Krimi est une œuvre magistrale, autant sur le fond que sur la forme. Alex W. Inker livre ici un travail graphique absolument saisissant, réalisé à l’encre et au fusain, qui confère à chaque planche une profondeur et une texture incroyables. Les noirs sont d’une densité rare, les contrastes subtilement dosés, et le trait évoque la pellicule d’un vieux film. On y retrouve tout l’esprit du cinéma expressionniste allemand, ses ombres mouvantes et son esthétique du clair-obscur. Graphiquement, c’est un choc.
L’édition de Sarbacane est à la hauteur du contenu : grand format et dos toilé, un véritable écrin pour ce travail d’orfèvre. On sent une vraie volonté de mettre en valeur la matérialité du dessin, presque palpable à chaque page. C’est le genre d’album qu’on feuillette lentement, pour savourer la puissance de chaque composition.
Le scénario, signé Thibault Vermot, plonge dans la figure complexe de Fritz Lang, cinéaste de génie hanté par ses démons, son époque et la culpabilité. L’histoire entremêle la réalité et la fiction avec une grande maîtrise, tout en gardant une cohérence narrative et émotionnelle remarquable. Le rythme, lent mais tendu, accompagne parfaitement cette descente dans l’ombre.
Je conseille de voir le film M le Maudit avant de se plonger dans la BD : cela permet de saisir pleinement les enjeux artistiques et psychologiques du récit, et de comprendre comment Inker et Vermot dialoguent avec l’œuvre de Lang.
En somme, Krimi est plus qu’un simple polar : c’est une réflexion sur la création, la culpabilité et le pouvoir des images. Un album ambitieux, noir et superbe, servi par un duo d’auteurs en parfaite symbiose.
J'ai aimé le trait du dessinateur, les couleurs et… le bourreau ! C'est le personnage le plus gentil, le plus décalé de l'histoire. Personne ne l'estime, certains de n'être qu'un bourreau pour animaux, d'autres d'être un bourreau. Cela fait bien longtemps que j'ai lu la BD, mais il me semble que c'est ce que le malheureux devait faire, son père étant bourreau d'humain, et lui, bon homme, de ne pas vouloir tuer des gens ni désavouer son père. Dans Jacques le Fataliste, le bourreau pour humain était aussi sympathique. Et pourquoi pas ? Tout opposant à la peine de mort doit viser la peine, tout partisan ne pas viser le bourreau comme impur, ainsi que divers autres métiers dans bien des sociétés…. Je dois mentionner que la couverture est belle et intrigante, et adaptée à son rôle de couverture. Loin des moches, loin de celles qui sont belles comme pour mieux masquer la laideur de certains ouvrages, et exécutées par des spécialistes des couvertures, m'a dit un vendeur de BD.
J'ai l'impression d'enchaîner les coups de cœurs sur le site depuis quelques temps, je m'en excuse, mais j'ai le cœur sensible et il me faudrait bien du temps pour retrouver, relire et aviser toutes les séries que j'avais lues dans ma jeunesse et mon adolescence (forcément, cela équilibrerait mon ratio d'avis dithyrambiques et plus posés).
Je pourrais essayer d'embrayer avec le sujet de l'album en vous parlant de ma peur du regard d'autrui, du fait que je craigne à chaque fois que j'avise d'être jugée négativement par des inconnus, que comme tout le monde je recherche une validation, à être acceptée dans la société, que comme tout le monde je suis intrinsèquement différente et que j'essaye de dissimuler ou de tordre cette différence pour vivre parmi les autres, quitte à rentrer dans des cases étriquées que le nombre nous impose.
Si je vous embête en vous racontant ma vie, en enfonçant des portes ouvertes, ce n'est que parce que je ne sais comment vous transmettre autrement le fait que cet album a fait mouche, a su résonner en moi. Je n'ai jamais su répondre autrement aux échos empathiques d'autrui qu'en partageant les miens. Une histoire pour une histoire.
Je ne suis pas personnellement concernée par le sujet de l'intersexualité, je ne suis même pas sûre d'avoir la moindre légitimité pour m'exprimer sur le sujet, mais pourtant le récit a fait écho avec ma vie, c'est sans doute aussi pour ça qu'à la fermeture l'album m'a laissée bien pensive. Je suis neuro-divergente, je suis queer, je suis transgenre aussi, j'ai dû me battre pour des questions de sexe et de genre depuis toute petite alors même si je suis loin d'avoir vécu la vie de Polly j'ai su reconnaître l'expérience, le poids du regard des autres, le sentiment que notre propre corps n'est pas vraiment nôtre mais finalement un objet social sur lequel le plus grand nombre semble avoir tout pouvoir.
L'intersexualité, le fait que bon nombre de personnes à travers le monde naissent parfaitement en dehors des spectres mâles et femelles et, par là-même, invalident et remettent en question la totalité des fondements de ségrégations de sexes/genres que la société et ses individus tentent désespérément d'imposer depuis si longtemps, est un sujet important à mettre en lumière. Comme nous le rappelle l'album, encore aujourd'hui des enfants sont opéré-e-s sans consentement (de la personne concernée en tout cas) pour satisfaire le besoin malsain qu'ont encore beaucoup de gens de vouloir que tout se conforme à une vision du monde fixe, immuable, qui ne soit jamais remise en question pour que le monde tel qu'iels le visualisent reste inchangé.
Nous sommes abreuvé-e-s d'histoires sur la différence, sur l'impossibilité d'une parfaite similarité entre chaque individus humains, sur la puissance du libre arbitre et sur la complexité de la nature humaine qui cherchera toujours à se démarquer et paradoxalement cherchera continuellement à se rapprocher des autres et à créer des liens. Pourtant, même si nous connaissons tous-tes (ne serait qu'inconsciemment) le besoin de liberté d'expression personnelle, le besoin de tout-un-chacun de pouvoir vivre en société sans que son existence-même soit remise en question, la réalité est bien différente. Les gens vantent l'individualité et les personnes atypiques tout en écrasant toute forme d'expression trop divergente à leur vision du monde.
J'ai du mal à m'exprimer, je m'en excuse. J'essaye de retransmettre le ressenti que j'ai eu à la fin de cette histoire, j'essaye de faire passer par mes mots maladroits que la prose de Fabrice Melquiot m'a laissée avec un joli silence à la fermeture de cet album. L'expérience est simple, vive, similaire à plusieurs témoignages que j'ai entendus de ci de là pour des situations du même genre, le récit sonne réel et pourtant tout l'album baigne dans une forme étrangement flottante, poétique même. Les mots, les pensées de Polly, ses réflexions et son récit m'ont parus beaux, justes. Lui-Elle se cherche, cherche à trouver sa place, dans un monde qui ne comprend pas et ne cherche pas à comprendre comment quelqu'un comme lui-elle puisse exister, comme si sa simple existence devait être corrigée. J'ai particulièrement aimé sa discussion avec Ti-Mana, pleine de bons mots, de jeux sur les mots, pour donner un sens à sa vie, pour choisir son sens on pourrait dire. Polly (re)découvre ce que lui-elle est, ne cherche plus à rentrer dans les cases imposées, commence enfin à vivre sa vie selon ses règles et à se trouver définitivement beau-belle.
Polly ne rentre pas dans les cases, qu'à cela ne tienne : Polly cochera à côté.
Le travail graphique d'Isabelle Pralong est intéressant. Similaire à un carnet, plein de tâches, quelques ratures et avec un dessin simple qui ressemble à des esquisses faites à la volée, brut et ne rentrant pas dans l'image d'une bande-dessinée classique, professionnelle, mais sincère.
J'ai beaucoup parlé de moi dans cet avis, je me suis aussi pas mal répétée j'ai l'impression, des défauts récurrents chez moi, j'en ai honte, je vous présente mes excuses. Mais je vais essayer de prendre à cœur l'une des nombreuses idées que l'on pourrait tirer de cet album et accepter que je puisse paraître bizarre aux yeux d'autrui et me contenter d'essayer de vivre ma vie en tant que moi-même.
Bon, j'insiste sur le mot "essayer", parce que je reste une lâche et que je courbe quand-même souvent l'échine pour me faire accepter, mais le positif c'est que j'essaye de m'améliorer !
(Note réelle 3,5)
J'ai lu le livre et trouve le personnage bien plus poétique dans la BD que dans ce qu'on croit percevoir de lui dans Le dernier ermite. Toutefois, l'auteur de la BD ne franchit pas le Rubicon : il n'explique pas ce qui a déclenché le passage à l'acte de rompre les amarres. Encore heureux ! L'ermite dit ne pas le savoir lui-même, alors…
Tant qu'aux dessins, ils sont pour moi à la fois et curieusement immersifs et repoussants, repoussants et immersifs, c'est bien étrange. Comme les couleurs. L'œil s'accroche à ce qui est expressif et qu'il reconnait, par exemple les insectes, les feuilles, très bien rendus, parfois les arbres, mais s'égare dans la géométrie et certaines images un peu trop imprécises dont il se détourne comme devant un ratage. Cependant, la BD ne se juge pas case par case mais par leur succession. On n'est pas au niveau de Black dog, les rêves de Paul Nash, mais tout aussi loin de la production habituelle. Faudrait-il relire cette œuvre ?
C'est bien possible.
Merci à Cacal69 de me l'avoir signalée !
Mais ce que chacun sait, c’est que les humains ne volent pas.
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Jean-Claude Götting pour le scénario et par Jacques de Loustal pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une courte biographie de chacun des deux créateurs, puis une bibliographie respective. Ce récit constitue une variation sur la bande dessinée originale Noir (Götting) (2012), réalisé par Götting en noir & blanc.
Si les arbres poussent penchés à Wind Creek, c’est à cause du vent. Plus on s’approche du sommet de la falaise, plus le vent est fort. Tout le monde ignore pourquoi il souffle si violemment à cet endroit. Une belle berline rouge gravit la route à voie unique qui mène au sommet de la falaise. À l’intérieur, trois hommes : le conducteur en costume cravate qui ne dit mot, et sur la banquette arrière un beau blond balèze en tee-shirt noir et veste blanche avec à côté un homme à l’allure hispanique qui semble un peu groggy. Le blond lui tend une bouteille et en porte le goulot à la bouche de son voisin qui ne réagit pas beaucoup. Le conducteur arrête le véhicule devant le bord de la falaise, le blond fait sortir l’homme toujours un peu dans les vapes, et qui va vomir quelques mètres plus loin. Puis les deux hommes prennent chacun bras du troisième et l’emmènent jusqu’au bord de la falaise en lui disant qu’ils l‘ont trop vu dans le paysage, et ils le poussent dans le vide. Mais ce que chacun sait, c’est que les humains ne volent pas. Quelques temps après, la police intervient sur place : deux hommes en uniforme inspectent le cadavre et font observer à l‘inspecteur Clarke qu’il lui manque un doigt.
Quelques jours auparavant, dans l’établissement Gordon Cooling, le téléphone retentit, et Pancho Gomez décroche. Il répond à madame Deville que c’est entendu et qu’il fait un saut dès que possible. Il se tourne vers ses deux collègues pour annoncer : Encore un climatiseur en panne. Celui à la casquette rouge lui répond en ironisant : trois fois ce mois-ci, elle ne peut plus se passer de Gomez, cette madame Deville. Il se propose d’y aller à la place de son collègue pour voir quelle tête elle a ; le troisième ironise en demandant s’il parle bien de la tête. Gomez conclut l’échange en indiquant qu’il s’agit d’une chasse gardée. Tout en se rendant à la villa de Solteras High, il se dit que : Plus que le vent, c’est de la chaleur dont le reste du pays devait se prémunir à cette période de l’année. Une chaleur compacte et lourde qui vide l’eau des piscines et fait fondre le bitume. Une chaleur qui faisait le beurre de Gordon Cooling. Il sonne au portail et s’annonce. Il trouve madame Deville debout au bord de la piscine en bikini, l’air affligée. Elle se jette dans ses bras en déclarant que c’est horrible. Gomez constate que son maillot est sec, son corps brûlant, mais des larmes coulent sur son visage. Elle s’exclame : Rosco ! et elle désigne la piscine. Une forme noire ondoie sous la surface. Gomez met un temps à identifier ce dont il s’agit.
Une illustration de couverture à la composition marquante : le bleu ondoyant très chaud de la surface de l’eau de la piscine, les dalles basiques et bien nettes, la jeune femme dont seule la tête dépasse avec ses lunettes de soleil, le jeune homme typé avec son blouson en arrière-plan, et ce chien entre le beauceron et le chien thaïlandais à crête dorsale, avec son pénis pleinement apparent, tout un symbole, sans oublier le beau ciel bleu, et les dents taillées en pointe dans la gueule du chien. La composition semble dégager une menace sous-jacente et l’annonce d’un drame violent inéluctable. La séquence d’ouverture confirme immédiatement la violence et le genre du récit : un polar sous le soleil. Des malfrats règlent son compte à un jeune homme qui n’est pas en état de se défendre : un assassinat maquillé en accident, plus pour le principe que par réelle conviction. La narration visuelle est sèche et factuelle, sans fioriture, si ce n’est pour une sorte d’apparence avec un je-ne-sais-quoi d’artistique, dans la forme des visages, dans une discrète raideur des postures, dans une stylisation des décors. La deuxième séquence, également en quatre pages, confirme la sécheresse de la narration textuelle, la mise en œuvre d’une tonalité de type polar noir, avec une écriture affectée… et une grosse surprise. Le lecteur n’est pas prêt quant à la découverte de ce qui se trouve dans la piscine et le sort qui lui a été réservé. À l’évidence, l’intrigue va droit au but, avec une vraie maîtrise des codes du polar.
Le scénariste prend visiblement plaisir à utiliser les conventions textuelles du polar : des phrases sèches, des sentences bien tournées (comme ces chiens à qui on tend un sucre et qui te bouffent la main. Ou encore : Les humains ne volent pas – commentaire pour accompagner la chute dans le vide de Stefan), les remarques dénuées de sentiment, purement fonctionnelles (emmenez-le – en parlant d’un cadavre), les constats désabusés (Stefan donnait le meilleur de lui-même à l’entreprise de Je Williams, qui en profitait bien), la résignation devant les injustices sociales (par exemple la conviction que les comportements racistes sont immuables), le pouvoir de l’agent, le renoncement à ses principes comme obligation pour pouvoir s’extraire de sa condition économique catastrophique, etc. De son côté, l’artiste manie avec la même facilité les codes du genre, née d’une longue pratique et d’une compréhension en profondeur. Belle bagnole, visages désabusés des policiers, assurance tranquille des hommes de main, banalité d’une rue d’un quartier populaire contrastée avec le luxe et le calme de la piscine de la villa de luxe, conditions de travail harassante dans le garage ou dans la cuisine pour faire la plonge, scène de procès, etc. Le lecteur familier des polars en retrouve toutes les composantes familières mises en scène avec pragmatisme, évidence, dans une forme désabusée et blasée. Enfin… Pas tout à fait…
Les dessins présentent ce je-ne-sais-quoi décalé qui leur donne parfois un aspect maladroit, parfois enfantin, parfois très sophistiqué et artificiel. Le lecteur voit bien que les visages des personnages comprennent des exagérations, sciemment réalisées, ainsi que leur langage corporel : moue figée, expression exagérée comme si les individus se comportaient comme des acteurs sans en avoir le talent, petites touches artificielles (gouttes de sueur trop grosses, bouc crayonné à la va-vite), épaules tombantes sans raison, mensurations pas tout à fait parfaites de Mme Deville, sourire crétin tout en dents, stigmates raciaux artificiels, etc. De la même manière, l’artiste joue avec le dosage entre réalisme et représentation naïve : le portail en fer forgé de la villa des Deville, climatiseur parfaitement à sa place dans la ruelle à l’arrière du restaurant asiatique, ce qui produit un fort contraste avec la voiture représenté façon jouet fonçant sur la devanture du même restaurant asiatique, représentation schématique de la première page du journal du jour, etc. Le lecteur éprouve la sensation d’être bringuebalé entre une réalité concrète et réaliste, et des impressions floues et simplistes de l’environnement, ce qui produit un effet déstabilisant, comme si ses perceptions étaient mal réglées, comme si sa compréhension était fluctuante.
Évidemment, ce polar respecte le principe d’un individu malmené par la société assassiné dans des conditions indignes et sordides : poussé d’en haut d’une falaise après avoir été forcé d’ingurgiter de l’alcool pour maquiller les faits en accident. Évidemment, il y a une beauté fatale : la belle compagne du caïd, délaissé par celui-ci et traitée avec condescendance, voire mépris. Des hommes de main accomplissant les basses besognes sans état d’âme. Des policiers plus ou moins efficaces, plus ou moins motivés. Ce qui frappe, c’est la grande cohérence de l’ensemble, à la fois le comportement de chacun dans une forme de prédestination sociale inéluctable, à la fois comment ces différents individus évoluent et interagissent chacun à leur place dans ce microcosme. De la même manière, le lecteur est épaté par la complémentarité entre scénariste et artiste. L’assassinat initial se déroule avec plausibilité et évidence. La deuxième tentative d’assassinat établit en trois pages l’incompétence du tueur novice, qui à l’évidence n’est pas fait pour ça. Les auteurs ne se moquent pas de lui, ils montrent les choses comme elles sont. Quand s’en est trop pour Stefan Slovik, il se lance dans une nuit de folie : en huit pages, le personnage exerce sa vengeance par des actions simples et directes, s’attirant la sympathie du lecteur par ces gestes cathartiques en réaction au fait que la coupe est pleine.
D’un côté, les auteurs narrent une histoire inscrite dans une époque et une zone géographique bien déterminée, une fiction savamment composée, un exercice de style ou de genre parfaitement maîtrisé dans un ailleurs entre réalité et mythologie. D’un autre côté, le récit parle d’un individu aux origines modestes, destiné à une vie médiocre inéluctable, tentant la seule échappatoire qui s’offre à lui, ce qui accélère encore sa chute. Un destin intemporel, une histoire de mise en garde sur le caractère implacable de forces dépassant cet individu, entre le pouvoir de l’argent et des gens qui jouent avec d’autres règles que lui, et des méthodes qui ne seront jamais à sa portée, dans une société profondément inégalitaire qui lui est défavorable à vie. Le lecteur se rend progressivement compte que les personnages secondaires ne sont pas forcément mieux lotis malgré les apparences, entre le parrain qui ne peut pas, lui non plus, échapper aux conséquences de ses actes, l’inspecteur de police cantonné à un rôle fonctionnel, et le sort en apparence moins cruel pour madame Deville, pourtant elle aussi condamnée d’une certaine façon, en l’occurrence à reproduire les mêmes schémas. Sans en avoir conscience.
Un simple polar ? Oui, une mise à mort, un retour en arrière sur comment la pauvre victime en est arrivée là, et une enquête policière. Une narration visuelle qui embrasse les conventions du genre, des gros costauds dépourvus d’empathie au malheureux qui se venge avec passion. Un polar personnel ? Aussi, avec une personnalité insufflée dans les dessins qui montrent la fausseté de la réalité apparente, et un scénario avec des profondes racines dans la réalité sociale, acceptant les inégalités et la reproduction des classes. Noir.
Les animaux sont humains par leur air sans déroger à leur nature. Plus difficile encore, La ferme des animaux est brillamment réinterprétée. Si je puis toutefois me permettre : cette fiction attire les coups de cœur pour ces qualités mais aussi un défaut, un optimisme exagéré. Est-ce parce que les auteurs tombent amoureux de leurs personnages ? Est-ce à cause de la référence à Gandhi ?
Mais la non-violence ne marche que quand les oppresseurs tiennent d'une certaine façon compte de l'opinion. Exemple, la Grande-Bretagne devait ne pas aller trop loin par rapport à ce que les sujets britanniques et dans une certaine mesure, l'opinion mondiale pensait. Or les malheureux opprimés de la ferme de la série BD ne bénéficient pas d'un rapport de force si favorable. Et puis, les Britanniques avaient certains principes, et on ne voit rien de tel chez le tyran de la ferme non plus que chez ses séides.
Dans la bd, les résistants sont si brillants qu'on oublie que la nullité crasse des dirigeants pose un sacré problème. C'est comme si on donnait la meilleure pièce de théâtre possible à des gens insensibles à cet art ! La non-violence est censée éveiller la conscience de gens ayant trahi les leurs, trahi leur révolution, le chef fraternise avec des humains qui pourraient fort bien lui livrer des animaux à exploiter s'il devait tuer trop de ses opprimés pour la rentabilité de son exploitation, par exemple, en échange d'un pourcentage sur la production. Bon courage ! D'un autre côté, ni le dictateur ni les humains ne paraissent des lumières, il se peut qu'ils n'aient pas une idée aussi évidente. Alors… alors j'attends la suite, et j'espère que nos héros gagneront parce que je m'y suis trop attaché ! Mais j'aimerais bien que ce soit une victoire possible, dans les faits.
J’avais croisé le bouquin en librairie à sa sortie, mais n’avais pas fait l’effort de l’ouvrir pour en découvrir le propos. Je rattrape un peu cette erreur avec la lecture de l’adaptation publiée par Les Arènes.
Qui plus est dans la nouvelle édition « Luxe « (plus grand format, dos toilé, filet marque-page, etc.), qui permet à Benjamin Flao de donner toute la mesure de son talent.
J’aurais sans doute bien aimé voir Emmanuel Lepage dans ce projet, mais Flao parvient à donner vie aux propos de Wohlleben – ici adaptés par Fred Bernard, et surtout vie aux forêts, aux sous-bois : le rendu, avec un trait simple et dynamique est vraiment très chouette !
Il y a énormément de connaissances scientifiques qui sont présentées ici, mais on n’est jamais submergé, et jamais on ne s’ennuie. C’est toujours présenté de façon limpide, plaisante, les termes scientifiques (noms de plantes ou d’animaux) n’étant là que pour étayer le propos.
Et ce propos est à la fois simple et revigorant. Fruit de longues observations, d’un bon sens qui font que le lecteur se sent immédiatement en symbiose avec le récit. Si celui-ci ne sombre pas dans le pessimisme absolu, et donne des pistes pour utiliser les forêts comme des alliés face aux défis climatiques et environnementaux (suite aux expérimentations à petite échelle de Wohllelben, mais aussi aux résultats de diverses recherches internationales), on ne peut que l’être un minimum, si l’on songe à Trump et consorts, ou aux industriels et à la FNSEA – au capitalisme débridé en fait…
Reste que Wohlleben parvient à nous transmettre son amour des arbres, et à leur donner vie – et presque conscience ! A plusieurs reprises j’ai songé aux Ents de Tolkien…
Une très chouette lecture, qui instruit intelligemment.
J'ai bien accroché à ce documentaire périlleux sur le monde de la police. Je me suis introduit dans cette lecture sans apriori n'étant pas hostile ,par principe, au travail des policiers. C'est d'ailleurs amusant de découvrir les états d'âme de l'auteur au début de son reportage. Mathieu Sapin garde avec bonheur ce ton humoristique tout au long de son ouvrage surtout dans les scènes où il se met lui-même en situation.
De plus il garde une grande impartialité de traitement dans les différentes situations vécues dans les bureaux ou sur le terrain. Pourtant pendant cette grosse année , Sapin n'a pas manquer de matériel sensible à tel point qu'il n'a pas pu incorporer toutes ses expériences comme il le souligne en fin d'ouvrage. Ainsi le déroulé reste fluide car l'auteur évite de s'éparpiller. La parole est toujours politiquement neutre avec un souci de respecter les valeurs républicaines. Le discours peut être technique dans la description du fonctionnement de certains services mais aussi très humain avec l'impact sur les fonctionnaires de certaines situations critiques (la bavure, la mort, la pédocriminalité).
J'ai senti tout au long de la série une volonté d'apaisement sur un sujet clivant prompt aux dérapages verbaux.
Le graphisme accentue le côté humoristique surtout avec Sapin qui se met beaucoup en scène de façon drôle voire risible en contraste avec le personnage classe de Camille Chaize la directrice adjointe de la com au ministère.
Une lecture riche, attrayante et intéressante sur un sujet fondamental difficile. A mes yeux Sapin propose une série équilibrée et convaincante.
3.5
Le genre de délire collectif que j'aime bien.
Je connaissais la plupart des auteurs qui participent à cet album et je les aime bien. La seule exception étant Rochier dont je découvre le travail. Je ne pense pas que son dessin soit fait pour une BD humoristique, en tout cas ses planches m'ont rarement fait rire contrairement au travail des autres auteurs. Le scénario est simple, les auteurs reforment un band imaginaire, et avec ce postulat on va loin dans le délire parce que rien ne va se passer comme prévu. Chaque auteur va avoir des problèmes durant son voyage et ça va très loin dans le délire et les catastrophes.
J'ai bien rigolé tout le long de l'album et c'est un bon cru si on est fan de ses auteurs. J'ai particulièrement aimé le travail de Bouzard et le running-gag sur les flashbacks d'un accident d'avion dont aurait été victime le groupe dans le passé. On ne sait jamais ce qui va arriver ensuite et j’ai passé un bon moment sauf pour ce qui concerne Rochier.
Hombre vit pour survivre. Son emploi du temps : trouver des balles pour son fusil et de la viande pour se nourrir.
Hombre et ses décors post apo sont dessinés de main de maître.
Hombre a des dialogues crus et intelligents.
Hombre croise tout un tas d'ordures et leur fait la faveur de les envoyer ad patres.
Hombre est désabusé, lassé mais a conservé ce fil rouge d'humanité qui le lie au monde.
Hombre ferait passer Jeremiah pour un bisounours.
Hombre a de faux airs de Sean Connery.
Hombre est difficilement trouvable en librairie, ce qui renforce son statut d'oeuvre culte.
Hombre a des airs de macho mais il se fait apprendre la vie par Attila, sa partenaire amazone.
Attila a la phobie des fringues.
Muchas gracias Hombre.
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Krimi
Krimi est une œuvre magistrale, autant sur le fond que sur la forme. Alex W. Inker livre ici un travail graphique absolument saisissant, réalisé à l’encre et au fusain, qui confère à chaque planche une profondeur et une texture incroyables. Les noirs sont d’une densité rare, les contrastes subtilement dosés, et le trait évoque la pellicule d’un vieux film. On y retrouve tout l’esprit du cinéma expressionniste allemand, ses ombres mouvantes et son esthétique du clair-obscur. Graphiquement, c’est un choc. L’édition de Sarbacane est à la hauteur du contenu : grand format et dos toilé, un véritable écrin pour ce travail d’orfèvre. On sent une vraie volonté de mettre en valeur la matérialité du dessin, presque palpable à chaque page. C’est le genre d’album qu’on feuillette lentement, pour savourer la puissance de chaque composition. Le scénario, signé Thibault Vermot, plonge dans la figure complexe de Fritz Lang, cinéaste de génie hanté par ses démons, son époque et la culpabilité. L’histoire entremêle la réalité et la fiction avec une grande maîtrise, tout en gardant une cohérence narrative et émotionnelle remarquable. Le rythme, lent mais tendu, accompagne parfaitement cette descente dans l’ombre. Je conseille de voir le film M le Maudit avant de se plonger dans la BD : cela permet de saisir pleinement les enjeux artistiques et psychologiques du récit, et de comprendre comment Inker et Vermot dialoguent avec l’œuvre de Lang. En somme, Krimi est plus qu’un simple polar : c’est une réflexion sur la création, la culpabilité et le pouvoir des images. Un album ambitieux, noir et superbe, servi par un duo d’auteurs en parfaite symbiose.
À la poursuite de Jack Gilet
J'ai aimé le trait du dessinateur, les couleurs et… le bourreau ! C'est le personnage le plus gentil, le plus décalé de l'histoire. Personne ne l'estime, certains de n'être qu'un bourreau pour animaux, d'autres d'être un bourreau. Cela fait bien longtemps que j'ai lu la BD, mais il me semble que c'est ce que le malheureux devait faire, son père étant bourreau d'humain, et lui, bon homme, de ne pas vouloir tuer des gens ni désavouer son père. Dans Jacques le Fataliste, le bourreau pour humain était aussi sympathique. Et pourquoi pas ? Tout opposant à la peine de mort doit viser la peine, tout partisan ne pas viser le bourreau comme impur, ainsi que divers autres métiers dans bien des sociétés…. Je dois mentionner que la couverture est belle et intrigante, et adaptée à son rôle de couverture. Loin des moches, loin de celles qui sont belles comme pour mieux masquer la laideur de certains ouvrages, et exécutées par des spécialistes des couvertures, m'a dit un vendeur de BD.
Polly (La Joie de Lire)
J'ai l'impression d'enchaîner les coups de cœurs sur le site depuis quelques temps, je m'en excuse, mais j'ai le cœur sensible et il me faudrait bien du temps pour retrouver, relire et aviser toutes les séries que j'avais lues dans ma jeunesse et mon adolescence (forcément, cela équilibrerait mon ratio d'avis dithyrambiques et plus posés). Je pourrais essayer d'embrayer avec le sujet de l'album en vous parlant de ma peur du regard d'autrui, du fait que je craigne à chaque fois que j'avise d'être jugée négativement par des inconnus, que comme tout le monde je recherche une validation, à être acceptée dans la société, que comme tout le monde je suis intrinsèquement différente et que j'essaye de dissimuler ou de tordre cette différence pour vivre parmi les autres, quitte à rentrer dans des cases étriquées que le nombre nous impose. Si je vous embête en vous racontant ma vie, en enfonçant des portes ouvertes, ce n'est que parce que je ne sais comment vous transmettre autrement le fait que cet album a fait mouche, a su résonner en moi. Je n'ai jamais su répondre autrement aux échos empathiques d'autrui qu'en partageant les miens. Une histoire pour une histoire. Je ne suis pas personnellement concernée par le sujet de l'intersexualité, je ne suis même pas sûre d'avoir la moindre légitimité pour m'exprimer sur le sujet, mais pourtant le récit a fait écho avec ma vie, c'est sans doute aussi pour ça qu'à la fermeture l'album m'a laissée bien pensive. Je suis neuro-divergente, je suis queer, je suis transgenre aussi, j'ai dû me battre pour des questions de sexe et de genre depuis toute petite alors même si je suis loin d'avoir vécu la vie de Polly j'ai su reconnaître l'expérience, le poids du regard des autres, le sentiment que notre propre corps n'est pas vraiment nôtre mais finalement un objet social sur lequel le plus grand nombre semble avoir tout pouvoir. L'intersexualité, le fait que bon nombre de personnes à travers le monde naissent parfaitement en dehors des spectres mâles et femelles et, par là-même, invalident et remettent en question la totalité des fondements de ségrégations de sexes/genres que la société et ses individus tentent désespérément d'imposer depuis si longtemps, est un sujet important à mettre en lumière. Comme nous le rappelle l'album, encore aujourd'hui des enfants sont opéré-e-s sans consentement (de la personne concernée en tout cas) pour satisfaire le besoin malsain qu'ont encore beaucoup de gens de vouloir que tout se conforme à une vision du monde fixe, immuable, qui ne soit jamais remise en question pour que le monde tel qu'iels le visualisent reste inchangé. Nous sommes abreuvé-e-s d'histoires sur la différence, sur l'impossibilité d'une parfaite similarité entre chaque individus humains, sur la puissance du libre arbitre et sur la complexité de la nature humaine qui cherchera toujours à se démarquer et paradoxalement cherchera continuellement à se rapprocher des autres et à créer des liens. Pourtant, même si nous connaissons tous-tes (ne serait qu'inconsciemment) le besoin de liberté d'expression personnelle, le besoin de tout-un-chacun de pouvoir vivre en société sans que son existence-même soit remise en question, la réalité est bien différente. Les gens vantent l'individualité et les personnes atypiques tout en écrasant toute forme d'expression trop divergente à leur vision du monde. J'ai du mal à m'exprimer, je m'en excuse. J'essaye de retransmettre le ressenti que j'ai eu à la fin de cette histoire, j'essaye de faire passer par mes mots maladroits que la prose de Fabrice Melquiot m'a laissée avec un joli silence à la fermeture de cet album. L'expérience est simple, vive, similaire à plusieurs témoignages que j'ai entendus de ci de là pour des situations du même genre, le récit sonne réel et pourtant tout l'album baigne dans une forme étrangement flottante, poétique même. Les mots, les pensées de Polly, ses réflexions et son récit m'ont parus beaux, justes. Lui-Elle se cherche, cherche à trouver sa place, dans un monde qui ne comprend pas et ne cherche pas à comprendre comment quelqu'un comme lui-elle puisse exister, comme si sa simple existence devait être corrigée. J'ai particulièrement aimé sa discussion avec Ti-Mana, pleine de bons mots, de jeux sur les mots, pour donner un sens à sa vie, pour choisir son sens on pourrait dire. Polly (re)découvre ce que lui-elle est, ne cherche plus à rentrer dans les cases imposées, commence enfin à vivre sa vie selon ses règles et à se trouver définitivement beau-belle. Polly ne rentre pas dans les cases, qu'à cela ne tienne : Polly cochera à côté. Le travail graphique d'Isabelle Pralong est intéressant. Similaire à un carnet, plein de tâches, quelques ratures et avec un dessin simple qui ressemble à des esquisses faites à la volée, brut et ne rentrant pas dans l'image d'une bande-dessinée classique, professionnelle, mais sincère. J'ai beaucoup parlé de moi dans cet avis, je me suis aussi pas mal répétée j'ai l'impression, des défauts récurrents chez moi, j'en ai honte, je vous présente mes excuses. Mais je vais essayer de prendre à cœur l'une des nombreuses idées que l'on pourrait tirer de cet album et accepter que je puisse paraître bizarre aux yeux d'autrui et me contenter d'essayer de vivre ma vie en tant que moi-même. Bon, j'insiste sur le mot "essayer", parce que je reste une lâche et que je courbe quand-même souvent l'échine pour me faire accepter, mais le positif c'est que j'essaye de m'améliorer ! (Note réelle 3,5)
Les Pistes Invisibles
J'ai lu le livre et trouve le personnage bien plus poétique dans la BD que dans ce qu'on croit percevoir de lui dans Le dernier ermite. Toutefois, l'auteur de la BD ne franchit pas le Rubicon : il n'explique pas ce qui a déclenché le passage à l'acte de rompre les amarres. Encore heureux ! L'ermite dit ne pas le savoir lui-même, alors… Tant qu'aux dessins, ils sont pour moi à la fois et curieusement immersifs et repoussants, repoussants et immersifs, c'est bien étrange. Comme les couleurs. L'œil s'accroche à ce qui est expressif et qu'il reconnait, par exemple les insectes, les feuilles, très bien rendus, parfois les arbres, mais s'égare dans la géométrie et certaines images un peu trop imprécises dont il se détourne comme devant un ratage. Cependant, la BD ne se juge pas case par case mais par leur succession. On n'est pas au niveau de Black dog, les rêves de Paul Nash, mais tout aussi loin de la production habituelle. Faudrait-il relire cette œuvre ? C'est bien possible. Merci à Cacal69 de me l'avoir signalée !
Black Dog
Mais ce que chacun sait, c’est que les humains ne volent pas. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Jean-Claude Götting pour le scénario et par Jacques de Loustal pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-dix-huit pages de bande dessinée. Il se termine avec une courte biographie de chacun des deux créateurs, puis une bibliographie respective. Ce récit constitue une variation sur la bande dessinée originale Noir (Götting) (2012), réalisé par Götting en noir & blanc. Si les arbres poussent penchés à Wind Creek, c’est à cause du vent. Plus on s’approche du sommet de la falaise, plus le vent est fort. Tout le monde ignore pourquoi il souffle si violemment à cet endroit. Une belle berline rouge gravit la route à voie unique qui mène au sommet de la falaise. À l’intérieur, trois hommes : le conducteur en costume cravate qui ne dit mot, et sur la banquette arrière un beau blond balèze en tee-shirt noir et veste blanche avec à côté un homme à l’allure hispanique qui semble un peu groggy. Le blond lui tend une bouteille et en porte le goulot à la bouche de son voisin qui ne réagit pas beaucoup. Le conducteur arrête le véhicule devant le bord de la falaise, le blond fait sortir l’homme toujours un peu dans les vapes, et qui va vomir quelques mètres plus loin. Puis les deux hommes prennent chacun bras du troisième et l’emmènent jusqu’au bord de la falaise en lui disant qu’ils l‘ont trop vu dans le paysage, et ils le poussent dans le vide. Mais ce que chacun sait, c’est que les humains ne volent pas. Quelques temps après, la police intervient sur place : deux hommes en uniforme inspectent le cadavre et font observer à l‘inspecteur Clarke qu’il lui manque un doigt. Quelques jours auparavant, dans l’établissement Gordon Cooling, le téléphone retentit, et Pancho Gomez décroche. Il répond à madame Deville que c’est entendu et qu’il fait un saut dès que possible. Il se tourne vers ses deux collègues pour annoncer : Encore un climatiseur en panne. Celui à la casquette rouge lui répond en ironisant : trois fois ce mois-ci, elle ne peut plus se passer de Gomez, cette madame Deville. Il se propose d’y aller à la place de son collègue pour voir quelle tête elle a ; le troisième ironise en demandant s’il parle bien de la tête. Gomez conclut l’échange en indiquant qu’il s’agit d’une chasse gardée. Tout en se rendant à la villa de Solteras High, il se dit que : Plus que le vent, c’est de la chaleur dont le reste du pays devait se prémunir à cette période de l’année. Une chaleur compacte et lourde qui vide l’eau des piscines et fait fondre le bitume. Une chaleur qui faisait le beurre de Gordon Cooling. Il sonne au portail et s’annonce. Il trouve madame Deville debout au bord de la piscine en bikini, l’air affligée. Elle se jette dans ses bras en déclarant que c’est horrible. Gomez constate que son maillot est sec, son corps brûlant, mais des larmes coulent sur son visage. Elle s’exclame : Rosco ! et elle désigne la piscine. Une forme noire ondoie sous la surface. Gomez met un temps à identifier ce dont il s’agit. Une illustration de couverture à la composition marquante : le bleu ondoyant très chaud de la surface de l’eau de la piscine, les dalles basiques et bien nettes, la jeune femme dont seule la tête dépasse avec ses lunettes de soleil, le jeune homme typé avec son blouson en arrière-plan, et ce chien entre le beauceron et le chien thaïlandais à crête dorsale, avec son pénis pleinement apparent, tout un symbole, sans oublier le beau ciel bleu, et les dents taillées en pointe dans la gueule du chien. La composition semble dégager une menace sous-jacente et l’annonce d’un drame violent inéluctable. La séquence d’ouverture confirme immédiatement la violence et le genre du récit : un polar sous le soleil. Des malfrats règlent son compte à un jeune homme qui n’est pas en état de se défendre : un assassinat maquillé en accident, plus pour le principe que par réelle conviction. La narration visuelle est sèche et factuelle, sans fioriture, si ce n’est pour une sorte d’apparence avec un je-ne-sais-quoi d’artistique, dans la forme des visages, dans une discrète raideur des postures, dans une stylisation des décors. La deuxième séquence, également en quatre pages, confirme la sécheresse de la narration textuelle, la mise en œuvre d’une tonalité de type polar noir, avec une écriture affectée… et une grosse surprise. Le lecteur n’est pas prêt quant à la découverte de ce qui se trouve dans la piscine et le sort qui lui a été réservé. À l’évidence, l’intrigue va droit au but, avec une vraie maîtrise des codes du polar. Le scénariste prend visiblement plaisir à utiliser les conventions textuelles du polar : des phrases sèches, des sentences bien tournées (comme ces chiens à qui on tend un sucre et qui te bouffent la main. Ou encore : Les humains ne volent pas – commentaire pour accompagner la chute dans le vide de Stefan), les remarques dénuées de sentiment, purement fonctionnelles (emmenez-le – en parlant d’un cadavre), les constats désabusés (Stefan donnait le meilleur de lui-même à l’entreprise de Je Williams, qui en profitait bien), la résignation devant les injustices sociales (par exemple la conviction que les comportements racistes sont immuables), le pouvoir de l’agent, le renoncement à ses principes comme obligation pour pouvoir s’extraire de sa condition économique catastrophique, etc. De son côté, l’artiste manie avec la même facilité les codes du genre, née d’une longue pratique et d’une compréhension en profondeur. Belle bagnole, visages désabusés des policiers, assurance tranquille des hommes de main, banalité d’une rue d’un quartier populaire contrastée avec le luxe et le calme de la piscine de la villa de luxe, conditions de travail harassante dans le garage ou dans la cuisine pour faire la plonge, scène de procès, etc. Le lecteur familier des polars en retrouve toutes les composantes familières mises en scène avec pragmatisme, évidence, dans une forme désabusée et blasée. Enfin… Pas tout à fait… Les dessins présentent ce je-ne-sais-quoi décalé qui leur donne parfois un aspect maladroit, parfois enfantin, parfois très sophistiqué et artificiel. Le lecteur voit bien que les visages des personnages comprennent des exagérations, sciemment réalisées, ainsi que leur langage corporel : moue figée, expression exagérée comme si les individus se comportaient comme des acteurs sans en avoir le talent, petites touches artificielles (gouttes de sueur trop grosses, bouc crayonné à la va-vite), épaules tombantes sans raison, mensurations pas tout à fait parfaites de Mme Deville, sourire crétin tout en dents, stigmates raciaux artificiels, etc. De la même manière, l’artiste joue avec le dosage entre réalisme et représentation naïve : le portail en fer forgé de la villa des Deville, climatiseur parfaitement à sa place dans la ruelle à l’arrière du restaurant asiatique, ce qui produit un fort contraste avec la voiture représenté façon jouet fonçant sur la devanture du même restaurant asiatique, représentation schématique de la première page du journal du jour, etc. Le lecteur éprouve la sensation d’être bringuebalé entre une réalité concrète et réaliste, et des impressions floues et simplistes de l’environnement, ce qui produit un effet déstabilisant, comme si ses perceptions étaient mal réglées, comme si sa compréhension était fluctuante. Évidemment, ce polar respecte le principe d’un individu malmené par la société assassiné dans des conditions indignes et sordides : poussé d’en haut d’une falaise après avoir été forcé d’ingurgiter de l’alcool pour maquiller les faits en accident. Évidemment, il y a une beauté fatale : la belle compagne du caïd, délaissé par celui-ci et traitée avec condescendance, voire mépris. Des hommes de main accomplissant les basses besognes sans état d’âme. Des policiers plus ou moins efficaces, plus ou moins motivés. Ce qui frappe, c’est la grande cohérence de l’ensemble, à la fois le comportement de chacun dans une forme de prédestination sociale inéluctable, à la fois comment ces différents individus évoluent et interagissent chacun à leur place dans ce microcosme. De la même manière, le lecteur est épaté par la complémentarité entre scénariste et artiste. L’assassinat initial se déroule avec plausibilité et évidence. La deuxième tentative d’assassinat établit en trois pages l’incompétence du tueur novice, qui à l’évidence n’est pas fait pour ça. Les auteurs ne se moquent pas de lui, ils montrent les choses comme elles sont. Quand s’en est trop pour Stefan Slovik, il se lance dans une nuit de folie : en huit pages, le personnage exerce sa vengeance par des actions simples et directes, s’attirant la sympathie du lecteur par ces gestes cathartiques en réaction au fait que la coupe est pleine. D’un côté, les auteurs narrent une histoire inscrite dans une époque et une zone géographique bien déterminée, une fiction savamment composée, un exercice de style ou de genre parfaitement maîtrisé dans un ailleurs entre réalité et mythologie. D’un autre côté, le récit parle d’un individu aux origines modestes, destiné à une vie médiocre inéluctable, tentant la seule échappatoire qui s’offre à lui, ce qui accélère encore sa chute. Un destin intemporel, une histoire de mise en garde sur le caractère implacable de forces dépassant cet individu, entre le pouvoir de l’argent et des gens qui jouent avec d’autres règles que lui, et des méthodes qui ne seront jamais à sa portée, dans une société profondément inégalitaire qui lui est défavorable à vie. Le lecteur se rend progressivement compte que les personnages secondaires ne sont pas forcément mieux lotis malgré les apparences, entre le parrain qui ne peut pas, lui non plus, échapper aux conséquences de ses actes, l’inspecteur de police cantonné à un rôle fonctionnel, et le sort en apparence moins cruel pour madame Deville, pourtant elle aussi condamnée d’une certaine façon, en l’occurrence à reproduire les mêmes schémas. Sans en avoir conscience. Un simple polar ? Oui, une mise à mort, un retour en arrière sur comment la pauvre victime en est arrivée là, et une enquête policière. Une narration visuelle qui embrasse les conventions du genre, des gros costauds dépourvus d’empathie au malheureux qui se venge avec passion. Un polar personnel ? Aussi, avec une personnalité insufflée dans les dessins qui montrent la fausseté de la réalité apparente, et un scénario avec des profondes racines dans la réalité sociale, acceptant les inégalités et la reproduction des classes. Noir.
Le Château des Animaux
Les animaux sont humains par leur air sans déroger à leur nature. Plus difficile encore, La ferme des animaux est brillamment réinterprétée. Si je puis toutefois me permettre : cette fiction attire les coups de cœur pour ces qualités mais aussi un défaut, un optimisme exagéré. Est-ce parce que les auteurs tombent amoureux de leurs personnages ? Est-ce à cause de la référence à Gandhi ? Mais la non-violence ne marche que quand les oppresseurs tiennent d'une certaine façon compte de l'opinion. Exemple, la Grande-Bretagne devait ne pas aller trop loin par rapport à ce que les sujets britanniques et dans une certaine mesure, l'opinion mondiale pensait. Or les malheureux opprimés de la ferme de la série BD ne bénéficient pas d'un rapport de force si favorable. Et puis, les Britanniques avaient certains principes, et on ne voit rien de tel chez le tyran de la ferme non plus que chez ses séides. Dans la bd, les résistants sont si brillants qu'on oublie que la nullité crasse des dirigeants pose un sacré problème. C'est comme si on donnait la meilleure pièce de théâtre possible à des gens insensibles à cet art ! La non-violence est censée éveiller la conscience de gens ayant trahi les leurs, trahi leur révolution, le chef fraternise avec des humains qui pourraient fort bien lui livrer des animaux à exploiter s'il devait tuer trop de ses opprimés pour la rentabilité de son exploitation, par exemple, en échange d'un pourcentage sur la production. Bon courage ! D'un autre côté, ni le dictateur ni les humains ne paraissent des lumières, il se peut qu'ils n'aient pas une idée aussi évidente. Alors… alors j'attends la suite, et j'espère que nos héros gagneront parce que je m'y suis trop attaché ! Mais j'aimerais bien que ce soit une victoire possible, dans les faits.
La Vie secrète des arbres
J’avais croisé le bouquin en librairie à sa sortie, mais n’avais pas fait l’effort de l’ouvrir pour en découvrir le propos. Je rattrape un peu cette erreur avec la lecture de l’adaptation publiée par Les Arènes. Qui plus est dans la nouvelle édition « Luxe « (plus grand format, dos toilé, filet marque-page, etc.), qui permet à Benjamin Flao de donner toute la mesure de son talent. J’aurais sans doute bien aimé voir Emmanuel Lepage dans ce projet, mais Flao parvient à donner vie aux propos de Wohlleben – ici adaptés par Fred Bernard, et surtout vie aux forêts, aux sous-bois : le rendu, avec un trait simple et dynamique est vraiment très chouette ! Il y a énormément de connaissances scientifiques qui sont présentées ici, mais on n’est jamais submergé, et jamais on ne s’ennuie. C’est toujours présenté de façon limpide, plaisante, les termes scientifiques (noms de plantes ou d’animaux) n’étant là que pour étayer le propos. Et ce propos est à la fois simple et revigorant. Fruit de longues observations, d’un bon sens qui font que le lecteur se sent immédiatement en symbiose avec le récit. Si celui-ci ne sombre pas dans le pessimisme absolu, et donne des pistes pour utiliser les forêts comme des alliés face aux défis climatiques et environnementaux (suite aux expérimentations à petite échelle de Wohllelben, mais aussi aux résultats de diverses recherches internationales), on ne peut que l’être un minimum, si l’on songe à Trump et consorts, ou aux industriels et à la FNSEA – au capitalisme débridé en fait… Reste que Wohlleben parvient à nous transmettre son amour des arbres, et à leur donner vie – et presque conscience ! A plusieurs reprises j’ai songé aux Ents de Tolkien… Une très chouette lecture, qui instruit intelligemment.
À l'Intérieur
J'ai bien accroché à ce documentaire périlleux sur le monde de la police. Je me suis introduit dans cette lecture sans apriori n'étant pas hostile ,par principe, au travail des policiers. C'est d'ailleurs amusant de découvrir les états d'âme de l'auteur au début de son reportage. Mathieu Sapin garde avec bonheur ce ton humoristique tout au long de son ouvrage surtout dans les scènes où il se met lui-même en situation. De plus il garde une grande impartialité de traitement dans les différentes situations vécues dans les bureaux ou sur le terrain. Pourtant pendant cette grosse année , Sapin n'a pas manquer de matériel sensible à tel point qu'il n'a pas pu incorporer toutes ses expériences comme il le souligne en fin d'ouvrage. Ainsi le déroulé reste fluide car l'auteur évite de s'éparpiller. La parole est toujours politiquement neutre avec un souci de respecter les valeurs républicaines. Le discours peut être technique dans la description du fonctionnement de certains services mais aussi très humain avec l'impact sur les fonctionnaires de certaines situations critiques (la bavure, la mort, la pédocriminalité). J'ai senti tout au long de la série une volonté d'apaisement sur un sujet clivant prompt aux dérapages verbaux. Le graphisme accentue le côté humoristique surtout avec Sapin qui se met beaucoup en scène de façon drôle voire risible en contraste avec le personnage classe de Camille Chaize la directrice adjointe de la com au ministère. Une lecture riche, attrayante et intéressante sur un sujet fondamental difficile. A mes yeux Sapin propose une série équilibrée et convaincante.
T'inquiète
3.5 Le genre de délire collectif que j'aime bien. Je connaissais la plupart des auteurs qui participent à cet album et je les aime bien. La seule exception étant Rochier dont je découvre le travail. Je ne pense pas que son dessin soit fait pour une BD humoristique, en tout cas ses planches m'ont rarement fait rire contrairement au travail des autres auteurs. Le scénario est simple, les auteurs reforment un band imaginaire, et avec ce postulat on va loin dans le délire parce que rien ne va se passer comme prévu. Chaque auteur va avoir des problèmes durant son voyage et ça va très loin dans le délire et les catastrophes. J'ai bien rigolé tout le long de l'album et c'est un bon cru si on est fan de ses auteurs. J'ai particulièrement aimé le travail de Bouzard et le running-gag sur les flashbacks d'un accident d'avion dont aurait été victime le groupe dans le passé. On ne sait jamais ce qui va arriver ensuite et j’ai passé un bon moment sauf pour ce qui concerne Rochier.
Hombre
Hombre vit pour survivre. Son emploi du temps : trouver des balles pour son fusil et de la viande pour se nourrir. Hombre et ses décors post apo sont dessinés de main de maître. Hombre a des dialogues crus et intelligents. Hombre croise tout un tas d'ordures et leur fait la faveur de les envoyer ad patres. Hombre est désabusé, lassé mais a conservé ce fil rouge d'humanité qui le lie au monde. Hombre ferait passer Jeremiah pour un bisounours. Hombre a de faux airs de Sean Connery. Hombre est difficilement trouvable en librairie, ce qui renforce son statut d'oeuvre culte. Hombre a des airs de macho mais il se fait apprendre la vie par Attila, sa partenaire amazone. Attila a la phobie des fringues. Muchas gracias Hombre.