Dessins très inégaux, amenant une frustration assez semblable à la série Sandman pour les mêmes raisons. En revanche, les couleurs sont toujours intéressantes, très propres à faire sentir l'atmosphère… L'histoire est marquante et originale, mais délicate, comment le donner à entendre sans trop en dire voyons, voyons ? La vie et la mort, la guerre, la nature, la place du collectif, le rôle de la femme et le partage de nourriture sont à l'opposé du monde chrétien et romain dans la fiction, et sans doute dans une certaine mesure dans la réalité. Les apparitions de divinités et autres êtres féériques et monstrueux évitent le ridicule, les dialogues aussi, soit deux écueils des séries héroïques. Le nain sert à désenchanter, il est comique mais dégonfle quelque peu le discours tout en l'attestant puisqu'il écrit, ce qui est bien trouvé. Il est aussi l'autre, non humain, et à la logique non celte, plus romaine, chrétienne ou moderne ? Je dirais calculatrice. Tous les personnages sont intéressants, hommes et femmes, héros et non héros, humains et non humains. Le druide est assez complexe. La déesse qui fait du héros son champion bien plus encore.
Beaucoup disent : que la Syrie redevienne comme avant.
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Cet ouvrage correspond à une forme de reportage libre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Gelot et Edmond Baudoin pour le scénario, et par ce dernier pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée.
Edmond Baudoin raconte qu’il a voyagé au Mexique, en Colombie, dans le Nunavut, en France pour faire le portrait des gens rencontrés. Au cours de ces échanges, il a constaté qu’à travers le monde les êtres humains ont des désirs communs. Avoir une vieillesse correcte. Pouvoir travailler. Faire que leurs enfants puissent poursuivre leurs rêves. Printemps 2023, il fait ses bagages pour la Syrie. Vincent Gelot l’y a invité. Celui-ci lui propose de venir avec lui sur les routes syriennes, qu’il a dessinées en rouge sur une carte du pays. Vincent. En 2012, il quitte la France en 4L, à la rencontre des communautés chrétiennes d’Orient. Son voyage devait se terminer en quelques mois. Il durera deux ans. Ce périple un peu fou le mène aux confins de l’Asie Centrale, puis dans le golfe persique et la corne de l’Afrique. En 2014, Daech s’empare de Mossoul et chasse les populations de la plaine de Ninive où les gens lui avaient donné l’hospitalité. Cela l’a beaucoup marqué car il ne savait pas si ceux qui l’avaient accueilli étaient encore en vie. Quelques mois après être revenu en France, Vincent repart à Erbil, au Kurdistan irakien. Il cofonde radio Al-Salam, une radio destinée aux déplacés dans les camps de réfugiés. C’est là qu’il a compris que son engagement était de vivre aux côtés de ces communautés et de les accompagner dans leur destin de vie.
En 2016, Vincent s’installe au Liban et travaille pour l’Œuvre d’Orient. Son travail est de rester au contact de la population, d’évaluer les besoins sur place et de suivre la réalisation des projets. Il aime ces gens. Nous marchons sur les chemins, ils nous font. Et plus tard, c’est nous qui les faisons. Vincent s’est engagé aux côtés des communautés chrétiennes. Oui, la vie, c’est s’engager. Depuis le moment, lors de sa naissance, où on a commencé à respirer. Et puis qu’on a continué. Vincent explique à Edmond que les Chrétiens d’Orient forment une mosaïque de communautés minoritaires, souvent discriminés, parfois persécutés. En Syrie, ils étaient environ deux millions en 2011, ils seraient 500.000 aujourd’hui. Baudoin fait observer que : Leur combat a souvent été récupéré par l’extrême droite, non ? Vincent répond que : Oui, c’est vrai, certaines associations utilisent la détresse réelle des Chrétiens du Moyen-Orient pour répondre à des ambitions personnelles et des objectifs quelques fois obscurs. Ce n’est pas le cas de l’Œuvre d’Orient. C’est une des plus vieilles associations françaises. Elle a été créée en 1856 par des professeurs de la Sorbonne et du Collège de France. Un prêtre, le père Lavigerie, fut nommé à la tête de cette association. Il deviendra plus tard le cardinal Lavigerie… Edmond l’écoute, puis son esprit s’en va ailleurs. En 2020, il a illustré des poèmes de Vincent.
Nul besoin pour le lecteur de maîtriser l’histoire contemporaine de la Syrie pour apprécier cet ouvrage : le régime de Hafez el-Assad (1930-2000), celui de Bachar el-Assad (1965-), la guerre civile syrienne de 2011 à 2024 en faveur de la démocratie contre le régime du parti Baas. Le bédéaste annonce explicitement qu’il s’agit d’une commande de l’Œuvre d’Orient, une association à but non lucratif fondée en 1856, aidant les Chrétiens d’Orient. Il accompagne donc Vincent Gelot, poète et coauteur de l’ouvrage Chrétiens d'Orient: Périple au cœur d'un monde menacé (2017) avec Pascal Gollnisch. Comme il l’explique dans les premières pages, Edmond Baudoin ne parle pas la langue, et il se fait expliquer certaines situations par des interlocuteurs francophones. Il demande à Vincent la raison de son voyage : son interlocuteur expose sa perception des faits sur la période commençant en 2011. Jihanne lui explique la position des Chrétiens en Syrie. L’évêque Jacques raconte sa vie de moine, sa séquestration. Vincent parle du martyre de la ville de Hama. Nabil, un membre des Maristes bleus, raconte comment il a vécu la guerre. Le père Jihad raconte l’histoire de Mar Moussa El Abashi (Saint Moussa, le visage brulé), c’est-à-dire Le monastère de Saint-Moïse-l'Abyssin à quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Damas. Les auteurs savent mêler l’histoire du pays avec une forme de tourisme singulier.
De manière tout à fait légitime, le lecteur peut s’interroger sur le positionnement du récit, ou le point de vue à partir duquel la Syrie va être considérée. S’il connaît déjà l’œuvre de Baudoin, il connaît la réponse avant même de commencer sa lecture. S’il n’en est pas familier, il comprend rapidement qu’il s’agit d’un point de vue humaniste sincère, une volonté d’établir un contact vrai. Cela peut paraître surprenant sachant que l’artiste ne parle pas la langue du pays. Il reprend une démarche qu’il a mise en œuvre dans plusieurs pays (dont il ne parlait pas la langue non plus) : réaliser le portrait de son interlocuteur, en l’échange de sa réponse à une question. Le dessinateur l’a écrit à de nombreuses reprises : deux êtres humains qui se regardent fixement pendant une dizaine ou une vingtaine de minutes constitue une expérience rare dans la vie d’un être humain. De fait les portraits reproduits dans l’ouvrage présentent des particularités qui les font ressortir. Les deux premiers sont tenus devant eux la personne représentée, dessinée d’une manière différente, produisant un effet de mise en abîme totalement naturel. Les suivants sont reproduits sans cet effet : le lecteur fait à nouveau l’expérience déroutante du talent d’Edmond Baudoin. Ces dessins semblent dans un premier temps s’apparenter à un assemblage de traits de pinceaux épais et irréguliers, et de traits fins, quelques fois mis en couleurs. Un résultat qui peut sembler disgracieux, opposé à un rendu photographique. Dans le même temps, ils se dégagent d’eux une impression quasi surnaturelle : celle de regarder la personne comme si elle se trouvait réellement devant le lecteur, de percevoir pour partie leur personnalité, de voir les traces laissées par les ans, de regarder un être humain dans toute sa singularité.
La couverture peut donner une fausse impression quant à la narration visuelle. Dès la première page, le malentendu est dissipé : Edmond Baudoin la prend en charge, exprimant sa personnalité en toute liberté. Au fil des pages, le lecteur peut aussi bien découvrir des illustrations réalisées en couleur et au pinceau (telles ces silhouettes jaunes et vertes en train de danser), une carte de la Syrie réalisée à la main avec les tracés en rouge des déplacements à venir, des têtes en train de parler avec de copieux phylactères, une composition flirtant avec l’abstraction pour un concept sur les chemins, une composition de type collage avec un visage au centre, de magnifiques paysages naturels en couleur directe, des paysages urbains comme griffonnés (à Damas), une étrange vision d’une route sans bordure avec des rangées de hauts panneaux de part et d’autre affichant le visage de Bachar El-Assad, de puissantes illustrations épurées au pinceau, quelques compositions abstraites, etc. La mise en page est tout aussi libre : conçue sur mesure pour chaque séquence, allant d’une unique illustration sans bordure sur la page, à des images juxtaposées, en passant même par des cases avec bordure, certaines s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis. Comme à son habitude, ce créateur sait mettre en image ses observations, ses réflexions, ses sensations, ses émotions, comme s’il s’agissait d’un flux de pensées organique.
Dans le même temps, il s’agit d’un récit de voyage suivant strictement son déroulé chronologique, évoquant un lieu après l’autre, dans l’ordre des déplacements, avec quelques développements incidents par association d’idées. Il apparaît que la structure narrative peut être imputée à Vincent Gelot, puisque c’est lui qui a organisé le voyage. En fonction des arrêts ou des séjours, le lieu peut être abordé par le biais de son histoire, par la personne qui les reçoit, ou par les rencontres qui s’y déroulent. Aucun moment ne ressemble à un autre, chacun étant rendu unique par la personnalité et l’histoire des êtres humains rencontrés. Le lecteur découvre la Syrie grâce au guide qu’est Vincent Gelot, grâce à sa connaissance du pays, et par le biais de la sensibilité d’Edmond Baudoin. Chaque rencontre apporte une réponse personnelle aux deux questions posées : Quel est votre rêve personnel ? Celui pour la Syrie ? Comme il peut s’y attendre, le lecteur découvre des réponses exprimant un désir de paix, soit à aller chercher ailleurs, soit à rétablir en Syrie, un rêve ou un espoir d’avenir pour soi-même, pour les enfants. Le désir que tous les enfants puissent retourner à l’école, que l’électricité revienne. Que l’on puisse acheter du pain sans faire une queue de plusieurs heures… Juste la possibilité de vivre. Il sent sa gorge se serrer en observant les destructions de la guerre. Il sent les larmes monter quand les auteurs évoluent dans des zones en ruines : Si on est attentif, on peut distinguer quelles sont les ruines dues aux bombardements de celles dues au tremblement de terre. Dans les ruines causées par les bombes, il y a de l’herbe et même des arbres qui ont eu le temps de pousser. Il est admiratif de la force vitale des personnes participant à reconstruire et à construire. Il se demande comment Baudoin peut résister émotionnellement à ce qu’il découvre, et il sourit en constatant qu’il pense encore aux arbres : Ça fait mal, tous ces palmiers déchiquetés par les bombes. Il ressent toute la vérité contenue dans le constat du père Jihad qui rêve d’une guérison politique. Il déclare tranquillement que : On leur a menti depuis quarante ans en leur disant qu’ils formaient un seul peuple, alors que certains pillent les richesses en écrasant les autres. Il rêve de danses, de musiques qui ne s’arrêtent pas.
Une lecture triste et plombante ? Bien plus que ça : l’expérience de vie dans ce pays du poète et la sensibilité humaniste de l’artiste donnent à voir la diversité des habitants d’un pays en ruine, leurs espoirs simples et clairs, constructifs, les conséquences concrètes de la guerre pour ces civils, des paysages mêlant beauté naturelle et dévastation destructrice. Le lecteur en ressort meurtri et plein de compassion, ses valeurs essentielles s’en trouvant régénérées, par ces désirs communs, par cette démarche d’opposer la vie à la mort. Vital.
- Étrange BD !
- Tu as dit Étrange BD ?
- Oui oui, j'ai dit : Étrange BD !
Je tourne autour de ce comics depuis sa sortie en librairie, sa couverture avait tout de suite attiré mon œil de lynx, mais son feuilletage rapide avait refroidi mes ardeurs. Je me suis laissé enfin tenter, bien aidé par les bons retours lus ci et là. Et qu'est-ce que j'ai bien fait !
Rick Remender nous propose un univers proche du notre, il situe le récit en 1924 dans la petite ville de New Gaulia. Mais avant de faire connaissance avec les sœurs Seasons, Remender nous balance en pleine face trois planches sur la ville Le Néo-Caire en introduction, elle est en proie à un phénomène déroutant. En effet, celle-ci n'a plus communiqué avec le monde extérieur depuis plus de 48 heures. On y voit les roulottes d'un cirque en train de plier bagages. Ensuite changement de tonalité avec Spring, la benjamine des sœurs Seasons, elle poursuit tant bien que mal une lettre qui ne fait que lui échapper (elle est factrice) avec l'aide de Gilbert, son poisson rouge. Et après ? Le récit va prendre une drôle de tournure. D'une histoire gentillette, on va glisser doucement, mais sûrement, sur quelque chose de plus sombre avec le cirque magique et la légende du roi vagabond. Une narration maîtrisée qui suggère plus qu'elle ne dévoile pour maintenir le lecteur sur le qui-vive. L'intrigue est dense et elle glisse vers du fantastique tout en mettant en lumière les liens familiaux distendus de la famille Seasons. Des secrets à découvrir ?
Il me faut quand même vous toucher quelques mots sur les sœurs Seasons. Leurs parents ont disparu depuis une dizaine d'année. Elles sont quatre et se nomment Spring, Summer, Autumn et Winter. Les quatre saisons sus nommées et l'image que renvoie le miroir pour leur présentation (première image de la galerie) nous dévoilent leur personnalité à chacune. La symbolique du miroir...
Je ne vais pas aller jusqu'à dire que le dessin est magnifique, par contre il a un grain indéniable. De Paul Azaceta, je ne connaissais que son travail sur Punisher Noir, et là, on n'est pas dans le même délire ! Azaceta nous propose un style qui pourrait à première vue paraître brouillon et bâclé. Mais il n'en est rien, son trait épais et son rendu presque cartoonesque donnent ce ton si décalé au récit.
Les aplats de couleurs de Matheus Lopes (coloriste à suivre) participent pleinement à l'étrange atmosphère de ce comics.
Je valide tout !
Un premier tome intrigant qui augure le meilleur.
Un chef d'œuvre.
Et je m'en vais défendre deux choses : cette BD est dynamique. Dynamique ? On n'est pas dans Alix par parenthèse qui ne manque pas de qualité, les personnages, les chevaux, tout est plein d'allant. Est-ce que ce qui serait statique amènerait la comparaison avec Robin des Bois d'Errol Flyn ? Jamais. Je pense que par manque de dynamisme on veut dire sans marque de mouvement, sans bulle, sans flou, sans le style moderne. Mais il y a plusieurs façons d'être mobile ! Le cadrage des images, la tension dans l'action qui évite les poses de statues et d'ailleurs, d'acteur, les images aux tons vifs, tout cela insuffle un sacré dynamisme !
Pour les stéréotypes de genre…D'abord les femmes car il y en a dans la BD. L'âge médiéval n'est pas le nôtre, ensuite, la princesse Aleta domine souvent la relation, avec Prince Vaillant. Et elle n'est pas la seule femme de caractère. Certes, la femme du roi Arthur n'est pas extraordinaire, mais sa sœur est un des meilleurs méchants. Un pirate viking se marie avec une Indienne qui a de la personnalité, la sœur de Prince Vaillant n'en manque pas, mais je ne vais pas dresser de liste.
Par contre, évidemment, il était inconcevable à l'époque qu'on nous montre des chevaleresses mais les historiens les avaient-ils seulement découvertes ? Certes, il y avait des femmes commerçantes et pratiquant l'artisanat, à l'époque médiévale, mais on ne les voit guère, les producteurs, dans l'histoire, même les paysans, de loin les plus nombreux, ne sont qu'aperçus : souvent des serfs éventuellement exploités par des méchants que les héros délivrent… Presque pas de prêtres, pas tant de sorciers que ça, des rois, surtout comme combattants, selon la tradition des chansons de gestes et des romans d'aventures.
Reste la question de l'homosexualité, mais alors là, vu l'époque, il ne faut pas rêver : ni sexe, ni homosexualité en bande dessinée ! En fait, tant mieux, vu l'ambiance, je pense que tout cela aurait été présenté de façon négative alors que dans la saga, si on ne montre pas tout, personne ne peut se sentir diabolisé, sauf peut-être les Huns ! A noter que les Indiens sont respectés et qu'il y a un vieux commerçant pouvant faire penser à un Juif qui ne manque ni de courage ni de générosité que protège Prince Vaillant. Il y a des personnages comiques dans l'Histoire, mais on ne gomme pas pour autant leur qualité, Gauvain est un séducteur assez fat mais ne manque pas de courage et de malice, un Grec filou devient un héros par amour, un simple paysan par moment passablement ridicule donne toute sa part de butin pour tirer un ami de l'esclavage, et d'ailleurs, des bouffons, un jour, imitent de loin le roi Arthur de loin pour leurrer des ennemis pour qu'ils puissent prendre les assaillants par surprise.
Voilà encore un bel ouvrage aux éditions 404.
J'avais déjà lu Speak du/de la même auteur(rice) que j'avais beaucoup aimé tant niveau graphique que de l'histoire.
L'histoire débute comme une banale histoire de famille recomposée avec une jeune femme devenue belle-mère et qui espère bien faire avec sa belle-fille d'autant plus que la maman est décédée. Abby aime cette vie même son amour avec David est un peu distant. Mais petit à petit le trouble et des questions apparaissent sur la mort de Sheila, la première femme de David. La tension monte progressivement. Si l'on pense savoir où l'histoire nous emmène on est finalement surprit par le dénouement. On est sur un conte horrifique avec un brin de fantastique ce qui a très bien marché avec moi.
Me dessin n'est pas en reste avec un très beau noir et blanc pour la vie quotidienne/réelle et l'apparition des couleurs pour les passages oniriques et les fantômes. Les couleurs sont flamboyantes au milieu du noir et blanc avec des pages sublimes.
Un petit mot aussi sur le livre en lui-même. C'est encore une belle édition avec un papier épais et de qualité comme la couverture d'ailleurs. La jaquette du livre est sublime aussi. Le livre a un coût 30€ mais il est pour moi amplement justifié par la qualité de l'ouvrage en lui même.
Après relecture, passage entre guillemets ajouté :
Avec cette BD, je découvre une autrice dont j'avais jusqu'ici beaucoup entendu parler sans l'avoir jamais lue, à savoir Ursula Le Guin, un illustrateur inconnu au bataillon, ainsi qu'un éditeur que je n'aurais pas soupçonné frayer avec l'univers de la BD : Le Livre de Poche.
Bon, pour ce qui est de l'éditeur, Le Livre de Poche c'est Hachette, et Hachette, c'est la caillasse. Or, la BD ayant actuellement le vent en poupe, il était logique qu'Hachette s'y colle. Toujours est-il que quand on m'a parlé de cette BD, j'ai cru à une blague. Pour tout dire, je cherchais un cadeau à faire et la BD à laquelle je pensais n'étant pas dispo chez mon libraire, j'ai entamé un petit tour des popotes. C'est là que, chez un concurrent, une jeune libraire certaine de son coup m'a sorti le dit-bidule (et non pas le Bidibule !). Le dessin s'est immédiatement incrusté dans ma rétine, et si je ne suis pas reparti avec, j'ai bien pris soin de noter la chose dans mon calepin. Et nous y voilà !
Oui, le dessin, c'est avec le scénario le gros truc de cette BD. Je dis dessin, mais il faudrait peut-être mieux parler de graphisme car il faut bien l'avouer, tout ça sent l'outil informatique. Perso, je n'ai pas trop de problème avec ça, surtout quand c'est bien fait, ce qui est le cas ici. Il se dégage en effet une ambiance tout à fait onirique. Que ce soient les forêts baignées de brume, les nuits sans lune où il s'agit de discerner les contours, le halo des flammes verdâtres ou les tempêtes en pleine mer, tout concourt à l'élaboration d'un univers fort et cohérent. C'est vraiment très chouette et plaisant pour les yeux. S'il fallait pointer un bémol, je dirais que c'est l'expression des personnages qui pâti un peu de l'infographie, mais je n'en suis même pas certain. En tout cas, ça a très bien fonctionné sur moi, et si tout cela devait se révéler n'être qu'une création purement AI-assisted, alors je me suis fais berné, je l'avoue par anticipation.
Le scénario n'est pas en reste. D'abord, je l'ai trouvé très bien équilibré. J'entends par-là qu'il se développe à un rythme constant qui me sied particulièrement. Ca prend son temps, mais ça avance et se dévoile progressivement. On a le sentiment de s'enfoncer dans le monde de Terremer comme dans un bon fauteuil. Les personnages sont bien taillés et échappent au manichéisme. Ils sont souvent en proie à leurs démons intérieurs : envie de revanche, vexations, volonté de puissance, égotisme... Tout cela rend l'histoire haletante car on sent bien qu'ils peuvent basculer à tout moment, et que cette magie ancestrale que les maitres leur enseignent avec une sagesse profonde peut être source d'un grand désordre, porteuse d'une dualité intrinsèque : pas de lumière sans ombre ! Univers riche donc, mais qui ne repose pas nécessairement sur des aventures épiques à rebondissements multiples, plutôt sur un climat, une ambiance, des psychologies. Un truc philosophique quoi ! L'œil a le temps de s'imprégner des illustrations. C'est très bon de ce point de vue.
Là où j'ai plus de réserve, c'est sur les textes que j'ai trouvés parfois un peu maladroits, et globalement mal écrits. C'est très dommageable car ils cassent la fluidité. Peut-être suis-je un peu trop pointilleux... Et d'accord avec Cacal à propos du format du livre, trop petit pour mettre pleinement en valeur les illustrations !
""Bon, j'ai relu cette BD, et j'ai dû halluciner au sujet des textes qui sont en réalité très corrects. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je devais être fatigué, comme quoi des fois, ce n'est pas le moment... En revanche, on a parfois un peu de mal à identifier qui parle, à plus forte raison parce que certains protagonistes dont les visages se ressemblent bien trop. J'ajouterais tout de même que le dessin est vraiment captivant.""
Le sorcier de Terremer reste une BD tout à fait recommandable. Elle m'a en outre donné envie de lire le roman original. Et petite cerise à l'eau de vie sur le gâteau : en menant quelques recherches, j'ai découvert qu'Ursula K. Le Guin était la fille d'Alfred Kroeber, anthropologue américain qui a écrit un livre magnifique qui m'a beaucoup marqué, Ishi : testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord, dont le tire parle de lui-même. Mieux : il a été tiré une série télé de cette histoire !!! C'est très personnel et n'a certes rien à voir avec l'œuvre en elle-même, mais c'est le genre de liens que j'adore faire.
Je ne peux qu'abonder dans presque tout ce qu'a écrit Bamiléké.
Je ne fais pas partie du monde soignant, mais possède quelques personnes de l'art autour de moi, avec lesquelles il m'arrive de discuter de leur pratique. Ce qui me frappe donc en premier lieu c'est l'acuité de VéDéCé pour croquer les situations -souvent absurdes, souvent dramatiques- auxquelles lui-même et ses confrères sont confrontés au quotidien, ou lors de circonstances particulières. On ne se rend pas compte du délabrement matériel du milieu hospitalier. On ne se rend pas compte de l'état d'épuisement -pour ne pas dire plus- du personnel. On ne se rend pas compte de l'absurdité de la société, où un service public est perçu comme un bien de consommation... Dans le tome 4, par exemple, des gens appellent le SAMU pour être accompagnés à leur rendez-vous chez le médecin... juste parce que leur femme a pris la voiture aujourd'hui. Ou que c'est plus confortable. Ce serait hilarant si cela n'était pas dramatique, car une ambulance qui est appelée pour un malaise cardiaque simulé par la prétendue victime ne pourra pas aller secourir un enfant de 4 ans renversé par une voiture.
Alors pour ne pas craquer face à tout ça, le personnel soignant préfère en rire, parfois à gorge déployée. Une manière comme une autre de se forger une carapace. Lors d'un bref passage aux urgences il y a quelques temps, j'ai vu de mes yeux un interne presque littéralement s'écrouler sous la pression et la fatigue, après je ne sais combien d'heures de garde. Je n'ai pu m'empêcher d'aller le voir et lui demander si ça allait... Le patient qui vient en soutien du soignant...
Mention spéciale sur le tome 4, lorsque notre héros ordinaire, tout en faisant sa thèse, fait un stage de 6 mois dans le service local de SAMU... Une expérience pas piquée des hannetons, et qui montre elle aussi une fois encore l'état très particulier dans lequel se trouve le milieu sanitaire en France. Même si j'avais entendu parler de certaines des situations décrites (il y a des constantes), je n'ai pas pu m'empêcher d'être consterné par celles-ci, sachant qu'elles sont vraies (les circonstances, les noms ayant été changés pour des raisons évidentes).
Dans le tome 5 le personnage de Max fait un stage en tant qu'aide-soignant dans un hôpital basique. Et là encore la rigolade, parfois jaune, est au rendez-vous. Entre les patients qui s'ingénient à faire chier (presque au sens littéral) le personnel paramédical, le mépris affiché par les médecins pour ce même personnel paramédical, y compris des futurs collègues, le manque de moyens et de personnel, il y a de quoi grincer des dents. Pourtant là encore le personnel tient le coup grâce aux petites joies du quotidien, ou à l'humour, parfois de connivence avec les patients... Et au détour des trucs joyeux, des moments carrément durs, comme le décès d'une patiente atteinte d'Alzheimer, que son mari vient voir tous les jours. Et à la remarque de l'aide-soignant "Pourquoi venez-vous la voir, alors qu'elle ne vous reconnaît plus", le mari a cette réponse ultime : "Je la reconnais, moi". C'est juste poignant.
Vie de Carabin est un travail remarquable. Pas forcément sur le plan graphique, c'est presque du "gros nez", mais comme l'a remarqué mon camarade, il y a une telle énergie dans les situations, dans l'expressivité si particulière des gueules noires (quasiment des smileys), que les histoires passent toutes seules. A peine remarquerais-je que sur certaines doubles pages (en têtes de chapitres, par exemple), le sens de lecture des cases n'est pas toujours optimal, mais c'est vraiment pour pinailler.
C'est du très, très bon boulot. Qui devrait se retrouver dans les salles d'attente de tous les cabinets de médecine de France et de Navarre, en plus des salles de repos des personnels hospitaliers.
Cette lecture est très déroutante. En effet la thématique principale de la série (mémoire et maladie neurodégénérative) n'apparait clairement qu'à la page 50 (sur 56) du T1. Et encore je dis clairement pour un lecteur aguerri qui a une expérience de cette situation. Le T2 est un peu plus explicite surtout grâce à une page introductive et un tableau des personnages qui donne plusieurs clés pour faciliter la lecture du récit. A mon avis le classement en jeunesse ne peut se justifier que pour un lectorat collège à l'esprit aiguisé. En effet si la construction du récit est originale, elle agit comme une sorte de leurre qui envoie le/la lecteur-trice dans un monde fantastique aux allures de manga dont on ne comprend pas grand chose dans tous ces lieux communs à ce type de récit. Puis peu à peu les pièces du puzzle se mettent en place dans un univers mi réel mi imaginaire en introduisant des thématiques plus lourdes : la maladie, la mort, l'oubli ou le dilemme parental entre vie pro et vie familiale. Tous ces thèmes ne sont pas nouveaux mais ici Mathieu Salvia construit un scénario millimétré, complexe avec des personnages imaginaires ou réels ayant une vraie profondeur psychologique.
Le graphisme de Krystel n'est pas forcément mon préféré avec ce côté numérique trop marqué. Pourtant j'ai été séduit par sa modernité, son dynamisme et la très bonne expressivité des intervenants. Le mixte animalier, personnages de type manga et personnages de réalité fonctionne très bien.
Une lecture originale qui demande une certaine ténacité pour en découvrir toute la richesse et l'imprévisibilité. Une lecture jeunesse d'un haut niveau qui parie sur l'intelligence de son lectorat.
Saria dépeint un univers hétéroclite, mélange de steampunk où se côtoient république de Venise et fascisme, démons et androïdes...
La grande force de l'histoire est que cela fonctionne plutôt bien, même si le récit ouvre des portes (private joke, lisez et vous comprendrez) qu'il ne referme pas toujours.
Dans le tome 2 Federici succède à Serpieri brillamment. Mais les vrais problèmes commencent au tome 3, qui est trop décousu. Il y a trop d'événements sortis de nul part qui désorientent le lecteur.
Étonnamment c'est Federici lui même qui explique une des causes possibles dans un épilogue, en expliquant avoir eu carte blanche de la part de Dufaux pour rajouter des éléments à l'histoire. Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire.
Reste des dessins sublimes qui m'ont rappelé le travail et les illustrations d'Alex Ross. D'ailleurs Federici fera quelques incursions dans l'univers du comics par la suite.
Si tout le monde connaît le célèbre tableau de Géricault, qui a par ailleurs donné naissance à une expression du langage courant, peu de gens connaissent véritablement l’histoire de ce chef d'œuvre et les faits horribles qui l’ont inspiré. C’est donc une très bonne idée qu’ont eu les auteurs de cette bande dessinée de remettre en lumière la mésaventure des passagers de ce radeau de fortune, construit à partir de l'épave de la frégate Méduse échouée sur un banc de sable au large des côtes africaines. S’ils se sont basés sur les témoignages des survivants, ils n’ont pas hésité à insérer de la fiction dans leur récit, ainsi qu’une dose de romance, le but étant peut-être d’adoucir l’âpreté de la catastrophe, qui aurait vu certains naufragés recourir au cannibalisme. Si ces actes sont bien évoqués ici, ils ne sont heureusement que suggérés, évitant toute surenchère dans l’horreur, et c’est tant mieux.
C’est ainsi qu’ils ont transformé Blanche, la seule femme présente sur le radeau au milieu de 150 hommes (!), en héroïne au cœur pur, toute en abnégation d’elle-même pour tenter de soigner les blessés et les malades. Une extrapolation dont on ne saura leur tenir rigueur, étant donné la portée symbolique de ses interventions au cours du récit. La fiche Wikipédia se contente quant à elle d’évoquer « une femme de couleur noire », sans plus de précisions.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire est prenante, et, si simple soit la trame, la narration s’avère enlevée. Les récits maritimes ont, si je puis dire, le vent en poupe, et celui-ci est une réussite. En comparaison, 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta, cette autre BD récente à succès qui s’inspire de l’histoire vraie des naufragés du Batavia, passerait presque pour un séjour au Club Med, toute proportion gardée bien entendu.
Avec ce récit, narré ici par le docteur Savigny, témoin rescapé de cette effroyable épopée, Thierry Soufflard et Gilles Cazaux ont développé plusieurs thématiques. D’abord une critique virulente contre les pouvoirs autoritaires et arbitraires par le biais du capitaine de la Méduse, un certain Duroy de Chaumareys, dont l’incompétence n’a d’égale que la lâcheté. C’est lui qui, après avoir pris place sur une « confortable » chaloupe, abandonnera les marins et les soldats à leur triste sort en coupant la corde destinée à remorquer leur misérable radeau. Les auteurs montrent aussi comment, dans ce type de situation, la barbarie humaine a tôt fait de reprendre le dessus et ne grandit personne, mais que l’humanité héroïque d’une minorité peut parfois renverser la vapeur et redonner foi en un avenir plus harmonieux.
C’est également à travers le personnage de Blanche, modèle de bienveillance et de combativité, qu’est abordée la question de la place de la femme dans un monde masculin (la seule ici sur les 150 naufragés !). Le sujet reste toujours d’actualité même si du chemin a été fait depuis cette époque, où l’odieux patriarcat considérait sans états d’âme les « femelles » — la moitié de la population — comme des sous-citoyennes.
On notera le parallèle malicieux entre la meute royaliste déchaînée, scandalisée par le tableau au Salon du Louvre, et la bande de soudards agressifs entassés sur le radeau. La barbarie stupide et aveugle serait-elle donc autant du côté des bourgeois endimanchés que des gueux non éduqués ?
Le dessin de Gilles Cazaux est parfaitement en concordance avec ce récit saisissant. Avec son trait nerveux, il sait rendre les scènes énergiques et faire ressortir la tension imprégnant cette aventure hors normes, où sur une surface extrêmement restreinte, les proies potentielles devront redoubler de prudence et de doigté face à des prédateurs sans états d’âme.
« L’Oubliée du radeau de la Méduse » comblera autant les adeptes de sensations fortes que les amateurs d’art. Si ce huis clos incroyable nous expose les facettes les plus sombres de l’être humain, il compense en mettant en lumière son aptitude à transcender ses pires turpitudes, fut-ce le fait d’une minorité héroïque. Le tableau monumental de Géricault en est le parfait symbole, avec cet homme noir, l’un des rares survivants, agitant héroïquement un drapeau à l’approche des cotes. C’est ainsi que les auteurs ont su avec brio nous conter l’histoire entourant cette œuvre d'art prestigieuse.
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Sláine
Dessins très inégaux, amenant une frustration assez semblable à la série Sandman pour les mêmes raisons. En revanche, les couleurs sont toujours intéressantes, très propres à faire sentir l'atmosphère… L'histoire est marquante et originale, mais délicate, comment le donner à entendre sans trop en dire voyons, voyons ? La vie et la mort, la guerre, la nature, la place du collectif, le rôle de la femme et le partage de nourriture sont à l'opposé du monde chrétien et romain dans la fiction, et sans doute dans une certaine mesure dans la réalité. Les apparitions de divinités et autres êtres féériques et monstrueux évitent le ridicule, les dialogues aussi, soit deux écueils des séries héroïques. Le nain sert à désenchanter, il est comique mais dégonfle quelque peu le discours tout en l'attestant puisqu'il écrit, ce qui est bien trouvé. Il est aussi l'autre, non humain, et à la logique non celte, plus romaine, chrétienne ou moderne ? Je dirais calculatrice. Tous les personnages sont intéressants, hommes et femmes, héros et non héros, humains et non humains. Le druide est assez complexe. La déesse qui fait du héros son champion bien plus encore.
Syrie - Des pierres et de la vie
Beaucoup disent : que la Syrie redevienne comme avant. - Cet ouvrage correspond à une forme de reportage libre qui ne nécessite pas de connaissance préalable. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Vincent Gelot et Edmond Baudoin pour le scénario, et par ce dernier pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Edmond Baudoin raconte qu’il a voyagé au Mexique, en Colombie, dans le Nunavut, en France pour faire le portrait des gens rencontrés. Au cours de ces échanges, il a constaté qu’à travers le monde les êtres humains ont des désirs communs. Avoir une vieillesse correcte. Pouvoir travailler. Faire que leurs enfants puissent poursuivre leurs rêves. Printemps 2023, il fait ses bagages pour la Syrie. Vincent Gelot l’y a invité. Celui-ci lui propose de venir avec lui sur les routes syriennes, qu’il a dessinées en rouge sur une carte du pays. Vincent. En 2012, il quitte la France en 4L, à la rencontre des communautés chrétiennes d’Orient. Son voyage devait se terminer en quelques mois. Il durera deux ans. Ce périple un peu fou le mène aux confins de l’Asie Centrale, puis dans le golfe persique et la corne de l’Afrique. En 2014, Daech s’empare de Mossoul et chasse les populations de la plaine de Ninive où les gens lui avaient donné l’hospitalité. Cela l’a beaucoup marqué car il ne savait pas si ceux qui l’avaient accueilli étaient encore en vie. Quelques mois après être revenu en France, Vincent repart à Erbil, au Kurdistan irakien. Il cofonde radio Al-Salam, une radio destinée aux déplacés dans les camps de réfugiés. C’est là qu’il a compris que son engagement était de vivre aux côtés de ces communautés et de les accompagner dans leur destin de vie. En 2016, Vincent s’installe au Liban et travaille pour l’Œuvre d’Orient. Son travail est de rester au contact de la population, d’évaluer les besoins sur place et de suivre la réalisation des projets. Il aime ces gens. Nous marchons sur les chemins, ils nous font. Et plus tard, c’est nous qui les faisons. Vincent s’est engagé aux côtés des communautés chrétiennes. Oui, la vie, c’est s’engager. Depuis le moment, lors de sa naissance, où on a commencé à respirer. Et puis qu’on a continué. Vincent explique à Edmond que les Chrétiens d’Orient forment une mosaïque de communautés minoritaires, souvent discriminés, parfois persécutés. En Syrie, ils étaient environ deux millions en 2011, ils seraient 500.000 aujourd’hui. Baudoin fait observer que : Leur combat a souvent été récupéré par l’extrême droite, non ? Vincent répond que : Oui, c’est vrai, certaines associations utilisent la détresse réelle des Chrétiens du Moyen-Orient pour répondre à des ambitions personnelles et des objectifs quelques fois obscurs. Ce n’est pas le cas de l’Œuvre d’Orient. C’est une des plus vieilles associations françaises. Elle a été créée en 1856 par des professeurs de la Sorbonne et du Collège de France. Un prêtre, le père Lavigerie, fut nommé à la tête de cette association. Il deviendra plus tard le cardinal Lavigerie… Edmond l’écoute, puis son esprit s’en va ailleurs. En 2020, il a illustré des poèmes de Vincent. Nul besoin pour le lecteur de maîtriser l’histoire contemporaine de la Syrie pour apprécier cet ouvrage : le régime de Hafez el-Assad (1930-2000), celui de Bachar el-Assad (1965-), la guerre civile syrienne de 2011 à 2024 en faveur de la démocratie contre le régime du parti Baas. Le bédéaste annonce explicitement qu’il s’agit d’une commande de l’Œuvre d’Orient, une association à but non lucratif fondée en 1856, aidant les Chrétiens d’Orient. Il accompagne donc Vincent Gelot, poète et coauteur de l’ouvrage Chrétiens d'Orient: Périple au cœur d'un monde menacé (2017) avec Pascal Gollnisch. Comme il l’explique dans les premières pages, Edmond Baudoin ne parle pas la langue, et il se fait expliquer certaines situations par des interlocuteurs francophones. Il demande à Vincent la raison de son voyage : son interlocuteur expose sa perception des faits sur la période commençant en 2011. Jihanne lui explique la position des Chrétiens en Syrie. L’évêque Jacques raconte sa vie de moine, sa séquestration. Vincent parle du martyre de la ville de Hama. Nabil, un membre des Maristes bleus, raconte comment il a vécu la guerre. Le père Jihad raconte l’histoire de Mar Moussa El Abashi (Saint Moussa, le visage brulé), c’est-à-dire Le monastère de Saint-Moïse-l'Abyssin à quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Damas. Les auteurs savent mêler l’histoire du pays avec une forme de tourisme singulier. De manière tout à fait légitime, le lecteur peut s’interroger sur le positionnement du récit, ou le point de vue à partir duquel la Syrie va être considérée. S’il connaît déjà l’œuvre de Baudoin, il connaît la réponse avant même de commencer sa lecture. S’il n’en est pas familier, il comprend rapidement qu’il s’agit d’un point de vue humaniste sincère, une volonté d’établir un contact vrai. Cela peut paraître surprenant sachant que l’artiste ne parle pas la langue du pays. Il reprend une démarche qu’il a mise en œuvre dans plusieurs pays (dont il ne parlait pas la langue non plus) : réaliser le portrait de son interlocuteur, en l’échange de sa réponse à une question. Le dessinateur l’a écrit à de nombreuses reprises : deux êtres humains qui se regardent fixement pendant une dizaine ou une vingtaine de minutes constitue une expérience rare dans la vie d’un être humain. De fait les portraits reproduits dans l’ouvrage présentent des particularités qui les font ressortir. Les deux premiers sont tenus devant eux la personne représentée, dessinée d’une manière différente, produisant un effet de mise en abîme totalement naturel. Les suivants sont reproduits sans cet effet : le lecteur fait à nouveau l’expérience déroutante du talent d’Edmond Baudoin. Ces dessins semblent dans un premier temps s’apparenter à un assemblage de traits de pinceaux épais et irréguliers, et de traits fins, quelques fois mis en couleurs. Un résultat qui peut sembler disgracieux, opposé à un rendu photographique. Dans le même temps, ils se dégagent d’eux une impression quasi surnaturelle : celle de regarder la personne comme si elle se trouvait réellement devant le lecteur, de percevoir pour partie leur personnalité, de voir les traces laissées par les ans, de regarder un être humain dans toute sa singularité. La couverture peut donner une fausse impression quant à la narration visuelle. Dès la première page, le malentendu est dissipé : Edmond Baudoin la prend en charge, exprimant sa personnalité en toute liberté. Au fil des pages, le lecteur peut aussi bien découvrir des illustrations réalisées en couleur et au pinceau (telles ces silhouettes jaunes et vertes en train de danser), une carte de la Syrie réalisée à la main avec les tracés en rouge des déplacements à venir, des têtes en train de parler avec de copieux phylactères, une composition flirtant avec l’abstraction pour un concept sur les chemins, une composition de type collage avec un visage au centre, de magnifiques paysages naturels en couleur directe, des paysages urbains comme griffonnés (à Damas), une étrange vision d’une route sans bordure avec des rangées de hauts panneaux de part et d’autre affichant le visage de Bachar El-Assad, de puissantes illustrations épurées au pinceau, quelques compositions abstraites, etc. La mise en page est tout aussi libre : conçue sur mesure pour chaque séquence, allant d’une unique illustration sans bordure sur la page, à des images juxtaposées, en passant même par des cases avec bordure, certaines s’étalant sur les deux pages en vis-à-vis. Comme à son habitude, ce créateur sait mettre en image ses observations, ses réflexions, ses sensations, ses émotions, comme s’il s’agissait d’un flux de pensées organique. Dans le même temps, il s’agit d’un récit de voyage suivant strictement son déroulé chronologique, évoquant un lieu après l’autre, dans l’ordre des déplacements, avec quelques développements incidents par association d’idées. Il apparaît que la structure narrative peut être imputée à Vincent Gelot, puisque c’est lui qui a organisé le voyage. En fonction des arrêts ou des séjours, le lieu peut être abordé par le biais de son histoire, par la personne qui les reçoit, ou par les rencontres qui s’y déroulent. Aucun moment ne ressemble à un autre, chacun étant rendu unique par la personnalité et l’histoire des êtres humains rencontrés. Le lecteur découvre la Syrie grâce au guide qu’est Vincent Gelot, grâce à sa connaissance du pays, et par le biais de la sensibilité d’Edmond Baudoin. Chaque rencontre apporte une réponse personnelle aux deux questions posées : Quel est votre rêve personnel ? Celui pour la Syrie ? Comme il peut s’y attendre, le lecteur découvre des réponses exprimant un désir de paix, soit à aller chercher ailleurs, soit à rétablir en Syrie, un rêve ou un espoir d’avenir pour soi-même, pour les enfants. Le désir que tous les enfants puissent retourner à l’école, que l’électricité revienne. Que l’on puisse acheter du pain sans faire une queue de plusieurs heures… Juste la possibilité de vivre. Il sent sa gorge se serrer en observant les destructions de la guerre. Il sent les larmes monter quand les auteurs évoluent dans des zones en ruines : Si on est attentif, on peut distinguer quelles sont les ruines dues aux bombardements de celles dues au tremblement de terre. Dans les ruines causées par les bombes, il y a de l’herbe et même des arbres qui ont eu le temps de pousser. Il est admiratif de la force vitale des personnes participant à reconstruire et à construire. Il se demande comment Baudoin peut résister émotionnellement à ce qu’il découvre, et il sourit en constatant qu’il pense encore aux arbres : Ça fait mal, tous ces palmiers déchiquetés par les bombes. Il ressent toute la vérité contenue dans le constat du père Jihad qui rêve d’une guérison politique. Il déclare tranquillement que : On leur a menti depuis quarante ans en leur disant qu’ils formaient un seul peuple, alors que certains pillent les richesses en écrasant les autres. Il rêve de danses, de musiques qui ne s’arrêtent pas. Une lecture triste et plombante ? Bien plus que ça : l’expérience de vie dans ce pays du poète et la sensibilité humaniste de l’artiste donnent à voir la diversité des habitants d’un pays en ruine, leurs espoirs simples et clairs, constructifs, les conséquences concrètes de la guerre pour ces civils, des paysages mêlant beauté naturelle et dévastation destructrice. Le lecteur en ressort meurtri et plein de compassion, ses valeurs essentielles s’en trouvant régénérées, par ces désirs communs, par cette démarche d’opposer la vie à la mort. Vital.
Les Sœurs Seasons
- Étrange BD ! - Tu as dit Étrange BD ? - Oui oui, j'ai dit : Étrange BD ! Je tourne autour de ce comics depuis sa sortie en librairie, sa couverture avait tout de suite attiré mon œil de lynx, mais son feuilletage rapide avait refroidi mes ardeurs. Je me suis laissé enfin tenter, bien aidé par les bons retours lus ci et là. Et qu'est-ce que j'ai bien fait ! Rick Remender nous propose un univers proche du notre, il situe le récit en 1924 dans la petite ville de New Gaulia. Mais avant de faire connaissance avec les sœurs Seasons, Remender nous balance en pleine face trois planches sur la ville Le Néo-Caire en introduction, elle est en proie à un phénomène déroutant. En effet, celle-ci n'a plus communiqué avec le monde extérieur depuis plus de 48 heures. On y voit les roulottes d'un cirque en train de plier bagages. Ensuite changement de tonalité avec Spring, la benjamine des sœurs Seasons, elle poursuit tant bien que mal une lettre qui ne fait que lui échapper (elle est factrice) avec l'aide de Gilbert, son poisson rouge. Et après ? Le récit va prendre une drôle de tournure. D'une histoire gentillette, on va glisser doucement, mais sûrement, sur quelque chose de plus sombre avec le cirque magique et la légende du roi vagabond. Une narration maîtrisée qui suggère plus qu'elle ne dévoile pour maintenir le lecteur sur le qui-vive. L'intrigue est dense et elle glisse vers du fantastique tout en mettant en lumière les liens familiaux distendus de la famille Seasons. Des secrets à découvrir ? Il me faut quand même vous toucher quelques mots sur les sœurs Seasons. Leurs parents ont disparu depuis une dizaine d'année. Elles sont quatre et se nomment Spring, Summer, Autumn et Winter. Les quatre saisons sus nommées et l'image que renvoie le miroir pour leur présentation (première image de la galerie) nous dévoilent leur personnalité à chacune. La symbolique du miroir... Je ne vais pas aller jusqu'à dire que le dessin est magnifique, par contre il a un grain indéniable. De Paul Azaceta, je ne connaissais que son travail sur Punisher Noir, et là, on n'est pas dans le même délire ! Azaceta nous propose un style qui pourrait à première vue paraître brouillon et bâclé. Mais il n'en est rien, son trait épais et son rendu presque cartoonesque donnent ce ton si décalé au récit. Les aplats de couleurs de Matheus Lopes (coloriste à suivre) participent pleinement à l'étrange atmosphère de ce comics. Je valide tout ! Un premier tome intrigant qui augure le meilleur.
Prince Valiant
Un chef d'œuvre. Et je m'en vais défendre deux choses : cette BD est dynamique. Dynamique ? On n'est pas dans Alix par parenthèse qui ne manque pas de qualité, les personnages, les chevaux, tout est plein d'allant. Est-ce que ce qui serait statique amènerait la comparaison avec Robin des Bois d'Errol Flyn ? Jamais. Je pense que par manque de dynamisme on veut dire sans marque de mouvement, sans bulle, sans flou, sans le style moderne. Mais il y a plusieurs façons d'être mobile ! Le cadrage des images, la tension dans l'action qui évite les poses de statues et d'ailleurs, d'acteur, les images aux tons vifs, tout cela insuffle un sacré dynamisme ! Pour les stéréotypes de genre…D'abord les femmes car il y en a dans la BD. L'âge médiéval n'est pas le nôtre, ensuite, la princesse Aleta domine souvent la relation, avec Prince Vaillant. Et elle n'est pas la seule femme de caractère. Certes, la femme du roi Arthur n'est pas extraordinaire, mais sa sœur est un des meilleurs méchants. Un pirate viking se marie avec une Indienne qui a de la personnalité, la sœur de Prince Vaillant n'en manque pas, mais je ne vais pas dresser de liste. Par contre, évidemment, il était inconcevable à l'époque qu'on nous montre des chevaleresses mais les historiens les avaient-ils seulement découvertes ? Certes, il y avait des femmes commerçantes et pratiquant l'artisanat, à l'époque médiévale, mais on ne les voit guère, les producteurs, dans l'histoire, même les paysans, de loin les plus nombreux, ne sont qu'aperçus : souvent des serfs éventuellement exploités par des méchants que les héros délivrent… Presque pas de prêtres, pas tant de sorciers que ça, des rois, surtout comme combattants, selon la tradition des chansons de gestes et des romans d'aventures. Reste la question de l'homosexualité, mais alors là, vu l'époque, il ne faut pas rêver : ni sexe, ni homosexualité en bande dessinée ! En fait, tant mieux, vu l'ambiance, je pense que tout cela aurait été présenté de façon négative alors que dans la saga, si on ne montre pas tout, personne ne peut se sentir diabolisé, sauf peut-être les Huns ! A noter que les Indiens sont respectés et qu'il y a un vieux commerçant pouvant faire penser à un Juif qui ne manque ni de courage ni de générosité que protège Prince Vaillant. Il y a des personnages comiques dans l'Histoire, mais on ne gomme pas pour autant leur qualité, Gauvain est un séducteur assez fat mais ne manque pas de courage et de malice, un Grec filou devient un héros par amour, un simple paysan par moment passablement ridicule donne toute sa part de butin pour tirer un ami de l'esclavage, et d'ailleurs, des bouffons, un jour, imitent de loin le roi Arthur de loin pour leurrer des ennemis pour qu'ils puissent prendre les assaillants par surprise.
Une invitée dans la demeure
Voilà encore un bel ouvrage aux éditions 404. J'avais déjà lu Speak du/de la même auteur(rice) que j'avais beaucoup aimé tant niveau graphique que de l'histoire. L'histoire débute comme une banale histoire de famille recomposée avec une jeune femme devenue belle-mère et qui espère bien faire avec sa belle-fille d'autant plus que la maman est décédée. Abby aime cette vie même son amour avec David est un peu distant. Mais petit à petit le trouble et des questions apparaissent sur la mort de Sheila, la première femme de David. La tension monte progressivement. Si l'on pense savoir où l'histoire nous emmène on est finalement surprit par le dénouement. On est sur un conte horrifique avec un brin de fantastique ce qui a très bien marché avec moi. Me dessin n'est pas en reste avec un très beau noir et blanc pour la vie quotidienne/réelle et l'apparition des couleurs pour les passages oniriques et les fantômes. Les couleurs sont flamboyantes au milieu du noir et blanc avec des pages sublimes. Un petit mot aussi sur le livre en lui-même. C'est encore une belle édition avec un papier épais et de qualité comme la couverture d'ailleurs. La jaquette du livre est sublime aussi. Le livre a un coût 30€ mais il est pour moi amplement justifié par la qualité de l'ouvrage en lui même.
Terremer
Après relecture, passage entre guillemets ajouté : Avec cette BD, je découvre une autrice dont j'avais jusqu'ici beaucoup entendu parler sans l'avoir jamais lue, à savoir Ursula Le Guin, un illustrateur inconnu au bataillon, ainsi qu'un éditeur que je n'aurais pas soupçonné frayer avec l'univers de la BD : Le Livre de Poche. Bon, pour ce qui est de l'éditeur, Le Livre de Poche c'est Hachette, et Hachette, c'est la caillasse. Or, la BD ayant actuellement le vent en poupe, il était logique qu'Hachette s'y colle. Toujours est-il que quand on m'a parlé de cette BD, j'ai cru à une blague. Pour tout dire, je cherchais un cadeau à faire et la BD à laquelle je pensais n'étant pas dispo chez mon libraire, j'ai entamé un petit tour des popotes. C'est là que, chez un concurrent, une jeune libraire certaine de son coup m'a sorti le dit-bidule (et non pas le Bidibule !). Le dessin s'est immédiatement incrusté dans ma rétine, et si je ne suis pas reparti avec, j'ai bien pris soin de noter la chose dans mon calepin. Et nous y voilà ! Oui, le dessin, c'est avec le scénario le gros truc de cette BD. Je dis dessin, mais il faudrait peut-être mieux parler de graphisme car il faut bien l'avouer, tout ça sent l'outil informatique. Perso, je n'ai pas trop de problème avec ça, surtout quand c'est bien fait, ce qui est le cas ici. Il se dégage en effet une ambiance tout à fait onirique. Que ce soient les forêts baignées de brume, les nuits sans lune où il s'agit de discerner les contours, le halo des flammes verdâtres ou les tempêtes en pleine mer, tout concourt à l'élaboration d'un univers fort et cohérent. C'est vraiment très chouette et plaisant pour les yeux. S'il fallait pointer un bémol, je dirais que c'est l'expression des personnages qui pâti un peu de l'infographie, mais je n'en suis même pas certain. En tout cas, ça a très bien fonctionné sur moi, et si tout cela devait se révéler n'être qu'une création purement AI-assisted, alors je me suis fais berné, je l'avoue par anticipation. Le scénario n'est pas en reste. D'abord, je l'ai trouvé très bien équilibré. J'entends par-là qu'il se développe à un rythme constant qui me sied particulièrement. Ca prend son temps, mais ça avance et se dévoile progressivement. On a le sentiment de s'enfoncer dans le monde de Terremer comme dans un bon fauteuil. Les personnages sont bien taillés et échappent au manichéisme. Ils sont souvent en proie à leurs démons intérieurs : envie de revanche, vexations, volonté de puissance, égotisme... Tout cela rend l'histoire haletante car on sent bien qu'ils peuvent basculer à tout moment, et que cette magie ancestrale que les maitres leur enseignent avec une sagesse profonde peut être source d'un grand désordre, porteuse d'une dualité intrinsèque : pas de lumière sans ombre ! Univers riche donc, mais qui ne repose pas nécessairement sur des aventures épiques à rebondissements multiples, plutôt sur un climat, une ambiance, des psychologies. Un truc philosophique quoi ! L'œil a le temps de s'imprégner des illustrations. C'est très bon de ce point de vue. Là où j'ai plus de réserve, c'est sur les textes que j'ai trouvés parfois un peu maladroits, et globalement mal écrits. C'est très dommageable car ils cassent la fluidité. Peut-être suis-je un peu trop pointilleux... Et d'accord avec Cacal à propos du format du livre, trop petit pour mettre pleinement en valeur les illustrations ! ""Bon, j'ai relu cette BD, et j'ai dû halluciner au sujet des textes qui sont en réalité très corrects. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je devais être fatigué, comme quoi des fois, ce n'est pas le moment... En revanche, on a parfois un peu de mal à identifier qui parle, à plus forte raison parce que certains protagonistes dont les visages se ressemblent bien trop. J'ajouterais tout de même que le dessin est vraiment captivant."" Le sorcier de Terremer reste une BD tout à fait recommandable. Elle m'a en outre donné envie de lire le roman original. Et petite cerise à l'eau de vie sur le gâteau : en menant quelques recherches, j'ai découvert qu'Ursula K. Le Guin était la fille d'Alfred Kroeber, anthropologue américain qui a écrit un livre magnifique qui m'a beaucoup marqué, Ishi : testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord, dont le tire parle de lui-même. Mieux : il a été tiré une série télé de cette histoire !!! C'est très personnel et n'a certes rien à voir avec l'œuvre en elle-même, mais c'est le genre de liens que j'adore faire.
Vie de Carabin
Je ne peux qu'abonder dans presque tout ce qu'a écrit Bamiléké. Je ne fais pas partie du monde soignant, mais possède quelques personnes de l'art autour de moi, avec lesquelles il m'arrive de discuter de leur pratique. Ce qui me frappe donc en premier lieu c'est l'acuité de VéDéCé pour croquer les situations -souvent absurdes, souvent dramatiques- auxquelles lui-même et ses confrères sont confrontés au quotidien, ou lors de circonstances particulières. On ne se rend pas compte du délabrement matériel du milieu hospitalier. On ne se rend pas compte de l'état d'épuisement -pour ne pas dire plus- du personnel. On ne se rend pas compte de l'absurdité de la société, où un service public est perçu comme un bien de consommation... Dans le tome 4, par exemple, des gens appellent le SAMU pour être accompagnés à leur rendez-vous chez le médecin... juste parce que leur femme a pris la voiture aujourd'hui. Ou que c'est plus confortable. Ce serait hilarant si cela n'était pas dramatique, car une ambulance qui est appelée pour un malaise cardiaque simulé par la prétendue victime ne pourra pas aller secourir un enfant de 4 ans renversé par une voiture. Alors pour ne pas craquer face à tout ça, le personnel soignant préfère en rire, parfois à gorge déployée. Une manière comme une autre de se forger une carapace. Lors d'un bref passage aux urgences il y a quelques temps, j'ai vu de mes yeux un interne presque littéralement s'écrouler sous la pression et la fatigue, après je ne sais combien d'heures de garde. Je n'ai pu m'empêcher d'aller le voir et lui demander si ça allait... Le patient qui vient en soutien du soignant... Mention spéciale sur le tome 4, lorsque notre héros ordinaire, tout en faisant sa thèse, fait un stage de 6 mois dans le service local de SAMU... Une expérience pas piquée des hannetons, et qui montre elle aussi une fois encore l'état très particulier dans lequel se trouve le milieu sanitaire en France. Même si j'avais entendu parler de certaines des situations décrites (il y a des constantes), je n'ai pas pu m'empêcher d'être consterné par celles-ci, sachant qu'elles sont vraies (les circonstances, les noms ayant été changés pour des raisons évidentes). Dans le tome 5 le personnage de Max fait un stage en tant qu'aide-soignant dans un hôpital basique. Et là encore la rigolade, parfois jaune, est au rendez-vous. Entre les patients qui s'ingénient à faire chier (presque au sens littéral) le personnel paramédical, le mépris affiché par les médecins pour ce même personnel paramédical, y compris des futurs collègues, le manque de moyens et de personnel, il y a de quoi grincer des dents. Pourtant là encore le personnel tient le coup grâce aux petites joies du quotidien, ou à l'humour, parfois de connivence avec les patients... Et au détour des trucs joyeux, des moments carrément durs, comme le décès d'une patiente atteinte d'Alzheimer, que son mari vient voir tous les jours. Et à la remarque de l'aide-soignant "Pourquoi venez-vous la voir, alors qu'elle ne vous reconnaît plus", le mari a cette réponse ultime : "Je la reconnais, moi". C'est juste poignant. Vie de Carabin est un travail remarquable. Pas forcément sur le plan graphique, c'est presque du "gros nez", mais comme l'a remarqué mon camarade, il y a une telle énergie dans les situations, dans l'expressivité si particulière des gueules noires (quasiment des smileys), que les histoires passent toutes seules. A peine remarquerais-je que sur certaines doubles pages (en têtes de chapitres, par exemple), le sens de lecture des cases n'est pas toujours optimal, mais c'est vraiment pour pinailler. C'est du très, très bon boulot. Qui devrait se retrouver dans les salles d'attente de tous les cabinets de médecine de France et de Navarre, en plus des salles de repos des personnels hospitaliers.
Petits Dieux
Cette lecture est très déroutante. En effet la thématique principale de la série (mémoire et maladie neurodégénérative) n'apparait clairement qu'à la page 50 (sur 56) du T1. Et encore je dis clairement pour un lecteur aguerri qui a une expérience de cette situation. Le T2 est un peu plus explicite surtout grâce à une page introductive et un tableau des personnages qui donne plusieurs clés pour faciliter la lecture du récit. A mon avis le classement en jeunesse ne peut se justifier que pour un lectorat collège à l'esprit aiguisé. En effet si la construction du récit est originale, elle agit comme une sorte de leurre qui envoie le/la lecteur-trice dans un monde fantastique aux allures de manga dont on ne comprend pas grand chose dans tous ces lieux communs à ce type de récit. Puis peu à peu les pièces du puzzle se mettent en place dans un univers mi réel mi imaginaire en introduisant des thématiques plus lourdes : la maladie, la mort, l'oubli ou le dilemme parental entre vie pro et vie familiale. Tous ces thèmes ne sont pas nouveaux mais ici Mathieu Salvia construit un scénario millimétré, complexe avec des personnages imaginaires ou réels ayant une vraie profondeur psychologique. Le graphisme de Krystel n'est pas forcément mon préféré avec ce côté numérique trop marqué. Pourtant j'ai été séduit par sa modernité, son dynamisme et la très bonne expressivité des intervenants. Le mixte animalier, personnages de type manga et personnages de réalité fonctionne très bien. Une lecture originale qui demande une certaine ténacité pour en découvrir toute la richesse et l'imprévisibilité. Une lecture jeunesse d'un haut niveau qui parie sur l'intelligence de son lectorat.
Saria (Les Enfers)
Saria dépeint un univers hétéroclite, mélange de steampunk où se côtoient république de Venise et fascisme, démons et androïdes... La grande force de l'histoire est que cela fonctionne plutôt bien, même si le récit ouvre des portes (private joke, lisez et vous comprendrez) qu'il ne referme pas toujours. Dans le tome 2 Federici succède à Serpieri brillamment. Mais les vrais problèmes commencent au tome 3, qui est trop décousu. Il y a trop d'événements sortis de nul part qui désorientent le lecteur. Étonnamment c'est Federici lui même qui explique une des causes possibles dans un épilogue, en expliquant avoir eu carte blanche de la part de Dufaux pour rajouter des éléments à l'histoire. Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire. Reste des dessins sublimes qui m'ont rappelé le travail et les illustrations d'Alex Ross. D'ailleurs Federici fera quelques incursions dans l'univers du comics par la suite.
L'Oubliée du Radeau de la Méduse
Si tout le monde connaît le célèbre tableau de Géricault, qui a par ailleurs donné naissance à une expression du langage courant, peu de gens connaissent véritablement l’histoire de ce chef d'œuvre et les faits horribles qui l’ont inspiré. C’est donc une très bonne idée qu’ont eu les auteurs de cette bande dessinée de remettre en lumière la mésaventure des passagers de ce radeau de fortune, construit à partir de l'épave de la frégate Méduse échouée sur un banc de sable au large des côtes africaines. S’ils se sont basés sur les témoignages des survivants, ils n’ont pas hésité à insérer de la fiction dans leur récit, ainsi qu’une dose de romance, le but étant peut-être d’adoucir l’âpreté de la catastrophe, qui aurait vu certains naufragés recourir au cannibalisme. Si ces actes sont bien évoqués ici, ils ne sont heureusement que suggérés, évitant toute surenchère dans l’horreur, et c’est tant mieux. C’est ainsi qu’ils ont transformé Blanche, la seule femme présente sur le radeau au milieu de 150 hommes (!), en héroïne au cœur pur, toute en abnégation d’elle-même pour tenter de soigner les blessés et les malades. Une extrapolation dont on ne saura leur tenir rigueur, étant donné la portée symbolique de ses interventions au cours du récit. La fiche Wikipédia se contente quant à elle d’évoquer « une femme de couleur noire », sans plus de précisions. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire est prenante, et, si simple soit la trame, la narration s’avère enlevée. Les récits maritimes ont, si je puis dire, le vent en poupe, et celui-ci est une réussite. En comparaison, 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta, cette autre BD récente à succès qui s’inspire de l’histoire vraie des naufragés du Batavia, passerait presque pour un séjour au Club Med, toute proportion gardée bien entendu. Avec ce récit, narré ici par le docteur Savigny, témoin rescapé de cette effroyable épopée, Thierry Soufflard et Gilles Cazaux ont développé plusieurs thématiques. D’abord une critique virulente contre les pouvoirs autoritaires et arbitraires par le biais du capitaine de la Méduse, un certain Duroy de Chaumareys, dont l’incompétence n’a d’égale que la lâcheté. C’est lui qui, après avoir pris place sur une « confortable » chaloupe, abandonnera les marins et les soldats à leur triste sort en coupant la corde destinée à remorquer leur misérable radeau. Les auteurs montrent aussi comment, dans ce type de situation, la barbarie humaine a tôt fait de reprendre le dessus et ne grandit personne, mais que l’humanité héroïque d’une minorité peut parfois renverser la vapeur et redonner foi en un avenir plus harmonieux. C’est également à travers le personnage de Blanche, modèle de bienveillance et de combativité, qu’est abordée la question de la place de la femme dans un monde masculin (la seule ici sur les 150 naufragés !). Le sujet reste toujours d’actualité même si du chemin a été fait depuis cette époque, où l’odieux patriarcat considérait sans états d’âme les « femelles » — la moitié de la population — comme des sous-citoyennes. On notera le parallèle malicieux entre la meute royaliste déchaînée, scandalisée par le tableau au Salon du Louvre, et la bande de soudards agressifs entassés sur le radeau. La barbarie stupide et aveugle serait-elle donc autant du côté des bourgeois endimanchés que des gueux non éduqués ? Le dessin de Gilles Cazaux est parfaitement en concordance avec ce récit saisissant. Avec son trait nerveux, il sait rendre les scènes énergiques et faire ressortir la tension imprégnant cette aventure hors normes, où sur une surface extrêmement restreinte, les proies potentielles devront redoubler de prudence et de doigté face à des prédateurs sans états d’âme. « L’Oubliée du radeau de la Méduse » comblera autant les adeptes de sensations fortes que les amateurs d’art. Si ce huis clos incroyable nous expose les facettes les plus sombres de l’être humain, il compense en mettant en lumière son aptitude à transcender ses pires turpitudes, fut-ce le fait d’une minorité héroïque. Le tableau monumental de Géricault en est le parfait symbole, avec cet homme noir, l’un des rares survivants, agitant héroïquement un drapeau à l’approche des cotes. C’est ainsi que les auteurs ont su avec brio nous conter l’histoire entourant cette œuvre d'art prestigieuse.