile avec ses petites actions sporadiques, il est prêt à se mettre au service du F.I., il n’a pas d’attaches et il est déterminé. Jean sait que si Léon lui recommande quelqu’un, il peut lui faire confiance. Il boit donc une petite gorgée de mauvaise chicorée, sans rien laisser paraître de sa grimace, avant de se tourner vers Marc Aubrion et de lui annoncer qu’ils cherchent un responsable de presse, est-ce que cela lui conviendrait ? Quelques jours plus tard, Jean a convoqué Aubrion pour 19h30 place du Grand Sablon. Il lui annonce que son interlocuteur va devoir disparaître officiellement, quitter son emploi actuel et sa famille, sans donner d’explications à personne. Il se cachera dans une famille d’accueil qui ne connaîtra rien de Marc, M. et Mme Hellas, ils résident rue Cyriel-Verschaeren, à l’Evere. Et désormais, il portera le sobriquet d’Yvon. Le lecteur prend l’ouvrage en main, et il découvre qu’il contient un encart inséré à l’intérieur : une reproduction intégrale du Faux Soir, une feuille indépendante qui se déplie et qui permet de lire l’édition de Le Soir du neuf novembre 1943.il y découvre les différents articles, les deux photographies, et les différentes rubriques : Nouvelles du pays, Un fait entre 1000, Les sports, Cinémas, Théâtres, Faits divers, Petites annonces, Nécrologie. Les auteurs ont fait le choix de construire leur récit sur la base de deux fils chronologiques différents : celui au temps présent dans lequel les auteurs se mettent en scène dans leur démarche de réaliser cette bande dessinée, et celui qui suit la conception, la fabrication et la distribution du Faux Soir par les différents acteurs. Ainsi les auteurs rendent hommage à la démarche de Marc Aubrion (nom de code Yvon), René Noël (Jean), Louis Müller (Jacques), Fernand Demany, Andrée Grandjean (1910-1999, avocate et journaliste), Ferdinand Wellens, Théo Mullier, Léon Navez (1900-1967, peintre). Au cours du récit, les auteurs font en sorte d’apporter les éléments d’information historique nécessaires à la compréhension des faits. À l’époque contemporaine, la conservatrice d’un musée explique à Lapière le fonctionnement du Front de l’Indépendance, et ses liens avec l’Armée des Partisans. Puis ils montrent comment René Noël entre en clandestinité, la manière dont il est hébergé, il est également question de la rétribution correspondante pour pouvoir vivre. Dans un premier temps, le lecteur s’intéresse au récit de l’idée du Faux Soir et au reportage sur sa création. Il attend une reconstitution historique. Les dessins passent de personnages en train de se parler, représentés en plan taille ou en plan poitrine, à des cases présentant une plus forte densité d’informations visuelles. Lors de ces dialogues, il apprécie de pouvoir voir les tenues vestimentaires des uns et des autres, assez formelles. Majoritairement pantalon, chemise et veste pour les hommes, avec régulièrement une cravate, sans oublier les uniformes militaires pour les soldats de l’armée d’occupation. Le récit comporte quelques femmes, en nombre moins importants, avec en particulier l’avocate Andrée Grandjean, habillée d’un tailleur strict, visiblement sous le charme de Léon Navez et de son beau pull jacquart, avec qui elle partage une cigarette. Le dessinateur effectue également un gros travail de représentation de la ville : les rues pavées, les tramways, les façades des bâtiments et leur architecture, les bâtiments célèbres tel le palais de Justice, la place de la Bourse, la résidence Belvédère au 453 de l'avenue Louise, etc. Il montre également des éléments techniques essentiels pour le récit comme les machines d’imprimerie (en particulier une de marque Mariononi), les machines à écrire, les dentelures de journaux, un énorme massicot, les véhicules de distribution des journaux, et bien sûr les kiosques de la ville. L’artiste reconstitue également les faits et gestes des résistants. Il sait bien capturer le besoin de vigilance pour eux : petits coups d’œil en arrière dans la rue, tension lorsqu’ils se déplacent après l’heure du couvre-feu, mines déterminées pour accomplir leurs missions, enthousiasme pour rédiger les articles à base de moqueries, pastiches et zwanze, action d’éclat pour endommager les véhicules de distribution des journaux, sourire en coin en voyant la réaction des lecteurs du Faux Soir. Le lecteur se retrouve pris par l’ambiance qu’il s’agisse d’une discussion en pleine rue entre Jean et Yvon pour évoquer l’entrée en clandestinité de ce dernier, des discussions discrètes dans les cafés entre conspirateurs, de la connivence née de la satisfaction de voir le projet progressivement devenir réalité, des échanges très professionnels devant la machine d’imprimerie pour arriver au résultat souhaité, c’est-à-dire des exemplaires qui pourront faire illusion quand ils seront remis aux kiosquiers, afin que ceux-ci les vendent sans soupçonner la supercherie. La quinzaine de pages consacrées au temps présent semblent faire écho à cette complicité : les trois auteurs travaillant de concert lors de réunions (qui n’ont rien de clandestines) pour rendre hommage à ces résistants utilisant une méthode totalement pacifiste. Il s’agit pour les auteurs de raconter un haut fait de la Résistance belge pendant la seconde guerre mondiale. Dans la postface, Daniel Couvreur l’exprime ainsi : […] un exploit accompli dans un temps où les idéaux de fraternité, de démocratie étaient sous la botte de penseurs et de dirigeants prêts à toutes les extrémités pour fracturer les solidarités humaines et le vivre-ensemble. […] Le récit d’un petit groupe de citoyens courageux, animés par le formidable espoir de bâtir un monde meilleur. À la seule force de l’esprit et de l’humour, ils ont tenté pacifiquement de triompher de l’obscurantisme aveugle. Dans un moment où la population était ébranlée, désorientée, et offrait une proie facile à la propagande, ils ont tourné les faux prophètes et leurs collaborateurs en ridicule. En creux le lecteur retrouve ou découvre toutes ces qualités dans le mode opératoire qui est décrit, et dans le passage vers la fin qui informe sur ce qu’il est advenu des différentes personnes ayant participé à cette opération, une fois qu’ils ont été identifiés par les Nazis. Le récit présente un autre intérêt, très factuel et pédagogique : comment s’y sont-ils pris ? Après tout, cela n’a pas l’air bien compliqué d’écrire de faux articles et de faire distribuer le journal correspondant dans les kiosques. Les auteurs savent bien mettre en place et montrer que l’occupation allemande implique une répression bien réelle, une atmosphère de suspicion (À qui se fier ?) et une résignation pour pouvoir survivre. Les artisans du Faux Soir ont bien l’intention de réussir leur projet, et d’y survivre. Le récit raconte et explique la réalité matérielle d’une telle entreprise : trouver une imprimerie et un propriétaire prêt à courir le risque quand bien même il est rétribué, trouver assez de rédacteurs pour remplir un journal, substituer le Faux Soir au vrai lors de la distribution, trouver le financement d’une telle opération. À la lecture apparaissent aussi bien la fragilité d’une telle entreprise qui peut être découverte à tout moment, que l’ingéniosité et l’entraide des participants. Réaliser un faux numéro d’un quotidien, à base d’articles fonctionnant sur les moqueries, les pastiches, la zwanze, au nez et à la barbe de l’occupant allemand. Une entreprise de résistance totalement pacifique et belge, une ode au pouvoir de la presse et de l’humour. Les auteurs racontent cette aventure avec respect et réalisme, permettant au lecteur de comprendre et d’admirer le courage de ces résistants. Formidable.

08/11/2025 (modifier)
Par Lodi
Note: 5/5
Couverture de la série La Maison où rêvent les arbres
La Maison où rêvent les arbres

Les gens se plaignent de trop d'explications, mais quand on les laisse cogiter, dériver dans les songes, il n'y a plus personne ! Des êtres capables d'en rêver d'autres, les arbres, se rebellent contre les humains. Lesquels ne sont pas diabolisés, leur charge pèse trop sur les arbres, c'est tout, ils nous rejettent. Réaction vitale de la vie, bien évidemment de l'ordre du mythe ! Les arbres rêvant ne sont pas plus sympas que le commun des humains dont on peut penser qu'il vaut mieux qu'ils se purgent de leur agressivité dans la chasse qu'entre eux, et c'est bien vu, la vie n'est pas gentille, souffrance et mort existant bien avant l'espèce humaine et trouvant des développements inédits avec elle. Ce sont souvent les innocents qui paient pour les autres, ça aussi, c'est bien vu. Il y a une fin ouverte terrifiante : et si tout ce qui vient des arbres nous rejetait ? Les amateurs de BD savent qu'ils serait difficile de s'en passer, ne fut-ce que parce que les BD et autres livres se lisent surtout sur du papier tiré de leur coupe.. La petite fille, personnage principal, est la plus intelligente, sorte d'Alice au pays des merveilles d'un monde à peine esquissé opportunément recouvert de brume. Les animaux de rêve sont marrants, exemple l'enfant a peur de dormir à cause du monstre qu'elle craint qu'il y ait sous le lit ? L'animal dit qu'il y en a toujours un sur un ton normal, et comme si rien de mal ne pouvait en advenir. Pour une fois, Comes fait quelques références sur la BD, et en plus, elles ne tombent pas comme un cheveu sur la soupe. Chapeau l'artiste !

08/11/2025 (modifier)